Navigation – Plan du site

AccueilNuméros en texte intégralSupplément 2L'iconographie comme marqueur cul...L’archéologie verticale ou l’étud...

L'iconographie comme marqueur culturel

L’archéologie verticale ou l’étude des graffiti anciens : du document iconographique à la source historique (xiexvie siècles)

Vertical archaeology or the study of ancient graffiti: from iconographic document to historical source (11th‑16th centuries)
Aymeric Gaubert
p. 29-48

Résumés

Le Moyen Âge et la Renaissance ont produit un ensemble de signes, d’inscriptions et de graffiti qui fait sens dans une société de l’image. Un tel langage iconographique a donné lieu à des usages multiples du mur, révélant une pratique graffitologique qui semble normale, diversifiée, souvent dévotionnelle, mais largement méconnue. Cette tradition graphique, quasiment absente des sources écrites habituelles, reste à documenter en s’appuyant notamment sur le corpus conservé à la forteresse de Loches en Indre-et-Loire. En dépit des difficultés d’identification, d’attribution et de datation, il s’agit de montrer que le graffiti fournit une authentique voie/x aux sociétés anciennes, renvoyant à des perceptions, des croyances et des pratiques passées à éclaircir et à contextualiser au sein d’une véritable archéologie de la trace. À la fois patrimoine matériel (production graphique), patrimoine culturel (témoignage historique) et patrimoine immatériel (geste), le graffiti constitue une archive lapidaire digne d’intérêt faisant désormais l’objet d’une nouvelle science en construction : la graffitologie.

Haut de page

Entrées d’index

Index géographique :

Loches

Index chronologique :

bas Moyen Âge, Renaissance

Index thématique :

graffiti, iconographie, dévotion, forteresse, prison
Haut de page

Dédicace

À Claude Mossé (1924‑2022), en sincère hommage.

Texte intégral

  • 1 Garnier 1982, p. 21.

Toutes les représentations figurées, quel que soit leur sujet, quel que soit leur support, quelle que soit la perfection ou la maladresse de leur exécution, sont des expressions signifiantes. Le moindre élément, la relation la plus simple contient en puissance une information1.

1Les pratiques graffitologiques passées demeurent un angle mort de l’histoire des images en dépit d’un intérêt récent et grandissant. L’étude des différents corpus de graffiti conservés suffit déjà à souligner que ces pratiques ne renvoient pas à un phénomène marginal de l’ordre de quelques personnes isolées. Elles semblent tout au contraire répondre à un besoin répandu, assurer des fonctions multiples au quotidien et s’inscrire au sein d’une culture plus large de l’image.

  • 2 Les hypothèses exprimées dans cet article seront plus amplement explorées dans le cadre d’une thès (...)

2L’exploitation des corpus disponibles requiert au préalable l’élaboration d’une méthodologie spécifique d’authentification afin de « faire parler » ces traces particulières et d’en extraire l’information la plus fiable possible. L’étude des graffiti anciens offre alors un itinéraire passionnant allant du document iconographique au geste, puis du geste individuel à la pratique socioculturelle collective. Une contextualisation plus générale d’un tel fait graphique ouvre ensuite la voie à une réflexion sur la mise en signe et la mise en présence de l’individu – à l’œuvre dans la société médiévale et moderne – dans lesquelles s’insère le graffiti, en particulier anépigraphe2. Cette démarche permet de faire dialoguer les manifestations locales de la pratique avec une approche globale soulignant ses caractéristiques, ses permanences, ses particularismes et ses évolutions. Parmi les corpus graffitologiques exceptionnels se trouve la forteresse de Loches, en Indre-et-Loire, qui a été le réceptacle de près de neuf cents ans de graffiti depuis le xie siècle jusqu’à nos jours. La présence du tuffeau (pierre tendre à tailler et à inciser), la vocation carcérale de la forteresse (à partir du milieu du xve siècle) et l’absence quasi totale de restauration ou de réfection majeure font de ce lieu un site unique, dont les traces successives d’occupation et de passage sont encore lisibles et visibles à l’instar de couches stratigraphiques.

La graffitologie ou l’authentification des graffiti anciens

3Tout à la fois document, expression, témoignage, source historique et patrimoine, le graffiti est un objet aux multiples facettes qui rend délicat le travail de définition. Présent à toutes les époques à travers le monde, il apparaît comme un invariant anthropologique, de l’art pariétal au Street Art.

Du graffiti à la science des graffiti : essai de définition

  • 3 Le terme est absent de la première édition de l’ouvrage en 1854.
  • 4 Sur le graffiti antique, je renvoie à Barbet et Fuchs 2008 et à Corbier 2017.

4Bien que nous ayons affaire à une pratique ancienne, le mot « graffiti » n’a fait son entrée que récemment dans la langue française. Raffaele Garrucci l’introduit en 1856 avec Graffiti de Pompéi. Inscriptions et gravures tracées au stylet3. « Graffito » dérive de l’italien graffiare (griffer, égratigner) qui lui-même renvoie au latin graphium (stylet) et au grec graphein (égratigner, écrire). Si au xixe siècle le graffiti désigne de manière restrictive les inscriptions tracées à l’époque antique, son acception s’étend peu à peu à l’ensemble des inscriptions et des dessins laissés sur les murs, avec parfois l’idée de leur caractère grossier4. Il est nécessaire de se détacher de toute connotation péjorative et de proposer une définition qui englobe la grande variété des réalisations rencontrées sur le terrain dans des contextes divers. Le graffiti est ainsi une production graphique, originale et spontanée, individuelle, voire collective, laissée de manière plus ou moins officieuse sur une surface – qui n’est pas conçue pour recevoir ce type d’expression – sans restriction d’époque, de nature, de technique, de contenu ou de support.

  • 5 Voir Ritsema van Eck 2018.

5Si le graffiti contemporain est globalement synonyme d’une espérance de vie réduite en raison de son support, de sa technique et de la politique de l’effacement, il en va autrement du graffiti ancien pour lequel il n’est pas pertinent de retenir le caractère éphémère malgré une certaine fragilité. Qualifier le graffiti de spontané – libre et sans contrainte – n’est pas contradictoire avec l’idée de préméditation. L’absence générale de repentir suggère d’ailleurs que le geste est rarement bâclé. Cette spontanéité du geste fait du graffiti un objet historique et sociologique exploitable. Il est un élan authentique qui n’a pas la sujétion de la pratique artistique officielle, ce qui n’empêche pas l’influence d’une tradition iconographique. Le graffiti peut en outre s’intégrer à une pratique acceptée, voire encouragée, sans être systématiquement une production individuelle stricto sensu. Il demeure cependant une action qui ne découle pas de la commande artistique d’une autorité officielle. Enfin, le caractère quelquefois officieux et discret du graffiti – quant à son emplacement et à sa réalisation – ne signifie pas qu’il est illicite5. Sans nier l’existence de graffiti diffamants, injurieux ou provocateurs dans les sociétés passées, l’assimilation du graffiti au vandalisme est surtout l’apanage du xxe siècle.

  • 6 Luc Bucherie et Serge Ramond ont été les précurseurs de l’étude et de la conservation des graffiti (...)
  • 7 Pour un état de l’art, voir Lohmann 2020. Plusieurs ouvrages consacrés aux graffiti offrent une ap (...)

6Les graffiti anciens sont encore omniprésents dans les châteaux, les églises et les vieilles bâtisses des régions à pierres tendres, et bénéficient d’une certaine reconnaissance pour leur valeur scientifique et patrimoniale6. Cet intérêt s’accompagne de l’émergence d’une science des graffiti, la graffitologie, qui recherche, étudie, authentifie et valorise ces témoignages7. À la confluence de l’histoire, de l’histoire de l’art, de l’archéologie, de la sémiologie, de l’anthropologie ou encore de la science des matériaux, la graffitologie élabore des hypothèses sans toujours pouvoir apporter des réponses sûres et définitives. Au fond, comme la critique historique, elle vise moins à proclamer ce qui est vrai qu’à déterminer ce qui est probable, plausible, invraisemblable, mensonger ou invérifiable. Pour ce faire, elle doit proposer un protocole d’investigation et d’identification articulant trois opérations concomitantes fondamentales : l’interprétation, la datation et l’attribution.

