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L’épigraphie archaïque — Grèce du Nord, Péloponnèse

L’exil de Kallipos et la révolte des δοῦλοι argiens

Kallippos’ Exile and the Revolt of the Argive δοῦλοι
Antoine Pierrot

Résumés

F. Ruzé et H. van Effenterre avaient inclus dans le deuxième volume de Nomima l’inscription sur plomb découverte en 1977 par V. Lambrinoudakis, dans laquelle l’exilé argien Kallippos, accompagné de ses ϝοικιᾶται, demandait l’asile aux Épidauriens vers 460 avant J.‑C. Lambrinoudakis voyait dans cet exil la conséquence de la défaite des δοῦλοι argiens, dont Kallippos était censé avoir épousé la cause, au terme de la longue guerre civile qui avait opposé ces derniers à leurs anciens maîtres dans les décennies suivant la bataille de Sépéia (Hérodote, Histoires, VI, 83). L’étude chronologique des événements argiens montre l’impossibilité d’une telle hypothèse, et il paraît plus vraisemblable de supposer que Kallippos avait en réalité fui l’établissement de la démocratie dans sa cité vers 460 avant J.‑C., et contraint ses propres esclaves ou serfs (ϝοικιᾶται) à le suivre dans son exil. Il se pourrait même que Kallippos ait été l’une des premières victimes de la procédure d’ostracisme nouvellement instaurée par la jeune démocratie argienne.

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Texte intégral

  • 1 Nomima, II, 102‑103.

1Je me souviens comme si c’était hier de l’impatience avec laquelle j’avais, jeune étudiant, couru chez De Boccard pour récupérer ma commande des deux volumes fraîchement parus de Nomima. C’était il y a près de trente ans, et pourtant il m’arrive encore de me replonger dans la lecture d’un ouvrage devenu, au fil des décennies, comme un fidèle compagnon d’étude. En hommage à ses auteurs et en signe de gratitude, je me propose de reprendre ici l’étude de l’inscription portant le no 28 dans le tome II de Nomima1, dont les quelques lignes me paraissent susceptibles d’éclairer non seulement l’histoire politique et sociale d’Argos mais aussi, à plus large échelle, celle de l’esclavage en Grèce ancienne.

2Découverte en 1977 dans le remblai du temple classique d’Apollon Maléatas à Épidaure, l’inscription gravée sur plomb ne présente aucune difficulté de lecture :

Κάλλιπ(π)ος: hικέτας
Εὐκλέος hυιὸς
τõν Ἐπιδαυρίον
παρ᾽ Ἀπόλλονος
ΠυΘίο Ἀργεῖος
ἀρχὸς καὶ ϝοικιᾶται.

  • 2 Sauf mention contraire, toutes les traductions proposées ici sont personnelles. Nous reviendrons bi (...)

Kallip(p)os, suppliant,
fils d’Euclès,
les Épidauriens,
auprès d’Apollon
Pythien, Argien,
le maître et ses serfs2.

  • 3 Lambrinoudakis (1990, 174‑175). Je remercie Clarisse Prêtre de m’avoir confirmé que l’alphabet util (...)

3Datant l’inscription du deuxième quart du ve siècle avant J.‑C. en raison du type d’alphabet utilisé3, son découvreur, Vassilis Lambrinoudakis, proposa de la mettre en rapport avec les événements dramatiques ayant frappé la cité d’Argos vers la même époque. Hérodote rapporte en effet que dans la période précédant les guerres médiques, Sparte infligea à Argos la terrible défaite de Sépéia, au cours de laquelle l’ensemble des hoplites argiens furent massacrés, et qu’à la suite de ce désastre, les δοῦλοι de la cité s’emparèrent du pouvoir :

  • 4 Hérodote, Histoires, VI, 83.

Argos perdit tant d’hommes que les δοῦλοι héritèrent de tous les pouvoirs, exerçant les magistratures et le gouvernement jusqu’au jour où les fils des disparus parvinrent à l’âge adulte. Alors ces derniers, rétablissant leur souveraineté sur Argos, en expulsèrent les δοῦλοι : chassés, ces derniers prirent de force possession de Tirynthe. Les deux camps restèrent en bons termes jusqu’à ce qu’un devin du nom de Cléandros, originaire de Phigalie en Arcadie, rende visite aux δοῦλοι et les convainque de s’attaquer à leurs maîtres : une longue guerre s’ensuivit, dont les Argiens sortirent difficilement vainqueurs4.

  • 5 Pausanias, Périégèse, V, 23, 3 ; Strabon, Géographie, VIII, 6, 11.
  • 6 Il faut suppléer le deuxième π de Kallippos, qui fait défaut dans l’inscription.

4Des sources plus tardives rapportant que Tirynthe fut finalement détruite par Argos et que sa population trouva refuge à Épidaure5, Lambrinoudakis suggéra de voir dans l’inscription de Kallippos6 la supplique d’un aristocrate en rupture de ban, qui aurait choisi le camp des révoltés, et suivi ses propres serfs dans leur défaite et leur exil.

  • 7 Ruzé et Van Effenterre estimaient que les anciens serfs de Kallippos, désormais libres, auraient su (...)

5F. Ruzé et H. van Effenterre ont, pour l’essentiel, repris dans Nomima l’hypothèse de Lambrinoudakis, comme l’ont également fait la plupart des autres commentateurs7.

6Je proposerai ici une lecture différente de l’inscription : si l’exil de Kallippos est certainement, comme Lambrinoudakis en eut l’intuition, la conséquence des bouleversements politiques survenus à Argos au début du ve siècle avant J.‑C., sa supplique me paraît être, non pas l’œuvre d’un « progressiste » ayant épousé la cause des insurgés au point de partager leur malheur, mais plutôt, à l’inverse, celle d’un oligarque fuyant l’instauration de la démocratie dans sa cité, et contraignant ses serfs à l’accompagner dans son propre exil. Avant d’exposer les arguments en faveur de cette nouvelle interprétation, il nous faut tout d’abord interroger, après tant d’autres, la tradition littéraire du servile interregnum argien, prélude aux événements politiques qui forcèrent Kallippos et ses ϝοικιᾶται à l’exil.

1. Sépéia et le « gouvernement des esclaves »

  • 8 Y compris chez les plus grands savants : Beloch (1914, II, 1, 14). Le jugement le plus sévère se tr (...)
  • 9 Vidal-Naquet (1981, 270).
  • 10 Son récit nous est connu par la longue paraphrase de Plutarque (Moralia, 245c‑f), où il est le seul (...)
  • 11 « Pour remédier au manque d’hommes, ce n’est pas, comme le raconte Hérodote, aux δοῦλοι, mais aux m (...)
  • 12 Plutarque, Moralia, 245c‑245f. Pausanias se fait l’écho de la même tradition (Périégèse, II, 20).
  • 13 Déjà en ce sens : How & Wells (1912, 94‑95) ; voir aussi Crahay (1956, 173), Piérart (2009), Pirenn (...)

7Le servile interregnum argien décrit par Hérodote a suscité chez un certain nombre d’historiens le scepticisme, voire le rejet pur et simple8. L’incrédulité en la matière remonte en fait à l’Antiquité même : les Grecs ne concevant guère de société humaine sans esclaves, la perspective que ces derniers puissent un jour échapper à leur condition pour se gouverner librement ou prendre la place de leurs maîtres apparaissait comme la plus improbable et la plus infamante des révolutions politiques9. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que l’historien Socrate d’Argos ait présenté une version différente des mêmes événements10 : ce ne sont pas des esclaves (δοῦλοι) qui auraient pris les commandes de la cité, mais des périèques (περίοικοι)11, terme par lequel il voulait très certainement désigner, à l’instar des périèques lacédémoniens, des hommes certes privés de la citoyenneté, mais de condition libre. Mieux encore : lorsque la ville d’Argos s’était retrouvée sans défense, les femmes des citoyens, conduites par la poétesse Télésilla, auraient miraculeusement sauvé la patrie en prenant les armes et en affrontant courageusement l’envahisseur spartiate. Surpris par l’audace de ces valeureuses guerrières et subissant de lourdes pertes, l’ennemi n’aurait eu d’autre choix que de battre en retraite et d’évacuer le territoire argien12. La fonction étiologique de ce récit patriotique et passablement invraisemblable a été démontrée depuis longtemps13, mais là n’est pas l’essentiel : en remplaçant les δοῦλοι d’Hérodote par de simples « périèques », Socrate d’Argos cherchait à minimiser la gravité d’un événement dont il reconnaissait, ipso facto, l’historicité. Puisqu’on ne saurait, par conséquent, réduire le récit hérodotéen à une simple fable, il faut revenir au texte même des Histoires, en s’interrogeant sur la signification du mot δοῦλοι dans ce passage.

  • 14 À la différence, par exemple, de l’anglais unfree ou de l’allemand Unfrei.
  • 15 Ou chattel slave en anglais.
  • 16 Les historiens de l’antiquité rechignent souvent à parler de servage en Grèce ancienne, au motif qu (...)
  • 17 La bibliographie est immense sur le sujet ; parmi les études les plus exhaustives, citons celles de (...)
  • 18 Dans le code de Gortyne, il est souvent malaisé de savoir si le mot dôlos y désigne un serf (woikeu (...)

8Δοῦλος n’a pas d’équivalent exact en français14 : le mot pouvait désigner toute personne réduite en servitude (δουλεῖα), qu’il s’agisse d’un esclave proprement dit — ce que l’historiographie moderne a pris l’habitude d’appeler un « esclave-marchandise15 » pour souligner le fait qu’il pouvait être vendu comme un simple objet — ou qu’il s’agisse d’un paysan asservi, fixé héréditairement à une terre qu’il avait l’obligation de travailler et pour laquelle il versait une rente à son propriétaire, mais dont la coutume interdisait de le vendre hors des frontières de la cité — soit peu ou prou ce que les historiens médiévistes appellent un serf16. Si les plus connus de ces serfs grecs étaient les hilotes de Sparte et les pénestes de Thessalie, d’autres régions de Grèce ont connu cette forme particulière d’esclavage17. Il n’existait pas non plus, à l’inverse, de mot en grec pour désigner la condition spécifique de ces paysans asservis, différents des « esclaves-marchandises » : on les désignait soit par leur nom local lorsque celui‑ci était d’usage courant — « hilotes », « pénestes », etc. — soit tout simplement par le terme générique de δοῦλοι18.

  • 19 Van Compernolle (1975, 358‑360), avec la liste de toutes les occurrences dε δοῦλος et de ses compos (...)
  • 20 Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, V, 23.

9Cette ambiguïté sémantique s’observe dans les Histoires d’Hérodote, où δοῦλοι peut désigner, selon le contexte, de vrais esclaves ou de simples sujets soumis à l’autorité du Grand Roi19, mais aussi dans le traité d’alliance conclu entre Athènes et Sparte au moment de la paix de Nicias, dans lequel les hilotes de Sparte sont qualifiés de δοῦλοι20. Rien ne prouve par conséquent qu’Hérodote ait voulu signifier par l’emploi de ce mot la prise du pouvoir à Argos par des esclaves : il pouvait tout aussi bien s’agir de serfs. Or nous connaissons l’existence à Argos d’une communauté de paysans asservis grâce à la célèbre liste des « dépendants » du monde grec dressée par Pollux :

  • 21 Pollux, Onomasticon, III, 83. Sur cette liste, loin d’être exhaustive, voir notamment Lotze (1959) (...)

À mi‑chemin entre les libres et les esclaves sont les hilotes de Lacédémone, les pénestes de Thessalie, les klarotes et les mnoïtes de Crète, les dôrophores mariandyniens, les gymnètes (gymnétoï) d’Argos et les korynèphores de Sicyone21.

  • 22 Hérodote appelle les indigènes kyllyriens, collectivement asservis par Syracuse, les δοῦλοι de la c (...)

10Puisque la tradition classique dont s’inspire Pollux faisait des gymnètes des sortes de serfs, Hérodote était parfaitement fondé à les appeler, à l’instar de leurs homologues de Sparte, de Thessalie ou de Crète, des δοῦλοι22.

  • 23 Politiques, 1303a. Il s’agit très probablement de la guerre du Péloponnèse : voir note 13, page 158 (...)
  • 24 L’expression désigne la bataille de Sépéia, qui se serait déroulée le septième jour du quatrième mo (...)
  • 25 Voir l’édition de Newman (W. L. Newman, The Politics of Aristotle, Oxford, Clarendon Press, 1887, v (...)
  • 26 Il n’est bien sûr pas exclu que la critique d’Hérodote par Socrate d’Argos soit en partie fondée su (...)

11Un commentaire d’Aristote semble apporter la confirmation que les nouveaux maîtres d’Argos étaient des serfs, et non des « esclaves-marchandises ». Après avoir observé dans les Politiques que la proportion des gens sans ressources (ἄποροι) est susceptible de s’accroître imperceptiblement dans une cité jusqu’à y créer un déséquilibre politique favorable à la démocratie, le philosophe ajoute que la chose peut également se produire brutalement après la mort de nombreux hoplites sur le champ de bataille, ce dont il donne trois exemples : Tarente après la défaite infligée par les Iapyges, Argos après la bataille de Sépéia, et Athènes après la « guerre de Laconie23 ». Concernant Argos, écrit‑il, « on fut contraint, après la mort de ceux tombés au Septième Jour24 face à Cléomène de Sparte, d’intégrer une partie des périèques (περίοικοι) ». Aristote classant ces derniers dans la catégorie des gens sans ressources (ἄποροι), il ne peut guère s’agir de périèques de type lacédémonien, propriétaires de leurs terres, et puisqu’à l’inverse, περίοικοι désigne toujours des paysans de condition servile dans les Politiques25, le philosophe se réfère ici, selon toute vraisemblance, aux serfs argiens qu’Hérodote appelait des δοῦλοι, et dont la tradition classique faisait les nouveaux maîtres de la cité après la catastrophe de Sépéia. Moins infamant, certes, que s’agissant de « vrais » esclaves, l’épisode n’en demeurait pas moins honteux, et l’historiographie argienne s’efforça d’en atténuer la portée symbolique en jouant sur les ambiguïtés du vocabulaire servile26.

