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Comptes rendus de lecture

Steffen Mau, Lütten Klein – Vivre en Allemagne de l’Est. Une société en transition

Anne-Marie Corbin
p. 159-161
Référence(s) :

Steffen Mau, Lütten Klein – Vivre en Allemagne de l’Est. Une société en transition, traduit de l’allemand par Christophe Lucchese, avec une préface de Nicolas Offenstadt, Paris, FMSH 2022, 268 p.

Texte intégral

1Steffen Mau, né en 1968, est un sociologue qui a passé sa jeunesse à Lütten Klein, une cité située entre Rostock et Warnemünde et construite au cours des années 1960. L’originalité de son ouvrage est de faire le lien entre la démarche du témoin oculaire et celle du spécialiste capable d’analyser l’évolution de la RDA, une société très différente de celle de la RFA – fait bien connu – et dont les traces disparaissent progressivement depuis l’unification allemande. Il fait le point sur la fracture sociale, les dilemmes, les contradictions et les déséquilibres qui régnaient en RDA (première partie) et qui depuis 1990 persistent à des degrés moindres (seconde partie).

2Un quart de la population est-allemande vivait dans le Plattenbau, ensemble d’appartements composés d’éléments préfabriqués et construits jusqu’à la fin de la RDA, une architecture monotone et grisâtre, mais perçue comme assez attractive par les familles avec enfants grâce aux terrains de jeu, aux écoles et à la proximité des commerces : « On y vivait ensemble et on vivait semblablement » (p. 46), toutes couches de la population mêlées. C’était la réalisation d’un projet socio-politique au sens large, sans l’objectif d’individualisation qui régnait à l’Ouest, un projet destiné à effacer les inégalités sociales et le pouvoir de l’argent. Même, en tenant compte de la discrimination positive de la classe ouvrière, les salaires divergeaient peu. Une possibilité d’ascension sociale jusque dans les années 1960 était offerte avec les ABF (Arbeiter- und Bauern-Fakultäten, instituts universitaires réservés aux ouvriers et aux paysans, p. 62) à condition d’être « loyal » envers le régime : Mau concède que des critères politiques étaient pris en compte pour la poursuite des études supérieures (p. 64). Mais les enfants de parents diplômés transitaient souvent par des entreprises où la formation professionnelle permettait d’échapper davantage à la reproduction sociale qu’à l’Ouest.

3On sent que Mau n’est pas hostile à l’idéologie de l’ex-RDA et à ses pratiques et met peu l’accent sur la répression. Il souligne, cependant, que les biens convoités comme les voitures ou l’électro-ménager étaient distribués en guise de rétributions politiques. Les « niches » où fleurissait la vie sociale et familiale avaient la fonction de soupape de sécurité. Il concède que la sortie du territoire de la RDA posait problème, un gain majeur étant enfin réalisé en 1990.

4Le réveil tardif des années 1980 mena à l’implosion du système, ressentie comme un choc collectif. Cette seconde partie est moins intéressante car les témoignages présentés se font plus rares, Mau y abordant des thématiques vraiment très connues. Une observation retient cependant l’attention : au cours de leur service militaire, les soldats revendiquent essentiellement la possibilité de libéralisation de leur coupe de cheveux, la suppression de la marche obligatoire et de l’exercice matinal.

5Son propre père vit une certaine promotion en passant de tâches de « sécurisation à celles d’observateur actif » (p. 121) après s’être mis à jour en économie, mais doit partir en préretraite. Sa mère qui est médecin va parvenir à créer son propre cabinet.

6Mau se montre sceptique quant aux premières élections « libres » et affute son regard critique en voyant arriver des palettes de yaourts, un exemple où la consommation de masse remplace l’économie de pénurie. Il est très choqué en voyant brûler des livres neufs est-allemands au lendemain de l’union monétaire, remplacés par les ouvrages en provenance de l’Ouest. Face à la Treuhand (la société fiduciaire chargée de la liquidation des biens de la RDA), Mau montre toute l’insécurité et les turbulences sociales qu’elle crée. Lui-même est licencié du VEB Schiffselektronik (entreprise d’État dans un chantier naval) et n’a le choix qu’entre la reconversion et le chômage (p. 159). Cet état de choses est plus facile à supporter pour les jeunes capables d’évolution ou même les personnes âgées, mises à la retraite anticipée, mais subissant une pauvreté persistante. Les gagnants du « tournant » sont peu nombreux et les Allemands de l’Est doivent l’éventuelle amélioration de leur statut à leur faculté d’adaptation, leur aplomb, leur combativité. Cette période est plus facile à vivre pour leurs collègues de RFA avec une migration Ouest-Est favorisée pour les postes de direction. Pourtant, les statistiques montrent que l’attachement à l’Allemagne réunifiée est à peu près semblable à l’Est et à l’Ouest en 2016 (78,8 % à l’Ouest, 81,1 % à l’Est). Les émeutes xénophobes de 1992 à Lichtenhagen et la montée de l’AFD (Alternative für Deutschland) d’extrême droite sont pour Mau les symptômes d’une société en pleine désintégration (p. 222), fracturée et s’inscrivant dans un processus de réagencement général (p. 230).

7Bestseller à sa parution en Allemagne, il s’agit d’un ouvrage intéressant pour des lecteurs français souhaitant découvrir le processus de l’effondrement de la RDA, de l’unification allemande et de leurs conséquences.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anne-Marie Corbin, « Steffen Mau, Lütten Klein – Vivre en Allemagne de l’Est. Une société en transition »Germanica, 72 | 2023, 159-161.

Référence électronique

Anne-Marie Corbin, « Steffen Mau, Lütten Klein – Vivre en Allemagne de l’Est. Une société en transition »Germanica [En ligne], 72 | Été, mis en ligne le 01 juin 2023, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/germanica/20149 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/germanica.20149

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Auteur

Anne-Marie Corbin

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