Ironie vs humour : Éric Chevillard, ou l’homme qui rit
Résumés
Quelle est la différence entre l’ironie et l’humour ? Après avoir rappelé quelques propositions théoriques formulées au cours des dernières décennies qui permettent de différencier ces deux notions, l’article examine la manière dont Éric Chevillard les a conceptualisées dans ses œuvres et dans les discours d’accompagnement. On conclura que la prise en compte du phénomène du rire, qui constitue pour l’écrivain l’exutoire idéal de ces deux pratiques, permet de mieux comprendre les enjeux de son œuvre tout en échappant à une alternative problématique. Ironiste désenchanté, enclin au pessimisme, humoriste subtil à la vivacité enfantine, Chevillard aime à se présenter, au sein de ses textes, comme un homme qui rit de manière incontrôlable et qui voudrait impliquer son lecteur dans ce “ricanement” effréné. Il en résulte une curieuse posture auctoriale, qui a quelques antécédents dans l’histoire de la littérature française.
Texte intégral
- 1 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, “L’‘humouronie’ de Jean Echenoz”, Roman 20-50, vol. 70, (...)
- 2 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, Paris, Points, 2001, p. 222.
- 3 Ibid.
1Dans un article de 2021, Florence Leca-Mercier et Christelle Reggiani observent qu’en essayant de différencier l’ironie de l’humour, les meilleurs d’entre nous “se sont cassé les dents”1. Pour ne pas aboutir au même résultat, nous nous contenterons d’évoquer quelques propositions qui ont été faites sur le sujet au cours des dernières décennies. On commencera par Pierre Schoentjes qui propose, “faute de mieux”2, de prendre en compte la façon dont ces notions sont conceptualisées par les écrivains eux-mêmes. Or, “les auteurs associent d’habitude le comique et l’humour au rire alors qu’ils préfèrent lier l’ironie à un autre phénomène physiologique : le sourire”3. Un tel constat entraîne d’autres implications, que l’universitaire ne manque pas d’expliciter :
- 4 Ibid., p. 223.
Alors que le rire est incontrôlable, le sourire, lui, est modulable : il accompagne dans la durée une réflexion déclenchée par l’ironie. C’est pourquoi on peut dire que le rire relève de l’affectif alors que l’ironie est un phénomène plus intellectuel. La dégradation propre au rire, qui joue sur l’écart entre le beau et le laid, entre le grotesque et le sublime, souligne encore que c’est souvent davantage aux sens et aux sentiments que le rire fait appel. Il est une anesthésie de l’esprit qui fait taire la raison, alors que l’ironie la sollicite en mettant en marche une dialectique dont le point d’aboutissement n’est pas nécessairement connu d’avance.4
- 5 Ibid., p. 222.
- 6 Ibid.
2Dans cette perspective, l’ironie serait une pratique plus sophistiquée par rapport à l’humour, exigeant une certaine maîtrise de la part de l’émetteur, qui doit être capable de décrypter des messages par définition ambigus, voire complexes, et marqués par une tension secrète. Cette notion suscite un intérêt certain dans le milieu académique, comme en témoigne le nombre élevé de publications qui lui ont été consacrées au cours des dernières décennies. Les spécialistes du fait littéraire en apprécient le potentiel critique : car la fonction de l’ironie, conformément à son étymologie, serait d’“interroger”5 le monde, la nature humaine et le langage, alors que l’humour viserait plus modestement à “divertir”6 son public. Ces observations de Schoentjes concordent dans une certaine mesure avec celles de Leca-Mercier et Reggiani :
- 7 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, art. cit., p. 167.
Du point de vue énonciatif, l’ironie est souvent oblique, ambiguë, reposant sur le paradoxe d’une polyphonie énonciative, sur la mention de propos réels ou supposés de l’adversaire de l’ironiste. L’humour est plus direct, ses procédés plus francs : un simple jeu de mots peut lui suffire.7
- 8 Selon d’autres chercheurs, comme Alain Vaillant, la différence entre l’ironie et l’humour réside da (...)
- 9 Ibid., p. 168.
- 10 Gilles Lipovetsky, L’ère du vide : essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 2022 (...)
- 11 Alain Vaillant, La Civilisation du rire, op. cit., p. 143.
- 12 Catherine Kerbrat-Orecchioni, “L’ironie comme trope”, Poétique, n° 41, 1980, p. 119.
- 13 Stéphane Chaudier, “Ironie pas morte : Nicolas Mathieu contre le politiquement correct”, Carnets, (...)
