Mélanie Lallet, Il était une fois…le genre. Le féminin dans les séries animées françaises
Mélanie Lallet, Il était une fois…le genre. Le féminin dans les séries animées françaises. Paris, Ina éditions, 2014, 151 p.
Texte intégral
- 1 Sylvie Cromer, Sandrine Dauphin et Delphine Naudier (2010), « L’enfance, laboratoire du genre (Intr (...)
1Dans un contexte sociétal où cohabitent discours prônant une plus grande égalité entre les hommes et les femmes et plaidoyers – souvent rétrogrades – à connotations phallocratiques, Mélanie Lallet se propose de mettre en lumière toute la complexité des représentations de genre transmises aux enfants par l’intermédiaire des séries animées. L’analyse des rapports entre les sexes que ces dernières donnent à voir aux jeunes générations est d’autant plus cruciale que ces productions représentent selon toute vraisemblance, pour les enfants – au même titre que les albums ou que les jouets –, un véritable « laboratoire du genre »1.
2Mélanie Lallet, doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication au sein du laboratoire de recherche CIM (Communication, Information, Médias) de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, nous livre ici le fruit de son travail de Master 2, qu’elle poursuit actuellement en thèse, sous la direction d’Éric Maigret.
3Cinq séries animées françaises ont pour cette recherche – que l’on pourrait qualifier d’exploratoire – été sélectionnées : Les Zinzins de l’espace, Totally Spies !, Les aventures de Petit Ours Brun, Il était une fois… notre Terre et Les P’tites Poules. Trois épisodes de chaque série ont été étudiés ; soit un corpus total de 15 épisodes. Ces derniers ont non seulement donné lieu à une analyse quantitative (étude des assignations de genre des protagonistes), mais également – et avant tout –à une analyse qualitative (étudedes représentations). L’échantillon considéré, que l’auteure déclare elle-même ne pas être « [a]u sens strictement scientifique du terme […], véritablement1 ‘représentatif’ de la production française des quinze dernières années » (p. 56), est néanmoins construit de façon très rigoureuse et a été établi en tenant compte d’un nombre important de critères (périodes de première diffusion, chaîne de diffusion, format, âge des publics visés, univers graphiques et narratifs, etc.). Ayant été pensé comme devant davantage refléter la variété de la production télévisuelle dont il est question, que posséder les caractéristiques précises de l’ensemble des séries animées françaises proposées aux enfants, le corpus réuni pour cette étude est ainsi le résultat de choix consciencieux, réfléchis et explicités. La manière dont est, du reste, minutieusement décrite la méthodologie mobilisée dans le cadre de cette recherche est autant une vraie preuve d’honnêteté intellectuelle de la part de Mélanie Lallet, qu’une véritable aubaine pour le jeune chercheur souhaitant à son tour procéder à une analyse des « mises en représentations ».
4La première partie de l’ouvrage est consacrée à la présentation d’un certain nombre d’« éléments historiques, théoriques et méthodologiques » (p. 7). Mélanie Lallet réaffirme en premier lieu la capacité des publics à formuler des interprétations diverses d’œuvres culturelles et médiatiques envisagées comme étant « ouvertes ». Dans la lignée notamment des travaux de l’historien Philippe Ariès, ou de ceux, plus récents, des sociologues de l’enfance, l’auteure reconnaît cette capacité d’interprétation aux jeunes publics – principaux destinataires des séries animées –, pourtant bien souvent au cœur de discours dénonçant les effets directs et potentiellement délétères, sur eux, de la télévision.
- 2 Centre national du cinéma et de l’image animée.
5La chercheuse retrace en second lieu l’histoire de l’animation et dresse, à partir de données du CNC2, un portait de l’animation télévisuelle française depuis le début du XXIe siècle. En mettant en exergue non seulement le fait que les programmes d’animation diffusés sur les « six chaînes nationales historiques » (p. 34) sont majoritairement français, mais également le fait que les dessins animés ne représentent que « 16,6 % de la consommation [télévisuelle] des 4-10 ans » (p. 35), l’auteure déconstruit ainsi un certain nombre d’idées préconçues.
