Navigation – Plan du site

AccueilNuméros en texte intégralSupplément 2L'iconographie comme marqueur cul...Les graffiti figuratifs, moyen d’...

L'iconographie comme marqueur culturel

Les graffiti figuratifs, moyen d’appréhender l’identité des prisonniers de la fin du Moyen Âge

Le cas des graffiti du château de Selles de Cambrai, prison de l’officialité de Cambrai
The Figurative Graffiti, a Means to Knowing the Identity of Prisoners in the Late Middle Ages. The Case of the Graffiti of Selles Castle in Cambrai, a Prison for the Cambrai Officiality
Audrey Ségard
p. 49-68

Résumés

Parmi les hommes du Moyen Âge relégués dans l’anonymat, en raison de l’absence ou du déficit de sources écrites et archéologiques mais aussi d’une rupture de mémoire, figurent la plupart des hommes condamnés à la prison. Peu de documents d’archives nous sont parvenus pour dévoiler le visage de ces inconnus, jugés pour certains par la justice ecclésiastique, dite l’officialité. Tout au plus connaît-on leurs noms et leurs dates d’incarcération grâce aux rares registres de sentences conservés. Pour combler ces lacunes, révéler l’identité de ces criminels incarcérés et les sortir de l’anonymat, l’étude des graffiti figuratifs se révèle précieuse. Certains prisonniers nous ont laissé des traces de leur passage en se « mettant en image », en traçant ou en gravant les murs de leurs cachots. Le présent article s’efforcera de faire l’analyse de ces modes d’expression figurée du monde carcéral de la fin du Moyen Âge, de leur donner sens pour rendre compte des pratiques socioculturelles de ces hommes prisonniers, et saisir leur identité qui se dévoile ainsi. Afin de s’approcher des préoccupations, des croyances, des pensées, de la vie même de ces hommes, les graffiti figuratifs présents au château de Selles de Cambrai (Nord), lieu d’enfermement à la fin du Moyen Âge, notamment pour l’officialité de Cambrai, serviront d’exemple.

Haut de page

Entrées d’index

Index géographique :

Cambrai

Index chronologique :

bas Moyen Âge
Haut de page

Texte intégral

Introduction

  • 1 Les sources écrites peuvent être législatives, canoniques, liturgiques, littéraires, etc. Concerna (...)
  • 2 Duby affirma ceci lors d’un entretien qu’il eut avec Pierre Nora, fondateur de la revue Le Débat. (...)
  • 3 Panofsky 1969 et 1967.
  • 4 Par exemple, les images peuvent se substituer à un discours théologique en offrant une « théologie (...)

1Bien que les sources écrites soient souvent considérées comme les sources historiques essentielles, ne serait‑ce que par leur diversité1, l’image a exercé un pouvoir dans les sociétés passées. Les images véhiculaient toutes sortes de concepts, de messages, de pensées. Elles sont en effet l’expression des structures matérielles et culturelles d’une société. L’historien Georges Duby, en abordant un Moyen Âge saturé d’images, le rappelait justement : « L’art est l’expression d’une organisation sociale, de la société dans son ensemble, de ses croyances, de l’image qu’elle se fait d’elle-même et du monde2. » C’est dans cette même démarche humaniste autour de l’image que certains historiens de l’art, comme Erwin Panofsky, se sont refusés à « la dichotomie traditionnelle entre forme et contenu3. » L’étude d’une œuvre d’art ne peut se réduire à une analyse exclusivement formelle. Il faut l’ancrer dans son contexte socioculturel pour valoriser la fonction sociale de l’œuvre et déterminer le message qu’elle est censée véhiculer. Les images peuvent être des sources d’autant plus précieuses que les mots peuvent être faibles, voire inexistants4.

2Elles sont encore plus primordiales pour la raison qu’elles apparaissent multiples : par leurs sujets, leurs genres, leurs techniques et supports matériels, leurs contextes de production et de diffusion, leurs qualités. Parmi ces diverses formes d’expression artistique, aucune image n’est à négliger comme l’expose le médiéviste Jean‑Claude Schmitt :

  • 5 Schmitt 2002, p. 21.

Toutes les images intéressent […], y compris, et peut-être même surtout, celles qui paraissent dépourvues de valeur esthétique et d’originalité. […] Car les images les plus communes sont peut-être les plus représentatives des tendances profondes de la culture d’une époque, de ses conceptions de la figuration, de ses manières de faire et de regarder de tels objets5.

  • 6 À la suite des travaux de Gardner 1975 et Cioni Liserani 1981, les sceaux ont été intégrés aux pré (...)
  • 7 Voir à ce sujet les travaux des membres de l’association internationale de recherche sur les charp (...)
  • 8 Voir à ce sujet l’exposition du Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, « L’art en broderie (...)

3On peut se réjouir aujourd’hui qu’il y ait un intérêt croissant, sans préjugé esthétique ou social, pour les productions médiévales « en marge ». Celles‑ci, présentes dans le cadre domestique – comme les sceaux6, les charpentes et plafonds peints7, les vêtements brodés8 – nous ouvrent une porte sur l’imaginaire et le quotidien d’une frange de la société médiévale à laquelle, jusqu’à présent, nous avions peu accès.

  • 9 Le mot italien graffito dérive du grec graphein (écrire, peindre, dessiner). Mais ce terme est sur (...)
  • 10 Timbert 2014, p. 31.
  • 11 Baschet et Schmitt 1996 ; Schmitt 2002.
  • 12 Bartholeyns et al. 2008, p. 99‑108 ; Jones‑Baker 1996.
  • 13 Plesch 2007 et 2010.
  • 14 Rares étaient les lieux d’emprisonnement à avoir été conçus à l’origine dans cet unique but. La pl (...)
  • 15 Sanchez 2018. Voir l’exposition en ligne « La mémoire des murs », coordonnée par J.‑C. Vimont, Mus (...)
  • 16 Sur la performance des images, nous renvoyons à Dierkens et al. 2010.

4Parmi les images en marge de celles conçues comme des œuvres d’art à part entière, on distingue les graffiti, peu considérés très certainement en raison du caractère « spontané » et « éphémère » qu’on leur a longtemps prêté. Le terme « graffiti » renvoie à la fois à l’acte d’écrire et à l’acte de dessiner, en gravant ou traçant sur un support qui n’est pas destiné à cela comme les murs d’un édifice, une porte, une œuvre d’art ou un meuble9. Bien qu’ils soient intéressants à plus d’un titre, nous ne ferons ici nul cas des graffiti scripturaux pour rester dans le cadre de la thématique générale de cette publication consacrée aux données iconographiques. Les graffiti figuratifs, comme les autres marques, « dans [leurs] expressions […] les moins contrôlées […], mémorise[nt] l’existence de [leur] traceur10 » permettant, dès lors, d’appréhender la société médiévale et son histoire culturelle, religieuse ou sociale. S’intéresser aux graffiti figuratifs, c’est avoir une approche anthropologique historique des images11 puisqu’ignorant la main de leurs auteurs et leur date de réalisation, on est nécessairement amené à s’intéresser aux usages de ces images et à les replacer dans des pratiques sociales et culturelles. Les graffiti médiévaux, par exemple, relèvent pour certains de pratiques mémorielles et votives12. Ces graffiti se sont essentiellement déployés sur les parois des églises, pour beaucoup dans des lieux de pèlerinage13, mais ils prennent place également dans d’autres lieux, hors du champ sacré, sur des murs de clochers ou de châteaux par exemple, mais aussi des lieux faisant office de prisons14. Comme aujourd’hui encore15, les peines d’emprisonnement au Moyen Âge étaient souvent assorties de production d’images murales. Les lieux carcéraux médiévaux ont ainsi très souvent leurs murs recouverts de témoignages laissés par les hommes qui y étaient enfermés, mais ces mêmes murs peuvent porter plus rarement, des traces laissées par les hommes qui ont fréquenté ces lieux (geôliers, soldats et autres visiteurs). Dans ce contexte carcéral, il apparaît que l’image est un signe qui, également, « fait signe ». Nous verrons comment les graffiti figuratifs agissent et performent dans l’espace carcéral16, mais aussi quels messages ils nous laissent.

  • 17 Les graffiti de Loches font l’objet depuis 2021 d’une étude menée par Aymeric Gaubert dans le cadr (...)
  • 18 Voir Mesqui et Toussaint 1990 ; Ramond 1987 ; Godard 2020, p. 18‑19.
  • 19 Le château de Selles a ainsi été classé au titre des monuments historiques le 21 septembre 1981.
  • 20 Parmi les 1 112 graffiti recensés par l’Inventaire dans les années 1980, figurent 803 motifs et 30 (...)
  • 21 Un texte contenant la date de 1326 (ou 1316 ?) a été gravé sur l’ébrasement gauche de l’archère 7, (...)

5Le château de Selles de Cambrai dans le département du Nord, qui servit de prison pour l’officialité de Cambrai à la fin du Moyen Âge (xivexvie siècles), nous fournira un exemple précieux (fig. 1 et 2). À l’exception de ce site cambrésien et des châteaux de Loches (Indre-et-Loire)17 et de Gisors (Eure)18, la plupart des autres lieux d’enfermement du Moyen Âge contiennent uniquement ou principalement des inscriptions, selon l’état des connaissances actuelles. Le château de Selles se révèle être un site remarquable par ses graffiti figuratifs, aux sujets et genres divers, mais il fait également figure d’exception19 par le foisonnement de manifestations graphiques qui se répandent sur ses murs. Pas moins de 2 000 graffiti ont été recensés dans l’état actuel des dégagements du château, dont une proportion assez marquée de graffiti figuratifs20 parmi lesquels prédominent les sujets religieux. Il s’agit d’un des plus grands ensembles de graffiti répertoriés en Europe, qui datent d’entre le début du xive siècle21 et la fin du xxe siècle. Les incisions dans les pierres calcaires sont plus ou moins profondes selon les graffiti, amenant à parler davantage de sculpture, de bas-relief que de graffiti pour certaines images. Certains graffiti relèvent ainsi plus de « l’œuvre d’art » que du dessin qui offre parfois un aspect de brouillon.