Lire, dater et attribuer un graffiti : la méthodologie graffitologique

  • 8 Un plug-in d’ImageJ mis au point en 2005 par Jon Harman pour l’étude de l’art pariétal. Voir Le Qu (...)
  • 9 Un logiciel combine ensuite les images avec différentes lumières rasantes. Voir DiBiasie Sammons 2 (...)

7L’interprétation d’un graffiti figuratif pose en général peu de problèmes quant à l’identification du sujet, à condition que le support soit lisible : de la lisibilité du graffiti comme document dépend la qualité de l’information qu’on peut en tirer. Or le graffiti est un objet fragile qui subit les altérations du temps, du climat ou du passage des visiteurs. Lire un graffiti demande aussi de faire fi des traits d’usure ou des ajouts accumulés au fil des siècles à la manière de la méthode philologique. Des logiciels de traitement d’image peuvent améliorer cette lisibilité, comme Photoshop, en agissant sur le contraste, la luminosité et la clarté des clichés pour faire ressortir certains traits ou détails. Pour les graffiti peints ou mixtes, il est possible d’avoir recours à DStretch, un logiciel qui intervient sur les différents espaces colorimétriques afin de (re)découvrir des images dont les couleurs ont disparu8. La RTI (Reflectance Transformation Imaging) est un autre dispositif qui permet de faire apparaître le maximum de traits à partir d’une séquence de prises de vue9. Cependant, cet outil ne permet pas de couvrir de larges surfaces. La RTI et DStretch sont donc des moyens pertinents pour des utilisations ciblées et des apports ponctuels. Nonobstant, le meilleur outil du chercheur reste ses yeux et son expérience acquise au contact des sources sur le terrain.

  • 10 Un graffiti peut toutefois vieillir un objet ou une représentation.
  • 11 Voir Trentin 2021.

8L’essai de datation d’un graffiti ancien demande le croisement de l’analyse iconographique avec l’étude du bâti et la contextualisation du site. La datation thématique permet d’abord de donner une chronologie précise à ce qui est représenté (objet, vêtement, arme) en fournissant un terminus a quo, c’est-à-dire une limite temporelle avant laquelle l’objet et sa représentation n’existent pas10. La datation graphique vise ensuite à indiquer la période de réalisation du graffiti, donnant un terminus ad quem par l’étude du trait et du support. L’état de la pierre, la patine du tracé et les données archéologiques sont à combiner pour obtenir une période au‑delà de laquelle le graffiti en question n’a pas pu être réalisé. La qualité et la fidélité de la représentation ne sont toutefois pas toujours gage d’ancienneté. Ainsi, l’analyse du graffiti permet-elle de déterminer des bornes chronologiques plus ou moins précises. Si en paléographie-épigraphie il est possible de dater dans certains cas jusqu’à 10 ans près une inscription ou une écriture, il en va différemment pour l’image gravée dont la datation s’exprime plutôt en siècles. Disposer d’un grand nombre de documents au sein d’une large base de données favoriserait les comparaisons avec, à la clé, des datations plus fines11.

  • 12 Fraenkel 1992, p. 8‑9 ; Guichard 2014, p. 121‑129.

9Attribuer un graffiti est une tâche délicate, car la plupart des productions sont anonymes : on ne signe pas ou peu avant l’époque moderne12. Il faut donc souvent se contenter d’identifier un profil type (soldat, religieux, prisonnier, touriste) par le contenu du graffiti, son contexte, son emplacement, voire sa qualité technique et graphique.

Le graffiti est‑il un document fiable ? L’exploitation documentaire

  • 13 Voir Mauny 1973 et Ramond 2002.
  • 14 Volontairement ou par paréidolie. Voir Le Quellec 2023, p. 50‑56.

10Le processus d’authentification vise dès lors à évaluer la fiabilité et la crédibilité des graffiti, quitte à déceler une supercherie comme le rappelle la falsification, au siècle dernier, de traces attribuées aux Templiers respectivement à Domme et à Chinon : cherchant à « templifier » ces graffiti, Paul-Marie Tonnellier a rectifié des estampages et Yvon Roy a ajouté des traits13. Ces cas d’anthologie justifient la plus grande prudence en matière de graffitologie et alertent sur le péril de chercher à voir sur la pierre ce qui ne s’y trouve pas14.

  • 15 Ginzburg 1993, p. 16.
  • 16 Panofsky 2021, p. 26‑29.

11Le graffiti original et authentifié constitue une fenêtre sur l’individualité, la psychologie et les modes de représentation de son scripteur, même anonyme, mais aussi sur la culture visuelle de son époque. Carlo Ginzburg parle à propos de ces vases communicants de « cage flexible » : « Comme la langue, la culture offre à l’individu un horizon de possibilités latentes – une cage flexible et invisible dans laquelle exercer sa propre liberté conditionnelle15. » Erwin Panofsky évoque, quant à lui, la « signification intrinsèque » de l’image qui en fait une manifestation de principes sous-jacents. La Cène, pour reprendre son exemple, dit quelque chose de Léonard de Vinci, de la société italienne de la Renaissance et de la mentalité religieuse de la période16. L’œuvre d’art et le graffiti seraient donc des « symptômes », des reflets, de leur époque. En d’autres termes, l’individu conserve sa singularité tout en ayant la culture de son temps : la première permet d’atteindre la seconde.

  • 17 Schmitt 2002, p. 345‑347.
  • 18 Russo 2013, p. 101.
  • 19 Il faut donc se garder de tout systématisme.

12Ce dialogue collectif-singulier recoupe l’interaction entre l’imaginaire – réalité collective faite de récits, de fictions, d’images, de représentations – et l’imagination qui renvoie à la réalité psychologique individuelle, justement nourrie par les images collectives et extérieures17. Ce que l’individu produit porte l’oblitération, souvent inconsciente, des réflexes de la pensée et de la culture de son époque. Toutefois, cette relation n’est pas l’illustration d’une culture uniformisée. Au contraire, les graffiti peuvent parfois venir contredire un discours officiel, devenant autant de « bruits visuels18 » qui rééquilibrent les points de vue19.

13L’expression graffitologique semble donc se caractériser par une certaine sincérité dans la mesure où elle fixe sur la pierre une présence ou un moment saisi sur le vif. Elle résulte de la rencontre entre une personne et un support dans un espace-temps précis, à l’échelle de la pierre, ce pourquoi le graffiti – comme l’image – fait sens in situ, en « relation avec », et dans un contexte déterminé. L’étude des graffiti anciens pousse ainsi à interroger les motivations des auteurs : pourquoi laisse-t-on des graffiti ? En tentant de répondre à cette question, et en faisant du graffiti non plus seulement un témoignage mais un document, le graffiti apparaît comme une pratique courante et diversifiée dans les sociétés passées.

La pratique graffitologique au Moyen Âge et à la Renaissance : un révélateur culturel et sociologique ?

14L’étude de cette pratique graffitologique, de sa place et de sa perception, se heurte au silence relatif des archives classiques. Le corpus conservé ne constitue en outre qu’une partie de la production graphique de l’époque, ce qui pose la question de sa représentativité. Enfin, la construction d’une grammaire des graffiti doit composer avec la diversité des auteurs, des productions et des motivations. Quelques hypothèses peuvent néanmoins être avancées afin d’éclaircir le contexte et la portée de cet usage.

Du langage des images à la « religion des images »

  • 20 Palazzo 2016, p. 31‑57.
  • 21 Voir Koering 2021.
  • 22 Voir Plesch 2010.

15Si l’image se trouve au cœur des modes de pensée de la société européenne médiévale et moderne, c’est au sein des pratiques cultuelles qu’elle révèle toute sa force. L’orthopraxie religieuse est alors une expérience sensorielle complète qui stimule non seulement la vue, mais aussi le toucher, l’ouïe, l’odorat voire le goût20. L’image y est logiquement le vecteur ou le destinataire d’un ensemble de pratiques allant des paroles aux gestes (chants, prières, rites), de la manipulation d’objets (images, reliques) au prélèvement (grattage), voire à la manducation21. Le rapport aux images dans un contexte dévotionnel quotidien est ainsi profondément physique, tactile et donc destructeur, bien loin de notre propre relation sanctuarisée à l’art22.

