Laurence H. Mullaly et Michèle Soriano (Dir.), De cierta manera : cine y género en América Latina
Laurence H. Mullaly et Michèle Soriano (Dir.), De cierta manera : cine y género en América Latina, Paris, L’Harmattan, 2014, 263 p.
Texte intégral
- 1 Luis Trelles Plazaola (1991), Cine y mujer en América Latina. Directoras de largometrajes de ficció (...)
- 2 Patricia Torres San Martín (dir.) (2004), Cine y mujeres en América Latina, Guadalajara, Universida (...)
- 3 Pietsie Feenstra, Esther Gimeno Ugalde et Kathrin Sartingen (dir.) (2014), Directoras de cine en Es (...)
1Ce livre, dirigé par Laurence H. Mullaly et Michèle Soriano, révèle l’intérêt grandissant de l’hispanisme français pour les études de genre. Il contribue ainsi à explorer la production cinématographique réalisée par les femmes en Amérique Latine et les représentations de la féminité à l’écran. Jusqu’à présent, peu d’ouvrages étaient consacrés à l’œuvre des réalisatrices issues des différents pays de la région. Dans cette optique, il convient de rappeler l’existence de Cine y mujer en América Latina. Directoras de largometrajes de ficción1 de Luis Trelles Plazaola (1991) ou Cine y mujeres en América Latina2, coordonné par Patricia Torres San Martín (2004), tous deux publiés outre-Atlantique. Néanmoins, il est important de signaler que la sortie de la publication de Mullaly et Soriano se produit à quelques mois d’écart de celle promue par l’Association allemande d’Hispanistes, Directoras de cine en España y América Latina. Nuevas voces y miradas3. Les éditrices Pietsie Feenstra, Esther Gimeno Ugalde et Kathrin Sartingen se concentrent sur la filmographie des années 90 et le début du nouveau millénaire, et élargissent leur étude aux réalisatrices espagnoles.
- 4 Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexes, queer.
- 5 Ma traduction : « incentivar en Francia el desarrollo de los estudios de cine y género » (p. 21).
2Le travail de Mullaly et Soriano constitue un effort louable pour réunir et synthétiser en 263 pages un sujet vaste, au travers d’approches à la fois multiples et riches. En l’espace d’un livre, rédigé presque intégralement en espagnol, elles ont réussi à inclure non seulement des études sur les représentations des femmes et la construction du genre dans le cinéma latino-américain, mais aussi à rendre compte de la créativité féminine dans une perspective transhistorique et transnationale au fil des va-et-vient politiques du continent. Elles n’ont pas laissé passer l’opportunité de proposer des perspectives intersectionnelles : ces lectures se révèlent d’autant plus nécessaires dans le contexte hispanique où la critique postcoloniale ne s’est pas développée autant que dans d’autres aires géographiques, notamment l’espace anglophone. La recherche sur le corps, depuis son utilisation comme source de plaisir dans les pratiques post-porno jusqu’à la question des stigmates sociaux et des frontières de la normativité, ainsi que l’exploration des problématiques LGTBIQ4 nourrissent cet ouvrage dont le but est de « stimuler en France le développement des études de cinéma et genre »5. Dans un pays qui ne compte que peu de traduction française des classiques anglo-saxons de critique cinématographique féministe, il est significatif que ces hispanistes aient recours à ces postulats dans une démarche destinée à diffuser et légitimer ces savoirs.
3La dizaine d’articles qui compose De cierta manera : cine y género en América Latina découle d’un colloque qui a eu lieu à Toulouse en 2012, en collaboration avec les Rencontres Cinémas d’Amérique Latine, un festival qui est devenu une référence, tant au niveau national qu’international. Si cette compilation met en exergue une diversité de sujets, le poids prépondérant de l’argumentation porte sur le cinéma cubain, mexicain et argentin, ainsi que sur la figure d’Albertina Carri. Malgré une complémentarité des études, cette approche sélective peut être utile aux spécialistes de ces thèmes traités en profondeur, ou au contraire paraître redondante à ceux ou celles qui auraient préféré une démarche plus globale. Il faut aussi préciser qu’est analysé ici le cinéma en espagnol d’Amérique Latine, ce qui prive notamment le lecteur et la lectrice des travaux en lien avec l’industrie brésilienne.
4Parmi les sujets privilégiés par cette publication se trouvent l’œuvre de l’Argentine Albertina Carri et son recours à l’animation et au post-porno, celle de la Cubaine Sara Gómez et ses implications dans le processus révolutionnaire de l’île, ainsi que la représentation de la maternité dans le cinéma mexicain, avec un focus sur les films de María Novaro. Les éditrices du livre et Justine Bonno abordent la production filmique de Carri. L’analyse du court-métrage en stop-motion Barbie también puede estar triste (2001) expose la manière dont cette cinéaste déconstruit les oppositions binaires (homme/femme ou objet/sujet) pour promouvoir l’empowerment de la normative poupée de Mattel. Elle ouvre ainsi l’espace filmique aux identités fréquemment absentes à cause de leur genre, race, classe sociale, orientation sexuelle, corps ou pratiques sexuelles. L’étude de l’œuvre et de la démarche de Carri est complétée par un approfondissement sur la naturalisation de la violence, principalement dans son film La Rabia (2008). C’est par la conférence de la réalisatrice, où elle dénonce la « disparition » des corps non-normatifs de la télévision argentine et invite à la résistance contre cette homogénéisation impulsée par les structures du pouvoir, que cet ouvrage collectif se clôt.
