1Dans les années 1990 et au début des années 2000, Valérie Lemercier fait partie, au côté de Michèle Laroque, Anne Roumanoff ou Muriel Robin, d’une nouvelle génération de vedettes françaises qui contribuent à féminiser la comédie, genre traditionnellement organisé autour de stars masculines (Vincendeau : 2012 : 14). Fille d’agriculteurs normands aisés arrivée à Paris après des études de théâtre à Rouen, Lemercier est repérée par Jean-Michel Ribes qui lui offre son premier rôle marquant dans la série Palace (Canal +, 1988-1989). Au cours des années suivantes, elle marque les esprits par ses mémorables apparitions à la télévision (« L’école du fan » ou la fausse publicité « C’est moi qui l’ai fait », avec les Nuls) et avec un premier spectacle en solo au Splendid en 1989, repris l’année suivante et récompensé d’un Molière du meilleur spectacle comique en 1991. En parallèle, l’actrice débute discrètement au cinéma avec un petit rôle dans Milou en mai (Louis Malle, 1990) avant de s’imposer dans deux comédies d’action de Jean-Marie Poiré, L’Opération Corned-Beef (1991) et surtout Les Visiteurs (1993), succès public et critique phénoménal pour lequel elle remporte le César de la meilleure actrice dans un second rôle. Mais jusqu’au milieu des années 2000, elle ne parvient pas à imposer au cinéma la forme acide et transgressive de comique d’imitation qui a fait la réputation de ses spectacles au théâtre et de ses sketches à la télévision. Dans la plupart de ses rôles à l’écran, le prix à payer par l’actrice pour être porteuse du comique est son assignation à des rôles de vieilles filles ou de femmes frustrées (Sexes faibles !, Serge Meynard, 1992 ; Casque bleu, Gérard Jugnot, 1997) souvent tournées en ridicule ; ses rares tentatives d’embrasser une forme de sensualité en se ressourçant dans le cinéma d’auteur (Vendredi soir, Claire Denis, 2002) s’accompagnent à l’inverse d’un anéantissement de sa puissance comique.
2Il lui faut attendre novembre 2005 et Palais royal !, son troisième long-métrage en tant que réalisatrice, pour trouver au cinéma une triple consécration : celle d’une autrice, d’une comédienne et d’une formule comique. Ce film, le plus gros succès de Lemercier dans un rôle principal depuis Les Visiteurs, reçoit un accueil sans précédent en comparaison de ses réalisations antérieures. Réunissant 2,6 millions de spectateur∙ice∙s, il est le troisième film français le plus vu en 2005 et, de manière étonnante pour une comédie populaire, reçoit un accueil positif de la critique et deux nominations aux César dont celui de la meilleure actrice pour Lemercier. La star y trouve un compromis entre comédie populaire et cinéma d’auteur que n’avaient pas atteint ses réalisations précédentes (Quadrille, 1997 ; Le Derrière, 1999) et surtout, tout en préservant son association à une bourgeoisie traditionnelle dont elle fait la satire depuis ses débuts, fait émerger une persona de femme puissante et maîtresse de sa sexualité, sujet comique plutôt qu’objet de dérision. Mais au-delà du tour de force que représente cette réinvention de Valérie Lemercier-star-et-interprète par Valérie Lemercier-autrice-et-réalisatrice, il s’agira de s’interroger sur les opportunités que lui offrent au cinéma cette métamorphose, ainsi que sur ses limites, sa position désormais centrale dans la comédie populaire s’accompagnant de la standardisation de son jeu et de son image.
3En analysant la persona et le jeu de Lemercier dans une optique croisant star studies et gender studies, nous verrons d’abord comment la transformation de l’image de Lemercier s’opère dans Palais royal ! à travers une perversion du conte de Cendrillon : la gentille (et niaise) princesse se métamorphose en un cygne diabolique transgressant, par une prise de contrôle sur son corps et sur l’espace filmique, la place à laquelle elle était assignée. Nous nous intéresserons ensuite à la façon dont ses apparitions suivantes au cinéma, dans Fauteuils d’orchestre (Danièle Thompson, 2006) ou Le Petit Nicolas (Laurent Tirard, 2009) capitalisent sur cette image d’unruly woman (Rowe : 1995) à la française, en mettant la dépense physique et verbale de l’actrice au service de personnages de femmes en quête d’émancipation, qu’elle soit professionnelle ou domestique. Enfin, nous analyserons comment, à partir d’Agathe Cléry (Étienne Chatiliez, 2008), les rôles de Lemercier s’éloignent de ces canevas narratifs émancipateurs pour se faire le reflet de la position dominante de la star au sein de l’industrie cinématographique et de la normalisation de son image, qui s’inscrit de plus en plus dans une forme de féminité conventionnelle. L’échec commercial et critique de 100 % Cachemire, sa quatrième réalisation et la déstabilisation de l’équilibre fragile de son image médiatique rappellent les limites du pouvoir émancipateur de son indocilité.
