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AccueilNuméros25VariaPromesse et guerre iliadique

Résumés

Deux promesses majeures s’entrecroisent et tissent ensemble la poétique de l’Iliade. La première dans l’ordre du récit, juste après la querelle entre Agamemnon et Achille, est la promesse donnée par Zeus à Thétis par laquelle il s’engage à octroyer temporairement la victoire aux Troyens, jusqu’au rétablissement de l’honneur du meilleur des Achéens, Achille. La seconde, introduite dans la trame narrative comme rappel, est une promesse donnée à un moment du passé par les Achéens, qui a comme objet le retour victorieux, le νόστος, notamment des Atrides, mais aussi de l’armée achéenne. La promesse de Zeus joue un rôle central dans la trame dramatique de l’épopée, déterminant le commencement de la guerre iliadique, son évolution et son issue. La promesse des Achéens réalimente, dans ce cadre, leur vertu et action héroïque. Tandis que la première promesse concerne l’itinéraire individuel d’un héros, et à travers celui‑ci le devenir collectif, la seconde est liée au projet collectif de νόστος, qui embrasse d’un coup les itinéraires individuels.
Plus qu’un fait nodal de la trame dramatique de l’épopée, la promesse constitue un élément essentiel de la société et de l’ordre héroïques. À travers son tissu linguistique et sémantique, la promesse est présentée comme le fondement et l’acte de cohésion de la société héroïque, ayant des caractéristiques de « contrat d’alliance ». Ce contrat social définit les liens de solidarité, liens de φιλότης, entre les membres de la communauté et répartit les obligations et les privilèges de chacun, ainsi que les ambitions héroïques, individuelles ou collectives. Par sa valeur de fondement social, la promesse acquiert un caractère « constitutionnel », à savoir un caractère de « loi constitutive » de la société iliadique.

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Dédicace

À Claude Mossé

Texte intégral

  • 1 Une première esquisse du thème de la promesse a été présentée dans ma thèse de doctorat Le choix d’ (...)
  • 2 À titre indicatif, on pourra consulter les dossiers collectifs Horkos: The Oath in Greek Society (L (...)

1Notre propos n’est pas de faire ici une étude générale concernant la promesse dans l’Iliade1. Et encore moins, il ne sera question de serment ou d’autres formes épiques du contrat. Depuis longtemps, les recherches homérologiques ont établi la valeur de ces pratiques quant à l’établissement de la cohésion et de la solidarité sociale. Mais malgré leur multiplication ces deux dernières décennies, la promesse en tant que telle, avec ses propres termes, linguistiques et pragmatiques, y reste peu explorée2. Dans leur ensemble, ces recherches ou bien se limitent à une simple mention du terme, mais sans examen précis, ou bien elles l’utilisent parallèlement au terme horkos, qui désigne le serment, mais sans en différencier le sens. Or, parcourant l’Iliade, on peut constater que la promesse, ὑπόσχεσις en grec homérique, se distingue des autres formes contractuelles tant par le lexique que par sa fonction dans l’intrigue de l’épopée.

2S’appuyant sur cette constatation, nous avons cherché à dépister, en particulier, le rapport entre la promesse et la guerre dans la synchronie de l’Iliade. On s’est interrogé sur la place que tient la promesse dans le plan du récit et le déroulement de l’action héroïque. Quel rapport pourrait‑il exister entre la promesse — quelle qu’elle soit — et le thème choisi de l’épopée, la colère d’Achille ? Comment le poète accueille‑t‑il la tradition légendaire, pré- ou extra-homérique, autour de la promesse qui est à l’origine de la guerre de Troie ?

3Partons d’une constatation préliminaire. Deux promesses majeures, qui se différencient sur bien des points, s’entrecroisent tout au long de l’Iliade et tissent ensemble, par voie d’antagonisme, la trame de l’épopée.

  • 3 Voir les vers I, 421 : μήνι’ Ἀχαιοῖσιν (le conseil de Thétis), et 488 : μήνιε νηυσί παρήμενος ὠκυπό (...)
  • 4 Pour les passages de l’Iliade, cités ici, nous utilisons la traduction de Paul Mazon, de l’édition (...)
  • 5 Voir I, 502 : λισσομένη προσέειπε, et pour l’ensemble de la scène : I, 500‑510. La supplication de (...)

4La première, introduite au tout début du récit, est liée à l’honneur du meilleur des Achéens, Achille. Au chant I, après la querelle avec Agamemnon et l’enlèvement de Briséis, « sa part d’honneur », Achille, pris de colère, annonce son intention de quitter Troie pour regagner sa patrie, Phthie. Or, il reste, mais il se retire de sa communauté et, sous le conseil de sa mère, Thétis, s’isole toujours sous « l’emprise de sa colère3 », μῆνις, près de ses nefs avec Patrocle et les Myrmidones. C’est là, près de la mer, qu’il s’adresse à sa mère Thétis et lui demande d’intervenir auprès de Zeus afin de réparer l’atteinte portée à son honneur. Thétis se rend alors sur l’Olympe et transmet la demande de son fils à Zeus en ces termes : « donne la victoire aux Troyens, jusqu’au jour où les Achéens rendront hommage à mon enfant et le feront croître en renom » (I, 509‑510)4. L’intervention de Thétis est présentée sous l’étiquette de la supplication5, ce qui d’emblée fait valoir la solennité de son acte. Les formules qui décrivent les gestes accomplis et les paroles prononcées par la déesse en attestent bien la conformité rituelle. Pour introduire la demande d’Achille, qu’elle avance comme sienne au moyen d’un datif éthique de la première personne : τίμησόν μοι υἱόν, « honore mon enfant » (I, 505), Thétis rappelle à Zeus les services qu’elle lui avait rendus auparavant. Or le fils de Cronos « ne réplique rien » ; il garde le silence (I, 511‑512). Mais Thétis insiste et, tenant toujours les genoux de Zeus, le sollicite de lui donner une réponse claire : accéder à sa demande et s’y engager par une « véridique promesse » (νημερτὲς) ou la rejeter :

Νημερτὲς μὲν δή μοι ὑπόσχεο καὶ κατάνευσον
ἢ ἀπόειπ’, ἐπεὶ οὔ τοι ἔπι δέος, ὄφρ’ ἐὺ εἰδέω
ὅσσον ἐγὼ μετὰ πᾶσιν ἀτιμοτάτη θεός εἰμι.

Ah ! Je t’en conjure, donne-moi une véridique promesse, et appuie‑la d’un signe de ton front. Ou dis‑moi non : tu n’as, toi, rien à craindre ; et je saurai, moi, à quel point je suis méprisée entre tous les dieux.
(I, 514‑516)

  • 6 I, 505 : τίμησόν μοι υἱόν et 515‑516 : ὄφρ’ ἐϋ εἰδέω / ὅσσον ἐγὼ μετὰ πᾶσιν ἀτιμοτάτη θεός εἰμι.

5L’insistance de Thétis ne relève pas de la simple répétition. Sollicitant ainsi la promesse de Zeus, la déesse ne tient pas simplement à renforcer sa demande, mais surtout à mettre en garde le Cronide. C’est que l’engagement qu’il est appelé à prendre aura essentiellement prise sur le statut de son propre honneur de déesse, parmi tous les Immortels6. La reprise du datif μοι, qui remplit ici la fonction du datif d’attribution au verbe ὑπόσχεο, « donne‑moi ta promesse », peut l’attester.

  • 7 Le discours de Zeus est introduit par la formule : τὴν δὲ μέγ’ ὀχθήσας προσέφη (I, 517), que Scully (...)
  • 8 Voir Nagy (1989, 19), « Introduction », qui utilise le terme « diction » pour désigner la « forme » (...)

6La réaction immédiate du Cronide montre qu’il a bien saisi le message. Comme le vers introductif de son discours nous en avertit, il sort de son silence « fort vexé », μέγ’ ὀχθήσας7. Et les premiers mots que la « diction8 » épique nous fait entendre par la bouche de Zeus éclairent bien la raison de sa vexation. Car ce que Thétis lui demande implique des « œuvres désastreuses » et l’induira également en « hostilité » avec Héra :

ἦ δὴ λοίγια ἔργ’ ὅ τέ μ’ ἐχθοδοπῆσαι ἐφήσεις
Ἥρῃ ὅτ’ ἄν μ’ ἐρέθῃσιν ὀνειδείοις ἐπέεσσιν∙
[…]

Ah ! la fâcheuse affaire, si tu me dois induire à un conflit avec Héré, le jour qu’elle me viendra provoquer avec des mots injurieux ! […]
(I, 518‑519)

  • 9 Voir I, 519‑521.
  • 10 Comme le montre Nagy (1989, 99‑103), les mots λοίγιος et λοιγός dans l’Iliade appartiennent au cham (...)
  • 11 C’est par la formule λοιγὸν ἀμῦναι qu’est désigné ce pouvoir. Notons que dans l’Iliade trois person (...)

7En effet, Zeus se trouve confronté à une décision très difficile. Ce n’est pas tant l’hostilité, ἔχθος, d’Héra qui l’inquiète ; c’est une attitude habituelle de son épouse de lui « chercher querelle en présence des dieux immortels9 ». Sa réticence tient plutôt à la demande en soi de Thétis, voire d’Achille, décrite par la périphrase λοίγια ἔργ’10, qui correspond sémantiquement au substantif λοιγός, « désastre, sinistre ». Le choix du vocabulaire est bien révélateur de la portée de la décision de Zeus. Il s’agit certes, à n’en pas douter, d’intervenir de manière stratégique dans le déroulement de la guerre afin d’amener les Achéens au désastre. C’est dire le monde à l’envers. Celui qui a le pouvoir de « sauver du désastre11 » est sollicité à le provoquer. Et cela vaut également pour Achille : tandis qu’il était (et il sera) celui qui « sauve les Achéens du désastre de la guerre », maintenant c’est lui‑même qui cherche à le provoquer.

8Pourtant, Zeus finit par acquiescer à la supplication de Thétis. Son engagement est énoncé avec la plus grande solennité du style épique qui lui est propre. Il promet à Thétis d’accéder à sa requête et pour ratifier sa parole fait signe de la tête, « le plus puissant gage » de sa parole :

ἐμοὶ δὲ καὶ ταῦτα μελήσεται, ὄφρα τελέσσω∙
εἰ δ’ ἄγε τοι κεφαλῇ κατανεύσομαι, ὄφρα πεποίθῃς∙
τοῦτο γὰρ ἐξ ἐμέθεν μετ’ ἀθανάτοισι μέγιστον
τέκμωρ∙ οὐ γὰρ ἐμὸν παλινάγρετον οὐδ’ ἀπατηλὸν
οὐδ’ ἀτελεύτητον ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω.

C’est à moi de veiller à accomplir ton vœu. Allons ! pour toi, j’appuierai ma promesse d’un signe de mon front. Ainsi tu me croiras ; c’est le plus puissant gage que je puisse donner parmi les Immortels. Il n’est ni révocable ni trompeur ni vain, l’arrêt qu’a confirmé un signe de mon front.
(I, 523‑527)

  • 12 Pour la définition du concept de « thème » dans l’épopée, voir Segal (1971, 2) : « Theme […] a recu (...)

9C’est ainsi qu’est introduit, vers la fin du premier chant de l’Iliade, le thème12 de la promesse : ayant comme acteurs deux dieux, Zeus et Thétis, comme objet la réparation de l’honneur, de la τιμή du fils mortel de Thétis, et comme champ de référence la guerre décrite dans l’Iliade, entre Achéens et Troyens. Par sa place au début du récit épique ainsi que par les personnages qui s’y sont impliqués, cette promesse s’offre comme paradigme éclairant notre interrogation de départ.

  • 13 Pour une étude détaillée sur « le lexique de la promesse », ses « constructions verbales » et leur (...)
  • 14 Dans cinq de ces occurrences, le sujet est Zeus : I, 514 ; II, 112 = IX, 19 ; XII, 236 ; XV, 374, e (...)

10Dès cette première apparition du thème, on peut déjà en distinguer les composantes : d’une part le lexique et le sens de la promesse13, d’autre part ses traits sociaux. Concernant tout d’abord le lexique, dans la supplication de Thétis, c’est l’expression formulaire ὑπόσχεο καὶ κατάνευσον qui constitue le noyau du thème. Notons d’emblée que cette formule14, composée de deux verbes en coordination, apparaît six fois dans l’Iliade. Dans cinq de ces occurrences, il s’agit d’une promesse rapportée à la troisième personne de l’indicatif aoriste. Ici, c’est le seul cas où la formule apparaît à la deuxième personne de l’impératif aoriste, mode propre au contexte du discours direct de la supplication.

  • 15 Sur les divers sens de ὑπό, voir Chantraine (1986, 137‑144).
  • 16 Voir Chantraine (19902), s. v. ἔχω (σχ- racine à vocalisme zéro).
  • 17 Comme le fait, à juste titre, Létoublon (2017, 711).
  • 18 Chantraine (1986, 138).
  • 19 Le substantif apparaît deux fois au singulier dans le contexte de l’assemblée du deuxième chant (28 (...)

