Navigation – Plan du site

AccueilNuméros25VariaDu banquet grec à l’imaginaire fu...

Varia

Du banquet grec à l’imaginaire funéraire étrusque : les hybrides oculaires de la céramique attique

From the Greek Banquet to the Etruscan Funerary Imaginary: The Ocular Hybrids of Attic Pottery
Christian Mazet

Résumés

Au sein du corpus iconographique de l’hybridité femme-animal en Méditerranée archaïque, un dossier singulier retient l’attention, celui des rares hybridités oculaires de la céramique attique de la seconde moitié du vie siècle av. J.‑C. Ces images, qui illustrent un procédé d’hybridité formelle par redondance, permettent à la fois d’évoquer les jeux graphiques employés par les imagiers athéniens autour des vases de banquet et de la consommation du vin, mais aussi, en prenant en compte les lieux occidentaux de découverte de ces vases, les questionnements actuels relatifs à la réception du répertoire grec en Étrurie. Par leur potentiel polysémique, ces sirènes-yeux et femmes aux ailes oculaires ont pu être utilisées par les Étrusques afin de représenter les divinités ou entités démoniaques féminines qui peuplaient leur imaginaire funéraire.

Haut de page

Texte intégral

Remerciements
Je souhaite remercier Maria Paola Castiglioni pour l’opportunité de publier cette recherche dans la revue Gaia, ainsi que les deux relecteurs anonymes, Ludi Chazalon, Cécile Colonna et Arianna Esposito pour leurs relectures attentives et leurs judicieuses remarques.

  • 1 Cette recherche se situe dans la continuité des travaux menés depuis plusieurs décennies sur la réc (...)

1Le vie et le début du ve siècle av. J.‑C. voient en Étrurie la réception des formes et du répertoire de la céramique grecque. Marqueurs privilégiés des transferts culturels en Méditerranée archaïque, les vases à figures noires et à figures rouges, en particulier les productions corinthiennes, attiques, laconiennes et pseudo-chalcidiennes, s’intègrent aux pratiques de consommation et aux systèmes de pensées étrusques. Leur étude engage à une double réflexion sur le commerce et les stratégies d’ateliers, ainsi que sur les usages d’appropriation fonctionnelle et symbolique de la clientèle, notamment en ce qui concerne le phénomène de résonance, voire de resémantisation, des images et des mythes grecs1. À partir du corpus des hybridités oculaires attiques, cet article entend interroger ce processus sélectif en mettant en lumière la possible adaptation de ce répertoire d’images singulières qui, bien que caractéristiques dès leur création de la dimension ludique et subversive du banquet grec, sont susceptibles d’avoir été associées, du fait de leur nature polysémique, aux divinités ou entités démoniaques féminines de l’univers religieux des communautés tyrrhéniennes.

1. Jeux d’ivresse : des vases à yeux pour le banquet grec

  • 2 À partir de la célèbre kylix attique représentant le dieu Dionysos banquetant sur la mer vineuse de (...)
  • 3 Le type a pour origine les bols à oiseaux nord-ioniens, parfois décorés de motifs ophtalmiques : cf (...)
  • 4 Je tire ces informations de la thèse de doctorat inédite d’Aurélie Rivière-Adonon, L’iconographie d (...)

2Inventée à Athènes par le peintre Exékias selon la tradition historiographique2, trouvant son origine dans les productions ioniennes de bols à oiseaux d’époque orientalisante3, la coupe à yeux fait partie d’une vaste production de vases à figures noires qui se développe entre les années 540 et 490 avant J.‑C. et où le motif des « Grands Yeux » est décliné sous diverses formes graphiques. Dans cette production de vases à yeux (on dénombre environ 2225 spécimens4), les formes en relation avec la pratique du banquet prédominent : vases à boire (coupes, skyphoi, kyathoi, mastoïdes), vases à contenir ou à mélanger (amphores, cratères, lécythes) et vases à verser (hydries, œnochoés). De même, le motif oculaire est le plus souvent associé à une iconographie définie comme sympotique, accompagnant les images de satyres ivres, de Dionysos ou de la face gorgonéenne.

  • 5 On doit à O. Jahn d’avoir formulé en premier cette hypothèse : cf. Jahn (1855, 65).
  • 6 Martens (1992, 284‑459, 332‑348 pour un développement sur l’« interprétation apotropaïque »). M. Ei (...)
  • 7 Boardman (1976, 288) ; voir aussi Martens (1992, 354‑357, « L’interprétation comme masque », 289, f (...)
  • 8 Ferrari (1986, 19).
  • 9 Frontisi-Ducroux (1995, 100‑103).
  • 10 « La coupe à yeux compose effectivement un visage, mais qui comme tout ce qui relève du prosopon, d (...)
  • 11 À ce sujet, voir entre autres Villard (1946), Martens (1992, 284‑459, chapitre 5 : « Animation anth (...)
  • 12 Sur la métaphore du « vase-corps » dans la céramique attique figurée, voir Chazalon (2013, 51‑52 po (...)
  • 13 Villanueva-Puig (2002).

3Toutefois, dans le corpus des coupes à yeux de la céramique attique et pseudo-chalcidienne, les « Grands Yeux » sont loin de n’être qu’un motif ornemental. Cette « animation anthropomorphique » du vase, pour reprendre les termes de Didier Martens, a longtemps été interprétée par une utilisation du vase à boire à des fins apotropaïques. Les yeux ont été considérés comme prophylactiques, c’est-à-dire qu’ils auraient servi à protéger des puissances maléfiques soit le contenu du vase, soit son intégrité matérielle, soit son utilisateur5. Commodément combinées, ces trois sphères d’action, liées à l’idée assez vague d’une « protection magique » par les yeux, n’expliquent guère la variété et la complexité des agencements graphiques du motif6. En développant cette thèse apotropaïque, John Boardman a également proposé de faire des coupes à yeux un masque protecteur lorsque, en situation d’usage, le buveur porte la coupe à son visage7. D’autres commentateurs ont voulu y voir des masques à l’image de Dionysos, de satyres ou de ménades, ou bien des masques de théâtre8. Les travaux fondateurs de Françoise Frontisi-Ducroux sur le prosopon, en particulier son ouvrage Du masque au visage. Aspects de l’identité en Grèce ancienne (1995)9, ont mis en évidence l’anachronisme de ces analogies avec le masque tel qu’on le définit aujourd’hui. L’idée qu’en buvant dans la coupe à yeux protectrice, le symposiaste se protège des maléfices de la boisson alcoolisée, en renvoyant à son observateur le « mauvais-œil », est erronée. Au contraire, en Grèce ancienne, le prosopon révèle plus qu’il ne cache et s’interprète dans le cas des coupes à yeux dans une relation de réciprocité entre l’usager et le spectateur10. L’aspect anthropomorphe du vase participe en une prouesse graphique à la création d’un « masque vivant », d’un « vase visage », lorsque le buveur s’empare de la coupe pour la porter à ses lèvres11. En effet, le masque ne dissimule ni le visage ni le regard, il agrandit au contraire le champ de perception de son porteur et invite le spectateur à l’interaction. Une fois le vin bu et l’ivresse aidant, le sens des scènes figurées se dévoile, de l’ordre du mythe, de l’érotique et de l’humoristique. Ainsi, l’anthropomorphisation induite par le décor ophtalmique du vase invite le buveur et le spectateur à interagir en agrandissant leurs facultés sensorielles et cognitives12. Dans le cadre de ses travaux sur l’imagerie dionysiaque, Marie-Christine Villanueva-Puig propose de faire de ces yeux, semblables à ceux de la panthère, le regard du buveur modifié par l’ivresse13.

4Dans cette classe des vases à yeux de la céramique attique de la seconde moitié du vie siècle av. J.‑C., de rares occurrences iconographiques se distinguent par la plasticité du motif oculaire qui se combine au répertoire d’images des êtres hybrides, en particulier les figures de la gorgone, de la sirène et de la femme ailée.

2. Hybridités oculaires et face gorgonéenne

  • 14 Cambridge, Fitzwilliam Museum, inv. GR39.1864 (BA – pour « Beazley Archive » – 302605) : Beazley (1 (...)
  • 15 Deonna (1957, 60) et Deonna (1965).
  • 16 D. Martens donne comme exemple une coupe à yeux de type A du Musée national de Copenhague : « […] o (...)
  • 17 Walter-Karyidi (1973, 104, note 122) ; voir aussi Poulsen (1969, 126).

5Un premier exemple a permis de soutenir une association graphique entre le motif oculaire et la face gorgonéenne. Sur une coupe à yeux du Fitzwilliam Museum de Cambridge datée vers le dernier quart du vie siècle, le peintre a substitué deux gorgoneia aux pupilles des « Grands Yeux » qui entourent une figure féminine (fig. 1)14. Pour Waldemar Deonna, le motif offre une clef de lecture pour interpréter l’iconographie ophtalmique des coupes attiques : par le procédé du pars pro toto (une partie pour le tout), les grands yeux illustreraient une forme abrégée de la face gorgonéenne15. C’est aussi ce que semble suggérer la vision frontale de la coupe à yeux lorsque, portée aux lèvres du buveur, les rayons du bas de la vasque s’assimilent aux dents acérées du monstre (fig. 2)16 ; mais cette proposition de lecture en situation s’attache encore à la nature apotropaïque du gorgoneion. On y a également opposé des arguments de nature graphique : pour Elena Walter-Karydi, la substitution opérée sur la coupe de Cambridge s’explique surtout par la forme circulaire commune des deux motifs17.

Fig. 1. – Coupe attique à yeux attribuée au Peintre de Cambridge 61, vers 530‑520 av. J.‑C. De Vulci.

Fig. 1. – Coupe attique à yeux attribuée au Peintre de Cambridge 61, vers 530‑520 av. J.‑C. De Vulci.

Cambrige, Fitzwilliam Museum, inv. GR 39.1864.

© Fitzwilliam Museum

Fig. 2. – Coupe attique à yeux portée au visage, d’après Martens (1992).

Fig. 2. – Coupe attique à yeux portée au visage, d’après Martens (1992).

Photo G. Martens-Berger

  • 18 Deonna (1957, 68‑71). Ces « tatouages » peuvent se retrouver soit sur les yeux, soit sur les gorgon (...)
  • 19 Frontisi-Ducroux (1995, 102‑103), qui qualifie la face gorgonéenne d’« anti-prosopon ».
  • 20 Frontisi-Ducroux & Vernant (1983), Vernant (1985), en dernier lieu Giuman (2013, 59‑67).

