« Ne regardez pas maintenant ! ». Richard Dyer analyse les instabilités sémantiques des photos de pin-up masculins
Résumé
Richard Dyer est professeur d’études filmiques à l’Université de Londres (King’s College). Il est l’auteur notamment de The Matter of Images : Essays on Représentation (1977) ; The Dumb Blonde Stereotype (1979) ; Stars (1979 ; 1998) ; Heavenly Bodies : Film Stars and Society (1986 ; 2003) ; Now You See It : Studios in Lesbian and Gay Film (1990 ; 2003) ; Only Entertainment (1992 ; 2002) ; White : Essays on Race and Culture (1997) ; The Culture of Queers (2001). Il a dirigé Gays and Film (1977) et, avec Ginette Vincendeau, Popular European Cinéma (1992).
Notes de la rédaction
Traduction de Dyer, Richard (1992) ‘Don’t Look Now : The Male Pin-Up’. In Only Entertainment. London : Routledge, p. 122-137.
Notes de l’auteur
Merci à Charles-Antoine Courcoux pour sa relecture attentive.
Texte intégral
1Une de mes amies m’a dit un jour : « Une des choses que j’envie vraiment aux hommes, c’est leur droit de regarder. » Elle a poursuivi en me faisant remarquer que dans les espaces publics, dans la rue, dans les réunions, les hommes regardaient librement les femmes, alors que les femmes ne leur rendaient leur regard que subrepticement, en transgressant les normes de leur éducation. C’est un constat qui a été fait à maintes reprises dans les groupes de conscientisation du Mouvement de libération des femmes. Et c’est un fait que nous voyons constamment retravaillé dans les films et à la télévision. Nous avons tous vu, un nombre incalculable de fois, cette scène d’un premier échange amoureux, quand à la cantine, à l’école, à l’église, le garçon et la fille se voient pour la première fois. La façon précise dont ça se passe est très significative. On a un gros plan de lui regardant hors champ, suivi d’un gros plan d’elle les yeux baissés (dans une attitude qui, depuis des temps immémoriaux, suggère l’innocence). Très souvent, ce champ et ce contre-champ sont répétés, pour qu’il soit très clair qu’il la regarde et qu’elle est regardée. Puis, elle lève parfois les yeux hors champ, et on revient très vite sur le garçon qui la regarde toujours – mais le plan de la fille est très court car, dès que l’on a compris qu’elle l’a vu, on doit être assuré qu’elle a aussitôt détourné le regard. Elle l’a vu, mais elle ne doit pas le regarder comme il la regarde – maintenant qu’elle l’a vu, elle retrouve rapidement la place de celle qui est regardée.
- 1 Nancy M. Henley, Body Politics, Englewood Cliffs NJ, Prentice-Hall, 1977.
- 2 Dale Spender, Man Made Language, London, Routledge & Kegan Paul, 1980.
2Ce genre de scène est tellement banal que nous ne le remarquons sans doute même pas, mais cela concrétise et renforce une des façons fondamentales dont les relations de pouvoir entre les sexes sont maintenues. Dans son livre Body Politics, Nancy M. Henley explore les manières non verbales très différentes dont les rôles de genre et la domination masculine sont constamment reconfigurés et réaffirmés1, à travers les gestes, les attitudes corporelles, les expressions ; plus récemment, Dale Spender, dans Man Made Language2, en fait la démonstration pour la communication verbale et montre aussi comment la communication non verbale est un registre des relations homme-femme et un des moyens par lesquels maintenir ces relations en l’état. Son analyse des contacts visuels est particulièrement pertinente ici.
- 3 Henley, op. cit., p. 166.
3Henley montre que ce n’est pas tant la question de savoir si les femmes et les hommes se regardent mais comment ils le font. En fait, ses observations suggèrent que dans les interactions face à face, les femmes regardent les hommes davantage que les hommes ne regardent les femmes – mais c’est parce que les femmes écoutent davantage que les hommes, sont plus attentives à leur présence. En revanche, dans l’espace public, les hommes regardent davantage les femmes – ils les dévisagent, tandis que les femmes détournent le regard. Dans les deux cas, cela (ré)instaure la domination masculine. Dans le premier cas (le contact individuel) « la position de supériorité […] est communiquée en ignorant visuellement l’autre personne – ne pas regarder tout en écoutant, mais regarder ailleurs comme si l’autre n’était pas là » ; tandis que dans le second cas (l’espace public), « dévisager est un moyen d’affirmer sa domination – l’établir, la maintenir et la réaffirmer3 ».
- 4 Paygirl, magazine mensuel américain créé en 1973.