11Le premier verbe de la formule, ὑπόσχεο, type du verbe ὑπισχνοῦμαι, est composé du préverbe ὑπό15 « sous, en dessous » et du radical à vocalisme zéro σχ- du verbe ἔχω16, « avoir », « tenir » et, à la voix moyenne, « se tenir ». L’unité sémantique créée par la composition de ces deux éléments véhicule l’idée de « se tenir, se placer en dessous ». Il y a lieu de s’interroger ici sur le sens du préverbe ὑπό17. Faut‑il l’entendre dans un sens strictement local ou pourrait‑on en suggérer un sens figuré ? De plus, dans ce contexte de quel « en dessous » s’agit‑il ? Parmi les divers sens du préverbe, Chantraine remarque que « d’une manière générale, ὑπό s’est prêté à souligner l’amorce d’un procès18 ». Si on prend le mot procès dans un sens élargi, on se sent autorisé à dire que Zeus est sollicité ici à se placer, en d’autres termes à « prendre position » « sous un projet » qui n’est autre que la réparation de l’honneur d’Achille. Compte tenu du contexte, et précisément de la demande de Thétis, cette prise de position impliquerait une sorte d’alliance, un lien particulier entre Zeus et Thétis. À l’appui de cette suggestion peut venir le substantif, de la même famille étymologique, ὑπόσχεσις, qui est attesté trois fois en tout dans l’Iliade19. Composé du préverbe ὑπό et du substantif σχέσις « lien », substantif dérivé du radical du verbe ἔχω, le mot ὑπόσχεσις rend transparente l’idée d’un « lien sous » — ce qui n’est pas le cas avec sa traduction française par « promesse ».

  • 20 Voir I, 527 et 528 : ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω ; Ἦ καὶ κυανέῃσιν ἐπ’ ὀφρύσι νεῦσε Κρονίων.
  • 21 Sur le sens du préverbe κατά, voir Chantraine (1986, 112), en particulier la remarque : « Vidé de s (...)
  • 22 I, 526‑527 : οὐ γὰρ ἐμὸν παλινάγρετον οὐδ’ ἀπατηλὸν / οὐδ’ ἀτελεύτητον ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω.

12Le second verbe κατανεύω, directement joint au premier, semble au premier abord décrire un geste corporel, un mouvement de la tête ou des sourcils, comme le précisent ses compléments20. Mais si l’on tient compte de ses composantes, le préverbe κατά, dans le sens de « complètement21 », et le verbe νεύω, « faire signe d’assentiment à quelqu’un », on peut suggérer que ce verbe dénote, en l’extériorisant, la disposition intérieure de l’émetteur. Zeus, lui‑même, prend soin d’affirmer cette dimension du mouvement de sa tête, lorsque, dans sa réponse, insiste avec emphase : « Il n’est ni révocable ni trompeur ni vain, l’arrêt qu’a confirmé un signe de mon front22. » La constellation des trois adjectifs qui caractérisent « le signe du front », dans une construction à double négation (adjectifs à sens privatif et à la forme négative), en offre l’affirmation la plus forte. Et c’est, en effet, avec ce verbe à l’indicatif futur, κατανεύσομαι (I, 524), qu’il énonce « son assentiment complet », voire son engagement délibéré au projet introduit par Thétis.

  • 23 Nous appliquons ici assez librement la théorie des performatifs ou des actes de langage concernant (...)

13Ceci étant posé, il convient ici de noter que dans ce contexte du discours direct, où l’acte de « donner une promesse » est représenté en train de se faire, chacun des deux verbes de la formule remplit une fonction différente. Le verbe ὑπισχνοῦμαι semble fonctionner principalement comme terme générique désignant le type de l’acte de parole ; le verbe κατανεύω a valeur de performatif23 désignant l’acte lui‑même.

14Deux autres verbes, τελέω et πείθομαι, dans la réponse de Zeus, viennent s’ajouter au noyau lexical de la promesse et éclairer sous un angle nouveau notre compréhension du sujet en question. Le premier verbe, τελέω, dérivé du substantif τέλος, « but », « aboutissement, accomplissement », on le trouve dans une proposition finale, qui précède l’énoncé de la promesse. « C’est à moi de veiller à accomplir ton vœu, ὄφρα τελέσσω » (I, 523), affirme Zeus, avant même de prononcer le mot performatif κατανεύσομαι. La mise en avant de cette affirmation, comme s’il s’agissait d’une signature introductive, est ici bien significative. Affirmer expressément d’avance l’accomplissement de la promesse qu’on donne révèle à la fois l’importance qu’on lui accorde et une nécessité de nature, dirait‑on, rituelle d’inclure cette clause dans la procédure afin de garantir son efficacité. D’ailleurs, c’est par ce même verbe τελέω, dans une construction négative, qu’est dénoncée dans la diction épique l’attitude de celui qui trahit sa promesse — nous y reviendrons plus bas.

  • 24 Comme l’a déjà signalé Martin (1989, 146) : « The poetry anticipates Austin and Searle in treating (...)
  • 25 I, 526‑527 : οὐ γὰρ ἐμὸν παλινάγρετον οὐδ’ ἀπατηλὸν / οὐδ’ ἀτελεύτητον ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω.

15Il y a une chose encore qu’il convient de remarquer. Moyennant l’association de ces deux verbes, τελέσσω et κατανεύσομαι, qui fait rapprocher les deux points temporels de la promesse, le temps de son énonciation et le temps de son accomplissement, Zeus souligne la rigueur, ou mieux la valeur performative de sa parole, de son dire. C’est-à-dire que la promesse ne consiste pas simplement en un engagement verbalement exprimé hic et nunc, mais également en une mise en acte au futur, en son faire. En schématisant, oserait‑on dire, nous avons devant nos yeux la formulation épique24, bien avant sa théorisation moderne, de « promettre c’est faire », en ordre inverse : « je le ferai, je te promets ». Mais plus que cela ou avec cela, c’est l’aspect éthique de l’engagement qui est ainsi mis en valeur. Le commentaire justificatif — déjà mentionné25 — par lequel Zeus scelle son discours d’engagement, en reprenant presque les mêmes expressions du début, peut nous rassurer. Réaffirmer avec insistance que « ce que je promets d’un signe de ma tête (ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω) ne reste pas inaccompli (οὐδ’ ἀτελεύτητον) », ne relève pas simplement, on l’admet, du caractère formulaire de la composition épique. Si Zeus, et par sa voix le poète, prend cette peine, il y a au moins deux raisons : en premier lieu, parce que c’est ainsi que sa promesse s’inscrit dans son principe éthique d’agir, ce qui vaut comme gage de confiance dans ses rapports avec autrui ; en second lieu, parce qu’il veut rassurer Thétis concernant l’accomplissement de sa requête et lui inspirer ainsi confiance.

  • 26 Voir Chantraîne (= DELG) (19902), s. v. πείθομαι.
  • 27 Pour la valeur esthétique et dramatique des variations et/ou des expansions des expressions formula (...)
  • 28 Pour le sens de πειθώ dans l’épopée, sa « dimension sociale » et son « contexte institutionnel », v (...)

16De fait, cette idée de confiance est expressément présente dans la réponse de Zeus. Elle est désignée par le verbe πείθομαι, « se confier », « être persuadé »26 — le second verbe noté plus haut — et s’y trouve étroitement liée avec le thème de la promesse. Lorsque Zeus formule son engagement envers Thétis : « pour toi, j’appuierai ma promesse d’un signe de mon front, κεφαλῇ κατανεύσομαι », il ajoute un complément de finalité : « afin que tu sois persuadée, que tu aies confiance, ὄφρα πεποίθῃς » (I, 524). Ce complément, qui prolonge27 et enrichit la diction épique, permet d’entrevoir un autre aspect de la promesse. Au moyen de la liaison de subordination des deux verbes : κατανεύσομαι, ὄφρα πεποίθῃς, « je le promets, pour que tu aies confiance [en ma parole] », et de l’alternance de leurs sujets : Zeus fait signe de sa tête, pour que Thétis ait confiance [en lui], c’est un aspect de la dimension sociale de la promesse que ce complément fait valoir. Outre le locuteur qui s’engage par sa parole, l’acte de promettre concerne et présuppose l’autre ; il vise à et implique la « persuasion », πειθώ28, de l’interlocuteur.

  • 29 Voir Detienne (1981, 92‑94).
  • 30 Expression empruntée à Detienne (1981, 94).
  • 31 Sur le sens du « politique » dans son application à la société homérique, on renverra aux analyses (...)

17En ce sens, la promesse puise aussi sa validité et son efficacité dans son rapport avec autrui29, voire la confiance d’autrui. Autrement dit, elle requiert la disposition mentale appropriée de l’interlocuteur pour qu’elle soit considérée — suivant la théorie analytique — comme intégralement accomplie. Ce qui reviendrait à dire que, par l’imbrication et la dépendance mutuelle des actes et des acteurs, en vue d’un projet commun, la promesse se révèle comme une « parole-dialogue » avec des caractéristiques de « parole publique30 ». En tant que telle, et du fait qu’elle concerne tant les rapports entre les communautés adversaires, les Troyens et les Achéens, que ceux à l’intérieur de la communauté achéenne, il ne serait pas hasardeux de dire qu’elle, la promesse, s’inscrit dans le domaine du « politique31 », au sens où l’entendait Louis Gernet.

18À travers le lexique et la sémantique de la promesse commence donc à se dessiner un premier aspect de sa dimension sociale. Dans leur combinaison, les verbes qui définissent le « quoi » et le « comment », voire l’aspect essentiel et pratique de la promesse, dessinent une sorte de « contrat d’alliance » dans le cadre duquel sont désormais définis les rapports entre les personnes qui y sont directement impliquées et leur rôle dans la guerre iliadique.

  • 32 Taillardat (1982, 10‑12), partant de l’hypothèse d’une racine indo-européenne commune, suggère le r (...)
  • 33 Nous renvoyons ici à Ricœur (1987, 70‑72) qui, au sujet de l’aspect éthique de la promesse, précise (...)
  • 34 I, 509‑510 : τόφρα ἐπὶ Τρώεσσι τίθει κράτος, ὄφρ’ ἂν Ἀχαιοὶ / υἱὸν ἐμὸν τείσωσιν ὀφέλλωσιν τέ ἑ τιμ (...)

19En ce qui concerne les sujets, la promesse, ὑπόσχεσις, et son corollaire, la confiance, πειθώ, établissent un engagement réciproque, un lien de solidarité, φιλότης32 en grec homérique, entre Zeus et Thétis dans un schéma triangulaire. À savoir, les dieux alliés sont tenus d’être solidaires « sous le projet » ou « jusqu’à l’accomplissement du projet » de la réparation de l’honneur d’Achille, ce qui renvoie à des « implications éthiques33 » de part et d’autre des parties engagées. En même temps est aussi défini leur rôle dans la guerre iliadique. Avec son acte de supplication, Thétis intervient de manière intrinsèque et décisive dans le déroulement de la guerre, puisque c’est elle qui dicte le plan de l’intrigue : « […] donne la victoire aux Troyens, jusqu’au jour où les Achéens rendront hommage à mon enfant et le feront croître en renom34. » Et, de son côté, Zeus s’engage à traduire dans le contexte de l’action héroïque, voire d’objectiver sur le champ de bataille, ce qui a été conclu entre eux par sa promesse.

  • 35 On s’aligne ici sur l’approche qui voit la boulé de Zeus être liée à l’intrigue de l’épopée. Sur la (...)
  • 36 Voir I, 531 : τώ γ’ ὣς βουλεύσαντε διέτμαγεν et 536‑537 : οὐδέ μιν Ἥρη / ἠγνοίησεν ἰδοῦσ’ ὅτι οἱ συ (...)
  • 37 I, 540 : Τίς δ’ αὖ τοι, δολομῆτα, θεῶν συμφράσσατο βουλάς;

20Serait‑ce aller trop loin que de suggérer que moyennant ce « contrat promissoire » est tissée la boulé35 de Zeus, annoncée dans le préambule de l’épopée ? Le texte lui‑même nous fournit la réponse. À deux reprises, les échanges verbaux entre Zeus et Thétis, pendant la scène de la supplication, sont décrits par des expressions désignant l’acte de « tenir conseil, délibérer36 ». Au vers 531, le récit nous renseigne sur la fin de ce conseil : « ayant ainsi délibéré, τώ γ’ ὣς βουλεύσαντε, ils se quittent » ; et quelques vers plus bas, au vers 537, à propos de la perception de l’événement par Héra : « Héra avait compris qu’il [Zeus] avait tenu conseil avec elle [Thétis], οἱ συμφράσσατο βουλάς. » Aussi, lorsque Héra, peu après la rencontre de Zeus avec Thétis, irritée, s’en prend à son époux : « Avec quel dieu encore viens‑tu délibérer, συμφράσσατο βουλάς, astucieux37 ? », c’est bien la même expression qu’elle utilise pour l’accuser. La diction s’est donc prononcée, à n’en pas douter : Zeus et Thétis ont délibéré en commun sur le plan de l’action, ce qui fait la Διὸς βουλή.