  • 23 Schmitt 2002, p. 92.
  • 24 Voir l’exemple de l’image de Satan au Camposanto de Pise dans Baschet 1990.
  • 25 Vasari 1550, p. 412 ; nous traduisons : « Si cette peinture n’avait pas été rayée et abîmée par l’ (...)
  • 26 Sur cette pratique voir Rigaux 1987.

16Ces images, qu’elles soient christologiques (latrie), mariales ou hagiographiques (dulie), sont le réceptacle de la piété et le support de la dévotion privée à travers le développement aux xiiexiiie siècles d’une véritable « religion des images23 ». Leur seule contemplation permet l’accès à Dieu, l’intercession ou la rémission de péchés. Du fait de leur efficacité, ces images sont investies de fonctions (religieuse, politique, idéologique) et d’usages (pédagogique, liturgique, thaumaturgique) pouvant prendre différentes formes : des reliques lors de processions publiques, des insignes lors de voyages, des ex‑voto, des fresques ou des statues pour les prières. C’est parce que l’image médiévale met en présence ce qu’elle représente – sur le modèle de l’épiphanie – qu’elle se confond avec son support. Gratter l’image de Judas ou de démons pour les annihiler devient ainsi cohérent24. Giorgio Vasari en fournit un exemple à propos d’une œuvre disparue d’Andrea del Castagno représentant le Christ à la colonne : « Et è si fatta questa pittura, che se ella non fusse stata graffiata & guasta dalla ignoranza di chi ha voluto vendicarsi con tra i Giudei; ella sarebbe certo bellissima tra tutte le cose di Andrea25. » Inversement, gratter l’image d’un saint revient à obtenir une forme de relique qui peut servir pour des breuvages thérapeutiques26.

  • 27 Voir Castillo Gómez 2021.

17La pratique graffitologique renvoie pleinement à ce contact physique avec l’image et son support. Faire un graffiti dévotionnel illustre parfaitement la valeur performative de l’image : graver une croix, un calvaire ou la figure d’un saint suffit à faire d’une paroi, notamment en prison, un espace dévotionnel fonctionnel et sacralisé (fig. 1.1 et 1.2). Une large partie des graffiti médiévaux et modernes porte cette fonction cultuelle avec une image qui relève davantage du culte que de l’art. Reste à déterminer la sociologie des personnes qui « pratiquent » les graffiti27. Si cette sociologie peut évoluer selon les époques, les espaces et les types de graffiti, l’usage semble partagé par plusieurs couches sociales.

Figure 1 : Croix-autels

Figure 1 : Croix-autels

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), tour du Martelet, 1. « Cachot des évêques » 2. « Cachot Sforza »

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Un geste graffitologique normal et familier…

  • 28 Voir Poulin 1979.
  • 29 Il existe des « lettrés » ne sachant ni lire ni écrire comme Baudouin II de Guînes.
  • 30 Ainsi, le graffiti figuratif renverrait davantage à un auteur aux prédispositions graphiques qu’à (...)

18Le corpus graffitologique dévotionnel conservé comporte des textes et des images qui renseignent sur des imaginaires, des pratiques générales ou particulières, tout en montrant la façon dont est appropriée la connaissance biblique et religieuse. L’image et l’écriture sont en effet deux pratiques culturelles fortes au Moyen Âge, prenant pareillement place dans l’exercice de la spiritualité. Les graffiti mettent surtout en lumière une « intelligence de l’image » (pouvant englober des pratiques scripturales28) et remettent en question l’idée d’une connaissance iconographique comme privilège d’une élite cléricale en lien avec la maîtrise de l’écrit. Dans ce sens, l’alphabétisme ne devrait pas être vu comme un facteur culturel discriminant pour distinguer une élite cultivée d’une « masse ignorante », sans compter qu’il existe différents niveaux de littératie, de maîtrise de la lecture et de l’écriture au sein de la population29. La lecture individuelle n’est d’ailleurs pas le seul moyen d’accès au savoir, et la maîtrise des mots ne préfigure pas celle des images. L’étude des graffiti anciens invite donc à interroger la notion même d’alphabétisme pour privilégier davantage la question de l’« iconisme » et de la capacité à lire, comprendre et pratiquer les images30.

  • 31 Bartholeyns et al. 2008, p. 17 et p. 61‑63.
  • 32 Camille 1997, p. 44‑55.
  • 33 Comme ces personnages masculins exhibant leur sexe sur les murs de clochers : Trivellone 2008, p.  (...)

19Par conséquent, laisser une trace sur un mur au Moyen Âge n’est pas à interpréter comme un geste de résistance, d’agression ou d’offense à l’aune de nos notions contemporaines de licite et d’illicite. Cela n’exclut pas l’existence de graffiti infamants (croix renversées, potences, écrits diffamatoires, voire caricatures) qui sont le pendant des images infamantes produites de façon officielle (en Italie notamment). Les graffiti contestataires ne sont pas formellement attestés avant les guerres de Religion. Auparavant, étaient-ils rares ou ont-ils été effacés ? Dans l’état actuel de nos connaissances, le graffiti semble surtout s’insérer dans des pratiques, orientées plus qu’encadrées, qui sont loin de la critique sociale. La transgression n’est cependant pas absente des images médiévales, étant un moyen d’exprimer la norme à travers des contre-modèles dans un but d’édification31. Ces « images marginales » font pleinement partie du langage iconographique32, d’où la représentation d’attributs sexuels comme motif protecteur33. Les jugeant choquantes en raison de la perte de clés de lecture, l’époque moderne post-tridentine a pu détruire ces motifs. À la nudité médiévale signifiant tout à la fois la sexualité, l’indigence, l’innocence et l’humilité, succède au xvie siècle une signification exclusivement érotique du sexe.

  • 34 Fleming 2011, notamment p. 29‑38 et p. 152‑160 ; Petrucci 1993, p. 174.
  • 35 Papier qui lui-même est de plus en plus remplacé par les supports numériques.

20Cette ébauche d’archéologie de la trace suggère ainsi une véritable culture de l’inscription et de l’image – qui reste à préciser – dont le mur est le support le plus immédiat, et qu’on peut étendre aux décors domestiques et aux poésies ou maximes gravées sur les maisons et les objets quotidiens34. Dans nos sociétés actuelles, le papier a détrôné le mur comme support incontournable et familier35.

…pour une pratique dévotionnelle multiple

  • 36 Champion 2015, p. 25‑28. La mérelle, comme beaucoup d’images et de graffiti, est polysémique.
  • 37 Voir Rigaux 1996.
  • 38 Voir par exemple l’étude de Castelli 1995.
  • 39 Bartholeyns et al. 2008, p. 118.

21Parmi les différents types de marques graffitologiques de dévotion, la plus importante reste le signe apotropaïque dont la valeur performative permet d’éloigner le mal et de protéger un individu, un groupe ou un lieu. Il s’agit d’une image forte (sexe), d’un entremêlement de traits (mérelle, pentacle)36 ou d’une référence au Christ (monogramme, IHS [Iseus Hominum Salvator]). La valeur prophylactique prévient d’un malheur (mort, maladie, naufrage…) et la valeur proprement apotropaïque écarte un danger (maladie, épidémie…)37. La logique apotropaïque est omniprésente dans la société médiévale et au‑delà – les cloches, la croix, l’eau bénite en sont des exemples connus – justifiant la représentation de vulves et de phallus dans l’architecture des édifices religieux et laïcs, à côté de leur possible usage votif ou comique38. Ces images fonctionnent comme des repoussoirs au même titre que ces insignes aux motifs sexuels portés par les pèlerins sur leurs vêtements et leurs couvre-chefs depuis la fin du xiie siècle39.

  • 40 Voir Champion 2015 et Pritchard 1967 pour les graffiti d’églises en Angleterre.
  • 41 Sur les ex‑voto, voir Cousin 1979.
  • 42 Freedberg 1998, p. 159‑186 et Sigal 2012, p. 79‑116.
  • 43 Ce serait le cas à l’église de Dives-sur-Mer, voir Carpentier 2011, p. 85.