4Au cours des premières années de la carrière de Lemercier, sa persona semble marquée par une forme d’instabilité, contrainte par la double impossibilité de trouver un équilibre entre comique populaire et élitiste, et d’articuler la dimension excessive – souvent transgressive – de ses performances avec la beauté, la féminité et la sensualité. À compter de sa révélation à la télévision dans Palace, où elle pastiche les manuels de savoir-vivre de Nadine de Rothschild, professant ses conseils sur des questions essentielles telles que « Peut-on vomir ou péter dans un palace ? » ou « Comment faire au palace pour se débarrasser de ses crottes de nez ? », Valérie Lemercier se voit identifiée à un emploi récurrent que l’on pourrait caractériser hâtivement de « grande bourgeoise trash ». L’effet comique de ses premières performances naît d’un décalage entre, d’un côté, l’attitude statique et guindée, l’inflexion snob de la voix et le sérieux de la comédienne – minutieuse dans son imitation du modèle qu’elle pastiche – et, de l’autre, la vulgarité régressive de ses propos. Si dans ses spectacles, elle incarne des personnages d’une plus grande diversité sociale et régionale, son nom devient synonyme d’une certaine grande bourgeoisie parisienne ou de la noblesse déchue. Son interprétation de Béatrice de Montmirail dans Les Visiteurs propose une variation plus grand public de cet emploi en substituant aux excès scatologiques du texte la démesure de la performance, notamment à travers l’adoption d’un accent « patate chaude dans la bouche » particulièrement outrancier.
5Au-delà de cet emploi récurrent, un certain nombre de dimensions caractérisent l’image de Lemercier à ce moment de sa carrière. La première est son physique « difficile », selon une expression de Philippe Gildas, reprise par Thierry Ardisson (Tout le monde en parle, France 2, 20 mai 2000), c’est-à-dire peu conforme aux normes classiques de la beauté féminine. « Trop » grande (elle mesure 1m80), dotée d’un visage rond aux traits irréguliers (un nez imposant lui dévorant le visage, une bouche large mais aux lèvres fines), l’actrice revendique initialement sa « laideur » comme une part indispensable de sa présence comique :
On ne peut pas être belle et drôle en même temps, il n’y a rien à faire. Une fois, dans l’émission Palace, j’étais très belle. Eh ben, j’ai eu du mal. Parce que le comique, ça vient du ridicule, c’est toujours quelque chose de physique qui ne va pas (Colmant et Lefort : 1991).
- 1 S. Bourmeau et E. Tell, « Valérie Lemercier chante – tellement pas rock », Les Inrockuptibles, 3 av (...)
- 2 Ce n’est pas un hasard si l’actrice est un temps évoquée pour le remake français d’Absolutely Fabul (...)
6Cette dimension est accrue par le type de personnages qu’on lui propose ou qu’elle accepte d’interpréter : Louis Malle, qui la découvre dans Palace, la choisit pour Milou en mai en étant persuadé d’engager une actrice de soixante ans et, dans ses spectacles ou ses sketches à la télévision, elle interprète des femmes âgées, des petites filles ou des hommes plutôt que des femmes de sa génération. Cet aspect transformiste de la persona de Lemercier s’exprime dans ses interprétations par la contrefaçon de sa voix, la recherche d’un timbre ou d’une diction spécifiques au personnage qu’elle incarne1, mais s’enrichit au fil des années par une incarnation de plus en plus physique de ses rôles, tant par l’occupation de l’espace (l’amplitude des gestes et la vivacité des déplacements au cinéma, la pratique croissante de la danse dans ses spectacles) que par un goût prononcé pour le déguisement, voire le travestissement. La distance ainsi construite entre l’interprète et ses personnages permet la création de bulles carnavalesques (Bakhtine : 1982) à la limite du camp2, où toutes les transgressions souvent mal acceptées des vedettes féminines (enlaidissement volontaire, excès de l’expression faciale et vocale, vulgarité verbale) lui sont autorisées. Mettant peu en valeur son corps, voire cultivant une forme d’androgynie dans sa présentation (Quemener : 2013), elle joue cependant moins sur une ambiguïté de genre que sur une présence totalement asexuée, ainsi que sur la mise entre parenthèses de toute forme de sensualité.
7Enfin, Valérie Lemercier se distingue de ses contemporaines par une image plus arty et élitiste. Appréciée par la presse cultivée – Libération, Les Inrockuptibles ou Télérama lui consacrent régulièrement des portraits –, elle se façonne au fil des années 1990 une réputation d’autrice comique exigeante, plutôt que de s’engouffrer dans la brèche ouverte par Les Visiteurs. Elle refuse du reste de reprendre son rôle de Béatrice de Montmirail dans la suite du film, Les Couloirs du temps (Jean-Marie Poiré, 1998), où elle est remplacée par Muriel Robin, et interdit la captation de ses spectacles, se coupant d’importantes sources de revenus par peur de les voir fragmentés en extraits isolés de leur contexte. Plutôt que d’accepter les rôles importants au cinéma dans la lignée de son rôle dans Les Visiteurs dans lequel elle craint d’être enfermée, elle n’accepte que des caméos (La Cité de la peur, Alain Berbérian, 1995 ; Sabrina, Sidney Pollack, 1995 ; RRRrrrr!!!, Alain Chabat, 2004), préférant se consacrer à ses spectacles, enregistrer un disque pop décalé pour le label branché Tricatel et se lancer dans la réalisation, avec Quadrille (1997), adaptation de Sacha Guitry, puis Le Derrière (1999). Elle est aussi l’interprète d’un premier rôle osé dans un film d’auteur exigeant aux antipodes des œuvres précédentes de sa filmographie, Vendredi soir de Claire Denis (2001).