  • 38 Voir Muellner (1996, 133‑155), chapitre « The Mênis of Achilles and Its Iliadic Teleology ».
  • 39 I, 6‑7 : ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε / Ἀτρεΐδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς.
  • 40 Pour les verbes, voir Chantraine (19902), respectivement s. v. ἵσταμαι et s. v. ἔρις.
  • 41 Voir Chantraine (1986, 95).
  • 42 Sur l’ἔρις, qui fait partie du champ sémantique de μῆνις et de νεῖκος, terme-clé de la poésie de bl (...)
  • 43 Sur cette phase d’Achille, suite à sa mênis, voir Redfield (1984), chapitre « La colère d’Achille » (...)
  • 44 Concernant l’idée du rôle cosmogonique de Thétis dans la légende et dans l’Iliade, nous renvoyons a (...)

21En ce qui concerne l’objet de la promesse, l’honneur d’Achille, le lien avec le monde des dieux qu’Achille a par naissance est non seulement confirmé par la promesse divine mais aussi consolidé dans un cadre nouveau. Par la conception du projet divin en vue de la restitution de son honneur, l’affinité biologique du héros avec le monde des dieux est revêtue d’un tissu social. Ainsi, la μῆνις d’Achille, rattachée à sa genèse au monde des héros, pénètre désormais aussi dans le monde des dieux38. Parallèlement, ce resserrement du lien du héros avec le monde des immortels entraîne l’accroissement de la distance qui le sépare de sa communauté des compagnons de guerre mortels. D’ailleurs, comme il est annoncé dès le préambule, aux vers 6‑7 : « Pars [déesse] du jour où une querelle tout d’abord divisa le fils d’Atrée, protecteur de son peuple, et le divin Achille39 », suite à la querelle entre Agamemnon et Achille, cette distance devient rupture du lien de solidarité d’avec ses compagnons d’armes. L’expression verbale διαστήτην ἐρίσαντε40, avec sa forme au nombre duel, met en relief la nature et l’étendue de cette rupture. Notons d’abord que le premier verbe διαστήτην, composé du préverbe διά qui exprime l’idée de « séparation41 » et du verbe ἵσταμαι, « se tenir », rend presque imagé un état de division et de séparation, ajoutons, de deux hommes. Le second verbe, le verbe ἐρίζω, « se quereller, rivaliser avec », place cette division dans l’univers d’ἔρις42, de la « discorde », cette force qui détruit les liens d’amitié. En tout, l’unité inséparable, que désigne le duel, des deux premiers des Achéens est rompue par l’ἔρις et du coup la μῆνις s’est substituée aux liens de φιλότης héroïque. Et tandis qu’Achille en colère se tient hors du champ de bataille, entamant ainsi sa « phase négative43 » avec la guerre, Zeus et Thétis interviennent de manière drastique, cosmogonique44 dirait‑on, dans l’économie de la guerre iliadique. Car, en planifiant, voire même en déterminant son déroulement, ils ont déterminé à la fois l’itinéraire héroïque d’Achille et le devenir des combattants des deux communautés.

  • 45 Concernant les poèmes du Cycle, contenus dans la Chrestomathia de Proclus (testimonia and fragments(...)

22On ne peut que penser que cette scène fait écho au conseil tenu entre Zeus et Thémis que racontaient les Chants cypriens45. Désigné par le même verbe, βουλεύομαι, ce conseil, qui avait comme sujet, on se rappelle, de soulager la terre du fardeau des hommes, finit par décider la guerre de Troie. Et cette décision est aussi décrite par la même expression : Διός δ’ ἐτελείετο βουλή, qu’on trouve dans le préambule de l’Iliade. Mais plus que les analogies ce sont les divergences qui sont les plus significatives. Dans l’Iliade, Thétis ne remplace pas simplement Thémis. Son rôle dans le conseil est plus actif et plus décisif, même par rapport à celui de Zeus, parce que c’est à elle que revient l’initiative en tout, même si ça passe via la supplication.

  • 46 Pour un bref exposé sur ce sujet qui a divisé les critiques depuis l’Antiquité, se reporter au beau (...)

23Les éléments que nous avons réunis jusqu’ici mettent en lumière le rôle important de la promesse de Zeus tant au niveau de la poétique de l’Iliade qu’au niveau du devenir individuel et collectif. Au niveau de la poétique, cette promesse qui tisse le « dessein de Zeus46 », Διὸς βουλή, marque le début et l’évolution de la guerre iliadique, voire le plan du récit épique. Ce qui suit au chant II, notamment la réunion des Achéens en assemblée et le catalogue des vaisseaux, épisodes qui font écho à la réunion légendaire de l’armée achéenne à Aulis, en mettent en scène l’image du commencement. Ces épisodes introduisent également la trame du récit épique jusqu’au rétablissement de l’honneur d’Achille. Concernant le devenir collectif et individuel, la promesse répartit — pour une durée précise — la victoire et la défaite entre les deux communautés adverses, entre Troyens et Achéens, affectant, par conséquence, les trajectoires individuelles des combattants des deux côtés, puisque le rétablissement de l’honneur d’Achille entraîne la mort d’un grand nombre de héros (I, 3‑4). Ainsi, tandis que la promesse de Zeus à Thétis est conclue à un moment nodal de l’itinéraire biographique du meilleur des Achéens, elle vient du coup définir le devenir héroïque collectif et la composition épique.

24À partir de ce moment, et jusqu’à son aboutissement au chant XIX (μήνιδος ἀπόρρησις), le thème de la promesse au nom de l’honneur d’Achille va de pair avec le thème de sa colère. La colère du héros et la promesse divine s’entrelacent et marquent tout le réseau des actes, tant sur le champ de bataille que sur celui des relations et des comportements.

  • 47 Pour le sens du mot ἐχθρός et des mots de la même famille étymologique, voir Chantraine (19902), s. (...)

25Il devient alors clair que la promesse de Zeus n’engage pas seulement les personnes directement impliquées, à savoir Zeus et Thétis, mais affecte également tant le rapport du Cronide avec les autres dieux Olympiens — toujours dans le cadre de la guerre iliadique — que son rapport avec les deux communautés adversaires des mortels. En établissant un lien de solidarité avec Thétis jusqu’à l’accomplissement de sa promesse, Zeus choisit son camp : au nom de l’honneur d’Achille, il favorise les Troyens au détriment des Achéens. En d’autres termes, Zeus choisit des « amis », φίλοι, et des « ennemis », ἐχθροί47, non seulement parmi les communautés des mortels mais aussi à l’intérieur de la famille des Olympiens (μ’ ἐχθοδοπῆσαι ἐφήσεις / Ἥρῃ, I, 518‑519). Ce choix ne se limite donc pas au seul Zeus, mais concerne les autres dieux et amène le conflit du monde des mortels au monde des immortels. Ce conflit entraînera diverses réactions tant sur le plan des discours que sur le champ de bataille.

  • 48 I, 558‑559 : τῇ σ’ ὀΐω κατανεῦσαι ἐτήτυμον ὡς Ἀχιλῆα / τιμήσῃς ὀλέσῃς δὲ πολέας ἐπὶ νηυσίν Ἀχαιῶν.

26La première réaction, immédiate, comme d’ailleurs Zeus l’avait prévu, provient de son épouse. Quand Zeus rentre dans la demeure des Olympiens, Héra, fort inquiète parce qu’elle ne s’était pas méprise sur la rencontre du Cronide avec Thétis, s’adressant à son époux, l’accuse d’avoir donné à Thétis « l’infaillible promesse », κατανεῦσαι ἐτήτυμον, « d’honorer Achille et d’immoler près de leurs nefs les Achéens par milliers48 ».

27Même si Héra est indignée du comportement de Zeus — qui, à l’insu de son épouse, avait passé contrat avec Thétis —, sa réaction se limite, au début, à des « mots mordants » (κερτομίοισι ἐπέεσσι, I, 539). Il en va néanmoins autrement des réactions suivantes d’Héra et de celles des autres Olympiens, comme celle d’Héra et d’Athéna au chant V ou celle d’Héra et de Poséidon au chant XV. Dans ces cas, il ne s’agit pas seulement de réactions de durée plus longue, mais aussi de réactions mieux organisées, en collaboration avec d’autres dieux et à l’insu de Zeus. Plus encore, elles ne se manifestent pas seulement par des « mots mordants », mais par des interventions sur le champ de bataille au profit des Achéens. Les réactions de ce type suspendent occasionnellement la dynamique de la promesse de Zeus et semblent retarder son accomplissement, mais surtout elles mettent en question l’efficacité de l’engagement du Cronide envers Thétis.

28L’intervention la plus puissante est sûrement celle qui commence au chant XIV, organisée en commun par Héra et Poséidon, la fameuse Διός ἀπάτη, qui a comme conséquence le renversement temporaire de la situation sur le champ de bataille en faveur des Achéens. C’est ainsi que, lorsque Zeus se réveille, au chant XV, et voit les Troyens mis en fuite par les Achéens, il déclare ouvertement à son épouse, avec un profond ressentiment, qu’il ne permettra à aucun des Olympiens de porter secours aux Achéens avant que sa promesse envers Thétis ne soit accomplie :

[…] τὸ πρὶν δ’ οὔτ’ ἄρ’ ἐγὼ παύω χόλον οὔτε τιν’ ἄλλον
ἀθανάτων Δαναοῖσιν ἀμυνέμεν ἐνθάδ’ ἐάσω
πρίν γε τὸ Πηλεΐδαο τελευτηθῆναι ἐἐλδωρ,
ὡς οἱ ὑπέστην πρῶτον, ἐμῷ δ’ ἐπένευσα κάρητι,
ἤματι τῷ ὅτ’ ἐξ ἐμεῖο θεὰ Θέτις ἥψατο γούνων,
λισσομένη τιμῆσαι Ἀχιλλῆα πτολίπορθον.

[…] Jusque‑là, je garde mon ressentiment et ne permets ici à aucun Immortel de prêter aide aux Danaens : il faut que d’abord soit réalisé le vœu du fils de Pélée, comme je le lui ai promis, puis confirmé d’un signe de mon front, le jour où Thétis la divine a saisi mes genoux, me suppliant de rendre hommage à Achille, preneur de villes.
(XV, 72‑77)

  • 49 Voir en comparaison VX, 74 : ὡς οἱ ὑπέστην πρῶτον, ἐμῷ δ’ ἐπένευσα κάρητι, au lieu de I, 514 : Νημε (...)
  • 50 XV, 72 et 74 : τὸ πρὶν δ’ οὔτ’ ἄρ’ ἐγὼ παύω χόλον […] πρίν γε τὸ Πηλεΐδαο τελευτηθῆναι ἐἐλδωρ. À pr (...)
  • 51 Concernant l’efficacité des ordres de Zeus à des moments critiques de l’intrigue iliadique, qui son (...)
  • 52 XV, 77 : οὐδ’ ἀπίθησε θεὰ λευκώλενος Ἡρη.

29Ce rappel de la promesse, par Zeus lui‑même, est doublement significatif. En premier lieu, il reprend, dans toute sa solennité, la scène initiale de la supplication de Thétis et de la formulation de la promesse de Zeus, celle‑ci avec une variation de l’expression formulaire initiale49. Mais plus important encore, c’est l’emphase particulière mise sur l’accomplissement de la promesse, au moyen de l’usage du double πρίν50. En second lieu, ce rappel œuvre de manière opérante51 dans deux directions liées l’une à l’autre : la première concerne la réaction d’Héra, qui se conforme à l’interdiction de Zeus et s’éloigne du champ de bataille52. Ainsi, l’espace est libéré pour que l’action, et c’est là la seconde direction, reprenne le déroulement prévu par la promesse de Zeus au profit des Troyens. Cette évolution donne à voir la dynamique du rappel : comme la conclusion initiale de la promesse définit et détermine le déroulement de l’action héroïque, de manière analogue son rappel la réactive. Elle montre aussi le rapport dialectique entre la promesse et l’action : si la promesse définit et oriente l’action, l’action renouvelle et réactive la promesse, lorsque celle‑ci risque d’être révoquée par l’évolution de l’action.

30Ceci ainsi posé, la promesse de Zeus à l’égard de l’honneur d’Achille est l’axe central, le pivot de l’action héroïque dans l’Iliade. Cependant, face à elle et en rapport dialectique avec elle, il y a une autre promesse, celle‑ci faite à l’égard d’Agamemnon. Cette seconde promesse a aussi comme champ d’application la guerre iliadique, mais elle se distingue de la première sur d’autres aspects : i) elle a été faite dans le passé, au moment où les Achéens quittaient leur patrie pour Troie ; il ne s’agit alors que du rappel d’une promesse puisqu’elle remonte à un temps antérieur de l’Iliade ; ii) elle a comme objet un projet collectif : la victoire des Achéens et leur retour dans leur patrie ; iii) les sujets engagés sont, selon le cas, des dieux ou des héros mortels.

31Voyons les choses de près, dans l’ordre du récit.

