Navigation – Plan du site

AccueilNuméros6Comptes rendus de lecturePatrick Ferté et Caroline Barrera...

Comptes rendus de lecture

Patrick Ferté et Caroline Barrera (dir.), Étudiants de l’exil. Migrations internationales et universités refuges (XVIe-XXe siècles)

Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2010, 341 p.
Caroline Barrera
Référence(s) :

Patrick Ferté et Caroline Barrera (dir.), Étudiants de l’exil. Migrations internationales et universités refuges (XVIe-XXe siècles), Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2010, 341 p.

Texte intégral

1La collection Tempus (Contemporaine, dirigée par le Pr. Cabanel), des  Presses Universitaires du Mirail viennent de publier un ouvrage issu d’un colloque organisé à Toulouse en octobre 2007, intitulé « Étudier ailleurs, étudier malgré tout. Migrations étudiantes et relations internationales (XVIe siècle-1962) ». Cet ouvrage, dont le titre ne reprend pas l’intitulé du colloque, réunit une vingtaine articles rédigés en français par des chercheurs d’une dizaine de pays (Belgique, Hongrie, France, Irlande, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Tunisie) sur  les migrations étudiantes internationales abordées sous l’angle particulier et plus ou moins dramatique de la migration subie. Ce livre a la particularité de sortir des cloisonnements chronologiques et disciplinaires habituels en abordant cette thématique dans la longue durée (du XVIe siècle aux années 1960) et en y associant la problématique des étudiants coloniaux, eux aussi tenus d’étudier ailleurs, s’ils voulaient étudier malgré tout.

2Le lecteur trouvera dans cet ouvrage un état de ces contraintes, moteurs de la mobilité étudiante, dressé sur cinq siècles : lois pénales interdisant l’entrée des jeunes catholiques irlandais en collège et faculté (Th. O’Connor, Univ. Maynooth), proscription des calvinistes après la Révocation de l’Édit de Nantes (G. Astoul, Toulouse), sous-équipement scolaire et universitaire en Afrique du Nord et sous-accueil des colonisés (M. Dhiffalah, La Manouba, Tunis), numerus clausus pour les étudiants juifs d’Europe de l’Est dès 1887, suppression ou inexistence d’universités propres à une collectivité culturelle ou religieuse, exil des dissidents politiques (V. Karady, Central European University, Budapest), exclusion des femmes dans les universités d’Europe de l’Est (N. Tikhonov, EHESS)… Quelle qu’ait été la puissance de ces situations de contrainte sur les migrations étudiantes, les différents auteurs démontrent que les choix n’étaient ni simples, ni uniques, et que les stratégies des étudiants étaient généralement multiples, associant des critères de contraintes politiques ou religieuses avec des critères de structure universitaire, de priorité donnée à la socialisation des élites ou du milieu professionnel sur le conflit religieux, voire même des critères financiers ou qualitatifs (W. Frijhoff, Univ. d’Amsterdam). Il apparaît également que les situations de contrainte n’auraient pas eu d’effets aussi spectaculaires (visibles par l’arrivée massive d’étudiants en Occident dès la fin du xixe siècle) si d’autres conditions socio-économiques n’avaient été réunies, telles que l’écart différentiel entre le niveau de développement et/ou de modernisation des États de l’Est ou de l’Ouest, l’accroissement de la demande d’étude pour des raisons sociologiques qui renforce le statut social des diplômés et le caractère socialement fonctionnel des études, la modernisation différentielle et la sur-scolarisation de certaines minorités ethniques et de certains groupes nationaux ou, enfin, la modernisation accélérée des systèmes universitaires occidentaux (V. Karady).