- 3 Alain Riou, « Valérie au lit », Le Nouvel Observateur, 6 septembre 2002 : « Je ne me voyais absolum (...)
8Avec Palais royal !, Valérie Lemercier accède à la sensualité et à une forme de féminité plus conventionnelle, tout en conservant son humour noir et régressif et en réussissant à s’imposer comme autrice dans le genre illégitime de la comédie populaire. Si elle s’éloigne avec ce film des excès corporels qui ont caractérisé la première partie de sa carrière pour une image plus normalisée, Lemercier s’y approche davantage de la unruly woman (femme indocile) telle que la définit Kathleen Rowe (1995), c’est-à-dire une figure porteuse du comique caractérisée par une triple transgression sexuelle, physique et sociale. Cette réinvention de Lemercier par elle-même vient en effet remédier à la neutralisation du genre et de la sexualité de l’actrice qui semblait indissociable de ses prestations comiques. Ses deux précédents rôles majeurs au cinéma témoignaient en effet d’une forme d’impasse : dans Casque bleu de Gérard Jugnot, l’énième enlaidissement de l’actrice dans un rôle de vieille fille l’avait placée dans la douloureuse position d’objet de pitié et de ridicule, à un degré tel que la star avait publiquement désavoué le film ; et dans Vendredi soir, elle était filmée pour la première fois comme sujet et objet de désir mais renonçait à tous les marqueurs de sa présence pour se fondre à son corps défendant3 dans l’univers esthétique de Claire Denis. Avec Palais royal !, Lemercier réussit à la fois à se réinventer comme une « woman on top (femme aux commandes) » (Rowe : 1995) transgressant l’ordre établi à l’intérieur de la diégèse, tout en obtenant une reconnaissance commerciale et critique en tant que vedette et réalisatrice de comédie : cette capacité à s’engendrer pour et par elle-même, comme autrice autant que comme comédienne, n’est pas sans évoquer l’exemple de Roseanne Barr longuement développé par Rowe (50-91). Dans le film, la vedette incarne Armelle, orthophoniste devenue princesse suite à son union avec Arnaud (Lambert Wilson), bellâtre inconséquent qui se retrouve sur le trône par un étrange concours de circonstances. Trompée par son époux et humiliée par la Reine-Mère (Catherine Deneuve), Armelle décide de se venger en utilisant contre ses proches les armes médiatiques dont elle fut la victime.
9Palais royal ! permet à Valérie Lemercier d’affirmer au cinéma sa formule comique singulière, à la fois populaire et arty, vulgaire et sophistiquée, consensuelle et dérangeante. Le film semble conçu pour faire l’objet de plusieurs lectures simultanées. En apparence, il se prétend satire au vitriol de la vacuité de la culture people, moquant la bassesse de personnalités royales engoncées dans des protocoles d’un autre temps et prêtes à tout pour occuper l’espace médiatique à défaut d’avoir une réelle importance politique. Des séquences mettant en scène des familles populaires suivant les péripéties de la vie d’Armelle devant leur poste de télévision rythment le récit, semblant moquer le public fasciné par les têtes couronnées et facilement manipulé par les médias. Cependant ce versant narquois et élitiste du film se voit contrebalancé par la manière dont Lemercier le nourrit de la matière même qu’elle prétend critiquer. Le récit fait ouvertement référence à des personnalités habituées de la presse people et à des évènements réels couverts dans ces revues avec une érudition fascinée : la trajectoire du personnage d’Armelle reproduit celle de Lady Di (adultère, destin tragique…), tout en intégrant des détails biographiques empruntés à d’autres célèbres princesses comme Mathilde de Belgique, ancienne orthophoniste. Lemercier s’applique également à reproduire avec une grande minutie les « passages obligés » familiers aux lecteurs de Paris Match et de Point de vue images du monde : évènements caritatifs, inaugurations, portraits de famille « au naturel », etc.