22Viennent ensuite les images et inscriptions votives sur les murs intérieurs et extérieurs des églises40, regroupant les ex‑voto propitiatoires (pour demander une guérison ou une protection) et les ex‑voto gratulatoires (pour rendre grâces)41. Le fidèle laisse un objet (tableau, maquette de navire, objet en cire), voire un dessin gravé (navire ou détourage d’outils) destiné à Dieu, à la Vierge ou à un saint en lien avec son vœu42. Ce langage de piété mêle les dimensions intime et collective, car la marque est à la vue de tous. Certains graffiti ont pu être faits par un intermédiaire plus habile à dessiner ou à écrire43.

  • 44 Voir Laplantine 1993.
  • 45 Chareyron 2000, p. 197 ; Dupront 1987, p. 403 ; Julia 2016, p. 128.
  • 46 Montenat et Guiho-Montenat 2003, p. 46.
  • 47 Fleming 2000, p. 78‑79 et 2011, p. 108.
  • 48 Montenat et Guiho-Montenat 2003, notamment p. 41‑51 et p. 66‑67.
  • 49 Voir Bonnet 1993.
  • 50 Voir Plesch 2002.

23Il existe enfin des marques commémoratives qui s’assimilent à une marque de passage (croix ou armoiries sur les murs des lieux saints)44. Par la trace, le chrétien laisse une part de lui sur les murs d’église ou de sanctuaire45. Un intermédiaire « officiel » peut faire la marque, comme le suggèrent les croix identiques laissées dans l’église du Saint-Sépulcre de Jérusalem46. Les pèlerins pouvaient également inscrire directement sur leur peau une preuve de leur dévotion en se tatouant les noms de Jésus, Marie ou Jérusalem à partir du xve siècle47. En relation avec les morts, des marques commémoratives apparaissent localement sur les murs extérieurs d’églises anciennes48. Il s’agit de croix, de calvaires, de chapelets de perles ou de cupules qui entretiennent ainsi la mémoire d’un mort en l’absence de tombes individuelles49. Dans cette logique mémorielle, le mur peut même servir à archiver certains événements majeurs d’une communauté (incendie, épidémie, crue…) comme à Arborio en Italie50.

24La pratique graffitologique, que j’ai évoquée ici sous un angle large, s’insère dans une mise en signe et une mise en présence communes à plusieurs phénomènes comme l’héraldique, la signature et la dévotion aux reliques. Elle révèle non seulement l’existence d’une intelligence de l’image, mais aussi d’une intelligence de la main encore négligée, et d’une mémoire visuelle performante. Les corpus de graffiti carcéraux ou dévotionnels vont dans ce sens.

Le corpus de la forteresse de Loches : quel(s) apport(s) à l’étude des graffiti anciens ?

25La forteresse de Loches en Indre-et-Loire est un des témoins de cette pratique graffitologique abritant plusieurs centaines de graffiti dévotionnels, profanes et carcéraux, du Moyen Âge à nos jours. L’archive lapidaire y pallie l’absence d’archives traditionnelles, les documents relatifs au fonctionnement de la forteresse ayant en partie disparu lors de la Révolution française. Ce corpus apporte ainsi un éclairage sur l’occupation du site et sur un certain rapport au mur.

Le corpus d’une forteresse et d’une prison royales

  • 51 Dormoy 1997, p. 86‑87.
  • 52 Voir Boulay de la Meurthe 1910, p. 1‑6 ; Champion 1909, p. 77‑78 et Gautier 1881, p. 75‑108.
  • 53 Sur Ludovic Sforza à Loches, voir Gaubert 2019.
  • 54 Boulay de la Meurthe 1906, notamment p. 93‑94, p. 105 et p. 110.
  • 55 Des textes dans des zones de passage, comme les escaliers, font référence à l’épreuve de l’incarcé (...)

26Loches est un site stratégique fortifié depuis au moins le vie siècle. Dans le premier tiers du xie siècle, le comte Foulques III y fait ériger une tour de 35 m qui domine toujours la vallée de l’Indre (fig. 2)51. La place forte passe entre les mains d’Henri II Plantagenêt avant de tomber dans l’escarcelle du roi de France en 1205 et devenir une forteresse royale en 1249. À partir de la fin du xive siècle, les logis royaux construits au nord de la citadelle supplantent la forteresse qui est alors transformée en prison d’État, active du milieu du xve siècle jusqu’à la fin de l’Ancien Régime52. Le site reçoit d’abord des prisonniers de haut rang tels que Jean II d’Alençon, Philippe de Commynes ou Ludovic Sforza53. Ces prisonniers restent enfermés plusieurs mois, voire plusieurs années sous la garde d’un capitaine et d’un lieutenant nommés par le roi et placés sous l’autorité du gouverneur de la Touraine. Au moment des guerres de Religion, des protestants y sont envoyés en attendant le paiement d’une rançon54. D’autres huguenots, après la révocation de l’édit de Nantes, ainsi que des prisonniers de droit commun y sont ensuite enfermés. Ces détenus auraient joui d’une relative liberté de mouvement à l’intérieur de la forteresse comme le laissent penser certains graffiti55.

Figure 2 : Forteresse de Loches (Indre-et-Loire) côté ouest avec la Tour Neuve à gauche et le donjon à l’arrière-plan

Figure 2 : Forteresse de Loches (Indre-et-Loire) côté ouest avec la Tour Neuve à gauche et le donjon à l’arrière-plan

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

  • 56 Voir Gaubert 2020a.

27La vocation carcérale pluriséculaire, la présence du tuffeau tendre à graver et le peu de rénovations expliquent la richesse du corpus graffitologique de Loches, exceptionnel par sa conservation et représentatif par sa diversité56. S’y trouvent des graffiti dévotionnels (croix, crucifixions, calvaires, saints), des soldats (chevaliers, cavaliers, scènes militaires), divers personnages, des objets (navires, outils), des animaux (chevaux, oiseaux, cervidés), des paysages et des bâtiments, mais aussi des textes (poèmes, signatures, noms, dates). De l’échelle de la pierre à l’échelle de la pièce, l’incision, la gravure, la sculpture et la peinture se côtoient. Les ensembles de graffiti anciens à Loches sont localisés dans le donjon, la Tour Neuve et la tour du Martelet.

  • 57 Couderc 2014, p. 119‑136 et Heullant‑Donat et al. 2011, p. 89‑106.
  • 58 Voir par exemple Muchnik 2019, p. 199‑200 et Serena 2014, p. 231‑242.
  • 59 Ségard 2022, p. 106.
  • 60 Voir l’exemple des graffiti de la prison inquisitoriale de Palerme : Fiume et García‑Arenal 2018, (...)

28Très présents à Loches, les graffiti de réclusion constituent un phénomène permanent de l’histoire carcérale jusqu’à nos jours57. La prison est un espace subi, vécu et perçu qui influence et motive les pratiques du détenu, notamment sur le plan dévotionnel avec le renforcement de sa religiosité58. Le graffiti y est un moyen de tenir face à l’épreuve de l’enfermement, de la solitude et du temps qui passe. Ces « fragments d’existence59 » permettent d’aborder l’expérience carcérale du côté du détenu qui cristallise dans la pierre ses états d’âme lisibles par les autres détenus, les gardiens et les visiteurs. L’absence générale de destruction par les autres prisonniers et les autorités, la visibilité relative de ces traces, le temps occupé pour les réaliser, voire le matériel accordé suggèrent une pratique sinon normale du moins tolérée60.

Les graffiti dévotionnels de la tour maîtresse

  • 61 Comme l’atteste une gravure de 1575 dans Cosmographie universelle de François de Belleforest.

29Le donjon de Loches abrite des couloirs aménagés dans l’épaisseur de ses murs qui ont été propices à la multiplication des graffiti. Avec l’essor de l’artillerie moderne, cette imposante tour devient obsolète et connaît un abandon progressif à partir du xive siècle jusqu’à perdre ses planchers61.

  • 62 Mesqui 1998, p. 95, p. 97 et p. 98.
  • 63 Voire au‑delà, car il est possible que le couloir restât accessible même sans les planchers.

30Le 1er couloir, voûté et large d’environ 0,70 m, fait l’angle nord-ouest au 1er étage et mesure près de 25 m (fig. 3). Cette galerie de service, qui desservait la grande salle de l’étage et le rez-de-chaussée62, a pu servir de lieu de promenade aux prisonniers à partir du xve siècle63.