- 14 Mathieu Delaveau, “Bêtise de l’intelligence”, Carnets, vol. 23, “Inactualité de l’ironie ?”, 2022 ; (...)
3Une autre manière possible de différencier les deux phénomènes – celle qui, à notre avis, est plus convaincante – consiste à prendre en compte le rôle de l’agressivité8. Selon cette perspective, l’ironie serait une pratique par définition violente, fondée sur la présence de cibles qu’elle “blesse durablement”9 tandis que l’humour désignerait une attitude plus apaisée, inoffensive et bon enfant, qui, selon Gilles Lipovetsky, froisse peu ou pas du tout ses cibles, lorsqu’il y en a : “L’humour, à la différence de l’ironie, apparaît comme une attitude révélant une sorte de sympathie, de complicité, fussent-elles feintes, avec le sujet visé, on rit avec le sujet, non de lui”10. Le fait est que l’ironie, comme le rappelle Alain Vaillant, “sert très souvent à atténuer ou à dissimuler (au moins partiellement) une volonté de moquerie”11 ; un concept qui avait déjà été noté, avant lui, par Catherine Kerbrat-Orecchioni, lorsqu’elle constatait dans un article célèbre qu’“ironiser, c’est toujours d’une certaine manière railler, disqualifier, tourner en dérision, se moquer de quelqu’un ou quelque chose”12. Cette caractérisation de l’ironie sur la base de l’agressivité a été également reprise par Stéphane Chaudier dans un article récent : “Agressive, polémique, elle contrevient à la sacro-sainte règle contemporaine de la bienveillance ou du respect : car l’ironie veut discréditer, ridiculiser autrui, sa ‘cible’ ; elle déforme parfois son point de vue ; elle lui prête des propos jamais tenus”13. Et Mathieu Delaveau observe, à propos d’un ouvrage de Carrère : “Peut-on ici parler d’ironie ? On parlerait plus justement d’un humour qui nous conduit à sourire des déboires d’un écrivain. L’humour semble être une modalité moins agressive que l’ironie”14.
- 15 Olivier Bessard-Banquy, L’industrie des lettres, Paris, Pocket, 2012, p. 155.
- 16 Ibid., p. 412.
- 17 Jérôme Meizoz, La littérature “en personne”. Scène médiatique et formes d’incarnation, Genève, Slat (...)
- 18 Un exemple parmi d’autres : dans une scène célèbre du Bavard, le narrateur, après avoir enfin dit à (...)
- 19 Cf. infra.
4Le problème, bien sûr, est qu’il est souvent difficile de séparer ces deux phénomènes dans l’analyse d’un texte littéraire, même si l’on accepte les définitions susmentionnées. En témoigne la manière dont les produits de la “nouvelle école Minuit”15 sont considérés par la critique universitaire, qui les associe tantôt à l’ironie16, tantôt à l’humour17. La situation se complique lorsque les auteurs, interrogés, s’expriment à propos de ces modes d’expression. En fait, loin de ramener invariablement l’ironie au “sourire” et l’humour au “rire”, ils évoquent fréquemment des rires ironiques18 et, à l’inverse, des sourires tendres que l’humour est susceptible de leur procurer19. Certains écrivains, enfin, se réclament tantôt d’une pratique, tantôt de l’autre, tout en les définissant de manière arbitraire.
5Schoentjes a raison lorsqu’il affirme qu’il est important de prendre en compte le point de vue des écrivains. C’est précisément ce que nous nous proposons de faire dans le présent article, en prolongeant son analyse. Pour ce faire, nous nous efforcerons de reconstruire la poétique de l’humour et de l’ironie qu’un auteur contemporain, Éric Chevillard, a développé au cours des dernières décennies, non seulement à l’intérieur de ses œuvres, mais aussi dans une série dense de textes de circonstance, d’entretiens et de chroniques littéraires.
- 20 Denis Saint-Amand, Léa Tilkens, “Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique”, COnTEXTES (E (...)
6Nous n’ignorons pas que, ce faisant, nous nous exposons à un risque, celui de répéter des choses que l’auteur lui-même a déjà exprimées avant nous, et peut-être d’une manière plus fine. En effet, comme l’observent Léa Tilkens et Denis Saint-Amand, “Chevillard est difficile à étudier parce qu’il donne parfois l’impression d’avoir tout dit à son propre sujet”20. Et les chercheurs d’ajouter :
- 21 Ibid.