10Cette dualité se retrouve dans le comique du film, qui oscille sans arrêt entre sophistication et vulgarité. La sophistication se joue dans le soin apporté dans les décors, les costumes et les gestes qui composent cette nouvelle bulle carnavalesque, et dans la réjouissante subversion de la persona des autres interprètes (de Lambert Wilson en bellâtre veule et adultère à Catherine Deneuve en matriarche glaciale, hautaine et sans scrupules). Mais le dispositif de Palais royal ! permet aussi au film de conserver la part la plus crue et la plus dérangeante de l’humour de Lemercier : « Je voulais aller très loin dans le trivial. On nous submerge avec les images de vie privée des grands de ce monde. Eh bien, voilà » (Lorrain : 2005). Il est ainsi question de mono-testicules, de masturbation princière, de foire aux boudins ou de la mauvaise haleine d’une domestique au physique ingrat, et la première partie du film prolonge de manière presque insoutenable l’humiliation constante de l’héroïne. Lorsqu’Armelle se fait entarter par Noël Godin, ce n’est pas le moment de « l’impact » qui intéresse Lemercier mais ce qui suit : il suffit qu’un gros plan interminable la cadre inerte sur le sol jusqu’à ce qu’un morceau de gâteau finisse par se détacher de son crâne et s’écraser au sol, pour que la gêne vienne contaminer l’humour tarte-à-la-crème.
11Cette dualité du film explique l’accueil globalement positif qui lui est réservé, y compris par des publications traditionnellement peu favorables à la comédie populaire comme Les Inrockuptibles, qui choisissent la star pour orner la couverture de leur numéro best-of de l’année 2005. Cette reconnaissance surprenante est légitimée par un argumentaire qui fait de Palais royal ! une comédie « d’auteur » personnelle, dont les défauts sont valorisés en regard du formatage perçu comme monnaie courante dans un champ du cinéma très critiqué et traditionnellement exclu des cérémonies officielles comme les César :
L’estime en laquelle on porte le nouveau film de Valérie Lemercier est avant tout relative. Elle ne prend sa mesure que dans un contexte particulier, celui, plus que sinistré, du cinéma commercial français, peut-être le plus mauvais du monde. Palais royal ! est une comédie drôle, donc une exception heureuse, et un bon film, pour ainsi dire, par soulagement. Cela ne tient pourtant pas d’un miracle, mais plutôt d’une méthode, voire d’une idéologie – furieusement en perte de terrain dans les cercles où se décide l’industrie cinématographique nationale –, celle de la personnalisation. Écrit (avec Brigitte Buc), réalisé et interprété par Valérie Lemercier, Palais royal ! est un film qui lui ressemble, une œuvre d’auteur en quelque sorte, dont on sent qu’il échappe au travail forcené du calibrage/formatage/scénarisation, et des script doctorings et brainstormings fumeux, alignés sur une supposée demande, propre au cinéma commercial national (Lalanne : 2005).
12Mais si Palais royal ! marque la reconnaissance d’un comique porté par Lemercier depuis ses débuts et la consécration au cinéma de sa stature d’autrice, il initie surtout un changement d’image notable pour l’actrice, mis en scène au sein-même de la diégèse à travers la métamorphose subie par le personnage d’Armelle. Le récit emprunte la forme du conte de fées comme avant lui Le Derrière, dont l’héroïne enfantine et asexuée, en se travestissant en homme gay pour obtenir la reconnaissance de son père, accédait à la fois à la féminité et à l’épanouissement au sein du couple hétérosexuel. Comme son héroïne Armelle, Valérie Lemercier semble dans Palais royal ! se réapproprier son image à travers la maîtrise de son corps et de l’espace filmique. Dans la première partie du film, Armelle subit les assauts à répétition de son entourage concernant son physique : timide et gauche, peu photogénique, elle semble incapable d’adopter les réactions appropriées aux évènements officiels. Lemercier est souvent statique, immobilisée dans le plan et, lorsqu’elle est en mouvement, ses gestes semblent raides et mécaniques. Ses expressions faciales exagérées contribuent à l’enlaidir : elle n’hésite ainsi pas à simuler le malaise de l’héroïne pendant une prise de sang avec une grimace particulièrement outrancière. Dans la seconde partie en revanche, la métamorphose d’Armelle passe par une reprise de contrôle sur son corps qui commence par un geste : ce doigt d’honneur rageur renvoyé à la foule qui commente son entartage sans lui venir en aide. Désormais coiffée, maquillée et habillée avec soin, d’une manière mettant en valeur son corps et sa féminité, elle suit des cours de gymnastique avec un homme qui devient son amant. Les gestes de Lemercier se font alors fluides et étudiés, conformes à des attitudes attendues, et elle semble enfin libre de ses mouvements. Le moment de victoire définitive d’Armelle sur sa belle-famille intervient au cours d’un numéro de danse endiablé avec son beau-frère, dans lequel elle envahit littéralement un espace dans lequel elle n’est pas la bienvenue, la liberté nouvelle de son corps l’excédant tellement qu’elle finit par fendre sa robe.
