1Après la mort d’Alexandre, les souverains hellénistiques envoient, tout au long du iiie siècle av. n.è., des flottes sur les rives africaines de la mer Rouge qui dépassent vite le détroit de Bab-el‑Mandeb et atteignent le golfe d’Aden. Ces expéditions enrichissent leurs connaissances de la mer Rouge, développent les possibilités d’une navigation grâce aux vents de la mousson et entraînent un trafic fructueux. Les Syriens, et en particulier les Palmyréniens, disposaient donc d’un excellent savoir maritime. Ces derniers, aux iie et iiie siècles n.è., se rendent maîtres des routes de l’Inde, par la mer Rouge notamment. Mais on ne saurait méconnaître la situation réelle : le grand centre commercial était la capitale de l’Égypte, Alexandrie, et la voie maritime celle qui allait de l’Inde en Arabie, à Alexandrie, et, de là, à Rome. Le Périple de la mer Érythrée, manuel de marchands rédigé vers le ier siècle n.è., ainsi que les découvertes en Arabie du Sud démontrent, l’un comme l’autre, cette prépondérance.
2Palmyre est une oasis placée à peu près à mi‑chemin entre la Méditerranée (environ 200 km) et l’Euphrate. Vers l’ouest et le sud-ouest, ses marins rejoignent l’Égypte et naviguent en mer Rouge, dite mer Érythrée ; vers l’est ses caravaniers atteignent le Tigre et l’Euphrate, en descendent les cours, et embarquent dans le golfe Persique vers les côtes méridionales de la péninsule Arabique. Partout, ils installent des comptoirs, et si ceux‑ci semblent nombreux autour du Golfe, aucun n’est encore attesté, de façon indiscutable, en Arabie du Sud.
3Pourtant, la découverte assez récente de plusieurs bas-reliefs au Yémen permet de supposer la présence de commerçants palmyréniens ou plus largement syriens.
- 1 Breton et Dentzer-Feydy 2019.
- 2 Sartre 2021.
4En 2019, l’auteur de ces lignes et Jacqueline Dentzer-Feydy publiaient un article intitulé « Reliefs figurés avec des attelages en Arabie du Sud »1 en insistant sur l’analyse iconographique de deux pièces. Ils en concluaient à une origine palmyrénienne, ou plus orientale encore, de ces thèmes. En 2021, Maurice Sartre publiait une synthèse magistrale, Le bateau de Palmyre. Quand les mondes anciens se rencontraient2, soulignant notamment le rôle des Palmyréniens dans le commerce sur les mers entourant la péninsule Arabique.
5Le présent article, tout en reprenant l’analyse iconographique précédente, vise à cerner le rôle de ces Palmyréniens, commerçants ou ambassadeurs, et à évaluer leurs communautés dans une Arabie du Sud ouverte aux influences artistiques et religieuses vers le iie‑iiie siècle n.è. Il s’appuie notamment sur un bas-relief récemment découvert à Shabwa, la capitale du royaume du Hadhramaout, à l’est du Yémen dont une nouvelle restitution sera proposée dans cet article.
6Probablement avant le début de notre ère, les marins d’Égypte et de Syrie s’aventurent déjà en mer Rouge. Le Périple de la mer Érythrée, accumule ainsi des renseignements collectés au moins un siècle auparavant3. Ils connaissent les vents dits d’Hippalos, liés au système des moussons, qui permettent de descendre toute la mer Rouge vers le sud en été, et de la remonter vers le nord, au moins partiellement en janvier (fig. 1).
Figure 1 : Carte de la péninsule Arabique
Fond de carte d’après M. Sartre 2021, p. 302
- 4 Sidebotham et Wendric 1998, p. 93.
- 5 Sidebotham et Wendrich 1998, p. 93.
- 6 Sidebotham et Wendrich 1998, p. 93 ; Sidebotham et al. 2020, p. 18-19.
- 7 Breton 2021, p. 142-143.