31Avant eux, des serviteurs ou des gardes ont pu y laisser des graffiti parmi la centaine de marques gravées. Il s’agit de crucifixions (fig. 4), de simples croix, d’animaux, de figures géométriques, de blasons, de symboles ou encore de personnages – à l’instar des trois occurrences possibles de sainte Marguerite « issant » du dragon – sur le mur interne de la galerie ouest (fig. 5). L’endroit est idéal pour un droitier, à hauteur de personne avec une lumière rasante venant du jour à gauche. Le personnage tient un bâton qui se termine en croix. Marguerite est souvent représentée victorieuse du dragon (c’est ainsi que le démon vint la tenter en prison avant son martyre) soit avec une croix ou un crucifix en main, soit les mains jointes. Elle devient l’une des saintes les plus populaires du Moyen Âge, invoquée traditionnellement par les femmes enceintes et les agonisants.

Figure 3 : Galerie nord du grand couloir du 1er étage du donjon

Figure 3 : Galerie nord du grand couloir du 1er étage du donjon

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire)

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Figure 4 : Christ en croix

Figure 4 : Christ en croix

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 1er étage du donjon

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Figure 5 : Représentation de sainte Marguerite « issant » du dragon

Figure 5 : Représentation de sainte Marguerite « issant » du dragon

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 1er étage du donjon

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

  • 64 Mesqui 1998, p. 99.

32Le 2e couloir fait l’angle sud-ouest du 2e étage sur environ 5 m (fig. 6)64. Il s’agirait de l’accès à des latrines en lien avec la nature privée du niveau.

  • 65 D’après l’analyse iconographique et stylistique, les séries d’orants présentes dans le deuxième co (...)
  • 66 Il est très communément représenté pour se préserver de la « male » mort.
  • 67 On y découvre aussi des chevaliers, quelques animaux, des outils et des symboles.
  • 68 Poidevin 2002.

33Des serviteurs, des occupants et des gardes peuvent être les auteurs des dizaines de témoignages dévotionnels qui y ont été délicatement incisés, entre le xie65 et le xvie siècle au plus tard, représentant des crucifixions, saint Michel, saint Christophe portant l’Enfant Jésus (fig. 7)66, d’autres saints non identifiables, la Vierge allaitante (fig. 8), des anges ou encore des séries d’orants (fig. 9.1 et 9.2)67. L’orant est un personnage représenté dans une attitude de prière, les bras levés ou les mains jointes. Le motif n’est pas strictement chrétien. Plusieurs orants (seuls, par deux ou en série) ont été exécutés sur des espaces de choix à hauteur de personne accroupie ou debout. Un triptyque sur trois pierres contiguës pourrait enfin représenter le Jugement dernier avec au centre saint Michel pesant les âmes (fig. 10.2), l’enfer à droite matérialisé par une roue de supplices (fig. 10.3) et le paradis à gauche avec le Christ (fig. 10.1)68.

Figure 6 : Entrée du couloir à l’angle sud-ouest du 2e étage du donjon

Figure 6 : Entrée du couloir à l’angle sud-ouest du 2e étage du donjon

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire)

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Figure 7 : Christ en croix entouré de saint Michel à gauche et de saint Christophe portant l’Enfant Jésus sur ses épaules à droite

Figure 7 : Christ en croix entouré de saint Michel à gauche et de saint Christophe portant l’Enfant Jésus sur ses épaules à droite

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Figure 8 : Représentation possible de la Vierge allaitante

Figure 8 : Représentation possible de la Vierge allaitante

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Figure 9 : Série d’orants

Figure 9 : Série d’orants

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Figure 10 : Tryptique figurant le Jugement dernier (?)

Figure 10 : Tryptique figurant le Jugement dernier (?)

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon 1. Possible représentation du Christ-Juge, les bras levés 2. Saint Michel pesant les âmes au moyen d’un plateau à la droite d’une croix 3. Monstre actionnant une roue munie de piques sur lesquelles sont embrochés des personnages

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

  • 69 Baschet 2008, p. 56‑57.

34Les représentations hagiographiques de ces couloirs renvoient à une dévotion qui se personnalise à la fin du Moyen Âge, avec une dimension affective plus marquée envers un saint intercesseur privilégié. Les saints sont alors l’objet d’une piété populaire qui transparaît à travers les graffiti : on représente tel saint pour une demande précise en rapport avec son champ d’action ou parce qu’il est le saint de son patronyme, de sa paroisse, de sa corporation. La familiarité durable avec un nombre réduit d’images au quotidien dans un espace donné influence sans doute ces représentations69.

Les graffiti carcéraux de la Tour Neuve et du Martelet

  • 70 Papin et al. 2018, p. 64‑66 et p. 74‑85.
  • 71 La salle à cette période sert probablement de dépôt d’armes. L’hypothèse d’un auteur prisonnier es (...)

35La Tour Neuve est une construction de cinq niveaux du milieu du xve siècle, réunissant les fonctions défensive, résidentielle et carcérale (fig. 2 à gauche)70. La partie sud s’écroule en 1815. Sur la paroi restante, un panneau gravé par un prisonnier dans la seconde moitié du xve siècle peut se diviser en trois sous-ensembles (fig. 11). Sur quatre assises à droite, un grand personnage aux mains jointes est agenouillé au‑dessus d’un animal. Au centre, dans la même attitude de piété, une vingtaine de petits personnages se succèdent sur trois assises. Tous sont tournés vers la dernière partie à gauche, malheureusement trop détériorée, qui se composait vraisemblablement de scènes de la Passion ou du Jugement dernier. Au deuxième étage de la tour, un autre ensemble dévotionnel a été sculpté dans la seconde moitié du xvie siècle comprenant la Crucifixion et une procession (fig. 12)71. Ces deux décors à l’échelle de la paroi, au même titre que les croix et crucifixions plus modestes, découlent d’une piété tournée vers la Passion et les souffrances du Christ, imago pietatis par excellence, ce que conforte l’iconographie des xivexvie siècles.

Figure 11 : Panneau dévotionnel sculpté

Figure 11 : Panneau dévotionnel sculpté

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), paroi restante de l’aile sud effondrée de la Tour Neuve

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

Figure 12 : Bas-relief dévotionnel

Figure 12 : Bas-relief dévotionnel

Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), paroi nord de « la salle du duel » au 4e niveau de la Tour Neuve

Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0

  • 72 Dufaÿ et Papin 2008, p. 16‑17 et p. 24.
  • 73 Sur ce décor, voir Gaubert 2020b.
  • 74 Dufaÿ et Papin 2008, p. 23 et p. 84.

36La tour contemporaine du Martelet est – quant à elle – une construction semi-souterraine directement aménagée en prison sur trois niveaux72. Le cachot médian abrite un décor peint et gravé attribué en partie au duc de Milan Ludovic Sforza, prisonnier de Louis XII au tout début du xvie siècle73. Ce corpus prouve qu’un prisonnier d’État avait la possibilité de laisser toute une ornementation afin d’embellir son cachot et d’occuper sa captivité. La dimension dévotionnelle s’incarne sur la paroi est avec une croix-autel profondément creusée et entourée des Arma Christi – notamment les clous, les tenailles et les dés (fig. 1.2). Sur la même assise courraient des inscriptions devenues illisibles à l’exception des traces d’une invocation mariale sur la gauche74. Une croix similaire, plus simple, a été gravée dans le cachot inférieur (fig. 1.1). Ces deux croix-autels ont été placées de manière significative dans la trajectoire du rai de lumière provenant du jour percé.

  • 75 Favier 2001, p. 310.

37Ces exemples démontrent à quel point la piété est une thématique constante parmi les graffiti du xie au xvie siècle, quels qu’en soient les auteurs. Le motif de la croix ou du crucifix y occupe une place importante à côté de scènes plus élaborées avec de véritables panneaux sculptés. Les résidents, les prisonniers ou les soldats de la forteresse ont donc laissé diverses traces dont le geste et son résultat n’ont pas pu passer inaperçus, certaines décorations ayant même nécessité du matériel technique et des moyens d’élévation voire d’éclairage. Il est possible qu’un certain type de graffiti carcéral, à portée politique, ait été ponctuellement combattu par les autorités75. Cependant, la quantité de graffiti conservés et l’absence de destructions, sauf en cas de réfections occasionnelles, suggèrent au moins une tolérance. Le graffiti carcéral semble être l’écho d’une pratique plus largement intégrée qui s’appuie sur un usage naturel du mur. Le corpus de Loches – mis en perspective avec d’autres corpus (de fidèles, de pèlerins, de prisonniers) – va ainsi dans le sens d’une pratique graffitologique dévotionnelle plutôt sociologiquement partagée.