Figure 1 : Vue extérieure des tours médiévales 1 et 2 du château de Selles de Cambrai (Nord) au bord de l’Escautin

Figure 1 : Vue extérieure des tours médiévales 1 et 2 du château de Selles de Cambrai (Nord) au bord de l’Escautin

Crédit : A. Ségard

Figure 2 : Vue extérieure de la tour médiévale 2 du château de Selles de Cambrai (Nord), des remparts du xvisiècle, et de l’ancien hôpital militaire du xixsiècle.

Figure 2 : Vue extérieure de la tour médiévale 2 du château de Selles de Cambrai (Nord), des remparts du xvi       e siècle, et de l’ancien hôpital militaire du xix       e siècle.

Crédit : A. Ségard

Pour une sauvegarde des graffiti du château de Selles de Cambrai

Une première étude du site a été menée dans les années 1980 par le service de l’Inventaire (Nord–Pas‑de‑Calais). Au terme de cette étude, plus de 1 000 graffiti ont été recensés dont certains ont fait l’objet d’une campagne photographique. Face au constat d’une dégradation importante et rapide de l’état de conservation des graffiti, un projet de recherches archéologiques programmées (Prospection avec relevé d’art rupestre), dirigé par le Service régional de l’archéologie de la DRAC Hauts‑de‑France, a été mené de 2011 à 2019. Dans le cadre de ce projet, un inventaire a été fait, ainsi qu’un relevé de sauvegarde grâce à une technique de relevé 3D haute résolution. Plus de 2 000 graffiti ont alors été recensés. Voir notamment Motte et Mélard 2012. Les résultats du relevé de sauvegarde ont été intégrés en partie dans un outil numérique de valorisation offrant une reconstitution digitale de l’intérieur du château et de ses graffiti, qui sont aujourd’hui inaccessibles au public. Cette visite virtuelle est visible au Cambraiscope, le centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine de Cambrai, au sein du Labo. Pour un aperçu : https://youtu.be/​51I9vheo7Pg [consulté en avril 2024].

Le château de Selles et les prisonniers de l’officialité de Cambrai

Présentation du château de Selles

  • 22 Probablement à la fin de l’épiscopat de Gui de Laon (1238‑1248) et non selon la tradition, sous l’ (...)
  • 23 L’étude la plus complète de ce monument est à ce jour celle de Motte 2010.

6Édifié par le comte-évêque de Cambrai, probablement peu avant 125022, ce château épiscopal au plan polygonal irrégulier subira plusieurs transformations importantes qui lui feront perdre sa configuration médiévale23. Les transformations les plus notables eurent lieu après la prise de Cambrai par Charles Quint en 1543. Le château fut alors englobé de moitié dans les nouvelles murailles de la ville (fig. 2).

  • 24 Ces expressions sont extraites des archives de l’officialité de Cambrai, plus précisément des regi (...)
  • 25 Entre la fin du xve et le début du xvie siècle, la rivalité entre les Habsbour (...)

7D’un point de vue fonctionnel, certaines parties du château de Selles servirent de prison : le fond de la fosse (fundum fossae), les voûtes ou arcades (in arquatis) et une tour (in quadam turri ejusdem castri)24. Ces espaces carcéraux servirent dès le xive siècle pour la justice échevinale d’abord, puis à partir du début du xve siècle pour l’officialité de Cambrai, et ce jusqu’au xvie siècle25.

  • 26 À propos des compétences des officialités, voir Lefebvre‑Teillard 1973 ; Beaulande‑Barraud et Char (...)
  • 27 Beaulande‑Barraud 2012, p. 102.
  • 28 Les délits graves incluaient les vols, les homicides, les coups et blessures, la bigamie, l’adultè (...)

8Le tribunal de l’évêque avait les compétences pour juger les clercs, mais également les plus faibles telles les veuves, ainsi que toutes les questions qui avaient trait au lien matrimonial et aux mœurs du clergé et des laïcs (adultère, bigamie, trigamie, séparation des époux…)26. Il exerçait également le droit de punir lorsqu’étaient mis en cause des crimes relatifs à la foi, au blasphème et à l’hérésie. Certains justiciables du diocèse de Cambrai relevaient ainsi de l’officialité de Cambrai et étaient condamnés à la prison au château de Selles. Cette peine de prison était rare. Sur les 1247 sentences enregistrées entre 1438 et 1453 par l’officialité de Cambrai, 20 seulement ont infligé une peine de prison27. Le château de Selles était réservé aux crimes et délits les plus graves ou aux récidives28.

  • 29 Falzone 2010 ; Beaulande‑Barraud 2011.
  • 30 Le Décret de Gratien évoque ces pleurs du pénitent. Tout pécheur‑pénitent doit avoir un dégoût du (...)

9Pour l’officialité de Cambrai, comme pour les autres officialités, quand la sentence de l’emprisonnement était prononcée, il s’agissait de punir les crimes (ne crimina remaneant impunita) et de contraindre le délinquant à faire pénitence (penitentiam agat) pour rechercher le pardon divin et trouver le chemin du salut29. En plus de l’enfermement, le jeûne au pain et à l’eau participait à cette démarche pénitentielle, tout comme les pleurs30.

Les prisonniers du château de Selles

  • 31 Sur l’ensemble des prisonniers condamnés au château de Selles, mentionnés dans les registres de se (...)
  • 32 Beaulande‑Barraud 2011, p. 292.
  • 33 Sur les 54 prisonniers cités dans les registres de sentences de l’officialité de Cambrai, nous avo (...)
  • 34 Avant qu’il ne devienne archevêché en 1559.

10Les sources judiciaires de la fin du Moyen Âge de l’officialité de Cambrai qui nous sont parvenues permettent d’exhumer une centaine de criminels qui sont passés par le château de Selles en trois siècles, du xive au xvie siècle. En réalité, ils étaient certainement plus nombreux. Il s’agissait d’hommes et de quelques femmes31, avec des peines d’emprisonnement allant de quatre mois à la perpétuité32. Les clercs y étaient majoritaires33. À la fin du Moyen Âge, avec six archidiaconés, dix-huit doyennés, eux-mêmes divisés en multitude de paroisses, le diocèse de Cambrai34 était une terre fertile en présence cléricale. Ces clercs étaient probablement membres du clergé paroissial ou membres de la communauté canoniale.

  • 35 Ces sources couvrent les années 1438‑1453 de façon discontinue (Lille, Archives départementales du (...)
  • 36 Le statut clérical des 34 clercs incarcérés est difficile à déterminer car il n’y a aucune précisi (...)
  • 37 Les graffiti de Loches, par exemple, présentent le même intérêt que ceux du château de Selles de C (...)

11Ces hommes ne nous sont connus que par les registres de sentences de l’officialité, extrêmement fragmentaires35. Peu d’informations y sont consignées : un nom, une date, la mention du statut de l’homme incriminé (au mieux clerc36 ou prêtre), les motifs de l’incarcération et la durée de la peine. L’essentiel finalement se trouve dans l’exposé du crime et dans l’exposé du dispositif de la condamnation. Cela constitue un véritable frein à la connaissance de cette population carcérale. Cette difficulté peut heureusement être surmontée grâce au matériel archéologique et à l’iconographie, à savoir les graffiti figuratifs. Ils permettent en effet d’entendre les voix de ces justiciables de la fin du Moyen Âge, condamnés par le tribunal épiscopal cambrésien37. Selon la formule consacrée, les murs murmurent. Il faut donc savoir tendre l’oreille afin de percevoir ce qu’ils nous disent et, en l’occurrence, il faut savoir les regarder.

Les images murales, miroirs des prisonniers

12Les prisonniers du château de Selles s’appuyèrent sur la matière des murs pour évoquer leurs multiples préoccupations, leur croyance, leur imaginaire. Les nombreuses images inscrites dans et sur la pierre par ces hommes exclus du monde répondaient en effet à des besoins variés qui pouvaient se retrouver dans une même image. En effet, comme pour bon nombre d’images médiévales, ces images murales ne se laissaient pas enfermer dans une approche exclusive, offrant ainsi parfois des interprétations contradictoires à propos d’un même sujet. Il nous est difficile de ramener ces visions dualistes à une interprétation unique tant certaines images sont polysémiques telles les figures animalières, mais aussi parce que le milieu socioculturel de ces auteurs nous est quasi inconnu. Ainsi, l’interprétation des graffiti figuratifs requiert une certaine prudence, d’autant que nous n’avons pas d’accès direct aux pensées de leurs créateurs. L’analyse des fonctions plurielles assignées à ces images murales n’en reste pas moins éclairante sur les besoins de leurs auteurs.

Les graffiti, supports d’évasion et passe‑temps

  • 38 Au Moyen Âge, les conditions de détention variaient, et ce notamment en fonction du statut du pris (...)
  • 39 Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1998, no 1243, p. 720 (10 janvier 1450) : toto illo t (...)
  • 40 Par exemple, un condamné, sur une peine de 3 ans, a dû respecter un jeûne au pain et à l’eau penda (...)

13Le château de Selles était loin de ressembler à une « prison courtoise », mais relevait davantage d’une « dure prison »38. Les conditions de vie y étaient difficiles. Beaucoup de prisonniers étaient condamnés à ne consommer que du pain sec et de l’eau (in pane doloris et aqua tristicie) pendant toute la durée39 ou une partie40 de leur emprisonnement. À ces restrictions alimentaires, il faut ajouter le tableau d’une prison froide, sombre et certainement humide, notamment parce que l’Escautin coulait au pied du château (fig. 1). Sans activités, exception faite de la prière, les prisonniers cherchaient probablement une échappatoire à la dureté de leur emprisonnement, qu’ils trouvaient dans les graffiti. On pourrait ainsi assimiler les personnages, animaux, édifices en élévation (églises, tours, portes fortifiées) et motifs naturels (fleurs, étoiles, soleil) présents sur les murs du château de Selles, à des motifs purement décoratifs. Ces sujets tirés de l’environnement extérieur permettaient à leurs auteurs de se recréer un espace évocateur de celui qu’ils avaient dû quitter. Ces motifs leur permettaient d’humaniser leur milieu de vie contraint. Les chevaux graffités, par exemple, rappelaient le lien entre l’homme et le cheval (fig. 3). Le cheval symbolise la fidélité et la loyauté tant il est attaché à son maître. Richard de Fournival d’ailleurs dans son Bestiaire d’Amour voyait plus le cheval comme un compagnon de l’homme qu’un animal. Le cheval prend ainsi logiquement place à plusieurs reprises sur les murs du château de Selles.