6De la même manière, il ne faut pas retenir la distinction entre œil masculin (avec caroncule lacrymale) et œil féminin (œil en amande), ainsi que l’interprétation de certains motifs décoratifs comme des tatouages distinctifs que Deonna utilise afin d’identifier les yeux de la Gorgone18. En fait, il ne semble pas exister de système cohérent à l’agencement de ces motifs. Cependant, la coupe de Cambridge s’inscrit clairement dans l’ensemble des jeux visuels inhérents à la pratique du banquet grec. Dans les prunelles de ces yeux, c’est l’image de la Gorgone et donc de la mort que le banqueteur aperçoit : Françoise Frontisi-Ducroux a justement rappelé qu’en grec ancien le mot utilisé pour désigner la pupille, coré, est aussi celui de la jeune fille dont la plus célébrée est Perséphone, déesse de l’Hadès. Il s’agirait d’un « jeu de mot iconique » à interpréter dans le contexte de l’univers sympotique : les vases à boire jouent le rôle d’« opérateurs intellectuels » en fonctionnant « comme des instruments de convivialité et de sociabilité19 ». De plus, le gorgoneion se retrouve dans le tondo d’une grande partie de ces coupes à boire. L’image s’aperçoit au fond de la vasque, troublée, car immergée, mais elle est progressivement révélée au fur et à mesure que le banqueteur boit le vin. En participant à la consommation collective de la boisson, les acteurs du banquet se retrouvent donc face à l’image pétrifiante de la Gorgone et font ainsi l’expérience de l’altérité20.

3. Sirènes et femmes ailées, quand le corps de l’hybride devient œil

  • 21 Villanueva-Puig (2004, 10).
  • 22 Mitchell (2009, 36‑46).

7Une autre formule employée par les peintres attiques illustre non plus l’hybride substitué à la pupille, mais l’œil qui remplace une partie animale de la figure. Pour Marie-Christine Villanueva-Puig, il s’agit de « calembours visuels21 » ; Alexandre G. Mitchell évoque aussi ce procédé dans le cadre de son étude sur l’humour visuel dans la céramique grecque22.

  • 23 Boston, Museum of Fine Arts, inv. 10.651 (BA 310515). Don en 1910 de Edward Perry Warren. Acheté en (...)
  • 24 Il s’agit, selon D. von Bothmer, d’une convention désuète qui remonte aux sirènes peintes par Sophi (...)
  • 25 Je remercie Ludi Chazalon pour ces observations judicieuses. Selon elle, on pourrait aussi assimile (...)
  • 26 Mitchell (2009, 43‑45), qui qualifie ces figures de marginalia.
  • 27 Beazley (1951, 61‑62, pl. 26.4), une lecture rappelée par Bothmer et al. (1985, 221‑222) et Steinha (...)

8Les premières attestations sont liées à la représentation du motif de la sirène. Sur une coupe de Boston, attribuée au Peintre d’Amasis et datée dans le troisième quart du vie siècle, le corps de l’hybride prend la forme d’un grand œil (fig. 3)23. La sirène est munie de deux paires d’ailes, représentée l’une derrière l’autre, d’une queue de plumes richement décorée ainsi que d’un buste humain que Dietrich von Bothmer, dans la notice du catalogue The Amasis Painter and His World (1985), qualifie de masculin. Cette identification, qui ferait ainsi de l’hybride une sirène masculine (a male siren), interroge, car si la carnation noire et la musculature semblent bien être celles d’un jeune homme, comparable à celles des deux hommes qui se masturbent sur l’autre face du vase, son visage est imberbe et, de surcroit, rehaussé de rouge24. Bien que les carnations des figures féminines soient canoniquement blanches dans les œuvres attribuées au Peintre d’Amasis, ce dernier élément ne nous apparaît toutefois pas discriminant dans la caractérisation sexuée de la créature, car sur la coupe de Boston ces rehauts rouges se retrouvent aussi sur les sexes en érection des hommes, comme s’il s’agissait d’un moyen pour le peintre d’attirer le regard vers ces zones25. Selon Alexandre G. Mitchell, l’ajout des bras aux hybrides pourrait également constituer une manière de porter l’attention du spectateur sur les figures des chiens déféquant présentes sous les anses de la coupe26. Ces jeux visuels et humoristiques participent, encore une fois, à l’univers ludique du vase à boire, mais ils sont aussi à resituer dans le contexte de rivalités et d’émulations entre les peintres du Céramique d’Athènes. Dans son étude de 1951 sur le développement de la céramique attique à figures noires, John Davidson Beazley soulignait déjà cet aspect à propos de la coupe et proposait d’y voir, de la part du Peintre d’Amasis, une parodie du nouveau type de coupe (coupe A à yeux) qui venait d’être inventé27.

Fig. 3 (a-b). – Coupe à yeux attique à figures noires attribuée au Peintre d’Amasis, vers 540‑525 av. J.‑C.

Fig. 3 (a-b). – Coupe à yeux attique à figures noires attribuée au Peintre d’Amasis, vers 540‑525 av. J.‑C.

Boston, Museum of Fine Arts, inv. 10.651.

© MFA

  • 28 Beazley (1956, 286‑287), Boardman (1974, 110).
  • 29 Londres, British Museum, inv. B 342 / 1837,6‑9.73 (BA 301821) : cf. Weicker (1902, 158), Walters (1 (...)

9Sur deux vases du British Museum, plus récents car datés du dernier quart du vie siècle, provenant tous les deux des fouilles Bonaparte des nécropoles orientales de Vulci, la totalité du corps des sirènes — ailes comprises — prend la forme des « Grands Yeux ». La formule est particulièrement ingénieuse, car le contour des ailes déployées s’intègre parfaitement à la forme du coin extérieur de l’œil, tandis que la caroncule lacrymale se substitue à la partie supérieure de l’une des pattes avant. L’image a donné son nom au groupe : celui de l’« œil-sirène » (Eye-Siren Group28). Le premier vase, une hydrie, montre sur chaque face de la panse deux de ces hybrides oculaires affrontés, entourés d’une treille d’où pendent des grappes de raisin (fig. 4)29. Le peintre a même pris le soin de représenter les sourcils au‑dessus de chaque grand œil. Les têtes des sirènes, imberbes, respectent la codification colorée de la carnation féminine qui est peinte en blanc. Le contexte dionysiaque de la scène se retrouve sur les panneaux de l’épaule du vase, où le dieu du vin tenant une corne à boire, également entouré de pampres, est assis sur un klismos entre deux yeux.

Fig. 4. – Hydrie attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. De Vulci (fouilles Canino).

Fig. 4. – Hydrie attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. De Vulci (fouilles Canino).

Londres, British Museum, inv. 1837,0609.73.

© The Trustees of the British Museum

  • 30 Londres, British Museum, inv. B 215 / 1843,1103.60 (BA 320288) : cf. Walters (1929, pl. 52,1), Beaz (...)
  • 31 À propos de ces émanations animales on retiendra l’analyse de F. Frontisi-Ducroux, selon laquelle l (...)
  • 32 « It may have amused the painter to transform the decorative eyes into sirens as a counterpoint to (...)
  • 33 La carnation blanche et non noire de l’hybride mâle était déjà remarquée dans l’une des premières p (...)
  • 34 Bâle, Collection Cahn, inv. HC 883 (BA 18403) : cf. Bothmer et al. (1985, 221), Steinhart (1995, 22 (...)
  • 35 Rome, Antiquarium comunale, inv. 17417 (BA 2942) : cf. Steinhart (1995, pl. 5.1).

10Le deuxième vase est une amphore à col. La composition générale des hybrides-yeux est analogue à l’hydrie précédente, mais les êtres fantastiques s’intègrent cette fois‑ci dans une scène figurée plus ambitieuse (fig. 5)30. L’une des faces du vase présente la lutte entre Pélée et Thétis qui tente d’échapper à son assaillant en se métamorphosant. La figuration de cette métamorphose se manifeste, comme il est d’usage chez les peintres attiques de la deuxième moitié du vie siècle, par l’émanation de représentations animales : une panthère sur le dos de Pélée et un protomé de lion à la crinière serpentine sur l’épaule gauche de la déesse31. Deux « sirènes » aux corps oculaires entourent le groupe, mais ce qui retient l’attention, autant que la formule de l’hybridité oculaire, c’est aussi leur distinction sexuée : l’hybride de gauche, qui se tient du côté de Pélée, est barbu, tandis que l’hybride de droite, du côté de la déesse, est imberbe. Alexandre G. Mitchell propose d’interpréter cette distinction comme un jeu visuel avec le motif central souhaité par le peintre32. Toutefois, les visages des deux hybrides sont représentés avec la même carnation blanche que Thétis qui, selon la norme en vigueur, codifie visuellement les chairs féminines. Si l’on s’aventure à chercher une relation visuelle entre les sirènes-yeux et un protagoniste du groupe, il faut donc le faire avec la Néréide qui, par sa nature de divinité marine, est liée au thème de l’hybridité. Sur l’autre face de la panse c’est Apollon citharède qui est représenté entre les deux mêmes sirènes aux corps d’yeux33. Sous les anses, de part et d’autre des queues des hybrides, le dieu Hermès, reconnaissable au caducée, au pétase et aux bottines ailées, ainsi que la déesse Artémis, identifiable par son arc et son haut polos, sont présentés en position bidirectionnelle. Pour compléter le corpus, un fragment de la coupe attique de type A de la collection Herbert A. Cahn, de la même main que l’amphore de Londres, figure aussi deux de ces sirènes au corps de grand œil, où la carnation blanche des visages se prolonge en une ligne sur la courbure de l’œil, formant ainsi la poitrine de l’hybride (fig. 6)34. Sur une coupe attique à figures noires conservée à l’Antiquarium comunale de Rome, le motif de l’œil est plaqué au‑devant d’un bélier, le cachant en partie, mais il ne se substitue pas au corps de l’animal35.

Fig. 5 (a-b-c). – Amphore à col attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. De Vulci (fouilles Canino).

Fig. 5 (a-b-c). – Amphore à col attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. De Vulci (fouilles Canino).

Londres, British Museum, inv. 1843,1103.60.

© The Trustees of the British Museum

Fig. 6. – Fragment de coupe attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. Provenance inconnue.

Fig. 6. – Fragment de coupe attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. Provenance inconnue.

Bâle, collection Cahn, inv. HC 883, d’après Steinhart (1995, pl. 5.2).

  • 36 Rivière-Adonon (2011, 270). Sur les rapports qui unissent les sirènes et le symposion à partir des (...)
  • 37 A. Rivière-Adonon reprend les observations de Padel (1992, 97).
  • 38 Seize occurrences sont recensées : cf. Rivière-Adonon (2011, note 134).

11Assez rares, ces sirènes-yeux représentent peut‑être, comme les pupilles-gorgoneia de la coupe de Cambridge, autre chose qu’un calembour visuel. Aurélie Rivière-Adonon propose d’y voir une analogie métaphorique entre l’ambivalence de la boisson et l’enchantement trompeur des sirènes mythologiques : le vin, qui séduit par son goût, est aussi dangereux pour le buveur qui en abuse jusqu’à l’ivresse36. Toujours dans ce sens, les « Grands-Yeux-ailes » de l’hydrie du British Museum, qui sont entourés de vigne, pourraient constituer un écho à l’effet de la boisson qui, d’après certains poètes lyriques comme Alcée de Mytilène (Plutarque, Moralia, 688‑700), influent physiologiquement sur le souffle du buveur. Or l’ivresse donne des ailes à l’âme37, ainsi s’expliquerait la raison de l’association de l’œil à l’hybride ailé dans les cas étudiés et dans d’autres occurrences, sur des coupes chalcidisantes par exemple, où des petites ailes accompagnent le motif oculaire38.