  • 53 Pour la discussion concernant les multiples aspects — social, politique et psychologique — de l’épi (...)
  • 54 Suivant le Songe, la prise de Troie est présentée comme une éventualité (voir l’optatif avec κέν de (...)
  • 55 Pour la description de la majestueuse préparation d’Agamemnon, voir II, 41‑47.

32a) Au début du chant II, après le « Songe fallacieux », οὖλος Ὄνειρος53, Agamemnon imaginant — à la suite de son interprétation erronée du songe envoyé par Zeus — « qu’il allait prendre la cité de Priam54 », convoque le conseil des vieillards et se présente avec toute sa parure solennelle, tenant en main le symbole et gage de son pouvoir, le sceptre55. Avec le soutien de Nestor, il dresse un stratagème pour « tâter le courage » des Achéens : il proposera, lui‑même, aux Achéens de partir pour retourner dans leur patrie tandis que les autres chefs les retiendront par des paroles.

33À l’assemblée qu’il convoque ensuite, le chef de l’armée pan‑achéenne commence son discours en évoquant une promesse que Zeus lui avait faite dans le passé, « qu’il allait rentrer victorieux dans sa patrie après avoir mis à sac Troie » :

Ὦ φίλοι ἥρωες Δαναοί, θεράποντες Ἄρηος,
Ζεὺς με μέγα Κρονίδης ἄτῃ ἐνέδησε βαρείῃ
ὃς πρὶν μέν μοι ὑπέσχετο καὶ κατένευσεν
Ἴλιον ἐκπέρσαντ’ εὐτείχεον ἀπονέεσθαι,
νῦν δὲ κακὴν ἀπάτην βουλεύσατο, και με κελεύει
δυσκλέα εἰς Ἄργος ἱκέσθαι ἐπεὶ πολύν ὤλεσα λαόν […].

Héros Danaens, serviteurs d’Arès, mes amis ! Zeus, fils de Cronos, m’a terriblement su prendre dans les rets d’un lourd désastre. Le cruel ! il m’avait promis, garanti naguère que je ne m’en retournerai qu’une fois détruite Ilion aux bonnes murailles ; il m’avait, en fait, préparé un vilain piège : le voilà qui m’invite à rentrer à Argos chargé du déshonneur d’avoir fait périr tant d’hommes […].
(II, 110‑115)

  • 56 I, 526‑527 : οὐ γὰρ ἐμὸν παλινάγρετον οὐδ’ ἀπατηλὸν / οὐδ’ ἀτελεύτητον […].

34Remarquons tout d’abord que dans ce cas aussi le thème de la promesse est introduit avec le couple verbal : ὑπέσχετο καὶ κατένευσεν, relevé dans la promesse de Zeus à Thétis. Mais, contrairement à cette promesse, manquent ici les deux autres verbes τελέω et πείθομαι, qui, comme nous l’avons suggéré plus haut, consolident la rigueur de la promesse et garantissent son accomplissement. Significativement, ce manque, qui dénote une situation au moins ambiguë, est accentué par la dénonciation de la trahison de la promesse faite par Zeus à Agamemnon, exprimée notamment par la phrase : « il a, en fait, décidé maintenant un dessein trompeur [pour moi] », νῦν δὲ κακὴν ἀπάτην βουλεύσατο » (II, 114). L’expression est très parlante. Zeus est accusé non simplement de ne pas tenir sa promesse à l’égard d’Agamemnon, mais, qui plus est, de vouloir le tromper gravement, comme en témoigne la présence du verbe βουλεύσατο. Faisant usage de ce verbe, Agamemnon donne une interprétation appropriée, même si cela fait partie de son stratagème, du plan délibéré de Zeus. Si l’on compare cette phrase avec celle par laquelle Zeus scelle sa promesse à Thétis : « il n’est ni révocable ni trompeur ni vain, l’arrêt […]56 », on pourra remarquer un clair renversement de la forme typique du thème. Entre le passé (πρίν) et le présent (νῦν), tout est tourné au négatif.

  • 57 Cf. II, 111‑118 = IX, 18‑25. Notons qu’il s’agit ici d’une répétition mot à mot du même discours d’ (...)

35b) Dans le cadre d’une nouvelle assemblée pan‑achéenne, au début du chant IX (18‑25), Agamemnon revient, avec la même expression formulaire, à cette promesse de Zeus57.

36Cette fois encore, l’évocation de la promesse est suivie par la même dénonciation de sa trahison (νῦν δὲ κακὴν ἀπάτην βουλεύσατο, IX, 21). Pourtant, le contexte dramatique et l’état psychique d’Agamemnon sont différents. Voyant les Troyens arrivés très près du camp achéen, les Achéens s’affairent, suivant une proposition de Nestor, à construire un mur pour être protégés. Quant à Agamemnon, contrairement à son état précédent au chant II, où il faisait preuve de manque de conscience éveillée et de clairvoyance, il se présente maintenant bien en éveil psychique, « frappé au cœur d’un terrible chagrin » (ἄχεϊ μεγάλῳ βεβολημένος ἦτορ, IX, 9). Sa pensée étant attachée au danger qui menace la communauté achéenne, il se présente « en pleurs » à l’assemblée (δάκρυ χέων, IX, 14).

37c) Au chant II encore, durant la grande assemblée pan‑achéenne, lorsque Ulysse, suivant le stratagème d’Agamemnon, prend la parole, il évoque une promesse que les Achéens avaient faite dans le passé à Agamemnon : ils s’étaient engagés à revenir vainqueurs dans leur patrie après avoir mis à sac Troie. L’évocation de la promesse est ici faite par voix négative :

Ἀτρείδη νῦν δή σε ἄναξ ἐθέλουσιν Ἀχαιοί
πᾶσιν ἐλέγχιστον θέμεναι μερόπεσσι βροτοῖσιν,
οὐδέ τοι ἐκτελέουσιν ὑπόσχεσιν ἥν περ ὑπέσταν
ἐνθάδ’ ἔτι στείχοντες ἀπ’ Ἄργεος ἱπποβότοιο
Ἴλιον ἐκπέρσαντ΄ εὐτείχεον ἀπονέεσθαι […].

Fils d’Atrée, les Achéens en ce moment veulent faire de toi, seigneur, le plus humilié des hommes, au regard de tous les mortels. Ils se refusent à tenir la promesse qu’ils t’ont faite, au moment même où ils quittaient pour cette terre Argos, nourricière de cavales. Ils ne devaient y revenir qu’une fois détruite Ilion aux bonnes murailles […].
(II, 284‑288)

  • 58 Le débat autour de la notion de « vouloir » à l’époque archaïque dépasse les limites de notre étude (...)

38Précisément, Ulysse accuse les Achéens d’attitude antihéroïque, à savoir de ne pas maintenir dans le présent, νῦν, la promesse qu’ils avaient faite dans le passé à Agamemnon. On notera la construction négative de l’expression : οὐδέ τοι ἐκτελέουσιν ὑπόσχεσιν ἥν περ ὑπέσταν, qui désigne ici la trahison de la promesse. Lorsqu’on la compare, une fois encore, avec l’expression par laquelle Zeus affirmait son engagement déterminé envers Thétis, on voit également un renversement de l’ordre des choses, semblable au cas précédent. Et de manière analogue, l’accusation est ici aussi accentuée par la présence dans ce contexte négatif du verbe ἐθέλω58, « vouloir ». Dénotant la disposition mentale des sujets, à savoir des Achéens, ce verbe donne de la profondeur à leur attitude ; c’est que le désengagement à l’égard du projet collectif ne relève pas de l’accidentel, mais plutôt de l’intentionnel.

  • 59 Pour les rôles antithétiques d’Arès et d’Athéna sur le champ de bataille, et pour le genre de guerr (...)

39d) Au chant V, lors de l’aristeia de Diomède, Héra voit Arès, le funeste (οὖλον), intervenir au combat en portant de l’aide à Hector. Inquiète de l’action « sauvage59 » d’Arès, elle s’adresse à Athéna et lui rappelle la promesse qu’elles avaient faite dans le passé à Ménélas : « qu’il allait retourner vainqueur dans sa patrie après avoir mis à sac Troie » :

Ὢ πόποι, αἰγιόχοιο Διὸς τέκος, Ἀτρυτώνη,
ἦ ῥ’ ἅλιον τὸν μῦθον ὑπέστημεν Μενελάῳ
Ἴλιον ἐκπέρσαντ΄ εὐτείχεον ἀπονέεσθαι.
εἰ οὕτω μαίνεσθαι ἐάσομεν οὖλον Ἄρηα.
ἀλλ’ ἄγε δὴ καὶ νῶϊ μεδώμεθα θούριδος ἀλκῆς.

Eh quoi ! fille de Zeus qui tient l’égide, Infatigable ! Nous aurons à Ménélas fait une promesse vaine, en lui affirmant qu’il ne s’en retournerait qu’une fois détruite Ilion aux bonnes murailles, si nous permettons au funeste Arès de donner ainsi libre cours à sa fureur. Allons ! Souvenons‑nous, toutes deux aussi, de notre valeur ardente.
(V, 714‑718)

40Regroupons les remarques faites jusqu’ici autour de deux axes : 1) le lexique du thème de la promesse et 2) le contexte dramatique et social.

  • 60 Tous les verbes sont à l’aoriste : ὑπέσχετο καὶ κατένευσεν (Zeus : II, 112 = IX, 19) ; ὑπόσχεσιν ἥν (...)
  • 61 Pour une présentation détaillée de toutes les formes de ces périphrases dans la poésie homérique, v (...)
  • 62 Le terme « religieux » est ici entendu dans le sens social, c’est-à-dire dans son rapport avec le « (...)
  • 63 L’attribut φίλοι apparaît très souvent dans l’Iliade, dans des formules de sollicitation, tant dans (...)

411) Concernant le lexique60, hors du couple verbal formulaire — déjà relevé plus haut : ὑπέσχετο καὶ κατένευσεν (a et b), on notera aussi les variations : ὑπόσχεσιν ἥν περ ὑπέσταν (c) et τὸν μῦθον ὑπέστημεν (d) qui suggèrent les périphrases verbales ὑφίσταμαι ὑπόσχεσιν et ὑφίσταμαι μῦθον61 comme équivalents sémantiques du verbe ὑπισχνοῦμαι. En ce qui concerne l’objet, dans tous ces cas, le thème de la promesse est étroitement lié à celui du « retour dans la patrie après la mise à sac de Troie » — par facilité de langage, nous le désignerons désormais comme « retour victorieux ». Ce second thème, qui se rapporte à un projet collectif, constitue le contenu, voire l’objet du premier. Autrement dit, le retour victorieux, collectif et individuel, est conçu et fondé par la promesse en question. Les sujets, héros et dieux, qui sont impliqués dans l’accomplissement du projet collectif définissent ses doubles assises, sociales et « religieuses62 ». Et, comme avec la promesse de Zeus à Thétis, ses éléments constitutifs se condensent dans un contrat d’alliance. Dans le cadre de ce contrat sont fondés et définis les liens de collaboration et de solidarité entre les compagnons de la collectivité achéenne ; liens pour lesquels la langue épique dispose de l’attribut parlant de φίλοι63, qui renvoie à leur rôle et à leurs devoirs. La place primordiale des Atrides, par exemple, et surtout celle d’Agamemnon, en tant que destinataires de la promesse, nous permet de reconnaître leur rôle particulier quant à la mise en œuvre du projet collectif.

422) Dans les quatre cas, l’évocation de la promesse est faite pour dénoncer sa trahison virtuelle ou supposée (de Zeus, cas a et b : κακὴν ἀπάτην βουλεύσατο ; des Achéens, cas c : οὐδέ τοι ἐκτελέουσιν ὑπόσχεσιν ; d’Héra et d’Athéna, cas d : ἅλιον τὸν μῦθον ὑπέστημεν). Cette mise en avant de la trahison virtuelle de la promesse traduit au niveau du langage l’évolution négative de l’action sur le champ de bataille au détriment des Achéens. Les Troyens avancent triomphants, ce qui signifie que l’action se déroule suivant les termes de la promesse de Zeus à Thétis. Cette évolution dramatique met en évidence le rapport dialectique entre les deux promesses : la promesse des héros et des dieux pour le retour victorieux des Achéens est secondaire dans l’intrigue de l’épopée, et se trouve subordonnée à la promesse divine pour l’honneur d’Achille.

  • 64 Voir Nagy (1981, 222-242), « Chapter 12: Poetry of Praise, Poetry of Blame ».
  • 65 II, 114‑115 = IX, 21‑22 : καί με κελεύει / δυσκλέα εἰς Ἄργος ἱκέσθαι ἐπεὶ πολύν ὤλεσα λαόν.
  • 66 II, 284‑285 : Ἀτρείδη νῦν δή σε ἄναξ ἐθέλουσιν Ἀχαιοί / πᾶσιν ἐλέγχιστον θέμεναι μερόπεσσι βροτοῖσι (...)

