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Comptes rendus

Agnès Martial (dir.), Des pères « en solitaire » ? Ruptures conjugales et paternité contemporaine

Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2016, 201 p.
Patrick Farges
Référence(s) :

Agnès Martial (dir.), Des pères « en solitaire » ? Ruptures conjugale et paternité contemporaine, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2016, 201 p.

Texte intégral

1L’ouvrage collectif dirigé par l’anthropologue Agnès Martial est issu d’un colloque qui s’est tenu en 2012 dans le cadre d’un projet ANR. Soulignons d’emblée que ces actes de colloque forment un ouvrage cohérent, en raison notamment du système de renvois entre auteur.es, renforcé par une bibliographie commune à tou.tes. Une relecture plus fouillée aurait sans doute réduit le nombre de coquilles.

2Il ne saurait être question de présenter ici en détail chacune des onze contributions composant l’ouvrage, qui s’ouvre sur un constat contemporain : en France, comme dans d’autres pays européens, la majorité des enfants naissent de parents non mariés. Cela reconfigure ipso facto la paternité et il y a aujourd’hui de nombreuses manières d’être père, dans le mariage ou bien en dehors de cette institution. L’ouvrage veut donc approfondir la question des « nouveaux pères » en s’appuyant sur une recherche pluridisciplinaire croisant démographie, sociologie, anthropologie et droit. Par ailleurs, une dimension comparée est également esquissée : les données étudiées se rapportent à la France et à l’Espagne (l’article de Jeroen Spijker est consacré aux conséquences de la nouvelle loi sur le divorce introduite en 2005 en Espagne et l’article de Xavier Roigé interroge les nouvelles grands-parentalités espagnoles). On regrettera peut-être que l’étude n’englobe pas plus largement l’échelle européenne.

3Comme le souligne l’introduction substantielle d’Agnès Martial, l’histoire de la paternité est celle d’un lent passage d’un modèle juridique entérinant la hiérarchie entre les sexes à un idéal d’égalité entre femmes et hommes. Le résultat en est une pluralité de façons de définir la paternité, tant en droit (lien de filiation) que dans les configurations familiales quotidiennes (co-résidence, recompositions familiales). Deux logiques peuvent être dégagées de cette histoire de la paternité, qui se combinent entre elles : une logique identitaire de filiation et une logique sociale et affective mettant en avant le lien affectif et régulier entre parent et enfant.

4La variété des formes de paternité, qui incluent l’homo-paternité (l’article de Martine Gross est consacré à l’articulation complexe entre homo-paternité et coparentalité), les parentalités recomposées ou encore l’adoption, remettent ainsi en question les rôles de genre traditionnels et interrogent par là-même la référence à la « nature ». Il est donc légitime de questionner la paternité et la multiplicité des constellations familiales sous l’angle du genre, en mettant l’accent sur la dimension sociale, historique, et donc construite, de la paternité. En filigrane de plusieurs contributions se dessine une interrogation genrée sur la masculinité, sur sa fabrication et sa transmission familiale et sociale. La paternité apparaît en effet comme l’une des composantes importantes de la hiérarchie des masculinités entre elles. En filigrane aussi apparaît une interrogation sur les constructions des masculinités paternelles en fonction du milieu social : cette dimension aurait mérité d’être creusée davantage.

5L’une des interrogations centrales du livre concerne les pères « en solitaire » après une rupture, et plus particulièrement les liens entre père et enfant(s). L’après-rupture fragilise en effet ce lien, comme le montre l’article factuel d’Arnaud Régnier-Loilier. La visibilité de ces pères, notamment par le biais du lobbying et de la présence médiatique des associations de défense des droits des pères depuis les années 1990, semble être à l’origine d’évolutions juridiques majeures ces dernières années, par exemple en ce qui concerne la loi de 2002 sur la résidence alternée (on se reportera à l’article passionnant de Marie Vogel et Anne Verjus sur le sujet). Dans sa propre contribution à l’ouvrage, consacrée aux temporalités plurielles de la paternité, Agnès Martial montre en outre que s’il est valorisé d’être un père intervenant au quotidien dans la vie des enfants, avec les gestes et les préoccupations qui accompagnent ce temps quotidien, il reste socialement incongru d’être un « père en solitaire ».

6Ce que relèvent les études sociologiques et anthropologiques, c’est que la paternité n’est finalement pas une affaire strictement masculine. Ainsi, Veronika Nagy montre que les argumentaires devant la justice en cas de rupture mettent en avant tout un contexte féminin autour du père, en particulier l’aide de femmes proches (nouvelle compagne, sœur ou mère du côté paternel) qui servent de relais féminins. Ici, l’espace relationnel du père – rarement étudié – devient un élément central aux yeux de la justice. Contrairement à une « bonne mère », un « bon père » n’accomplit donc pas seul son travail parental. Paternité et maternité quotidiennes ne sont donc pas équivalentes.

7Interroger la paternité, au croisement de la sphère privée, de la sphère professionnelle et de la transmission intergénérationnelle, c’est aussi interroger les permanences des représentations de la « bonne/mauvaise mère ». Si de nouvelles paternités semblent émerger, ce sont bien les mères qui continuent en réalité d’assumer la majeure partie du « travail parental ». En parallèle, la norme de l’« évidence maternelle », régulièrement convoquée, persiste également. Par conséquent, la véritable coparentalité, pourtant inscrite dans la loi, reste en pratique encore largement à faire.

8Cet ouvrage, d’une grande valeur informative sur le contexte français, balaie une histoire de la paternité depuis les années 1970 : il contribue en cela à écrire l’histoire sociale et genrée du temps présent.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patrick Farges, « Agnès Martial (dir.), Des pères « en solitaire » ? Ruptures conjugales et paternité contemporaine »Genre & Histoire [En ligne], 19 | Printemps 2017, mis en ligne le 01 juillet 2017, consulté le 07 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/genrehistoire/2760 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/genrehistoire.2760

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Auteur

Patrick Farges

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