***

38La graffitologie reste une science naissante et l’histoire des graffiti, du geste aux créations graphiques, est encore à faire. Celui ou celle qui étudie ces traces doit composer avec bien des inconnues, manœuvrer les hypothèses et, néanmoins, tenter des réponses rigoureuses avec des synthèses souvent temporaires. Je reprendrai ici en guise d’ouverture la belle métaphore de l’historien-mosaïste, proposée par Léon‑Ernest Halkin, qui convient parfaitement au graffitologue :

  • 76 Halkin 1966, p. 106.

Il assemble des fragments très nombreux, très divers, souvent très menus. Il les dispose en conservant la marque de leur origine, mais ils sont si fragiles que leurs teintes gardent toujours la trace de ses doigts. L’historien connaît aussi les pierres sans couleur, c’est-à-dire l’aveu des carences dans ses recherches ou dans ses conclusions : ces humbles pierres contribuent, elles aussi, à faire ressortir le dessin. L’image ainsi révélée nous donne du passé ce que l’on peut attendre de plus sûr en histoire, sinon de plus complet, comme, dans nos musées, ces pavements antiques où, sur un fond neutre, viennent se replacer les fragments sauvés. Plein de respect pour cette image, l’historien s’efforce d’en montrer la couleur, d’en définir l’allure générale et d’en préciser le caractère. Son ambition ne va pas plus loin. Le dernier devoir envers la vérité est de ne pas la considérer comme acquise76.

Haut de page

Bibliographie

Barbet A. et Fuchs M. (éd.) 2008, Les murs murmurent. Graffitis gallo-romains, cat. exp. (musée romain de Lausanne-Vidy), Gollion.

Bartholeyns G., Dittmar P.‑O. et Jolivet V. 2008, Image et transgression au Moyen Âge, Paris, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/puf.joliv.2008.01 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Baschet J. 1990, « Satan, prince de l’Enfer : le développement de sa puissance dans l’iconographie italienne (xiiiexve siècle) », dans E. Corsini et E. Costa (éd.), L’autunno del diavolo, Milan, p. 383‑396.

Baschet J. 2008, L’iconographie médiévale, Paris, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.14375/NP.9782070345144.

Bonnet S. 1993, « Culte populaire des morts et graffiti sur les murs d’églises (France septentrionale, xviiexixe siècles) », dans N. Belmont et F. Lautman (éd.), Ethnologie des faits religieux en Europe, Paris, p. 129‑135.

Boulay de la Meurthe A. 1906, « Histoire des guerres de religion à Loches et en Touraine », Bulletin et mémoires de la Société archéologique de Touraine 45, Tours, disponible sur : https://archive.org/details/histoiredesguerr00boul/page/n7/mode/2up [consulté en avril 2024].

Boulay de la Meurthe A. 1910, « Les prisonniers du roi à Loches sous Louis XIV », Bulletin et mémoires de la Société archéologique de Touraine 49, Tours, p. 1‑119, disponible sur : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k57446537/f26 [consulté en avril 2024].

Bucherie L. 1982, Graffiti, mise en scène des pouvoirs et histoire des mentalités, thèse de doctorat, université de Paris XIII (inédit).

Camille M. 1997, Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval (trad. B. et J.‑C. Bonne), Paris.

Carpentier V. 2011, L’église de Dives-sur-Mer et ses graffiti marins, Cabourg.

Castelli P. 1995, « Il doppio significato. L’ostensione della vulva nel Medievo », dans S. Bertelli et M. Centanni (éd.), Il gesto nel rito e nel cerimoniale dal mondo antico ad oggi, Florence, p. 199‑223.

Castillo Gómez A. 2021, « Other voices, other archives. The written memory of the subaltern classes », Cadernos de História de Educação 20, p. 1‑24, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.14393/che-v20-2021-43.

Champion M. 2015, Medieval graffiti. The lost voices of England’s churches, Londres, disponible sur : https://archive.org/details/medievalgraffiti0000cham [consulté en avril 2024].

Champion P. 1909, Le prisonnier Desconforté du château de Loches. Poème inédit du XVe siècle, Paris, disponible sur : https://archive.org/details/leprisonnierdesc00chamuoft/page/n13/mode/2up [consulté en avril 2024].

Chareyron N. 2000, Les pèlerins de Jérusalem au Moyen Âge. L’aventure du saint voyage d’après journaux et mémoires, Paris.

Corbier M. 2017, « Autour des graffitis dans le monde romain : normes, codes, transgressions », dans T. Itgenshorst et P. Le Doze (éd.), La norme sous la République et le Haut-Empire romains. Élaboration, diffusion et contournements, Bordeaux, p. 501‑516.

Couderc J.‑M. 2014, Graffiti de Touraine, de France et d’ailleurs. Une nouvelle source historique, Mémoires de la Société archéologique de Touraine 71, Tours.

Cousin B. 1979, « L’Ex‑voto, document d’histoire, expression d’une société », Archives de sciences sociales des religions 48/1, p. 107‑124, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/assr.1979.2191.

DiBiasie Sammons J.F. 2018, « Application of Reflectance Transformation Imaging (RTI) to the study of ancient graffiti from Herculaneum, Italy », Journal of Archaeological Science: Reports 17, p. 184‑194, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1016/j.jasrep.2017.08.011.

Dormoy C. 1997, « L’expertise dendrochronologique du donjon de Loches (Indre-et-Loire) : des données fondamentales pour sa datation », Archéologie médiévale 27, p. 73‑87, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/arcme.1997.900.

Dufaÿ B. et Papin P. 2008, Forteresse de Loches (37). La tour du Martelet, le front ouest, Orléans [Rapport d’opération].

Dupront A. 1987, Du sacré. Croisades et pèlerinages. Images et langages, Paris.

Favier J. 2001, Louis XI, Paris.

Fiume G. et García-Arenal M. (éd.) 2018, Parole prigioniere. I graffiti delle carceri del Santo Uffizio di Palermo, Palerme.

Fleming J. 2000, « The Renaissance Tattoo », dans J. Caplan (éd.), Written on the body. The Tattoo in European and American History, Londres, p. 61‑82.

Fleming J. 2011, Graffitis & arts scripturaux à l’aube de la modernité anglaise (trad. J.‑F. Caro), Dijon.

Fraenkel B. 1992, La signature. Genèse d’un signe, Paris.

Freedberg D. 1998, Le pouvoir des images (trad. A. Girod), Paris.

Garnier F. 1982, Le langage de l’image au Moyen Âge 1, Paris.

Garrucci R. 1856, Graffiti de Pompéi. Inscriptions et gravures tracées au stylet (2e éd.), Paris, disponible sur : https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=hvd.32044005554589&seq=11.

Gaubert A. 2019, Le prisonnier Ludovic Sforza, de Milan à Loches : les graffitis du duc déchu ? Essai de contextualisation carcérale et d’analyse graffitologique, mémoire de master 2, université de Tours (inédit).

Gaubert A. 2020a, « De la musique pariétale… Présentation de la richesse graffitologique de la forteresse royale de Loches », Bulletin de la Société archéologique de Touraine 66, p. 163‑182.

Gaubert A. 2020b, « Les graffitis attribués à Ludovic Sforza à la forteresse de Loches : contextualisation et analyse graffitologique », Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher 75, p. 21‑40.

Gautier E. 1881, Histoire du Donjon de Loches, Châteauroux.

Ginzburg C. 1993, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du xvie siècle (trad. M. Aymard), Paris.

Guichard C. 2014, Graffitis. Inscrire son nom à Rome, xviexixsiècle, Paris.

Halkin L.‑E. 1966, Éléments de critique historique (2e éd.), Liège.

