Valentin Baricault, L’espionnage au Moyen Âge
Valentin Baricault, L’espionnage au Moyen Âge, Passés Composés, Paris, 2023, 224 p., EAN : 9782379333217
Texte intégral
1Valentin Baricault publie chez Passés Composés un ouvrage intitulé L’espionnage au Moyen Âge. L’auteur s’attache à étudier son objet d’étude sur un temps long, un Moyen Âge allant du viiie au xve siècle (p. 11‑12). Son ouvrage lie approche globale et microhistoire biographique, notamment autour de la figure de Philippe de Commynes et se concentre sur les acteurs et les moyens mobilisés (p. 13). Il dresse un bilan historiographique et un état des sources (p. 15‑20). La thématique de l’espionnage médiéval est traitée par l’auteur à travers trois parties et huit chapitres.
- 1 Cette dynamique se retrouve dans les siècles suivants, voir Bély L. 1990, Espions et ambassadeurs a (...)
2Une première partie est consacrée à la représentation de l’espionnage au Moyen Âge. L’auteur s’attache en premier lieu au lexique du renseignement et à la désignation des individus concernés (chapitre 1). Il définit deux triptyques. Le premier rassemble les acteurs que sont l’ambassadeur, l’informateur et l’espion, ces figures pouvant parfois se confondre1. Le second traite du moyen de transmission entre oral, écrit et rumeur, la différence se faisant en premier lieu sur la crédibilité de l’information délivrée (p. 38). La représentation du renseignement au Moyen Âge a ici pour cadre la guerre et la paix (chapitre 2). S’appuyant sur les écrits de Végèce, auteur antique largement copié durant la période médiévale, Valentin Baricault montre le caractère primordial du renseignement en temps de guerre. Celui‑ci est ainsi « pleinement intégré à l’action militaire » (p. 47). À travers les écrits des théoriciens byzantins Constantin II Porphyrogénète et Nicéphore II Phocas, l’auteur montre « combien les ruses de guerre, liées à la mètis […] sont au cœur des pratiques militaires du Moyen Âge » (p. 53). Il s’appuie également sur le traité d’Al‑Harawī, lui-même espion et ambassadeur, afin de démontrer la nécessaire fiabilité d’un messager et la ruse avec laquelle le prince doit agir. La ruse et l’habileté sont alors vues comme des atouts majeurs des princes afin de contrôler l’information. Cette dimension est traitée à travers les figures de Philippe de Commynes et de Louis XI, dont l’étude montre comment elle est un « outil nécessaire de gouvernement » (p. 59) à la fin de la période étudiée. Les Mémoires de Philippe de Commynes sont analysés en ce sens. L’auteur montre qu’elles forment un « véritable instrument de travail du renseignement » (p. 60), se rapprochant des « miroirs aux princes », ces manuels composés de conseils et préceptes moraux. Il analyse également la vision des contemporains de ce « monde du secret » (chapitre 3). L’espion est vu comme dissimulateur et menteur par nature, à tel point que ces qualités apparaissent comme un « trait de la personnalité prêtée à l’homme du secret » (p. 69). Le cas de Pierre David, arrêté en 1485 et traître au roi malgré lui, souligne cela avec précision : à travers la culpabilité éprouvée par ce dernier, l’auteur montre comment un simple messager, porteur d’un message secret, est vu comme coupable du contenu de celui‑ci. Élément nodal de la diffusion de l’information politique, le messager est toujours là : à la fois discret et dynamique. C’est ce que défend Valentin Baricault à travers l’étude de la tapisserie de Bayeux (p. 74‑76).
- 2 Spitzbarth A.‑B. 2013, Ambassades et ambassadeurs de Philippe le Bon, troisième duc Valois de Bourg (...)
3La seconde partie du volume porte sur la pratique du renseignement dans un cadre diplomatique et militaire. La figure de l’ambassadeur occupe une place importante puisque tout le chapitre 4 lui est consacré, l’auteur reprenant à son compte les thèses d’Anne-Brigitte Spitzbarth2. Le faste déployé pour l’accueil de Philippe de Commynes en 1494 est alors compris comme celui dû au prince (p. 86). Respectés, les diplomates sont également surveillés afin d’éviter les contacts extérieurs : telle était la mission de Guillaume de Dogmerfield à la fin du xiiie siècle (p. 88). La collecte de renseignements s’inscrit dans une « démarche prospective » (p. 91) dans laquelle la frontière entre l’espion et l’ambassadeur se fait mince, les deux étant des relais du pouvoir. L’auteur aborde ensuite la figure du nuncii-roll. À travers l’exemple de Jean de Woume, envoyé par Édouard III en 1337‑1338 sur le continent, le voyage diplomatique apparaît comme un temps de financement d’activités discrètes visant à collecter des informations (p. 99). L’ensemble de ces éléments vient alors nourrir la décision du prince. L’information est de ce fait un appui pour faire la guerre (chapitre 5). Un autre acteur est mis en lumière, celui de l’éclaireur qui, par sa connaissance et son repérage du terrain, est à la « base de la collecte d’information en temps de guerre » (p. 109). Cette expertise est étudiée à travers le cas de Pierre David : son activité durant la Guerre folle a été rendue possible par une nécessaire connaissance de terrain. Messager par opportunisme, il a été choisi, car « il a l’air de bien connaître la région » (p. 114). L’auteur évoque également les espions, spécialistes du secret qui sont dans la nécessité de passer inaperçus dans un théâtre de guerre.
