Isabelle Algrain et Laura Mary, Introduction à l’archéologie du genre
Isabelle Algrain et Laura Mary, Introduction à l’archéologie du genre, Éditions Fedora, Simple & Précis, 2024, 348 p., ISBN : 979-10-96137-20-6
Full text
1L’ouvrage publié par Isabelle Algrain et Laura Mary se présente comme un manuel théorique qui vise à introduire l’archéologie du genre pour la rendre accessible au plus grand nombre. Il s’agit donc de formaliser un cadre thématique de recherche qui, selon elles, confère encore un « sentiment de marginalité » à celles et ceux qui s’attachent à l’explorer. Les autrices auront donc à cœur, tout au long de l’ouvrage, de rappeler que les études de genre ne peuvent se résumer au féminin, et que vouloir faire de l’archéologie du genre une simple mise en avant du passé des femmes serait incomplet. Il s’agit ici, avec les méthodes de l’archéologie, de discuter des rapports de pouvoir et de domination de genre, et d’étudier le rapport social des genres masculins, féminins et autres dans les sociétés du passé.
2Plus encore, l’ouvrage s’inscrit dans une démarche intersectionnelle et s’attache à rappeler que le genre n’est pas le seul rapport de pouvoir déterminant dans une société, et que ces différents rapports se croisent pour former un tissu social complexe. À côté de la classe sociale, thématique familière à l’archéologie, l’ouvrage propose également un regard sur l’âge, la race, la sexualité, ou encore le handicap, et rappelle que chaque composante sociale ne peut s’affranchir des autres pour une meilleure compréhension de nos sociétés et de celles du passé. Pour retranscrire ce panorama, cette introduction s’articule autour de trois parties : cadres théoriques, études de cas et vie professionnelle.
3La première partie retrace l’influence du féminisme sur le développement de l’archéologie du genre. Après une brève revue historique des mouvements féministes et de leurs apports théoriques, l’ouvrage présente comment l’archéologie du genre s’est développée à partir de ces courants aux États-Unis, en Europe (plus particulièrement en France, Belgique et Suisse francophone), et ailleurs dans le monde. Poursuivant le fil rouge de l’histoire du féminisme et de son intersection avec d’autres mouvements sociaux, l’ouvrage ouvre ensuite sur les questions de racisme en archéologie, en examinant le rapport de la discipline au colonialisme, à travers l’archéologie autochtone ou encore l’archéologie africaine. Ce chapitre rappelle combien l’archéologie ne peut être neutre et a historiquement été, ou est encore, un instrument dans un rapport raciste au monde. Enfin, cette partie se clôture sur la convergence de l’archéologie du genre et d’autres thématiques, comme celle de l’archéologie queer ou de l’archéologie anarchiste. Il s’agit de montrer comment, en puisant dans des expériences et théories situées socialement et politiquement, on peut ouvrir un regard critique sur les institutions, mais également sur le matériel archéologique, et faire ainsi naître de nouvelles problématiques de recherche, mais également de nouveaux rapports à la recherche.
4La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à des études de cas problématisées. L’archéologie funéraire tient naturellement une place de choix ici, dans la mesure où il s’agit d’une source d’information précieuse sur l’organisation sociale des sociétés. Cette partie s’ouvre sur une revue critique des méthodes anthropologiques de sexage des corps en remettant notamment en perspective la part d’indéterminable, puis s’attache à décorréler sexe et genre à la fois dans ce qui marque les corps (activités ou alimentation différenciées) et ce qui les accompagne (objets, parures, etc.). Les exemples présentés, allant de la préhistoire au xxe siècle, dans des zones géographiques diverses, sont fréquemment croisés avec les problématiques des études de genre pour montrer comment ce cadre peut s’appliquer à l’archéologie ou à l’iconographie. Fidèle à sa volonté de croiser le genre avec d’autres perspectives, on notera dans cette introduction tout un chapitre sur la performance du genre et ses variations en fonction d’autres rapports sociaux, comme l’âge ou le handicap. Enfin, opérant un pont avec la suite de l’ouvrage, cette partie se clôture sur la question de la diffusion des savoirs archéologiques et montre comment la mise en narration du passé est avant tout une représentation des normes dominantes, y compris celles de genre, et sert à la reproduction des structures sociales dans lesquelles elles sont produites.