Figure 3 : Quadrupède (cheval ?), xve siècle (?)

Figure 3 : Quadrupède (cheval ?), xv        e siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 4

Crédit : A. Ségard

  • 41 Ricœur 2014 établit cette correspondance entre l’espace (« vécu, géométrique, habité ») et le temp (...)

14Outre la possibilité d’oublier la vie quotidienne difficile, ces manifestations spontanées permettaient d’apporter une réponse au temps long de l’incarcération. Écartés du monde extérieur, ces hommes entretinrent un autre rapport à l’espace, mais aussi au temps41. Ces graffiti représentent le « hors temps », le temps de la marge, et passent pour un moyen de retenir le temps.

Les graffiti, « images de mémoire »

  • 42 La question de la pratique graphique comme acte d’appropriation d’un espace, voire comme preuve d’ (...)
  • 43 Pour ces questions, voir Fentress et Wickham 1992 ; Oexle 1984 et 1995 ; Schmidt 1981.

15Les graffiti témoignent de l’appropriation de l’espace carcéral et plus encore du désir de laisser une trace de son passage comme ceux des lieux de culte42. Les graffiti paraissent dès lors être des « images de mémoire » (Memoriabild) comme les effigies43. Pour réaliser les graffiti, la technique de l’incision a été privilégiée, à l’aide d’une pointe sèche (certainement la pointe d’un couteau, la boucle d’une ceinture ou un clou). Cette pratique a été favorisée par la craie blanche sénonienne du Cambrésis, pierre particulièrement tendre. Derrière l’altération du mur, il y a, en creux, un ajout. La trace réalisée ne conservait pas uniquement le souvenir du passage d’un homme, elle inscrivait aussi la présence d’un corps, façon d’exister.

Les graffiti, images identitaires

  • 44 À propos de cette dimension identitaire, Ségard 2022, p. 88‑97.
  • 45 Ébrasement droit de l’archère 7 au second niveau de la tour 3.

16Dans cette quête d’humanisation et d’affirmation de soi, certaines images gravées sont comme des miroirs44. Des visages, de face ou de profil, parfois réduits à leur plus simple représentation, et des silhouettes de personnages aux corps stylisés s’affichent sur les murs. Ces figures, le plus souvent simples ébauches, s’imposent comme des autoportraits. Du fait de leur schématisme, on ne peut envisager qu’il puisse s’agir de portraits au sens littéral. Leurs auteurs ne recherchent pas la ressemblance physique, mais cherchent à dire l’être. Dans cette même logique, certains détenus clament aussi leur identité sociale en gravant des blasons (fig. 4). Certains évoquent aussi leur activité dans le monde en esquissant des calices, permettant ainsi à ces clercs et prêtres emprisonnés de renvoyer aux tâches exercées avant leur incarcération. La présence d’une sainte Cène, sur un des ébrasements d’une archère45, fait peut-être partie de cette même stratégie identitaire. L’auteur de ce graffiti était peut-être un prêtre qui, avant d’être emprisonné au château de Selles, avait pour habitude de célébrer le sacrement de l’eucharistie.

Figure 4 : Blason, xve siècle (?)

Figure 4 : Blason, xv        e siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 4

Crédit : A. Ségard

  • 46 Ségard 2021.
  • 47 On comptabilise une soixantaine de procès d’animaux en France entre le xiiie et le xvi (...)
  • 48 Par exemple, il est mentionné dans les registres de Dijon de 1389 qu’un cheval fut condamné à mort (...)
  • 49 Par exemple, dans une sentence datée du 6 octobre 1442, il est précisé qu’un certain Gilles Tugart (...)
  • 50 Voir notamment Voisenet 2000.
  • 51 Buschinger 1995.

17Les prisonniers se désignent donc eux-mêmes comme sujets pour rester vivants, selon une représentation symbolique. Les graffiti animaliers par exemple peuvent faire écho avec l’histoire des prisonniers, comme dans une sorte de dédoublement46. Le prisonnier et l’animal sont confondus. Au Moyen Âge, l’animal, comme l’homme, pouvait être jugé pour des crimes ou mesfaits. Dans tout l’Occident se tinrent des procès d’animaux dès le milieu du xiiie siècle47. Les prisonniers du château de Selles pouvaient ainsi se projeter dans l’animal. Dans cette logique de justice, des chevaux, par exemple, ont pu être représentés sur les murs du château de Selles (fig. 3) puisque quelques chevaux ont été poursuivis criminellement comme certains hommes48. Dans cette logique identitaire, des animaux ont pu aussi être figurés pour rappeler l’animalité de ces hommes qui leur a valu d’être incarcérés. La mise en scène d’un coq par exemple, illustre cette déchéance humaine en évoquant les péchés de chair tels la lubricité, la bigamie ou l’adultère qui ont conduit certains hommes au château de Selles49. Ce volatile tracé sur les murs de la prison ecclésiastique cambrésienne est un miroir déformant dans lequel certains prisonniers pouvaient contempler leurs vices. Faut‑il rappeler la vision cléricale de l’animalité, fondée sur un système symbolique, qui s’est développée tout au long du Moyen Âge50 ? Les attaques contre le clergé n’étaient en effet pas rares dans les romans animaliers51, tels que dans le Roman de Renart, véritable satire du monde clérical. Mais les clercs eux-mêmes, dans des écrits variés (récits hagiographiques, chroniques, sermons, poésie, encyclopédies, etc), mettaient en scène certains animaux en insistant sur leur proximité avec l’homme, au point d’en faire parfois leur double. L’animal servait alors de miroir à ces clercs et ainsi d’illustration morale. Les chevaux et les coqs par exemple, qui nous intéressent ici, offraient alors certainement un repoussoir à ces prisonniers dont ils devaient s’écarter. Mais dans d’autres circonstances, cette faune pouvait aussi constituer un modèle auquel il fallait se conformer, puisque beaucoup de bêtes, comme le cheval ou le coq, sont ambivalentes. Le choix de faire figurer certains animaux répondait donc indéniablement plus à un système symbolique qu’à une volonté d’évoquer les réalités quotidiennes. On s’intéressait davantage au coq en tant que représentation de la luxure et non en tant qu’animal familier, animal de la basse-cour.

Les graffiti, images de dévotion

18Parmi les multiples graffiti du château de Selles, les motifs religieux tiennent une large place : thèmes mariaux, christologiques, hagiographiques et liturgiques sont fréquents et majoritaires. Nous rencontrons ici ou là des Vierges en majesté (fig. 5), des Vierges à l’Enfant, des Christ en croix (fig. 6), une sainte Cène, des saints intercesseurs comme Laurent (fig. 7) ou Georges (fig. 8)… Tous ces graffiti attestent de l’existence de dévotions plurielles, simultanées ou successives. Les clercs emprisonnés au château de Selles se sont ainsi servis du mur comme support, pour manifester leur foi, mais également pour communiquer avec Dieu, ou encore s’assurer sa protection ou celle des saints.

Figure 5 : Vierge avec un dévot, xivexve siècle (?)

Figure 5 : Vierge avec un dévot, xiv        e‑xv        e siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 2 de la tour 3

Crédit : A. Ségard

Figure 6 : Crucifixion, xve siècle (?)

Figure 6 : Crucifixion, xve siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 3

Crédit : A. Ségard

Figure 7 : Saint Laurent, xivexve siècle (?)

Figure 7 : Saint Laurent, xiv        e‑xv        e siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, ébrasement gauche de l’archère 7, niveau 2 de la tour 3

Crédit : A. Ségard

Figure 8 : Saint Georges, fin du xve siècle – première moitié du xvie siècle (?)

Figure 8 : Saint Georges, fin du xv        e siècle – première moitié du xvi        e siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 2 de la tour 3

Crédit : A. Ségard

  • 52 Ségard 2024.
  • 53 Sur ce processus de méditation impliquant des créations artistiques, Kessler 2015, p. 173.
  • 54 Expression reprise du titre de l’ouvrage de Montenat et Guiho‑Montenat 2003.

19Les graffiti favorisaient la communication avec l’invisible52. Ils leur permettaient de guider leur esprit per visibilia ad invisibilia (du visible à l’invisible), pour reprendre saint Paul. En effet, en concevant des graffiti, les prisonniers s’engageaient dans un processus de méditation, qui débute avec le regard et aboutit à la contemplation intérieure53. Les graffiti faisaient ainsi office de supports dévotionnels. C’étaient des « prières des murs54 ». Cela leur permettait aussi d’afficher une identité religieuse, valeur commune à tous ces hommes d’Église condamnés par l’officialité de Cambrai.

20Mettre en scène le divin conduisait les auteurs de ces images murales à une rencontre directe, affective et intime avec celui‑ci, comme le rappellent ces graffiti dans lesquels les prisonniers se représentent en dévots agenouillés devant le Christ ou la Vierge (fig. 5). Ces portraits dévotionnels nous livrent l’image de détenus qui participent pleinement à l’événement représenté et qui sont ainsi transplantés dans un autre temps et un autre lieu : celui de l’Histoire sainte. Ces images accréditaient dès lors la présence réelle du divin et permettaient ainsi de rendre présent ici‑bas l’autre monde.

  • 55 Gautier de Coinci, Les Miracles de Nostre Dame.
  • 56 Mâle 1986, p. 255‑256.

