Clément Sarrazanas, La cité des spectacles permanents. Organisation et organisateurs des concours civiques dans l’Athènes hellénistique et impériale
Clément Sarrazanas, La cité des spectacles permanents. Organisation et organisateurs des concours civiques dans l’Athènes hellénistique et impériale, Ausonius, Scripta Antiqua 146, 2021, 2 vol., 1002 p., ISBN : 978.2.35613.397.7
Texte intégral
- 1 Pickard-Cambridge A. 1988, The Dramatic Festivals of Athens (3e éd. revue et augmentée par Gould J. (...)
- 2 Wilson P. 2003, The Athenian institution of the Khoregia: the chorus, the city and the stage, Cambr (...)
- 3 Perrin-Saminadayar É. 2007, Éducation, culture et société à Athènes. Les acteurs de la vie culturel (...)
1Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, Clément Sarrazanas présente une étude synthétique et problématisée de l’institution de l’agonothésie athénienne aux époques hellénistique et impériale, en lisant, sous un jour nouveau, de nombreux documents. Dans une brève introduction, l’auteur indique comment son étude vient compléter et nuancer une réflexion initiée dès la fin du xixe siècle : il s’agit de dépasser le simple panorama d’attestations de cette institution dans le monde grec pour proposer une étude cohérente et détaillée de ce phénomène à l’échelle de la cité athénienne. L’attention portée aux époques hellénistique et impériale permet ainsi de prolonger les travaux d’A. Pickard-Cambridge sur la chorégie athénienne de l’époque classique1 et ceux de P. Wilson sur l’apparition de l’agonothésie athénienne2. En se concentrant d’autre part sur les concours civiques organisés et encadrés par la polis athénienne, l’auteur s’inscrit dans la continuité des travaux d’É. Perrin-Saminadayar pour montrer comment Athènes fut en mesure d’assurer la permanence et le dynamisme de sa vie agonistique et culturelle3. Dans ce contexte, il insiste tout particulièrement sur l’évolution à travers les siècles de la dimension institutionnelle de l’agonothésie, de l’athlothésie et de la chorégie d’époque impériale, qu’il considère comme les témoins d’une réelle vitalité des institutions de la cité athénienne aux époques post-classiques.
2Un premier volume présente les sources, très nombreuses et principalement épigraphiques (listes, bases de statues ou de trépieds chorégiques, monuments agonothétiques, décrets honorifiques, etc.), sur lesquelles s’appuie cette étude. L’auteur inclut aussi des amphores panathénaïques inscrites de l’époque hellénistique et quelques textes d’auteurs anciens qui fournissent des exposés détaillés ou des anecdotes ponctuelles sur l’objet étudié. À lui seul, ce premier volume constitue déjà un apport majeur sur l’organisation des concours civiques de l’Athènes hellénistique et impériale. En effet, chaque document est accompagné d’une traduction et d’un commentaire qui le situe dans son contexte plus général tout en soulignant les singularités de son témoignage. En outre, ce corpus épigraphique considérable est organisé de manière chronologique, pour mettre en exergue les transformations et ruptures propres à l’histoire de l’organisation des concours athéniens, et propose, à l’intérieur de certaines sections, des regroupements typologiques ou thématiques qui problématisent le rapport des inscriptions à ces institutions. Cette organisation a le mérite de montrer très clairement que, dans un premier temps, lorsque naît l’agonothésie athénienne (de 307/6 à c. 167 av. n.è.), les concours artistiques sont omniprésents dans les sources épigraphiques, puis que l’on observe une diversification des concours et agonothésies mentionnées dans les inscriptions de la suite de l’époque hellénistique. En ce qui concerne l’époque impériale, après une courte période de raréfaction des inscriptions sur pierre (de c. 90 av. n.è. à c. 40 n.è.), plusieurs changements sont notables : les décrets honorifiques se raréfient au profit d’inscriptions honorifiques et de dédicaces sur les bases de statues ; des individus sont agonothètes de plusieurs concours différents que les sources ne précisent pas toujours.