Plus qu’esquissée, cette auto-analyse est souvent mobilisée comme une béquille par l’analyste, qui s’y appuie pour développer des observations rejoignant celles livrées par l’auteur : cette nouvelle forme d’adhésion tend alors à réduire le critique en glosateur d’un propos réflexif préexistant auquel il s’assujettit sans chercher à le questionner, quand il s’agirait plus justement de le démonter afin d’en interroger les enjeux et mécanismes en tant que discours d’escorte lui-même construit.21
- 22 Rappelons que ce terme est utilisé par Jérôme Meizoz pour désigner “la présentation de soi d’un écr (...)
7Pour éviter ce piège, nous n’exposerons pas la poétique de Chevillard en ce qui concerne l’humour et l’ironie, mais nous tenterons au contraire de la problématiser, la reliant à la question du rire, susceptible de la nuancer d’une façon décisive, et à celle de la “posture auctoriale”22.
Ironie ou humour ?
- 23 Éric Chevillard, Le caoutchouc décidément, Paris, Minuit, 1992, p. 122.
8La première remarque à faire est que Chevillard semble utiliser les termes d’ironie et d’humour de manière interchangeable, et cela dès le début de sa carrière. Dans Le caoutchouc décidément on peut lire par exemple : “profil crochu de l’ironie sur fond de ronde tendresse ; l’humour arrache un pâle sourire à la mélancolie et s’en trouve ému jusqu’aux larmes”23. On a le sentiment que les deux termes servent ici à désigner la même chose, et que l’auteur a utilisé celui d’“humour”, dans la deuxième partie de la phrase, dans le seul but d’éviter une répétition. On note également que l’humour est associé non pas au rire, mais à l’image d’un “pâle sourire” et, bizarrement, aux larmes.
- 24 Éric Chevillard, “Frère lumière”, dans Feuilleton : chroniques pour Le Monde des livres (2011-2017)(...)
- 25 Ibid.
9À y regarder de plus près, Chevillard s’est réclamé, tout au long de sa carrière, tantôt du premier mode d’expression, comme lorsqu’il met en garde le lecteur de ses chroniques littéraires contre sa “mauvaise ironie”24 et contre sa posture peu fiable de “ricaneur”25, et tantôt du second, comme lorsqu’il avoue considérer l’humour comme le pilier de son style :
- 26 Éric Chevillard, “Douze questions à Éric Chevillard : entretien avec Florin Leplâtre”, Inventaire / (...)
L’humour est une condition de ma littérature. J’ai essayé d’écrire un livre en m’en abstenant, si vous aviez vu la pauvre chose, il n’y avait pas d’humour, ça c’était réussi, mais pas de littérature non plus, par voie de conséquence.26
- 27 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p. 18.
- 28 Éric Chevillard, “Vous devriez raconter une histoire que tout le monde connaît déjà : entretien ave (...)
- 29 Éric Chevillard, Le désordre azerty, Paris, Minuit, 2014, p. 115.
10Il est certain qu’entre les termes d’ironie et d’humour, la préférence de Chevillard va instinctivement au dernier. Cela nous permet de le situer dans la filiation de Gilles Deleuze qui, dans un passage célèbre de la Logique du sens, faisait l’éloge de l’humour, cet “art de la surface”, au détriment de “la vieille ironie, art des profondeurs et des hauteurs”27. La passion de Chevillard pour l’humour se serait manifestée, à l’en croire, au début de sa carrière d’écrivain : “Faire apparaître la qualité poétique de l’humour, montrer à quel point humour et poésie peuvent se confondre, cela a été, très tôt, l’objet de mon travail”28. L’auteur s’est donné une mission : donner une dignité littéraire à un mode d’expression injustement méprisé par une partie de la critique savante. Ce qu’il entend montrer, à travers sa pratique, c’est que l’humour permet de porter un regard différent, nouveau et audacieux sur le monde. C’est “un sens, à l’instar de la vue, du toucher, du goût, de l’ouïe et de l’odorat”29 dont certains auteurs, pourtant célèbres, seraient lamentablement dépourvus :
- 30 Éric Chevillard, L’autofictif nu sous son masque : journal 2020-2021, Talence, L’arbre vengeur, 202 (...)
J’ai toujours eu un peu de mal à comprendre ces étudiants que leur thèse occupe quatre ou cinq années durant un travail acharné. J’en ai commencé une moi-même il y a trente secondes ; je la termine à l’instant. Il s’agit pourtant d’une somme que je crois exhaustive : L’Humour dans les œuvres parallèles de Jean-Marie Gustave Le Clézio et Patrick Modiano.30
- 31 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes. Comme si la situation pouvait empirer encor (...)