- 5 Oh Boy and My Guy : magazines hebdomadaires britanniques destinés aux adolescentes, publiés respect (...)
- 6 The Sun : tabloïd quotidien britannique publié depuis 1964, célèbre pour ces photos de pin-up nue e (...)
- 7 She : périodique féminin britannique populaire et progressiste, publié deux fois par semaine entre (...)
4Les images d’hommes destinées aux femmes – que ce soient des photos de stars, de pin-up, des dessins ou des peintures – sont particulièrement intéressantes du point de vue de la direction du regard. On constate une certaine instabilité – la première de toute une série que nous rencontrons quand nous regardons des images d’hommes qui s’offrent comme un spectacle sexuel. D’un côté, il y a le medium visuel, ces hommes sont là pour être regardés par des femmes. De l’autre, cela transgresse les codes concernant qui regarde et qui est regardé (et comment), et certaines tentatives visent instinctivement à contrer cette transgression. Cela concerne surtout le regard du modèle ou de la star – où et comment il regarde en relation avec la spectatrice qui le regarde, dans le public ou en feuilletant un magazine féminin ou people (pas seulement Playgirl4, qui a des photos d’homme nu comme Playboy a des photos de femme nue, mais aussi des magazines pour les jeunes comme Oh Boy ! ou My Guy5, avec leurs pin-up à moitié nus et des rubriques comme « Your Daily Male » dans The Sun6 ou « She-Male » dans She7).
- 8 Paul Hoch, White Hero Black Beast, Londres, Pluto Press, 1979.
5À nouveau, la question n’est pas de savoir si le modèle regarde ou non ses spectatrices, mais comment il le fait ou pas. Dans le cas où il ne regarde pas, alors que le modèle féminin typique détourne le regard, exprimant la modestie, la réserve et un manque d’intérêt pour quoi que ce soit, le modèle masculin regarde ailleurs ou vers le haut. Dans le premier cas, son regard suggère un intérêt pour quelque chose d’autre que la spectatrice ne peut pas voir – ça ne suggère certainement pas un intérêt pour la spectatrice. Évidemment, il a à peine conscience d’être regardé, alors que le regard détourné du modèle féminin indique une pleine conscience d’être regardée. Dans les cas où le modèle regarde vers le haut, cela suggère toujours la spiritualité : le visage ou le corps masculin peut être l’objet du regard, mais l’esprit masculin est occupé à des choses plus hautes et c’est cette élévation spirituelle qui est censée plaire. Cette pose comporte le genre de dualisme que Paul Hoch analyse dans son étude sur la masculinité intitulée White Hero Black Beast –, ce qui est élevé est mieux que ce qui est bas, la tête en haut est mieux que les parties génitales en bas8. En même temps, le sens de cette tension et de cet effort pour s’élever suggère aussi une analogie avec une définition de la sexualité censée être reléguée à une place inférieure – tension et effort sont des termes souvent utilisés pour décrire la sexualité masculine dans cette société.
6Peut-être que, comme on le dit souvent, les pin-up masculins en général ne regardent pas la spectatrice mais ce n’est pas toujours le cas. Quand ils le font, l’important est le genre de regard qu’ils ont, souvent déterminé par l’expression de la bouche qui l’accompagne. Quand la pin-up regarde le spectateur, c’est en général avec une sorte de sourire d’invitation. Le modèle masculin, même dans le genre d’image le plus anodin, regarde fixement la spectatrice. Même le regard franc de Paul Newman face à l’objectif ou le regard languissant du garçon en couverture de Oh Boy ! semble quand même être dirigé au-delà de l’objectif, comme s’il voulait regarder au-delà et s’imposer lui-même. Le regard du modèle féminin s’arrête à l’objectif, le regard du modèle masculin regarde au-delà.
7Freud observait que le Moïse de Michel Ange avait le même genre de regard – Moïse ne regarde pas vers nous mais vers les Juifs adorateurs du veau d’or. Depuis Freud, il est courant de décrire ce genre de regard comme castrateur ou pénétrant – mais l’usage de ces termes pour décrire le regard d’un homme sur une femme est révélateur dans un sens que les freudiens n’ont pas toujours prévu. Après tout, qu’est-ce que les femmes ont à craindre de la menace de castration ? Et pourquoi, si on y pense, la possibilité de la pénétration devrait-elle nécessairement faire peur aux femmes ? Il est clair que la castration n’est une menace que pour les hommes, et plus probablement que c’est un tabou de l’érotisme anal masculin qui incite les hommes qui se définissent comme masculins à construire la pénétration comme effrayante et le concept de l’hétérosexualité masculine comme le fait de « prendre » une femme, qui construit la pénétration comme un acte violent. En observant ce regard castrateur/pénétrant, les femmes sont prises dans un système qui ne s’adresse pas tant à elles qu’à certains aspects de la construction de la sexualité masculine dans la tête des hommes.
