Reine-Marie Bérard (éd.), Il diritto alla sepoltura nel Mediterraneo antico
Reine-Marie Bérard (éd.), Il diritto alla sepoltura nel Mediterraneo antico, Rome, Publications de l’École française de Rome, Collection de l’École française de Rome 582, 2021, 366 p., EAN (édition imprimée) : 978-2-72831-4416, EAN électronique : 978-2-72831-4751, DOI : 10.4000/books.efr.12662
Texte intégral
- 1 En accès libre : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.efr.12662.
1Le volume Il diritto alla sepoltura nel Mediterraneo antico1 a été publié en février 2021 aux éditions de l’École française de Rome, sous la direction de Reine-Marie Bérard (CNRS, Centre Camille Jullian). Ce recueil d’articles est issu de trois journées d’étude organisées à l’École française de Rome par l’éditrice scientifique lorsqu’elle en était membre scientifique. Trois chapitres reprennent les thématiques complémentaires de ces journées : recrutement des défunts (3 articles), statut juridique des sépultures (5 articles), sépultures anormales, exclusion de la sépulture et dépôts humains non funéraires (5 articles et une seconde introduction). L’ouvrage est résolument pluridisciplinaire. Le sujet, au croisement de l’anthropologie et du droit, convoque les disciplines de manière équilibrée : archéologie, anthropologie biologique, épigraphie, histoire, philologie et études juridiques. Toutefois, les divers points de vue sont rarement combinés au sein d’un même article. La théorie, plutôt développée dans les introductions, laisse place à des études de cas concrètes relativement bien illustrées, bien que souvent en noir et blanc. On remarque un certain tropisme vers le monde romain (de la péninsule italienne surtout, mais aussi d’Asie Mineure), sans doute dû à l’abondance des documents juridiques sur le sujet. La diversité chronoculturelle est apportée par des articles sur Pithécusses, sur la Sicile au Bronze ancien et sur le monde grec classico-hellénistique. L’ouvrage se conclut sur plusieurs index : fonds littéraires (on y constate ainsi la prédominance du Digesto), fonds épigraphiques et lieux. Un index thématique permet également de naviguer de manière transversale dans le volume, et met en valeur la diversité des sujets abordés, comme les sépultures enfantines, les concessions funéraires ou le traitement funéraire des esclaves. Signalons que ce volume conséquent est disponible sur OpenEdition Book en accès libre. Il intéressera tout·e chercheur·euse s’intéressant aux problématiques funéraires.
2Le premier chapitre aborde la question du recrutement funéraire à travers la nécropole de Pithécusses (Valentino Nizzo) et deux mausolées romains (Casal Bertone à Rome, Paola Catalano, Stefania di Giannatonio et Walter Pantano ; et la tombe 163D de Hiérapolis [Turquie], Caroline Laforest et Dominique Castex). À travers l’étude du mobilier (Pithécusses et Hiérapolis), l’anthropologie (Pithécusses et Casal Bertone) ou l’épigraphie (Hiérapolis), les auteurs définissent l’identité des défunts, ou plutôt la manière dont ils se représentent. Valentino Nizzo ouvre les réflexions avec une intéressante distinction conceptuelle entre exclusion, ségrégation, intégration et inclusion, afin de déterminer quel est le régime de la nécropole, mixte par nature, entre Grecs et indigènes. Il s’intéresse tout d’abord au recrutement des enfants : étonnamment, les enfants inhumés en vase ou en fosse sont très présents, associés notamment à du mobilier de banquet (la question ne sera plus guère abordée dans le reste de l’ouvrage.) Certaines tombes ne contenant aucun mobilier ont pu être datées grâce à la stratigraphie horizontale (voir ses précédents travaux), il apparaît ainsi qu’elles ont été marginalisées puis recouvertes lors de l’extension du tissu funéraire. Le propos alterne discussion théorique (historiographie, ethnicité, idéologie funéraire, etc.) et description des tombes et de leur mobilier. L’auteur traite ainsi la question de l’identité des défunts de Pithécusses et du traitement particulier de certains d’entre eux (les enfants, les sans mobilier, les corps entravés). Les deux articles suivants ont pour trait commun le type de sépulture étudiée : un mausolée hébergeant de nombreux défunts dont les relations sont sans doute familiales. Dans le cas du mausolée romain de Casal Bertone, l’analyse anthropologique conduit à différencier les 77 défunts du mausolée de ceux des nécropoles adjacentes : l’analyse des pathologies orales, des marqueurs de stress ou de traumatisme montre qu’ils étaient en meilleure santé tout en ayant des marques de travail importantes. L’auteur émet donc l’hypothèse qu’il s’agit des propriétaires de la fullonica voisine. Dans le cas de Hiérapolis, la tombe 163D est attribuée à une famille juive (iiie siècle apr. J.‑C.) par les inscriptions, mais le monument est plus ancien (époque augustéenne) et renferme en outre bien plus de défunts que ce qu’annoncent les inscriptions (293 en NMI pour une utilisation jusqu’au viie siècle apr. J.-C.). Malgré des circonstances de fouilles complexes, les auteurs reconstituent la dynamique générale des dépositions puis des réductions dans la chambre, intacte, grâce à l’étude des ossements et du mobilier. Les auteurs relèvent l’absence d’enfants de 0 à 1 an, qui semblent être les seuls exclus de la sépulture. On apprécie la rigueur scientifique des auteurs qui expliquent les biais de leur recherche en toute transparence. Ils concluent à l’absence de stratégie de recrutement (à l’exception des périnataux) comme dans le reste de la nécropole, avec sans doute toutefois une logique familiale (potentiellement étendue).