Heullant‑Donat I., Claustre J. et Lusset E. (éd.) 2011, Enfermements I. Le cloître et la prison (viexviiie siècle). Actes du colloque international organisé par le Centre d’études et de recherche en histoire culturelle (CERHiC- EA 2616), de l’université de Reims Champagne-Ardenne et l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux (Troyes, Bar-sur-Aube, Clairvaux, 22‑24 octobre 2009), Paris, DOI : https://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psorbonne.72874.

Julia D. 2016, Le Voyage aux saints. Les pèlerinages dans l’Occident moderne (xvexviiie siècle), Paris.

Koering J. 2021, Les iconophages. Une histoire de l’ingestion des images, Arles.

Laplantine G. 1993, « Inscriptions lapidaires et traces de passages : formation de langages et de rites », dans N. Belmont et F. Lautman (éd.), Ethnologie des faits religieux en Europe, Paris, p. 137‑159.

Le Quellec J.‑L. 2023, Des Martiens au Sahara. Deux siècles de fake news archéologiques, Bordeaux.

Le Quellec J.‑L., Duquesnoy F. et Defrasne C. 2015, « Digital image enhancement with DStretch®: Is complexity always necessary for efficiency? », Digital Applications in Archaeology and Cultural Heritage 2/2‑3, p. 55‑67, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1016/j.daach.2015.01.003.

Lohmann P. 2020, « Historical Graffiti: The State of the Art », Journal of Early Modern Studies 9, p. 37‑56, DOI : http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.13128/JEMS-2279-7149-11189.

Lovata T.R. et Olton E. (éd.) 2016, Understanding Graffiti. Multidisciplinary Studies from Prehistory to the Present, Londres-New York, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4324/9781315416137 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Mauny R. 1973, « État actuel de la question des graffiti attribués aux Templiers dans le donjon du Coudray à Chinon », Bulletin de la Société des Amis du Vieux Chinon 7, p. 637‑648.

Mesqui J. 1998, « La tour maîtresse du donjon de Loches », Bulletin Monumental 156/1, p. 65‑128, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/bulmo.1998.1751.

Montenat C. et Guiho-Montenat M.‑L. 2003, Prières des murs. Graffiti anciens (xviiexviiie siècles), aux murs extérieurs des églises. Picardie, Normandie, Ile-de-France, Beauvais.

Muchnik N. 2019, Les prisons de la foi. L’enfermement des minorités (xviexviiie siècle), Paris.

Palazzo E. (éd.) 2016, Les cinq sens au Moyen Âge, Paris.

Panofsky E. 2021, Essais d’iconologie. Thèmes humanistes dans l’art de la Renaissance (trad. C. Herbette et B. Teyssèdre), Paris.

Papin P., Pellerin K. et Riou S. 2018, Loches, le château. L’aile sud de la « Tour Neuve », Tours-Orléans [Rapport de diagnostic archéologique], disponible sur : https://hal.science/hal-03657885 [consulté en avril 2024].

Petrucci A. 1993, Jeux de lettres. Formes et usages de l’inscription en Italie. 11e‑20e siècles (trad. M. Aymard), Paris.

Plesch V. 2002, « Memory on the Wall: Graffiti on Religious Wall Paintings », Journal of Medieval and Early Modern Studies 32/1, p. 167‑198, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1215/10829636-32-1-167 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Plesch V. 2010, « Destruction or Preservation? The Meaning of Graffiti on Paintings in Religious Sites », dans V. Raguin (éd.), Art, Piety and Destruction in the Christian West (1500‑1700), Farnham-Burlington, p. 137‑172.

Poidevin H. 2002, « Autour de la pesée des âmes. Une vision de la descente aux Enfers à Loches (Indre-et-Loire) », dans S. Ramond (éd.), Actes des premières rencontres graffiti anciens à Loches en Touraine, 20‑21 octobre 2001, Verneuil-en-Halatte, p. 55‑64.

Poulin J.‑C. 1979, « Entre magie et religion. Recherches sur les utilisations marginales de l’écrit dans la culture populaire du haut Moyen Âge », dans P. Boglioni (éd.), La culture populaire au Moyen Âge. Études présentées au Quatrième colloque de l’Institut d’études médiévales de l’Université de Montréal, 2‑3 avril 1977, Montréal, p. 121‑143, disponible sur : https://archive.org/details/laculturepopulai0000unse/page/120/mode/2up [consulté en avril 2024].

Pressac L. (éd.) 2018, Sur les murs : histoire(s) de graffitis, Paris.

Pritchard V. 1967, English Medieval Graffiti, Cambridge.

Ramond S. 1981, « Un patrimoine culturel oublié : les graffiti », Revue archéologique de l’Oise 23, p. 9‑28, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/pica.1981.1152.

Ramond S. 2002, « Le faux dans l’archéologie du trait glyptographique », dans s. Ramond (éd.), Actes des premières rencontres graffiti anciens à Loches en Touraine, 20‑21 octobre 2001, Verneuil-en-Halatte, p. 75‑82.

Rigaux D. 1987, « Usages apotropaïques de la fresque dans l’Italie du nord au xve siècle », dans F. Bœspflug et N. Lossky (éd.), Nicée II, 787‑1987, Douze siècles d’images religieuses. Actes du colloque international Nicée II à Paris, 2‑4 octobre 1986, Paris, p. 317‑331.

Rigaux D. 1996, « Réflexions sur les usages apotropaïques de l’image peinte », dans J. Baschet et J.‑C. Schmitt (éd.), L’image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Paris, p. 155‑177.

Ritsema van Eck M. 2018, « Graffiti in medieval and early modern religious spaces: illicit or accepted practice? The case of the sacro monte at Varallo », Tijdschrift voor Geschiedenis 131/1, p. 51‑72, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.5117/TVGESCH2018.1.RITS.

Russo A. 2013, L’image intraduisible. Une histoire métisse des Arts en Nouvelle-Espagne (1500‑1600), Dijon.

Schmitt J.‑C. 2002, Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris.

Ségard A. 2022, « Le langage graphique des prisonniers sur les murs face au dedans et au dehors, à la fin du Moyen Âge », Le Moyen Âge 128/1, p. 85‑107, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rma.281.0085 [accès restreint, consulté en avril 2024].

Serena G. 2014, D’encre et de sang. Les Jésuites en Angleterre (1580‑1610), Tours.

Sigal P.‑A. 2012, L’homme et le miracle dans la France médiévale, Paris.

Trentin M.G. 2021, « Form, Content, and Space: Methodological Challenges in the Study of Medieval and Early Modern European Graffiti », Papers from the Institute of Archaeology 31/1, p. 1‑25, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.14324/111.444.2041-9015.1283.

Trivellone A. 2008, « Têtes, lions et attributs sexuels : survivances et évolutions de l’usage apotropaïque des images de l’Antiquité au Moyen Âge », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa 39, p. 209‑221.

Vasari G. 1550, Le vite de più eccellenti architetti, pittori et scultori italiani, da Cimabue insino a tempi nostri, descritte in lingua toscana, da Giorgio Vasari,... Con una sua utile... introduzzione a le arti loro, Florence, disponible sur : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k123255q/f412.item [consulté en avril 2024].

Haut de page

Notes

1 Garnier 1982, p. 21.

2 Les hypothèses exprimées dans cet article seront plus amplement explorées dans le cadre d’une thèse en cours dans laquelle j’interroge l’idée d’une pratique graffitologique proprement renaissante – Renaissance entendue comme allant de « Pétrarque à Descartes » (xiiiexviie siècle). Je privilégie ici la réflexion autour des graffiti iconographiques. Il ne faudrait pas pour autant nier l’importance des écritures et inscriptions épigraphiques.

3 Le terme est absent de la première édition de l’ouvrage en 1854.

4 Sur le graffiti antique, je renvoie à Barbet et Fuchs 2008 et à Corbier 2017.

5 Voir Ritsema van Eck 2018.

6 Luc Bucherie et Serge Ramond ont été les précurseurs de l’étude et de la conservation des graffiti anciens. Voir Bucherie 1982 et Ramond 1981.

7 Pour un état de l’art, voir Lohmann 2020. Plusieurs ouvrages consacrés aux graffiti offrent une approche synthétique du phénomène, voir notamment : Couderc 2014 ; Lovata et Olton 2016 ; Pressac 2018.