  • 39 Munich, Antikensammlungen, inv. 2019. De Vulci, fouilles Candelori, 1831 : cf. Beazley (1956, 204.1 (...)
  • 40 Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, inv. 62.1.11 (BA 201949) : cf. Beazley (1963, 122, 1627), L (...)
  • 41 Les déesses ailées : cf. Beazley (1956) ; sirènes ou sphinx : cf. Hackl (1907, 92), à cause des mot (...)
  • 42 Rome, Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, inv. 79664 (BA 9025597) : cf. Hannestad (1989, 34, 1 (...)
  • 43 Rome, Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, inv. 79969 & 79611 (BA 9025617 & 9025653) : cf. Hann (...)

12C’est d’ailleurs au sein de cette même classe de coupes chalcidisantes qu’apparaît le motif de l’aile oculaire, mais cette fois le membre n’appartient plus à une sirène, mais à une femme ailée. L’image est en effet représentée sur les deux faces d’une coupe de Munich, où les yeux se substituent aux grandes ailes déployées (fig. 7)39. La jonction entre ses ailes-yeux et le corps de la femme s’opère par le prolongement du vêtement, décoré de plusieurs rangées de petits points blancs, sur la partie supérieure du motif oculaire. La sclérotique de chaque œil est rehaussée d’une plage blanche sur le vernis noir des ailes, tandis que les pupilles et les iris sont composées d’une série de quatre cercles concentriques rehaussés d’une fine ligne blanche qui forment des anneaux alternant vernis noir et rehauts rouge mat (pupille — ou anneau interne — marquée par un point central blanc et anneau médian de l’iris) ; ces variations graphiques provoquent un effet déstabilisant pour le spectateur voire hallucinatoire pour le buveur ivre. Cette formule est attestée sur d’autres coupes à yeux du corpus attique, par exemple dans la vasque d’un exemplaire de Richmond attribué au Peintre de Nicosthénès, daté vers 520 av. J.‑C., où le gorgonéion central est entouré d’une série de dix-sept cercles concentriques qui sont répétés à l’intérieur du pied : le vase lui‑même devient un œil hypnotisant auquel est confronté le symposiaste (fig. 8)40. L’identité de ces figures féminines ailées ne fait pas l’unanimité : il pourrait s’agir de déesses ailées, de sirènes ou de sphinx, de Nikai ou bien des représentations d’Iris41. La dernière proposition a l’avantage d’évoquer l’univers ludique des coupes à yeux, puisqu’en grec ancien le terme Iris est polysémique : il désigne la déesse messagère, l’arc-en-ciel et le cercle coloré qui, comme sur la coupe de Munich, compose les pupilles du motif des « Grands Yeux ». On connaît de la main du même peintre une coupe à yeux fragmentaire conservée à Rome au Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, provenant de la collection Castellani, qui figure deux bustes féminins identiques, mais dont les ailes ne sont pas oculaires (fig. 9)42. Sur deux autres coupes de la collection Castellani, il s’agit bien de la déesse ailée en pied, chaussée de bottines ailées ou dans une position bidirectionnelle (Iris plutôt que Niké), qui est représentée entre les deux « Grands Yeux »43.

Fig. 7 (a-b). – Coupe attique à figures noires, vers 530‑520 av. J.‑C. De Vulci.

Fig. 7 (a-b). – Coupe attique à figures noires, vers 530‑520 av. J.‑C. De Vulci.

Munich, Antikensammlungen, inv. 2019 (ancienne collection Candelori, achat 1831), d’après CVA Munich 13.

Fig. 8 (a-b). – Coupe attique à yeux attribué au Peintre de Nicosthénès, vers 520 av. J.‑C.

Fig. 8 (a-b). – Coupe attique à yeux attribué au Peintre de Nicosthénès, vers 520 av. J.‑C.

Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, inv. 62.1.11.

© Virginia Museum of Fine Arts

Fig. 9. – Coupe fragmentaire attique à figures noires, vers 530‑520 av. J.‑C.

Fig. 9. – Coupe fragmentaire attique à figures noires, vers 530‑520 av. J.‑C.

Rome, Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, inv. 79664 (ancienne collection Castellani), d’après Hannestad (1989).

4. L’hybridité par redondance, une intégration ciblée du répertoire grec en Étrurie ?

  • 44 Sur la question, se reporter à Lubtchansky (2014) et plus récemment Tonglet (2018) pour le kyathos.
  • 45 Hastrup Blinkenberg (1999). À ce sujet, se reporter également à Villanueva-Puig (2014), évoquant «  (...)

13La prise en compte du dernier contexte d’utilisation de ces vases à yeux, qui proviennent sans doute, dans notre cas, de tombes étrusques pour les exemplaires dont on connaît l’origine de découverte, engage aussi à une réflexion sur les processus d’appropriation de l’imagerie attique en Méditerranée occidentale. On sait que certaines formes caractéristiques, tels l’amphore nicosthénienne, le kyathos ou le stamnos44, ont été interprétées comme le témoignage d’une adaptation de la production athénienne à la clientèle étrusque, mais quelle place accorder aux images dans ce dialogue entre deux cultures ? D’aucuns postulent que la clientèle occidentale n’accordait que peu d’importance aux images portées sur les vases attiques des vie et ve siècles45, pourtant il convient de ne pas sous-évaluer les phénomènes de réception, d’intégration et d’adaptation des vases et de leurs images qui sont susceptibles de résonner dans des contextes sensiblement différents à ceux de leur création.

  • 46 Bundrick (2015, 323‑324 pour des remarques générales sur les assemblages funéraires vulciens) ; Bun (...)
  • 47 L’A. se fonde surtout sur les contextes funéraires des fouilles de la fin du xixe siècle, laissant (...)
  • 48 Pourtant, la dimension de la plupart des coupes à yeux ne semble pas forcément différer des autres (...)
  • 49 Paris, musée du Louvre, inv. F 126 (BA 200279), ancienne collection Campana, achat 1863 : cf. Briqu (...)
  • 50 « From its Athenian maker’s hand to a trader, on a ship across the sea to its Etruscan owner, then (...)

14Dans le cas précis de la réception des coupes à yeux attiques en contexte étrusque, les travaux de Sheramy D. Bundrick ont abordé le sujet avec des propositions qui visent à éclairer ces processus de réappropriation symbolique des images46. Selon elle, les plus beaux exemplaires connus, provenant notamment des fouilles des nécropoles vulciennes47, seraient des objets du banquet idéalisé, tant domestique que funéraire, susceptibles d’usages rituels liés en partie à l’importance du culte chthonien rendu en Étrurie archaïque au dieu Fufluns, l’équivalent étrusque de Dionysos. Les contextes surtout masculins, la grandeur inhabituelle48 de même que les thèmes iconographiques des coupes à yeux attiques — dionysiaques et héroïques — confirmeraient le choix conscient des images par les membres de la famille du défunt, les pièces agissant dans la tombe étrusque à la manière d’« entités apotropaïques » en étant ainsi investies, comme d’autres vases attiques, d’une valeur eschatologique qui n’était pas manifeste à Athènes. Un des exemples emblématiques de ces réappropriations sémantiques est une coupe à yeux bilingue du musée du Louvre, attribuée à Oltos, dont Giovanni Colonna suppose une provenance de Vulci49. Sous le pied de la coupe on trouve une inscription en étrusque au génitif, Xarus (« à Charu ») : le vase a probablement été offert au démon Charun, l’équivalent du Charon grec, le passeur d’âmes, afin d’assurer au défunt son passage vers l’Au‑delà. Il faudrait considérer que ces objets grecs importés, transformés en étant dotés d’une nouvelle fonction dans la tombe, ont été de la sorte « étrusquisés50 ». Néanmoins, ce dernier terme est sujet à discussion. Dans une recension publiée dans le Bulletin archéologique céramique de la REG, Cécile Jubier-Galinier considère à juste titre que

  • 51 Jubier-Galinier (2020, 186).

[…] le marché étrusque n’est qu’une des variables pour bon nombre d’ateliers attiques et qu’il faut prendre garde à toute surdétermination. […] La capacité des Athéniens à produire des formes pour fournir un marché étranger en particulier est en effet bien attestée de longue date. Mais, il est beaucoup plus difficile de mettre en évidence une iconographie créée spécifiquement à l’attention d’un regard étranger et à l’initiative de ce dernier51.

En ce qui concerne plus spécifiquement les coupes à yeux, la chercheuse française rappelle que

  • 52 C. Jubier-Galinier précise toutefois : « Que la demande étrusque ait joué un rôle important pour le (...)

La lecture eschatologique développée pour les contextes de Vulci n’est pas la seule possible […] la taille et le nombre de vases à yeux trouvés ou pas en contexte grec (dont Athènes) ne changent rien au fonctionnement de ces images, insérées dans un réseau de références liées au dionysisme dans tous ces aspects (y compris apotropaïque) pour ceux qui les ont réalisées, et quelle que soit ensuite la destination52.

  • 53 Stopponi & Giacobbi (2017, 131‑133, pour le culte lié au temple A). Il est par ailleurs noté la pré (...)

15On ajoutera que les études les plus récentes sur le culte de Fufluns en Étrurie, en particulier par les fouilles menées à Orvieto au sanctuaire du Campo della Fiera, tendent à démontrer la pluralité des pratiques rituelles associées au Dionysos étrusque aux époques tardo-archaïque et classique, qui ne se cantonnent pas aux seules sphères du chtonien, de l’apotropaïque ou de l’eschatologique. En fonction des restes d’offrandes végétales de vigne non carbonisée, mais aussi de la nature sympotique des vases à boire découverts dans l’aire du Temple A ainsi que des représentations du dieu et de son thiase sur les offrandes de glyptique et de céramique attique, qui y serait consciemment sélectionnée, Fufluns y serait davantage vénéré comme une divinité agreste, liée peut‑être à la technique de la viticulture53.

16Les notions d’adaptabilité des imagiers et de la polysémie des motifs doivent être également soulignées dans ces processus de réception et d’intégration du répertoire. Pour Natacha Lubtchansky, certains thèmes iconographiques présents sur les vases attiques importés

  • 54 Lubtchansky (2014, 366‑373, citation 369).

[…] tendono ad illuminare il processo di domanda/offerta che esisteva tra Etruria e Ceramico di Atene: questo processo poggiava sulla capacità dei pittori greci di rispondere alla domanda etrusca, usando uno stock di motivi che già corrispondevano agli aspetti culturali etruschi, e sfruttando il valore polisemico proprio all’immagine54.

  • 55 « […] bisognerebbe provare ad invertire la prospettiva, che spesso dipende dalla questione di come (...)

On touche ici à une dimension bien plus large de l’histoire des vases grecs, ayant trait aux mobilités et aux capacités d’adaptations, d’innovations et d’évolutions des artisans céramistes en tant qu’« agents actifs de la création », en reprenant l’expression d’Arianna Esposito55.