4La dimension humaine du renseignement conduit l’auteur à analyser les réseaux dans une troisième partie. Valentin Baricault se concentre sur Philippe de Commynes à travers sa correspondance et ses Mémoires (chapitre 6). Entré à la cour de Bourgogne en 1464 et rattaché à Charles de Bourgogne, Commynes fait ses premières armes pendant la guerre des Deux-Roses, durant laquelle ses échecs montrent « l’importance des réseaux occultes » (p. 128). Alors qu’il est passé au service du roi en 1474, Commynes noue des contacts avec des villes marchandes et des banquiers médicéens. Lyon apparaît comme le cœur de son réseau, une véritable « boîte aux lettres » (p. 128). L’importance de son réseau italien, notamment milanais, est soulignée. L’auteur aborde également le temps de la première campagne italienne sous Charles VIII, durant laquelle Commynes fait jouer son réseau au profit du roi. Isolé à Venise après le début de son ambassade, il mobilise des connexions plus secrètes afin d’obtenir des informations (p. 133). L’activité de Commynes comme informateur auprès de Charles VIII est mise en avant. Dans un contexte de guerre, son réseau sert aussi à sécuriser les avancées de l’armée du roi (p. 135). Guerre et information concernent aussi les villes (chapitre 7). Pour traiter cet aspect, l’auteur mobilise de nombreux exemples. À travers le cas des cités italiennes dans le contexte d’opposition entre guelfes et gibelins, il explore l’institutionnalisation de l’espionnage, notamment à Bologne. Les villes agissent alors comme de petits États, mobilisant parfois la population, comme à Mâcon en 1430. L’« information de sécurité est d’utilité publique » (p. 141) et amène parfois à la mise en place d’un système de guet. Le cas du moine cordelier Estienne Charlot permet d’explorer la question du contre-espionnage. Arrêté en 1424 pour une affaire d’espionnage, il livre aux enquêteurs le récit de son activité d’agent de l’information au service des Armagnac. Ses aveux permettent de démanteler le réseau (p. 42). L’information apparaît enfin comme une « mémoire active de l’environnement proche » des villes (p. 153). En se focalisant sur la figure de Louis XI, l’auteur questionne son image de manipulateur (chapitre 8). Il y voit plutôt une pratique de gouvernement par le secret et le renseignement. Ces pratiques passent par l’argent et les cadeaux, créant une relation « de patronage et de dépendance » (p. 157). L’auteur analyse la réorganisation du réseau de postes comme une nécessité pour le pouvoir royal : l’information doit circuler pour pouvoir gouverner. L’information peut être faussée à dessein. Prenant l’exemple de la confrontation entre Charles le Téméraire et Louis XI, Valentin Baricault l’analyse comme un moyen de gouverner et de diriger. Enfin, un autre prisme, celui de l’information divulguée, permet d’explorer la dimension humaine de l’information : la punition des traîtres et des comploteurs et le renseignement canalisé par le roi montrent que sous Louis XI, « se taire, c’est se rendre complice de la trahison » (p. 166).
5La bibliographie (p. 205‑215) offre des études récentes sur le sujet. L’ouvrage de Valentin Baricault couvre l’ensemble de la période médiévale et traite de l’espace euro-méditerranéen. À travers de nombreux exemples pris dans des espaces et temporalités différentes, il montre comment l’information, le renseignement et la circulation d’individus dédiés à cette activité jouent un rôle dans les relations de pouvoirs du temps. L’ouvrage de Valentin Baricault permet de comprendre les dynamiques qui président à la constitution de réseaux et pratiques d’espionnage tout au long de la période médiévale. L’espionnage au Moyen Âge est un outil précieux pour qui veut comprendre les acteurs de l’espionnage et aborder la période par un prisme original.
Notes
1 Cette dynamique se retrouve dans les siècles suivants, voir Bély L. 1990, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris.
2 Spitzbarth A.‑B. 2013, Ambassades et ambassadeurs de Philippe le Bon, troisième duc Valois de Bourgogne (1419‑1467), Turnhout.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Clément Desgrange, « Valentin Baricault, L’espionnage au Moyen Âge », Frontière·s [En ligne], 9 | 2023, mis en ligne le 20 décembre 2023, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/frontieres/1960 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/frontieres.1960
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page