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Notes de lecture

Brenda Lynn Edgar, Le Motif éphémère. Ornement photographique et architecture au xxe siècle

Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Art & Société », 2020, 395 pages
Caroline Antoine
Référence(s) :

Brenda Lynn Edgar, Le Motif éphémère. Ornement photographique et architecture au xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Art & Société », 2020, 395 pages

Texte intégral

1Le Motif éphémère. Ornement photographique et architecture au xxe siècle est un ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2013 à l’université Paris 1. Investissant une question relativement nouvelle, Brenda Lynn Edgar entreprend une « fouille archéologique » qui travaille à replacer la photographie, entendue comme pièce du répertoire décoratif de l’architecte, dans une généalogie qui plonge ses racines au xixe siècle pour finir à la fin du xxe siècle.

2La photographie ornementale a laissé peu de traces matérielles. Les œuvres ayant subsisté jusqu’à aujourd’hui sont rares : quand elles n’ont pas été victimes de leur fragilité, elles ont généralement été détruites et remplacées en fonction des goûts de l’époque. Aussi l’auteure a-t-elle recours à des sources très diverses : brevets, articles de presse et documentation photographique représentant des intérieurs sont mobilisés pour mener à bien ses recherches. L’historiographie relative au sujet est tout aussi maigre. Les études scientifiques n’abordent généralement la photographie ornementale que de manière périphérique. La présente étude comble donc un vide, en faisant de cette question un objet d’étude en tant que tel.

3L’ouvrage se découpe de manière chronologique. Une brève incursion au xixe siècle révèle des innovations précoces. La photographie est alors un outil d’apprentissage pour les futurs artistes autant qu’un ornement à part entière. À cette époque s’opère en effet l’association de la photographie et de la fenêtre, par le biais de l’invention du vitrail photographique (Louis Samson, 1854). L’auteure se penche ensuite plus particulièrement sur l’entre-deux-guerres (1920-1930), puis sur la progressive migration de l’ornement photographique vers la façade entre les années 1945 et 2000. Ces choix sont guidés par la richesse des expérimentations menées au sein de trois espaces géographiques distincts : la France, la Grande Bretagne et les États-Unis sont les terrains d’une étude comparative qui rend compte des différentes tendances en lien avec leur contexte sociopolitique.

4Aborder la question de la photographie ornementale au sein de la période 1920-1930 suppose de s’affronter à un mythe tenace, suivant lequel l’architecture moderniste et l’ornement seraient incompatibles, voir antithétiques. Les exemples étudiés tendent à nuancer ce postulat. Les modernistes semblent chercher à renouveler le langage décoratif plus qu’à le condamner, l’ornement devant se fondre au bâtiment et non s’y superposer. Aussi les expérimentations portant sur la planéité, les textures, la perception de l’espace ainsi que l’intégration d’une nature brute et primitive sont-elles privilégiées. Dans ce contexte, la photographie répond efficacement aux préoccupations des architectes.

5Le retour à une nature primitive s’exprime aux États-Unis avec la production de photomurals figuratifs. Quelques expériences plus abstraites sont menées grâce à la répétition de motifs photographiques, ou encore par le biais de montages dans le cadre des commandes de la WPA (Work Progress Administration) et du FPA (Federal Art Project). Mais le paysage photographique semble être l’option la plus populaire, en ce qu’il se substitue à la fenêtre traditionnelle, ou même la prend comme sujet (dans les travaux de Drix Duryea). En France, le rapport à la texture est exploré par Laure Albin-Guillot, inventrice d’un procédé d’impression directe sur objet (1927). Mais les micrographies du Pavillon Suisse de Le Corbusier (1933) sont certainement les œuvres qui illustrent le plus efficacement l’adéquation entre photographie et modernisme : les motifs de cellules disposées en grille reprennent les principes structurels que l’architecte affirme tout au long de son travail.