  • 27 La question rejoint plus largement celle des origines du servage en Grèce, qui déborde le cadre de (...)
  • 28 Hésychius, Lexicon, s. γυμνῆτες. Souvent méprisées, les armes légères étaient typiquement celles de (...)
  • 29 Le surnom de gymnètes convenait donc parfaitement à des serfs (Seymour, 1922, 26), et Welwei avait (...)
  • 30 Même si Hérodote a pu exagérer l’ampleur du massacre en évoquant le chiffre de 6 000 morts (Frullin (...)
  • 31 Frullini (2021, 113).
  • 32 Au premier rang desquels les vétérans.
  • 33 En 406 avant J.‑C., « les Athéniens décidèrent d’envoyer en renfort [aux Arginuses] cent‑dix navire (...)
  • 34 « Les autorités décidèrent de faire proclamer aux hilotes qu’ils avaient leur parole que quiconque (...)
  • 35 Pausanias, Périégèse, II, 20. Il n’est pas exclu que des femmes — voire Télésilla en personne — aie (...)

12L’inclusion des gymnètes dans la liste de Pollux invite à faire d’eux, à l’instar des autres serfs de la Grèce antique qui nous sont un peu mieux connus, des paysans asservis collectivement, exploitant la terre des Argiens contre le versement d’une partie des récoltes, et vivant de manière relativement autonome dans des fermes, hameaux ou villages de l’arrière‑pays. Étaient‑ils les descendants de populations locales soumises par la guerre, ou faut‑il voir en eux les membres d’une classe sociale marginalisée, dont le statut aurait progressivement évolué vers une forme de servage ? Mieux vaut admettre notre ignorance en la matière, d’autant que rien n’oblige à leur assigner une origine unique27. Il paraît en revanche assuré qu’ils tiraient leur nom de leur statut militaire inférieur, γυμνῆτες étant couramment employé en grec pour désigner des soldats équipés à la légère — archers, frondeurs, etc. — par opposition aux hoplites28, et qu’ils devaient, par conséquent, jouer dans l’armée un rôle analogue à celui des hilotes spartiates et des pénestes thessaliens, dont on sait qu’ils accompagnaient régulièrement leurs maîtres à la guerre en tant que valets d’armes, rameurs, peltastes, hoplites ou même cavaliers29. Après la destruction du corps hoplitique à Sépéia30, la foule des serfs, dont certains avaient probablement déjà combattu pour la cité en tant que troupes auxiliaires, et qui n’avaient certainement pas été massacrés dans les mêmes proportions que l’armée régulière — si tant est qu’ils aient pris part à la bataille31 — pouvait encore constituer une armée de secours face à la menace d’une invasion ennemie. La mobilisation des forces serviles par les Argiens restés en vie32 paraît d’autant plus crédible qu’on lui connaît des parallèles célèbres : Athènes fit plusieurs fois appel à ses propres esclaves pour défendre la patrie menacée33, et dans des circonstances qui rappellent de près l’épisode argien, Sparte équipa en urgence six mille hilotes au lendemain de Leuctres34. Dans la tradition rapportée par Pausanias, ce sont certes les femmes et non les serfs qui sauvent la cité, Télésilla en personne ordonnant aux esclaves et aux vieillards de monter sur les remparts, tandis qu’elle‑même affronte l’ennemi avec les autres Argiennes « dans la force de l’âge ». Quels que soient le courage et la valeur guerrière de ces dernières, il aurait cependant été absurde et même suicidaire, à l’heure où Argos risquait de connaître le sort de la Messénie, de ne pas faire appel également aux gymnètes pour défendre la patrie. Pausanias ajoute qu’on alla chercher des armes de fortune dans les maisons et les sanctuaires de la ville, ce qui paraît plausible, à la différence près que c’est aux gymnètes et non aux femmes qu’on dut alors les confier35.

  • 36 Je rejoins ici les analyses de V. Pirenne-Delforge (Pirenne-Delforge, 2013, 145‑146).
  • 37 Hérodote, Histoires, VI, 82. C’est sans doute aussi par crainte de devoir mener un siège long et di (...)

13Je verrais alors volontiers dans la geste de Télésilla la réécriture idéalisée d’un moment tragique de l’histoire argienne : aux δοῦλοι qui avaient sauvé la cité, on substitua dans le roman patriotique les veuves, héroïsées et virilisées, des citoyens morts à Sépéia36. L’hypothèse du recours à une armée servile de secours aurait par ailleurs le mérite de donner un sens à l’étrange reculade de Cléomène Ier, qui refusa, en dépit de son écrasante victoire, d’envahir le territoire argien, sous le prétexte que des présages lui étaient défavorables37.

  • 38 Je me limite ici aux exemples d’unions ou de mariages collectifs librement décidés par une cité, sa (...)
  • 39 En l’absence de leurs maris occupés à guerroyer sans fin contre les Messéniens, les femmes spartiat (...)
  • 40 Polybe, Histoires, XII, 5‑8. On voit mal pour quelle raison les Locriens se seraient inventé une te (...)
  • 41 « Code de Gortyne », VI, 56 à VII, 2. Chez les Lyciens également, les enfants nés d’un mariage entr (...)
  • 42 Est‑ce un hasard si Tarente, Locres, Gortyne et Argos sont toutes des cités de dialecte dorien ou a (...)
  • 43 A fortiori s’il s’agissait de leurs propres serfs, déjà installés sur le domaine familial. À noter (...)

14Comme souvent dans les Histoires, le récit elliptique et ambigu d’Hérodote n’explique pas comment les δοῦλοι se retrouvèrent aux commandes de la cité : il est simplement rapporté, sans plus de précision, qu’à cause du grand nombre de morts à Sépéia, les δοῦλοι « eurent » (ἔσχον) tous les pouvoirs. La version des événements transmise par Socrate d’Argos est bien plus détaillée : pour pallier le manque d’hommes, on accorda aux « meilleurs des périèques » (i. e. des gymnètes) le droit de cité, puis on leur fit épouser les « femmes », c’est-à-dire les filles et les veuves des citoyens morts à Sépéia. Des mariages collectifs de ce type nous sont connus dans d’autres cités grecques38 : si les récits concernant l’origine des premiers colons de Tarente sont à considérer avec circonspection39, la fondation de Locres épizéphyrienne par les fils nés de l’union entre des « esclaves » (οἰκέται) et des femmes libres de la métropole est longuement rapportée par Polybe, qui assure tenir ses sources des Locriens eux‑mêmes40. Ces unions mixtes n’étaient d’ailleurs pas limitées aux circonstances exceptionnelles d’une guerre longue et meurtrière : le « Grand Code » de Gortyne garantit la légalité du mariage entre un dôlos et une femme libre, et prévoit même le statut des enfants à naître en fonction du lieu de résidence41. Qu’il s’agisse de traditions orales ou de lois gravées dans la pierre, le principe est toujours le même : des femmes libres sont autorisées, voire encouragées à épouser des hommes de condition servile42. La tradition selon laquelle les veuves et les orphelines de Sépéia auraient été mariées à des serfs n’a donc rien d’invraisemblable sur le plan historique43, et ce sont peut‑être précisément ces noces qui ouvrirent la voie au servile interregnum : les milliers de serfs à qui l’on avait sans doute donné des armes et promis la liberté, et qui n’avaient plus face à eux que des enfants, des femmes et des vieillards, devenaient de facto, en épousant les veuves et les filles de leurs anciens maîtres, la nouvelle classe dirigeante de la cité.

  • 44 Diodore, Bibliothèque historique, X, fragment 57 dans l’édition des Belles Lettres (Diodore de Sici (...)

15Il est vrai que les femmes de la cité auraient pu épouser, au lieu de serfs, ceux des Argiens qui, trop pauvres pour disposer d’un armement hoplitique, n’avaient pas combattu à Sépéia. Ce n’est pourtant pas ce que dit la tradition transmise par Socrate, et il faut peut‑être en chercher l’explication dans une réflexion de Diodore, qui fait probablement référence à Argos44 :

La haine qu’éprouvaient les citoyens de plein droit envers la foule, dissimulée jusque‑là, éclata au grand jour à la première occasion. Et c’est par jalousie qu’ils libérèrent leurs δοῦλοι, préférant partager la liberté avec leurs serviteurs (οἰκέται) plutôt que la citoyenneté avec les hommes libres.

  • 45 De Sanctis (1966, 49). Contra : Aude Cohen-Skalli, dans l’édition des Belles Lettres citée note pré (...)
  • 46 Les exemples de solidarités politiques « contre nature » où maîtres et esclaves, seigneurs et paysa (...)

16S’il est impossible de démontrer que Diodore fait bien ici allusion aux événements argiens, la situation décrite y ressemble beaucoup45. À l’opposé d’un modèle insurrectionnel de type « Spartacus », le servile interregnum argien serait, dans cette hypothèse, le produit de l’alliance contre nature entre deux classes antagonistes, dont les intérêts se trouvaient réunis accidentellement après la catastrophe de Sépéia. Marier sa fille ou sa petite‑fille à un serf affranchi était en outre le moyen le plus sûr de protéger son domaine face aux appétits de la « foule », qui aurait pu profiter de l’occasion pour imposer la redistribution des terres : tandis que les gymnètes se voyaient récompenser de leur loyauté, les familles de propriétaires terriens échappaient paradoxalement, par ces mésalliances de circonstance, à la menace — réelle ou imaginaire — d’une révolution sociale46.

  • 47 Raison pour laquelle on a reproché à Plutarque de corriger à tort Hérodote (« ce n’est pas aux escl (...)
  • 48 N’en déplaise à W. G. Forrest (« Les gymnètes, mêmes les meilleurs d’entre eux, ne sont pas de l’ét (...)
  • 49 Parmi les plus célèbres de ces révoltes, citons celles de Spartacus, des Zanj, des Mocambos, et des (...)
  • 50 Je rejoins sur ce point les conclusions de Asheri (1977). Sur le problème des institutions politiqu (...)

17Le récit d’Hérodote ignore ces mariages47 pour s’en tenir aux aspects politiques du nouveau régime : les δοῦλοι, écrit‑il, « héritèrent de tous les pouvoirs, exerçant les magistratures et le gouvernement ». Qu’y aurait‑il de si invraisemblable à ce que d’anciens serfs parviennent à gouverner une cité grecque48 ? Il existe des exemples célèbres de révoltes d’esclaves ayant débouché sur la création de républiques libres et autonomes, dotées de leurs propres institutions et magistratures — souvent calquées sur celles de leurs anciens maîtres — et qui ne furent vaincues et détruites qu’après des décennies de combats acharnés49. Il ne s’agissait d’ailleurs pas, dans le cas argien, de créer un nouvel État servile, mais d’intégrer les serfs promus citoyens dans un cadre politique préexistant, et en dépit des apparences, le servile interregnum argien semble n’avoir rien changé aux institutions politiques de la cité50.

  • 51 Sur les conseils du devin Cléandros, mystérieusement venu d’Arcadie. La figure du devin mal inspiré (...)
  • 52 En limitant son récit à quelques lignes, Hérodote donne inévitablement l’impression de le caricatur (...)

18Ces δοῦλοι, écrit Hérodote, gouvernèrent jusqu’au jour où les fils des combattants morts à Sépéia devinrent des hommes et les expulsèrent : je ne vois rien, là non plus, de foncièrement invraisemblable dans le récit hérodotéen. Certes, les fils des disparus n’atteignirent pas tous ensemble l’âge adulte, mais la colère et la frustration grandissantes de ces derniers ne pouvaient que déboucher un jour ou l’autre sur un conflit. Réfugiés un temps à Tirynthe, les serfs tentèrent de reprendre possession d’Argos51, et après une guerre longue et difficile, ils furent finalement vaincus par leurs anciens maîtres52. La victoire des Argiens sur les δοῦλοι est, nous l’avons dit, le moment choisi par Lambrinoudakis pour situer la supplique de l’Argien Kallippos, identifié comme un aristocrate « progressiste » accompagnant ses serfs dans l’exil. L’inscription étant datée par son alphabet des années 460 avant J.‑C., son interprétation dépend avant tout de la chronologie des événements argiens durant les décennies qui suivirent la bataille de Sépéia.

2. Problèmes chronologiques

  • 53 Voir « Appendice 1 : la datation de la bataille de Sépéia ».

19Cette chronologie fait depuis toujours l’objet d’âpres discussions en raison des désaccords sur son point de départ : concernant la datation de Sépéia, en effet, nos certitudes se limitent au fait que la bataille eut lieu sous le règne de Cléomène (entre ca 520 et ca 488 avant J.‑C.). Aussi, plutôt que d’aborder le problème sous son angle le plus complexe53, mieux vaut‑il se baser sur ce qui paraît le mieux documenté, c’est-à-dire la fin de la séquence et l’écrasement définitif de la rébellion : diverses indications fournies par Hérodote sur l’action diplomatique d’Argos pendant les guerres médiques, aux livres VI et VII de ses Histoires, permettent en effet de fixer un terminus ante quem pour le rétablissement d’un gouvernement normal dans la cité.

