Mélanie Boissonneau et Jean-François Diana tiennent à remercier Christophe Meunier, Chargé d’Archives et de Collections Patrimoniales à l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance), pour son aide précieuse et l’autorisation de diffusion des images qui constituent le « cahier central » de ce numéro.
1La sélection de photographies issues du fonds INSEP qui vous est présentée manifeste d’une certaine écologie de l’image et revêt une valeur documentaire historique indéniable. Cette formule est moins à prendre au sens de l’avertissement de Susan Sontag qui, en 1977, faisait le constat de la saturation des images comme de leur incontrôlable débordement : « Les images sont bien plus réelles qu’on aurait pu le supposer. Et, parce qu’elles sont justement une ressource illimitée, qui ne peut être épuisée par un trop-plein de consommation, il convient de leur appliquer un remède conservatoire. Si ce peut être un bon moyen pour le monde réel d’intégrer le monde des images, il devient nécessaire de créer une écologie non seulement des objets réels mais des images. »1 Cela dit et entendu, notre position se fonde davantage sur les hypothèses du spécialiste de l’iconographie du xxe siècle, Ernst Gombrich pour qui les réflexions sur le visible, le visuel prennent en compte tant les progrès sociaux que l’adaptation des humains aux technologies. En l’espèce ici, nous questionnons directement le rapport des individus à tous types de représentations. En effet, si l’image constitue une trace vivace et mémorable de ce qui a été, elle rend compte de façon équivoque des évolutions plus ou moins rapides des différentes thématiques qui la traversent : le social et le sociétal, la culture et les usages, les pratiques sportives, les représentations du corps, et pour le dire frontalement, la beauté relative. Enfin, cette écologie incite à réfléchir sur les intentions et les motivations qui amènent à produire des images, à s’intéresser aux modes et aux moyens de fabrication, enfin à prendre en compte les conditions de réception et d’appropriation par un public élargi qui, pour partie, n’est pas préparé à admirer des jeunes femmes marquées par l’effort comme peuvent l’être les cyclistes, les rugbywomen ou les boxeuses, comme la photographie publiée dans La Vie au Grand Air en 1904. L’ensemble de ces problématiques oblige donc à une certaine attention sur les effets que produisent ces images. La sociologie visuelle est à cet égard très utile comme le rappelle Fabio La Rocca à propos de l’approche de John Grady : « l’image doit être traitée comme une donnée et comme un médium pour présenter une recherche » (2007). Et c’est exactement ce sur quoi les auteurs des articles ayant contribué à ce numéro se sont engagés à réfléchir.
2Contempler ces photographies de sportives, c’est autant en découvrir le sens a posteriori que de s’intéresser à la technique mobilisée, s’enquérir des motivations et de l’identité de l’auteur. Que reflètent ces images si l’on s’engage dans une réflexion sociologique et esthétique sur le sport du début du xxe siècle comme des années 1970 ? Les évolutions sont-elles si remarquables tant sur les procédés d’intentions (cadrage, angles de prise de vue, technique mobilisée, proxémie avec le sujet) que sur les contenus scénographiques ? Leur description renseigne certes sur le contexte historique mais aussi sur le symbolique au sens où elle génère autant d’émotion que de connaissance. L’image, tout autant substitutive que documentaire, est foncièrement artistique. Chacune de ces photographies porte donc en elle une valeur sociale en tant que produit d’une activité́ humaine. Elles documentent une époque et une manière d’être au monde, surtout pour les sportives qui visent à exister dans un tel monde a priori exclusif.
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3Le fil de l’histoire et de la mémoire a été reconstitué grâce au travail que mène l’iconothèque de l’INSEP depuis sa création en 19962, et à la veille extrêmement précieuse et efficace menée par des chercheuses, au premier desquelles la sociologue Béatrice Barbusse, la psychanalyste Annie Fortems3, et des actrices du sport comme Elisabeth Bougeard-Tournon. Leurs énergies combinées nous ont permis d’identifier des signes et des figures. Tout autant de repères figuratifs qui organisent ces clichés empreints d’une réelle nostalgie. Ils situent les faits pendant la saison 1974-1975, à l’occasion d’un rassemblement de l’équipe de France à Reims entraînée par Pierre Geoffroy, qui a aussi été journaliste à France Football et à L’Équipe. Nous pouvons ainsi toutes les distinguer : les nombreuses rémoises Régine Pourveux, Dominique Dewulf, Isabelle Musset, Renée Delahaye, Marie-Louise Butzig, Nadine Juillard, Michèle Monnier et Guislaine dite « Gigi » Royer-Souef, les messines Dominique Schaerbeek et Dominique Scharo, les rouennaises Nicole Carrier, Annie Bataille et Nicole Revet, et l’Irlandaise Anne O’Brien qui, à l’époque joueuse au Stade de Reims, avait été autorisée par le coach Geoffroy pour participer à l’entraînement. C’est dire, la solidarité qui régnait parmi ces joueuses. Au cœur de cette iconographie, une image s’est révélée remarquable. Elle représente la gardienne, Monique Gehin, joueuse de Saint-Clair Caluire de 1974 à 1977, dont le regard impénétrable se porte vers un hors-champ, une perspective « en ligne droite » ou une invisible réalité. Portant le bandana apache comme ses contemporains Bjron Borg ou Daniel Herrero, pas seulement pour « tenir sa tignasse » selon l’expression du rugbyman mais, pourrait-on imaginer, pour l’allure et se comporter en liberté4. À l’exemple de celui de la rugbywoman Éloïse racontée dans une contribution de la revue5. Distantes de près d’un demi-siècle, même regard, même combat, des postures pareilles à des statues comme si (presque) rien n’avait bougé… sauf le temps qui passe, de la modernité pour reprendre une proposition deleuzienne : « Mais la forme de ce qui change, elle, ne change pas, ne passe pas. C’est le temps, le temps en personne, un peu de temps à l’état pur » (1985 : 27). Les visages conquérants et des attitudes de défi qui traduisent avec autant de frontalité que d’intimité de l’esprit d’une époque et de ce qu’il convient d’en retenir de mémorable.
