Jean-François Bernard et Alain Bouet (dir.), Jean-Claude Golvin et l’art de la restitution
Jean-François Bernard et Alain Bouet (dir.), Jean-Claude Golvin et l’art de la restitution, Bordeaux, Ausonius, Mémoires 63, 2023, 376 p., EAN : 9782356135629
Texte intégral
1Architecte-archéologue reconnu par ses pairs, Jean-Claude Golvin (JCG) est aussi un illustrateur de talent dont les images de restitution ont touché un large public. En atteste le succès des expositions qui lui ont été consacrées en 2011-2012 au Musée départemental Arles antique qui conserve 1 200 de ses dessins et, en 2022-2023, au Musée de la Romanité à Nîmes. Les éditions Ausonius publient en 2023 un volume d’hommages dirigé par Jean-François Bernard (architecte-archéologue à l’Institut de recherche sur l’architecture antique) et Alain Bouet (professeur d’histoire et d’archéologie romaines à l’université Bordeaux Montaigne) : il est naturel que cet hommage soit coordonné depuis le sud-ouest où JCG a passé une partie de sa carrière de chercheur à la tête du bureau palois du Service d’architecture antique puis, après un séjour égyptien à Karnak, au sein de l’institut Ausonius. C’est déjà à Bordeaux qu’il avait soutenu en 1985 une thèse d’État sur la forme et les fonctions des amphithéâtres romains.
2Le volume d’hommages comporte deux parties. La première est constituée de 14 articles inédits en lien avec les thèmes de prédilection de JCG, notamment l’architecture religieuse égyptienne (Jean-Claude Goyon sur une porte du sanctuaire d’Amon-Rê à Karnak) et les édifices de spectacle romains (Hichem Ksouri dans une approche synthétique sur les théâtres d’Afrique romaine, Paola Ciancio-Rosetto sur les circulations au sein du théâtre de Marcellus) sans oublier sa Tunisie natale mise à l’honneur à travers un dossier épigraphique (Louis Maurin), un sanctuaire de source (Samir Aounallah et Véronique Brouquier-Reddé) et un martyrium chrétien (Fathi Bejaoui et François Baratte). Jean-Michel Roddaz propose quant à lui un jeu de comparaisons entre Hérode et Hadrien qui lui permet de mettre en avant plusieurs restitutions proche-orientales de JCG. S’y ajoutent un article sur les dernières phases d’une villa gallo-romaine à Plassac en Aquitaine (Jean-Pierre Bost et Catherine Petit-Aupert) et un article d’Alain Bouet sur des thermes symétriques, construits en deux temps sur des fondations unitaires, à Philippopolis (Syrie) et à Chassenon : la logique de retour rapide sur investissement, inhérente à l’évergétisme, explique pourquoi les édifices furent mis en service avant leur inauguration.
3La seconde partie rassemble 14 articles rédigés par l’intéressé entre 1999 et 2020 sur les dessins de restitution. Le volume offre ainsi pour la première fois aux lecteurs un recueil des textes à la fois théoriques et pratiques élaborés par l’un des meilleurs spécialistes d’images de restitution archéologique. Si la démarche de JCG est pleinement archéologique, c’est notamment parce qu’elle fait sienne deux préoccupations qui fondent l’archéologie : le contexte et l’humain. Les recompositions de JCG donnent à voir des paysages urbains dans lesquels les édifices ne sont jamais isolés de leur environnement : les rues y sont peuplées d’activités et de personnages en mouvement tandis que la fumée des cheminées signale la présence de tous ceux qui s’abritent à l’intérieur. Comme le rappelle François Quantin dans la préface, les travaux menés par JCG relèvent de l’archéologie de l’architecture et, à ce titre, ne s’arrêtent pas à la technique constructive ou aux études de décor. C’est un continuum d’approches qui a pour objet de s’appuyer sur les vestiges bâtis pour mieux connaître les sociétés anciennes qui les ont conçus, construits et occupés. Au fond, l’article que JCG a consacré en 2017 aux dispositifs utilisés pour ériger l’obélisque de Karnak au cirque maxime rassemble la plupart des fils constituant la trame du présent ouvrage en même temps qu’il dessine une image révélatrice de la carrière de JCG : on y retrouve le souvenir de l’architecture de Karnak, l’attachement aux édifices de spectacle romains, l’intérêt pour les techniques de construction, la prise en compte raisonnée des images anciennes, la présence de la dimension humaine, le tout rassemblé pour élaborer une image synthétique au pouvoir didactique.
4Ce recueil témoigne d’une autre réalité : la fécondité de la démarche de restitution engagée par JCG est désormais pleinement reconnue au sein du champ scientifique, non seulement pour son apport dans la diffusion des savoirs, mais aussi pour sa valeur heuristique, comme le souligne Pierre Gros dans la préface de l’ouvrage. Ceci tient au fait que l’architecte a mis sa démarche de restitution à l’épreuve de nouveaux espaces et de nouvelles chronologies. Cette pratique régulière a constamment été secondée par un souci de formalisation conceptuel et méthodologique qui a fixé un cadre scientifique à une pratique qui pouvait soulever de légitimes doutes de la part des archéologues. Comment garantir la fiabilité d’une image de restitution condamnée à figer des hypothèses peu assurées sans qu’il soit possible de les distinguer des éléments de certitude ? L’immédiateté de l’image ne risque-t-elle pas d’occulter les raisonnements complexes qui fondent chacune de ses composantes ? Comment savoir si les quelques édifices que les hasards du temps ont transmis dans un état de conservation exceptionnel et qui servent d’appui aux approches comparatives se conformaient aux normes du moment ou si leur architecture s’en singularisait ? Autant de questionnements qui doivent nourrir toute démarche de restitution qui entend présenter un caractère scientifique.