  • 54 Cette guerre, présentée par Hérodote comme plus ou moins contemporaine de la bataille de Marathon, (...)
  • 55 À moins, bien sûr, de supposer que l’anéantissement des hoplites à Sépéia fut moins complet que ne (...)
  • 56 Histoires, VI, 92.
  • 57 Les Sicyoniens acceptèrent de payer 100 talents.
  • 58 Busolt (1893, 564 et suiv.).
  • 59 Histoires, VII, 148‑149. Sur ces enfants dont on attendait qu’ils grandissent, voir « Appendice 1 : (...)
  • 60 Les autres Grecs auraient‑ils d’ailleurs demandé son aide militaire à une cité alors plongée dans u (...)

20Il y a d’abord la participation de mille volontaires argiens à la troisième guerre d’Égine contre Athènes, qui prouve que la cité était parvenue dès ca 490 avant J.‑C.54 à combler, au moins partiellement, les pertes subies dans sa classe hoplitique55. Il y a ensuite l’amende colossale infligée au même moment par les Argiens aux Sicyoniens et aux Éginètes pour l’aide logistique et militaire apportée à Cléomène lors de son invasion de l’Argolide56, amende qui ne peut avoir été décidée et imposée57 que par des hommes traitant d’égal à égal, et non par des serfs affranchis, dont on se demande en outre pourquoi ils auraient voulu tirer vengeance d’une guerre qui les avait propulsés aux commandes de la cité. Les Argiens avaient donc nécessairement repris le contrôle de leur cité dès 486 avant J.‑C., et peut‑être même dès l’époque de Marathon58. Il y a enfin et surtout l’argument avancé quelques années plus tard pour justifier leur refus de participer à la seconde guerre médique : Argos se disait prête à entrer dans l’alliance hellénique à condition de signer avec Sparte une paix de trente ans qui laisserait à ses enfants le temps de grandir, afin de se prémunir contre une nouvelle défaite qui l’aurait fait tomber « à tout jamais sous la domination des Lacédémoniens59 ». La demande était peut‑être en partie sincère — surtout si les mille Argiens partis combattre au service d’Égine avaient, comme l’affirme Hérodote, eux aussi péri en grand nombre —, mais comment expliquer qu’ils n’aient pas invoqué l’excuse bien plus convaincante d’une dangereuse révolte servile en cours, si cette dernière était encore d’actualité au moment des pourparlers60 ? La victoire des Argiens sur leurs serfs rebelles est donc nécessairement antérieure à 481 avant J.‑C. Quant à la bataille de Sépéia elle‑même, elle est certes difficile à dater avec précision, mais cette question ne change rien au fait que les choses étaient rentrées dans l’ordre à Argos avant même le déclenchement de la seconde guerre médique : la chronologie des événements impose donc de chercher une autre explication à l’exil de l’Argien Kallippos ca 460 avant J.‑C.

3. L’instauration de la démocratie argienne

  • 61 Grâce à une remarque de Thucydide : « Les Mantinéens se tournèrent avec enthousiasme vers Argos, en (...)

21S’il est certain qu’Argos était une démocratie en 421 avant J.‑C.61, nous ignorons à quand remonte l’instauration de ce régime politique, les institutions de la cité étant par ailleurs mal connues pour l’époque archaïque : quelques inscriptions fragmentaires, quelques rares allusions chez Hérodote ou Aristote  et c’est à peu près tout.

  • 62 Wörrle (1964, 102).
  • 63 Crainte qui n’était pas sans fondement si l’on en juge par le nombre de bouleversements politiques (...)
  • 64 Lambrinoudakis voyait précisément dans cette « contre-révolution » la cause de l’exil de Kallippos (...)

22Il ne fait guère de doute, cependant, qu’Argos possédait encore à la fin du vie siècle une constitution de type censitaire dans laquelle seuls les hommes libres et de rang hoplitique participaient au gouvernement de la cité62. Si Argos avait connu un régime démocratique dès cette époque, comment croire, en effet, que le dèmos argien aurait assisté les bras croisés à la mise en place d’un servile interregnum, alors même que l’anéantissement du corps hoplitique lui facilitait désormais l’accès aux magistratures ? Hérodote ne dit pas un mot d’une éventuelle résistance de la part des « démocrates », la réaction des Argiens se produisant seulement à la génération suivante. On doit en conclure que la masse des hommes libres, mais trop pauvres pour servir en tant qu’hoplites, était exclue du gouvernement de la cité, et s’il se réfère bien à Argos, le fragment de Diodore illustre la profondeur du fossé séparant les possédants de ce petit peuple méprisé et fermement tenu à l’écart des institutions politiques — sans doute par crainte, on l’a dit, d’une révolution sociale63. Dans la tradition rapportée par Hérodote, ce sont les descendants des hoplites morts à Sépéia, et non les hommes du peuple, qui chassent les serfs de la cité et finissent par écraser la révolte, dans ce qui est implicitement présenté comme un retour à l’ordre social et politique antérieur. Il n’y eut donc à cette occasion aucune « démocratisation » mais plutôt, à l’inverse, une forme de réaction conservatrice64.

  • 65 Histoires, VII, 148‑149.
  • 66 Attesté pour la première fois en 418 avant J.‑C. à la bataille de Mantinée (Thucydide, La Guerre du (...)
  • 67 Que les discussions aient été menées par le Conseil (Boulè) sans en référer à l’assemblée du peuple (...)

23Le récit par Hérodote des pourparlers de 481 avant J.‑C., où il est plusieurs fois fait allusion aux institutions politiques argiennes, laisse entendre, de même, que la constitution oligarchique était toujours en place à cette date65. Le Conseil de la cité réclame en effet pour son basileus le commandement de la moitié des troupes helléniques à égalité avec les rois spartiates, alors que nous savons par Thucydide que l’armée était dirigée à l’époque démocratique par un collège de cinq stratèges66. Si la réforme du commandement militaire argien accompagna, comme c’est probable, l’instauration de la démocratie dans la cité, cette dernière ne saurait être que postérieure aux pourparlers de 48167.

  • 68 Notamment depuis les travaux de Charalambos Kritzas et Marcel Piérart (Kritzas, 1992 ; Piérart, 202 (...)
  • 69 Le chapitre des Politiques déjà cité concernant l’intégration des périèques argiens, dans lequel be (...)

24Ces arguments, essentiellement basés sur le récit d’Hérodote, paraîtraient peut‑être insuffisants sans l’existence, en parallèle, d’un faisceau d’indices forts et concordants qui invitent à situer plus précisément l’avènement de la démocratie argienne dans les années 470‑460 avant J.‑C. On se contentera ici d’en résumer les points les plus consensuels68 — la réforme des tribus argiennes et la représentation des Suppliantes d’Eschyle — avant de nous arrêter plus longuement sur la question de l’expansion territoriale d’Argos, qui semble directement liée à l’instauration de la démocratie argienne, et dont la chronologie demeure controversée69.

  • 70 Éphore, FrGrH 70 F15, cité par Étienne de Byzance.
  • 71 IG IV, 517 = Nomima, I, 86 et sans doute aussi Polydipsion d’Argos, 235 = Nomima, I, 65 (le nom de (...)

251) Selon Éphore, les Argiens ajoutèrent aux trois tribus doriennes de l’époque archaïque (Hylleis, Pamphyloï et Dymanes) une quatrième tribu à laquelle ils donnèrent le nom d’Hyrnathioï70, ce que confirment les données épigraphiques, les plus anciennes mentions de la tribu Hyrnathia remontant, en l’état actuel des connaissances, aux années 460‑450 avant J.‑C.71. Il est évidemment tentant de lier la réforme des tribus à l’établissement d’un régime démocratique reposant sur une nouvelle répartition de la population civique, à l’image de ce qui se produisit à Athènes lors de la révolution clisthénienne.

  • 72 Le mot est rare dans la littérature grecque de cette époque, et ce n’est évidemment pas un hasard s (...)
  • 73 Suppliantes, v. 698‑700.
  • 74 Suppliantes, v. 397‑398.
  • 75 Découverte sur un papyrus d’Oxyrhynchos et publiée en 1952 : Pap. Ox. XX, no 2256, fr. 3.
  • 76 D’autant plus qu’Eschyle fait quelques années plus tard une allusion encore plus explicite à un évé (...)
  • 77 Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, I, 102.

262) Dans les Suppliantes d’Eschyle, le chœur des Danaïdes chante la gloire du peuple argien (τὸ δήμιον72) qui veille sur le gouvernement de la cité73, le roi ne pouvant rien décider sans l’accord du peuple74. Si, comme semble l’indiquer une didascalie75, la tragédie fut représentée dans les années 460, il faut probablement voir dans cet éloge du dèmos argien, gouvernant souverainement la cité sous l’œil bienveillant de son roi, un hommage explicite à l’instauration récente de la démocratie dans la cité76. L’adoption par Argos d’un régime politique proche de celui d’Athènes pourrait en outre avoir facilité la conclusion d’une alliance entre les deux cités en 462 avant J.‑C.77.

  • 78 Sur les problèmes chronologiques que pose l’annexion de Tirynthe par Argos, voir « Appendice 2 : la (...)

273) La conquête et l’annexion de Tirynthe et de Mycènes dans la première moitié du ve siècle avant J.‑C. sont vraisemblablement l’œuvre de la jeune démocratie argienne78.

  • 79 Hérodote, Histoires, VII, 202.
  • 80 Histoires, IX, 28. L’inscription gravée sur le trépied de Platées, où apparaissaient le nom des Tir (...)
  • 81 Pausanias, Périégèse, V, 23, 3. Strabon écrit aussi que les Argiens détruisirent Mycènes « après la (...)
  • 82 Que Diodore semble dater par erreur de 468 (Bibliothèque historique, XI, 65). Les Argiens auraient (...)

28Nous savons que les deux cités étaient indépendantes d’Argos à l’époque de la seconde guerre médique : Mycènes envoya en effet quatre-vingts hommes aux Thermopyles79 et un contingent mixte de quatre cents « Mycéniens et Tirynthiens » combattit à Platées80, alors même qu’Argos refusait de participer à la lutte contre les Perses. Il n’y a donc a priori aucune raison de mettre en doute l’affirmation de Pausanias selon laquelle Tirynthe et Mycènes furent conquises par Argos « après les guerres médiques81 », Diodore indiquant pour sa part que Mycènes, dernière cité d’Argolide à conserver son indépendance, fut rayée de la carte par sa rivale peu après le séisme de 464 avant J.‑C.82.

  • 83 Pausanias, Périégèse, II, 25, 8. Il ne s’agissait clairement pas d’un synécisme librement consenti (...)
  • 84 À propos du Spartiate Anéristos, qui s’était rendu célèbre en capturant avec un simple navire march (...)
  • 85 Strabon, Géographie, VIII, 6, 11. Le passage est moins corrompu qu’il n’en a l’air puisqu’il suffir (...)
  • 86 Sur le site de l’antique Halieis, à l’extrémité de la presqu’île d’Argolide. L’arrivée de ces réfug (...)
  • 87 Young (1963, 9), Jameson (1969, 313).

29Pausanias rapporte aussi que les Argiens « déportèrent (ἀνέστησαν) les Tirynthiens pour en faire leurs compatriotes et grossir (la population) d’Argos83 », et Strabon, éclairant à ce sujet l’allusion d’Hérodote aux « Haliéens de Tirynthe84 », précise qu’après la destruction de leur cité, les Tirynthiens trouvèrent refuge à Épidaure et Halieis85, ce que confirment les fouilles archéologiques menées à Porto Chéli86, où l’on a retrouvé une vingtaine de pièces de monnaie en bronze du ive siècle avant J.‑C., portant l’ethnique « ΤΙΡΥΝΘΙΟΙ87 ».

  • 88 Aristote, Politiques, 1275b (voir Sève, 2014).

30Opposé par essence même à l’idéologie oligarchique, l’octroi de la citoyenneté à des étrangers, voire à des esclaves, accompagnait souvent, selon Aristote, les révolutions démocratiques88, et c’est probablement l’afflux de nouveaux citoyens qui incita la jeune démocratie argienne à modifier le système des tribus. En augmentant le nombre des citoyens et en réformant les cadres civiques traditionnels par la refonte du système gentilice, les Argiens ont pu s’inspirer du système démocratique athénien.

  • 89 Comme cela se produisit du reste une seconde fois, quatre-vingts ans plus tard et à une échelle bie (...)
  • 90 A fortiori si Tirynthe possédait alors un régime oligarchique — ce que nous ignorons. Pour une part (...)

31Strabon et Pausanias donnent certes l’impression de se contredire au sujet de Tirynthe — le premier décrivant l’intégration des vaincus au nouveau corps civique argien, le second leur exil —, mais leurs récits reflètent probablement le destin croisé de ses habitants : ceux qui vinrent grossir les rangs d’Argos devaient appartenir majoritairement au petit peuple déjà acquis à la démocratie89, beaucoup n’ayant de toute façon pas les moyens de partir, tandis qu’à l’inverse, l’exil pouvait sembler préférable aux possédants, qui risquaient des persécutions du fait de leur hostilité, réelle ou supposée, au nouveau régime90.