7Beaucoup plus tard, au iie siècle, des Syriens et plus particulièrement des Palmyréniens s’installent sur les côtes occidentales de la mer Rouge, dans le port de Béréniké (fig. 1) où ils côtoient des marchands égyptiens et des militaires romains ou leurs alliés. Les inscriptions du site mentionnent ainsi deux Palmyréniens. Le premier, un archer du nom de Marcus Aurelius Mokinos, fait une dédicace en grec, datée de 215 n.è., à l’empereur Caracalla et à sa mère Julia Domna4. Le second, Aurelius Celer, fait une autre dédicace en grec et en palmyrénien, et mentionne le nom du sculpteur Berechei. C’est lui qui forge une statue de bronze grandeur nature, sans doute en l’honneur de la divinité palmyrénienne Iarhibôl, l’une des divinités de la triade de Palmyre5 (fig. 2). D’autres inscriptions au milieu de statuettes égyptiennes et de bols d’offrande montrent qu’une schola de troupes auxiliaires syriennes ainsi que des commerçants alexandrins et palmyréniens résident de façon permanente à Béréniké6. Ils adorent sans doute des dieux égyptiens et palmyréniens, ainsi que la divinité impériale. Les Palmyréniens savent donc se trouver partout où se rencontrent les marchands d’Égypte, d’Arabie du Sud ou d’Axoum, mais leur position géographique les oblige toutefois à privilégier la route de l’Euphrate. Puis les Palmyréniens s’aventurent plus au sud, fréquentant peut-être le port d’Adulis7 sur la côte occidentale de la mer Rouge, avant de franchir le détroit de Bab-el‑Mandeb (dit « La porte des larmes ») pour rallier Aden.
Figure 2 : Fragment de statue de bronze provenant de Beréniké
Avec l’aimable autorisation de S.E. Sidebotham
- 8 Répertoire d’épigraphie sémitique no 4859.
8C’est curieusement dans le royaume du Hadhramaout que l’on suit la trace de ces marchands orientaux. Ce royaume, situé à l’est du Yémen, dont la capitale est Shabwa (fig. 3), la Sabota des Romains, est alors à son apogée ; son territoire s’étend à l’Est jusqu’au Dhofar (actuellement en Oman) et à l’Ouest jusqu’aux abords de l’ancien royaume de Qataban. En 218, deux Palmyréniens et deux Chaldéens assistent alors à l’investiture du souverain Ili’azz Yalût, roi du Hadhramaout. Sur un rocher, près de Shabwa, au lieu-dit al‑‘Uqla, ils font graver le texte suivant : « Khayri et ‘Adidum les deux Palmyréniens, Dhû‑Matrân et Falqat les deux Chaldéens, Dhardah et Mindah les deux indiens ont accompagné leur seigneur Ili’azz Yalût, roi du Hadhramaout8 ».
Figure 3 : Shabwa. Vue générale vers l’est
Crédit : J.‑F. Breton, CC BY‑NC‑SA 4.0
- 9 On pourrait même faire l’hypothèse que ces deux Palmyréniens seraient des commerçants installés à (...)
- 10 Breton 2009, p. 314-315 ; Salles et Sedov 2010.
9On peut s’interroger sur la présence de ces Palmyréniens et Chaldéens. Aucun texte ne mentionne une quelconque invitation de la part du roi du Hadhramaout, Ili’azz.Yalût. On remarque que les deux inscriptions mentionnant les Palmyréniens ne leur donnent aucun titre ni aucune indication de leur pays d’origine9. Les relations commerciales, plus que le prestige de ce souverain, suffiraient à envisager la présence de ces deux personnages considérés par certains comme des marchands plutôt que des ambassadeurs, des commerçants – syriens ou chaldéens – se faisant passer pour des ambassadeurs pour accéder à de riches clients. Rappelons ici que le royaume du Hadhramaout, grand producteur d’aromates, les exporte principalement par le port de Qâni’10.
10Quelques années ou décennies plus tard, vers 223‑300 n.è., une inscription sur les hautes terres du Yémen, à 70 kilomètres environ au nord de Sana’a, au Jabal Riyâm exactement, mentionne une mission diplomatique envoyée par les seigneurs de Bataʿ et de Hamdān – Yarīm Yuharḥib, Awsallāt et Barig – dans diverses régions du Proche-Orient dont Palmyre. On lit en effet :
- 11 Schiettecatte et Arbach 2015, p. 373-375 (Inscription no 2006-17).
et il s’est rendu au Pays d’Asdān, au Pays de Nizārum, au Pays de Tanūkh, au Pays de Liḥyān, au Pays de Tadmurum [Palmyre], au Pays de Nabaṭum, au Pays de Rūmān, au Pays de Lakhmum, au Pays de Ghassān, au Pays de Maʿaddum, au Pays de Ṭayyum et au Pays de Khaṣāṣatān. Ils ont confié (leur dédicace) à Taʾlab Riyām11.
