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Comptes rendus de lecture

Christine de Gemeaux, De la Prusse à l’Afrique - le colonialisme allemand, XIXe-XXIesiècle

Anne-Marie Corbin
p. 161-163
Référence(s) :

Christine de Gemeaux, De la Prusse à l’Afrique - le colonialisme allemand, XIXe-XXIesiècle, Presses Universitaires François Rabelais, Tours, 2022, 348 p.

Texte intégral

1Christine de Gemeaux se propose de montrer comment diverses formes de la germanisation et de la colonisation impériales (p. 10) au XIXe et au XXsiècle se sont appuyées sur un discours national allemand.

2Pour ce faire, elle emprunte un cheminement original par des pistes parfois peu connues qui côtoient de grands courants d’idées. A Berlin, c’est dans le cadre de la Société de la Table qu’Adam Müller, Prussien d’origine, très hostile au modèle progressiste français, prône en 1812 la régénération de l’ancien monde allemand et le concept de patrie. Avec Fichte, il est le chantre de la « réponse nationale » à la France (p. 50). Contrairement à Kant, qui condamnait la guerre, et comme Lilienstern, Müller fait l’apologie de la guerre et souligne son aspect ludique (p. 86).

3Après la proclamation de l’Empire allemand à Versailles le 18 janvier 1871, il s’agit pour le chancelier Bismarck de s’affirmer sur le plan international et d’assurer la sécurité du nouveau Reich. En 1879, Friedrich Fabri publie un discours polémique qui reprend les suppliques des commerçants et armateurs du nord de l’Allemagne, réclamant l’acquisition de colonies comme sources de matières premières et comme débouchés pour les produits allemands. En 1884-1885, Bismarck y répond avec la Conférence de Berlin qui marque un véritable tournant dans la politique allemande : germanisation de l’Alsace-Lorraine, expansion vers l’Est en Pologne (Posnanie) et – outre-mer – exploitation coloniale brutale de nouveaux territoires hors des frontières européennes. Christine de Gemeaux rappelle que la Prusse orientale sera rayée de la carte après 1945, passera aux mains de l’URSS en 1947, d’où des expulsions très brutales des ressortissants allemands (p. 257-292).

4La Posnanie est une colonie de peuplement, l’expansion allemande allant de pair avec l’expulsion des Polonais et une répartition des terres entre les colons allemands. Le ministère d’État prussien compte sur 40 000 colons (p. 107). La « Commission coloniale » est située derrière le château de Poznań. Avec une grande brutalité là encore, Bismarck fait interdire la langue polonaise et diffuser la culture allemande. Mais trop peu de colons suivent le mouvement qui prend cependant de l’ampleur sous le régime nazi.

5En 1873, le juriste Friedrich Curtius s’établit en Alsace où il est bien admis par les Alsaciens dont il veut emporter l’adhésion en améliorant leurs conditions de vie dans le district péri-urbain de Strasbourg (p. 122). Il n’est pas en phase avec le Statthalter Edwin von Manteuffel, partisan de la force et du soutien aux notables, et va entrer en conflit avec Berlin qui veut interdire les offices religieux en français. D’où la démission de Curtius de son poste de président du directoire de l’Église luthérienne en 1914 avant le début de la Grande Guerre.

6Une partie importante de cet ouvrage est consacrée aux colonies allemandes d’Afrique et en particulier à l’action de trois femmes : Magdalene von Prince (aide de camp de son mari en Afrique orientale), Antonia Thiede (fermière et infirmière au Sud-Ouest africain) et Meg Gehrts (qui tourne des films en tant qu’actrice dans le nord du Togo) entre 1896 et 1916 (p. 163-224). Toutes trois rédigent un journal où elles font part de leur découverte des femmes africaines, de la faune, de la flore du continent africain et font participer le lecteur à une vie nouvelle souvent aventureuse. Meg Gehrts est la seule à ne pas être mêlée à des affrontements guerriers. Antonia Thiede voit, en 1908, son mari partir en renfort dans le désert du Kalahari pour y lutter dans le sang contre les Namas et les exterminer. La pire de ces trois femmes est sans conteste Magdalene von Prince qui semble prendre plaisir à administrer le fouet aux indigènes, faisant de son domaine « l’antichambre de l’enfer » (p. 208) au point où le gouverneur von Rechenberg se voit contraint d’ouvrir une enquête. Dans ces colonies allemandes, les massacres des populations indigènes se succèdent sans discontinuer : celui des Wahehe en 1890-1898, celui des Maji-Maji en 1907. Quant au génocide des Héréros (1904-1908), chassés dans le désert du Omaheke, mené par Lothar von Trotha en Afrique du Sud-Ouest, il laisse M. von Prince pratiquement de glace.

7En 1904, la monoculture du coton est introduite au Togo, qui sera occupé en 1914 par les troupes britanniques et françaises qui se partageront ce territoire en 1919. Le Togo est considéré comme la colonie modèle, en particulier pour sa meilleure scolarisation, en français comme l’exigent les autorités dans la partie française. Il y existe deux chemins de fer depuis la côte jusque vers l’intérieur. Les biens allemands sont expropriés et placés sous séquestre. Le Togo passe en 1919 sous mandat de classe B (p. 250) et utilise les structures coloniales allemandes pour améliorer le fonctionnement de l’administration. En principe, les châtiments corporels sont abolis. Le Soft power (« politique de puissance diplomatique qui utilise les vecteurs de la langue et de la culture », p. 305) s’exerce pour favoriser une diplomatie d’influence afin de mieux s’enraciner.

8L’aventure africaine des Allemands se termine avec les traités de paix à l’issue de la Grande Guerre. Les traces de la colonisation allemande sont nombreuses aujourd’hui encore malgré sa durée réduite. Mais il a fallu attendre 2021 pour voir le génocide des Héréros officiellement reconnu par la RFA qui persiste, cependant, dans son refus d’indemnisations et se contente de fournir une aide technique et financière.

9L’ouvrage de Christine de Gemeaux est très ambitieux – du discours à la pratique – sur deux siècles pour un sujet peu exploité.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Marie Corbin, « Christine de Gemeaux, De la Prusse à l’Afrique - le colonialisme allemand, XIXe-XXIesiècle »Germanica, 72 | 2023, 161-163.

Référence électronique

Anne-Marie Corbin, « Christine de Gemeaux, De la Prusse à l’Afrique - le colonialisme allemand, XIXe-XXIesiècle »Germanica [En ligne], 72 | Été, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/germanica/20155 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/germanica.20155

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Auteur

Anne-Marie Corbin

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