  • 91 Diodore, Bibliothèque historique, XI, 65.
  • 92 Diodore, ibid. Si les Argiens se comportèrent de façon aussi brutale envers les Mycéniens, c’est pr (...)
  • 93 Strabon, Géographie, VIII, 6, 19.
  • 94 Kritsas (1992, 234‑240), Piérart & Touchais (1996, 42), Piérart (2020, 71‑72).

32Le sort réservé à Mycènes quelques années plus tard fut plus dur encore. Si la rivalité pour le contrôle de l’Héraion et des jeux néméens a pu fournir le prétexte officiel91, la conquête de nouvelles terres était probablement le véritable but de guerre : après avoir réduit en esclavage les Mycéniens92, les Argiens se partagèrent leur territoire (χώρα)93. L’expression employée par Strabon (διενείμαντο) fait penser à des distributions de terres privées, mais diverses inscriptions argiennes pourraient indiquer qu’une partie des terres confisquées fut alors consacrée à Héra, la cité partageant le produit des récoltes entre ses différentes tribus94.

33De tout cela, il faut conclure que la démocratie argienne fut vraisemblablement instaurée vers 470 avant J.‑C., et que le nouveau régime annexa rapidement Tirynthe, avant de rayer Mycènes de la carte.

4. L’exil de Kallippos

  • 95 Le « Vieil Oligarque » reprochera de même à la démocratie athénienne de confisquer les terres de se (...)
  • 96 Sur la datation de l’inscription, voir note 3.

34Nous ignorons si la démocratie argienne avait été instaurée de façon violente ou pacifique. Quel que soit cependant le scénario retenu, la fin de l’oligarchie signifiait pour l’ancienne classe dirigeante le renoncement à certains privilèges. L’annexion brutale de Tirynthe, suivie de la destruction de Mycènes, durent encore aggraver la défiance et l’hostilité des possédants envers un régime qui, par sa politique de confiscation des terres, pouvait donner l’impression de s’en prendre d’abord et avant tout aux riches95. C’est dans ce contexte et à l’aune de ces considérations qu’il convient de réexaminer la supplique de Kallippos, dont l’alphabet indique qu’elle est étroitement contemporaine de la destruction de Tirynthe et Mycènes96.

  • 97 Le mot ἀρχός apparaît une trentaine de fois dans l’Iliade et l’Odyssée, toujours au sens de chef, q (...)
  • 98 Masson (1986).
  • 99 Le possessif en grec est rarement exprimé en pareille circonstance, et le verbe ἄρχειν est d’un emp (...)

35Il ne fait, pour commencer, aucun doute que Kallippos appartenait à l’ancienne classe dirigeante d’Argos : outre la connotation aristocratique des noms portés dans sa famille, il se présente lui‑même comme un ἀρχός. Qualifiant chez Homère les rois ou les chefs de guerre97, ἀρχός n’apparaît que rarement chez les auteurs classiques et presque jamais en prose, mais il est bien attesté dans les inscriptions, où il désigne chaque fois, dans des contextes variés, le dépositaire d’une autorité : il peut s’agir d’un dynaste ou d’un magistrat, mais aussi, plus modestement, d’un chef de confrérie ou d’hétairie98. L’expression employée dans la supplique (ἀρχός καὶ ϝοικιᾶται), qui ressemble à une signature par sa position en dernière ligne, et dont les termes sont les seuls de l’inscription à être liés entre eux par la conjonction καί, semble désigner Kallippos comme un maître (ἀρχός) accompagné de ses esclaves (ϝοικιᾶται)99. Si l’on préfère y voir, à l’opposé, la référence à une magistrature argienne — dont nous n’aurions cependant aucune autre attestation — l’appartenance de Kallippos à l’ancienne classe dirigeante n’en devient que plus évidente.

  • 100 Aristote (Politiques, 1302b) cite Athènes et Argos comme exemples de cités pratiquant l’ostracisme, (...)
  • 101 Que les démocrates argiens aient, comme pour la réforme des tribus, emprunté cette loi à Athènes pa (...)

36Il est par conséquent des plus probables que le choix de ce dernier de s’exiler à Épidaure, terre d’asile des réfugiés tirynthiens, s’explique par son opposition au nouveau régime démocratique et à sa politique d’annexion forcée. Argos étant par ailleurs l’une des rares cités à avoir pratiqué de façon certaine l’ostracisme100, je verrais même volontiers en Kallippos l’une des premières victimes d’une loi que la jeune démocratie argienne venait sans doute d’emprunter à Athènes, afin d’éloigner les ennemis réels ou supposés du peuple101.

37Reste le problème soulevé par la mention des ϝοικιᾶται : qui étaient‑ils, et comment expliquer leur présence à Épidaure ? La traduction de ϝοικιᾶται — que j’ai provisoirement rendu par « serfs » — étant capitale pour la compréhension générale de l’inscription, il convient de se pencher plus en détail sur la signification de ce mot.

  • 102 Livadaras a sans doute raison de voir dans le doublon οἰκιήτης/οἰκέτης deux synonymes dérivés respe (...)
  • 103 Voir l’étude du sens de ce mot chez Lewis (2018, « Appendix. The Meaning of oiketes in Classical Gr (...)
  • 104 IG V, 2, 262.
  • 105 IG I2 3, 718.

38Ϝοικιᾶται est une variante dialectale de οἰκιήτης, lui‑même très proche, voire synonyme de οἰκέτης102, mot courant en prose classique pour désigner un esclave103. Attesté dans plusieurs inscriptions de Grèce centrale et du Péloponnèse, ϝοικιᾶται y désigne sans doute possible, pour au moins deux d’entre elles, des personnes de condition servile : le « jugement de Mantinée » stipule en effet que les « biens (χρήματα) et les ϝοικιᾶται » des coupables seront consacrés à la déesse104, et dans la célèbre inscription locrienne réglant la fondation d’une colonie à Naupacte, les sanctions prévues contre un magistrat défaillant sont la privation des droits civiques et la confiscation des biens (χρήματα) et du « lot de terre (μέρος) avec ses ϝοικιᾶται105 ».

  • 106 « Σοταίροι το͂ι Κορινθίοι κἀυτο͂i καὶ γένει καὶ ϝοικιάταις καὶ χρέμασιν ἀσυλίαν κἀτέλειαν κεὐϝ (...)
  • 107 « Λυκίδαι καὶ ἀδελφεῶι ᾿Οποντίοις καὶ οἰκιάταις ἔδωκαμ Φεραῖοι προξενίαν, ἀσυλ[ί]αν, ἀτέλειαν » (...)
  • 108 « Προξ[ενίαν καὶ]ἀτέλειαν καὶ ἀσυλί[αν καὶ ἐπιν]ομίαν καὶ πολέμοιο [καὶ ἱράνης κ]αὶ αὐτο[ῖς κα]ὶ (...)

39Le mot apparaît encore dans trois autres inscriptions de Thessalie, et il s’agit chaque fois de décrets honorifiques. Un décret de Thétonion octroie « au Corinthien Sotairos, à lui‑même, à sa famille, à ses ϝοικιᾶται et à ses biens, l’asylie, l’atélie, et le titre d’évergète106 », et deux décrets de Phères octroient, pour l’un, « à Lykidès et à son frère, [Locriens] d’Oponte, et à leurs ϝοικιᾶται, proxénie, asylie et atélie107 », et pour l’autre, « la proxénie, l’atélie, l’asylie, l’épinomie, en temps de paix comme en temps de guerre, à eux‑mêmes et à leurs ϝοικιᾶται » à des étrangers, dont l’un au moins est un Thébain de Phthiotide108.

  • 109 Livadaras (1988, 262).

40Le titre d’évergète ou de proxène convenant mal à des personnes de condition servile, Livadaras voyait dans ces décrets honorifiques la preuve que ϝοικιᾶται pourrait parfois signifier, comme son synonyme οἰκέται, non pas « serfs » ou « esclaves », mais « membres de l’οἰκία », et il en concluait que les ϝοικιᾶται de Kallippos étaient peut‑être tout simplement des personnes de sa famille l’ayant accompagné dans son exil109.

  • 110 Béquignon (1964).
  • 111 Cf. Pollux, Onomasticon, III, 82 : « les poètes, il est vrai, appellent également οἰκέται les autre (...)
  • 112 Lewis (2018, 300‑305). Contra : Descat (2004, 368‑370), dont l’hypothèse a été reprise et développé (...)
  • 113 Dans la série des décrets honorifiques de Phères, les privilèges sont souvent accordés à un étrange (...)

41L’argument est en réalité très fragile. Les deux décrets de Phères appartiennent en effet à une série répétitive d’inscriptions honorifiques provenant toutes de la même cité, qui octroient proxénie et asylie à des étrangers, à leur famille ou à leurs ϝοικιᾶται, ainsi qu’à leurs χρήματα110. Le titre même de proxène ne saurait être octroyé à l’ensemble des destinataires du décret : quel sens y aurait‑il à déclarer « proxènes » des χρήματα ? Il est par conséquent réservé aux personnages en tête de liste, les autres destinataires (membres de la famille, ϝοικιᾶται et biens matériels) bénéficiant quant à eux de l’asylie et de l’atélie, et il en va certainement de même dans le décret de Thétonion, où le titre d’évergète décerné à Soitairos ne concerne ni ses ϝοικιᾶται ni, bien évidemment, ses χρήματα. Quant à la comparaison avec οἰκέτης, s’il est vrai que ce mot peut parfois désigner l’ensemble des membres d’une maisonnée, y compris des personnes libres, il s’agit d’un emploi métaphorique et poétique111 qui n’est, semble‑t‑il, guère attesté en prose classique112, et dans le décret de Thétonion, les ϝοικιᾶται de Sotairos sont explicitement distingués de sa famille (γένος) : ce sont donc nécessairement des esclaves ou des serfs, ce que confirme leur avant‑dernière position dans la liste des bénéficiaires, juste avant les χρήματα113.

42Puisque ϝοικιᾶται désigne sans doute possible des personnes de condition servile dans trois inscriptions contemporaines — la loi de Naupacte (ca 460), le jugement de Mantinée (ca 460) et le décret de Thétonion (ca 450) — et que c’est également le sens habituel de son doublon littéraire οἰκέται, il me paraît raisonnable d’en conclure que dans la supplique d’Épidaure, le mot désigne de la même façon les serfs ou les esclaves de Kallippos.

  • 114 Les οἰκέται qui épousèrent, selon Polybe (Histoires, XII, 6) des Locriennes lors de la fondation de (...)
  • 115 Que les serfs argiens aient porté des noms variés (ϝοικιᾶται ou gymnètes) n’a rien d’étonnant, comm (...)

43Serfs ou esclaves ? Les hilotes de Sparte et les pénestes de Thessalie sont souvent qualifiés d’οἰκέται par les historiens grecs, et dans la loi coloniale de Naupacte, les ϝοικιᾶται des Locriens, qui peuvent être confisqués à leur maître en même temps que la terre de ce dernier (μέρος), sont visiblement des serfs114, à l’instar de leurs homologues gortyniens au nom apparenté (ϝοικεῖς). Aussi, sans que l’on puisse exclure qu’il s’agisse d’esclaves, les ϝοικιᾶται de Kallippos étaient sans doute, comme Lambrinoudakis en eut le premier l’intuition, des serfs argiens accompagnant leur maître (ἀρχός) dans son exil115.

  • 116 De nombreux propriétaires d’esclaves firent de même aux Antilles et aux États‑Unis, refusant la lib (...)

44C’est justement la présence de ces ϝοικιᾶται aux côtés de leur maître qui avait conduit Lambrinoudakis à supposer que Kallippos aurait généreusement épousé la cause de la rébellion servile, mais nous avons vu que la chronologie des événements argiens contredit cette hypothèse. En outre, si Kallippos avait été favorable à l’émancipation des serfs, pourquoi aurait‑il pris soin de rappeler leur condition de ϝοικιᾶται ? Pourquoi aussi les désigner collectivement, sans même mentionner leurs noms, comme s’il s’agissait d’esclaves ou de têtes de bétail ? Pourquoi enfin rappeler qu’il en était toujours le maître ? En réalité, si Kallippos continue à appeler ses compagnons d’exil des ϝοικιᾶται, c’est qu’il les considère toujours comme tels. Il se pourrait même que dans une démarche symétrique des actes delphiques d’affranchissement, il ait voulu prendre à témoin le dieu Apollon que ces hommes continuaient de lui appartenir116.

5. Conclusion

45Reconnaissons, à l’heure de conclure, que cette étude fait la part belle aux hypothèses, mais peut‑il en être autrement lorsqu’il s’agit d’interroger l’histoire argienne au lendemain de Sépéia ?

46Je me suis efforcé de montrer que l’inscription de Kallippos, dont le contenu riche et intrigant lui a valu, il y a trente ans, l’honneur de figurer dans le recueil de Nomima, est susceptible de jeter un peu de lumière sur ce moment capital de l’histoire argienne.

  • 117 Aristote, Politiques, III, 2, 3, 1275b, et Constitution des Athéniens, XXI, 4.
  • 118 L’époque fut fertile en soulèvements serviles et en révoltes populaires, qui prouvèrent que des all (...)