3Si Reine-Marie Bérard annonce en introduction une définition du droit intégrant la coutume, le chapitre se fonde essentiellement sur l’analyse de textes juridiques, par le biais d’une approche spécialisée. Réfléchir au statut juridique des tombes revient à s’interroger sur qui avait l’autorité pour les gérer et décider de leur statut. L’article de Michele Faraguna s’attache à cette question dans le monde grec. À travers une étude des corpus épigraphiques et philologiques d’Athènes, comparés à ceux de Kos, Rhodes et d’Asie Mineure, l’auteur cherche à identifier qui gère les tombes, laissant de côté la façon dont est géré l’espace même, ou les implications juridiques de cette gestion. Il rappelle que la tombe est importante dans la définition de la citoyenneté athénienne. Il observe une distinction entre les tombes situées sur des terrains privés et celles bordant les routes ; les autorités référentes diffèrent. L’auteur émet l’hypothèse que le dème gérait les espaces funéraires de la chora alors que les astynomoi géraient ceux de la ville. Les associations auraient pris le relais lors de la décroissance du dème à Athènes à l’époque classique. Ailleurs, les koina semblent aussi jouer un rôle important dans l’acquisition des espaces funéraires, afin notamment de permettre aux étrangers d’acquérir une sépulture, comme le montrent les exemples de Kos et de Rhodes. L’auteur affirme finalement qu’on ne peut identifier un modèle unique de gestion juridique des tombes dans le monde grec. L’Isola Sacra à Ostie est étudiée par Maria-Letizia Caldelli, qui s’intéresse à la gestion des tombes, entre évolution architecturale et droit d’accès. Les inscriptions, remises en contexte, suivent un modèle relativement standardisé : organisation de la propriété, identité de ceux qui y sont admis, dimensions et iura sepulchrum. Chacun de ces aspects est analysé à travers le cas d’une tombe, ou plusieurs dans le cas des mesures. L’autrice envisage ces inscriptions comme des actes juridiques plus que comme un moyen de représentation. L’article de Cecilia Ricci porte quant à lui sur le droit d’accès aux tombes en cherchant les sépultures de la famille d’Agrippa. Malgré les nombreuses constructions du général, aucun monument funéraire n’était prévu pour la familia agrippae. Les inscriptions permettent de retrouver trois lieux où les esclaves et affranchis ont été enterrés (Via Appia Latina, Via nomentana, Trastevere), souvent dans des columbariums impériaux où leur présence s’explique parfois via l’hérédité. L’autrice explique l’absence d’un monument unitaire par la mort d’Agrippa avant que les sépultures impériales communes ne deviennent courantes et par l’inadéquation avec son image publique. Arnaud Paturet étudie les implications juridiques de la violation des sépultures. Il s’agit d’un crime particulièrement grave dans la société romaine, car l’impact est double à la fois pour la société, qui peut être souillée par le mort, mais aussi pour les dieux, puisque les dieux mânes ont été dérangés. Ulpien nous permet de connaître les mécanismes juridiques du dépôt de plainte et des jugements lors de violatio sepulchri. Cette protection des tombes date peut-être de la loi des 12 tables et montre les valeurs de la société et l’absence de distinction entre ius privé et ius public dans le droit funéraire. Sergio Lazzarini étudie le droit des sépultures romaines en s’appuyant sur les abus du droit funéraire. La nature même de la sépulture comme res religiosa interdit qu’elle soit l’objet d’une transaction, certains useraient de ce statut pour protéger leur terrain et ainsi frauder leur créancier. L’auteur explique d’abord comment une sépulture devient un espace sacré, avant de signaler que les chercheurs ont selon lui pris le problème à l’envers jusqu’à présent en définissant en amont l’abus, alors que selon lui cette définition devrait être le point d’arrivée des études. L’auteur arrive à un résultat paradoxal : la fiducia et ledit abus de droit seraient en fait un moyen d’assurer la bonne volonté du débiteur, car il constitue une forme de pression morale.