  • 56 Il s’agit de bractées, de fermoir de ceinture et de pendentifs en or ou plus rarement en argent, da (...)
  • 57 Dans un article relatif au répertoire figuratif du premier art celtique, Stéphane Verger a utilisé (...)
  • 58 Mazet (2020, 478‑485). Voir par exemple la sirène-poisson du cratère « des Gobbi », daté du début d (...)

17En ce qui concerne plus particulièrement nos hybridités oculaires attiques, l’étude iconographique menée à l’échelle du bassin méditerranéen permet de constater que le principe graphique de l’hybridité par redondance trouve son origine dès la seconde moitié du viie siècle en Étrurie méridionale, par exemple dans le corpus de l’orfèvrerie cérétaine orientalisante qui montre des figures féminines, d’inspiration syro-phénicienne et associées au motif oriental de la potnia thérôn, dont les corps ou les ailes se transforment en végétaux (palmettes et fleurs de lotus) et en protomés léonines (fig. 10)56. Cette modalité formelle de l’hybridité définit des figures dont un ou plusieurs membres du corps prennent simultanément la forme d’une partie différente d’un autre animal ou d’une autre espèce57. Pour la même époque que les hybridités oculaires attiques, quelques exemples dans le domaine de la toreutique et de la céramique étrusque peuvent être cités, preuve que le jeu créatif des « hybrides d’hybrides » était connu et utilisé dans les expressions artistiques locales58. Bien que ces attestations soient rares, on peut légitimement se demander si l’invention de telles iconographies par les peintres athéniens de la deuxième moitié du vie siècle (Peintre d’Amasis, Eye-Siren Group, Peintre de Nicosthénès…) n’a pas été animée par une volonté d’adaptation de la production au marché étrusque. On ne peut toutefois pas affirmer cette hypothèse en se fondant seulement sur la préexistence dans l’imagerie étrusque de cette hybridité par redondance.

Fig. 10. – Paire de bractées cérétaines en or, vers 630 av. J.‑C. De Cerveteri.

Fig. 10. – Paire de bractées cérétaines en or, vers 630 av. J.‑C. De Cerveteri.

Londres, British Museum, inv. 1265‑1266 (ancienne collection Castellani).

© The Trustees of the British Museum

  • 59 Cette hypothèse a déjà été formulée par D. Paleothodoros (2002, 147), qui évoque une « réélaboratio (...)
  • 60 Citons un exemplaire en cornaline où une femme doublement ailée semble porter dans ses mains des cr (...)
  • 61 Bonfante & Swaddling (2006, 33). Sur l’iconographie de Vanth, dont les attributs sont les serpents (...)
  • 62 Sur le dionysisme en Étrurie, à connotations eschatologiques, voir Colonna (1991) ; sur l’hypothèse (...)
  • 63 Tsingarida (2020, 246‑247, 266‑267). Sur la réception possible, plus ancienne, de l’imagerie corint (...)
  • 64 Massa-Pairault (2001), Paleothodoros (2002, 150‑151). Notons que la recherche souffre de la méconna (...)

18Dans tous les cas, s’il faut légitimement considérer que ces jeux graphiques entre hybrides et « Grands Yeux » dans les coupes attiques s’intègrent dans l’environnement ludique du banquet grec, une lecture « à l’étrusque » de la signification de l’image est une possibilité à un moment spécifique du parcours de l’objet dans l’Antiquité : de sa conception initiale à Athènes jusqu’à son ensevelissement en Étrurie, son statut d’usage a pu changer et les images qu’il portait ont pu être resémantisées. Ainsi pourrait‑on concevoir que, par leur nature polysémique, ces sirènes-yeux et femmes aux ailes oculaires attiques ont été interprétées par des utilisateurs étrusques comme des images susceptibles de représenter les divinités ou entités démoniaques féminines qui peuplaient leurs univers religieux59, telles Vanth ou Culsu, génies féminins messagers de la mort et conducteurs d’âmes représentés ailés sur la glyptique étrusque tardo-archaïque (fig. 11)60 ou plus tard sur les urnes clusiniennes et les peintures funéraires de Tarquinia (Tomba degli Anina) ou de Vulci (Tombe François)61. Il n’est pas dit non plus que les aspects complexes du dionysisme dont font preuve ces expérimentations iconographiques n’aient pas été pleinement compris par les Étrusques, férus de culture grecque62. Comme le remarque Athéna Tsingarida dans un article portant sur le rôle performatif des grandes coupes et phiales attiques figurées découvertes en contextes étrusques, les vases grecs importés véhiculaient certes des idées culturelles de la Grèce à l’Occident, pouvaient être utilisés en tant que cadeaux d’échanges et de prestige aristocratiques, mais ils étaient aussi sujets à divers niveaux de lecture en environnement occidental, en fonction à la fois de la forme de l’objet, de sa décoration figurée ou bien encore de son enrichissement par l’inscription. Les vases se seraient intégrés, à la suite d’une sélection informée du récepteur qui pouvait aussi en être le commanditaire (il pourrait alors s’agir de special commissions), dans les coutumes religieuses et les rituels funéraires étrusques : phiales pour les libations, incinérations en cratères monumentaux, iconographies démoniaques ou scènes de danses liées à la conception étrusque de l’accès à l’Au‑delà63… Les lieux de l’Étrurie méridionale où se rencontraient plusieurs traditions culturelles, grecques et indigènes, par le biais des marchands, des voyageurs et d’installations d’artisans immigrés coopérant avec leurs homologues étrusques, à l’instar des sanctuaires liés aux ports de commerce de Pyrgi et de Gravisca, ont probablement dû jouer un rôle dans ce processus complexe d’appropriation idéologique du répertoire grec64.

Fig. 11. – Scarabée étrusque en cornaline, vers 525‑500 av. J.‑C.

Fig. 11. – Scarabée étrusque en cornaline, vers 525‑500 av. J.‑C.

Boston, Museum of Fine Arts, inv. 21.1198 (don Francis Bartlett, 1900).

© MFA

  • 65 Paris, BnF, inv. 1343 (ancienne collection Durand, vente 1836), fin iiie siècle av. J.‑C. : <http:/ (...)
  • 66 Rebuffat-Emmanuel (1973, 490).
  • 67 Pour une période plus récente, sur les liens qui unissent la céramique attique à figures rouges et (...)

19Au terme de cette réflexion, une remarque mérite tout de même d’être soulevée par gage de prudence, au risque de fragiliser notre délicat château de cartes : le fait que ces images attiques d’hybridités oculaires ne se retrouvent qu’en Étrurie pourrait ne constituer qu’un état actuel et partiel de la recherche archéologique. On constate en tout cas, pour finir, que la formule iconographique n’a eu que peu d’impact dans les expressions figurées tyrrhéniennes. Dans l’imagerie étrusque, cette hybridité oculaire n’est attestée que près de deux siècles plus tard, à la fin du iiie siècle av. J.‑C., sur un miroir gravé de la Bibliothèque nationale de France, où deux grands yeux sans iris sont représentés au centre des ailes rabattues d’une Lase (fig. 12)65. Loin de n’être qu’« une fantaisie isolée » du graveur comme l’indiquait Denise Rebuffat-Emmanuel66, ils pourraient caractériser une mise en abyme symbolique semblable aux spécimens attiques recensés67, l’image interagissant avec l’utilisateur du miroir ou, dans un second temps, avec le spectateur assistant aux cérémonies funèbres en l’honneur du défunt.

Fig. 12. – Miroir étrusque, fin iiie siècle av. J.‑C.

Fig. 12. – Miroir étrusque, fin iiie siècle av. J.‑C.

Paris, BnF, inv. Bronze 1343 (ancienne collection Durand), d’après Rebuffat-Emmanuel (1973).

Haut de page

Bibliographie

AMBROSINI Laura, « Gli specchi etruschi con cornice figurata. Riflessioni sulla struttura e raffigurazione del ‘cosmo’ in Etruria », Studi Etruschi, 80, 2017, p. 101‑113.

BEAZLEY John Davidson, The Lewes House Collection of Ancient Gems, Oxford, The Clarendon Press, 1920.

BEAZLEY John Davidson, The Development of Attic Black-Figure, Berkeley, University of California Press, 1951.

BEAZLEY John Davidson, Attic Black-Figured Vases Painters, Oxford, Clarendon Press, 1956.

BEAZLEY John Davidson, Attic Red-Figure Vase-Painters, Oxford, Clarendon Press, 1963 (2e éd.).

BENEDETTINI Maria Gilda, Cerveteri. Il tumulo delle Ploranti, Rome, De Luca Editori d’Arte, 2021.

BIELFELDT Ruth, « Sight and Light. Reified Gazes and Looking Artefacts in the Greek Cultural Imagination », dans M. Squire (éd.), Sight and the Ancient Senses, Londres / New York, 2016, p. 122‑142.

BIZZARI Claudio, « Gli inizi del santuario di Campo della Fiera: la ceramica greca », Annali Faina, XIX, 2012, p. 77‑114.

BLOESCH Hansjörg, Formen attischer Schalen von Exekias bis zum Ende des strengen Stils, Berne, Benteli, 1940.

BOARDMAN John, Athenian Black Figure Vases, Londres, Thames and Hudson, 1974.

BOARDMAN John, « A Curious Eye Cup », AA, 1976, p. 282‑290.

BONAUDO Raffaella, La culla di Hermes: iconografia e immaginario delle hydriai ceretane, Rome, « L’Erma » di Bretschneider, 2004.

BONFANTE Larissa & SWADDLING Judith, Etruscan Myths. The Legendary Past, Austin, University of Texas Press, 2006.

BOTHMER Dietrich von & BOEGEHOLD Alan L. (éd.), The Amasis Painter and His World: Vase Painting in Sixth-Century B.C. Athens [Catalogue de l’exposition, Malibu, J. Paul Getty Museum, New York, Metropolitan Museum of Art], Malibu / New York, Thames & Hudson, 1985.

BRIQUEL Dominique, Catalogue des inscriptions étrusques et italiques du musée du Louvre, Paris, Picard Louvre éditions, 2016.

BRIQUEL Dominique & GAULTIER Françoise, Rivista di epigrafia etrusca, Studi Etruschi, 56, 1989‑1990, p. 361‑362.

BUNDRICK Sheramy, « Athenian Eye Cups in Context », AJA, 119 (3), 2015, p. 295‑341.

BUNDRICK Sheramy, Athens, Etruria, and the Many Lives of Greek Figured Pottery, Madison, University of Wisconsin Press, 2019.

BURANELLI Francesco, « Gli scavi di Vulci, 1828‑1854, di Luciano ed Alexandrine Bonaparte principi di Canino », dans M. Natoli (éd.), Luciano Bonaparte: le sue collezioni d’arte, le sue residenze a Roma, nel Lazio, in Italia (1804‑1840), Rome, Istituto Poligrafico dello Stato, 1995, p. 81‑218.

CAILLAUD Annaïg, « “Entre-deux”. Images de déesses ailées dans la céramique attique à figures noires », dans N. Hosoi, E. Lehoux & V. Zachari (éd.), La cité des regards. Autour de François Lissarrague, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 171‑188.