21Les prisonniers voyaient probablement dans ces images un moyen d’être protégés. Par exemple, la Vierge se voulait une présence rassurante et peut-être protectrice pour ces pécheurs. Au tympan des cathédrales, on la trouve souvent agenouillée auprès de son Fils qui s’apprête à juger le monde. Elle rassurait ainsi le pécheur qui n’oserait regarder son juge en entrant dans la maison de Dieu. Mais la présence de la Vierge peut aussi trouver son explication dans le livre des Miracles de Nostre Dame de Gautier de Coinci55, car si l’on se fie au moine de Soissons, la Vierge sauve tous ceux que la justice humaine et la justice divine ont condamnés56. Faire figurer la Vierge sur les murs du château de Selles pouvait ainsi être motivé par une fonction apotropaïque, qui pouvait aussi être assimilée au coq, le défenseur des poules contre les attaques du renard, notamment. Le coq veillait ainsi sur le prisonnier.

Les graffiti, images pénitentielles

  • 57 Voir notre article Ségard 2021.

22Certains graffiti visaient à mener les criminels-pécheurs au salut. Rappelons que les hommes emprisonnés au château de Selles étaient là pour faire pénitence et ainsi rechercher le pardon divin. Le repentir des prisonniers se manifeste à travers plusieurs motifs, de natures diverses, à commencer par celui des animaux57. Certaines images animales sont le support de la présence réelle du mal que le prisonnier devait combattre pour accéder à la miséricorde divine. Dans ce bestiaire du diable, le dragon a tout naturellement sa place. Au second niveau de la tour 3, on découvre cette créature diabolique combattue par un chevalier, certainement saint Georges (fig. 8). Ce graffiti de sauroctone se démarque des autres images gravées du château par sa taille et par ses incisions relativement profondes dans le calcaire. On pourrait d’ailleurs davantage parler de sculpture. Cette extraction de la matière, plus importante donc que pour d’autres graffiti, a impliqué nécessairement un temps d’exécution relativement long. Ce temps a engagé le corps de son créateur et l’a placé dans un face-à-face physique avec le motif. L’homme qui a donc créé cette image animale s’est confronté directement au mal. L’illustration d’un combat devient celle de l’homme contre lui-même. Symbole du combat spirituel, la victoire sur le dragon est ainsi une annonce du salut éternel.

  • 58 Guillaume Durand de Mende, Rationale divinorum officiorum, I, p. 19‑20 : « symbole de victoire et (...)
  • 59 Pastoureau 2011, p. 156.

23Si certains animaux personnifient les forces du mal et permettent ainsi aux prisonniers de s’y confronter, d’autres au contraire aident à les chasser comme le coq. L’évêque de Mende Guillaume Durand rappelait dans son célèbre traité liturgique Rationale divinorum officiorum que le coq repoussait les puissances infernales par son chant58. Dans le même ouvrage, le coq passait pour l’image du bon pasteur qui invite les chrétiens à se repentir et à faire pénitence59. Il y est décrit comme l’image « du prêtre cherchant à conduire ses ouailles vers le salut ». Cet oiseau accompagnait ainsi ses auteurs dans leur pratique expiatoire et les aidait à repousser le mal.

  • 60 Faire figurer la Vierge trouve aussi sa justification dans le fait qu’elle était le meilleur inter (...)
  • 61 Rubin 2009, p. 124‑137.
  • 62 Delaveau et Sordet 2012.
  • 63 Vandenbroucke 1963.
  • 64 Vauchez 1987.

24Figurer une Crucifixion ou une Vierge, comme figurer certains animaux, entre dans cette démarche pénitentielle entreprise par les prisonniers. La Vierge, instrument de la Rédemption puisqu’elle est celle qui a effacé la faute d’Ève, trouve tout naturellement sa place sur les murs60. Vierge, Marie était par excellence le symbole de la pureté chrétienne qui pouvait guérir les pécheurs61. Quoi de plus approprié aussi que de représenter le sacrifice accepté par le Christ pour expier le péché des hommes afin d’expier ses propres fautes ? Si l’Incarnation en elle-même est rédemptrice, la Passion joue un rôle déterminant dans ce rachat. Montrer le Christ mort revient à rappeler qu’il a pris la condition humaine et qu’il invite les fidèles à imiter sa conduite. Les Crucifixions sont ainsi nombreuses et de qualité d’exécution variable (fig. 6). On trouve aussi bien des croix aux simples contours que des scènes fort détaillées avec plusieurs personnages qui se répartissent autour du Christ mort sur la croix. Dans ces Crucifixions, la double nature du Christ est évoquée. Il est à la fois homme et Dieu. L’image d’un Christus dolens nous est offerte et parfois de façon fort précise : son corps s’affaisse, sa tête tombe contre l’épaule droite, sa face est émaciée, la cage thoracique est saillante et les flancs sont creusés. En insistant sur le corps souffrant du Sauveur, les prisonniers affichaient cette volonté de montrer sa corporalité lors de son séjour terrestre. Mais ces images de l’incarnation du Sauveur étaient surtout là pour signifier sa souffrance rédemptrice. Ces images de Christ sur la croix ne sont pas propres aux graffiti carcéraux, mais attestent de la volonté des prisonniers de l’officialité de Cambrai de se repentir. Ces hommes emprisonnés au château de Selles identifiaient leurs souffrances à celles du Christ et le suivaient de la sorte dans la souffrance salvatrice. Cette relation mimétique avec le Christ souffrant s’inscrit dans la piété de la fin du Moyen Âge, comme en atteste par exemple l’immense succès de l’ouvrage spirituel L’Imitation de Jésus‑Christ62. On aura garde d’oublier aussi que ces images murales furent produites en un temps où la dévotion au Christ souffrant était vive63, la fin du Moyen Âge étant marquée par la « religion du Vendredi Saint », telle que la qualifie André Vauchez64.

  • 65 Jean 20, 14‑18.
  • 66 Voir par exemple Oliver 1988, p. 77 et 85.
  • 67 Lauwers 1992, p. 252.

25D’autres sujets entretiennent des liens particuliers avec la démarche pénitentielle des prisonniers comme la scène du Noli me tangere qui évoque les mystères de la Résurrection. Cette scène pascale est visible à l’entrée du niveau 1 de la tour 3 (fig. 9). L’importance accordée à cette scène transparaît dans le fait qu’il s’agit d’un des rares graffiti occupant cet espace. Cette scène décrite dans l’Évangile de saint Jean65 est associée à l’Ascension et à la Résurrection, au même titre que la visite au tombeau. Une seule présence féminine y est mentionnée : celle de Marie de Magdala (dite aussi Marie‑Madeleine ou la Madeleine). Cette dernière prend le Christ ressuscité pour le jardinier lorsque, au matin de la Pâque, elle découvre le tombeau vide. Le Christ se fait reconnaître en prononçant la phrase Noli me tangere ou « Ne me touche pas ». Par ces mots, il signifie qu’il est ressuscité. L’auteur du graffiti a mis l’accent sur le mouvement de recul du Christ, reconnaissable à son nimbe cruciforme. Il a en effet les deux mains levées. L’introduction d’un arbre entre les deux protagonistes accentue la séparation entre la chair et l’esprit. La nature sépare le divin de l’humain. La réponse du Ressuscité au geste de la sainte femme, qui cherche à le toucher, illustre la conversion de la pécheresse qui s’est faite pénitente. La Madeleine passait pour un exemple de conversion et de pénitence. C’est pourquoi cette scène de la rencontre entre la Madeleine et le Christ accompagnait généralement les sept psaumes de la pénitence dans les livres d’heures66. L’auteur de ce graffiti s’identifiait donc probablement à Marie‑Madeleine dans sa démarche pénitentielle. D’ailleurs, depuis le xiiie siècle, il était préconisé à tout pénitent, homme ou femme, de pleurer ses péchés aux pieds d’un prêtre, comme la Madeleine l’avait fait aux pieds du Christ, au pied de la Croix et devant le tombeau vide67. Rappelons que la peine de prison devait provoquer des pleurs.

Figure 9 : Noli me tangere, xivexve siècle (?)

Figure 9 :         Noli me tangere,         xiv        e‑xv        e siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, entrée du niveau 1 de la tour 3

Crédit : A. Ségard, CC BY‑NC‑SA 4.0

Les graffiti figuratifs, marqueurs culturels

26On peut enfin voir dans ces graffiti une pratique lettrée dont les clercs, qui constituaient la majeure partie des litterati, ont conservé pendant des siècles le monopole. Effectivement, les graffiti sont révélateurs de la culture iconographique de ces hommes de la fin du Moyen Âge qui ont gravé et tracé ces graffiti figuratifs en puisant dans un répertoire de modèles établis. Les prisonniers n’ignoraient pas le type traditionnel des personnages qu’ils ont cherché à représenter. La Vierge, par exemple, répond aux arrangements conventionnels en portant un voile comme symbole de sa virginité ou en portant une couronne comme symbole de sa souveraineté sur le ciel et la terre. Les scènes hagiographiques ou bibliques sont également immuables. Saint Laurent, par exemple, est reconnaissable au gril sur lequel il a été supplicié (fig. 7). Le combat de Georges contre le dragon ne fait lui aussi l’objet d’aucune fantaisie (fig. 8) : Georges, en armure, brandit une épée et terrasse le dragon. Le prisonnier qui représenta la Cène groupa, selon la tradition, les apôtres autour de la table en prenant soin de placer le Christ – avec son nimbe cruciforme – au centre de la composition et saint Jean à sa gauche, comme le rappelle la mention gravée sur son buste.

  • 68 Niveau 1 de la tour 4, pierre no 30, située entre les archères 3 et 4.
  • 69 Au sujet de ce motif, voir notamment Vassilieva‑Codognet 2017a, 2e partie et 2017 b ; Wirth 2003.

27On notera que certains motifs iconographiques entrent en résonance avec d’autres formes d’art comme les enluminures ou la sculpture. Ainsi, le motif de la roue de Fortune se retrouve gravé sur les murs de la prison de l’officialité de Cambrai68 (fig. 10). Quatre personnages, dont celui au sommet est un roi, prennent place sur le pourtour d’une roue actionnée par la déesse Fortune, qui se trouve elle-même à l’intérieur de la roue. Sont montrés les états successifs de ces personnages allant de leur ascension à leur chute. Ce motif, qui connut un réel succès à la fin du Moyen Âge, figurait dans nombre de manuscrits enluminés69. On l’observe par exemple dans l’Hortus Deliciarum, dans l’Epistre Othea ou le Livre de la Mutacion de Fortune de Christine de Pizan, dans des Cité de Dieu, dans le Livre du Trésor de Brunet Latin, dans Des cas des Nocbles Hommes et Femmes de Boccace, etc. On peut se demander comment une image si familière dans les manuscrits enluminés se retrouva gravée sur les murs du château de Selles. On peut supposer que c’est la manifestation de la mémoire visuelle des auteurs des graffiti.