13Le film est également le récit d’une reconquête du cadre : Valérie Lemercier se place systématiquement au centre de l’écran et au cœur des gags, rejetant à la périphérie des acteurs issus du théâtre ou du cinéma d’auteur dont la légitimité est plus grande que la sienne. Dans la fantaisie de ce monde imaginaire, l’outsider se repositionne ainsi en plein centre du cinéma français, sans pour autant sacrifier la part transgressive de son humour sur l’autel du conte de fées. Certes, Armelle-Cendrillon, de roturière devient princesse, mais c’est au prix de sa gentillesse, et sa métamorphose de vilain petit canard en cygne diabolique se révèle aussi jouissive qu’elle est amère. Il est intéressant de noter que la bulle carnavalesque créée par le film n’est pas l’occasion d’un travestissement aussi spectaculaire que dans ses spectacles et la plupart des apparitions précédentes de Lemercier au cinéma : elle ne contrefait pas sa voix, ne joue plus sur une ambiguïté de genre et s’autorise enfin une sexualité à l’écran. À 41 ans, elle semble plus jeune qu’elle ne l’a jamais été au cinéma. À travers Armelle, c’est Lemercier elle-même que nous voyons habiter des images dans lesquelles nous ne sommes pas habitué∙e∙s à la trouver : tout autant que son personnage, l’actrice se refaçonne en star.
- 4 Esprits libres (France 2, 15 décembre 2006).
14La résolution, par Palais royal !, des différentes contradictions qui marquaient jusqu’alors la persona de Lemercier (humour trash transgressant les normes de genre/atrophie de la féminité et de la sexualité ; autrice élitiste/comique populaire), se retrouve dans les rôles que tient la star immédiatement après le film, qui mettent l’énergie débordante de l’actrice au service de récits d’émancipation féminine. Dans Fauteuils d’orchestre de Danièle Thompson (2006), Lemercier joue ainsi le rôle de Catherine Versen, star de la télévision et du théâtre de boulevard qui rêve d’incarner Simone de Beauvoir dans un biopic de prestige réalisé par un metteur en scène américain. Lors des répétitions d’une pièce, Catherine questionne l’autorité de son metteur en scène, propose des modifications dans les dialogues de la pièce et tente d’insuffler par des nuances de son jeu un peu de complexité à un personnage féminin qu’elle trouve trop fade. Plus tard, au restaurant, face au réalisateur américain qu’elle devrait courtiser pour un rôle, elle mange et boit trop, vocifère dans un anglais approximatif que son interlocuteur n’a rien compris à la personnalité de Beauvoir tout en hélant le serveur d’un bras pour lui demander un verre de vinaigre. À travers son refus des conventions sociales et sa façon d’occuper l’espace tant par la dépense physique que par l’excès et la vulgarité de la parole, Catherine semble incarner une traduction moderne et populaire des idées de Beauvoir. Elle n’obtient pas seulement le rôle : elle se voit proposer un poste de co-autrice du scénario car elle a ouvert les yeux au réalisateur sur son biais masculin. Ce féminisme populaire fait écho à la personnalité publique de Lemercier : désormais actrice et autrice à succès, elle revendique, contrairement à bon nombre de grandes stars françaises, le qualificatif de féministe4 et assume publiquement sa méfiance envers le mariage et son refus de la maternité (Anon. : 2013). Dans ce film, comme dans Le Héros de la famille (Thierry Klifa, 2006), elle est mobilisée en contrepoint comique à une distribution de stars plus « sérieuses » auxquelles échoit la part dramatique du récit.
15Cette nouvelle dimension féministe de l’image de Lemercier est d’autant plus visible dans les films où elle est joue des rôles de femmes soumises plus proches de ceux qu’elle tenait auparavant au cinéma comme Le Petit Nicolas de Laurent Tirard (2009) où le personnage (assez inexistant dans les romans) de la mère du héros est spécialement réécrit pour la comédienne (Jouin : 2009). Les scénaristes lui accordent une véritable volonté d’émancipation (elle veut passer son permis de conduire) qui tranche avec les rôles de mères et d’épouses passives qu’avait joués Lemercier avant Palais royal !. Même si les dernières séquences finissent par la ramener au foyer, c’est Valérie Lemercier et non Kad Merad qui porte le comique du film sur ses épaules. On le constate notamment dans une mémorable séquence de dîner où les parents du Petit Nicolas reçoivent le patron du père et son épouse à dîner. Nerveuse, la mère engloutit trois verres de vin en moins de cinq minutes, monopolise la parole en récitant le contenu de fiches de culture générale destinées à épater le couple, et multiplie les allers-retours acrobatiques en cuisine avant de s’effondrer de sa chaise, ivre-morte. Lemercier excelle par l’extrême précision des gestes et des déplacements grâce auxquels elle souligne la maladresse du personnage et son incapacité fondamentale à jouer les épouses modèles. Dans ce film, comme dans L’Invité (Laurent Bouhnik, 2007) ou Neuilly sa mère ! (Gabriel Julien-Laferrière, 2009), les mères et les épouses bourgeoises incarnées par Lemercier ne peuvent plus se contenter de rester à leur place et finissent tôt ou tard, au moins le temps d’une séquence, à transgresser la place traditionnelle qui leur est assignée : elle est le grain de sable qui dérègle la mécanique bien huilée des conventions sociales.