CERCHIAI Luca, « Euphronios, Kleophrades, Brygos: circolazione e committenza della ceramica attica a figure rosse in Occidente », dans A. Carandini & E. Greco (éd.), Workshop di archeologia classica. Paesaggi, costruzioni, reperti, Pise / Rome, Fabrizio Serra Editore, 2008, p. 9‑28.

CERCHIAI Luca, Eroti, Sirene e l’equipaggio di Odisseo, OEBALUS. Studi sulla Campania nell’Antichità, 13, 2018, p. 367‑375.

CHAZALON Ludi, « Image du corps, corps de l’image, miroir du corps. Remarques sur la céramique figurée attique », Thème IV Images Thèmes Société – la peur des images, Cahier des Thèmes transversaux ArScAn, 11, 2011‑2012 (2013), p. 47‑53.

CHAZALON Ludi, « Les rhyta attiques d’Aleria », dans V. Jolivet et al. (éd.), Aleria et ses territoires, Bastia, éditions Éoliennes, 2022, p. 109‑123.

COLONNA Giovanni, « Riflessioni su Dionisismo in Etruria », dans F. Berti (éd.), Dionysos. Mito e Mistero (Atti del Convegno internazionale di Commachio), Commachio, Comune di Comacchio, 1989, p. 117‑155.

COLONNA Giovanni, « Il dokanon, il culto dei Dioscuri e gli aspetti ellenizzanti della religione dei morti nell’Etruria tardo-arcaica », dans L. Bacchielli, A. M. Bonanno & S. Stucchi (éd.), Scritti di antichità in memoria di Sandro Stucchun, vol. 2, Rome, « L’Erma » di Bretschneider, 1996, p. 165‑184.

CRISTOFANI Mauro & MARTELLI Martina (éd.), L’Oro degli Etruschi, Novara, Istituto Geografico De Agostini, 1983.

CULICAN William, « A Foreign Motif in Etruscan Jewellery », BSR, 39, 1971, p. 1‑12.

DEONNA Waldemar, « L’âme pupilline et quelques monuments figurés », L’Antiquité classique, 26, 1957, p. 59‑90.

DEONNA Waldemar, Le symbolisme de l’œil, Paris, De Boccard, 1965.

DE PUMA Richard Daniel, « Gold and Ivory », dans N. Thomson de Grummond & L. C. Pieraccini (éd.), Caere, Austin, University of Texas Press, 2016, p. 195‑208.

EISMAN Michael M., « Are Eyes Apotropaic? », AJA, 76, 1972, p. 210.

ESPOSITO Arianna, « Approches de la céramique grecque en péninsule Ibérique : circulations, consommations, imitations », dans A. Esposito (éd.), Autour du « banquet ». Modèles de consommations et usages sociaux, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2015, p. 97‑114.

ESPOSITO Arianna, « Nuovi spunti sulla mobilità artigianale fra Greci e Etruschi. In margine ad alcune pubblicazioni recenti », Mediterranea, 17, 2020 (2021), p. 147‑158.

FELLMANN Berthold, Corpus Vasorum Antiquorum, Deutschland 77, München, Antikensammlungen 13. Attisch-Schwarzfigure Augenschalen, Munich, Verlag C. H. Beck, 2004.

FERRARI Gloria, « Eye Cup », RA, Nouvelle Série Fasc. 1, 1986, p. 5‑20.

FORTUNELLI Simona, Gravisca. Scavi nel santuario greco, vol. 1.2 : Il deposito votivo del santuario settentrionale, Bari, Edipuglia, 2007.

FRONTISI-DUCROUX Françoise, Du masque au visage : aspects de l’identité en Grèce ancienne, Paris, Flammarion, 1995.

FRONTISI-DUCROUX Françoise, L’Homme-cerf et la femme-araignée. Figures grecques de la métamorphose, Paris, Gallimard, 2003.

FRONTISI-DUCROUX Françoise & VERNANT Jean-Pierre, « Figures du masque en Grèce ancienne », Journal de psychologie, 1‑2, 1983, p. 54‑69.

FURTWÄNGLER Adolf, Die antiken Gemmen, Geschichte der Steinschneidekunst im klassischen Altertum, Leipzig / Berlin, Giesecke & Devrient, 1900.

GANTZ Timothy, Mythes de la Grèce archaïque, Paris, Belin, 2004 (traduction de l’édition américaine de 1993).

GAULTIER Françoise, « Dal Gruppo della Tolfa alla Tomba dei Tori: tra ceramica e pittura parietale », dans M. Bonghi Jovino & C. Chiaramonte Treré (éd.), Tarquinia: Ricerche, scavi e prospettive (Atti del Convegno internazionale di studi La Lombardia per gli Etruschi, Milano, 24‑25 giugno 1986), Milan, Edizioni ET, 1987, p. 209‑218.

GAULTIER Françoise, « La céramique étrusque et campanienne à figures noires. Schémas iconographiques et formulaires abrégés », Mediterranea, 9, 2012, p. 133‑155.

GAULTIER Françoise, « Le soleil des Étrusques à l’époque archaïque », dans S. Verger & L. Pernet (éd.), Une Odyssée gauloise. Parures de femmes à l’origine des premiers échanges entre la Grèce et la Gaule. Catalogue de l’exposition, Lattes, 2013, Arles, Éditions Errances, 2013, p. 316‑321.

GIUMAN Marco, Archeologia dello sguardo. Fascinazione e baskania nel mondo classico, Rome, Giorgio Bretschneider Editore, 2013.

GUGGISBERG Martin, « Grösse als Gabe: Gedanken zum Format von „Prestigegütern“ in frühen Kulturen der Mittelmeerwelt und ihrer Randzone », dans B. Hildebrandt & C. Veit (éd.), Der Wert der Dinge. Güter im Prestigediskurs, Munich, Herbert Utz Verlag, 2009, p. 111‑125.

HACKL Rudolf, « Zwei frühattische Gefässe der Münchner Vasensammlung », JDAI, 22, 1907, p. 78‑105.

HALBERTSMA Ruurd Binnert (éd.), The Canino Connections. The History and Restoration of Ancient Greek Vases from the Excavations of Lucien Bonaparte, Prince of Canino (1775–1840), Leyde, Sidestone Press, 2017.

HANNESTAD Lise, The Castellani Fragments in the Villa Giulia: Athenian Black Figure, vol. 1, Aarhus, Aarhus University Press, 1989.

HASTRUP BLINKENBERG Helene, « La clientèle étrusque a‑t‑elle acheté des vases ou des images ? », dans M.‑C. Villanueva-Puig, F. Lissarrague, P. Rouillard & A. Rouveret (éd.), Céramique et peinture grecques. Modes d’emploi (actes du colloque international de l’École du Louvre, 1995), Paris, École du Louvre, 1999, p. 439‑443.

HAWORTH Marina, « The Wolfish Lover: The Dog as a Comic Metaphor in Homoerotic Symposium Pottery », Archimède : archéologie et histoire ancienne, 5, 2018, pp. 7‑23.

HEDREEN Guy, « Involved Spectatorship in Archaic Greek Art », Art History, 30 (2), 2007, p. 217‑246.

HÖCKMANN Ursula, Die Bronzen aus dem Fürrstengrab von Castel San Mariano bei Perugia. Staatl. Antikenslg. München, Kat. der Bronzen I, Munich, C. H. Beck, 1982.

HOFSTETTER Eva, « Seirenes », dans LIMC, t. VIII.1, 1997, p. 1093‑1104.

ISLER-KERÉNYI Cornelia, Nike. Der Typus der laufenden Flügelfrau in archaischer Zeit, Erleinbach, Eugen Rentsch Verlag, 1969.

ISLER-KERÉNYI Cornelia, « Images grecques au banquet funéraire étrusque », Pallas, 61, 2003, p. 39‑53.

JAHN Otto, Über den Aberglauben des bösen Blickes bei den Alten, Leipzig, S. Hirzel, 1855.

JANNOT Jean-René, « Musiques et musiciens étrusques », CRAI, 132 (2), 1988, p. 311‑334.

JORDAN Jeanne Aline, Attic Black-Figured Eye cups, Ph.D. diss., New York University, 1988.

JUBIER-GALINIER Cécile, « Notice 74, Céramique grecque. Généralités », Bulletin archéologique céramique, REG, 133 (1), 2020, p. 185‑190.

KORCZYŃSKA-ZDĄBŁARZ Marta, « Lasa ed iconografia delle figure femminili alate su alcuni monumenti etruschi », Studies in Ancient Art and Civilization, 15, 2011, p. 185‑201.

KOSSATZ-DEISSMANN Anneliese, « Iris I », LIMC, t. V.1, 1990, p. 741‑760.

KRAUSKOPF Ingrid, « Gods and Demons in the Etruscan Pantheon », dans J. M. Turfa (éd.), The Etruscan World, Londres, Routledge, 2013, p. 513‑538.

LA GENIÈRE Juliette de, « Vases des Lénéennes ? », MEFRA, 99 (I), 1987, p. 43‑61.

LA GENIÈRE Juliette de, « Images attiques et religiosité étrusque », dans J. Christiansen & T. Melander (éd.), Proceedings of the Third International Symposium on Greek and related Pottery (Copenhagen, August–September 1987), Copenhague, Nationalmuseet, 1988, p. 161‑169.

LENORMANT Charles & WITTE Jean Joseph Antoine Marie de, Élite des monuments céramographiques : matériaux pour l’histoire des religions et des mœurs de l’Antiquité, vol. 2, Paris, Leleux, 1857.

LISSARRAGUE François, « Voyages d’images : iconographie et aires culturelles », dans P. Rouillard & M.‑C. Villanueva-Puig (éd.), Grecs et Ibères au ive s. av. J.‑C. Commerce et iconographie (actes du colloque de Bordeaux, 1986), Bordeaux, De Boccard, 1989 (REA, 89 (3‑4), 1987), p. 262‑269.

LISSARRAGUE François, « L’image mise en cercle », dans Images mises en forme, Paris / Athènes, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales / Daedalus, 2009, p. 13‑41.

LUBTCHANSKY Natacha, « “Bespoken vases” tra Atene e Etruria. Rassegna degli studi e proposte di ricerca », dans M. Della Fina (éd.), Artisti, committenti e fruitori in Etruria tra VIII e V secolo A.C. (Atti del XXI Convegno Internazionale di Studi sulla Storia e l’Archéologia dell’Etruria), Annali della Fondazione per il Museo “Claudio Faina”, XXI, 2014, p. 357‑386.

MAGGIANI Adriano, Vasi attici figurati con dediche a divinità etrusche, Rome, Giorgio Bretschneider Editore, 1997.

MARTENS Didier, Une esthétique de la transgression. Le vase grec de la fin de l’époque géométrique au début de l’époque classique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1992.

MASSA-PAIRAULT Françoise-Hélène, « La tombe des Lionnes à Tarquinia. Emporion, cultes et sociétés », Studi Etruschi, 64, 1998 (2001), p. 43‑70.