47Notable argien fier de ses origines et de son statut social, Kallippos demanda l’asile à Épidaure vers 460 avant J.‑C., et l’explication la plus vraisemblable à son exil me paraît être l’avènement de la démocratie dans sa propre cité. Peut‑être frappé d’ostracisme, Kallippos prit le chemin de l’exil en se faisant accompagner de ses propres ϝοικιᾶται. La présence de ces serfs argiens — si c’est bien ici le sens du mot ϝοικιᾶται — auprès de leur maître soulève cependant une question de taille : quand le servage disparut‑il de la cité d’Argos ? Aucun récit antique ne nous est parvenu à ce sujet, Hérodote ne précisant pas le sort des δοῦλοι argiens après leur ultime défaite face à leurs anciens maîtres. Nous savons cependant que la jeune démocratie prit la décision d’agrandir le corps civique en naturalisant un grand nombre de Tirynthiens et en portant sans doute à quatre le nombre de ses tribus. Pour les anciens serfs, dont certains étaient peut‑être restés à Tirynthe, le moment était assurément propice pour tenter de se fondre dans la masse des nouveaux citoyens. Aristote rapporte que Clisthène avait naturalisé un grand nombre d’étrangers et d’esclaves (δοῦλοι) dans ses dix nouvelles tribus, faisant d’eux des νεοπολίται117. Puisque les démocrates argiens paraissent s’être inspirés du modèle athénien pour leur propre réforme des tribus, ils firent peut‑être de même en naturalisant certains de leurs anciens serfs, surtout si ces derniers avaient eux‑mêmes contribué au renversement de l’oligarchie, et en libérant tous les autres118.

48Ainsi s’expliquerait le silence presque absolu de nos sources sur les gymnètes : à peine entrés dans l’histoire par le récit d’Hérodote, les serfs d’Argos auraient rapidement disparu en tant que tels, du fait de leur émancipation et de leur absorption partielle dans le nouveau corps civique argien. La chance qu’eut peut‑être Lambrinoudakis de retrouver la trace des derniers de ces ϝοικιᾶται, accompagnant de gré ou de force leur maître dans son exil à Épidaure, n’en serait que plus extraordinaire.

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Annexe

Appendice 1. – La datation de la bataille de Sépéia

Nous disposons, pour dater la bataille de Sépéia, de deux sources en apparence contradictoires.

Hérodote rapporte au livre VI de ses Histoires le célèbre oracle adressé en commun aux Argiens et aux Milésiens, qui prédisait à la fois la défaite de Sépéia et la prise de Milet, et comme il est fait mention de cet oracle à l’occasion des événements de 494 avant J.‑C., la plupart des historiens datent la bataille de Sépéia de cette même année119. Cette interprétation est cependant contredite par l’affirmation de Pausanias — qui devait s’appuyer sur une source aujourd’hui perdue — selon laquelle l’expédition contre Argos fut conduite par Cléomène « dès son accession au trône » (ὡς ἐβασίλευσεν αὐτίκα), soit peu après 520 avant J.‑C., en tout cas avant celle qu’il mena contre les Pisistratides d’Athènes en 510120. Si l’on accepte le terminus ante quem de 481 pour la fin de la guerre servile, la date de Pausanias semble préférable pour Sépéia : il paraît en effet difficile de faire tenir l’ensemble de la séquence argienne, depuis cette bataille jusqu’à l’écrasement des serfs, en moins de quinze ans121.

Le père de l’histoire se serait‑il alors trompé dans sa chronologie des événements argiens ? Indépendamment du fait que les synchronismes en la matière paraissent toujours suspects et qu’il s’agissait peut‑être d’une prédiction post eventum122, Hérodote n’a en réalité jamais écrit que la bataille de Sépéia était contemporaine de la prise de Milet. Après avoir décrit la sanglante prise de Milet par les Perses, il évoque pour la première fois le mystérieux oracle commun en ces termes :

[Les Perses] réduisirent la cité en esclavage, de sorte que son malheur accomplit l’oracle rendu au sujet de Milet. Lorsque les Argiens étaient allés consulter à Delphes sur le salut de leur propre cité, un oracle commun leur avait été rendu, qui concernait bien les Argiens eux‑mêmes, mais dont une addition s’adressait aux Milésiens123.

Ce sont les Argiens et non les Milésiens qui consultent le dieu Apollon — très certainement sur la guerre à venir contre Cléomène — et de même que deux jumeaux ne mourront pas nécessairement le même jour, Hérodote ne prétend pas que Milet et Argos vont connaître simultanément la ruine124. Lorsqu’il évoque pour la seconde fois la prédiction delphique au moment de raconter l’expédition de Cléomène, il ne donne là non plus aucune indication temporelle125 — pas plus qu’il n’en donne concernant la guerre elle‑même.

On a aussi voulu voir dans deux phrases prêtées aux Argiens lors des pourparlers de 480 la preuve indirecte qu’Hérodote situait la bataille de Sépéia en 494 avant J.‑C. L’une d’elles concerne l’exigence d’une paix de trente ans avec Sparte afin de « laisser aux enfants [argiens] le temps de grandir126 ». Cela ne prouve évidemment pas qu’Argos était dépourvue d’armée en 480 : pourquoi, sinon, lui demander une aide militaire ? Les enfants dont on attendait qu’ils grandissent étaient moins les fils des hommes tombés à Sépéia, que leurs petits‑fils : comme le précisent en effet les Argiens, si les Spartiates venaient à leur infliger une défaite aussi meurtrière que la précédente, il n’y aurait, à nouveau, plus personne pour défendre Argos. Les Argiens exigent donc un délai qui laisserait le temps de grandir à une armée de réserve, car ils n’ont pour l’instant, en raison du vide démographique créé par Sépéia, qu’une seule génération de jeunes combattants. Qu’ils se permettent, en outre, de traiter Sparte en ennemie après son refus de signer leur proposition de paix127 prouve qu’un nombre suffisant d’années s’était déjà écoulé depuis Sépéia pour reconstituer, au moins en partie, leur armée.

Quant à l’autre phrase (« récemment (νεωστί), six mille des [Argiens] avaient été tués par les Lacédémoniens conduits par Cléomène128 »), elle ne prouve rien, elle non plus : Hérodote utilise en effet le même adverbe (νεωστί) pour situer dans un passé « récent » l’introduction en Grèce du culte de Dionysos par le mythique devin Mélampous129.

Rien n’interdit par conséquent de situer, comme le fait Pausanias, la bataille de Sépéia vers le début du règne de Cléomène.

Appendice 2. – La datation de la destruction de Tirynthe

Selon une tradition transmise par Strabon et Pausanias, Argos aurait détruit et annexé dès le haut archaïsme les cités voisines d’Asiné et de Nauplie130, et selon Hérodote, elle aurait également possédé, du temps de Crésus, de vastes territoires sur la côte orientale du Péloponnèse, dont elle aurait réduit les habitants à la condition de dépendants131. Par analogie avec l’hilotisme spartiate, on peut supposer qu’une partie au moins des gymnètes étaient les descendants de ces populations vaincues, comme semble le confirmer une remarque d’Hérodote concernant la soumission des Kynouriens vis-à-vis d’Argos132.

Il en va différemment pour Mycènes et Tirynthe. Concernant Tirynthe, les sources sont rares et difficiles à interpréter. Un décret de Tirynthe daté ca 600 avant J.‑C.133 fait référence à une décision du peuple et à une réunion de l’assemblée, ce qui démontre que la cité possédait alors ses propres institutions, mais rien ne prouve que cette indépendance ait perduré sans interruption jusqu’à l’époque des guerres médiques. Une partie de l’historiographie moderne considère que Tirynthe était déjà devenue une possession argienne au moment de la bataille de Sépéia, l’hypothèse reposant essentiellement sur une remarque d’Hérodote concernant l’arrivée de Cléomène et de son armée en Argolide : que ce dernier ait pu débarquer ses troupes dans la chôra de Tirynthe et de Nauplie sans susciter de réaction de leur part (Histoires, VI, 76) serait la preuve que les deux cités appartenaient dès cette époque à Argos134. L’argument est facile à retourner : si Tirynthe et Nauplie faisaient alors partie du territoire argien, pourquoi leurs habitants auraient‑ils laissé les troupes spartiates s’avancer jusque « près de Tirynthe » sans opposer la moindre résistance ? Hérodote précise d’ailleurs qu’en apprenant que Cléomène avait débarqué sur le territoire de Tirynthe et Nauplie, les Argiens « se portèrent à la rescousse » de celles‑ci (ἐβοήθεον) comme s’il s’agissait de cités alliées135. Quoi qu’il soit, et quand bien même Tirynthe aurait été soumise à Argos du temps de Sépéia, elle avait de toute évidence retrouvé son indépendance au moment de la seconde guerre médique136.

On a parfois compliqué inutilement les choses en supposant que la participation des Tirynthiens à la bataille de Platées aurait été l’œuvre des δοῦλοι rebelles, la destruction de Tirynthe étant supposée, dans ce scénario, s’être produite au moment de la victoire des Argiens sur leurs esclaves137. Outre l’impossibilité chronologique à laquelle se heurte un tel scénario, la rébellion servile étant déjà terminée au moment de Platées (voir supra), est‑il vraisemblable que des serfs en fuite, provisoirement installés dans une ville enlevée à ses habitants, aient pris le risque d’envoyer leurs soldats combattre loin de leurs bases une immense armée étrangère ? Et même dans cette hypothèse, Hérodote aurait‑il qualifié de « Tirynthiens » sans plus de précision, dans sa longue liste des contingents envoyés à Platées par les cités grecques, les esclaves fugitifs dont il avait précédemment raconté l’histoire tragique, si ces derniers s’apprêtaient alors à combattre héroïquement pour la liberté des Grecs ? Quant à l’idée selon laquelle Tirynthe aurait été détruite par les Argiens au moment de leur victoire sur les serfs qui s’y étaient réfugiés, elle repose sur une lecture erronée, ou à tout le moins forcée, d’Hérodote, celui‑ci se contentant d’écrire que la victoire fut difficile, sans préciser ce qu’il advint de la ville de Tirynthe et de ses anciens habitants138.

Toutes ces contradictions s’évanouissent dès lors qu’on admet avec Pausanias que la prise et la destruction de Tirynthe précéda de peu celle de Mycènes après les guerres médiques.

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Notes

1 Nomima, II, 102‑103.

2 Sauf mention contraire, toutes les traductions proposées ici sont personnelles. Nous reviendrons bien sûr en détail sur le sens de ϝοικιᾶται (traduits ici par « serfs ») dans l’inscription.

3 Lambrinoudakis (1990, 174‑175). Je remercie Clarisse Prêtre de m’avoir confirmé que l’alphabet utilisé est typique des inscriptions argiennes datant des années 460 avant J.‑C. (communication orale au XVIe congrès international d’épigraphie grecque et latine de Bordeaux, septembre 2022).

4 Hérodote, Histoires, VI, 83.

5 Pausanias, Périégèse, V, 23, 3 ; Strabon, Géographie, VIII, 6, 11.

6 Il faut suppléer le deuxième π de Kallippos, qui fait défaut dans l’inscription.

7 Ruzé et Van Effenterre estimaient que les anciens serfs de Kallippos, désormais libres, auraient suivi de leur plein gré leur maître dans son exil plutôt que l’inverse, mais l’idée fondamentale reste la même : les suppliants d’Apollon Maléatas seraient des exilés fuyant la restauration de l’ordre à Argos après la capitulation de Tirynthe (Nomima, II, 103). L’hypothèse de Lambrinoudakis est également acceptée par Van Wees (2003, 42‑43). Elle avait été rejetée par Livadaras (1988) : sur les arguments de ce dernier, voir infra.

8 Y compris chez les plus grands savants : Beloch (1914, II, 1, 14). Le jugement le plus sévère se trouve sans doute chez S. Luria, qui considérait que tout le récit d’Hérodote n’était qu’un enchaînement de « poncifs » (Schablone) purement fantaisistes (Luria, 1933, 214‑220). Son historicité a cependant été acceptée, entre autres, de G. Busolt (1893, 564), J. Wells (1922), R. F. Willets (1959) et D. Lotze (1959).

9 Vidal-Naquet (1981, 270).

10 Son récit nous est connu par la longue paraphrase de Plutarque (Moralia, 245c‑f), où il est le seul auteur cité. Nous ne savons malheureusement rien, ou presque, de lui — pas même l’époque à laquelle il a pu vivre (Diogène Laërce, Vie de Socrate, 47).

11 « Pour remédier au manque d’hommes, ce n’est pas, comme le raconte Hérodote, aux δοῦλοι, mais aux meilleurs des périèques (περίοικοι) que [les Argiens] donnèrent le droit de cité et les femmes en mariage » (Socrate d’Argos apud Plutarque, Moralia, 245f). Nous reviendrons plus loin sur la question des mariages.

12 Plutarque, Moralia, 245c‑245f. Pausanias se fait l’écho de la même tradition (Périégèse, II, 20).

13 Déjà en ce sens : How & Wells (1912, 94‑95) ; voir aussi Crahay (1956, 173), Piérart (2009), Pirenne-Delforge (2013, 146), et tout récemment Chabod (2022).

14 À la différence, par exemple, de l’anglais unfree ou de l’allemand Unfrei.