- 5 Il s’agit de « comédies d’auteur », comme les qualifie Raphaëlle Moine (2005 et 2015).
16Ces films, qui marquent un redéploiement de Valérie Lemercier dans le champ de la comédie populaire, obtiennent rarement la faveur de la critique, mais l’actrice réussit à maintenir l’équilibre critique atteint avec Palais Royal ! à travers quelques apparitions choisies dans le champ du cinéma d’auteur, qui ne l’utilise plus systématiquement à contre-emploi5. Dans Adieu Berthe, ou l’enterrement de mémé (Bruno Podalydès, 2012), elle est pour la première fois « l’autre femme », l’amante pour laquelle le héros s’apprête à quitter son épouse, mais sa puissance comique n’y est pas sacrifiée contrairement à Vendredi soir, où son pouvoir de séduction se construisait aux dépens de son image. Surgissant sans crier gare aux pompes funèbres où le héros (Denis Podalydès) prépare les funérailles de sa grand-tante, Alix/Lemercier l’embrasse goulument derrière un cercueil en exposition avant de piquer une mémorable crise de colère au milieu d’un cimetière, où elle ridiculise la lâcheté petite-bourgeoise de son compagnon. Dans Main dans la main de Valérie Donzelli (2012), Lemercier interprète Hélène, la directrice de l’école de danse de l’Opéra Garnier, liée par une étrange malédiction à un jeune miroitier de province, Joachim (Jérémie Elkaïm). Suite à un baiser, il leur devient physiquement impossible d’être séparés l’un de l’autre ; ils sont contraints d’effectuer les mêmes gestes, les mêmes déplacements que leur partenaire. Donzelli utilise la persona de grande bourgeoise de Lemercier pour traduire les conflits de classe qui opposent les deux personnages, Hélène imposant son mode de vie à Joachim au prétexte qu’elle le domine socialement. Elle permet également à l’actrice de creuser son emploi de femme indépendante ignorant les conventions, notamment à travers la relation ambiguë de son personnage avec une amie, Constance (Béatrice de Staël) qui vit et dort à ses côtés. Le dénouement du film écarte cependant ce personnage secondaire et précipite le licenciement d’Hélène pour lui offrir un horizon romantique hétérosexuel. Certes, Lemercier n’est pas dépouillée de son indocilité (face au ministre goujat qui lui annonce son renvoi, Hélène se met littéralement à nu et court dans les rues de Paris en tenue d’Ève, tout juste protégée par un rideau qu’elle a arraché à l’une des fenêtres de l’Opéra), et l’union des protagonistes se concrétise à New York, où tous deux se trouvent à égalité, dans une position d’outsider qui était à Paris celle de Joachim. Mais le film est quelque peu symptomatique d’une tendance croissante des films de Lemercier à ramener vers le foyer les femmes indépendantes qu’elle interprète à partir de 2008, et dont le pouvoir est dépeint comme injustifié ou destructeur.
17Agathe Cléry d’Étienne Chatiliez (2008) marque de ce point de vue un changement d’emploi notable pour Valérie Lemercier : de femme au foyer, elle devient femme de pouvoir, cadre ouvertement raciste d’une firme de cosmétiques, qui voit sa peau foncer jusqu’à devenir noire à cause d’une maladie génétique. Les rôles antérieurs de Lemercier parodiaient de manière sympathique une certaine droite traditionnelle plaçant les femmes dans des positions subalternes ; et l’actrice semblait capable, par la force de son jeu et de sa persona, d’insuffler à ces personnages une certaine capacité d’agir. Avec Agathe Cléry, Lemercier devient le visage d’une droite plus moderne, entre libéralisme économique et crispation identitaire, qui s’incarne dans des personnages de femmes indépendantes autoritaires et inhumaines qu’il s’agit de ramener dans le droit chemin. Alors que l’argument de départ du film semblait le prétexte idéal pour une de ces performances transformistes qui ont fait la réputation de l’actrice, le film lui offre peu d’espace pour faire preuve de ses talents comiques et porter la caricature à ébullition : son jeu, ici plus naturaliste, se retrouve étrangement affadi, son impertinence coutumière transparaissant tout juste à travers les quelques énormités proférées par le personnage pour caractériser son racisme. Le genre de la comédie musicale investi par le film et une dimension de l’image de Lemercier – sa façon d’occuper l’espace par la danse – entrent par ailleurs de façon manifeste en contradiction avec le projet antiraciste du film : Agathe Cléry, en devenant noire, acquiert comme par magie le fameux « sens du rythme », maîtrise soudain le moonwalk de Michael Jackson et ébahit en boîte de nuit une foule de blancs peu dégourdis avec des déhanchés de twerk. Ce carnaval-ci renforce ainsi malgré lui les hiérarchies qu’il prétendait déconstruire. De surcroît, la « guérison » miraculeuse de l’héroïne de ses préjugés racistes et la redécouverte de son humanité perdue passent par sa soumission aux injonctions du mariage et de la maternité auxquelles elle résistait initialement. Ce schéma narratif menant Lemercier d’une réussite professionnelle – au prix de la bonté et du bonheur dits « véritables » – à la conjugalité bienheureuse est répété dans Main dans la main mais aussi dans Bienvenue à bord (Éric Lavaine, 2011) où la DRH acariâtre qu’elle interprète, licenciée par son supérieur quand il décide de mettre un terme à leur liaison, se console en retrouvant l’amour auprès d’un capitaine de croisière.