43Dans trois de ces cas (a, b et c), la dénonciation en question s’étend aussi aux répercussions sociales : la trahison de la promesse entraîne pour les Achéens la mise en cause de la victoire et, par conséquence, de la gloire, κλέος, qui en découle. Deux adjectifs, qui font partie du champ sémantique de l’opprobre, de l’αἴσχος, et, suivant la formule de Gregory Nagy, de la « poésie de blâme64 », mettent en relief la portée de cette perte. Lorsqu’Agamemnon se réfère au « piège », κακὴν ἀπάτην, de Zeus (a et b), il s’imagine rentrer à Argos « avec une mauvaise renommée », δυσκλεής, parce que vaincu et, plus encore, « ayant perdu une grande part de son armée », πολὺν λαόν ὀλέσας65. C’est un sentiment similaire qu’exprime Ulysse, lorsqu’il commente (c) le comportement des Achéens : « Fils d’Atrée, les Achéens en ce moment veulent faire de toi, seigneur, le plus humilié, ἐλέγχιστος, des hommes, au regard de tous les mortels66. »

  • 67 Outre ce passage, l’adjectif apparaît dans sa forme superlative ἐλέγχιστος deux fois encore aux cha (...)

44À l’adjectif δυσκλεής, dont se sert Agamemnon pour nommer sa mauvaise renommée à venir, Ulysse ajoute l’adjectif ἐλέγχιστος67, « le plus honteux », attribut qui, par sa forme superlative, explicite avec emphase le sens du premier adjectif. Dans ces trois cas donc la trahison de la promesse entache négativement la renommée postérieure du roi Agamemnon. Dans leur combinaison, tous ces détails composent le renversement complet du projet héroïque en antihéroïque, renversement qui se condense dans la substitution du « retour honteux » au « retour victorieux », source de la gloire.

  • 68 V, 718 : ἀλλ’ ἄγε δὴ καὶ νῶϊ μεδώμεθα θούριδος ἀλκῆς. Concernant la fonction de ce type de sollicit (...)
  • 69 Pour le verbe μήδομαι, qui appartient à la famille étymologique de μῆτις et désigne à la fois une a (...)
  • 70 Comme plus haut concernant la réaction d’Héra à l’ordre de Zeus, c’est la même expression qui est i (...)

45Dans le quatrième cas (d), on remarque une différence importante dans le contexte immédiat. Lorsqu’Héra fait remarquer à Athéna la présence du « funeste Arès », elle ne se contente pas de lui manifester son inquiétude de voir leur promesse violée, mais l’exhorte à agir immédiatement par la sollicitation suivante : « Allons ! souvenons‑nous, toutes deux aussi, de notre valeur ardente68. » Dans cette sollicitation agonistique, sont étroitement associées deux attitudes, à première vue non liées entre elles, mais qui pourtant convergent en un type de comportement. L’éveil à la fois mental (μεδώμεθα)69 et corporel (θούριδος ἀλκῆς) est ici mis en avant comme condition nécessaire pour que la promesse des deux déesses ne soit pas trahie. Le déroulement de l’action vient vérifier l’efficacité de l’exhortation d’Héra. C’est Athéna la première qui se conforme au comportement requis70, puis les deux déesses ensemble, avec la permission de Zeus, cette fois, entrent dans la bataille et réussissent à repousser le danger que représente le funeste Arès. C’est ainsi que le déroulement de la bataille sera renversé temporairement en faveur des Achéens.

  • 71 Nous appliquons ici, assez librement, les remarques de Frontisi-Ducroux (1986, 31‑32), concernant l (...)

46Ce dernier exemple vient consolider ce que nous avons remarqué plus haut, dans le cas de la promesse de Zeus à Thétis. Rappeler la promesse lors d’un moment critique de l’action n’a pas simplement une fonction référentielle, mais bien plus une fonction performative, à savoir renouveler et réactualiser la vigueur de la promesse faite dans le passé71. Et comme dans le cas précédent, ce rappel produit des comportements adéquats au déroulement heureux de l’action concernant l’objet de la promesse. Parallèlement, et en comparaison avec le cas d’Agamemnon, surgit la question suivante. Comment peut‑on expliquer l’efficacité ou non du rappel ? Pourquoi Agamemnon ne réussit‑il pas avec ce même procédé à stimuler des comportements semblables chez les Achéens ? Nous pouvons, sans ambigüité, exclure une explication qui serait fondée sur la différence ontologique entre mortels et immortels, contraire à la logique interne de l’épopée. Faut‑il alors en chercher la raison dans la différence du cadre de l’action, le champ de bataille d’une part et l’assemblée de l’autre ?

47Trois passages encore, deux dans le contexte de la bataille et un dans le contexte de l’assemblée, où il s’agit toujours d’un rappel de promesse faite dans le passé, nous permettent de compléter nos remarques.

48Au chant IV, après le parjure de Pandare, à un moment critique pour les Achéens, Agamemnon fait l’inspection des armées des combattants et s’emploie à les encourager. Il rencontre alors le chef des Crétois Idoménée qui combat en première ligne. À l’incitation encourageante d’Agamemnon, le héros crétois répond de manière rassurante : il avance sa constance agonistique et, pour la consolider, évoque sa propre promesse par laquelle il s’était engagé dans le passé :

Ἀτρεΐδη, μάλα μέν τοι ἐγὼν ἐρίηρος ἑταῖρος
ἔσσομαι, ὡς τὸ πρῶτον ὑπέστην καὶ κατένευσα∙
ἀλλ’ ἄλλους ὄτρυνε κάρη κομόωντας Ἀχαιοὺς
ὄφρα τάχιστα μαχώμεθ’, […]

Fils d’Atrée, sois‑en sûr, pour toi je serai le gentil compagnon que je t’ai d’emblée promis et garanti. Va‑t‑en presser les autres Achéens chevelus. Nous devons engager la bataille au plus vite […]
(IV, 266‑269)

  • 72 IV, 266‑267 : μάλα μέν τοι ἐγὼν ἐρίηρος ἑταῖρος / ἔσσομαι.
  • 73 IV, 272 : Ὣς ἔφατ’, Ἀτρεΐδης δὲ παρῴχετο γηθόσυνος κῆρ.

49Dans ce cas, les faits relatés sont présentés dans l’ordre inverse. C’est avec une déclaration que le héros commence son discours : « Fils d’Atrée, sois‑en sûr, pour toi je serai le gentil compagnon que je t’ai d’emblée promis et garanti72 », mettant en avant sa disposition agonistique et son engagement constant, qui découle du lien de solidarité (ἐρίηρος ἑταῖρος) qui l’attache à Agamemnon. L’évocation de la promesse : ὡς τὸ πρῶτον ὑπέστην καὶ κατένευσα (IV, 267) vient juste après pour justifier et renforcer de manière formelle son comportement. Par ailleurs, son engagement en première ligne de la bataille est la preuve infaillible de ses paroles. Mais de manière significative, Idoménée recommande à l’Atride d’inciter, ὄτρυνε, les Achéens à montrer le même esprit agonistique, ὄφρα τάχιστα μαχώμεθ’, suscitant ainsi la joie d’Agamemnon73.

50Au chant XV, les Achéens paniqués par l’avancement des Troyens sont mis en fuite et trouvent refuge derrière leur mur. Nestor, fort inquiet, s’adresse par une prière à Zeus et lui demande de secourir les Achéens, de les sauver du sinistre. Pour corroborer sa demande, il lui rappelle la promesse qu’il avait faite dans le passé aux Achéens :

Ζεῦ πάτερ, εἴ ποτέ τίς τοι ἐν Ἄργεϊ περ πολυπύρῳ
ἢ βοὸς ἢ οἰὸς κατὰ πίονα μηρία καίων
εὔχετο νοστῆσαι, σὺ δ’ ὑπέσχεο καὶ κατένευσας,
τῶν μνῆσαι καὶ ἄμυνον, Ὀλύμπιε, νηλεὲς ἦμαρ
μηδ’ οὕτω Τρώεσσιν ἔα δάμνασθαι Αχαιούς.

Zeus Père ! si jamais l’un de nous, dans Argos riche en blé, brûlant de gras cuisseaux de bœuf ou de brebis, a de toi imploré le retour, et si tu le lui as promis et garanti, souviens‑t‑en aujourd’hui. Écarte de nous, ô dieu de l’Olympe, le jour implacable ; ne laisse pas les Achéens être vaincus ainsi par les Troyens.
(XV, 372‑376)

  • 74 XV, 375 : εὔχετο νοστῆσαι, σὺ δ’ ὑπέσχεο καὶ κατένευσας.
  • 75 XV, 376 : τῶν μνῆσαι καὶ ἄμυνον, Ὀλύμπιε, νηλεὲς ἦμαρ.

51Au centre de cette prière les deux thèmes corollaires, promesse et retour glorieux, sont, encore une fois, présentés en liaison étroite, voire en juxtaposition directe dans le même vers : « […] si l’un de nous […] a de toi imploré le retour, et si tu le lui as promis et garanti74. » Cette juxtaposition linguistique souligne également leur rapport sémantique étroit : l’issue heureuse du projet collectif des Achéens, leur retour glorieux, dépend de l’accomplissement de la promesse, et notamment ici de la promesse de Zeus. Ce que, effectivement, Nestor demande à Zeus c’est de réaffirmer, ici et maintenant, son engagement à l’égard des Achéens et d’exécuter sa promesse. Or, il importe de noter que, comme dans le cas du rappel d’Héra à Athéna, de manière analogue ici, l’exécution de la promesse est directement liée à une opération mentale, celle de l’éveil de mémoire. « Souviens‑t‑en aujourd’hui. Écarte de nous, ô dieu de l’Olympe, le jour implacable75 », c’est ainsi que Nestor sollicite Zeus. Se souvenir des échanges passés, plus qu’une nécessité rituelle, cette mise en avant de l’opération en question vise à réactualiser l’engagement pris au passé.

  • 76 Benveniste (1969, t. 2, 233‑243), au chapitre « Le vœu », analysant les usages du verbe εὔχομαι dan (...)
  • 77 Pour le lien de réciprocité entre le priant et la divinité que celui‑ci invoque, voir Benveniste (1 (...)
  • 78 Il est utile de rappeler ici ce que Rudhard (1992, 194‑195) remarque à propos du caractère à la foi (...)

52Rappelant cette promesse, Nestor s’applique à la fois à faire retourner la faveur de Zeus au profit des Achéens et à se mettre, lui‑même, sous la « protection divine76 ». La requête de Nestor est fondée sur le lien de solidarité entre héros mortel et dieu, lien qui est instauré dans le passé par la pratique sacrificielle77. Notons en passant que la forme hypothétique de cette prière : εἴ ποτέ τίς τοι ἐν Ἄργεϊ… ne change en rien la validité de la requête, parce qu’elle est conforme au mode de la « prière de sollicitation78 ». L’évocation de ce lien particulier de solidarité suggère une nécessité qui scande l’action héroïque : pour son issue heureuse, sont requis conjointement l’engagement divin et l’esprit agonistique des combattants. Les circonstances qui encadrent la prière de Nestor — on ne s’y attardera pas — vérifient cette nécessité.

53De plus, cette prière, qui exprime les ambitions personnelles de la personne qui implore, laisse clairement voir l’interdépendance entre l’itinéraire individuel et le succès ou l’insuccès du projet collectif. La conclusion de la requête de Nestor : « ne laisse pas les Achéens être vaincus ainsi par les Troyens » (μηδ’ οὕτω Τρώεσσιν ἔα δάμνασθαι Ἀχαιούς, XV, 376) met en évidence que « l’issue heureuse de la requête personnelle » n’est non seulement pas dissociée du projet collectif mais de surcroît en fait partie et est étroitement liée à celui‑ci.

54Ces passages permettent de voir que le rappel de la promesse dans le contexte de bataille ne fait pas simplement œuvre de mémoire ; tout au plus, il œuvre à réactualiser l’acte de promettre et à inviter ainsi les personnes qui se sont engagées à accomplir ici et maintenant ce qui a été conclu entre eux à un moment du passé. En d’autres termes, rappeler une promesse faite dans le passé vise à renouveler et réactiver l’engagement qui découle de son caractère de contrat de solidarité dans le but de solliciter à des comportements requis de la part des « compagnons » (ἑταίρων).

  • 79 Voir II, 216, où Thersite est caractérisé par l’adjectif αἴσχιστος. Pour un examen de la discussion (...)

55C’est ce caractère formel et officiel de la promesse, dans toutes ses composantes, que met en avant Nestor, lorsque, dans la seconde partie de l’assemblée pan‑achéenne du chant II, il s’applique à encourager les Achéens afin qu’ils restent fermes et accomplissent leur devoir héroïque. Rappelons brièvement la situation. Le stratagème d’Agamemnon a mal tourné : au lieu d’inspirer l’esprit agonistique aux combattants, il leur inspire le désir pour le retour dans la patrie, ce qui les conduit à une fuite désordonnée. La scène héroïque se trouve ainsi entièrement envahie par le désordre ; actes et paroles entraînent le blâme, l’αἰσχρόν. Ce renversement de l’ordre sera tout de suite dramatisé par la mise au devant de la scène de l’anti-héros Thersite, celui qui est le « lieu par excellence de l’αἰσχρόν79 ». Par la répugnance qu’il inflige, autant par son apparence que par son dire, Thersite sert de repoussoir tout à la fois esthétique et moral faisant valoir la nécessité du retour aux fondements institutionnels tant de l’assemblée que du comportement héroïque.