3Les différents auteurs s’attachent également à mettre en évidence la réponse continue de la communauté internationale à ces situations dramatiques, comme le montre l’accueil des étudiants calvinistes français par les universités suisses (G. Astoul) ou le développement d’un réseau de collèges irlandais dans l’Europe catholique de 1578 à 1793 (Th. O’Connor), dont le séminaire toulousain des Irlandais créé en 1659-1660 (P. Ferté, Toulouse II) constitua un maillon aussi modeste qu’actif et représentatif. La croissance des statistiques des étudiants étrangers dans les universités françaises (A. Cabanis, Toulouse I), les textes officiels, les institutions et les politiques mises en place pour favoriser la venue des étudiants contraints dans le cas français (P. Moulinier, Paris) vont dans le même sens pour l’époque contemporaine. Mais la réponse n’était jamais uniforme. Les logiques d’accueil des femmes par exemple pouvaient varier au sein d’un même pays, entre universités dites du « modèle zurichois », ouvertes aux femmes (Genève, Paris, Bruxelles…) et universités fermées, à féminisation moindre et de surcroît plus tardive (N. Tikhonov). Les contradictions étaient nettes au sein de l’Empire français où s’opposaient d’une part les réticences des colonies à envoyer les indigènes dans les facultés de métropole (M. Dhiffalah), préférant parfois offrir une réponse délocalisée aux besoins de formation, comme l’a été l’antenne de la faculté de droit de Toulouse à Rabat (Ph. Delvit, Toulouse 1) et, d’autre part, l’accueil de certains d’entre eux en France. Malgré les difficultés rencontrées, ces étudiants coloniaux y trouvaient paradoxalement un allègement du « joug colonial » et une échappatoire aux poursuites que leurs activités politiques leur promettaient dans les colonies (M. Dhiffalah). Si généralement les pays d’accueil ne demandaient pas aux étudiants de se renier, cela n’a pas été le cas pour les étudiants marranes aux Pays-Bas aux xvie et xviie siècles, accueillis dans les universités à condition de dissimuler leur judéité. Hilde de Ridder-Symoens, de l’université de Gand, montre que c’est à ce prix que les marranes ont pu, grâce à leur formation universitaire, s’intégrer dans l’élite intellectuelle de leur temps et gravir les échelons de la société belge. Plusieurs auteurs rappellent que sans nier la libéralité de l’accueil des étudiants étrangers en exil, les arrière-pensées et les stratégies de ceux qui les envoyaient à l’étranger, ou qui les accueillaient ne sont pas absentes. Qu’ils aient été destinés à lutter contre le credo dominant (G. Astoul et Th. O’Connor), à accélérer la modernisation politique et intellectuelle d’un État comme dans le cas des étudiants espagnols, relativement privilégiés, envoyés dans les universités européennes par la Junta para Ampliación de Estudios (J.-Fr.Berdah, Toulouse II), à servir la puissance coloniale (G. Pervillé, Toulouse II) ou, au contraire, la cause de la libération nationale, les étudiants migrants étaient, de toute façon, utilisés par des États, des communautés, des Églises, des partis ou des associations. Cette instrumentalisation a pu dévier complètement de son objectif initial. L’alignement croissant des étudiants algériens sur le FLN et l’organisation de leur dispersion dans le monde, à partir de 1955 est à cet égard éloquent (G. Pervillé). Il est remarquable, comme l’a montré Pierre Vermeren (Panthéon-Sorbonne), que le combat contre la puissance coloniale, qui a rassemblé les étudiants tunisiens et marocains en France, n’ait pas eu pour conséquence, une fois ceux-ci installés à la direction des nouveaux États, la négation complète de l’enseignement reçu. Ils imposèrent au contraire in fine une politique francophone, au nom de la modernité.