Figure 10 : Roue de Fortune, xivexve siècle (?)

Figure 10 : Roue de Fortune, xiv        e‑xv        e siècle (?)

Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 4

Crédit : A. Ségard

  • 70 Voir par exemple la monographie de Vanwijnsberghe 2013 consacrée à Marc Caussin, un miniaturiste h (...)
  • 71 Parmi les primitifs flamands de renom du xve siècle, citons Robert Campin, Jan van Eyck (...)

28Ainsi, les résonances iconographiques entre les graffiti et les autres formes d’art témoignent que les prisonniers étaient non seulement concepteurs des graffiti, mais aussi utilisateurs d’autres supports artistiques avant leur incarcération. Ils ont certainement fait usage de manuscrits enluminés avant de commettre leur forfait et d’être emprisonnés. Il ne faut pas oublier que le diocèse de Cambrai s’inscrivait, aux xvexvie siècles, dans les territoires nord des États bourguignons, où fleurissaient peinture et enluminure. C’était en effet une terre riche d’officines locales pour les manuscrits enluminés70 et d’ateliers de peintres en vue – pour les portraits par exemple71. Les graffiti, que l’on pourrait qualifier d’« art de la copie », se situant entre imitation, variation, imagination et inspiration, se révèlent être de véritables marqueurs culturels. Leurs auteurs étaient assurément dotés d’un savoir clérical et d’une culture visuelle. Ainsi, le poids de leur milieu rejaillit sur les sujets représentés, surtout quand ceux‑ci se révèlent élaborés.

  • 72 Voir notre article Ségard 2021.

29Les murs du château de Selles présentent une juxtaposition de motifs hétéroclites. On assiste à une association de la culture religieuse officielle (dévotion mariale, christique et aux saints), de la nature sauvage et fantastique (volatiles, quadrupèdes, hybrides)72, de la vie dans le monde (église, tour, porte fortifiée, couple…). L’imbrication de tous ces thèmes dans le même espace carcéral est le signe d’une culture qui impliquait un cheminement visuel entre des images éloignées les unes des autres mais constituant un véritable ensemble comme le laisse supposer l’absence de dégradation.

Conclusion

30Les graffiti figuratifs carcéraux sont bien plus que de simples représentations gravées ou tracées sur les murs des prisons. Ils constituent une porte d’entrée, majeure tout autant qu’inédite, pour enrichir la connaissance de tous ces hommes qui furent enfermés au château de Selles à la fin du Moyen Âge, d’autant que les sources écrites et archéologiques font défaut. Ces traces d’un outil sur un matériau sont un moyen de nous faire pénétrer dans l’intimité de ces prisonniers de l’officialité de Cambrai et nous permettent d’approcher leurs pensées, leurs cultures, leurs pratiques socioculturelles. Véritables fragments d’existence, ces graffiti parlent, au sens large, de la vie de ces prisonniers de la fin du Moyen Âge, au même titre que les graffiti présents dans les catacombes romaines fournissent des informations sur les premiers chrétiens. Ces images murales rescapées de mondes disparus, qui auraient pu être éphémères, nous donnent accès à un contenu documentaire qui nous éclaire sur ces histoires humaines singulières. Leurs auteurs jouaient de la variété des motifs, de leur polysémie pour se définir et se montrer.

  • 73 À propos de la micro‑histoire, voir l’article fondateur de Ginzburg 1980.
  • 74 Ce concept d’« archives du sol » fut souvent évoqué par l’ethnologue et préhistorien A. Leroi‑Gour (...)
  • 75 C. Guichard appliqua cette expression à la question de la lecture des graffiti romains à l’époque (...)

31En faisant revivre ces hommes écroués, qui jusque‑là étaient restés dans l’ombre, les graffiti iconiques participent à la micro-histoire73. Ces « archives imagées » viennent compléter les archives écrites ainsi que les « archives du sol »74. L’étude des graffiti invite donc à poser un autre regard sur les images, non pas un regard esthétique, mais un regard historique, archéologique, anthropologique, « un regard de biais » pour reprendre l’expression de Charlotte Guichard75.

Haut de page

Bibliographie

Sources anciennes

Gautier de Coinci, Les Miracles de Nostre Dame, éd. V. F Koenig, 4 vol., Genève, Droz, 1955‑1970.

Guillaume Durand de Mende (Guillelmus Durantus), Rationale divinorum officiorum. Tome I‑IV, éd. A. Davril et T.M. Thibodeau, Turnhout, Brepols, 1995.

Travaux

Bartholeyns G., Dittmar P.‑O. et Jolivet V. 2008, Image et transgression au Moyen Âge, Paris, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/puf.joliv.2008.01.

Baschet J. et Schmitt J.‑C. (éd.) 1996, L’Image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval. Actes du 6e “International workshop on medieval societies”. Centre Ettore Majorana (Erice, Sicile, 17‑23 octobre 1992), Paris.

Beaulande‑Barraud V. 2011, « “Au pain de douleur et à l’eau de tristesse”. Prison pénale, prison pénitentielle dans les sentences d’officialité à la fin du Moyen Âge », dans J. Claustre, I. Heullant‑Donnat et E. Lusset (éd.), Enfermements I. Le cloître et la prison (viexviiie siècle). Actes du colloque international organisé par le Centre d’études et de recherche en histoire culturelle (CERHiC- EA 2616), de l’université de Reims Champagne-Ardenne et l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux (Troyes, Bar-sur-Aube, Clairvaux, 22‑24 octobre 2009), Paris, p. 289‑303, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psorbonne.73064

Beaulande‑Barraud V. 2012, « Les sanctions prononcées par l’official de Cambrai au xve siècle. Punir, réparer, amender », dans M.‑A. Bourguignon, B. Dauven et X. Rousseaux (éd.), Amender, sanctionner et punir. Recherches sur l’histoire de la peine du Moyen Âge au xxe siècle.Actes des journées d’études de Louvain‑la‑Neuve, 19‑20 octobre 2009, Louvain‑la‑Neuve, p. 101‑112, disponible sur : https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pucl/2304 [consulté en avril 2024].

Beaulande‑Barraud V. et Charageat M. (éd.) 2014, Les officialités dans l’Europe médiévale et moderne. Des tribunaux pour une société chrétienne. Actes du colloque international organisé par le Centre d’études et de recherches en histoire culturelle (CERHiC-EA2616) (Troyes, 27-29 mai 2010), Turnhout, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1484/M.EMI-EB.6.09070802050003050501040904.

Briand J.et Godard J. (éd.) 2020, Gisors, du prisonnier légendaire au trésor des Templiers, Herblay‑sur‑Seine.

Buffon G. 1778, « Des Époques de la Nature », Histoire naturelle générale et particulière, avec la description du Cabinet du roy, Supplément, Tome V, Paris, p. 1‑39, disponible sur : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k97518z/f10.item [consulté en avril 2024].

Buschinger D. 1995, « La critique du clergé dans le roman animalier au Moyen Âge », Le clerc au Moyen Âge, Aix‑en‑Provence, p. 79‑89, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pup.2449.

Carozzi C. et Taviani‑Carozzi H. (éd.) 2004, Le médiéviste devant ses sources. Questions et méthodes, Aix‑en‑Provence, DOI : https://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pup.6518.

Charageat M., Lusset E. et Vivas M. (éd.) 2021, Les espaces carcéraux au Moyen Âge, Bordeaux, DOI : https://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.46608/primaluna15.9782356134134.

Châtelet A. et Vanwijnsberghe D. 1996, « Simon Marmion », dans L. Nys et A. Salmagne (éd.), Valenciennes aux xive et xve siècles. Art et histoire, Valenciennes, p. 151‑179.

Cioni Liserani E. 1981, Sigilli medioevali senesi, Florence.

Delaveau M. et Sordet Y. (éd.) 2011, Édition et diffusion de L’Imitation de Jésus‑Christ (1470‑1800), Paris.

Descatoire C. (éd.) 2019, L’art en broderie au Moyen Âge. Autour des collections du musée de Cluny, cat. exp. (Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge), 24 octobre 2019 – 20 janvier 2020), Paris.

Dierkens A., Bartholeyns G. et Golsenne T. (éd.) 2010, La Performance des images, Bruxelles, disponible sur : https://0-library-oapen-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/handle/20.500.12657/24359 [consulté en avril 2024].

Duby G. et Nora P. 1996, « L’art, l’écriture et l’histoire. Entretien avec Georges Duby », Le Débat 92/5, p. 174‑192, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/deba.092.0174.

Dussart C. 2019, Les graffitis de la période médiévale et de la première modernité. L’exemple du château de Selles à Cambrai, thèse de l’École nationale des chartes (inédit).

Falzone E. 2006, Les registres de sentences de l’officialité de Cambrai (1438‑1453). L’apport d’une source ecclésiastique à l’étude de la société franco‑bourguignonne au xve siècle, 2 vol., mémoire de licence en histoire, université catholique de Louvain‑la‑Neuve (inédit).

Falzone E. 2010, « Ut peccata sua deflere et amplius talia non committat. L’emprisonnement dans la pratique des officialités du diocèse de Cambrai et la réception de la doctrine canonique au xve siècle : châtier et sauver ? », dans D. Heirbaut, X. Rousseaux et A. Wijffels (éd.), Histoire du droit et de la justice. Une nouvelle génération de recherches/Justitie – en rechts – geschiedenis, p. 273‑284, disponible sur : https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/pucl/851 [consulté en avril 2024].

Fentress J. et Wickham C. 1992, « Medieval Memories », dans J. Fentress et C. Wickham (éd.), Social Memory, Oxford-Cambridge (MA), p. 144‑172.