  • 80 II, 333, 335 : Ἀργεῖοι δὲ μέγ’ ἴαχον […] / μῦθον ἐπαινήσαντες Ὀδυσσῆος θείοιο.
  • 81 Pour le rôle de Nestor en tant que « maître de vérité » par excellence ou « maître de la μῆτις », v (...)

56Ulysse est le premier qui, suivant le second volet du stratagème d’Agamemnon, s’applique à rappeler les Achéens à l’ordre. Pour ce faire, il évoque, comme nous l’avons vu plus haut, leur promesse, en dénonçant leur comportement anti-héroïque, et pour ce faire il recourt à l’autorité du devin Calchas. Les Achéens approuvent avec enthousiasme le discours d’Ulysse80. Mais cela n’est pas suffisant. Pour que l’ordre soit pleinement rétabli, tant dans l’espace de l’assemblée que dans le champ de bataille, il y a besoin de l’intervention de Nestor, du « maître de vérité » par excellence81. Regardons de près les détails de son discours :

ὦ πόποι ἦ δὴ παισὶν ἐοικότες ἀγοράασθε
νηπιάχοις οἷς οὔ τι μέλει πολεμήϊα ἔργα.
πῇ δὴ συνθεσίαι τε καὶ ὄρκια βήσεται ἥμιν;
ἐν πυρὶ δὴ βουλαί τε γενοίατο μήδεά τ’ ἀνδρῶν
σπονδαί τ’ ἄκρητοι καὶ δεξιαί, ᾗς ἐπέπιθμεν∙
[…]
Ἀτρεΐδη σὺ δ’ ἔθ’ ὡς πρὶν ἔχων ἀστεμφέα βουλήν
ἄρχευ’ Ἀργείοισι κατὰ κρατερὰς ὑσμίνας,
τούσδε δ’ ἔα φθινύθειν ἕνα καὶ δύο, τοί κεν Ἀχαιῶν
νόσφιν βουλεύσωσ’∙ ἄνυσις δ’ οὐκ ἔσσεται αὐτῶν∙
πρὶν δ’ Ἄργος ἰέναι πρὶν καὶ Διὸς αἰγιόχοιο
γνώμεναι εἴ τε ψεῦδος ὑπόσχεσις εἴ τε καὶ οὐκί.
φημὶ γὰρ κατανεῦσαι ὑπερμενέα Κρονίωνα
ἤματι τῷ ὅτε νηυσὶν ὠκυπόροισιν ἔβαινον
Ἀργεῖοι Τρώεσσι φόνον και κῆρα φέροντες,
ἀστράπτων ἐπιδέξι’, ἐναίσιμα σήματα φαίνων. […]

Ah ! vous discourez là comme des enfants, de très jeunes enfants, qui n’ont point à songer aux besognes de guerre. Et que vont donc devenir, dites-moi, et les traités et les serments ? Au feu alors tous les desseins, tous les projets des hommes, et le vin pur des libations, et les mains qui se sont serrées, tout ce en quoi nous avions foi !
[…]
À toi donc, fils d’Atrée, de montrer, comme avant, ton vouloir inflexible. Guide les Argiens dans les mêlées brutales. Laisse ceux‑là — un ou deux au plus — se morfondre à leur gré, qui se mettent à part des autres Achéens et forment des projets — dont rien ne sortira — de partir pour Argos, avant de savoir si une promesse de Zeus porte-égide est mensonge, ou non. Je dis, moi, que le Cronide tout puissant nous a donné une assurance, le jour où les Argiens s’en allaient sur leurs nefs rapides porter chez les Troyens le massacre et le trépas ; il a tonné sur la droite, nous donnant ainsi favorable signe.
(II, 337‑341 et 344‑353)

  • 82 Pour une analyse stylistique — et pas seulement — des discours d’Agamemnon, d’Ulysse et de Nestor, (...)
  • 83 Sur le sujet, voir l’analyse concernant le serment de Carastro (2012, 97 et suiv.)
  • 84 Sur cette dimension, voir la suggestion de Vlachos (1974, 321) : « L’idée d’un tel accord, d’un “pa (...)

57Sans faire de détour ni recourir à quelque autorité extérieure, Nestor vise directement l’essentiel et le nécessaire82. Son commentaire introductif met en relief l’atmosphère anti-héroïque de l’assemblée : « Ah ! vous discourez là comme des enfants, de très jeunes enfants (παισὶν ἐοικότες ἀγοράασθε / νηπιάχοις), qui n’ont point à songer aux besognes de guerre. » Dans cette comparaison, paroles et œuvres se trouvent aux antipodes du comportement héroïque dans l’Iliade. Une « assemblée d’enfants », et notamment « de nourrissons », « qui ne se soucient point des œuvres de guerre » (οἷς οὔ τι μέλει πολεμήϊα ἔργα), ce tableau dramatise de façon éloquente le renversement de l’ordre. Avec son second commentaire, Nestor, tandis qu’il dénonce l’attitude des Achéens, leur rappelle la promesse qu’ils avaient faite dans le passé. On notera ici la constellation de termes techniques, qui offre un panorama des actes fondateurs83 du pacte social : συνθεσίαι, « traités », ὄρκια, « serments », βουλαί, « projets », σπονδαί, « libations », δεξιαί, « mains serrées », ᾗς ἐπέπιθμεν, « tout ce en quoi nous avions foi ». Dans leur ensemble, et par leur caractère rituel, ces pratiques définissent le cadre socio‑religieux de l’engagement héroïque, qui lui confère sa valeur de « contrat juré84 ».

  • 85 II, 344‑345 : ἄρχευ’ Ἀργείοισι κατὰ κρατερὰς ὑσμίνας […].
  • 86 Pour le sens politique du terme, voir Vlachos (1974, 128 et 160, n. 207).
  • 87 Voir II, 360‑368, et surtout 360 : ἀλλά, ἄναξ, αὐτός τ’ εὖ μήδεο πείθεό τ’ ἄλλῳ.
  • 88 Concernant « l’efficacité », objectif central et critère de l’éthique héroïque, voir généralement A (...)

58C’est ainsi que Nestor réactualise, au sens fort du terme, la promesse et redéfinit le lien institutionnel qui régit la communauté achéenne et les devoirs qui en découlent. Ceci étant, il rappelle à Agamemnon tout d’abord son devoir en tant que commandant en chef de l’armée achéenne : « À toi donc, fils d’Atrée, de montrer, comme avant, ton vouloir inflexible. Guide les Argiens dans les mêlées brutales85. » Et par la suite, assumant le rôle de « précepteur », il lui dicte en détail comment il doit, lui en tant qu’ἄναξ et surtout en tant que βουληφόρος ἀνήρ86, penser et agir, lorsqu’il s’agit de prendre une décision ou d’élaborer un projet stratégique concernant la communauté87. La leçon la plus importante du vieux précepteur enseigne à Agamemnon les principes fondamentaux qui doivent régir son mode de penser et de discourir : « Allons ! seigneur, sache être bien inspiré, sache écouter aussi ceux qui le sont », ἀλλά, ἄναξ, αὐτός τ’ εὖ μήδεο πείθεό τ’ ἄλλῳ (II, 360). Précisément : faire preuve de la pensée réflexive (εὖ μήδεο) d’une part et de l’autre pratiquer la parole-dialogue (πείθεό τ’ ἄλλῳ), ce qui implique d’être à l’écoute des autres. Deux types d’opérations donc qui s’inscrivent respectivement dans le domaine de μῆτις et dans celui de πειθώ sont mis ici en avant comme conditions psychiques et sociales requises pour l’exercice efficace de l’autorité par Agamemnon88. Il est évident que le maître de vérité, Nestor, contrairement à Ulysse, ne cherche à recourir à aucune autorité extérieure ; la vérité et le pouvoir de son discours ont ses assises directement dans le code héroïque — point n’est besoin d’y insister.

  • 89 II, 348‑349 : πρὶν καὶ Διὸς αἰγιόχοιο / γνώμεναι εἴ τε ψεῦδος ὑπόσχεσις εἴ τε καὶ οὐκί.

59La leçon de Nestor est bien claire. Précisément, « pour savoir si la promesse, ὑπόσχεσις, de Zeus est mensonge, ψεῦδος, ou non89 », il n’y a qu’une manière : qu’Agamemnon assume pleinement ses devoirs institutionnels dans l’exercice de son pouvoir, voire la gestion des affaires de la communauté. Au piège de Zeus, κακὴν ἀπάτην, qu’avait dénoncé Agamemnon au début de l’assemblée, Nestor administre comme remède le devoir de la loyauté du roi porte-sceptre. C’est cela, dirait‑on, la condition nécessaire qui est à même d’attirer la faveur divine et d’assurer la solidarité de la collectivité. Ce qui, en somme, revient à dire que la réalisation d’un projet ne saurait reposer, uniquement, sur une autorité individuelle, ayant ses assises sur des prérogatives héréditaires ; c’est une autorité collective, telle que la promesse est censée l’être, fondée sur un engagement réciproque, qui est aussi requise.

60Le déploiement de l’action confirmera Nestor en tant que maître de vérité institutionnel et orateur efficace. L’ordre héroïque sera rétabli à tous les niveaux. Agamemnon s’engage de manière conforme et efficace dans son rôle et l’assemblée des enfants se transforme de nouveau en armée héroïque, désireuse de faire la guerre.

61Qu’il nous soit permis de conclure cette revue partielle du rapport entre la promesse et la guerre dans l’Iliade par deux remarques récapitulatives.

  • 90 Sur cet aspect, voir Vlachos (1974, 318‑328), chapitre « Pacta sunt servanda. Valeur du serment pat (...)
  • 91 Les remarques que nous avons faites jusqu’ici ne font qu’introduire le thème de « la promesse et la (...)

62Les passages étudiés jusqu’ici nous ont permis de distinguer deux promesses majeures : a) la promesse contractée entre Zeus et Thétis ayant comme projet la réparation de l’honneur d’Achille et b) la promesse contractée entre les héros Achéens ayant comme projet leur retour glorieux. La première a prise sur l’itinéraire personnel d’un héros, d’Achille, et, à travers lui, sur le devenir collectif, tandis que la seconde est liée à un projet collectif dans lequel sont imbriqués les itinéraires individuels des héros. Ces deux promesses interfèrent et dialoguent entre elles dans la poétique de l’Iliade : la guerre iliadique commence avec la première et continue et s’achève avec la seconde. Mais elles se différencient quant à leur impact sur l’issue de la guerre : tandis que la promesse divine joue un rôle décisif dans l’évolution dramatique de l’épopée, la promesse héroïque guide et réoriente l’action et la vertu héroïque. Ainsi l’épopée met en avant l’importance du lien social dans le devenir collectif. La victoire à la guerre et le retour dans la patrie sont une affaire des hommes : ils présupposent l’engagement « volontaire90 » personnel et l’attachement au projet collectif, dont l’issue heureuse prévoit des liens de solidarité entre les compagnons de guerre. C’est la promesse qui, par sa vertu unificatrice, se trouve aux fondements de ces liens. Sa valeur fondamentale quant à l’institution et la cohésion de la communauté achéenne lui confère un caractère de « loi constitutionnelle ». Celle‑ci cimente la solidarité collective et en même temps distribue les devoirs et les droits des membres de la communauté, autant que ses objectifs et ses ambitions91.

63Dans la poétique de l’Iliade, le thème de la promesse est lié directement et de manière positive à deux autres grands thèmes : l’honneur d’Achille d’une part et le retour victorieux de la communauté achéenne d’autre part. Mais il se trouve aussi lié indirectement et de manière négative, dans un schéma bipolaire, au thème du conflit, ἔρις. Tandis que la promesse tisse des liens de φιλότης et assure la cohésion et la solidarité sociale, l’ἔρις œuvre dans la direction exactement inverse : elle brise les liens de φιλότης, voire le fondement de la société héroïque et le gage pour l’efficacité de ses projets collectifs. L’impact de cette rupture se voit aisément sur le champ de bataille où il s’objective à travers des pertes diverses et tout ce qu’elles entraînent pour les individus et pour la communauté.

  • 92 Geoffrey Kirk (1985, xvii) parlait du « compositeur monumental », mais dans les dernières décennies (...)

64S’il est besoin, arrivant à la fin de notre investigation, de nous prononcer plus nettement sur l’accueil que l’Iliade réserve à la matière légendaire du cycle troyen, nous voudrions préciser ceci. C’est sa propre guerre avec ses enjeux, ses événements et ses héros que raconte l’Iliade. Elle l’introduit avec la colère d’Achille et la planifie avec la promesse de Zeus à Thétis. Si l’épopée fait écho, par‑ci et par‑là, à des épisodes-clés de la guerre de Troie, c’est qu’elle cherche à ouvrir à son auditoire contemporain — il en va de même pour nous, les lecteurs — des champs de réflexion pour mieux appréhender les divergences, tout ce qui la différencie de la tradition et qui fait la nouveauté de sa composition, reconnue de tous comme « monumentale92 ».