4Bien qu’accueillis et aidés, les étudiants contraints n’en étaient pas moins considérés comme dangereux. Tous ont fait l’objet d’une surveillance policière, en particulier ceux susceptibles d’avoir une activité politique dangereuse pour leur pays d’accueil, comme les coloniaux de l’Empire français, très investis dans différents mouvements étudiants (G. Pervillé) et bien sûr les sujets russes au tournant des XIXe et des XXe siècles en Allemagne, c’est-à-dire les Polonais nationalistes, les Juifs et les révolutionnaires. Ceux-ci ont été doublement surveillés, par les Russes en Allemagne comme par la police et les autorités universitaires allemandes, et ne purent en aucun cas étudier de façon anonyme. Les étudiants révolutionnaires juifs de Russie sont ainsi devenus une cible privilégiée et ont servi à la formulation de la question des étrangers qui a remis en cause la notion même de pays d’accueil (Cl. Weill, EHESS). Au xviiie siècle, la solidarité contre-réformée s’exerçait en Suisse tout en exigeant une certaine discrétion des réfugiés français qui, par exemple, ne devaient pas parler occitan, ceci afin de ne pas brouiller le pays d’accueil avec le trop puissant voisin : les relations diplomatiques pesaient donc sur la volonté d’aider des coreligionnaires enfuis et parfois la freinaient (G. Astoul). Ailleurs, dans une société multiconfessionnelle comme les Provinces-Unies, des étudiants dissimulaient souvent leur cursus itinérant en s’inscrivant sous des pseudonymes (W. Frijhoff).

5Enfin, l’ouvrage n’élude pas la question de l’évaluation à moyen et long terme des politiques d’accueil des étudiants discriminés. Si l’objectif de l’accueil a été incontestablement atteint, il n’en va pas de même pour celui du retour. L’analyse de la fonction de l’Université et de ses diplômes dans les stratégies des réfugiés irlandais à l’époque moderne a permis à P. Ferté de démontrer l’existence de finalités bien différentes de la volonté contre-réformée de retour, affichée ou implicite. Dès l’entrée au séminaire, même chez les étudiants clercs inscrits en théologie, les cursus lents, voire télescopiques, dénotaient une volonté de retarder le retour, bien plus qu’une ardeur missionnaire à retrouver la terre natale : l’Université joua en l’occurrence un rôle contre-productif en éternisant l’éloignement, en favorisant la perte de la langue vernaculaire, de l’identité souvent ainsi que du zèle contre-offensif au profit d’un exil parfois bien douillet (P. Ferté). De même, les nombreux étudiants en médecine irlandais trouvés à Reims ne semblent pas avoir eu d’indéfectibles intentions de rapatriement (L. Brockliss, Magdalen College, Oxford). Si certaines catégories de réfugiés rentrent bien dans leur pays une fois la crise passée, comme les étudiants polonais des années 1830 ou 1860, il est clair que le phénomène de l’exil définitif des cerveaux est loin d’avoir été négligeable, à l’époque moderne comme à l’époque contemporaine, surtout dans la première moitié du xxe siècle. La France, dérogeant à son objectif principal de propagation de son modèle à l’étranger, a, par le biais de l’accueil des étudiants en exil, assimilé une part importante des élites étrangères. L’évolution de sa législation sur la naturalisation et l’organisation de son système professionnel ont amené ces étudiants ou anciens étudiants, à prendre de plus en plus rapidement la décision de demander leur naturalisation. Bien que les textes législatifs se soient durcis dans les années Trente, en réponse aux inquiétudes des diplômés français (P. Moulinier), il est remarquable que les naturalisations se soient poursuivies, illustrant un décalage édifiant entre les discours officiels et la réalité de la pratique des naturalisations des élites étrangères (C. Barrera, CUFR Champollion).

6Signalons encore que Patrick Ferté propose à la fin de cet ouvrage une bibliographie extrêmement complète sur le sujet (de 63 pages), qui constitue un outil inédit et précieux pour les chercheurs.

7On regrettera pour finir que ce livre n’ait pas fait une place aux migrations extra-européennes, hors celles relevant de la colonisation française. Même si l’ampleur du travail présenté ici est déjà considérable, cette ouverture aurait permis d’ouvrir la voie à des travaux qui restent à mener sur le sujet à une échelle mondiale.

8Contact : http://w3.pum.univ-tlse2.fr/​

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Barrera, « Patrick Ferté et Caroline Barrera (dir.), Étudiants de l’exil. Migrations internationales et universités refuges (XVIe-XXe siècles) »Les Cahiers de Framespa [En ligne], 6 | 2010, mis en ligne le 01 décembre 2010, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/framespa/557 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/framespa.557

Haut de page

Auteur

Caroline Barrera

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search