18Dans ces films, le statut de Lemercier change. Elle n’est plus l’underdog ou l’outsider. Au contraire, ses films la placent au sommet de la société, traduisant sa position désormais centrale au sein de l’industrie, pour mieux la déstabiliser. La plupart des personnages qu’elle interprète à partir de 2010 sont caractérisés de façon négative : la femme puissante incarnée par Lemercier est nécessairement odieuse et inhumaine – comme l’éditrice castratrice de L’Amour dure trois ans (Frédéric Beigbeder, 2011) –, harcelant ses assistantes, détestée par ses collègues et devant probablement son poste haut placé à ses capacités de séduction plus qu’à son talent (Main dans la main, Bienvenue à bord). Ils font écho à la réputation de trop grande exigence qui poursuit Lemercier depuis Palais Royal !, une qualité pourtant rarement reprochée aux cinéastes masculins mais qui lui est souvent retournée comme une critique, par exemple lorsque Marc-Olivier Fogiel, qui la reçoit sur son plateau en 2005, lui fait remarquer qu’elle « surveille les moindres détails sur un tournage », et cite quelques mots de son collaborateur Bertrand Burgalat à son sujet :
- 6 On ne peut pas plaire à tout le monde (France 3, 20 novembre 2005).
C’est quelqu’un de très méticuleux dans le travail, ce n’est pas toujours facile ; il faut parfois la bousculer et lui dire que ce n’est pas parce qu’un bouton de veste ne lui convient pas que ça va gâcher le film. Son pire ennemi, c’est elle-même6.
19Ces films se prêtent du reste davantage que par le passé à une analogie avec la personnalité « réelle » de l’actrice car, comme dans Agathe Cléry, ses performances y sont dépourvues de leur dimension transformiste ; ses excès expressifs y sont gommés et on ne trouve plus aucune trace de sa vulgarité coutumière. Lemercier ne contrefait plus sa voix et est vêtue à l’écran comme à la ville, où son image se normalise : tout en revendiquant son féminisme, l’actrice s’inscrit désormais dans une féminité de plus en plus conventionnelle. À présent icône de la mode (elle est d’ailleurs invitée à défiler pour Jean-Paul Gautier en 2011 ; Anon. : 2011), elle apparaît de plus en plus régulièrement dans les pages des magazines féminins et people où elle dispense des conseils maquillage et se félicite de correspondre désormais aux standards de beauté traditionnels :
Je ne dis pas que c’est atroce d’être grosse mais moi, je ne veux pas. Je fais attention. Déjà que j'ai un physique particulier, je n’ai pas envie en plus d’être ronde. […] Les mannequins grandes comme moi en pèsent 45 ou 50 donc je ne suis pas dans la catégorie des maigres, malheureusement (Fitoussi : 2013).
20Cette normalisation de la persona de Lemercier trouve une expression spectaculaire dans 100 % Cachemire (2013), la première réalisation de la star depuis Palais royal !. Lemercier, cette fois entourée quasi-exclusivement de figures associées à la comédie populaire (Chantal Ladesou, Gilles Lellouche), y joue Aleksandra, rédactrice en chef d’un célèbre magazine de mode qui décide d’adopter un enfant russe avec son compagnon et réalise à son arrivée qu’elle n’a pas d’« instinct maternel ». 100 % Cachemire est un échec à deux titres. Alors que Lemercier le présente comme une satire du milieu de la presse féminine, le film ne retrouve pas l’équilibre fragile entre ironie et premier degré qu’atteignait Palais royal !. La fascination trop visible de Lemercier pour ce milieu dont elle entend faire la satire, et la trop grande proximité du personnage d’Aleksandra avec son image médiatique, annulent la dimension de critique sociale que semble initialement revêtir ce portrait d’un univers superficiel et perpétuellement assoiffé de nouveauté où on abandonne un enfant comme une robe passée de mode. Quant à la portée potentiellement subversive de ce film initialement attentif à dénaturaliser l’idée d’instinct maternel, elle est altérée par un sursaut moralisateur inédit dans le cinéma de Lemercier : la mauvaise mère ayant manœuvré pour se débarrasser de son enfant est démasquée par son époux ; prise de remords, elle retourne le chercher en Russie et devient par miracle une bonne mère (elle décide d’ailleurs de concevoir elle-même un enfant). Si Valérie Lemercier a finalement réussi à trouver sa place au cœur du cinéma français, cela semble en partie au prix des qualités subversives qui faisaient auparavant sa singularité.