11Ce texte du Jabal Riyām peut raisonnablement être daté de la période 223‑300 n.è. et de manière plus hypothétique, du début de cette période (vers 225‑235 n.è.).
- 12 Schiettecatte et Arbach 2015, p. 387.
12[U]ne succession de plusieurs dynasties sur le trône sabéen permet [à cette époque] l’émancipation des princes [des hautes terres du Yémen, les] Bataʿ et Hamdān et l’envoi d’une mission diplomatique, soit de la fin du royaume de Sabaʾ (vers 260‑280 n.è.), lorsque les princes de Bataʿ et Hamdān sont à la tête d’une coalition opposée aux rois de Ḥimyar Yāsirum Yuhanʿim et Shammar Yuharʿish12.
13Il est regrettable que l’on ne puisse associer ces deux textes, si importants pour l’histoire des liens entre l’Arabie du Sud et Palmyre, à une quelconque iconographie. Mais un bas-relief de Shabwa, capitale du royaume du Hadhramaout, pourrait éventuellement éclairer d’un jour nouveau ces relations.
- 13 Soulignons qu’il s’agit d’une production locale, avec de l’albâtre importé puisqu’il n’en existe p (...)
- 14 Dentzer-Feydy 2009, p. 143 et p. 163, fig. 41. Compte tenu de la très faible superficie conservée (...)
- 15 Yule 2007, p. 111, fig. 74.
14De cette capitale provient un fragment de bas-relief en albâtre13, représentant un personnage cuirassé vu de face, la tête entourée d’un nimbe dont seul le départ est visible14 (fig. 4 et 5). Sur la droite du fragment est conservée la partie supérieure d’un autel cylindrique et monolithe en forme de colonnette cannelée, surmontée d’un couronnement sphérique (une flamme ou un globe stylisés). La présence d’un nimbe derrière la tête indique qu’il s’agit bien d’une figure divine. Ce fragment représente un dieu en armure musclée à la romaine, debout près d’un autel, que l’on peut rapprocher de l’iconographie des dieux palmyréniens solaire et lunaire, Malakbêl et Aglibôl, tels qu’on les voit représentés dans leur sanctuaire à Palmyre (fig. 6). En effet, ce type de représentation est quasiment inconnu en Arabie du Sud, à l’exception peut-être d’un fragment de bas-relief, représentant une tête radiée interprétée comme un Hélios, provenant de Zafâr (fig. 7)15.
Figure 4 : Plaque d’albâtre
Provenenance : Shabwa
Crédit : mission archéologique française de Shabwa
Figure 5 : Dessin d'une plaque d’albâtre
Provenenance : Shabwa
Crédit : J.‑F. Breton, CC BY‑NC‑SA 4.0
Figure 6 : Plaque d’albâtre provenant de Shabwa. Hypothèse de restitution d’après le bas-relief de Baalshamin et d’Aglibol conservé au musée du Louvre
Lieu de conservation : Paris, musée du Louvre, no inv. AO 19801
Crédit : © 1997 GrandPalaisRmn (musée du Louvre)/Hervé Lewandowski
Figure 7 : Bas-relief de Zafâr avec une divinité au nimbe radié
Crédit : P. Yule, CC BY‑SA 4.0
- 16 De même, il existe bien un sanctuaire des dieux palmyréniens à Doura-Europos, appartenant à l’empi (...)
- 17 La Chaldée (située entre les cours inférieurs de l’Euphrate et du Tigre) est parfois mentionnée en (...)
15Cette pièce pourrait-elle indiquer la présence durable de Palmyréniens à Shabwa, et même la présence d’un sanctuaire qui leur est attribué16 ? Malheureusement, si aucun vestige n’indique un tel bâtiment dans la ville, l’iconographie en fournirait un indice majeur. En outre, qu’en est‑il des Chaldéens17, habitant au‑delà de l’Euphrate, dont la ville d’origine n’est pas non plus mentionnée ? On pourrait leur attribuer un statut de commerçants et d’ambassadeurs, mais possédaient-ils un sanctuaire à Shabwa ou fréquentaient-ils celui des Palmyréniens ? La question demeure, en l’état actuel des recherches, sans réponse.