- 6 À la date où nous écrivons ce texte.
- 7 Citation extraite du communiqué de Wendie Renard, diffusé sur les réseaux sociaux le 24 février 202 (...)
4Ces photographies de l’entraînement de l’équipe de France féminine des années 1970 revêt même une portée politique eu égard à la façon dont la sélection nationale d’aujourd’hui a décidé de prendre en main son destin. Comme cela a circulé dans ce numéro, « le ciel s’est fendu en deux » parce qu’une femme a parlé, précisément Wendie Renard, l’emblématique capitaine aux 142 sélections6 qui a annoncé le 24 février 2023 sa « décision de prendre du recul avec l’équipe de France », expliquant ne plus pouvoir « cautionner le système actuel, bien loin des exigences requises par le plus haut niveau7 ». Dans ce sport qualifié d’ultra conservateur, il en aura fallu du courage pour se faire entendre des institutions et surtout d’un public prompt à soutenir ces prises de positions. Les signaux se manifestent de plus en plus fort et se transforment parfois en secousses salutaires. Ainsi au niveau international, la Norvégienne Ada Egerberg a refusé toute sélection de 2017 à 2022, pour protester contre le peu de considérations accordées à son équipe nationale par les autorités de son pays ; en 2019, les footballeuses espagnoles ont mené une semaine de grève pour réclamer l’instauration d’une convention collective et un salaire minimum décent ; en 2022, la sélection américaine s’est opposée à sa fédération et a fini par obtenir l’égalité salariale avec les hommes.
5La terre continue de trembler…
Fig. 1. Monique Gehin, joueuse de Saint-Clair Caluire de 1974 à 1977
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
© INSEP
Fig. 2. Les joueuses identifiées grâce à la veille de chercheuses (voir pour plus de détails l’article « Pour une écologie des représentations des sportives » du présent numéro)
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975 ) sous la direction de Pierre Geoffroy pour 24 joueuses (6 de Reims, 4 de Rouen, 3 de Bergerac, 2 de Caluire, et 1 de Metz, Vendenheim, Orléans, Marseille, Plaine, Auxerre, Cavaillon et Limoges, plus l'irlandaise O'Brien de Reims).
© INSEP
Fig. 3. Les joueuses identifiées grâce à la veille de chercheuses (voir pour plus de détails l’article « Pour une écologie des représentations des sportives » du présent numéro)
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975 ) sous la direction de Pierre Geoffroy pour 24 joueuses (6 de Reims, 4 de Rouen, 3 de Bergerac, 2 de Caluire, et 1 de Metz, Vendenheim, Orléans, Marseille, Plaine, Auxerre, Cavaillon et Limoges, plus l'irlandaise O'Brien de Reims).
© INSEP
Fig. 4. Séance de dribbles
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
© INSEP
Fig. 5. La gardienne Monique Gehin à l’affût
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
© INSEP
Fig. 6. En plein tir
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
© INSEP
Fig. 7. Duel aérien
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
© INSEP
Fig. 8. Moment suspendu…
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
© INSEP
Fig. 9. La gardienne en action
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
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Fig. 10. Tir du gauche
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
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Fig. 11. Exercice
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
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Fig. 12. Exercice sous le regard du coach
Photo-reportage du premier stage national officiel de la Fédération Française de Football pour l'équipe de France féminine à l'institut national du sport (les 4 et 5 avril 1975).
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Fig. 13. Une de la revue La vie au grand air, daté du 11 avril 1904
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Fig. 14. Article « La boxe chez la femme et l’enfant », revue La vie au grand air daté du 11 avril 1904, page 110.
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Fig. 15. Article « La boxe chez la femme et l’enfant », revue La vie au grand air daté du 11 avril 1904, page 111.
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