MAZET Christian, Meixoparthenoi. L’hybridité femme-animal en Méditerranée orientalisante et archaïque (viiie-vie s. av. J.‑C.), thèse de doctorat de l’École pratique des Hautes Études – Université PSL, 2020.

MAZET Christian, « Un vase à la mer, de Vulci à Madrid : l’olpé corinthienne de la collection Ferrá », Mediterranea, 17, 2021a , p. 157‑174.

MAZET Christian, « The History of Vulci is chronicled in its sepulchres ». Les fouilles Bonaparte des nécropoles orientales de Vulci (1828‑1846), des archives aux contextes archéologiques, mémoire inédit de l’École française de Rome remis à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2021b.

MAZET Christian, « La mémoire des idoles démembrées. Sur la piste des simulacres funéraires et des contextes orientalisants des fouilles Bonaparte à Vulci », MEFRA, 134 (1), 2022, p. 161‑192.

MITCHELL Alexandre G., Greek Vase-Painting and the Origins of Visual Humour, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.

PADEL Ruth, In and Out of the Mind: Greek Images of the Tragic Self, Princeton, Princeton University Press, 1992.

PALÉOTHODOROS Dimitris, « Pourquoi les Étrusques achetaient‑ils des vases attiques ? », Les Études Classiques, 70, 2002, p. 139‑160.

PILO Chiara, « Appendice iconografica », dans M. Giuman, Archeologia dello sguardo. Fascinazione e baskania nel mondo classico, Rome, Giorgio Bretschneider Editore, 2013, p. 143‑149.

PONTRANDOLFO Angela, « Le produzioni ceramiche », dans E. Greco & M. Lombardo (éd.), Atene e l’Occidente. I grandi temi. Le premesse, i protagonisti, le forme della comunicazione e dell’interazione, i modi dell’intervento ateniese in Occidente (Atti del Convegno Internazionale, Atene, 25‑27 maggio 2006), Athènes, S.A.I.A., 2007, p. 325‑344.

POULSEN Vagn, « Eine attische Augenschale », dans U. Jantzen & P. Zazoff (éd.), Opus nobile. Festschrift zum 60. Geburtstag von Ulf Jantzen, Wiesbaden, F. Steiner, 1969, p. 125‑128.

REBUFFAT-EMMANUEL Denise, Le miroir étrusque d’après la collection du Cabinet des médailles, Rome, École française de Rome, 1973.

RIVIÈRE-ADONON Aurélie, « Les « Grands Yeux » : une mise en scène visuelle », dans Émotions, Paris / Athènes, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales / Daedalus, 2011, p. 245‑277.

SIMON Erika, Die Götter der Griechen, Munich, Hirmer, 1980 (2e éd.).

SPINOLA Giandomenico, « Vanth, osservazioni iconografiche », Rivista di Archeologia, XI, 1987, p. 56‑67.

STEINHART Matthias, Das Motiv des Auges in der griechischen Bildkunst, Mainz, P. von Zabern, 1995.

STOPPONI Simonetta & GIACOBBI Alessandro, « Orvieto, Campo della Fiera: forme del sacro nel “luogo celeste” », dans E. Govi (éd.), La città etrusca e il sacro. Santuari e istituzioni politiche (Atti del Convegno, Bologna, 21‑23 gennaio 2016), Bologne, Bononia University Press, 2017, p. 121‑144.

SZILÁGYI János György, Ceramica etrusco-corinzia figurata. Parte II: 590/580‑550 a.C., Florence, S. Olschki, 1998.

SZILÁGYI János György, « Due kyathoi », dans B. Adembri (éd.), AEIMNESTOS. Miscellanea di studi per Maura Cristofani, t. I, Firenze, Centro Di, 2005, p. 361‑377.

THOMSEN Arne, Die Wirkung der Gotter. Bilder mit Flugelfiguren auf griechischen Vasen des 6. und 5. Jahrhunderts v. Chr., Berlin / Boston, De Gruyter, 2011.

TONGLET Delphine, Le kyathos attique de Madame Teithurnai. Échanges artisanaux et interactions culturelles entre Grecs et Étrusques en Méditerranée archaïque, Bruxelles, De Boccard, 2018.

TRUE Marion, Corpus Vasorum Antiquorum, United States of America 19, Boston, Museum of Fine Arts 2, Mainz, P. von Zabern, 1978.

TSINGARIDA Athéna, « Vases for Heroes and Gods: Early Red-Figure Parade Cups and Large-Scaled Phialai », dans A. Tsingarida et al. (éd.), Shapes and Uses of Greek Vases (7th–4th centuries B.C.), Bruxelles, Éditions de Boccard, 2009, p. 185‑201.

TSINGARIDA Athéna, « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! Vases à boire monumentaux et célébrations divines », dans V. Pirenne-Delforge & F. Prescendi (éd.), Nourrir les dieux ? Sacrifice et représentation du divin, Liège, Presses universitaires de Liège, 2011, p. 59‑78.

TSINGARIDA Athéna, « Oversized Athenian Drinking Vessels in Context: Their Role in Etruscan Ritual Performances », AJA, 124 (2), 2020, p. 245‑274.

TSINGARIDA Athéna (éd.), Shapes and Uses of Greek Vases (7th–4th centuries B.C.), Bruxelles, Éditions de Boccard, 2009.

TSINGARIDA Athéna & VIVIERS Didier (éd.), Pottery Markets in the Ancient Greek World (8th–1st Centuries B.C.), Bruxelles, Éditions de Boccard, 2013.

VERGER Stéphane, « L’utilisation du répertoire figuratif dans l’art celtique ancien », Histoire de l’Art, 16, 1991, p. 3‑17.

VERNANT Jean-Pierre Vernant, La mort dans les yeux. Figures de l’Autre en Grèce ancienne, Paris, Hachette, 1985.

VILLANUEVA-PUIG Marie-Christine, « Voir double dans l’univers dionysiaque », dans L. Villard & J. Jouanna (éd.), Vin et santé en Grèce ancienne (actes du colloque organisé à l’Université de Rouen et à Paris, 28‑30 septembre 1998), Athènes / Paris, École française d’Athènes, De Boccard, 2002, p. 45‑54.

VILLANUEVA-PUIG Marie-Christine, « Des “coupes à yeux” de la céramique grecque », Journal des Savants, 2004 (1), p. 3‑20.

VILLANUEVA-PUIG Marie-Christine, « Des vases pour les Athéniens (vie-ive siècles avant notre ère) », dans Des vases pour les Athéniens : vie-ive siècle avant notre ère, Paris / Athènes, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales / Daedalus, 2014, p. 7‑24. Disponible sur <http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/editionsehess/3120>.

VILLARD François, « L’évolution des coupes attiques à figures noires (580‑480) », REA, 48 (3‑4), 1946, p. 153‑181.

WALTER-KARYDI Elena, Samische Gefässe des 6. Jahrhunderts v. Chr. Landschaftsstile. Ostgriechischer Gefässe, Bonn, Rudolf Habelt, 1973.

WALTERS Henry Beauchamp, Corpus Vasorum Antiquorum, Great Britain 5, London, British Museum 4, London, The Trustees of the British Museum, 1929.

WALTERS Henry Beauchamp, Corpus Vasorum Antiquorum, Great Britain 8, London, British Museum 6, London, The Trustees of the British Museum, 1931.

WEBER-LEHMANN Cornelia, « Vanth », dans LIMC, t. VIII, p. 173‑183.

WEICKER Georg, Der Seelenvögel in der alten Litteratur und Kunst. Eine Mythologisch-Archaeologische Untersuchung, Leipzig, Teubner, 1902.

Haut de page

Notes

1 Cette recherche se situe dans la continuité des travaux menés depuis plusieurs décennies sur la réception de la céramique attique en Étrurie archaïque et plus globalement en Méditerranée occidentale : voir, sans être exhaustif, Lissarrague (1989), Isler-Kerényi (2003), Pontrandolfo (2007), Cerchiai (2008), Tsingarida et al. (2009), Tsingarida & Viviers (2013), Esposito (2015), Tonglet (2018), Bundrick (2019) et Tsingarida (2020).

2 À partir de la célèbre kylix attique représentant le dieu Dionysos banquetant sur la mer vineuse de couleur rouge-corail, signée sur le pied EΞΣΕΚΙΑΣ ΕΠΟΕΣΕ et provenant des nécropoles orientales de Vulci (Munich, Antkensammlungen, inv. 2044, fouilles Bonaparte, avril 1829, localité Cannelocchio), H. Bloesch attribue l’invention de la coupe à yeux au peintre Exékias : cf. Bloesch (1940, 2), suivi par Villard (1946, 174).

3 Le type a pour origine les bols à oiseaux nord-ioniens, parfois décorés de motifs ophtalmiques : cf. Martens (1992, 311‑314 ; sur l’évolution du décor ophtalmique dans la céramique grecque, 295‑329).

4 Je tire ces informations de la thèse de doctorat inédite d’Aurélie Rivière-Adonon, L’iconographie des « Grands Yeux » dans la céramique attique de la période archaïque, soutenue en 2008 à l’université Paul Valéry de Montpellier, dont les conclusions ont été publiées dans un article synthétique : Rivière-Adonon (2011). Pour l’A., ces yeux doivent être interprétés dans le contexte de l’expérience du banquet : leur vision accompagne et soutient l’ivresse du buveur. Sur la réunion du corpus des coupes à yeux attiques à figures noires et leur classement stylistique, voir Jordan (1988).

5 On doit à O. Jahn d’avoir formulé en premier cette hypothèse : cf. Jahn (1855, 65).

6 Martens (1992, 284‑459, 332‑348 pour un développement sur l’« interprétation apotropaïque »). M. Eisman, qui considère que les motifs oculaires étaient purement décoratifs, propose de ne plus utiliser dans le vocabulaire céramologique le terme d’« yeux apotropaïques » : cf. Eisman (1972, 210). Pour une critique de l’utilisation du terme, voir Hedreen (2007) et Pilo (2013, 143‑144).

7 Boardman (1976, 288) ; voir aussi Martens (1992, 354‑357, « L’interprétation comme masque », 289, fig. 125 pour la mise en situation d’usage).

8 Ferrari (1986, 19).

9 Frontisi-Ducroux (1995, 100‑103).

10 « La coupe à yeux compose effectivement un visage, mais qui comme tout ce qui relève du prosopon, doit être envisagé par rapport à un observateur placé en face, et non par rapport à ce qu’elle peut recouvrir. […] La coupe à yeux est donc un prosopon, offert tantôt à l’utilisateur, tantôt au voisin du banquet, avec qui l’on entretient cette relation de réciprocité qui définit la sociabilité grecque. » (Frontisi-Ducroux, 1995, 101)

11 À ce sujet, voir entre autres Villard (1946), Martens (1992, 284‑459, chapitre 5 : « Animation anthropomorphique »), Frontisi-Ducroux (1995, 100 pour l’expression « vase visage »), Villanueva-Puig (2004).