8Si la première instabilité du pin-up masculin est la contradiction entre le fait d’être regardé et la tentative du modèle de le dénier, la seconde est l’adresse apparente à la sexualité des femmes et le fonctionnement réel de la sexualité masculine (et ça peut être une des raisons pour lesquelles les pin-up masculins ne sont pas réputés « marcher » pour les femmes). Ce qui est en jeu n’est pas seulement la sexualité masculine et féminine, mais le pouvoir masculin et féminin. La perpétuation du pouvoir sous-tend d’autres instabilités dans l’image des hommes comme spectacle sexuel, en termes de réseau de regards actif/passif, d’accent mis sur la musculature et d’association symbolique entre le pouvoir masculin et le phallus.
9L’idée du regard comme pouvoir et le fait d’être regardé comme absence de pouvoir s’articulent avec l’idée d’activité/passivité. Regarder est pensé comme actif, alors qu’être regardé est vu comme passif. En réalité, c’est faux. Le modèle (masculin ou féminin) se prépare à être regardé, l’artiste ou le photographe construit une image destinée à être regardée ; et, d’un autre côté, l’image que le spectateur regarde n’est pas définie par le fait qu’il/elle regarde mais par la collaboration avec ceux qui ont mis l’image à cet endroit. La plupart d’entre nous ont sans doute fait l’expérience de regarder et d’être regardé, dans la vie et dans l’art, dans un balancement entre activité et passivité. Mais il n’en demeure pas moins que les images d’hommes doivent désavouer cet élément de passivité si elles aspirent à rester en phase avec l’idéologie dominante du masculin comme actif.
- 9 Linda Williams, « Film Body, an Implantation of Perversions », Cinétracts, Winter 1981, vol. 3, n° (...)
10Pour cette raison, les images masculines sont souvent des images d’hommes en action. Quant, avant l’invention du cinéma, Muybridge prit une série impressionnante de photographies, chacune quelques secondes après l’autre, l’une de ses intentions était d’étudier la nature du mouvement. Muybridge photographia des séquences d’hommes et de femmes nu·e·s. Quand Linda Williams9 a étudié ces séquences, elle a montré comment, même dans un contexte aussi « scientifique » et à un stade comparativement si primitif du développement de la photographie, Muybridge a établi une différence entre les sujets féminins qui étaient juste là pour être regardés, et les sujets masculins qui faisaient quelque chose (porter un rocher, scier du bois, jouer au baseball) que l’on pouvait observer. Cette distinction se retrouve dans l’histoire des pin-up, où l’image de l’homme est toujours et encore saisie en pleine action ou associée, à travers des images dans les photos, à l’activité.
11Même quand il n’est pas pris en action, l’homme en photo est une promesse d’activité par la façon dont son corps pose. Même apparemment au repos, le modèle tend son corps pour mettre en valeur ses muscles et attirer l’attention sur la capacité de ce corps à agir. Le plus souvent, le modèle masculin n’est pas étendu mollement mais prêt à l’action.
12Il y a une intéressante divergence ici en termes d’ethnie et de classe, un bon exemple de la façon dont les images du pouvoir masculin sont toujours et nécessairement infléchies par d’autres aspects du pouvoir social. Dans le registre de l’ethnicité, l’activité montrée ou sous-entendue dans les images des hommes blancs est généralement déterminée par le clivage clair que la société occidentale opère entre les loisirs et le travail, alors que les hommes noirs, même s’ils sont en fait Américains ou Européens, sont dotés d’une physicalité inextricablement liée à des notions telles que « la jungle », et donc la « sauvagerie ». C’est évoqué soit par un environnement naturel, dans lequel l’exercice physique est associé aux énergies naturelles (et évidemment, avec des percussions) ou, plus récemment, par un usage frappant du symbolisme du « black power ». On peut y voir une reconnaissance des politiques ethniques et peut-être est-ce le cas pour certains spectateurs, mais la façon dont les médias construisent le pouvoir noir tend en fait à reproduire l’idée d’une énergie sauvage plus que d’un mouvement politique – l’insistance sur le retour en Afrique (qui est toujours une jungle informe dans l’imagination blanche occidentale) ou la violence « gratuite » faisant irruption dans la jungle du ghetto.