Fleming J. 2011, Graffitis & arts scripturaux à l’aube de la modernité anglaise (trad. J.‑F. Caro), Dijon.

Foucault M. 1975, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris.

Gardner J. 1975, « Some cardinal’s seals of the thirteenth century », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 38, p. 72‑96, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.2307/750948 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Gaubert A. 2019, Le prisonnier Ludovic Sforza, de Milan à Loches : les graffitis du duc déchu ? Essai de contextualisation carcérale et d’analyse graffitologique, mémoire de master 2, université de Tours (inédit).

Genicot L., Van den Abeele B. et Yante J.‑M. (éd.) 1972‑2016, Typologie des sources du Moyen Âge occidental [collection], Turnhout.

Gil M. et Chassel J.‑L. (éd.) 2011, Pourquoi les sceaux ? La sigillographie, nouvel enjeu de l’histoire de l’art. Actes du colloque de Lille, 23‑25 octobre 2008, Lille, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.irhis.2850.

Ginzburg C. 1980, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat 6, p. 3‑44, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/deba.006.0003 [consulté en octobre 2022].

Godard J. (éd.) 2020, Gisors, du prisonnier légendaire au trésor des Templiers, Herblay-sur-Seine.

Grava Y. 1995, « Le clerc marié », Le clerc au Moyen Âge, Aix‑en‑Provence, p. 231‑242, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pup.2465.

Guichard C. 2014, Graffitis. Inscrire son nom à Rome, xviexixsiècle, Paris.

Guyotjeannin O. 1998, Les sources de l’histoire médiévale, Paris.

Jollet U. 2002, « De curieux graffiti lochois », dans S. Ramond (éd.), Actes des premières rencontres graffiti anciens à Loches en Touraine, 20‑21 octobre 2001, Verneuil‑en‑Halatte, p. 51‑54.

Jones‑Baker D. 1996, « Some Medieval Votive Graffiti in English Churches », Rheinisches Jahrbuch für Volkskunde 37/7, p. 127‑146.

Kessler H.L. 2015, L’œil médiéval. Ce que signifie voir l’art du Moyen Âge (trad. A. Hasnaoui), Paris.

Lauwers M. 1992, « “Noli me tangere”. Marie Madeleine, Marie d’Oignies et les pénitentes du xiiie siècle », Mélanges de l’école française de Rome 104/1, p. 209‑268, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/mefr.1992.3225.

Lefebvre‑Teillard A. 1973, Les officialités à la veille du Concile de Trente, Paris.

Legaré A.‑M. 1992, « The Master of Antoine Rolin: A Hainaut Illuminator Working in the Orbit of Simon Marmion », dans T. Kren (éd.), Margaret of York, Simon Marmion and The Visions of Tondal, Malibu, p. 209‑222, disponible sur : https://www.getty.edu/publications/virtuallibrary/0892362049.html [consulté en avril 2024].

Legaré A.‑M. 1996, « L’héritage de Simon Marmion en Hainaut, 1490‑1520 », dans L. Nys et A. Salmagne (éd.), Valenciennes aux xive et xve siècles. Art et histoire, Valenciennes, p. 201‑224.

Leroi‑Gourhan A. 1950, Les fouilles préhistoriques : technique et méthodes, Paris.

Leroy M.‑A. 1999, Justice et société dans le diocèse de Cambrai (1444‑1446), d’après les registres de sentences de l’officialité épiscopale, mémoire de maîtrise, université Paris 1 (inédit).

Lorentz P., Castres A. et Ferré R.‑M. (éd.) (à paraître), Une peinture à l’aiguille. La broderie au Moyen Âge, Actes des journées d’étude de Paris, 13‑14 janvier 2020, Turnhout.

Mâle É. 1986, L’art religieux du xiiie siècle en France (9e éd.), Paris.

Mesqui J. et P. Toussaint 1990, « Le château de Gisors aux xiie et xiiie siècles », Archéologie médiévale 20, p. 253‑317, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/arcme.1990.975.

Montenat C. et Guiho‑Montenat M.‑L. 2003, Prières des murs : graffitis anciens (xviiexviiie siècle) aux murs extérieurs des églises. Picardie, Normandie, Île‑de‑France, Beauvais.

Motte V. et Mélard N. 2012, Rapport sur le projet 2011. Sculptures, gravures et graffiti du château de Selles à Cambrai. Inventaire, étude et état sanitaire des manifestations graphiques, SRA Nord, DRAC NordPas-de-Calais [rapport d’opération programmée], Lille (inédit).

Motte V. 2010 [1993], Le château de Selles à Cambrai. Étude historique et monumentale, éd. Y. Roumegoux, Douai.

Oexle O.G. 1984, « Memoria und Memoriabild », dans K. Schmid et J. Wollasch (éd.), Memoria. Der geschichtliche Zeugniswert des liturgischen Gedenkens im Mittelalters, Munich, p. 384‑440.

Oexle O.G. (éd.) 1995, Memoria als Kultur, Göttingen, disponible sur : https://www.mgh-bibliothek.de/dokumente/a/a119817.pdf [consulté en avril 2024].

Oliver J.H. 1988, Gothic Manuscript Illumination in the diocese of Liege (c. 1250 – c. 1330), 2 vol., Louvain.

Panofsky E. 1967, Essais d’iconologie. Les thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance (trad. B. Teyssèdre et C. Herbette), Paris.

Panofsky E. 1969, L’œuvre d’art et ses significations. Essai sur les Arts visuels (trad. M. et B. Teyssèdre), Paris.

Pastoureau M. 2011, Bestiaires du Moyen Âge, Paris.

Plesch V. 2002, « Memory on the Wall. Graffiti on Religious Wall Paintings », dans K. Ashley et V. Plesch (éd.), Journal of Medieval and Early Modern Studies 32/1. The Cultural Processes of “Appropriation”, p. 167‑198, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1215/10829636-32-1-167 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Plesch V. 2007, « Using or abusing? On the significance of graffiti on religious mural paintings », dans L.U. Afonso et V. Serrão (éd.), Out of the Stream. Studies in Medieval and Renaissance Mural Painting, Newcastle, p. 42‑68.

Plesch V. 2010, « Destruction or preservation? The meaning of graffiti on paintings in religious sites », dans V. Chieffo Raguin (éd.), Art, piety and destruction in the Christian West, 1500‑1700, Farnham‑Burlington, p. 137‑172.

Plesch V. 2014, « Come capire i graffiti di Arborio ? », dans M. Leone (éd.), Immagini efficacy, vol. spécial, Lexia. Rivista di semiotica 16‑17, p. 127‑147, disponible sur : https://www.santantonioabate.afom.it/wp-content/uploads/Come_capire_i_graffiti_di_Arborio.pdf [consulté en avril 2024].

Poirier P. 2002, « Les graffiti de la salle des gardes du donjon de Loches », dans S. Ramond (éd.), Actes des premières rencontres graffiti anciens à Loches en Touraine, 20‑21 octobre 2001, Verneuil‑en‑Halatte, p. 65‑74.

Poirier P. 2005, « Les graffiti de la salle des gardes du donjon de Loches (2e partie) », dans S. Ramond (éd.), Actes des troisièmes rencontres « graffiti anciens » à Dieppe, 2‑3 octobre 2004, Verneuil‑en‑Halatte, p. 25‑41.

Ramond S. 1987, « À Gisors au xvie siècle, des graffiti devenus sculptures », dans Actes du Ve colloque international de glyptographie de Pontevedra, 1986, Pontevedra–Braine‑le‑Château, p. 623‑632.

Ricœur P. 2014 [2000], La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/ls.ricoe.2014.05.

Riout D., Gurdjian D. et Leroux J.‑P. 1990, Le livre du graffiti, Paris.

Rubin M. 2009, Mother of God. A History of the Virgin Mary, New Haven-Londres.

Sanchez J.‑L. 2018, « La spécificité carcérale du graffiti », dans L. Pressac (éd.), Sur les murs. Histoire(s) de graffitis, Paris, p. 64‑68, disponible sur : https://hal.science/hal-01819554 [consulté en avril 2024].

Schmidt G. 1981, « Zur einigen Stiftdarstellungen des 14 Jahrunderts in Frankreich », dans S. McK. Crosby, A. Chastel, A. Prache et A. Châtelet (éd.), Études d’art médiéval offertes à Louis Grodecki, Paris, p. 269‑286.

Schmitt J.‑C. 2002, Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, DOI : https://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.14375/np.9782070761593 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Ségard A. 2021, « Quand les prisonniers invitent les animaux à venir leur tenir compagnie ! Les graffiti animaliers sur les murs des prisons de la fin du Moyen Âge (xivexvie siècles) », Publications du Centre européen d’études bourguignonne 61. Entre réel et imaginaire : les animaux dans l’histoire, l’art et la littérature à l’époque bourguignonne (xivexvie siècles), éd. A. Marchandisse, B. Schnerb et J. Devaux, p. 147‑164, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1484/J.PCEEB.5.130112 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Ségard A. 2022, « Le langage graphique des prisonniers sur les murs face au dedans et au dehors, à la fin du Moyen Âge », Le Moyen Âge 128/1. Isolement et ouverture au monde, éd. E. Gaucher et A. Vilain, p. 85‑107, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rma.281.0085 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Ségard A. 2024, « Images religieuses gravées et sculptées sur les murs d'une prison de l'officialité de Cambrai à la fin du Moyen Âge. Les graffiti figuratifs du château de Selles de Cambrai (xive-xvie siècles), des signes de dévotions aux intentions pénitentielles », dans C. Fernandes Barreira, D. Martins, J.L. Fontes et M. Farelo (éd.), An Embodied Religion: Materialities and Devotions in Medieval Europe, Bruxelles.

Strine C.A., Mclnroy M. et Torrance A. (éd.) 2022, Image as Theology. The Power of Art in Shaping Christian Thought, Devotion, and Imagination, Turnhout.