16Le port d’Aden, dénommé en grec Edaimon Arabia, constitue pour tous les marchands une escale importante sur les voies de l’océan Indien. Des environs de ce port provient une plaque de calcaire avec un relief figuré, récemment enregistrée au musée de l’université d’Aden (fig. 8). Son sommet, comportant une légère moulure, semble indiquer qu’elle s’inscrivait dans un ensemble décoratif ou monumental plus vaste.
Figure 8 : Bas-relief d’Aden
Lieu de conservation : Aden (Yémen), musée de l’université d’Aden
Crédit : musée d’Aden
- 18 Breton et Dentzer-Feydy 2019, p. 82-83.
- 19 Seyrig 1937, p. 43-52.
17Selon l’analyse de J. Dentzer-Feydy18, « le relief représente un attelage vu de face dont les animaux sont figurés symétriquement divergents. Ce type de représentation appartient à la série décrite comme un “attelage déployé” par Henri Seyrig19 ». Le conducteur, dont on ne voit que le buste, porte un long vêtement ceinturé à la taille. Son bras droit est élevé tandis que le gauche tient un sceptre ou une hampe. Ce personnage n’est pas le conducteur du char, car il ne retient pas les animaux avec des rênes. Le char, vu de face, est tiré par deux félins dressés sur leurs pattes arrière, l’une appuyée sur le sol et l’autre levée. Les deux corps divergents sont marqués de profil, tandis que les bêtes sont dirigées vers l’avant. Le harnachement est rendu par le bandeau de sol et la sangle de la poitrine, mais les guides ne sont pas représentés.
- 20 Breton et Dentzer-Feydy 2019, p. 83-85 et fig. 3 ; Dentzer-Feydy 2009, p. 144-145 et p. 164, fig. (...)
18Au sud de Shabwa, dans le wâdî ‘Abadân, un bas-relief récemment découvert (fig. 9) représente un attelage déployé sur une plaque de calcaire20. Le personnage central, debout sur le char, est dans la même attitude que sur le bas-relief d’Aden, main droite levée et grand sceptre ou hampe dans la main gauche. Contrairement à ce que l’on voit sur la plaque d’Aden, ce personnage est nimbé, ce qui permet d’identifier sûrement son caractère divin. D’autre part, le char est tiré par des bovins attelés à la place des félins de la pièce d’Aden. Ils sont représentés dans la même position symétrique divergente semi-cabrée, et leurs têtes se retournent vers le centre de la figuration. Là encore, c’est une iconographie peu présente en Arabie du Sud.
Figure 9 : Bas-relief du wâdî ‘Abadan
Lieu de conservation : governorat de Shabwa (Yémen), Ataq, musée d’Ataq
Crédit : musée d’Ataq
- 21 Salles et Sedov 2010. Un graffiti sur un tesson en Palmyrénien y a toutefois été découvert.
19Plus loin encore vers l’est, dans le port de Qâni’, les fouilles n’ont exhumé aucune trace d’une installation proprement palmyrénienne, mais c’est – sous toutes réserves – un port que les marchands connaissent bien21. C’est probablement de là qu’ils rejoignent l’île de Socotra, et dans la grotte de Hôq, sur la côte nord-est, que les archéologues belges ont retrouvé des inscriptions en Hadhramaoutique, en grec, en gréco-bactrien, en écritures indiennes, en guèze et en palmyrénien.
20Le texte palmyrénien est le suivant :
- 22 Gorea 2012, p. 451 et 449-451.
In the month of tammûz in the 25th day, of the year 569, I Abgar, son of Abe/iššəmayyâʾ/šmmr, I came, in the pain of my soul, here Bless you the god who installed us me here. (You) man who will read this tablet you will bless me / us and he will leave the tablet in its place22.
21Ce texte, gravé sur une tablette de bois (la seule iconographie présente), a donc pour auteur un certain Abgar – peut-être un émissaire – nom que l’on rencontre souvent dans l’onomastique araméenne, en Osrhoène, en Palmyrène, dans la région de Harrân, à Doura-Europos. La date 569 inscrite sur la tablette correspond à l’année 257 n.è. Si la grotte de Hôq a bien été utilisée à des fins religieuses, elle ne semble pas avoir été un véritable sanctuaire, puisqu’on n’y trouve aucun aménagement suggérant l’organisation de rites périodiques et trop peu d’offrandes. La tablette témoigne pour la première fois d’une présence palmyrénienne dans l’île, escale sur la route commerciale qui reliait l’Inde à la côte africaine, à l’Éthiopie et à l’Égypte.