21L’accueil glacial du film par la presse, qui lui reproche sa vulgarité et sa « méchanceté sibérienne » (V. : 2013) – pourtant caractéristiques du travail de Lemercier –, comme par le public (le film fait moins de 500 000 entrées) prouve par ailleurs que cette réussite demeure fragile. 100 % Cachemire marque un véritable désaveu pour l’autrice Lemercier. Les Inrockuptibles parlent ainsi d’un film « bizarre et informe », plombé par des « problèmes d’écriture, de direction d’acteurs, de montage et d’audace » et qui « affiche tous les stigmates de l’accident industriel », avant de conclure : « C’est l’échec de Valérie Lemercier de n’avoir pas su exploiter ce qu’elle réussit le mieux : jouer la connasse » (Blondeau : 2013). Cet échec est d’autant plus cuisant qu’il fait suite à son éviction de la présentation des César après un sketch mal accueilli sur Juliette Binoche (« She paints, she dances, she… cosmetics »), censuré sur l’édition DVD de la cérémonie. Binoche, star de la même génération que Lemercier, est certes moins rentable qu’elle, mais sa légitimité est bien supérieure grâce à sa carrière internationale prestigieuse et à son association avec le cinéma d’auteur (Vincendeau : 2008). Parce que Lemercier est perçue comme une star du cinéma commercial, dépouillée du cachet d’autrice qui faisait auparavant sa singularité, sa position dans l’industrie est désormais plus instable. Sa reconnaissance dépend plus étroitement de ses succès au box-office, et ses marges de liberté pour construire sans conséquences les bulles carnavalesques dont elle était coutumière sont désormais limitées par l’exposition dont elle bénéficie. Comme les femmes puissantes dont elle est devenue l’interprète à l’écran, Valérie Lemercier semble devoir payer le prix de son succès : la position qu’elle a acquise se révèle relativement fragile et son indocilité se voit désormais imposer certaines limites.
22« Depuis le triomphe de son Palais royal ! (2,7 millions de spectateurs), Valérie Lemercier est une des actrices très bankables du cinéma français », écrit Le Point en 2008, à la sortie d’Agathe Cléry (Lorrain : 2008). En effet, en moins d’une décennie, l’actrice s’est affirmée à la fois comme l’une des comédiennes les plus rentables et les plus populaires de l’Hexagone : dans un sondage de 2010, elle est même classée deuxième femme la plus appréciée des Français après Simone Veil (Anon. : 2010). Cependant, cette reconnaissance s’est accompagnée d’une certaine standardisation, l’actrice ayant perdu en subversion et en puissance comique en renonçant à la dimension carnavalesque de son image : pour Vincent Ostria de L’Humanité (2009), elle est « devenue la caution borderline des comédies grand public. »
23Cette trajectoire de Valérie Lemercier de la marge vers le centre du cinéma français semble symptomatique des difficultés pour une vedette comique féminine à concilier la position de porteuse du comique sans se situer dans un en-dehors de la sexualité, ou encore à préserver une forme d’humour transgressive et un statut d’autrice face aux contraintes que lui imposent une exposition plus large et une image plus normalisée. Contre les emplois auxquelles elle était confinée, qui construisaient systématiquement le comique aux dépends de sa jeunesse et de sa beauté, Lemercier a su se réinventer en écrivant ses propres rôles, jusqu’au sommet de Palais royal !. Ce film réconcilie « magiquement » (Dyer : 1979) les dimensions contradictoires de son image : la femme au foyer frigide y devient princesse sensuelle et indocile et l’actrice parvient à toucher un public plus large en conservant la caution élitiste d’une autrice comique. À partir de ce jalon, elle occupe une place de plus en plus normalisée dans le champ de la comédie populaire, quittant les rôles de femmes en quête de reconnaissance à qui elle prêtait l’énergie de ses excès comiques pour des personnages de femmes carriéristes que ses films essaient tant bien que mal de contenir ou de déstabiliser, tout en s’inscrivant à la ville dans une féminité de plus en plus conventionnelle et normative, dont les excès sont de moins en moins bien acceptés.
24Depuis l’échec de 100 % Cachemire, Lemercier semble tenter de recomposer son image, désertant les écrans pour réaffirmer son statut d’autrice : elle remonte le film à l’occasion de sa sortie en DVD, publie en 2015 un recueil de ses textes, et revient sur scène, enchaînant une pièce de boulevard au théâtre Montparnasse et un nouveau spectacle au Châtelet. Dans sa réalisation suivante, Marie-Francine (2017), elle joue le rôle d’une femme de cinquante ans confrontée au chômage et forcée de revenir vivre chez ses parents, comme une mise en abîme de sa propre situation instable dans le paysage du cinéma français. Cette comédie romantique relativement sage lui permet de renouer avec un succès populaire modéré. Avec le prochain Aline, biopic détourné de Céline Dion, Lemercier semble vouloir revenir à la recette gagnante de Palais royal ! : elle y retrouve son goût pour les performances transformistes, un mélange de dérision et de fascination pour la culture populaire et une figure d’outsider qui finit par prendre sa revanche sur le monde.