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WATKINS Calvert, « À propos de MHNIS », BSL, 72, 1977, p. 187‑209.

WHITMAN Cedric H., Homer and the Heroic Tradition, Cambridge, Harvard University Press, 1958.

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Notes

1 Une première esquisse du thème de la promesse a été présentée dans ma thèse de doctorat Le choix d’Achille. Du refus, de la réconciliation et de la mort dans l’Iliade, 1998, Université Paris 8 – Saint-Denis, sous la direction de Claude Mossé. Le texte présenté ici est une version en français, avec certaines modifications, d’un article en grec : Kefala (2013).

2 À titre indicatif, on pourra consulter les dossiers collectifs Horkos: The Oath in Greek Society (Liverpool University Press, 2007), Paroles et Serments efficaces (Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2012), The Oath in Archaic and Classical Greece (University of Nottinham, 2019). À ceci une exception, à notre connaissance : l’étude récente de Françoise Létoublon (2017) qui porte spécialement sur « Le lexique de la promesse en grec archaïque ». Je tiens ici à la remercier pour son encouragement. Mes remerciements vont également aux experts anonymes de la revue Gaia pour leurs remarques pertinentes qui ont contribué à élargir ma réflexion.

3 Voir les vers I, 421 : μήνι’ Ἀχαιοῖσιν (le conseil de Thétis), et 488 : μήνιε νηυσί παρήμενος ὠκυπόροισι (dans le récit). Pour la discussion autour du terme μῆνις — mot essentiellement intraduisible —, qui d’habitude est rendu par des mots désignant un état d’âme, comme colère, rancune, ressentiment, voir Watkins (1977 : pour l’étymologie du mot et sa signification dans son application à Achille), Nagy (1981, 72‑77) et Rabel (1990 : pour sa signification et sa fonction poétique comme premier mot‑clé du préambule). Pour une étude globale, voir Muellner (1996), qui montre le rapport de la notion avec le maintien de l’ordre, selon le niveau de son application, cosmique et social, notamment au chapitre 5 : « The Mênis of Achilles and Its Iliadic Teleology » (133‑175).

4 Pour les passages de l’Iliade, cités ici, nous utilisons la traduction de Paul Mazon, de l’édition Les Belles Lettres, Paris, 1972, légèrement modifiée par endroits dans notre analyse, afin de rester, dans la mesure du possible, fidèles au sens du texte grec.

5 Voir I, 502 : λισσομένη προσέειπε, et pour l’ensemble de la scène : I, 500‑510. La supplication de Thétis est la plus complète quant à la forme du rituel. Voir sur le sujet en premier lieu Benveniste (1969, 245‑254), chapitre 5 : « Prière et supplication », et Gould (1973). Spécifiquement pour la supplication dans l’Iliade, voir Thornton (1984). Pour une étude synthétique, plus récente, concernant « le geste et la parole » du rituel, on consultera Létoublon (2011).

6 I, 505 : τίμησόν μοι υἱόν et 515‑516 : ὄφρ’ ἐϋ εἰδέω / ὅσσον ἐγὼ μετὰ πᾶσιν ἀτιμοτάτη θεός εἰμι.

7 Le discours de Zeus est introduit par la formule : τὴν δὲ μέγ’ ὀχθήσας προσέφη (I, 517), que Scully (1984) classe parmi les formules de « délibération » dénotant le « débat intérieur » d’un personnage entre ses aspirations personnelles et les attentes sociales. Cairns (2004, 22‑23) précise davantage qu’elle dénote une « réaction émotive » ou « la réaction d’un personnage confronté à un dilemme ».

8 Voir Nagy (1989, 19), « Introduction », qui utilise le terme « diction » pour désigner la « forme » en opposition au « contenu ».

9 Voir I, 519‑521.

10 Comme le montre Nagy (1989, 99‑103), les mots λοίγιος et λοιγός dans l’Iliade appartiennent au champ sémantique de μῆνις et d’ἄλγος. Particulièrement pour le mot λοιγός, l’auteur remarque qu’il désigne : « (1) la peste provoquée par la mênis d’Apollon » et « (2) la situation militaire désespérée qui résulte de la mênis d’Achille » (99).

11 C’est par la formule λοιγὸν ἀμῦναι qu’est désigné ce pouvoir. Notons que dans l’Iliade trois personnages seulement partagent ce même pouvoir : Zeus, Apollon et Achille. Voir la discussion relative chez Nagy (1989, 99‑103).

12 Pour la définition du concept de « thème » dans l’épopée, voir Segal (1971, 2) : « Theme […] a recurrent detail of the plot which recurs (with variation) throughout the poem » ; et Nagy (1981, 3) : « […] theme is the overarching principle in the creation of traditional poetry like the Iliad and the Odyssey; also […] the formulaic heritage of these compositions is an accurate expression of their thematic heritage. »

13 Pour une étude détaillée sur « le lexique de la promesse », ses « constructions verbales » et leur distribution dans la poésie homérique, on consultera Létoublon (2017, 711‑733).

14 Dans cinq de ces occurrences, le sujet est Zeus : I, 514 ; II, 112 = IX, 19 ; XII, 236 ; XV, 374, et une seule fois Priam : XIII, 368.

15 Sur les divers sens de ὑπό, voir Chantraine (1986, 137‑144).

16 Voir Chantraine (19902), s. v. ἔχω (σχ- racine à vocalisme zéro).

17 Comme le fait, à juste titre, Létoublon (2017, 711).

18 Chantraine (1986, 138).

19 Le substantif apparaît deux fois au singulier dans le contexte de l’assemblée du deuxième chant (286, 349) — nous y reviendrons dans la suite — et une fois au pluriel au chant XIII, 369. Pour l’étymologie, voir Chantraine (19902), s. v. ἔχω.

20 Voir I, 527 et 528 : ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω ; Ἦ καὶ κυανέῃσιν ἐπ’ ὀφρύσι νεῦσε Κρονίων.

21 Sur le sens du préverbe κατά, voir Chantraine (1986, 112), en particulier la remarque : « Vidé de son sens concret [“en descendant de”], le préverbe a exprimé, dès la langue homérique, la notion de “complètement” et l’aboutissement du procès. »

22 I, 526‑527 : οὐ γὰρ ἐμὸν παλινάγρετον οὐδ’ ἀπατηλὸν / οὐδ’ ἀτελεύτητον ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω.

23 Nous appliquons ici assez librement la théorie des performatifs ou des actes de langage concernant « les circonstances de communications », « les conditions requises », « le fonctionnement heureux » et « l’efficacité ». Sur le sujet on renverra à Austin (1970), notamment « Deuxième conférence » (47‑56). On consultera aussi la critique de Benveniste (1976, 267‑276), chapitre « La philosophie analytique et le langage ». Pour une application concrète de la théorie des performatifs au « serment ancien » et son « rôle fondateur » en tant que discours politique, voir Létoublon (1989).

24 Comme l’a déjà signalé Martin (1989, 146) : « The poetry anticipates Austin and Searle in treating speech as act, part of an economy in which talk about one’s action is as important as deeds themselves, and in which no feat can survive without its afterward. »

25 I, 526‑527 : οὐ γὰρ ἐμὸν παλινάγρετον οὐδ’ ἀπατηλὸν / οὐδ’ ἀτελεύτητον ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω.

26 Voir Chantraîne (= DELG) (19902), s. v. πείθομαι.

27 Pour la valeur esthétique et dramatique des variations et/ou des expansions des expressions formulaires dans l’Iliade, voir Martin (1989, 206‑230), chapitre 5 : « The expansion Aesthetic ».

28 Pour le sens de πειθώ dans l’épopée, sa « dimension sociale » et son « contexte institutionnel », voir Detienne (1981), chapitre « La laïcisation de la parole », p. 51 et suiv. Martin (1989) a approché le sujet sous une double perspective, d’une part en tant que « genre du discours héroïque » et d’autre part en tant que discours « performatif » ; voir chapitre 2 : « Heroic Genres of Speaking » (47‑65).

29 Voir Detienne (1981, 92‑94).

30 Expression empruntée à Detienne (1981, 94).

31 Sur le sens du « politique » dans son application à la société homérique, on renverra aux analyses de Gernet (1982), Finley (1985) et Vlachos (1974). Notons qu’ici avec ce terme nous entendons généralement les pratiques et les institutions qui concernent les rapports des membres d’une communauté ainsi que la gestion des affaires communes.

32 Taillardat (1982, 10‑12), partant de l’hypothèse d’une racine indo-européenne commune, suggère le rapport étroit entre πειθώ et φιλότης, rapport de parenté sociale et morale. Concernant la valeur sociale et éthique de φιλότης, qui traverse toute l’Iliade, on consultera Adkins (1963), Nagy (1981), Martin (1989) et Sinos (1980).

33 Nous renvoyons ici à Ricœur (1987, 70‑72) qui, au sujet de l’aspect éthique de la promesse, précise comme suit : « Promettre, c’est se placer soi‑même sous l’obligation de faire ce que l’on dit aujourd’hui que l’on fera demain. Or, la relation à autrui est ici évidente, dans la mesure où c’est toujours à autrui que je promets ; et c’est autrui qui peut exiger que je tienne ma promesse ; plus fondamentalement, c’est lui qui compte sur moi et attend que je sois fidèle à ma promesse. »

34 I, 509‑510 : τόφρα ἐπὶ Τρώεσσι τίθει κράτος, ὄφρ’ ἂν Ἀχαιοὶ / υἱὸν ἐμὸν τείσωσιν ὀφέλλωσιν τέ ἑ τιμῇ.

35 On s’aligne ici sur l’approche qui voit la boulé de Zeus être liée à l’intrigue de l’épopée. Sur la question, voir à titre indicatif l’article, au titre parlant, de Rousseau, « L’intrigue de Zeus » (2001).

36 Voir I, 531 : τώ γ’ ὣς βουλεύσαντε διέτμαγεν et 536‑537 : οὐδέ μιν Ἥρη / ἠγνοίησεν ἰδοῦσ’ ὅτι οἱ συμφράσσατο βουλάς.

37 I, 540 : Τίς δ’ αὖ τοι, δολομῆτα, θεῶν συμφράσσατο βουλάς;

38 Voir Muellner (1996, 133‑155), chapitre « The Mênis of Achilles and Its Iliadic Teleology ».

39 I, 6‑7 : ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε / Ἀτρεΐδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεύς.

40 Pour les verbes, voir Chantraine (19902), respectivement s. v. ἵσταμαι et s. v. ἔρις.

41 Voir Chantraine (1986, 95).

42 Sur l’ἔρις, qui fait partie du champ sémantique de μῆνις et de νεῖκος, terme-clé de la poésie de blâme, se reporter à Nagy (1989, 236‑254).

43 Sur cette phase d’Achille, suite à sa mênis, voir Redfield (1984), chapitre « La colère d’Achille », (34‑43), où l’auteur parle de la phase « négative » du héros par rapport à la guerre, et Muellner (1996, 116), qui parle d’« isolement social ».

44 Concernant l’idée du rôle cosmogonique de Thétis dans la légende et dans l’Iliade, nous renvoyons au beau livre de Slatkin (1991), et notamment au chapitre « The power of Thétis » (53‑84), d’où vient notre inspiration. Cette idée a été déjà soutenue par Buffière (1956, 173‑176), qui attribue à Thétis « le rôle de Providence pour les malheureux », précisément pour les services qu’elle avait rendus à Zeus et à Héphaïstos, et dont on trouve l’écho dans l’Iliade.

45 Concernant les poèmes du Cycle, contenus dans la Chrestomathia de Proclus (testimonia and fragments), se reporter à Allen (1912, 93‑144), spécialement, pour le conseil, p. 102 : Ζεὺς βουλεύεται μετὰ τῆς Θέμιδος περὶ τοῦ Τρωικοῦ πολέμου‧ […].

46 Pour un bref exposé sur ce sujet qui a divisé les critiques depuis l’Antiquité, se reporter au beau travail de Rousseau (2001, 144‑152), avec lequel nous nous rencontrons sur bien des points.

47 Pour le sens du mot ἐχθρός et des mots de la même famille étymologique, voir Chantraine (19902), s. v. ἔχθος, où, à partir de l’étymologie d’ἐχθοδοπῆσαι, la définition : « […] “l’homme du dehors”, “l’étranger extérieur à toutes relations sociales (ces relations sont au contraire établies dans le cas du ξένος “hôte” et “étranger” à la fois). » Dans la même direction, Slatkin (1988, 130‑131) remarque : « Dans la sphère proprement humaine de l’Iliade, on n’applique les mots ekhthrós (haï, qui hait, ennemi), ékhthos (la haine), ekhthairõ (haïr) et leurs dérivés qu’à ceux qui font partie du même camp », et conclut avec la remarque : « Pour être ekhthrós, vous devez être philos. »

48 I, 558‑559 : τῇ σ’ ὀΐω κατανεῦσαι ἐτήτυμον ὡς Ἀχιλῆα / τιμήσῃς ὀλέσῃς δὲ πολέας ἐπὶ νηυσίν Ἀχαιῶν.

49 Voir en comparaison VX, 74 : ὡς οἱ ὑπέστην πρῶτον, ἐμῷ δ’ ἐπένευσα κάρητι, au lieu de I, 514 : Νημερτὲς μὲν δή μοι ὑπόσχεο καὶ κατάνευσον, et de I, 527 : ὅ τί κεν κεφαλῇ κατανεύσω. Ces variations des expressions peuvent être expliquées par la différence de la forme du discours : indirect ici, direct dans la scène initiale.