5Une formule de Jean-François Bernard résume le problème : « Pour le scientifique, le choix de représenter ce qui n’est pas connu constitue une sorte d’aporie, mais la nécessité de donner forme à l’état provisoire d’une réflexion, de produire l’image la plus vraisemblable, est également l’objectif que se fixe idéalement toute étude archéologique. » La vraie impasse consiste sans doute à confondre la méthode avec l’outil (F. Quantin) et à réduire la question de l’image de restitution archéologique à une dialectique binaire entre certitude et invention. J.‑F. Bernard le montre parfaitement dans une contribution qui resitue le relevé archéologique dans une perspective historique : le dessin archéologique ou architectural s’appuie sur des techniques variées (camera obscura, chambre claire, photographie, photogrammétrie), avec leurs qualités et leurs limites respectives, dans l’optique de rendre compte le plus fidèlement possible du réel, mais, en fin de compte, un relevé n’est jamais une capture plus ou moins fidèle du réel, mais le fruit d’un regard, d’une compréhension et d’une interprétation qui mettent en valeur tel élément et éludent tel autre.
6On saura gré à J.‑F. Bernard et à A. Bouet d’avoir réussi à trouver un équilibre subtil dans la composition de ces différentes contributions, un exercice délicat dont peu de publications offertes en hommage se tirent avec autant de bonheur et de pertinence. Au sein des textes rédigés par JCG, les articles conceptuels et méthodologiques sur la restitution par l’image alternent harmonieusement avec des applications concrètes démontrant par l’exemple comment le chercheur a mis ses théories en œuvre autour de la restitution de l’urbanisme de Pouzzoles, des temples de Dougga, du grand temple d’Amarna ou encore à propos de l’organisation de la spina du cirque maxime à Rome. De même, les quatre articles qu’il consacre aux spécificités du langage visuel et aux enjeux de l’exploitation des images antiques satisferont autant les lecteurs férus de théorie (en particulier L’amphithéâtre et ses images, quelques règles fondamentales du langage visuel publié pour la première fois en 1999 et L’exploitation des images antiques : problèmes de méthodologie en 2006) que ceux qui sont davantage sensibles aux cas concrets et qui s’orienteront vers l’article qui s’interroge sur l’identification d’un édifice représenté sur la mosaïque de Silin avec le cirque de Leptis Magna. JCG souligne la nécessité d’analyser avec sérieux les images antiques si l’on espère les exploiter comme des sources iconographiques et les convoquer au service d’une démonstration archéologique : cela implique de cerner les règles propres du langage de l’image, mais aussi d’examiner avec finesse la nature des écarts entre un édifice réel et ses représentations iconographiques anciennes. Deux autres articles de l’ouvrage s’appuient, l’un, sur une scène érotique peinte à Pompéi pour restituer un système de climatisation artificiel (Sydney H. Aufrère), l’autre, sur des blocs sculptés figurés mis au jour à Amarna pour restituer un édifice religieux (Robert Vergnieux).
7L’harmonie de la composition de ce volume d’hommages se manifeste en effet dans les échos que le lecteur perçoit progressivement entre les textes de JCG et les contributions inédites qui lui sont offertes. C’est le cas de l’article que Fabricia Fauquet propose sur la restitution du cirque d’Arles en s’appuyant conjointement sur des fouilles, des représentations iconographiques antiques et des comparaisons avec d’autres édifices mieux conservés à Tyr, Rome et Arles : sa contribution fait directement écho à deux textes que JCG a consacrés à la restitution du cirque de Constantinople et à celle de la spina du cirque maxime. Les lecteurs y retrouvent également l’interrogation sur l’identification d’une représentation en mosaïque d’un cirque : que penser de ces représentations architecturales n’apparaissant qu’en toile de fond d’une scène ? faut-il qu’il s’agisse du cirque d’Arles puisque Nîmes ne paraît pas en avoir possédé ? Ici, la brièveté de l’article ne permet pas de développer l’argumentation nécessaire pour asseoir une conviction, mais la lecture ultérieure des réflexions que JCG développe autour de cas analogues efface toute frustration que le lecteur aurait pu ressentir.
8Il en va de même entre les deux textes qui traitent de l’opportunité de recourir à des outils de modélisation tridimensionnelle pour restituer des villes antiques : ces réflexions publiées par JCG en 2003 et en 2018 sont prolongées et nourries par le regard que Philippe Fleury porte dans le présent volume sur l’image de restitution archéologique. Ce dernier s’appuie sur les traités techniques anciens comme sur les pratiques scientifiques de l’archéologie contemporaine pour souligner le rôle de l’image dans la démonstration scientifique et revient sur les atouts et les limites respectives des images en 2D et des maquettes, qu’elles soient physiques ou virtuelles.
9On touche ici au cœur de la question de l’image archéologique à qui l’on demande d’être à la fois un support d’acquisition des connaissances et un vecteur permettant la diffusion des savoirs.
Pour citer cet article
Référence électronique
Vivien Barrière, « Jean-François Bernard et Alain Bouet (dir.), Jean-Claude Golvin et l’art de la restitution », Frontière·s [En ligne], Comptes rendus, mis en ligne le 18 juin 2024, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/2362 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11zaw
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