4À travers ces deux derniers articles plus particulièrement, la nature de la tombe romaine apparaît plus clairement : il s’agit d’un lieu rendu sacré par la présence du corps (et les rites performés), que la loi romaine cherche à protéger en plaçant la tombe dans un entre-deux, public et privé.
5La nuance apportée par le geste funéraire dans la définition de la sépulture comme volontaire et positive met en évidence les divers cas où les restes humains ne sont pas ainsi traités. Le dernier chapitre a pour objectif d’aborder ces situations qui ne rentrent pas dans la norme. Anita Crispino et Massimo Cultraro traitent la marginalisation des défunts en Sicile au Bronze ancien, période la plus ancienne considérée dans ce recueil. Les auteurs s’intéressent à deux sites récemment fouillés de la culture de Castelluccio définie au xixe siècle par Paolo Orsi qui a été le principal investigateur de ses nécropoles. Le site de Ciavolaro se compose de tombes a groticella et dans une anfractuosité naturelle, difficilement accessible un amas de centaines d’ossements humains (40 individus essentiellement des hommes robustes), d’animaux, quelques tasses et attingitoio. Le deuxième site est celui de Paolina Ragusa : à côté de tombes a groticella, ont été mises en évidence des structures en plaque de calcaire contenant des os ayant fait l’objet d’une sélection. Les auteurs concluent dans le cas de Ciavolaro à une possible épidémie alors qu’à Paolina Ragusa, il pourrait s’agir de personnages importants. Les deux cas ont fait l’objet de manipulation et de sélection des ossements après dépôt, ce que les auteurs identifient comme des rites de rupture. L’article d’Eva Christoff aborde la question des cénotaphes en Asie Mineure hellénistico-romaine. L’autrice propose tout d’abord une analyse de l’usage du mot cénotaphe dans ce contexte. Il apparaît qu’il est utilisé pour désigner une tombe construite, mais pas encore utilisée, puis elle dresse une liste de 14 cénotaphes réels, avant de juxtaposer deux cas exceptionnels : le cénotaphe de Gaius Cesare à Limyra et celui de Trajan à Sélinonte (Cilicie). Sa réflexion se fonde sur des notions abordées plus tôt dans le livre pour le monde gréco-romain : importance de la mémoire et de la sépulture. Il existe deux catégories de cénotaphes (définies par Cecilia Ricci) : ceux nécessaires, car le corps a été perdu (souvent suite à un accident en milieu naturel) et ceux qui ont pour fonction d’honorer la mémoire d’un défunt enterré ailleurs. La juxtaposition de ces exemples permet à l’auteur de montrer qu’il s’agit d’une préoccupation partagée par toutes les strates de la société. Viennent ensuite deux articles consacrés à des restes humains dans la région de Modène. Le premier de Valentina Mariotti, Donate Labate, Luigi Malnati et Maria Giovanna Belcastro, est une étude anthropologique des décharges de Novi Sad utilisées pour déposer des restes humains entre le iie av. J.‑C. et le iie apr. J.‑C. aux abords d’une nécropole non perturbée. Les lésions du vivant, péri-mortem puis post-mortem leur permettent de comprendre mieux ces dépôts et de mettre en avant plusieurs hypothèses concernant ces restes humains abandonnés sans soin, qui doivent selon eux être envisagés ensemble : bonification d’une phase antérieure de la nécropole ou d’une fosse commune, utilisation magique, corps de personnes exécutées, gladiateurs, exposition de têtes coupées à la suite de combats militaires… Le second, de Donate Labate, Giogio Gruppioni, Vania Milani, Camilla Simonin présente l’étude anthropologique de deux autres sites à Modène où des corps mutilés, ont été découverts dans trois contextes différents : un fond de canal, un lieu funéraire et une décharge. Les auteurs reconnaissant dans tous les cas des morts violentes émettent des hypothèses différentes : les morts du canal et de la décharge pourraient être des victimes de crime ou de vengeance (probable écartèlement réservé aux traîtres), tandis que ceux dans le lieu funéraire sont sans