- 10 Eric Hobsbawm, « Man and Woman in Socialist Iconography », History Workshop Journal n° 6, p. 121-13 (...)
13De telles images mettent les hommes noirs en dehors des classes sociales (bien qu’il y ait eu une promotion d’images spécifiques d’hommes noirs des classes moyennes, comme Sidney Poitier). Les hommes blancs sont beaucoup plus différenciés du point de vue social, mais cela se confond avec la distinction travail/loisirs. Le travail est en réalité presque refoulé de l’imagerie dominante de cette société – c’est majoritairement dans l’imagerie socialiste qu’il apparaît. Dans l’art socialiste et ouvrier du xixe siècle et dans le réalisme socialiste soviétique, les notions de dignité et d’héroïsme du travail étaient exprimées à travers des corps masculins musclés et dynamiques. Comme Eric Hobsbaum10 l’a montré, cette tradition a promu la masculinité comme le meilleur de la culture prolétarienne et socialiste, en marginalisant les femmes dans le rôle d’inspiratrice. De plus, de façon certainement inconsciente dans cette tradition, les corps masculins sont la source d’un plaisir visuel érotique, pour les hommes et les femmes.
14Le sport est le domaine de la vie qui est la source la plus commune d’imagerie masculine – pas seulement des modèles en tenue de sport mais des stars masculines en train de faire du sport, quel que soit leur domaine (le magazine She a récemment publié une série de photos de catcheurs/lutteurs). Bien que certains sports soient très clairement connotés socialement (le Prince de Galles joue au polo, pas au football), le sport est dans un certain sens « niveleur ». Courir, nager, jouer au ballon est largement ouvert à toutes les classes et l’imagerie de ces activités n’est pas immédiatement associée à une classe. Mais toutes impliquent le loisir et la capacité d’en profiter. La célébration du corps dans le sport est aussi une célébration de la richesse relative des sociétés occidentales où les gens ont du temps à consacrer à leur épanouissement physique personnel.
15Que l’accent soit mis sur le travail, sur le sport ou sur toute autre activité, la qualité physique qui est mise en avant est la musculature. Dans l’article qui accompagne les pin-up dans Oh Boy ! par exemple, les lectrices sont invitées à « mater ses muscles » ou d’autres invitations de ce type. Même si la musculature hyper-développée d’Arnold Schwarzenegger est considérée par beaucoup de gens comme excessive et peut-être à la limite du fascisme, c’est quand même la musculature qui est le critère clé pour apprécier le corps masculin. Cela vient sans doute des hommes eux-mêmes. La musculature est le signe du pouvoir – naturel, accompli, phallique.
16Au minimum, le développement musculaire indique une force physique qui ne correspond généralement pas au corps féminin (mais de récents développements dans les sports féminins et le fitness suggèrent que les différences entre les sexes ne sont pas si importantes). Le potentiel musculaire des hommes est perçu comme une donnée biologique et c’est aussi le moyen de dominer à la fois les femmes et les autres hommes qui sont en compétition pour les ressources naturelles et pour les femmes. L’idée est que les muscles sont une réalité biologique et donc « naturelle », et nous entretenons des habitudes de pensée, en particulier dans le domaine de la sexualité et des rapports de genre, qui impliquent que ce qui est montré comme naturel doit être accepté comme une donnée inéluctable. La « naturalité » des muscles légitime le pouvoir et la domination masculine.
17Cependant, la musculature développée – les muscles exhibés – n’est en réalité pas du tout naturelle mais le résultat d’une performance. L’homme musclé est finalement le produit de sa propre activité de musculation. Comme toujours, la comparaison avec un beau corps féminin est révélatrice. Rationnellement, nous savons qu’une reine de beauté a dû faire un régime, de l’exercice, a utilisé diverses crèmes bronzantes et cosmétiques – mais rien ne se voit dans son apparence et cette beauté est en général construite comme quelque chose qui a été fait à la femme. Au contraire, les muscles d’un homme témoignent constamment de sa réussite en termes de beauté/pouvoir.
- 11 Margaret Walters, The Nude Male : A New Perspective, London, Paddington Press, 1978.