12 Sur la métaphore du « vase-corps » dans la céramique attique figurée, voir Chazalon (2013, 51‑52 pour les vases à yeux).

13 Villanueva-Puig (2002).

14 Cambridge, Fitzwilliam Museum, inv. GR39.1864 (BA – pour « Beazley Archive » – 302605) : Beazley (1956, 202, no 2), Deonna (1957, 59‑60, pl. I‑II), Martens (1992, 348, fig. 156), Frontisi-Ducroux (1995, 102, fig. 57), Pilo (2013, 144, tav. IVa).

15 Deonna (1957, 60) et Deonna (1965).

16 D. Martens donne comme exemple une coupe à yeux de type A du Musée national de Copenhague : « […] on peut même discerner une bouche monstrueuse ; le tore, rehaussé de lie-de-vin, produit l’effet d’une langue, tandis que le bas de la vasque, en combinaison avec le pied, fait penser à des lèvres… En outre, la portion inférieure de la vasque est ornée d’une frise de petits triangles ; dès que le récipient s’animera, ceux‑ci se transformeront en autant de dents, évoquant ainsi la bouche de la Gorgone. » (Martens, 1992, 290, fig. 126)

17 Walter-Karyidi (1973, 104, note 122) ; voir aussi Poulsen (1969, 126).

18 Deonna (1957, 68‑71). Ces « tatouages » peuvent se retrouver soit sur les yeux, soit sur les gorgoneia, associés dans de rares cas sur la même coupe, mais D. Martens a bien démontré qu’ils se retrouvent sur d’autres figures que la Gorgone : cf. Martens (1992, 348‑353). Il ne faut pas retenir à mon avis l’interprétation de D. Martens concernant une coupe du Museum of Fine Arts de Dallas, qui à partir de la distinction partiale entre œil féminin et œil masculin propose une association symbolique entre le gorgoneion du tondo et les yeux extérieurs en amande : cf. Martens (1992, 351, fig. 159).

19 Frontisi-Ducroux (1995, 102‑103), qui qualifie la face gorgonéenne d’« anti-prosopon ».

20 Frontisi-Ducroux & Vernant (1983), Vernant (1985), en dernier lieu Giuman (2013, 59‑67).

21 Villanueva-Puig (2004, 10).

22 Mitchell (2009, 36‑46).

23 Boston, Museum of Fine Arts, inv. 10.651 (BA 310515). Don en 1910 de Edward Perry Warren. Acheté en Italie en 1899 : cf. Beazley (1956, 157.86), True (1978, 43‑44, pl. 100,5, 101), Bothmer et al. (1985, 221‑222, no 61), Steinhart (1995, 22‑24).

24 Il s’agit, selon D. von Bothmer, d’une convention désuète qui remonte aux sirènes peintes par Sophilos : cf. Bothmer et al. (1985, 221‑222).

25 Je remercie Ludi Chazalon pour ces observations judicieuses. Selon elle, on pourrait aussi assimiler les éjaculations des hommes aux déjections des chiens représentées sous les anses de la coupe, en reprenant l’idée que le pénis (kunodesme en grec ancien) est un « chien » : voir à ce sujet Haworth (2018). Le peintre s’amuserait ainsi de ceux qui, au banquet et l’ivresse aidant, perdent toute mesure.

26 Mitchell (2009, 43‑45), qui qualifie ces figures de marginalia.

27 Beazley (1951, 61‑62, pl. 26.4), une lecture rappelée par Bothmer et al. (1985, 221‑222) et Steinhart (1995, 23‑24). Je remercie Cécile Colonna d’avoir porté ce point à mon attention.

28 Beazley (1956, 286‑287), Boardman (1974, 110).

29 Londres, British Museum, inv. B 342 / 1837,6‑9.73 (BA 301821) : cf. Weicker (1902, 158), Walters (1902, pl. 94, 1), Beazley (1956, 335.8), Steinhart (1995, 22‑24, pl. 5, 3), Hofstetter (1997, pl. 740, no 87).

30 Londres, British Museum, inv. B 215 / 1843,1103.60 (BA 320288) : cf. Walters (1929, pl. 52,1), Beazley (1956, 286.1), Bothmer et al. (1985, 221, fig. 113, A‑B), Steinhart (1995, 23‑24, pl. 4, 1‑4).

31 À propos de ces émanations animales on retiendra l’analyse de F. Frontisi-Ducroux, selon laquelle les imagiers athéniens juxtaposent dans l’espace de la représentation plusieurs figures qui correspondent chacune à un temps de la métamorphose (un lion, un serpent, du feu, etc.). La représentation simultanée de ces figures constitue alors « la traduction spatiale de la succession chronologique », où chaque élément désigne une étape du cycle des transformations (Frontisi-Ducroux, 2003, 29‑30).

32 « It may have amused the painter to transform the decorative eyes into sirens as a counterpoint to the main scene, as well as adding a beard to a typical female creature. By doing so, the ‘male’ siren stands by Peleus whereas the ‘female’ siren assists Thetis. » (Mitchell, 2009, 42‑43)

33 La carnation blanche et non noire de l’hybride mâle était déjà remarquée dans l’une des premières publications du vase en 1857, dans le deuxième volume des Élites des monuments céramographiques de Charles Lenormant et Jean de Witte, où il est par ailleurs précisé que les chairs blanches pourraient « faire allusion à la pâleur des ombres et des divinités infernales », les deux sirènes oculaires de part et d’autre de la figure d’Apollon citharède étant alors interprétées comme les représentations d’« Hadès, le dieu des morts, placé en face de Proserpine ou d’Aphrodite Ζειρήνε » (Lenormant & Witte, 1857, 77‑80, citations p. 78). Dans la planche lithografiée figurant le vase (id. pl. XXV), reprise de l’ouvrage de 1833 de Giuseppe Micali, Storia degli antichi popoli italiani (tav. LXXXIV, 3), le dessinateur a représenté en noir et non en blanc la carnation de l’hybride, ce qui est corrigé par les auteurs (ibid., p. 78, note 4).

34 Bâle, Collection Cahn, inv. HC 883 (BA 18403) : cf. Bothmer et al. (1985, 221), Steinhart (1995, 22‑24, pl. 5.2).

35 Rome, Antiquarium comunale, inv. 17417 (BA 2942) : cf. Steinhart (1995, pl. 5.1).

36 Rivière-Adonon (2011, 270). Sur les rapports qui unissent les sirènes et le symposion à partir des vases attiques de Vulci, notamment le célèbre stamnos à figures rouges illustrant le suicide des sirènes (Londres, British Museum, inv. E 440) issu des fouilles Bonaparte, voir Cerchiai (2018). Sur l’intégration active du motif mythologique de la sirène dans la figure noire étrusque, voir Szilágyi (2005, 371‑373).

37 A. Rivière-Adonon reprend les observations de Padel (1992, 97).

38 Seize occurrences sont recensées : cf. Rivière-Adonon (2011, note 134).

39 Munich, Antikensammlungen, inv. 2019. De Vulci, fouilles Candelori, 1831 : cf. Beazley (1956, 204.12, 205), Fellmann (2004, 107‑108, pl. 69, 1‑5). Sur les coupes attiques chalcidisantes, voir Boardman (1974, 107).

40 Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, inv. 62.1.11 (BA 201949) : cf. Beazley (1963, 122, 1627), Lissarrague (2009, 25, fig. 10a), Bielfeldt (2016, 136‑138, fig. 6.9 et 6.10). La coupe de Richmond, qui provient du marché suisse des antiquités, est signée NIKOΣΘENEΣ EΠOIEΣEN.

41 Les déesses ailées : cf. Beazley (1956) ; sirènes ou sphinx : cf. Hackl (1907, 92), à cause des motifs de plumes de chaque côté du buste, interprété à tort comme des griffes ; Iris : cf. Kossatz-Deissmann (1990, 751). Sur l’iconographie ambivalente de Niké et d’Iris, se reporter à Isler-Kerényi (1969) et plus récemment Thomsen (2011) et Caillaud (2019).

42 Rome, Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, inv. 79664 (BA 9025597) : cf. Hannestad (1989, 34, 109, no 243).

43 Rome, Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, inv. 79969 & 79611 (BA 9025617 & 9025653) : cf. Hannestad (1989, 39, 125, no 264, 44‑45, 138, no 300).

44 Sur la question, se reporter à Lubtchansky (2014) et plus récemment Tonglet (2018) pour le kyathos.

45 Hastrup Blinkenberg (1999). À ce sujet, se reporter également à Villanueva-Puig (2014), évoquant « une perspective plus neutre, selon laquelle les clients opéreraient leur choix à travers un répertoire de thèmes attiques ».

46 Bundrick (2015, 323‑324 pour des remarques générales sur les assemblages funéraires vulciens) ; Bundrick (2019, 93‑126, « Athenian Eye Cups Abroad »), reprenant les réflexions de l’article initial.

47 L’A. se fonde surtout sur les contextes funéraires des fouilles de la fin du xixe siècle, laissant de côté, faute de documentation contextuelle assurée, les fouilles Bonaparte des nécropoles orientales (1828‑1846) dont proviennent sans doute la majorité des coupes à yeux attiques découvertes à Vulci. À leur sujet, se reporter en particulier à Buranelli (1995) et plus récemment Halbertsma et al. (2017). Je mène actuellement une recherche qui vise à l’identification des vases dispersés et de leurs contextes, notamment à partir des données largement inexploitées du Catalogo Generale des fouilles de 1828 à 1833 : cf. Mazet (2021b) et Mazet (2022).

48 Pourtant, la dimension de la plupart des coupes à yeux ne semble pas forcément différer des autres coupes attiques de type A. Sur les vases à boire monumentaux en contextes grecs et étrusques, voir Guggisberg (2009), Tsingarida (2009) et Tsingarida (2020).

49 Paris, musée du Louvre, inv. F 126 (BA 200279), ancienne collection Campana, achat 1863 : cf. Briquel & Gaultier (1989‑1990, cat. 78), Colonna (1996, 183, fig. 21, note 85), Briquel (2016, 212‑214, cat. 81).

50 « From its Athenian maker’s hand to a trader, on a ship across the sea to its Etruscan owner, then to a Vulcian tomb—with all these changes of location, the eye cup had not only shifted function and meaning but had become the property of an underworld god. Through this process, the cup’s Etruscan owner did not become hellenized ; rather, the cup itself was etruscanized. » (Bundrick, 2015, 311). Voir aussi Bundrick (2019, 207‑221, « The Etruscanization of Attic Figures Pottery »). Cette approche a été aussi développée par Deborah Steiner et Jennifer Neils à propos d’une coupe du sanctuaire de Poggio Colla, dont l’iconographie serait susceptible d’illustrer le rôle de la kylix dans le rituel cultuel étrusque : cf. Steiner & Neils (2018).