- 32 Éric Chevillard, “Thalassothérapie”, dans Feuilleton, op. cit., p. 186.
- 33 Éric Chevillard, Le désordre azerty, op. cit., p. 92.
- 34 Éric Chevillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 63.
11Le manque d’humour gêne Chevillard, lui rendant désagréable l’appréhension de certaines œuvres. Car il a parfois tendance à identifier l’humour à la Littérature, avec un grand L : “C’est l’écriture même. Je ne peux lire un livre qui en soit dépourvu”31. Pour être précis, il peut bien lire des ouvrages qui en sont dépourvus, mais le plaisir qu’il en tire est minime, voire nul. L’œuvre de Le Clézio, dans une chronique littéraire, est qualifiée de “littérature sans humour, sans réflexivité, qui croit en ses prodiges, une littérature d’enfant pour enfants”32. L’écriture transitive, sérieuse, qui “redouble inutilement le réel”33, lui paraît ingénue et barbante. Mais ce qui lui déplaît, ce n’est pas seulement une certaine littérature contemporaine. Dans L’auteur et moi, il constate que la pornographie et les textes sacrés se ressemblent en ce qu’ils sont totalement dépourvus d’humour et d’ironie ; rien d’étonnant à cela, ajoute-t-il : il s’agit dans les deux cas de “créer l’illusion et que l’on puisse y croire”34. Or, le temps des mirages romanesques est révolu. Désenchanté, le lecteur contemporain recherche autre chose que de la pornographie, des textes sacrés et des romans traditionnels. Selon Chevillard, ce dont il a besoin, c’est de réflexivité, d’irrévérence, d’imprévu, en somme, de surprises intellectuelles. Pour ce faire, il est essentiel de revitaliser la “langue”, en la libérant des clichés, des poncifs et des expressions figées qui l’ont alourdie au fil des siècles :
- 35 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes. Comme si la situation pouvait empirer encor (...)
Les mots sont chargés de trop de significations vieillies, avilies. L’emphase les a faussés. Nous ne pouvons plus nous en remettre à eux en confiance. Il faut ruser pour atteindre nos buts et feindre afin de mieux la dynamiter cette gravité inhérente à la langue, laquelle fut tout de même conçue pour garantir l’ordre social, pour servir la raison, et pour que rien de ce qui fut une première fois nommée ne bouge jamais plus.35
- 36 Éric Chevilard, “La littérature à la hussarde”, dans Feuilleton, op. cit., p. 309.
- 37 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes”, art. cit.
- 38 Éric Chevillard, Le caoutchouc décidément, op. cit., p. 7.
- 39 Cf. Giorgio Agamben, Che cos’è un dispositivo ?, Roma, Nottetempo, 2006.
- 40 Pierre Jourde, “Chevillard en vaillant petit tailleur de costards”, Critique, vol. 855‑856, n° 8‑9, (...)
12Il existe plusieurs méthodes pour accomplir de manière efficace cette mission de revitalisation du langage, considérée par Chevillard comme la tâche ultime de tout “bel écrivain”36 : l’humour en est une, et c’est celle que privilégie l’auteur. Cependant, ce mode d’expression n’est pas aussi direct, ouvert et simple à interpréter comme on le pense souvent. Il requiert plutôt une lecture minutieuse et attentive, apte à percevoir les inflexions presque imperceptibles que l’auteur donne à ses mots, instaurant une tension spécifique dans son texte qui peut à tout moment susciter une jubilation imprévue : “L’humour fait de la phrase une anguille. Son sens échappe d’abord, il faut s’y reprendre à plusieurs fois pour le saisir”37. En s’écartant d’un usage conventionnel du langage, l’humoriste ouvre une perspective nouvelle sur les choses, et hilarante de surcroît. Ainsi, il contribue indirectement à une “réorganisation globale et méthodique du système en vigueur”38, repoussant le moment où la langue se transformera en un pur “dispositif” de contrôle39. Ainsi, Pierre Jourde a raison lorsque, de manière surprenante au premier abord, il qualifie Chevillard d’“écrivain engagé”. Sa littérature, à bien y regarder, “a pour tâche de nous libérer des évidences et des représentations creuses, et de tenter de susciter une manière d’être au monde plus vivante, plus libre, plus créative, plus lucide et plus drôle”40.
- 41 Éric Chevillard, Le désordre azerty, op. cit., p. 116.