18Les muscles, tout en étant un signe d’activité et d’accomplissement, sont durs. Nous avons déjà vu comment, même quand ils ne sont pas bodybuildés, les pin-up masculins tendent leur corps pour être regardés. Cette tension peut être renforcée par des aspects de décor, des références symboliques ou des poses qui mettent en valeur la tension des lignes et de la silhouette (à l’opposé des courbes de l’esthétique féminine). Dans son livre The Nude Male, Margaret Walters11 suggère que cette tension est phallique, non pas dans un sens direct comme dans l’érection du pénis, mais plutôt comme symbole de tout ce que le phallus représente comme « pouvoir patriarcal abstrait ». Nul doute que l’image du phallus comme pouvoir soit répandue à une échelle quasi-universelle, depuis les symboles de fertilité des civilisations primitives et de la Grèce antique jusqu’au langage de la pornographie où le pénis est indéfiniment décrit comme une arme, un instrument, la source d’un pouvoir terrifiant.
19Il y a le danger d’une pensée simplificatrice ici. Le phallus n’est pas juste choisi arbitrairement comme symbole de pouvoir masculin ; il est crucial que le pénis soit le modèle de ce symbole. Parce que seuls les hommes ont un pénis, les symboles phalliques, même s’ils peuvent dans une certaine mesure être détenus par une femme (comme cela peut être le cas pour les dirigeantes, par exemple) sont toujours les symboles du pouvoir masculin en dernière instance. La femme qui exerce un pouvoir « phallique », le fait dans l’intérêt des hommes.
20Cela nous amène à la plus grande forme d’instabilité des images masculines. Le fait que le pénis n’arrive pas à la cheville du phallus. Le pénis ne peut jamais être à la hauteur de la mystique associée au phallus. De là la qualité excessive, même hystérique de tant d’images masculines. Les poings serrés, les muscles en érection, les mâchoires crispées, la prolifération des symboles phalliques – tout cela représente des tentatives d’atteindre ce qui ne pourra certainement jamais l’être, l’incarnation de la mystique phallique. C’est encore plus frappant avec le corps masculin nu. Le pénis flaccide ne peut jamais correspondre à la mystique qui l’a maintenu caché ces deux derniers siècles, et même le pénis en érection paraît souvent bizarre, dressé sur le corps masculin comme s’il ne faisait pas partie de lui.
21Comme beaucoup d’autres choses à propos de masculinité, les images d’hommes, caractérisées par tant d’instabilités, sont terriblement exigeantes. Faites pour être regardées mais prétendant ne pas l’être, fixes mais revendiquant le mouvement, phalliques mais fragiles – il y a rarement quoi que ce soit de facile dans une telle imagerie. Et le vrai piège au cœur de ces instabilités est que ce sont précisément ces exigences qui sont considérées comme le bien suprême, ce qui fait d’un homme un homme. Que ce soit la tension d’une tête cherchant à atteindre une transcendance impossible ou un pénis qui se dresse dans une affirmation désespérée de maîtrise phallique, les hommes comme les femmes sont sommés de valoriser les choses qui font de la masculinité une définition si insatisfaisante de l’être humain.
Notes
1 Nancy M. Henley, Body Politics, Englewood Cliffs NJ, Prentice-Hall, 1977.
2 Dale Spender, Man Made Language, London, Routledge & Kegan Paul, 1980.
3 Henley, op. cit., p. 166.
4 Paygirl, magazine mensuel américain créé en 1973.
5 Oh Boy and My Guy : magazines hebdomadaires britanniques destinés aux adolescentes, publiés respectivement entre 1977 et 1984 et entre 1978 et 2000.
6 The Sun : tabloïd quotidien britannique publié depuis 1964, célèbre pour ces photos de pin-up nue en page 3, tous les jours entre 1975 et 2015.
7 She : périodique féminin britannique populaire et progressiste, publié deux fois par semaine entre 1955 et 2011.
8 Paul Hoch, White Hero Black Beast, Londres, Pluto Press, 1979.
9 Linda Williams, « Film Body, an Implantation of Perversions », Cinétracts, Winter 1981, vol. 3, n° 4, p. 19-35 ; voir aussi Linda Williams, Hard Core. Power, Pleasure and the « Frenzy of Visible », Berkeley et Los Angeles, University of California Press, 1989.
10 Eric Hobsbawm, « Man and Woman in Socialist Iconography », History Workshop Journal n° 6, p. 121-138.
11 Margaret Walters, The Nude Male : A New Perspective, London, Paddington Press, 1978.
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Référence papier
Richard Dyer, « « Ne regardez pas maintenant ! ». Richard Dyer analyse les instabilités sémantiques des photos de pin-up masculins », Genre en séries, 4 | 2016, 134-143.
Référence électronique
Richard Dyer, « « Ne regardez pas maintenant ! ». Richard Dyer analyse les instabilités sémantiques des photos de pin-up masculins », Genre en séries [En ligne], 4 | 2016, mis en ligne le 07 février 2022, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/2629 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.2629
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