3Le second volume est une synthèse historique organisée en neuf chapitres, suivant une progression chronologique. Le premier chapitre précise l’arrière-plan lexical, culturel et institutionnel des origines de l’agonothésie en Grèce ancienne. L’auteur montre en effet que cette nouvelle fonction, attestée à Athènes à partir de 307/306 s’inscrivait dans une tradition préexistante. De fait, à l’exception de quelques exemples mythiques (Achille, Égée, Thésée), c’est l’exercice collégial de l’agonothésie qui était privilégié à l’époque classique, comme les hellanodikai pour les concours olympiques ou les hiéromnémons pour les jeux pythiques. En revanche, l’exercice individuel de l’agonothésie est dénoncé par les auteurs anciens comme une marque d’hybris ou de comportement tyrannique. Cette première étape permet enfin de renoncer à une vision athénocentrée de l’agonothésie et de souligner le fait que des agonothètes individuels, et donc une institution agonothétique civique, purent exister dès le milieu du ive siècle dans d’autres régions du monde grec.
4Le deuxième chapitre porte sur l’épineuse question de l’apparition de l’agonothésie à Athènes et pose les fondements d’un questionnement qui sera enrichi tout au long de l’ouvrage. Après quelques rappels sur la chorégie liturgique de l’époque classique et les critiques qui furent émises à son encontre, l’auteur discute méthodiquement et de manière convaincante les nombreux motifs (économiques, financiers, sociaux, philosophiques, culturels, politiques, etc.) qui ont pu être avancés pour expliquer l’abolition de la chorégie et la création de l’agonothésie. La thèse qu’il défend se dessine ensuite nettement : il différencie tout d’abord l’abolition de la chorégie liturgique et la création de l’agonothésie, car l’agonothète n’était pas l’héritier des chorèges, mais plutôt des archontes qui organisaient les compétitions sans véritablement y prendre part ; les aspects institutionnels de l’agonothésie semblent en outre avoir été préfigurés par l’athlothésie des Panathénées ou l’organisation des Amphiaraia de 329/328 av. n.è. (élection des épimélètes par le dèmos, reddition de comptes, financement du concours par la cité, etc.) ; enfin, l’apparition de cette institution s’inscrit dans le contexte des entreprises lycurguéennes pour valoriser le patrimoine culturel et agonistique de la cité et doit être considérée comme une réponse pragmatique apportée aux nouvelles conditions de production des concours.
5Dans les chapitres 3 et 4, l’auteur examine les caractéristiques institutionnelles de l’agonothésie à la haute époque hellénistique puis à la basse époque hellénistique. S’en dégage dès lors un exposé clair et cohérent qui montre notamment que, jusqu’en 167 av. n.è., l’agonothète, élu par le dèmos selon la procédure de la kheirotonia, avait la charge d’organiser l’ensemble des concours artistiques (scéniques, choraux et musicaux) qui avaient lieu pendant la durée de son mandat. L’auteur précise également les différences entre cette épiméleia et une magistrature ou une liturgie, ainsi que les modalités et enjeux du contrôle exercé par la cité sur les agonothètes, de leur nomination à l’examen de leur action. En ce qui concerne la basse époque hellénistique, l’auteur montre que s’il est désormais possible d’exercer plusieurs agonothésies, le principe de non-itération s’applique toujours, puisque nos sources ne présentent aucun citoyen ayant été deux fois agonothètes d’un même concours. Il suppose que cette multiplication des agonothésies s’explique par la récupération de Délos en en 167 av. n.è. et l’augmentation des charges incombant alors aux agonothètes. En revanche, comme il le montre très clairement, il s’agit davantage « d’ajustements d’ordre institutionnel, qui ne paraissent pas avoir fondamentalement modifié les pratiques et usages » (p. 653). En effet, les agonothètes sont toujours choisis par la cité et doivent rendre des comptes à la sortie de leur charge. Dans ce contexte, le chapitre 4 fournit un éclairage important sur le fonctionnement institutionnel de la cité d’Athènes, en montrant que la basse époque hellénistique ne constitue pas nécessairement une rupture avec les pratiques préexistantes.
6Les chapitres suivants portent sur l’implication concrète, et notamment financière, des agonothètes dans l’organisation des fêtes, et notamment les responsabilités de l’agonothètes en amont et au cours du concours (ch. 5), mais aussi les initiatives personnelles et privées recensées par nos sources (ch. 6). Sur ce dernier point, les sources sont extrêmement rares, l’auteur choisit donc d’analyser la viabilité financière du système agonothétique à la lueur du contexte économique de la cité athénienne à l’époque hellénistique. Cela le conduit à proposer quelques estimations du coût de l’organisation des Grandes Dionysies, mais surtout à montrer que le financement des concours civiques était principalement pris en charge par la cité, tout en laissant place à une participation financière des agonothètes, dont le caractère volontaire est difficilement mesurable.