51 Jubier-Galinier (2020, 186).

52 C. Jubier-Galinier précise toutefois : « Que la demande étrusque ait joué un rôle important pour leur production, en particulier pour les plus beaux fleurons, est en revanche des plus vraisemblables. » (Ibid., 189)

53 Stopponi & Giacobbi (2017, 131‑133, pour le culte lié au temple A). Il est par ailleurs noté la présence importante de la décoration des grands yeux sur les kylikes et les coupes mastoïdes attiques, découvertes également en grand nombre dans le Sanctuaire septentrional de Gravisca : cf. Fortunelli (2007, 57). Pour l’étude de la céramique attique issue du sanctuaire, voir Bizzari (2012).

54 Lubtchansky (2014, 366‑373, citation 369).

55 « […] bisognerebbe provare ad invertire la prospettiva, che spesso dipende dalla questione di come le élites controllavano o condizionavano il gusto estetico, la moda e la funzione dei manufatti artigianali, e considerare invece come gli artigiani possano aver innovato e essere agenti attivi della creazione. L’evoluzione delle pratiche ceramiche è infatti una risposta evolutiva alle esigenze culturali di una comunità. » (Esposito, 2021, 154)

56 Il s’agit de bractées, de fermoir de ceinture et de pendentifs en or ou plus rarement en argent, datés vers 630‑600 av. J.‑C. et découverts dans les contextes funéraires cérétains ou vulciens. Cerveteri : Rome, Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia, inv. 21179-21180 (nécropole de la Banditaccia, Tombe des Dolia, chambre des Chenets) ; Londres, British Museum, inv. 1265-1266 (ancienne collection Castellani) ; Paris, musée du Louvre, inv. Bj 954 et Bj 2 (ancienne collection Campana) ; Vatican, Museo Gregoriano Etrusco, inv. 13548 ; Soprintendenza Archeologica Belle Arti e Paesaggio per la provincia di Viterbo e l’Etruria Meridionale, sans num. (localité Tombe del Comune près de la Banditaccia, Tumulus des Pleureuses, retrouvée sur le sol de la chambre centrale) ; Vulci : Rome, Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia, sans num. (nécropole de l’Osteria, Tomba Campanari, fouilles 1990) ; Vatican, Museo Gregoriano Etrusco, inv. 13553 ; sans provenance : collection privée, marché de l’art (André Emmerich Gallery, 1970), collection privée (Bomford Collection) en dépôt à l’Ashmolean Museum d’Oxford. Voir à leur propos Culican (1971), Cristofani & Martelli (1983), De Puma (2016, 200‑202) et en dernier lieu Mazet (2020, 475‑477) et Benedettini (2021, 46‑48,64, cat. 93, fig. 47).

57 Dans un article relatif au répertoire figuratif du premier art celtique, Stéphane Verger a utilisé le terme dans le but de définir des hybridités animales résultant de formes complexes d’associations graphiques : le corps d’un personnage prend la forme d’une tête animale (cruche de Reinheim) ou alors une tête humaine est substituée au bec d’un oiseau (fibule de Rochefort) : cf. Verger (1991, 9).

58 Mazet (2020, 478‑485). Voir par exemple la sirène-poisson du cratère « des Gobbi », daté du début du vie siècle av. J.‑C. : Cerveteri, Museo archeologico, inv. 19539 : Szilágyi (1998, 387‑392) ; certains hybrides des plaques en bronze de revêtement de char de Castel San Mariano, vers le milieu ou troisième quart du même siècle (Pérouse, Museo nazionale, inv. 1404) : Höckmann (1982, pl. 14.1 et 14.5) ; ou encore les déesses aux coiffes ailées du Groupe de la Tolfa, vers 530‑520 av. J.‑C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 84819 : Paris, musée du Louvre, inv. E 731, ancienne collection Campana : Gaultier (1987, 211), Gaultier (2012, 135‑139) et Gaultier (2013).

59 Cette hypothèse a déjà été formulée par D. Paleothodoros (2002, 147), qui évoque une « réélaboration symbolique du message iconographique original […]. Les divinités ailées, qui en Grèce ont des fonctions bien définies (Iris, Niké, Mort, Sommeil) sont assimilables aux génies ailés étrusques du monde infernal. » Sur la difficulté de saisir le regard étrusque sur les vases attiques et leurs images, à propos des rhyta d’Aleria, voir dernièrement Chazalon (2022, 118‑121).

60 Citons un exemplaire en cornaline où une femme doublement ailée semble porter dans ses mains des crotales, de l’ancienne collection Nott (Furtwängler, 1900, 76, no 14, pl. XVI, 14), ou alors, dédoublée, emportant de force le défunt dans l’Au‑delà (Boston, Museum of Fine Arts, inv. 21.1198, vers 525‑500 av. J.‑C. ; Beazley, 1920, no 36).

61 Bonfante & Swaddling (2006, 33). Sur l’iconographie de Vanth, dont les attributs sont les serpents et la torche, se reporter en particulier à Spinola (1987) et à l’article qui lui est consacré dans le LIMC : cf. Weber-Lehmann (1997). Pour une synthèse sur la démonologie étrusque, se reporter par commodité à Krauskopf (2013). Sur l’association entre ces génies féminins de la mort et la musique, voir en particulier Jannot (1988, 324‑325). Ces figures féminines médiatrices étrusques peuvent aussi être représentées dans des scènes mythologiques liées à la thématique des passages : c’est le cas sur une hydrie de Caéré à figures noires de la Villa Giulia attribuée au Peintre de l’aigle, où un génie féminin ailé, qui évoque les figures laconiennes et milésiennes, accompagne Europe enlevée sur le taureau de Crète (Rome, Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, inv. 50.643, vers 525 av. J.‑C. ; Bonaudo, 2004, 171‑181, cat. 13).

62 Sur le dionysisme en Étrurie, à connotations eschatologiques, voir Colonna (1991) ; sur l’hypothèse de la corrélation entre les représentations de rituels dionysiaques sur les stamnoi attiques dits des « Lénéennes » et des cérémonies religieuses locales, voir La Genière (1987) et La Genière (1988). Voir aussi à ce sujet Paleothodoros (2002, 151‑153), concluant à partir de l’étude des vases attiques à inscriptions dédicatoires étrusques — Maggiani (1997) — que « Le vase attique acquiert […] une fonction sacrée en Étrurie. Il s’agit d’un objet à qualités rituelles, non seulement dans les sanctuaires, mais aussi dans des contextes funéraires, domaine du culte salvateur de Dionysos / Fufluns. […] Les Étrusques n’achetaient pas les vases attiques à cause de l’exotisme de l’imagerie ou parce qu’ils partageaient les mêmes croyances religieuses et idéologiques que les Athéniens. En tant qu’objet d’altérité dans le milieu indigène, le vase attique arrive à satisfaire une demande pour des prototypes religieux archétypiques et authentiques ».

63 Tsingarida (2020, 246‑247, 266‑267). Sur la réception possible, plus ancienne, de l’imagerie corinthienne en Étrurie archaïque, je me permets également de renvoyer à Mazet (2021a, 168‑171).

64 Massa-Pairault (2001), Paleothodoros (2002, 150‑151). Notons que la recherche souffre de la méconnaissance du site de Regisvilla qui était l’avancée portuaire de la cité de Vulci, localisé dans la commune actuelle de Montalto di Castro, à proximité de la Punta delle Morelle, et encore partiellement fouillé.

65 Paris, BnF, inv. 1343 (ancienne collection Durand, vente 1836), fin iiie siècle av. J.‑C. : <http://medaillesetantiques.bnf.fr/ark:/12148/c33gb172tf> ; Rebuffat-Emmanuel (1973, 296‑299, no 61, pl. 61 ; sur les représentations des Lases sur les miroirs, 490‑493). Pour l’A., la présence de ces yeux s’explique par leur rôle de remplissage. Sur l’iconographie étrusque de ces figures ambivalentes, voir en dernier lieu Korczyńska-Zdąbłarz (2011).

66 Rebuffat-Emmanuel (1973, 490).

67 Pour une période plus récente, sur les liens qui unissent la céramique attique à figures rouges et les miroirs étrusques, voir Ambrosini (2017).

Haut de page

Table des illustrations

Titre Fig. 1. – Coupe attique à yeux attribuée au Peintre de Cambridge 61, vers 530‑520 av. J.‑C. De Vulci.
Légende Cambrige, Fitzwilliam Museum, inv. GR 39.1864.
Crédits © Fitzwilliam Museum
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 180k
Titre Fig. 2. – Coupe attique à yeux portée au visage, d’après Martens (1992).
Crédits Photo G. Martens-Berger
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 3,7M
Titre Fig. 3 (a-b). – Coupe à yeux attique à figures noires attribuée au Peintre d’Amasis, vers 540‑525 av. J.‑C.
Légende Boston, Museum of Fine Arts, inv. 10.651.
Crédits © MFA
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 449k
Titre Fig. 4. – Hydrie attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. De Vulci (fouilles Canino).
Légende Londres, British Museum, inv. 1837,0609.73.
Crédits © The Trustees of the British Museum
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Fig. 5 (a-b-c). – Amphore à col attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. De Vulci (fouilles Canino).
Légende Londres, British Museum, inv. 1843,1103.60.
Crédits © The Trustees of the British Museum
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 2,6M
Titre Fig. 6. – Fragment de coupe attique à figures noires attribuée au Groupe de l’« œil-Sirène », vers 520‑500 av. J.‑C. Provenance inconnue.
Légende Bâle, collection Cahn, inv. HC 883, d’après Steinhart (1995, pl. 5.2).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 210k
Titre Fig. 7 (a-b). – Coupe attique à figures noires, vers 530‑520 av. J.‑C. De Vulci.
Légende Munich, Antikensammlungen, inv. 2019 (ancienne collection Candelori, achat 1831), d’après CVA Munich 13.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 992k
Titre Fig. 8 (a-b). – Coupe attique à yeux attribué au Peintre de Nicosthénès, vers 520 av. J.‑C.
Légende Richmond, Virginia Museum of Fine Arts, inv. 62.1.11.
Crédits © Virginia Museum of Fine Arts
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Fig. 9. – Coupe fragmentaire attique à figures noires, vers 530‑520 av. J.‑C.
Légende Rome, Museo Etrusco Nazionale di Villa Giulia, inv. 79664 (ancienne collection Castellani), d’après Hannestad (1989).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 893k
Titre Fig. 10. – Paire de bractées cérétaines en or, vers 630 av. J.‑C. De Cerveteri.
Légende Londres, British Museum, inv. 1265‑1266 (ancienne collection Castellani).
Crédits © The Trustees of the British Museum
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 1,8M
Titre Fig. 11. – Scarabée étrusque en cornaline, vers 525‑500 av. J.‑C.
Légende Boston, Museum of Fine Arts, inv. 21.1198 (don Francis Bartlett, 1900).
Crédits © MFA
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 821k
Titre Fig. 12. – Miroir étrusque, fin iiie siècle av. J.‑C.
Légende Paris, BnF, inv. Bronze 1343 (ancienne collection Durand), d’après Rebuffat-Emmanuel (1973).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/docannexe/image/3529/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 207k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Christian Mazet, « Du banquet grec à l’imaginaire funéraire étrusque : les hybrides oculaires de la céramique attique »Gaia [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 22 juillet 2022, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/3529 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/gaia.3529

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search