5La première partie de cette collection d’articles est consacrée au Septième Art à Cuba et plus particulièrement à Sara Gómez, la réalisatrice du long-métrage qui donne son titre au livre. Brígida M. Pastor et Danae C. Diéguez signalent que le documentaire, qui a été à l’origine de la carrière de cette cinéaste, a été le format choisi par la plupart de femmes réalisatrices cubaines. Partant de l’association entre nation et genre, l’analyse de De cierta manera (1974) est conçue comme une interrogation du fait que la révolution restera inachevée tant que persisteront les hiérarchies imposées par le genre ou la race. L’argumentation se centre sur la représentation des femmes à l’écran et leur situation au sein de la société cubaine. Cependant, la question liée aux origines raciales reste inexplorée, bien que Sara Gómez ait été une cinéaste afro-cubaine.
6Maricruz Castro Ricalde se propose de comparer les mises en scène de la maternité tout au long de l’histoire du cinéma mexicain, notamment par des réalisatrices de l’âge d’or et des diplômées des écoles de cinéma des années 80. Cette spécialiste ne manque pas de préciser que les cinéastes du début du XXIe siècle n’offrent plus de rôle prioritaire à la mère. Las buenas hierbas (2010), de la cinéaste la plus connue de l’industrie mexicaine, María Novaro, sert à revendiquer un changement de paradigme autour de la maternité, qui devient compatible avec le désir sexuel. Quant à Beatriz Herrero Jiménez, elle consacre également son article à cette réalisatrice, en se focalisant sur les archétypes présents dans son premier long-métrage, Lola (1989).
7Dans ce cheminement autour du genre et du cinéma latino-américain, une place est réservée aux films qui tournent autour de personnages intersexes. Les inquiétudes de ces jeunes, dont les corps défient le catalogage traditionnel, ont été récemment mises en scène par deux réalisatrices argentines : Lucía Puenzo dans XXY (2007), et Julia Solomonoff dans El último verano de la boyita (2009). Une analyse comparée de ces deux films est réalisée par Meri Torras, qui contribue ainsi à avancer dans l’éclaircissement d’un phénomène qui requiert encore deux réponses : pourquoi cette question interpelle-t-elle plus les femmes réalisatrices que les hommes, et quelle est la raison de cet intérêt dans le contexte argentin ?
8Depuis une autre perspective, Irma Velez reprend le concept de Teresa de Lauretis de « technologie de genre » pour l’associer à la technique photographique et cinématographique employée dans La cámara oscura (2008), de l’Argentine María Victoria Menis. S’appuyant sur les théories de Paul B. Preciado et Donna Haraway, l’argumentation invite le lecteur et la lectrice à établir un parallélisme entre la conquête des droits des femmes et l’essor de la technologie, ce qui sert de point de départ pour l’analyse de La cámara oscura.
9Sur des sentiers peu battus, Diego Falconí Trávez se concentre sur le corps de la métisse dans le souvent ignoré cinéma équatorien. La référence tangentielle aux études postcoloniales, appliquée par Falconí au domaine hispanique, permet la mise en abîme de ce sujet hybride entre femme blanche et amérindienne, et sa relation avec la nation. Dans le sillage de la théoricienne chicana Gloria Anzaldúa, l’auteur se focalise sur les personnages féminins du long-métrage d’Anahí Hoeneissen et Daniel Andrade Esas no son penas (2006). Ce travail le conduit à élargir un champ qui nécessite encore des études comme celle-ci.
10Avec cette variété de sujets proposés, l’ouvrage de Mullaly et Soriano atteint le but qu’il s’est fixé, c’est-à-dire observer le cinéma latino-américain depuis les multiples facettes proposées par les études du genre. Espérons que ce travail donne suite à d’autres intéressantes et nécessaires contributions au domaine.
Notes
1 Luis Trelles Plazaola (1991), Cine y mujer en América Latina. Directoras de largometrajes de ficción, Puerto Rico, Editorial de la Universidad de Puerto Rico.
2 Patricia Torres San Martín (dir.) (2004), Cine y mujeres en América Latina, Guadalajara, Universidad de Guadalajara.
3 Pietsie Feenstra, Esther Gimeno Ugalde et Kathrin Sartingen (dir.) (2014), Directoras de cine en España y América Latina. Nuevas voces y miradas, Francfort, Peter Lang GmbH.
4 Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexes, queer.
5 Ma traduction : « incentivar en Francia el desarrollo de los estudios de cine y género » (p. 21).
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Référence papier
Mercedes Álvarez San Román, « Laurence H. Mullaly et Michèle Soriano (Dir.), De cierta manera : cine y género en América Latina », Genre en séries, 4 | 2016, 144-148.
Référence électronique
Mercedes Álvarez San Román, « Laurence H. Mullaly et Michèle Soriano (Dir.), De cierta manera : cine y género en América Latina », Genre en séries [En ligne], 4 | 2016, mis en ligne le 07 février 2022, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/2638 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.2638
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