7Le chapitre 7 synthétise les études prosopographiques menées dans le premier volume. À travers une série d’exemples pertinents, l’auteur s’attache à mettre en évidence les profits que pouvaient tirer les agonothètes de leur charge civique et les diverses stratégies qu’ils pouvaient déployer : des stratégies mémorielles pour laisser une trace durable et visible de l’exercice de leur épiméleia, des stratégies sociales pour obtenir une forme de reconnaissance de la part du dèmos, ou encore des stratégies politiques pour jalonner une carrière ou soutenir un discours de propagande adressé aux puissances étrangères. Sur le rôle de l’agonothète dans le rayonnement culturel de la cité et la mise en œuvre de la politique culturelle athénienne, l’auteur fait l’hypothèse, étayée par les sources, selon laquelle ce rôle était principalement financier et que les agonothètes étaient « des agents généreux, mais peut-être un peu passifs de la politique de propagande culturelle » (p.742).
8Les deux derniers chapitres traitent de l’époque impériale et s’attachent à mettre en lumière les continuités et ruptures que nos sources laissent transparaître sur les caractéristiques institutionnelles de l’agonothésie athénienne. Ainsi, dans le cas des Grandes Dionysies, la réapparition de la chorégie demeure-t-elle un fait marquant de l’époque impériale. L’auteur réhabilite l’hypothèse, longtemps délaissée, selon laquelle l’agonothètes des Dionysies était désigné en tant qu’archonte et choisissait le chorège. Cette nouveauté laisse entrevoir une volonté de renouer avec le passé athénien de l’époque classique. L’ingérence impériale qui s’instaure dans l’organisation des concours civiques constitue un second tournant marquant. Parmi les nombreuses sources sur lesquelles s’appuie cette étude, l’auteur tire en effet remarquablement parti des lettres adressées par Hadrien aux technites d’Alexandrie de Troade pour souligner la mainmise impériale sur l’organisation et le déroulement des concours. Le contrôle impérial se manifeste en particulier par la vérification et la remise des prix, ainsi que par l’uniformisation de la tenue de l’agonothète, semblable à celle des magistrats et des prêtres. Les agones, qu’ils aient été créés ou remaniés par l’empire, deviennent donc des lieux privilégiés de l’essor du culte impérial en Grèce et, à ce titre, l’agonothète joue le rôle de promoteur du pouvoir romain.
9L’ensemble de cet ouvrage est remarquable par son envergure, sa très grande clarté et son souci constant de proposer des analyses de détail convaincantes et des conclusions qui renforcent la cohérence du propos global. La circulation au sein de l’ouvrage est facilitée par plusieurs index, notamment celui des sources qui simplifie le va-et-vient entre les deux volumes. À cela s’ajoutent une bibliographie très détaillée et un résumé en anglais qui permet aux chercheurs non francophones d’accéder aux principales conclusions. Le soin qu’apporte l’auteur aux synthèses de certains débats qui divisent les commentateurs (sur l’instauration de l’agonothésie, l’existence d’un agonothète des Panathénées avant 167 av. n.è., etc.) est un réel atout et le conduit à dépasser les apories apparentes et à formuler des thèses convaincantes qui s’appuient systématiquement sur des sources relues avec finesse. Dans ce contexte, cette étude se révèle précieuse pour les spécialistes des institutions athéniennes post-classiques, mais pas uniquement, puisqu’elle propose également des analyses sur les enjeux politiques, sociaux, économiques et culturels de l’Athènes post-classique et de l’organisation des concours civiques.
Notes
1 Pickard-Cambridge A. 1988, The Dramatic Festivals of Athens (3e éd. revue et augmentée par Gould J. & Lewis D. M. ; 1re éd. 1953), Oxford, Oxford University Press.
2 Wilson P. 2003, The Athenian institution of the Khoregia: the chorus, the city and the stage, Cambridge, Cambridge University Press, p. 270-278.
3 Perrin-Saminadayar É. 2007, Éducation, culture et société à Athènes. Les acteurs de la vie culturelle athénienne (229-88) : un tout petit monde, Paris, De Boccard.
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Référence électronique
Maïwenn L’Haridon-Moreau, « Clément Sarrazanas, La cité des spectacles permanents. Organisation et organisateurs des concours civiques dans l’Athènes hellénistique et impériale », Frontière·s [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 31 juillet 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/2745 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/1277u
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