Telliez R. 2011, « Geôles, fosses, cachots. Lieux carcéraux et conditions matérielles de l’emprisonnement en France à la fin du Moyen Âge », dans J. Claustre, I. Heullant‑Donnat et E. Lusset (éd.), Enfermements I.Le cloître et la prison (viexviiie siècle). Actes du colloque international organisé par le Centre d’études et de recherche en histoire culturelle (CERHiC- EA 2616), de l’université de Reims Champagne-Ardenne et l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux (Troyes, Bar-sur-Aube, Clairvaux, 22‑24 octobre 2009), Paris, p. 169‑182, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psorbonne.72994.

Timbert A. (éd.) 2014, Chartres. Construire et restaurer la cathédrale, xiexxie s., Villeneuve d’Ascq, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.septentrion.31319.

Van Caenegem R.C. 1997, Introduction aux sources de l’histoire médiévale. Typologie, histoire de l’érudition médiévale, grandes collections, sciences auxiliaires, bibliographie (trad. B. Van den Abeele), Turnhout.

Vandenbroucke F. 1963, « La dévotion au Crucifié à la fin du Moyen Âge », La Maison‑Dieu 75, p. 133‑143, disponible sur : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k6555586k?rk=21459;2 [consulté en avril 2024].

Vanwijnsberghe D. 2013, « Ung bon ouvrier nommé Marquet Caussin ». Peinture et enluminure en Hainaut avant Simon Marmion, Bruxelles.

Vassilieva‑Codognet O. 2017a, Iconographie de Fortune au Moyen Âge et à la Renaissance (xiexvie siècle), thèse de doctorat, EHESS (inédit).

Vassilieva‑Codognet O. 2017b, « Aux origines de la roue de Fortune médiévale », Art de l’enluminure 61, p. 42‑59.

Vauchez A. 1987, Les laïcs au Moyen Âge. Pratiques et expériences religieuses, Paris.

Vilain A. 2018, Imago urbis. Les sceaux de villes au Moyen Âge, Paris.

Vleeschouwers C. et Vleeschouwers‑Van Melkebeek M. (éd.) 1982‑1983, Liber sentenciarum van de officialiteit van Brussel. 1448‑1459, 2 vol., Bruxelles.

Vleeschouwers C. et Vleeschouwers‑Van Melkebeek M. (éd.) 1998, Registres de sentences de l’officialité de Cambrai (1438‑1453), 2 vol., Bruxelles.

Voisenet J. 2000, Bêtes et hommes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du ve au xiie siècle, Turnhout.

Wirth J. 2003, « L’iconographie médiévale de la roue de Fortune », Recherches & rencontres 19. La Fortune : thèmes, représentations, discours, éd. Y. Fochr‑Janssens et E. Métry, p. 105‑127, disponible sur : https://0-revues-droz-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/RR/article/view/RR_19_105-127 [consulté en avril 2024].

Yasin A.M. 2015, « Prayers on Site : The Materiality of Devotional Graffiti and the Production of Early Christian Sacred Space », dans A. Eastmond (éd.), Viewing Inscriptions in the Late Antique and Medieval World, Cambridge‑New York, p. 36‑60, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1017/CBO9781316136034.003 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Haut de page

Notes

1 Les sources écrites peuvent être législatives, canoniques, liturgiques, littéraires, etc. Concernant les sources de la période médiévale, voir Genicot 1972. En 2016, 88 fascicules étaient parus, chacun portant sur un type de source écrite du Moyen Âge. Voir également Van Caenegem 1997 ; Guyot jeannin 1998 ; Carozzi et Taviani‑Carozzi 2004.

2 Duby affirma ceci lors d’un entretien qu’il eut avec Pierre Nora, fondateur de la revue Le Débat. Duby et Nora 1996, p. 182.

3 Panofsky 1969 et 1967.

4 Par exemple, les images peuvent se substituer à un discours théologique en offrant une « théologie visuelle ». Voir à ce sujet Strine et al. 2022.

5 Schmitt 2002, p. 21.

6 À la suite des travaux de Gardner 1975 et Cioni Liserani 1981, les sceaux ont été intégrés aux préoccupations des historiens de l’art. Voir par exemple Gil et Chassel 2011 ; Vilain 2018 ; ainsi que les nombreux travaux de B. M. Bedos‑Rezak.

7 Voir à ce sujet les travaux des membres de l’association internationale de recherche sur les charpentes et les plafonds peints du Moyen Âge (RCPPM) (https://rcppm.org/blog/), tels ceux de M. Pérez‑Simon (Université Sorbonne nouvelle ; IUF) sur la place de la littérature dans l’iconographie domestique médiévale.

8 Voir à ce sujet l’exposition du Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, « L’art en broderie au Moyen Âge », et son catalogue d’exposition (Descatoire 2019). Dans le cadre de cette exposition, deux journées d’études ont été organisées en janvier 2020 à l’INHA. Consulter les actes Lorentz et al. (à paraître).

9 Le mot italien graffito dérive du grec graphein (écrire, peindre, dessiner). Mais ce terme est surtout attaché au latin graphium (stylet servant à tracer des lettres dans la cire), bien que l’incision ne fasse pas obligatoirement le graffiti. Un graffiti, inscription ou croquis, peut être gravé, tracé, voire sculpté. Riout et al. 1990, p. 9 ; Fleming 2011, p. 39.

10 Timbert 2014, p. 31.

11 Baschet et Schmitt 1996 ; Schmitt 2002.

12 Bartholeyns et al. 2008, p. 99‑108 ; Jones‑Baker 1996.

13 Plesch 2007 et 2010.

14 Rares étaient les lieux d’emprisonnement à avoir été conçus à l’origine dans cet unique but. La plupart des espaces de détention du Moyen Âge au xxe siècle prenaient place dans des châteaux, palais épiscopaux, donjons, abbayes, etc. Telliez 2011. Au sujet de la prison sous sa forme moderne, Foucault 1975.

15 Sanchez 2018. Voir l’exposition en ligne « La mémoire des murs », coordonnée par J.‑C. Vimont, Musée d’histoire de la justice, des crimes et des peines – Criminicorpus : https://criminocorpus.org/fr/expositions/anciennes/art-et-justice/la-memoire-des-murs/ [consulté en avril 2024].

16 Sur la performance des images, nous renvoyons à Dierkens et al. 2010.

17 Les graffiti de Loches font l’objet depuis 2021 d’une étude menée par Aymeric Gaubert dans le cadre de sa thèse de doctorat intitulée : Introduction à la graffitologie : pour une archéologie de la trace et du geste. Les graffitis anciens de la forteresse royale de Loches (xiiiexviiie siècles). Voir également son article dans ce volume ainsi que Gaubert 2019 ; Jollet 2002 ; Poirier 2002 et 2005.

18 Voir Mesqui et Toussaint 1990 ; Ramond 1987 ; Godard 2020, p. 18‑19.

19 Le château de Selles a ainsi été classé au titre des monuments historiques le 21 septembre 1981.

20 Parmi les 1 112 graffiti recensés par l’Inventaire dans les années 1980, figurent 803 motifs et 309 inscriptions, essentiellement des noms associés à une date. Les graffiti figuratifs sont ainsi majoritaires. Mais la prudence doit être de mise puisque les chiffres qui peuvent être avancés reposent uniquement sur les graffiti conservés et connus. D’autres graffiti pourraient certainement être à l’avenir découverts si les parties encore inaccessibles du château étaient dégagées. À propos des inscriptions, voir les 39 étudiées par Dussart 2019.

21 Un texte contenant la date de 1326 (ou 1316 ?) a été gravé sur l’ébrasement gauche de l’archère 7, au second niveau de la tour 3 (dans la suite de cet article, nous garderons la numérotation des tours, archères et pierres établie par les archéologues). Dussart 2019, p. 242‑248.

22 Probablement à la fin de l’épiscopat de Gui de Laon (1238‑1248) et non selon la tradition, sous l’épiscopat de Nicolas de Fontaines (1248‑1272).

23 L’étude la plus complète de ce monument est à ce jour celle de Motte 2010.

24 Ces expressions sont extraites des archives de l’officialité de Cambrai, plus précisément des registres de sentences. Elles sont transcrites dans Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1998.

25 Entre la fin du xve et le début du xvie siècle, la rivalité entre les Habsbourgs et les rois de France amena à délaisser le château de Selles comme prison. Une garnison espagnole prit d’ailleurs ses quartiers au château. Par ailleurs, on assista au xvie siècle à une multiplication et à une délocalisation des espaces de détention. Des prisonniers se retrouvèrent par exemple dans les geôles du palais épiscopal ou dans la prison du Bailly du Cateau‑Cambrésis qui étaient des lieux de détention préventive.

26 À propos des compétences des officialités, voir Lefebvre‑Teillard 1973 ; Beaulande‑Barraud et Charageat 2014.

27 Beaulande‑Barraud 2012, p. 102.

28 Les délits graves incluaient les vols, les homicides, les coups et blessures, la bigamie, l’adultère, la lubricité, les jeux de hasard. Était ainsi condamné ce qui portait atteinte à l’Église.

29 Falzone 2010 ; Beaulande‑Barraud 2011.

30 Le Décret de Gratien évoque ces pleurs du pénitent. Tout pécheur‑pénitent doit avoir un dégoût du péché qui doit le conduire à des transformations. Les larmes sont ainsi une conversion dans la vie du pécheur. Pour citer aussi saint Ambroise évoquant les deux conversions de la vie terrestre : « il y a l’eau et les larmes : l’eau du baptême et les larmes de la pénitence » (Ambroise, Ep. 41,12, éd. M. Zelzer, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 82).

31 Sur l’ensemble des prisonniers condamnés au château de Selles, mentionnés dans les registres de sentences de l’officialité de Cambrai encore aujourd’hui conservés, seuls quatre sont des femmes. La juridiction du chapitre cathédral de Cambrai a également conduit quelques femmes au château de Selles au xve siècle. Nous tenons cette information de M. Maillard‑Luypaert, que nous remercions chaleureusement.

32 Beaulande‑Barraud 2011, p. 292.

33 Sur les 54 prisonniers cités dans les registres de sentences de l’officialité de Cambrai, nous avons comptabilisé 34 clercs, 8 prêtres, 8 « autres » (certainement des paroissiens dont 4 étaient des hommes mariés) et 4 femmes, comme mentionnées précédemment.