6La postérité de ces expérimentations est inégale. La diffusion des photomurals aux États-Unis est encouragée par les campagnes commerciales de l’entreprise Eastman Kodak ou par des galeristes tels que Julien Levy. Ces décors semblent jouir outre-Atlantique d’une relative popularité, tandis que leur réception est plus mesurée en France. Quant à l’Angleterre, elle ne manifeste qu’un intérêt épisodique pour la photographie ornementale. Eugene Mollo y développe pourtant l’une des techniques les plus innovantes de l’époque : il investit les intérieurs des cinémas Odeon en y déployant des photofresques dont le rendu esthétique est en adéquation avec le style architectural.

7De fait, les milieux artistiques et commerciaux d’après-guerre semblent frappés « d’amnésie » : la photographie ornementale est présentée comme un produit nouveau en dépit des réalisations antérieures. Ainsi, les années qui précédent l’apparition de la façade photographique sont-elles placées sous le sceau de l’expérimentation, donnant lieu à des pratiques hétérogènes. Afin de mieux rendre compte de cette multitude de productions concomitantes, l’auteure adopte, dans la seconde partie de son livre, une présentation chronologique apte à traduire le progressif cheminement vers les années 1980-2000. Si la société Foto Murals of California diffuse des représentations pastorales et patriotiques dans les années 1950, les productions françaises et anglaises jouent plus volontiers sur une figuration détournée qui prend par exemple la forme de photographies aériennes. Le jeu sur l’échelle induit alors une oscillation entre exactitude quasi-documentaire et abstraction. Ce sont toutefois les années 1960-1970 qui annoncent les innovations de la fin du siècle. Les diapositives projetées sur les façades opèrent une double remise en cause : celle de l’indissociabilité de la façade et de la structure porteuse et celle de la subordination de l’image à son cadre architectural.

8La façade architecturale des années 1980-2000 devient progressivement une « peau ». La photographie agit dès lors comme un « tatouage » qui tend à dématérialiser le mur, tout en suggérant une impression de nudité et de fragilité. L’Institut du Monde Arabe de Jean Nouvel est caractéristique de ce type d’expérimentation. Sur la façade Nord, l’architecte dispose plusieurs clichés de bâtiments contemporains. Discernables de loin, ils deviennent une trame abstraite au fur et à mesure que le spectateur approche, faisant ainsi disparaître l’image et par voie de conséquence la façade sur laquelle elle est apposée. En soulignant le caractère fuyant de l’une et de l’autre, l’architecte propose une réinterprétation contemporaine du sublime, les images composant autant de « fantômes » liés à la hantise contemporaine du temps qui passe.

9À la même époque se répand l’usage d’un motif photographique arborescent, composé de feuillages stylisés et disposés en all over. Il ne s’agit plus alors de désorienter le regard, mais d’occulter l’intérieur par un écran afin d’affirmer l’architecture comme un organisme indépendant et isolé. Passer par-delà la façade équivaut à pénétrer dans un autre monde et à expérimenter la rupture entre deux espaces plutôt qu’à simplement consommer une image extérieure.

10Brenda Lynn Edgar clôt ainsi un travail de réhabilitation qui érige la photographie en catégorie ornementale à part entière. L’isolement de la pratique photographique constitue une des forces de l’ouvrage, mais peut-être aussi une de ses faiblesses, l’auteure excluant parfois d’autres pratiques artistiques qui s’inscrivent cependant en lien direct avec les questions soulevées. Il reste toutefois difficile de regretter ce manque d’excursions externes au médium photographique, tant les recherches menées sont vastes. C’est avec efficacité qu’elles mettent en lumière le développement progressif de nouvelles pratiques et inclinent à la reconsidération d’œuvres que l’on pensait pourtant connaître.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Antoine, « Brenda Lynn Edgar, Le Motif éphémère. Ornement photographique et architecture au xxe siècle »Focales [En ligne], 6 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/focales/1486 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/focales.1486

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