15 Ou chattel slave en anglais.

16 Les historiens de l’antiquité rechignent souvent à parler de servage en Grèce ancienne, au motif que le mot présenterait des connotations médiévales trop marquées. Cette réticence ne me semble pas nécessairement justifiée dans la mesure où le servage est une notion relativement souple et « passe-partout », forgée par l’historiographie moderne afin de rassembler sous une même appellation les statuts multiples et variés, dans l’Europe médiévale, des paysans privés de liberté qui n’étaient pas pour autant des esclaves (Barthélémy, 1992). Il s’agit par conséquent d’un terme plus descriptif que juridique, qui par son étymologie (servus) et par la condition sociale à laquelle il renvoie, me paraît assez bien correspondre à ce que nous connaissons, par exemple, des hilotes ou des pénestes.

17 La bibliographie est immense sur le sujet ; parmi les études les plus exhaustives, citons celles de D. Lotze (1959) et plus récemment de H. van Wees (Van Wees, 2003). L’existence du servage en Grèce ancienne a été récemment remise en cause de façon radicale par S. Link, N. Luraghi et D. Lewis. Reprenant et développant une théorie proposée par Jean Ducat à propos des hilotes et des pénestes (Ducat, 1990, 1994), ces auteurs défendent l’idée selon laquelle les cités grecques n’auraient connu que des formes diverses et variées d’esclavage, le prétendu servage (serfdom) des paysans de Laconie, de Crète et de Thessalie n’étant, dans cette hypothèse, qu’une reconstruction imaginaire inventée par les modernes à partir d’une lecture biaisée des sources littéraires et épigraphiques (Link, 2001 ; Luraghi, 2002, 2003, 2009 ; Lewis, 2023, 2024). Le débat, très complexe, déborde le cadre imparti à la présente étude, et je me contenterai ici de préciser que si j’utilise le terme de « serfs » à propos des hilotes, des pénestes ou d’autres communautés du même type en Grèce, c’est parce que je n’en connais pas de plus satisfaisant en français pour désigner la condition de ces paysans asservis, vivant séparément de leurs maîtres dans leurs propres hameaux et villages, et se reproduisant de génération en génération sur une terre qu’ils avaient l’obligation de travailler, sans que leurs maîtres ne puissent cependant, en retour, les vendre à l’étranger. Toutefois, l’emploi du mot « serfs » n’oblige aucunement à prendre pour argent comptant la théorie développée par les Anciens eux‑mêmes quant aux origines du servage hellénique, théorie que Luraghi et Lewis jugent inventée de toutes pièces — à savoir la conquête et la soumission par les armes, à très haute époque, de populations locales par des conquérants venus d’ailleurs (voir infra note 27).

18 Dans le code de Gortyne, il est souvent malaisé de savoir si le mot dôlos y désigne un serf (woikeus), un esclave, ou bien encore les deux à la fois (Willetts, 1965, 97 ; Lévy, 1997), et D. Lewis vient de démontrer de façon, me semble‑t‑il, très convaincante que les termes y sont employés comme des synonymes dans la législation sur le viol et l’adultère (Lewis, 2023). Si Lewis y voit la preuve que le servage n’existait pas à Gortyne, j’y verrais plutôt le signe que les habitants de cette cité ne faisaient guère la différence entre ce que nous appelons, par commodité et de manière quelque peu artificielle, des serfs et des esclaves.

19 Van Compernolle (1975, 358‑360), avec la liste de toutes les occurrences dε δοῦλος et de ses composés chez Hérodote.

20 Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, V, 23.

21 Pollux, Onomasticon, III, 83. Sur cette liste, loin d’être exhaustive, voir notamment Lotze (1959) et Van Wees (2003). Lewis a raison de rappeler que la description de Pollux (« à mi‑chemin entre les libres et les esclaves ») est contredite par les auteurs classiques, qui font clairement de ces paysans des δοῦλοι (Lewis, 2024, 162‑164), c’est-à-dire des personnes privées de liberté. L’absence de liberté n’a en revanche, répétons‑le, rien d’incompatible avec le statut de serfs, puisque des serfs sont précisément des paysans asservis. Le jugement de Pollux, erroné ou à tout le moins exagéré sur un plan juridique, s’explique probablement par les droits supérieurs dont jouissaient au quotidien, et à l’inverse des simples esclaves-marchandises, ces communautés de paysans asservis : droit de se marier et de fonder une famille, droit au gîte et au couvert pour soi‑même et ses enfants, droit de vivre dans son propre village sans risque d’être vendu à l’étranger, etc. Enfin, le droit d’épouser une femme libre, impensable dans le cas d’un esclave-marchandise, mais parfaitement attesté pour les dôloi/woikeis de Gortyne et possiblement ailleurs (voir infra), a pu contribuer à faire de ces serfs, dans l’esprit de Pollux, des « semi-libres ».

22 Hérodote appelle les indigènes kyllyriens, collectivement asservis par Syracuse, les δοῦλοι de la cité (Histoires, VII, 155).

23 Politiques, 1303a. Il s’agit très probablement de la guerre du Péloponnèse : voir note 13, page 158 de l’édition des Politiques par Jean Aubonnet (Aristote, Politique, Paris, Les Belles Lettres, 1973).

24 L’expression désigne la bataille de Sépéia, qui se serait déroulée le septième jour du quatrième mois argien (Plutarque, Moralia, 245e).

25 Voir l’édition de Newman (W. L. Newman, The Politics of Aristotle, Oxford, Clarendon Press, 1887, vol. 4, p. 304) et Willetts (1959, 496). Aristote appelle περίοικοι les serfs crétois, qu’il assimile aux hilotes de Sparte et aux pénestes de Thessalie (Politiques, 1269b et 1272a). Ces περίοικοι crétois vivent selon leurs propres lois (1271b) et versent à leurs maîtres une partie de leurs récoltes (1272a) sans jamais se révolter, contrairement aux hilotes (1272b). Περίοικοι désigne ailleurs des serfs barbares travaillant la terre de leurs maîtres grecs (1329a) ou plus vaguement des hommes de condition servile (1330a). La seule exception possible, à vrai dire peu convaincante, serait à chercher dans une réflexion du philosophe concernant Héraclée du Pont (Politiques, 1327b ; sur les controverses infinies qu’elle a suscitées, voir Baralis, 2015, 216). Une grande flotte de guerre, explique Aristote, ne requiert pas nécessairement un grand nombre de citoyens : il est même préférable d’employer comme rameurs des non‑citoyens, et dans les cités qui possèdent « une foule de περίοικοι et de paysans cultivant la chôra », on pourra facilement équiper une abondante flotte de guerre, comme c’est le cas de la petite cité d’Héraclée, qui possède peu de citoyens mais un grand nombre de trières. Aristote y fait à l’évidence allusion aux Mariandyniens d’Héraclée du Pont, mais rien ne permet d’en déduire (pace Avram, 1984, 22‑23) qu’il aurait existé dans cette cité, outre les Mariandyniens — qui seraient les « paysans cultivant la chôra » — une autre population « périèque » de type lacédémonien : il peut tout aussi bien s’agir d’une simple glose rappelant la fonction habituelle des périèques, au sens normal du mot chez Aristote, à savoir travailler la terre pour le compte des citoyens.

26 Il n’est bien sûr pas exclu que la critique d’Hérodote par Socrate d’Argos soit en partie fondée sur une lecture erronée de ce passage des Politiques.

27 La question rejoint plus largement celle des origines du servage en Grèce, qui déborde le cadre de notre étude : voir Van Wees, déjà cité en note 17. Un passage corrompu d’Hérodote (Histoires, VIII, 73) semble faire des Kynouriens, habitant les contreforts du Parnon au sud d’Argos, une population autochtone vaincue, asservie et dorianisée par les Argiens (voir infra note 132).

28 Hésychius, Lexicon, s. γυμνῆτες. Souvent méprisées, les armes légères étaient typiquement celles des pauvres, voire des esclaves : Brélaz & Ducrey (2003).

29 Le surnom de gymnètes convenait donc parfaitement à des serfs (Seymour, 1922, 26), et Welwei avait tort d’en tirer argument pour nier la condition servile des gymnètes argiens sous le prétexte qu’un rôle militaire leur était reconnu (Welwei, 1977, 13).

30 Même si Hérodote a pu exagérer l’ampleur du massacre en évoquant le chiffre de 6 000 morts (Frullini, 2021, 113), les pertes humaines furent suffisamment lourdes pour excuser, à la génération suivante, le refus argien de participer à la lutte contre les Perses (voir infra).

31 Frullini (2021, 113).

32 Au premier rang desquels les vétérans.

33 En 406 avant J.‑C., « les Athéniens décidèrent d’envoyer en renfort [aux Arginuses] cent‑dix navires, en embarquant tous les hommes en âge de combattre, les libres comme les esclaves » (Xénophon, Helléniques, I, 24), et en 338 après le désastre de Chéronée, ils promirent de nouveau la liberté aux esclaves qui prendraient les armes à leurs côtés, avant de revenir un an plus tard sur cette décision (Garlan, 1972, 172‑173). À Chios, une inscription de la fin du ve siècle avant J.‑C. paraît recenser des esclaves enrôlés comme soldats par la cité (Robert, 1935, 453‑459).

34 « Les autorités décidèrent de faire proclamer aux hilotes qu’ils avaient leur parole que quiconque parmi eux voudrait prendre les armes et se ranger en ordre de bataille, recevrait la liberté en échange de son concours militaire. Et l’on rapporte qu’aussitôt plus de six mille se firent enregistrer. » (Xénophon, Helléniques, VI, 5, 28)

35 Pausanias, Périégèse, II, 20. Il n’est pas exclu que des femmes — voire Télésilla en personne — aient également participé à la lutte (Tomlinson, 1972, 94) : c’est moins leur participation que l’absence des gymnètes qui me paraît suspecte.

36 Je rejoins ici les analyses de V. Pirenne-Delforge (Pirenne-Delforge, 2013, 145‑146).

37 Hérodote, Histoires, VI, 82. C’est sans doute aussi par crainte de devoir mener un siège long et difficile, en raison de la résistance acharnée des Athéniens prêts à enrôler leurs propres esclaves dans la lutte, que Philippe II se retira avec son armée après sa victoire à Chéronée.

38 Je me limite ici aux exemples d’unions ou de mariages collectifs librement décidés par une cité, sans contrainte politique ou intervention extérieure. Pour une étude des mariages collectifs imposés par des tyrans, voir Asheri (1977).

39 En l’absence de leurs maris occupés à guerroyer sans fin contre les Messéniens, les femmes spartiates s’unissent, selon les auteurs, tantôt à de jeunes Spartiates, tantôt aux hilotes (Pembroke & Leroy, 1970).

40 Polybe, Histoires, XII, 5‑8. On voit mal pour quelle raison les Locriens se seraient inventé une telle origine servile.

41 « Code de Gortyne », VI, 56 à VII, 2. Chez les Lyciens également, les enfants nés d’un mariage entre une femme libre et un δοῦλος étaient considérés comme libres (Hérodote, Histoires, I, 173).

42 Est‑ce un hasard si Tarente, Locres, Gortyne et Argos sont toutes des cités de dialecte dorien ou apparenté ? Les Grecs semblaient considérer que les femmes jouissaient d’une plus grande liberté sexuelle en pays dorien — l’exemple le plus célèbre étant celui de la polyandrie spartiate.

43 A fortiori s’il s’agissait de leurs propres serfs, déjà installés sur le domaine familial. À noter que le code de Gortyne prévoit qu’en l’absence d’héritier, la terre reviendra aux serfs du domaine (« Code de Gortyne », V, 22‑25 ; contra, Lévy, 1997, 37).

44 Diodore, Bibliothèque historique, X, fragment 57 dans l’édition des Belles Lettres (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique. Fragments, livres VI‑X, Paris, Les Belles Lettres, 2012).

45 De Sanctis (1966, 49). Contra : Aude Cohen-Skalli, dans l’édition des Belles Lettres citée note précédente, page 399, note 108.

46 Les exemples de solidarités politiques « contre nature » où maîtres et esclaves, seigneurs et paysans, etc., font cause commune face à un danger commun, sont nombreux dans l’histoire des sociétés humaines. La révolte des Vendéens (1793‑1796) en est l’une des manifestations les plus tragiques.

47 Raison pour laquelle on a reproché à Plutarque de corriger à tort Hérodote (« ce n’est pas aux esclaves, comme le rapporte Hérodote, mais aux plus nobles des périèques qu’ils donnèrent les femmes en mariage… »), puisque ce dernier n’en parle même pas. Il me semble plutôt que dans une tournure de phrase elliptique, le moraliste critique l’emploi du mot « esclaves » tout en continuant de paraphraser Socrate. La question demeure cependant de savoir pourquoi Hérodote reste muet sur ces mariages. S’agit‑il d’un événement ajouté postérieurement dans le discours patriotique argien ? C’est peu probable, étant donné que Plutarque paraît considérer ces mariages comme une évidence, et Socrate lui‑même ne remettait pas en cause leur existence : c’est l’origine servile des nouveaux citoyens qu’il entendait réfuter. Le récit d’Hérodote est en réalité si bref qu’il pourrait s’agir d’une simple omission, la prise du pouvoir politique par les δοῦλοι constituant à ses yeux le phénomène majeur du servile interregnum argien.

48 N’en déplaise à W. G. Forrest (« Les gymnètes, mêmes les meilleurs d’entre eux, ne sont pas de l’étoffe dont on fait les gouvernements » : Forrest, 1960, 223).

49 Parmi les plus célèbres de ces révoltes, citons celles de Spartacus, des Zanj, des Mocambos, et des esclaves d’Haïti (Vidal, 2021).