6Mélanie Lallet évoque en dernier lieu les outils, tant théoriques que méthodologiques, que les épistémologies féministes offrent au chercheur pour penser et travailler les rapports entre les hommes et les femmes. Mettant en lumière un manque indéniable de recherches analysant les séries animées françaises au prisme du genre, c’est en conséquence en s’appuyant sur une méthodologie empruntant aux théories féministes déconstructivistes, ainsi qu’aux Cultural Studies, que Mélanie Lallet nous propose une première exploration de cette terra incognita.
7Complémentaires, et en dialogue, les deuxième et la troisième parties de l’ouvrage, permettent pour leur part – à partir de l’analyse fine de l’auteure – de saisir toute la complexité des mises en représentations du féminin dans les séries animées.
8L’étude quantitative des 15 épisodes considérés révèle tout d’abord une infériorité numérique des protagonistes féminins. Si, par rapport aux études précédemment menées sur le sujet, une évolution positive de leur nombre est tout de même à souligner, elle concerne néanmoins majoritairement la catégorie des personnages secondaires.
9Les rôles attribués aux différents protagonistes laissent par ailleurs transparaître la permanence de certains stéréotypes de genre. Les personnages féminins évoluent en effet la plupart du temps au sein de la sphère domestique ; sont bien souvent convoités en raison de leur apparence physique ; et se trouvent fréquemment assujettis au masculin.
10L’analyse qualitative effectuée par Mélanie Lallet permet toutefois de mettre en évidence l’existence, dans certaines des séries animées françaises étudiées, d’espaces de subversion. Dans la série Les P’tites Poules, l’usage de la dérision sert en effet parfois une féminité qui, dans cet univers essentiellement masculin, se distingue alors par ses habiletés intellectuelles. Dans les Zinzins de l’espace, l’utilisation de « l’humour, [de] la satire et [de] l’anthropomorphisme » (p. 136) offre pour sa part la possibilité d’une mise en scène de personnages transgenres – à l’image de Candy, possédant une paire de testicules mais adoptant, la plupart du temps, des comportements habituellement considérés comme féminins.
11Les trois jeunes héroïnes de Totally Spies ! jouent quant à elles d’un « essentialisme stratégique » (p. 136) permettant l’émergence de représentations de female empowerment.
12Enfin, la série Il était une fois…notre Terre, s’applique parfois à transmettre des discours explicitement féministes – qui n’empêchent toutefois pas la résurgence de stéréotypes de genre et la présence, dans certains épisodes, d’un interventionnisme occidental.
13L’étude de Mélanie Lallet témoigne ainsi de la fécondité de combiner analyse quantitative et analyse qualitative. Si les trois épisodes des Aventures de Petit Ours Brun considérés présentent en effet autant de personnages féminins que de personnages masculins, ils offrent néanmoins à voir aux enfants des rôles de genre différenciés, stéréotypés et hiérarchisés. Inversement, l’univers presque exclusivement masculin des Zinzins de l’espace, loin d’être masculiniste, bouleverse pour sa part les habituelles oppositions binaires entre les genres.
14Portant sur une analyse particulièrement rigoureuse et méticuleuse, l’ouvrage de Mélanie Lallet met en lumière toute l’importance de penser les représentations de genre soumises – par l’intermédiaire notamment des séries animées – aux jeunes générations, alors en pleine construction de leur identité.
Notes
1 Sylvie Cromer, Sandrine Dauphin et Delphine Naudier (2010), « L’enfance, laboratoire du genre (Introduction) », dans Sylvie Cromer, Sandrine Dauphin et Delphine Naudier (coord.), « Les objets de l’enfance », Les cahiers du genre, n° 49, p. 5-14.
2 Centre national du cinéma et de l’image animée.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Doriane Montmasson, « Mélanie Lallet, Il était une fois…le genre. Le féminin dans les séries animées françaises », Genre en séries, 2 | 2015, 165-168.
Référence électronique
Doriane Montmasson, « Mélanie Lallet, Il était une fois…le genre. Le féminin dans les séries animées françaises », Genre en séries [En ligne], 2 | 2015, mis en ligne le 07 février 2022, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ges/1906 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ges.1906
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