5La troisième et dernière partie de l’ouvrage s’intéresse plus particulièrement à la place des femmes et des minorités de genre au sein de la profession. Divisée en cinq chapitres (sexisme, racisme, classisme, LGBTIphobies et validisme), cette partie retrace les inégalités encore très marquées qui ont cours dans la profession, allant de l’invisibilisation à la division sexuée du travail, en passant par l’avancement de carrière. Les violences sexistes et sexuelles, ainsi que les discriminations les plus courantes et leurs façons de s’exprimer sont présentées à l’aide de témoignages. Fait rare, l’ouvrage présente, pour finir, une liste de ressources et des pistes de réflexion (non exhaustives) pour lutter activement contre les discriminations au sein de la profession.
6Cette Introduction à l’archéologie du genre est une pierre angulaire dans le travail de plusieurs années des deux autrices pour introduire et formaliser l’archéologie du genre dans les territoires francophones. Il s’agit pour nous d’un travail salutaire, produit avec une rigueur remarquable et présenté d’une manière didactique et accessible. Il présente de nombreux points forts, comme des précis de vocabulaire, ou encore des orientations bibliographiques thématiques. Enfin, la minutie de l’ouvrage à replacer la dimension politique du genre au regard d’autres structures sociales de domination, comme le racisme ou le validisme, nous semble être une invitation précieuse à investir ces champs tant dans notre pratique disciplinaire que professionnelle. Cet accent montre la volonté des autrices de faire de cet ouvrage un outil interactif et actuel au service d’une archéologie soucieuse d’approcher au plus près des dynamiques complexes qui forgent les sociétés.
7Ce manuel représente donc un allié de poids dans la construction de notre discipline, et un outil indispensable pour réfléchir aux structures sociales que nous étudions, à leur transposition dans le matériel archéologique et à la façon dont nos biais façonnent à la fois le savoir que nous produisons et la profession que nous exerçons.
Table des matières
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Avant-propos, p. 11
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Introduction, p. 15
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Qu’est-ce que le genre ?, p. 16
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Le genre est une construction sociale ; Le genre est un processus relationnel ; Le genre est un rapport de pouvoir ; Le genre est imbriqué dans d’autres rapports de pouvoir
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Sexe ou genre ?, p. 20
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Histoire du « sexe » et du « genre » ; Variabilité biologique du sexe ; La diversité du genre et des genres
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Le genre à l’intersection d’autres rapports de pouvoir, p. 27
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Genre et race ; Genre et classe sociale ; Genre et sexualité ; Genre et handicap ; Genre et classes d’âge
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Définir l’archéologie du genre, p. 34
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L’archéologie du genre, science militante et subjective ? ; Vocabulaire ; Définition de l’archéologie du genre
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Première partie. Une histoire de l’archéologie du genre et des identités
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Chapitre 1 – L’archéologie du genre à travers le monde : prémices et développement, p. 43
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Les féminismes à partir de la deuxième vague, p. 44
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Les débuts ; De la troisième vague à #metoo
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Archéologie du genre : développement et institutionnalisation, p. 53
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Aux États-Unis ; En Europe ; En France, Belgique et Suisse francophones ; Et dans le reste du globe ?