8 Un plug-in d’ImageJ mis au point en 2005 par Jon Harman pour l’étude de l’art pariétal. Voir Le Quellec et al. 2015.

9 Un logiciel combine ensuite les images avec différentes lumières rasantes. Voir DiBiasie Sammons 2018.

10 Un graffiti peut toutefois vieillir un objet ou une représentation.

11 Voir Trentin 2021.

12 Fraenkel 1992, p. 8‑9 ; Guichard 2014, p. 121‑129.

13 Voir Mauny 1973 et Ramond 2002.

14 Volontairement ou par paréidolie. Voir Le Quellec 2023, p. 50‑56.

15 Ginzburg 1993, p. 16.

16 Panofsky 2021, p. 26‑29.

17 Schmitt 2002, p. 345‑347.

18 Russo 2013, p. 101.

19 Il faut donc se garder de tout systématisme.

20 Palazzo 2016, p. 31‑57.

21 Voir Koering 2021.

22 Voir Plesch 2010.

23 Schmitt 2002, p. 92.

24 Voir l’exemple de l’image de Satan au Camposanto de Pise dans Baschet 1990.

25 Vasari 1550, p. 412 ; nous traduisons : « Si cette peinture n’avait pas été rayée et abîmée par l’ignorance de ceux qui voulaient se venger des Juifs, elle serait certainement la plus belle des œuvres d’Andrea. »

26 Sur cette pratique voir Rigaux 1987.

27 Voir Castillo Gómez 2021.

28 Voir Poulin 1979.

29 Il existe des « lettrés » ne sachant ni lire ni écrire comme Baudouin II de Guînes.

30 Ainsi, le graffiti figuratif renverrait davantage à un auteur aux prédispositions graphiques qu’à une personne cultivée.

31 Bartholeyns et al. 2008, p. 17 et p. 61‑63.

32 Camille 1997, p. 44‑55.

33 Comme ces personnages masculins exhibant leur sexe sur les murs de clochers : Trivellone 2008, p. 220.

34 Fleming 2011, notamment p. 29‑38 et p. 152‑160 ; Petrucci 1993, p. 174.

35 Papier qui lui-même est de plus en plus remplacé par les supports numériques.

36 Champion 2015, p. 25‑28. La mérelle, comme beaucoup d’images et de graffiti, est polysémique.

37 Voir Rigaux 1996.

38 Voir par exemple l’étude de Castelli 1995.

39 Bartholeyns et al. 2008, p. 118.

40 Voir Champion 2015 et Pritchard 1967 pour les graffiti d’églises en Angleterre.

41 Sur les ex‑voto, voir Cousin 1979.

42 Freedberg 1998, p. 159‑186 et Sigal 2012, p. 79‑116.

43 Ce serait le cas à l’église de Dives-sur-Mer, voir Carpentier 2011, p. 85.

44 Voir Laplantine 1993.

45 Chareyron 2000, p. 197 ; Dupront 1987, p. 403 ; Julia 2016, p. 128.

46 Montenat et Guiho-Montenat 2003, p. 46.

47 Fleming 2000, p. 78‑79 et 2011, p. 108.

48 Montenat et Guiho-Montenat 2003, notamment p. 41‑51 et p. 66‑67.

49 Voir Bonnet 1993.

50 Voir Plesch 2002.

51 Dormoy 1997, p. 86‑87.

52 Voir Boulay de la Meurthe 1910, p. 1‑6 ; Champion 1909, p. 77‑78 et Gautier 1881, p. 75‑108.

53 Sur Ludovic Sforza à Loches, voir Gaubert 2019.

54 Boulay de la Meurthe 1906, notamment p. 93‑94, p. 105 et p. 110.

55 Des textes dans des zones de passage, comme les escaliers, font référence à l’épreuve de l’incarcération.

56 Voir Gaubert 2020a.

57 Couderc 2014, p. 119‑136 et Heullant‑Donat et al. 2011, p. 89‑106.

58 Voir par exemple Muchnik 2019, p. 199‑200 et Serena 2014, p. 231‑242.

59 Ségard 2022, p. 106.

60 Voir l’exemple des graffiti de la prison inquisitoriale de Palerme : Fiume et García‑Arenal 2018, p. 100 et p. 220‑221.

61 Comme l’atteste une gravure de 1575 dans Cosmographie universelle de François de Belleforest.

62 Mesqui 1998, p. 95, p. 97 et p. 98.

63 Voire au‑delà, car il est possible que le couloir restât accessible même sans les planchers.

64 Mesqui 1998, p. 99.

65 D’après l’analyse iconographique et stylistique, les séries d’orants présentes dans le deuxième couloir du donjon pourraient compter parmi les plus anciennes manifestations graffitologiques du site, c’est-à-dire dès l’époque de la construction de la tour. Il s’agit d’ailleurs d’une représentation archaïsante, même pour le xie siècle, car ces graffiti renvoient à un style et à une iconographie plutôt de type mérovingien, voire au-delà. Cela interroge une possible survivance du motif (existant depuis les antiquités), qui reste rare sous la forme de graffiti, et atypique avec un tel traitement sériel.

66 Il est très communément représenté pour se préserver de la « male » mort.

67 On y découvre aussi des chevaliers, quelques animaux, des outils et des symboles.

68 Poidevin 2002.

69 Baschet 2008, p. 56‑57.

70 Papin et al. 2018, p. 64‑66 et p. 74‑85.

71 La salle à cette période sert probablement de dépôt d’armes. L’hypothèse d’un auteur prisonnier est, a priori, à écarter.

72 Dufaÿ et Papin 2008, p. 16‑17 et p. 24.

73 Sur ce décor, voir Gaubert 2020b.

74 Dufaÿ et Papin 2008, p. 23 et p. 84.

75 Favier 2001, p. 310.

76 Halkin 1966, p. 106.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Croix-autels
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), tour du Martelet, 1. « Cachot des évêques » 2. « Cachot Sforza »
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Figure 2 : Forteresse de Loches (Indre-et-Loire) côté ouest avec la Tour Neuve à gauche et le donjon à l’arrière-plan
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 877k
Titre Figure 3 : Galerie nord du grand couloir du 1er étage du donjon
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire)
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 701k
Titre Figure 4 : Christ en croix
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 1er étage du donjon
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 381k
Titre Figure 5 : Représentation de sainte Marguerite « issant » du dragon
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 1er étage du donjon
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 363k
Titre Figure 6 : Entrée du couloir à l’angle sud-ouest du 2e étage du donjon
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire)
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 975k
Titre Figure 7 : Christ en croix entouré de saint Michel à gauche et de saint Christophe portant l’Enfant Jésus sur ses épaules à droite
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 579k
Titre Figure 8 : Représentation possible de la Vierge allaitante
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Titre Figure 9 : Série d’orants
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 922k
Titre Figure 10 : Tryptique figurant le Jugement dernier (?)
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), couloir du 2e étage du donjon 1. Possible représentation du Christ-Juge, les bras levés 2. Saint Michel pesant les âmes au moyen d’un plateau à la droite d’une croix 3. Monstre actionnant une roue munie de piques sur lesquelles sont embrochés des personnages
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 323k
Titre Figure 11 : Panneau dévotionnel sculpté
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), paroi restante de l’aile sud effondrée de la Tour Neuve
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 239k
Titre Figure 12 : Bas-relief dévotionnel
Légende Forteresse de Loches (Indre-et-Loire), paroi nord de « la salle du duel » au 4e niveau de la Tour Neuve
Crédits Crédit : A. Gaubert, CC BY‑NC‑SA 4.0
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/docannexe/image/2448/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 248k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Aymeric Gaubert, « L’archéologie verticale ou l’étude des graffiti anciens : du document iconographique à la source historique (xiexvie siècles) »Frontière·s, Supplément 2 | 2024, 29-48.

Référence électronique

Aymeric Gaubert, « L’archéologie verticale ou l’étude des graffiti anciens : du document iconographique à la source historique (xiexvie siècles) »Frontière·s [En ligne], Supplément 2 | 2024, mis en ligne le 15 juillet 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/2448 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/121sx

Haut de page

Auteur

Aymeric Gaubert

Doctorant contractuel en histoire à l’université de Tours, CESR (UMR 7323)

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search