50 Je rejoins sur ce point les conclusions de Asheri (1977). Sur le problème des institutions politiques d’Argos, voir infra.

51 Sur les conseils du devin Cléandros, mystérieusement venu d’Arcadie. La figure du devin mal inspiré est évidemment suspecte — bien que les Arcadiens aient pu insidieusement chercher à déstabiliser leurs voisins en jetant de l’huile sur le feu — et il me paraît plus simple de supposer que les serfs finirent par être chassés de leur refuge par les Tirynthiens eux‑mêmes.

52 En limitant son récit à quelques lignes, Hérodote donne inévitablement l’impression de le caricaturer. On peut penser que dans les faits, tous ceux des serfs qui avaient été mariés à des Argiennes ne furent pas nécessairement contraints à l’exil, et qu’inversement, tous les orphelins de Sépéia ne prirent pas les armes contre eux : il dut y avoir des exceptions de part et d’autre, et ces exceptions ont pu contribuer à déstabiliser un peu plus la société argienne, avec pour conséquence, à plus long terme, la chute du régime oligarchique (sur l’avènement de la démocratie argienne vers 470‑460 avant J.‑C., voir infra).

53 Voir « Appendice 1 : la datation de la bataille de Sépéia ».

54 Cette guerre, présentée par Hérodote comme plus ou moins contemporaine de la bataille de Marathon, est en tout cas antérieure à la mort de Darius en 486 avant J.‑C. (Histoires, VI, 92‑94).

55 À moins, bien sûr, de supposer que l’anéantissement des hoplites à Sépéia fut moins complet que ne le laisse entendre Hérodote (Frullini, 2021, 113). Quoi qu’il en soit, le départ de ces mille volontaires atteste qu’Argos disposait à nouveau, vers 490 avant J.‑C., d’une classe hoplitique digne de son rang.

56 Histoires, VI, 92.

57 Les Sicyoniens acceptèrent de payer 100 talents.

58 Busolt (1893, 564 et suiv.).

59 Histoires, VII, 148‑149. Sur ces enfants dont on attendait qu’ils grandissent, voir « Appendice 1 : la datation de la bataille de Sépéia ».

60 Les autres Grecs auraient‑ils d’ailleurs demandé son aide militaire à une cité alors plongée dans une guerre « longue et difficile » ? On pourrait à la rigueur supposer qu’au moment des pourparlers de 480, Argos se trouvait dans la phase de statu quo qui précéda la guerre contre les serfs. Est‑il cependant vraisemblable que les Argiens n’aient pas, dans ce cas, opposé à la demande des Grecs la présence d’une armée rebelle à moins de dix kilomètres de leurs murs ? Il est, a fortiori, encore plus exclu que les δοῦλοι aient été au pouvoir au moment des pourparlers : Hérodote se serait‑il permis de désigner comme « la Boulè », sans plus de précision, les membres du Conseil argien qui exigeaient fièrement le commandement des troupes grecques à égalité avec Sparte, s’il s’agissait d’anciens serfs ?

61 Grâce à une remarque de Thucydide : « Les Mantinéens se tournèrent avec enthousiasme vers Argos, en qui ils voyaient une cité puissante et depuis toujours hostile aux Lacédémoniens, qui plus est de constitution démocratique comme la leur » (La Guerre du Péloponnèse, V, 29). La démocratie argienne est encore évoquée deux chapitres plus loin (ibid., V, 31).

62 Wörrle (1964, 102).

63 Crainte qui n’était pas sans fondement si l’on en juge par le nombre de bouleversements politiques et sociaux survenus dans le monde grec entre 510 et 480 avant J.‑C. : à Athènes en 507 ; à Égine et à Syracuse entre les deux guerres médiques ; à Tarente ca 480 ; etc.

64 Lambrinoudakis voyait précisément dans cette « contre-révolution » la cause de l’exil de Kallippos (Lambrinoudakis, 1990, 179).

65 Histoires, VII, 148‑149.

66 Attesté pour la première fois en 418 avant J.‑C. à la bataille de Mantinée (Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, V, 59‑60). Sur les prérogatives militaires des rois d’Argos et leur évolution au cours du temps, voir Carlier (1984, 382-384 et 395).

67 Que les discussions aient été menées par le Conseil (Boulè) sans en référer à l’assemblée du peuple ne prouve en revanche pas grand-chose, puisque le Conseil des Cinq-Cents détenait à la même époque des pouvoirs similaires à Athènes, comme l’atteste le fameux épisode au cours duquel un bouleute athénien fut lapidé par la foule pour avoir proposé de transmettre les propositions de paix de Mardonios à l’assemblée du peuple (Hérodote, Histoires, IX, 5).

68 Notamment depuis les travaux de Charalambos Kritzas et Marcel Piérart (Kritzas, 1992 ; Piérart, 2020).

69 Le chapitre des Politiques déjà cité concernant l’intégration des périèques argiens, dans lequel beaucoup voient une allusion directe à l’établissement de la démocratie argienne, me paraît en revanche trop ambigu pour servir d’argument. Certes, Aristote prend l’exemple argien pour illustrer les causes des « changements de régimes politiques » (μεταβολαὶ τῶν πολιτειῶν) dans une cité, mais on ne sait s’il fait référence ici à l’établissement de la démocratie après les guerres médiques, qui serait alors la conséquence à moyen terme de l’intégration des périèques (voir infra), ou bien à l’épisode du servile interregnum, qui en fut la conséquence immédiate. Il est d’autant plus difficile de le savoir que les deux autres exemples cités dans la même phrase — le renversement de l’oligarchie à Tarente après la guerre contre les Iapyges, et la radicalisation de la démocratie athénienne durant la guerre du Péloponnèse — sont eux‑mêmes assez hétéroclites.

70 Éphore, FrGrH 70 F15, cité par Étienne de Byzance.

71 IG IV, 517 = Nomima, I, 86 et sans doute aussi Polydipsion d’Argos, 235 = Nomima, I, 65 (le nom de la tribu n’apparaît pas dans l’inscription, mais Kritzas a montré qu’il s’agissait presque certainement de celle des Hyrnathioï : Kritzas, 1980). Ces deux inscriptions datent des années 460‑450 avant J.‑C.

72 Le mot est rare dans la littérature grecque de cette époque, et ce n’est évidemment pas un hasard si sa seule occurrence chez Aristophane (Assemblée des femmes, v. 81) se trouve dans un échange de répliques faisant clairement allusion à Argos (la peau du géant Argos au v. 80 répondant aux scytales du v. 78).

73 Suppliantes, v. 698‑700.

74 Suppliantes, v. 397‑398.

75 Découverte sur un papyrus d’Oxyrhynchos et publiée en 1952 : Pap. Ox. XX, no 2256, fr. 3.

76 D’autant plus qu’Eschyle fait quelques années plus tard une allusion encore plus explicite à un événement politique contemporain, la tragédie des Euménides s’achevant par l’évocation solennelle de la création du Conseil de l’Aréopage sous le haut patronage d’Athéna, trois ans après que les réformes d’Éphialte lui avaient retiré tous ses pouvoirs politiques (Euménides, v. 683 et suiv.).

77 Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, I, 102.

78 Sur les problèmes chronologiques que pose l’annexion de Tirynthe par Argos, voir « Appendice 2 : la datation de la destruction de Tirynthe ».

79 Hérodote, Histoires, VII, 202.

80 Histoires, IX, 28. L’inscription gravée sur le trépied de Platées, où apparaissaient le nom des Tirynthiens et des Mycéniens, confirme l’exactitude des informations fournies par Hérodote.

81 Pausanias, Périégèse, V, 23, 3. Strabon écrit aussi que les Argiens détruisirent Mycènes « après la bataille navale de Salamine » (Strabon, Géographie, VIII, 19). Sur les traditions littéraires relatives à la prise de Tirynthe et Mycènes par Argos, voir Moggi (1974, 1251-1253) ; contra : Clémence Weber-Pallez (2021), qui propose une relecture hypercritique de ces mêmes traditions.

82 Que Diodore semble dater par erreur de 468 (Bibliothèque historique, XI, 65). Les Argiens auraient profité du terrible séisme et de l’affaiblissement momentané de Sparte, alors aux prises avec la révolte des Messéniens, pour attaquer Mycènes.

83 Pausanias, Périégèse, II, 25, 8. Il ne s’agissait clairement pas d’un synécisme librement consenti (contra : Weber-Pallez, 2021, 348‑349), Pausanias employant le même verbe (ἀνίστημι, « déporter ») dans le passage déjà cité du livre V, où il assimile sans nuance la déportation des Tirynthiens à celle des Mycéniens : « Ἐγένοντο ὑπὸ Ἀργείων ἀνάστατοι » (Périégèse, V, 23, 3). Annexer un peuple voisin en lui imposant sa propre citoyenneté n’aurait rien de surprenant de la part d’une jeune démocratie : il suffit de penser à l’annexion des Pays‑Bas et de la Belgique par la France révolutionnaire.

84 À propos du Spartiate Anéristos, qui s’était rendu célèbre en capturant avec un simple navire marchand « des Haliéens de Tirynthe » peu avant le début de la guerre du Péloponnèse (Histoires, VII, 137). On a parfois voulu voir dans ces « Haliéens de Tirynthe » les esclaves rebelles fuyant après leur défaite contre les Argiens. Outre l’impossibilité chronologique à laquelle se heurterait pareille hypothèse (Anéristos ayant été exécuté par les Athéniens en 430 avant J.‑C., son exploit doit se situer vers le milieu du ve siècle), l’expression utilisée serait étonnamment trompeuse s’il s’agissait de désigner des δοῦλοι argiens, et non de vrais Tirynthiens (Kiechle, 1960, 198‑199). Hérodote avait d’ailleurs conclu au livre précédent le récit de leur rébellion par leur écrasement final, sans mentionner un nouvel exil — ni à Halieis, ni où que ce soit.

85 Strabon, Géographie, VIII, 6, 11. Le passage est moins corrompu qu’il n’en a l’air puisqu’il suffirait, pour le rendre intelligible, d’athétiser {τῆς ἐ} : « ceux de Tirynthe demandèrent asile, les uns à Épidaure, les autres à l’endroit appelé Halieis » (οἱ δ᾽ οἰκήτορες οἱ μὲν ἐκ Τίρυνθος ἀπῆλθον εἰς Ἐπίδαυρον, οἱ δὲ {τῆς ἐ} εἰς τοὺς Ἁλιεῖς καλουμένους).

86 Sur le site de l’antique Halieis, à l’extrémité de la presqu’île d’Argolide. L’arrivée de ces réfugiés semble avoir entraîné un nouveau développement urbain et portuaire du site (Jameson, 1974, 111).

87 Young (1963, 9), Jameson (1969, 313).

88 Aristote, Politiques, 1275b (voir Sève, 2014).

89 Comme cela se produisit du reste une seconde fois, quatre-vingts ans plus tard et à une échelle bien plus grande cette fois‑ci, lorsque les démocrates argiens s’emparèrent de Corinthe en 392 avant J.‑C. : le traité de sympolitie alors conclu entre les deux cités ne concernait de facto que les seuls partisans de la démocratie, les oligarques préférant combattre au prix de leur vie une union perçue comme une annexion pure et simple (Xénophon, Helléniques, IV, 5).

90 A fortiori si Tirynthe possédait alors un régime oligarchique — ce que nous ignorons. Pour une partie au moins de ces réfugiés, l’exil allait être définitif : la présence de « Tirynthiens » est attestée à Halieis jusque tard dans le ive siècle avant J.‑C., voire au‑delà (Young, 1963, 11).

91 Diodore, Bibliothèque historique, XI, 65.

92 Diodore, ibid. Si les Argiens se comportèrent de façon aussi brutale envers les Mycéniens, c’est probablement parce que, au‑delà même de la rivalité qui opposait depuis toujours les deux cités, ils estimaient avoir déjà atteint, grâce à l’annexion de Tirynthe, un nombre suffisant de citoyens.

93 Strabon, Géographie, VIII, 6, 19.

94 Kritsas (1992, 234‑240), Piérart & Touchais (1996, 42), Piérart (2020, 71‑72).

95 Le « Vieil Oligarque » reprochera de même à la démocratie athénienne de confisquer les terres de ses ennemis politiques au sein de la Ligue de Délos (Pseudo-Xénophon, République des Athéniens, passim).

96 Sur la datation de l’inscription, voir note 3.

97 Le mot ἀρχός apparaît une trentaine de fois dans l’Iliade et l’Odyssée, toujours au sens de chef, qu’il s’agisse de Ménélas commandant à l’armée achéenne (Iliade, IV, 205), ou plus modestement d’Ulysse commandant à ses compagnons d’infortune (Odyssée, X, 204).

98 Masson (1986).

99 Le possessif en grec est rarement exprimé en pareille circonstance, et le verbe ἄρχειν est d’un emploi banal pour signifier le fait de commander à des esclaves (Lambrinoudakis, 1977, 177, note 15).

100 Aristote (Politiques, 1302b) cite Athènes et Argos comme exemples de cités pratiquant l’ostracisme, l’usage de ce dernier n’étant attesté ailleurs en Grèce que pour les cités de Mégare, Milet (Scholion in Equites, v. 855) et Syracuse (Diodore, XI, 86‑87).