- 23 Voir à ce sujet Sartre 2021, p. 129-130.
- 24 Tous mes remerciements à M. Sartre pour ces renseignements.
22Il existe aussi une voie maritime orientale reliant la steppe syrienne à l’océan Indien. On peut en effet supposer que ces Palmyréniens s’embarquaient probablement dans l’un des ports fluviaux de la Mésopotamie – peut-être à Charax-Spasinou23 ou à Vologésiade où ils possédaient des comptoirs24. De là, ils suivaient les côtes du golfe Persique puis la côte méridionale de l’Arabie orientale.
- 25 Breton et Dentzer-Feydy 2019, p. 85.
23Selon J. Dentzer-Feydy, « les représentations d’“attelages déployés” constituent une série répartie sur une vaste zone géographique et plusieurs domaines culturels, de la Méditerranée gréco-romaine à l’Inde, tirés par des chevaux, sur terre25 ». Ce motif de divinités maîtresses des animaux se situe au croisement de plusieurs traditions iconographiques, d’une part de dieux grecs dominant ou chevauchant des fauves, et d’autre part des souverains parthe ou sassanide aux iiie et ive siècles n.è. assis sur leur trône. On suppose aussi que ces figures orientales aient été fusionnées avec celles de guerriers, de dieux ou d’athlètes debout sur des chars tirés par des chevaux.
24Le relief du wâdî ‘Abadân appartient au domaine des dieux, car le char est tiré par des fauves, et le conducteur n’a pas besoin de les guider puisqu’il est leur maître. Comme celui d’Aden, il semble bien d’inspiration orientale parthe ou sassanide. Toutefois, sa diffusion au Yémen soulève diverses questions.
25On peut supposer en effet que des bijoux, des gemmes, des médaillons, des textiles et des pièces de monnaie comportant ce type de motif circulent au Yémen. Les divers marchands et navigateurs voyagent surtout avec des pièces de monnaie dont les plus fréquentes, au iiie siècle, représentent des divinités se dressant sur des attelages déployés. Ce sont principalement des pièces originaires d’Égypte, de Syrie, et surtout de l’Empire romain. Une seule pièce est ici présentée : celle de l’époque de l’empereur Probus (276‑282) (fig. 10), représentant un motif d’attelages déployés.
26Mais ces deux plaques en calcaire – qui peuvent ne pas être des adaptations de ces types de monnaies – évoquent plutôt un décor ou un monument que ces marchands avaient vu en Syrie et gardé en mémoire. Elles appartiennent sans doute à un ensemble architectural, sans équivalent au Yémen, dans l’état de nos connaissances. On pourrait supposer – avec de nombreuses réserves – que ces bas-reliefs, présents dans deux régions fréquentées par des Palmyréniens, sont associés à un lieu de culte, même modeste, probablement dédié à une divinité principale flanquée de ses dieux acolytes solaire et lunaire.
Figure 10 : Monnaie de Probus avec un attelage déployé
Avec l’aimable autorisation de wilwinds.com
27Ces bas-reliefs soulèvent donc des problématiques liées à la présence de dieux syriens (orientaux) en Arabie du Sud, et indirectement à l’existence de lieux de culte dédiés à ceux‑ci. Ces plaques votives attestent bien de l’existence de petits groupes de Palmyréniens, sans nul doute des marchands, installés dans des régions de grande importance pour le commerce – Aden, Qâni’, Shabwa et ses environs – et fréquentant des lieux de culte dont malheureusement le contexte archéologique demeure encore inconnu. Il est à souhaiter que l’exploration de l’Arabie du Sud-Ouest permette de mettre au jour de nouveaux documents iconographiques similaires, notamment sur des monnaies.
- 26 Breton 2015, p. 100-101 et planches p. 173 et 176.
28Il est à noter que l’Arabie tant centrale qu’orientale, pourtant relativement ouverte aux influences artistiques extérieures, syriennes ou sassanides, n’a pas produit de motifs similaires. Quant à l’Éthiopie axoumite plutôt imperméable à ces influences, l’absence de motifs à attelages n’a rien de surprenant26.