34 Avant qu’il ne devienne archevêché en 1559.

35 Ces sources couvrent les années 1438‑1453 de façon discontinue (Lille, Archives départementales du Nord, 5 G 148 et 149) et les années 1543‑1551 (Lille, Archives départementales du Nord, 5 G 150). Ces registres de sentences de l’officialité de Cambrai ont été édités par Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1998 et étudiés en partie par Falzone 2006 ; Leroy 1999 ; Lefebvre‑Teillard 1973. Le premier registre de sentences de l’officialité de Bruxelles, qui couvre les années 1448‑1459 et qui concerne encore l’officialité de Cambrai, a été édité par Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1982‑1983.

36 Le statut clérical des 34 clercs incarcérés est difficile à déterminer car il n’y a aucune précision dans les registres de sentences, excepté pour deux clercs. L’un était vicaire de G […] et l’autre était commissaire délégué de l’évêque de Cambrai, Jean de Bourgogne. On notera que parmi ces 34 clercs, 6 étaient des clercs mariés, des clerici conjugati. À propos des clercs mariés, Grava 1995.

37 Les graffiti de Loches, par exemple, présentent le même intérêt que ceux du château de Selles de Cambrai puisque les archives concernant le fonctionnement carcéral de cette forteresse ont été détruites pendant la Révolution française.

38 Au Moyen Âge, les conditions de détention variaient, et ce notamment en fonction du statut du prisonnier, de la nature de son crime. Elles étaient très hétérogènes sur le plan de l’alimentation, des conditions d’hygiène, de la circulation (entraves, absence de réclusion), des équipements de confort (aisances, éclairage, etc.)… Un prince, par exemple, n’était pas soumis au même régime pénitentiel qu’un prisonnier de guerre, un artisan, un paysan ou une femme. Certains étaient ainsi détenus dans des « prisons courtoises » où on leur réservait un bon traitement, conforme à l’éthique chevaleresque, alors que d’autres se retrouvaient dans des prisons avec des conditions de vie beaucoup plus rudes (froid, humidité, alimentation insuffisante…) impliquant une mortalité plus importante. À propos des différents espaces carcéraux et des conditions d’incarcération, Charageat et al. 2021.

39 Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1998, no 1243, p. 720 (10 janvier 1450) : toto illo tempore durante, pane doloris et aqua tristicie dumtaxat sustentetur […].

40 Par exemple, un condamné, sur une peine de 3 ans, a dû respecter un jeûne au pain et à l’eau pendant 1 an, et un jeûne canonique sans vin ni viande pendant 2 ans. Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1998, no 1407, p. 813‑814 (10 février 1453).

41 Ricœur 2014 établit cette correspondance entre l’espace (« vécu, géométrique, habité ») et le temps (« vécu, cosmique, historique »).

42 La question de la pratique graphique comme acte d’appropriation d’un espace, voire comme preuve d’interaction avec un lieu, a déjà été traitée mais dans un cadre dévotionnel et non carcéral. Voir Plesch 2002 et 2010. Voir aussi ses études sur les graffiti de l’oratoire de San Sebastiano à Arborio (Italie). Plesch 2014 par exemple. Yasin 2015, en prenant l’exemple de graffiti tardo‑antiques à travers la Méditerranée, a aussi développé cette idée que les graffiti sont l’une des rares manifestations de piété incluant un rapport physique à l’architecture.

43 Pour ces questions, voir Fentress et Wickham 1992 ; Oexle 1984 et 1995 ; Schmidt 1981.

44 À propos de cette dimension identitaire, Ségard 2022, p. 88‑97.

45 Ébrasement droit de l’archère 7 au second niveau de la tour 3.

46 Ségard 2021.

47 On comptabilise une soixantaine de procès d’animaux en France entre le xiiie et le xvie siècle. Furent jugés des chevaux, des bovins, mais aussi plus couramment des cochons. Le procès de la truie de Falaise en 1386 est le plus célèbre.

48 Par exemple, il est mentionné dans les registres de Dijon de 1389 qu’un cheval fut condamné à mort pour avoir tué un homme.

49 Par exemple, dans une sentence datée du 6 octobre 1442, il est précisé qu’un certain Gilles Tugart a été conduit au château de Selles pour cause de bigamie, après avoir contracté deux mariages, l’un à Faucoucourt (diocèse de Laon, Aisne), et l’autre à Avesnes‑le‑Sec (diocèse de Cambrai, Nord). En raison de la nature du crime, il fut condamné aussi à la mise à l’échelle. Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1998, no 343, p. 177‑178. Colard Nutus, un clerc marié, fut quant à lui condamné à l’emprisonnement et à l’excommunication parce qu’il avait commis l’adultère avec une certaine Marguerite Maruelle dont il organisa ensuite le mariage avec son propre fils. Vleeschouwers et Vleeschouwers-Van Melkebeek 1998, no 1175, p. 682‑683 (5 juillet 1449).

50 Voir notamment Voisenet 2000.

51 Buschinger 1995.

52 Ségard 2024.

53 Sur ce processus de méditation impliquant des créations artistiques, Kessler 2015, p. 173.

54 Expression reprise du titre de l’ouvrage de Montenat et Guiho‑Montenat 2003.

55 Gautier de Coinci, Les Miracles de Nostre Dame.

56 Mâle 1986, p. 255‑256.

57 Voir notre article Ségard 2021.

58 Guillaume Durand de Mende, Rationale divinorum officiorum, I, p. 19‑20 : « symbole de victoire et de vigilance, il possède le pouvoir de chasser les démons par son chant : il crie vers Dieu pour hâter l’aurore du Jugement dernier et de la vie éternelle ».

59 Pastoureau 2011, p. 156.

60 Faire figurer la Vierge trouve aussi sa justification dans le fait qu’elle était le meilleur intercesseur qui soit, en tant que mère du Seigneur. Par ailleurs, il s’agissait certainement aussi d’une réponse au culte marial qui a connu une grande popularité dans le diocèse de Cambrai au Moyen Âge, et ce dès le xie siècle, sous l’épiscopat de Gérard Ier de Florennes (1012‑1051). Ainsi, par exemple, la cathédrale de Cambrai, qui abritait des reliques mariales (une boucle de la chevelure de la Vierge et du lait de la sainte mamelle), était placée sous la protection de la Vierge.

61 Rubin 2009, p. 124‑137.

62 Delaveau et Sordet 2012.

63 Vandenbroucke 1963.

64 Vauchez 1987.

65 Jean 20, 14‑18.

66 Voir par exemple Oliver 1988, p. 77 et 85.

67 Lauwers 1992, p. 252.

68 Niveau 1 de la tour 4, pierre no 30, située entre les archères 3 et 4.

69 Au sujet de ce motif, voir notamment Vassilieva‑Codognet 2017a, 2e partie et 2017 b ; Wirth 2003.

70 Voir par exemple la monographie de Vanwijnsberghe 2013 consacrée à Marc Caussin, un miniaturiste hainuyer, actif à Valenciennes dès les années 1430, et ce jusqu’aux années 1470, et qui reçut en 1456‑1457 la commande de la conception d’un missel en deux volumes pour la cathédrale de Cambrai (aujourd’hui conservés à Cambrai, Le Labo – Médiathèque d’agglomération, ms 146 et ms 147). On pourrait faire cas aussi de Simon Marmion, qui fut actif à Valenciennes (où il arriva vers 1458), Tournai et Cambrai. Châtelet et Vanwijnsberghe 1996. Voir aussi par exemple Legaré 1992 et 1996.

71 Parmi les primitifs flamands de renom du xve siècle, citons Robert Campin, Jan van Eyck ou encore Rogier van der Weyden (ou Rogier de la Pasture).

72 Voir notre article Ségard 2021.

73 À propos de la micro‑histoire, voir l’article fondateur de Ginzburg 1980.

74 Ce concept d’« archives du sol » fut souvent évoqué par l’ethnologue et préhistorien A. Leroi‑Gourhan, qui prolongea là la notion d’« archives de la terre » proposée par Buffon en 1778. Leroi‑Gourhan 1950, Buffon 1778.

75 C. Guichard appliqua cette expression à la question de la lecture des graffiti romains à l’époque moderne. Guichard 2014, quatrième de couverture.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Vue extérieure des tours médiévales 1 et 2 du château de Selles de Cambrai (Nord) au bord de l’Escautin
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Figure 2 : Vue extérieure de la tour médiévale 2 du château de Selles de Cambrai (Nord), des remparts du xvisiècle, et de l’ancien hôpital militaire du xixsiècle.
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Figure 3 : Quadrupède (cheval ?), xve siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 4
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Figure 4 : Blason, xve siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 4
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 898k
Titre Figure 5 : Vierge avec un dévot, xive‑xve siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 2 de la tour 3
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 777k
Titre Figure 6 : Crucifixion, xve siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 3
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 827k
Titre Figure 7 : Saint Laurent, xive‑xve siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, ébrasement gauche de l’archère 7, niveau 2 de la tour 3
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-7.JPG
Fichier image/jpeg, 669k
Titre Figure 8 : Saint Georges, fin du xve siècle – première moitié du xvie siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 2 de la tour 3
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 779k
Titre Figure 9 : Noli me tangere, xive‑xve siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, entrée du niveau 1 de la tour 3
Crédits Crédit : A. Ségard, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 793k
Titre Figure 10 : Roue de Fortune, xive‑xve siècle (?)
Légende Cambrai (Nord), château de Selles, niveau 1 de la tour 4
Crédits Crédit : A. Ségard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2675/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 805k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Audrey Ségard, « Les graffiti figuratifs, moyen d’appréhender l’identité des prisonniers de la fin du Moyen Âge »Frontière·s, Supplément 2 | 2024, 49-68.

Référence électronique

Audrey Ségard, « Les graffiti figuratifs, moyen d’appréhender l’identité des prisonniers de la fin du Moyen Âge »Frontière·s [En ligne], Supplément 2 | 2024, mis en ligne le 15 juillet 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/2675 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/121t1

Haut de page

Auteur

Audrey Ségard

Docteure en histoire de l’art médiéval, Université de Lille, IRHiS (UMR 8529, CNRS)

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search