101 Que les démocrates argiens aient, comme pour la réforme des tribus, emprunté cette loi à Athènes paraît plausible : l’exemple de Thémistocle, frappé d’ostracisme ca 470 avant J.‑C. et réfugié précisément à Argos (Plutarque, Vie de Thémistocle, 23, 1), venait d’en démontrer la redoutable efficacité. Il n’est d’ailleurs pas exclu que le vainqueur de Salamine ait personnellement contribué à diffuser les idées démocratiques athéniennes dans sa cité d’accueil (Forrest, 1960 ; contra : O’Neil, 1981), y compris, paradoxalement, celles concernant l’ostracisme. L’hypothèse pourrait aussi s’appuyer sur le parallèle de Syracuse, Diodore affirmant que les démocrates syracusains empruntèrent cette même loi aux Athéniens vers 454 avant J.‑C. (Diodore, ibid.).

102 Livadaras a sans doute raison de voir dans le doublon οἰκιήτης/οἰκέτης deux synonymes dérivés respectivement d’οἰκία et οἶκος (Livadaras, 1988, 261, note 17).

103 Voir l’étude du sens de ce mot chez Lewis (2018, « Appendix. The Meaning of oiketes in Classical Greek », p. 295‑306). Contrairement à ce que pourrait laisser croire l’étymologie du mot, l’usage d’οἰκέτης n’est pas limité à la sphère domestique : il peut tout aussi bien s’agir d’esclaves travaillant aux champs ou dans les mines (Lewis, 2018, 297). Quant à la variante ionienne οἰκιήτης, elle est extrêmement rare dans le Thesaurus Linguae Graecae et n’apparaît que chez Diogène Laërce (Vies des philosophes, I, 122) et Antoninus Liberalis (Métamorphoses, 41, 2) pour y désigner, là encore, des esclaves.

104 IG V, 2, 262.

105 IG I2 3, 718.

106 « Σοταίροι το͂ι Κορινθίοι κἀυτο͂i καὶ γένει καὶ ϝοικιάταις καὶ χρέμασιν ἀσυλίαν κἀτέλειαν κεὐϝεργέταν… » (IG IX, 2, 257).

107 « Λυκίδαι καὶ ἀδελφεῶι ᾿Οποντίοις καὶ οἰκιάταις ἔδωκαμ Φεραῖοι προξενίαν, ἀσυλ[ί]αν, ἀτέλειαν » (MDAI 59 (1934), 56, 14).

108 « Προξ[ενίαν καὶ]ἀτέλειαν καὶ ἀσυλί[αν καὶ ἐπιν]ομίαν καὶ πολέμοιο [καὶ ἱράνης κ]αὶ αὐτο[ῖς κα]ὶ οἰκιά[ταις] » (SEG 23, 422).

109 Livadaras (1988, 262).

110 Béquignon (1964).

111 Cf. Pollux, Onomasticon, III, 82 : « les poètes, il est vrai, appellent également οἰκέται les autres membres de l’οἶκος ».

112 Lewis (2018, 300‑305). Contra : Descat (2004, 368‑370), dont l’hypothèse a été reprise et développée par Van Wees (2011, 106‑107).

113 Dans la série des décrets honorifiques de Phères, les privilèges sont souvent accordés à un étranger et à sa famille (γενεά) : celle‑ci faisant défaut dans les deux décrets qui mentionnent, à l’inverse, des ϝοικιᾶται, Livadaras y voyait la preuve que le mot serait synonyme de famille et qu’il prendrait la place de γενεά dans le formulaire de ces deux inscriptions. L’extension des privilèges à l’ensemble de la famille n’a cependant rien de systématique à Phères, car pour au moins deux de ces décrets (nos 5 et 7 dans Béquignon, 1964), dont le texte ne présente aucune difficulté de lecture, ni la γενεά ni les ϝοικιᾶται du personnage honoré ne sont évoqués, à la différence des χρήματα, et l’hypothèse de Livadaras se heurte de toute façon au fait que dans le décret de Thétonion, les ϝοικιᾶται de Sotairos sont indubitablement ses serfs ou ses esclaves, et non sa famille (γένος) : il serait surprenant que pour une décision juridique analogue, deux cités thessaliennes emploient à cinquante ans d’intervalle (respectivement le milieu et la fin du ve siècle) le même mot dans un sens radicalement différent.

114 Les οἰκέται qui épousèrent, selon Polybe (Histoires, XII, 6) des Locriennes lors de la fondation de Locres épizéphyrienne, étaient sans doute eux aussi des serfs (sur cette tradition, voir supra).

115 Que les serfs argiens aient porté des noms variés (ϝοικιᾶται ou gymnètes) n’a rien d’étonnant, comme le prouve le parallèle crétois (woikeis ou clarotes/mnoïtes, et bien d’autres noms encore).

116 De nombreux propriétaires d’esclaves firent de même aux Antilles et aux États‑Unis, refusant la libération de leurs propres esclaves et contraignant ces derniers à les suivre dans leur exil. L’un des cas les mieux documentés est celui d’une ancienne esclave noire de Saint‑Domingue, du nom d’Adélaïde Métayer. Légalement libre dans son pays depuis l’abolition de l’esclavage en 1793, elle suivit néanmoins son maître, Charles Métayer, dans son exil à New York, puis dans son retour au pays en 1799. Elle finit par cesser de le servir en 1801, mais la reprise de la guerre civile l’obligea à s’exiler à nouveau, seule cette fois‑ci, en Jamaïque, à Cuba, et enfin en Louisiane, où en mai 1810, elle fut arrêtée et vendue aux enchères, ainsi que ses trois enfants, pour le paiement d’une dette contractée autrefois par le frère de Charles Métayer (Scott, 2014).

117 Aristote, Politiques, III, 2, 3, 1275b, et Constitution des Athéniens, XXI, 4.

118 L’époque fut fertile en soulèvements serviles et en révoltes populaires, qui prouvèrent que des alliances étaient possibles entre libres et non‑libres. À Syracuse, les serfs indigènes (Kyllyriens) s’allièrent au dèmos pour renverser l’oligarchie des gamoroï vers 485 avant J.‑C., et la démocratie fut instaurée dans la cité vingt ans plus tard (Hérodote, Histoires, VII, 155 ; voir Frolov & Gaudey, 1995). À Sparte, le régent Pausanias fut accusé ca 470 d’avoir promis la liberté et le droit de cité aux hilotes (Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, I, 132), et les Spartiates renvoyèrent dix ans plus tard le corps expéditionnaire athénien qui leur était venu en aide durant la troisième guerre de Messénie, parce qu’ils craignaient de voir ce dernier fraterniser avec les hilotes révoltés (ibid., I, 102 ; Plutarque, Vie d’Alcibiade, 17, 2).

119 La bibliographie sur le sujet est trop longue pour être citée ici ; voir les références dans Bultrighini (2016).

120 « Lorsque Cléomène devint roi, il rassembla aussitôt une armée formée des Lacédémoniens eux‑mêmes et de leurs alliés, et attaqua l’Argolide [s’en suit le récit détaillé de la bataille de Sépéia]. Il fit aussi campagne contre Athènes, dont les habitants furent libérés des fils de Pisistrate. » (Périégèse, III, 4). En faveur de la datation haute de Pausanias : Wells (1905), dont Piérart reconnaît la pertinence de certains arguments (Piérart, 2020, 185) ; Markellos (1977) ; Bultrighini (2016).

121 Bien que ce ne soit pas non plus impossible. Il aura sans doute fallu une demi-génération, soit dix à quinze ans, à Argos pour reconstituer la moitié de son corps hoplitique — environ trois mille hommes, effectif suffisant pour reprendre le pouvoir — à condition bien sûr que celui‑ci ait été complètement anéanti, comme l’affirme Hérodote, ce qui n’est pas certain. À ces dix ou quinze ans, on doit en ajouter quelques autres pour la période de statu quo puis la guerre « longue (συχνός) et difficile » contre les serfs. L’expression utilisée par Hérodote (συχνός πόλεμος) ne doit cependant pas faire illusion : il emploie le même adjectif (συχνός, « long ») à propos du temps écoulé durant le siège de Babylone par Cyrus — soit du printemps à l’automne 539 avant J.‑C. (Histoires, I, 190). Il est donc théoriquement possible de faire tenir en treize ans (de 494 à 481) l’ensemble de la séquence, même si cela paraît peu vraisemblable.

122 C’était déjà l’opinion de Georg Busolt (1893, 561).

123 Histoires, VI, 19.

124 Un oracle prédisant la destruction de Milet longtemps à l’avance était d’ailleurs plus susceptible d’impressionner l’auditoire qu’une prédiction in extremis à la veille de l’offensive perse.

125 Histoires, VI, 77.

126 Histoires, VII, 149 (voir supra).

127 Ibid.

128 Histoires, VII, 148.

129 Histoires, II, 49, 2.

130 Asiné aurait été annexée à l’époque de la première guerre de Messénie, et Nauplie à l’époque de la deuxième guerre de Messénie (voir Piérart, 2020, 65, note 14).

131 Les Argiens auraient eu en leur possession, à la fin du règne de Crésus, l’ensemble de la côte orientale du Péloponnèse depuis le sud de l’Argolide jusqu’au cap Malée, y compris Cythère et les îles voisines — à la seule exception de la Thyréatide, enlevée à la Kynourie par les Spartiates (Histoires, I, 82). S’il ne faut évidemment pas surestimer la valeur historique de ces récits fondés sur de très anciennes traditions orales invérifiables, on ne voit pas non plus quel motif impérieux autoriserait à les disqualifier en bloc, d’autant que les données archéologiques concernant Asiné, la plus ancienne des supposées conquêtes argiennes, paraissent corroborer, tant sur le plan factuel que chronologique, la tradition littéraire : le site présente des traces de destruction vers 700 avant J.‑C. et semble avoir été abandonné par la suite. Ce n’est certes pas le cas à Nauplie, mais Pausanias ne parle de destruction que dans le cas d’Asiné, se contentant d’affirmer pour Nauplie que les habitants furent chassés de leur cité (références dans Piérart, ibid.).

132 Hérodote écrit en effet à propos des Kynouriens que bien qu’étant d’origine ionienne, ils étaient restés si longtemps soumis aux Argiens qu’ils s’étaient « dorianisés » au fil des siècles, « étant des Ornéates et des περίοικοι d’Argos » (Histoires, VIII, 73). Si le passage est certainement corrompu puisque la ville d’Ornéai ne se trouve pas en Kynourie (Piérart, 2020, 103‑104), le sens général demeure clair : les Argiens avaient soumis par la force et réduit les Kynouriens au statut de périèques (Van Wees, 2003, 44‑45). Même si l’hypothèse paraîtra sans doute un peu hardie, je me demande s’il ne faudrait pas corriger le fautif ὀρνεῆται des manuscrits en οἰκέται. Plausible d’un point de vue paléographique, la correction aurait le mérite de rendre sa cohérence à la phrase d’Hérodote, qui décrirait par deux termes voisins et potentiellement synonymes (οἰκέται καὶ περίοικοι) la soumission (αρχόμενοι) des Kynouriens aux Argiens. Pour une relecture hypercritique des traditions grecques concernant l’asservissement collectif de populations par les armes, voir Luraghi (2002, 2003, 2009) et Lewis (2023, 2024).

133 SEG 30, 338 = Nomima, I, 78.

134 Van Wees (2003, 43).

135 « Après avoir sacrifié un taureau à la mer, Cléomène embarqua ses troupes sur des navires et les conduisit sur le territoire de Tirynthe et de Nauplie. À cette nouvelle, les Argiens se portèrent à la rescousse en direction de la mer, et parvenus à proximité de Tirynthe, ils s’installèrent au lieu‑dit de Sépéia » (Histoires, VI, 76‑77) ; voir Hall (1995, 589) et Weber-Pallez (2021, 353).

136 La mention d’un vainqueur olympique tirynthien sur un papyrus d’Oxyrhynchos (Pap. Ox. II, no 222) en 468 avant J.‑C. pourrait indiquer que Tirynthe conserva son indépendance jusqu’à cette date (Piérart, 2020, 70, note 31 ; Van Wees, 2003, 42, note 29), mais l’argument ne me semble pas définitif, car on connaît aussi des périèques lacédémoniens vainqueurs à Olympie, tel Nicoclès d’Akraia (Pausanias, Périégèse, III, 22 ; IG V, 1, 1108).

137 Van Wees (2003, 42).

138 Ce sont les δοῦλοι qui avaient attaqué leurs maîtres, et non l’inverse, sans qu’il soit question d’un éventuel siège de Tirynthe : « Les deux camps restèrent en bons termes jusqu’à ce qu’un devin du nom de Cléandros, originaire de Phigalie en Arcadie, rende visite aux δοῦλοι et les convainque de s’attaquer à leurs maîtres : une longue guerre s’en suivit, dont les Argiens sortirent difficilement vainqueurs. » (Histoires, VI, 83). Hérodote avait d’ailleurs indiqué quelques lignes auparavant que les serfs s’étaient emparés de celle‑ci par la force (μάχῃ), c’est-à-dire contre le gré de ses habitants : l’écrasement de la rébellion signifiait donc pour ces derniers la fin de l’occupation servile et la libération de leur ville (Weber-Pallez, 2021, 353).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Antoine Pierrot, « L’exil de Kallipos et la révolte des δοῦλοι argiens »Gaia [En ligne], 27 | 2024, mis en ligne le 02 juillet 2024, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/4512 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11xza

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Auteur

Antoine Pierrot

Univ. Paul Valéry – Montpellier 3, CRISES EA 4424, F34000, Montpellier, France

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