doute liés à un événement militaire : soldat ou victimes civiles. Dans la continuité du thème de la privation de sépulture, l’article de José-Domingo Rodriguez-Martin traite la question de l’action noxale à l’époque classique. L’auteur propose ici une révision générale du texte fragmenta augustunensia en lien avec la question de la gestion du cadavre du criminel dépendant du Pater familias (enfant ou esclave). Selon Gaius, le don du cadavre à la victime comme dédommagement serait la limite de l’action noxale, car le corps est res religiosa. Les fragments d’Autun viennent contredire cela : ce commentaire du texte de Gaius, assez fragmentaire, semble faire état de la possibilité du don du cadavre ou d’une partie de celui-ci, tout en l’interdisant pour les animaux. Cela mène à une réflexion sur le droit de vie et de mort du pater familias sur les membres de sa famille et ses esclaves ; il apparaît que celui-ci se restreint à un droit de correction qui peut accidentellement mener à la mort. Ce dispositif aurait une fonction dissuasive, à la fois pour obliger le pater à payer plutôt que de donner le corps et en même temps dissuader les esclaves de fuir. La privation de sépulture à la période romaine, bien que redoutée, est bien attestée par les sources, sans que l’on puisse déterminer encore exactement la ou les causes exactes de ce non-traitement. À l’inverse, l’absence de corps n’empêche pas le traitement mémoriel indispensable, comme le montre l’usage des cénotaphes.
- 2 Cuozzo M., D’andrea A. et Pellegrino C. 2004, « The use of space in the Etruscan cemeteries (...)
6La problématique du volume concerne finalement souvent l’identité des défunts et de ceux qui les ont ensevelis. Une question sous-jacente revient régulièrement dans les contributions, celle du statut et de la gestion de la tombe, on a ainsi vu qu’elle pouvait parfois faire l’objet de transaction, d’évolutions. On peut regretter qu’il n’y ait pas eu plus de travaux sur des cultures autres que gréco-romaines, avec lesquelles la comparaison aurait pu s’avérer enrichissante. Cela aurait peut-être permis de poser quelques bases méthodologiques utiles lorsque les textes sont manquants (la question de la marginalisation des tombes a par exemple pu être étudiée grâce à des outils spatiaux à Pontecagnano2). Ces remarques n’enlèvent rien à l’intérêt du volume et des contributions dont on apprécie la solidité des raisonnements méthodologiques. L’intégration des données brutes, souvent au sein des textes, et l’honnêteté des auteurs ont l’inconvénient de les empêcher d’arriver à une franche conclusion, laissant le lecteur avec encore plus de questions. L’ensemble ouvre donc des perspectives de réflexion nombreuses et invite à appliquer les mêmes questionnements de droit, de gestion et de normes à tous les lieux funéraires ; en utilisant les outils ici fournis par l’archéothanatologie. La thématique de ce volume au croisement du droit et de l’archéologie continue d’ailleurs d’être explorée, comme en témoigne la récente journée d’étude du projet MorAnt (Les sociétés de l’Antiquité face à la mort) dédiée aux terrains funéraires et leur gestion, organisée par Gaëlle Granier, Alexia Lattard, Reine-Marie Bérard et Florence Mocci.
Notes
1 En accès libre : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.efr.12662.
2 Cuozzo M., D’andrea A. et Pellegrino C. 2004, « The use of space in the Etruscan cemeteries of Pontecagnano (Salerno-Italy) in the Orientalising period (8th-7th century BC) », in L. Smejda et J. Turek (éd.), Spatial analysis of Funerary areas, Plzen, p. 142-147.
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Référence électronique
Anne-Lise Baylé, « Reine-Marie Bérard (éd.), Il diritto alla sepoltura nel Mediterraneo antico », Frontière·s [En ligne], 5 | 2021, mis en ligne le 15 décembre 2021, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/892 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/frontieres.892
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