Pierre Gras, Good Bye Fassbinder ! Le cinéma allemand depuis la réunification
Pierre Gras, Good Bye Fassbinder ! Le cinéma allemand depuis la réunification, Arles, Éditions Jacqueline Chambon - Actes Sud, 2011
Texte intégral
1Dans les années 1970, la réussite du cinéma allemand était manifeste en France. Il fallut attendre ensuite plusieurs dizaines d’années pour voir à nouveau quelques films à succès dans les salles françaises. En 2003, Good Bye Lenin de Wolfgang Becker a totalisé 11 millions d’entrées en Europe pour cette satire du socialisme de la RDA, se combinant avec une critique de l’évolution de l’Allemagne depuis 1990. La Vie des autres (Das Leben der anderen) de Florian Henckel von Donnersmarck a été apprécié en Allemagne par plus de 2,6 millions de spectateurs en 2007 : cette réflexion éthique, privilégiant la vérité dramatique au prix d’une simplification historique sur les victimes de la Stasi a suscité en France également une empathie avec l’héroïne. Plus récemment en 2009, Le Ruban blanc (Das weiße Band) de Michael Haneke a rempli les salles. En revanche, Cours Lola, cours (Lola rennt) de Tom Tykwer fut un échec en France en 1998 avec seulement 75 000 entrées contre 2,3 millions en Allemagne : c’était pourtant une œuvre à suspense, utilisant des techniques visuelles très variées, où Lola tentait de sauver son amant, poursuivi par des trafiquants de drogue. Et ces rares succès ne donnent pas toute la mesure de la production allemande dont le volume augmente régulièrement (194 films majoritairement allemands contre 182 films majoritairement français en 2009).
2Le cinéma allemand étant aussi peu représenté en France, Pierre Gras lui a consacré un ouvrage. Il propose un « panorama raisonné » du cinéma allemand des vingt dernières années, privilégiant des œuvres majeures, qu’elles soient connues ou méconnues en France. Comme il souhaite commenter assez longuement les films choisis, P. Gras met l’accent sur un certain nombre d’auteurs et d’œuvres, passant sous silence bien d’autres, en particulier les plus connus du public français (Wenders, Schlöndorff, Herzog par exemple). Dans les sept premiers chapitres, il brosse un tableau des caractéristiques de ce renouveau de la production cinématographique allemande, s’intéresse dans les trois suivants aux facteurs qui ont permis cette production de qualité et – dans le dernier – à sa réception en France.
3Selon P. Gras, cette absence du cinéma allemand sur les écrans français doit être attribuée en partie aux distributeurs qui hésitent devant les médiocres perspectives de commercialisation. C’est pourquoi il étudie le rôle déterminant de la société X-Filme pour produire et diffuser un nouveau type de films. Elle aurait, en effet, compris qu’il lui fallait s’adapter au public urbain, jeune et assez cultivé de l’Allemagne réunifiée en réalisant de longs métrages à budget moyen de jeunes cinéastes. Pour mieux toucher ce public, il fallait innover quant aux thématiques, favoriser l’émergence de cinéastes de talent, pérenniser les plus anciens et porter un regard différent sur le sens de l’histoire.
4Une dizaine des cinéastes étudiés dans cet ouvrage appartiennent à « l’école de Berlin » et à la « nouvelle vague allemande ». Les critiques mettent en avant leur volonté commune de traiter en priorité des sujets contemporains très variés avec une approche originale. Leur point commun est de refuser de s’inscrire dans les codes du cinéma allemand commercial et d’affirmer leur volonté de différenciation : la lenteur du rythme de leurs films, l’observation de la vie quotidienne, l’utilisation du son direct, le jeu assez neutre des acteurs. Ils ne réalisent pas de films véritablement politiques, mais se sentent très impliqués dans la volonté « de redonner une image de l’Allemagne » (Harun Farocki).
5Christian Petzold a commencé par réaliser des films policiers, répondant ainsi à une demande du système de production allemand et se servant quelque peu des moyens du cinéma américain. Mais dans Jerichow, il a surtout mis l’accent sur l’évolution de l’Allemagne dans de petites villes déshéritées de l’Est de l’Allemagne. Angela Schanelec, l’une des rares femmes du cinéma allemand, s’est aussi intéressée au quotidien banal de personnages évoluant dans des villes, comme en 2010 avec Orly, où se croisent dans l’aéroport des bribes d’existences, de véritables passagers évoluant à côté des acteurs. En dépit de l’échec de Ferien en 2009, Thomas Arslan s’est surtout fait connaître pour son traitement particulier des problèmes d’immigration avec – par exemple – Der schöne Tag en 2001.
6La génération précédente connaissait toujours un certain succès depuis une quarantaine d’années. P. Gras cite notamment Bernd Eichinger qui a commencé à travailler avec le Film Verlag der Autoren dans les années 1970. Il s’est lancé dans la production avec La Chute, réalisée par Oliver Hirschbiegel, dans laquelle Hitler est incarné par l’acteur Bruno Ganz, touchant par son sérieux historique cinq millions de spectateurs allemands et un million de français. En 2005, Oskar Roehler a adapté pour Eichinger, sans grand succès, Les Particules élémentaires, le roman de Houellebecq. Mais il toucha un plus large public avec une autre adaptation de roman, celui de Süskind, Le Parfum. Quant à Harun Farocki, à la fois critique, théoricien, producteur et scénariste, il a travaillé dans un domaine plus difficile, celui du documentaire et du film-essai, effectuant un travail d’historien – comme en 2007 – dans Respite, construit à partir d’images filmées par des détenus juifs sur l’ancien camp de transit de Westerbock, d’où Anne Frank partit pour la déportation.
7Un festival du cinéma allemand présente des films allemands chaque année, en octobre, à Paris, parfois en avant-première. Il faut espérer que l’ouvrage de P. Gras incitera davantage de personnes à s’y rendre, leur donnant à la fois l’envie et les moyens de mieux les comprendre.
Pour citer cet article
Référence papier
Anne-Marie Corbin, « Pierre Gras, Good Bye Fassbinder ! Le cinéma allemand depuis la réunification », Germanica, 53 | 2013, 292-294.
Référence électronique
Anne-Marie Corbin, « Pierre Gras, Good Bye Fassbinder ! Le cinéma allemand depuis la réunification », Germanica [En ligne], 53 | 2013, mis en ligne le 30 décembre 2013, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/germanica/2311 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/germanica.2311
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