50 XV, 72 et 74 : τὸ πρὶν δ’ οὔτ’ ἄρ’ ἐγὼ παύω χόλον […] πρίν γε τὸ Πηλεΐδαο τελευτηθῆναι ἐἐλδωρ. À propos de l’usage du double πρίν, figure du langage qu’on trouve en particulier dans le discours de Zeus et d’Achille, voir Hogan (1976, 309). L’auteur soutient que cette figure contribue « in a small but significant manner to the characterization ».

51 Concernant l’efficacité des ordres de Zeus à des moments critiques de l’intrigue iliadique, qui sont directement liés à sa promesse envers Thétis, voir Martin (1989, 47‑59), « The Authoritative Word: Commands ».

52 XV, 77 : οὐδ’ ἀπίθησε θεὰ λευκώλενος Ἡρη.

53 Pour la discussion concernant les multiples aspects — social, politique et psychologique — de l’épisode énigmatique d’Ὀνειρος et de Διάπειρα, voir, à titre indicatif, Gernet (1982, 46‑48), Whitman (1958, 160‑174), Nagler (1979, 112‑130), Griffin (1980, 1‑4), Neschke (1986, 27 et suiv.). Dans un article assez récent, Christensen (2015) réexamine le discours d’Agamemnon dans cet épisode et soutient la thèse qu’il « est un orateur effectif ».

54 Suivant le Songe, la prise de Troie est présentée comme une éventualité (voir l’optatif avec κέν de II, 12 = II, 29 = II, 66 : νῦν γὰρ κὲν ἕλοις πόλιν εὐρυάγυιαν Τρώων), tandis qu’Agamemnon la présente comme réelle (voir l’indicatif du futur de II, 37 : φῆ γὰρ ὅ γ’ αἱρήσειν Πριάμου πόλιν ἤματι κείνῳ). Nous nous alignons ici à l’optique qui voit dans le comportement d’Agamemnon un manque de conscience éveillée et de clairvoyance, états d’esprit qui le conduisent à l’interprétation erronée du songe et au stratagème peu judicieux de Διάπειρα. Sur l’importance psychologique des états oniriques, voir Nagler (1979, 113‑114 et n. 4) ; sur le passage précis voir Cheyns (1983, 39‑40).

55 Pour la description de la majestueuse préparation d’Agamemnon, voir II, 41‑47.

56 I, 526‑527 : οὐ γὰρ ἐμὸν παλινάγρετον οὐδ’ ἀπατηλὸν / οὐδ’ ἀτελεύτητον […].

57 Cf. II, 111‑118 = IX, 18‑25. Notons qu’il s’agit ici d’une répétition mot à mot du même discours d’Agamemnon, mais dans un contexte psychique et dramatique différent.

58 Le débat autour de la notion de « vouloir » à l’époque archaïque dépasse les limites de notre étude ; en précisant que le verbe est ici pris au sens large, nous renvoyons à Chantraine (19902), s. v. ἐθέλω.

59 Pour les rôles antithétiques d’Arès et d’Athéna sur le champ de bataille, et pour le genre de guerre qu’ils représentent respectivement : « guerre sauvage » / « guerre civilisée », voir Vian (1968) et Daraki (1980).

60 Tous les verbes sont à l’aoriste : ὑπέσχετο καὶ κατένευσεν (Zeus : II, 112 = IX, 19) ; ὑπόσχεσιν ἥν περ ὑπέσταν (Achéens : II, 286) ; τὸν μῦθον ὑπέστημεν (Héra et Athéna : V, 715).

61 Pour une présentation détaillée de toutes les formes de ces périphrases dans la poésie homérique, voir Létoublon (2017, 711‑715).

62 Le terme « religieux » est ici entendu dans le sens social, c’est-à-dire dans son rapport avec le « droit archaïque pré-politique », comme l’a défini Gernet (1982) ; voir chapitre « Droit et prédroit », p. 11 : « Des pratiques et des croyances incontestablement religieuses peuvent être intimement associées à des droits qui n’ont certes rien de primitif. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas le “religieux” en général, c’est la forme de mentalité. »

63 L’attribut φίλοι apparaît très souvent dans l’Iliade, dans des formules de sollicitation, tant dans le contexte de bataille, que dans celui de l’assemblée. Voir à titre indicatif l’apostrophe : φίλοι ἥρωες Δαναοί (II, 210 ; VI, 67 ; XV, 733 ; XVI, 78).

64 Voir Nagy (1981, 222-242), « Chapter 12: Poetry of Praise, Poetry of Blame ».

65 II, 114‑115 = IX, 21‑22 : καί με κελεύει / δυσκλέα εἰς Ἄργος ἱκέσθαι ἐπεὶ πολύν ὤλεσα λαόν.

66 II, 284‑285 : Ἀτρείδη νῦν δή σε ἄναξ ἐθέλουσιν Ἀχαιοί / πᾶσιν ἐλέγχιστον θέμεναι μερόπεσσι βροτοῖσιν.

67 Outre ce passage, l’adjectif apparaît dans sa forme superlative ἐλέγχιστος deux fois encore aux chants IV, 171 et XVI, 26, et il est respectivement attribué à Agamemnon et à Ménélas. Notons, suivant Adkins (1960, 25 et suiv.), que le substantif de la même racine ἐλεγχείη et l’adjectif αἰσχρόν sont parmi les termes les plus forts de la langue homérique qui désignent des comportements anti-héroïques de même que les sentiments de honte qui en découlent.

68 V, 718 : ἀλλ’ ἄγε δὴ καὶ νῶϊ μεδώμεθα θούριδος ἀλκῆς. Concernant la fonction de ce type de sollicitations, à des moments critiques dans l’Iliade, voir Cheyns (1983, 50). Slatkin (1988, 120), met l’accent sur une autre dimension ayant trait à l’exercice efficace de l’autorité : « […] exciter les hommes au combat est […] une manifestation vitale d’autorité […]. »

69 Pour le verbe μήδομαι, qui appartient à la famille étymologique de μῆτις et désigne à la fois une activité mentale et une action de caractère technique avec issue heureuse, voir Detienne & Vernant (1974, 222 et 231).

70 Comme plus haut concernant la réaction d’Héra à l’ordre de Zeus, c’est la même expression qui est ici utilisée pour désigner la réaction d’Athéna : οὐδ’ ἀπίθησε θεὰ γλαυκῶπις Ἀθήνη (V, 719).

71 Nous appliquons ici, assez librement, les remarques de Frontisi-Ducroux (1986, 31‑32), concernant la « fonction logique » de l’indicateur temporel νῦν dans les apostrophes : « L’indicateur de temps […] en signalant l’imbrication des strates chronologiques, en attirant l’attention sur le rapport fluctuant des divers passés et des divers présents, et sur leur relativité, suggère que tout présent devient passé dès l’instant qu’il est énoncé, mais que l’énonciation le réactualise. »

72 IV, 266‑267 : μάλα μέν τοι ἐγὼν ἐρίηρος ἑταῖρος / ἔσσομαι.

73 IV, 272 : Ὣς ἔφατ’, Ἀτρεΐδης δὲ παρῴχετο γηθόσυνος κῆρ.

74 XV, 375 : εὔχετο νοστῆσαι, σὺ δ’ ὑπέσχεο καὶ κατένευσας.

75 XV, 376 : τῶν μνῆσαι καὶ ἄμυνον, Ὀλύμπιε, νηλεὲς ἦμαρ.

76 Benveniste (1969, t. 2, 233‑243), au chapitre « Le vœu », analysant les usages du verbe εὔχομαι dans des « constructions en proposition infinitive », précise qu’il s’agit d’un verbe qui dénote « l’engagement » et conclut avec cette remarque instructive : « […] εὔχομαι ne porte jamais référence au passé ni à un événement accompli, mais seulement à une situation actuelle ou future » (242), remarque qui à notre sens fait écho à l’idée de la réactualisation de la promesse au moyen de l’appel.

77 Pour le lien de réciprocité entre le priant et la divinité que celui‑ci invoque, voir Benveniste (1969, t. 2, 245‑254), chapitre 5 : « Prière et supplication ».

78 Il est utile de rappeler ici ce que Rudhard (1992, 194‑195) remarque à propos du caractère à la fois « intéressé et altruiste » de la « prière de sollicitation » : « Si, comme nous l’avons dit, une convenance antérieure à la prière unit les dieux à l’individu qui les invoque, c’est que celui‑ci appartient à une communauté au destin de laquelle les dieux se trouvent associés ; quand il sollicite pour lui‑même leur assistance, il la demande également pour le groupe entier dont les traditions conditionnent la formule et le succès de sa requête. »

79 Voir II, 216, où Thersite est caractérisé par l’adjectif αἴσχιστος. Pour un examen de la discussion autour du personnage de Thersite, se reporter à Kouklanakis (1999, 35‑42). Concernant son rôle dans l’épisode de l’assemblée, en tant que « représentation de l’αἰσχρόν », voir Kefala (2021, 61‑67).

80 II, 333, 335 : Ἀργεῖοι δὲ μέγ’ ἴαχον […] / μῦθον ἐπαινήσαντες Ὀδυσσῆος θείοιο.

81 Pour le rôle de Nestor en tant que « maître de vérité » par excellence ou « maître de la μῆτις », voir en premier lieu Detienne (1981, 71) ; pour l’efficacité de son discours, tant au chant II qu’au chant IX, voir Martin (1989, 59‑61).

82 Pour une analyse stylistique — et pas seulement — des discours d’Agamemnon, d’Ulysse et de Nestor, voir en premier lieu Kirk (1985, 129‑130, 146, 151). D’un autre côté, Martin (1989, 80‑83), qui caractérise Ulysse et Nestor comme « ideal speaker » et « effective performer », remarque une différence essentielle entre eux : « Although both talk for the same purpose, Odysseus foregrounds himself as performer, explicitly quoting another authority [Kalchas]. Nestor, on the other hand, presents himself not as a speaker, but as a heroic performer of both words and deeds. »

83 Sur le sujet, voir l’analyse concernant le serment de Carastro (2012, 97 et suiv.)

84 Sur cette dimension, voir la suggestion de Vlachos (1974, 321) : « L’idée d’un tel accord, d’un “pacte loyal” […] ou d’un “contrat juré” […], s’avère, dès lors, comme le fondement ultime à la fois des règles qui régissent les rapports intra-étatiques ou inter-étatiques des peuples achéens et d’un droit international de guerre possible entre les deux belligérants. »

85 II, 344‑345 : ἄρχευ’ Ἀργείοισι κατὰ κρατερὰς ὑσμίνας […].

86 Pour le sens politique du terme, voir Vlachos (1974, 128 et 160, n. 207).

87 Voir II, 360‑368, et surtout 360 : ἀλλά, ἄναξ, αὐτός τ’ εὖ μήδεο πείθεό τ’ ἄλλῳ.

88 Concernant « l’efficacité », objectif central et critère de l’éthique héroïque, voir généralement Adkins (1972 et 1982), et en particulier pour la définition de la société homérique en tant que « result-culture » (1972, 12‑15).

89 II, 348‑349 : πρὶν καὶ Διὸς αἰγιόχοιο / γνώμεναι εἴ τε ψεῦδος ὑπόσχεσις εἴ τε καὶ οὐκί.

90 Sur cet aspect, voir Vlachos (1974, 318‑328), chapitre « Pacta sunt servanda. Valeur du serment patriotique », où il reconnaît la promesse et le serment comme liens constitutifs de la société iliadique. En particulier, la remarque conclusive, p. 322 : « C’est donc apparemment une idée contractuelle, volontariste en la forme, qui, en dernière analyse, rassemble les peuples achéens dans la guerre contre Ilion, par‑delà les rapports de puissance et de prestige indiscutables […]. »

91 Les remarques que nous avons faites jusqu’ici ne font qu’introduire le thème de « la promesse et la guerre iliadique ». C’est par choix que nous avons laissé en dehors de cet examen les Troyens pour une prochaine étude. Par ailleurs, en tant que pratique sociale, la promesse est liée aussi, outre la guerre, avec d’autres aspects de la société iliadique, comme le mariage et le pouvoir, qui concernent les deux collectivités adverses.

92 Geoffrey Kirk (1985, xvii) parlait du « compositeur monumental », mais dans les dernières décennies l’adjectif a été déplacé de l’auteur à la composition épique ; voir là‑dessus Rousseau (2001, 123).

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Anastasia Kefala, « Promesse et guerre iliadique »Gaia [En ligne], 25 | 2022, mis en ligne le 22 juillet 2022, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/gaia/3469 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/gaia.3469

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