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Chapitre 2 – Race, racisme et archéologie, p. 69
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Archéologie et racisme, p. 70
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« Décoloniser » l’archéologie ? p. 73
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Archéologuie(s) autochtone(s) p. 75
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États-Unis ; Canada ; Australie
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De l’archéologie africaine à l’archéologie de la diaspora africaine, p. 79
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Black feminism archaeology ou archéologie afroféministe, p. 84
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L’archéologie et le mouvement Black Lives Matter (BLM), p. 85
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Chapitre 3 – Développement de l’archéologie du genre et convergences, p. 89
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La question des masculinités, p. 89
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L’archéologie des sexualités ou l’archéologie queer, p. 92
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L’archéologie anarchiste, p. 95
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Deuxième partie. Interpréter le passé au prisme du genre
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Chapitre 1 – L’archéologie funéraire (I) : le corps genré, p. 107
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Identifier le sexe, identifier le genre, p. 107
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Ce qui marque les corps (I) : activités différenciées et altérations volontaires, p. 115
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Ce qui marque les corps (II) : alimentation différenciée, p. 119
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Chapitre 2 – L’archéologie funéraire (II) : objets « féminins » vs objets « masculins », p. 125
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Le genre des objets, p. 126
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Transgression des normes (I) : tombes atypiques, p. 134
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Transgression des normes (II) : femmes et pouvoir, p. 139
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Transgression des normes (III) : femmes et armes, p. 143
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Chapitre 3 – Performer le genre, p. 149
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Socialisation de genre et apprentissage, p. 150
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Apparence, habillement et parure, p. 153
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L’espace genré, p. 155
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Genre et sexualités, p. 158
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Genre et ethnicité, p. 160
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Genre et handicap, p. 162
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Chapitre 4 – Genre et division des tâches, p. 165
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Préhistoire de la division des tâches, p. 167
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Revaloriser les tâches des femmes, p. 170
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Emploi et contre-emploi, p. 176
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Chapitre 5 – Les représentations, p. 181
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Iconographie de la violence, p. 182
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Femmes respectables ou prostituées ?, p. 184
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Iconographie des masculinités, p. 188
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Le genre dans la peau, p. 192
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Chapitre 6 – Diffuser et vulgariser la recherche, p. 195
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Paradoxe : la présence et l’absence des femmes dans les musées, p. 197
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« Ce que le musée ne raconte pas devient marginal », p. 199
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Les stéréotypes sexistes dans les musées d’archéologie, p. 202
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Intégrer la dimension de genre dans les salles d’exposition, p. 205
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Troisième partie. La place des femmes et des minorités de genre au sein de la profession
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Chapitre 1 – Sexisme, p. 211
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Joan Gero et « l’idéologie de la femme au foyer », p. 211
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De l’invibilisation des femmes en archéologie : l’effet Matilda, p. 212
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Réhabiliter et valoriser : les biographies de femmes archéologues, p. 214
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Un plafond de verre plus résistant que l’acier, p. 216
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Aux États-Unis ; En Australie ; En Norvège ; À travers le globe
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Parois de verre et division sexuée du travail, p. 222
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Le prestige du terrain ; La répartition genrée du travail ; Les disparités dans les sujets d’étude
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Publications et inégalités de genre, p. 227
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Les violences sexistes et sexuelles, p. 231
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Propos et comportements sexistes ; Harcèlement sexuel, agressions sexuelles et viols
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Les règles et l’hygiène menstruelle sur les chantiers de fouilles, p. 241
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Grossesses, maternité et parentalité, p. 242
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La question des masculinités, p. 245
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Chapitre 2 – Racisme, p. 251
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Les minorités au sein de la profession : un état des lieux, p. 251
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En Afrique du Sud et au Kenya ; Aux États-Unis ; À travers le monde ; Travailler avec et pour les archéologues
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Les solutions pour lutter contre les discriminiations, p. 257
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« Une archéologie antiraciste consiste à reconstruire autant à l’intérieur qu’à l’extérieur » ; Le rôle des allié-é-s
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Chapitre 3 – Classisme, p. 263
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Classes, capitalisme et archéologie, p. 263
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L’opposition travail intellectuel/travail manuel, p. 265
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Le « prolétariat de l’archéologie », p. 267
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Les solutions pour lutter contre les discriminations, p. 271
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Chapitre 4 – LGBTPHOBIES, p. 273
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L’archéologie queer et la critique du système hétéropatriarcal, p. 273
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Année 2000 : l’émergence avec Claassen et Dowson, p. 274
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Des années 2000 à 2020, p. 276
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Les discriminations, p. 278
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Les solutions pour lutter contre les discriminations, p. 281
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Chapitre 5 – Validisme, p. 285
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Handicaps, validisme et archéologie, p. 285
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Les discriminations, p. 288
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Les solutions pour lutter contre les discriminations, p. 291
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En guise de conclusion, p. 295
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Liste non exhaustive des chercheuses et chercheurs mentionné-e-s, p. 297
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Glossaire, p. 303
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Bibliographie, p. 305
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Liste des encadrés, figures et tableaux, p. 347
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References
Electronic reference
Audrey Vincent‑Pennec, “Isabelle Algrain et Laura Mary, Introduction à l’archéologie du genre”, Frontière·s [Online], Book Reviews, Online since 31 July 2024, connection on 13 January 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/2697; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/126fn
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