- 42 Ibid., p. 118.
- 43 Ibid., p. 116.
- 44 Ibid.
- 45 Ibid., p. 120.
- 46 Ibid.
- 47 Ibid.
- 48 Ibid.
13Au vu de ce qui précède, on serait tenté de conclure que Chevillard est un humoriste. Et c’est justement un portrait de cette figure, à laquelle il veut manifestement être identifié, qu’il esquisse dans un chapitre du Désordre azerty. Tentons de le résumer : l’humouriste, pour Chevillard, est structurellement tiraillé entre un désir de révolte et une profonde désillusion. Dans ce contexte, l’humour devient “une forme du dégoût”41, un moyen pour lui de manifester son rejet d’un monde hideux qu’il ne parviendrait pas à transformer : “L’humoriste est un humaniste abstrait, peu engagé”42 ; et la raison en est simple : “Il ne peut croire en rien”43. Le comique qui émane de sa prose provient d’un sentiment de décalage par rapport au monde. L'humoriste est un éternel insatisfait, un sceptique incurable qui démantèle sans relâche les rouages de la société et de l’existence humaine elle-même : “L’émotion ne le désarme pas, il n’en voit que le ridicule ou le convenu. L’homme est pour lui un robot et le monde une machine. Il démonte ces mécaniques”44. Il est par nature un écrivain isolé, sédentaire, enclin à la misanthropie, figé dans la “position du scribe”45, la seule qui lui convienne, ou un “rabat-joie”46. Ce n’est pas un hasard, alors, s’il est présenté au terme du chapitre comme un individu avec “le teint d’un croque-mort”47, pour qui “les cimetières sont les villes et les campagnes de ses promenades favorites”48.
- 49 Éric Chevillard, L’auteur et moi, Paris, Minuit, 2012, p. 241-242.
- 50 Pierre Schoentjes, “L’ironie contemporaine de la fugue à la fantaisie. Chevillard au risque de l’ir (...)
- 51 Éric Chevillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 242.
- 52 Ibid., p. 242.
14Ainsi conçu, l’humoriste imaginé par Chevillard ne semble pourtant pas très différent de l’ironiste, autre figure cruciale de son imaginaire, auquel il consacre un texte remarquable glissé dans une note infrapaginale de L’auteur et moi. Ce pseudo-pamphlet est présenté comme “la contribution de l’auteur à une enquête sur le thème de l’ironie demeurée inédite qu’il juge à propos de livrer ici in extenso”49 ; et ce n’est pas nécessaire de connaître l’intégralité de l’œuvre de Chevillard, considéré par Schoentjes comme “l’un des auteurs les plus incontestablement ironiques de sa génération”50 pour saisir, dès les premières lignes, que le texte doit être interprété entièrement à travers le prisme de l’antiphrase : “Il n’y a pas une once d’ironie dans mes livres. Tout y est marqué du sceau de la vérité, de la sincérité et de l’émotion”51. Indigné à l’idée que ses œuvres précédentes aient pu être associées, peut-être par un chercheur naïf, à ce mode expressif, l’auteur déclare solennellement n’avoir rien en commun avec “ces petits malins qui cherchent à paraître plus intelligents qu’ils ne le sont en laissant supposer que leurs platitudes dissimulent de sombres abîmes”52. Au contraire, toute son écriture se caractériserait par l’honnêteté et la transparence, et devrait être lue rigoureusement au premier degré :
- 53 Ibid., p. 242-243.
Si je dis blanc, c’est blanc, quand je dis chat, c’est chat, et si je dis chat blanc, je ne parle pas d’une taupe. Je hais l’allusion, l’ellipse, le sous-entendu, l’antiphrase, et même l’euphémisme ou la litote sont déjà pour moi de vicieuses autant que fastidieuses figures de la dissimulation. Il y a là-dessous une âme crapoteuse. Je veux une littérature sans chausse-trappe, sans afféteries, qui enregistre le réel d’un œil froid, comme la lumière même, je veux que tout ce qui s’inscrit n’ait de signification que littérale, comme la définition de la chaise par Larousse, siège à dossier sans bras, et quand je m’y laisse choir ne pas me retrouver assis dans un buisson d’orties.53
- 54 Ibid., p. 244.
- 55 Ibid.
- 56 Ibid.
15La conception de la littérature à laquelle l’auteur prétend souscrire dans ce passage est caricaturale : ce qu’il loue, c’est une écriture manifestement banale, ingénue, truffée de clichés et de poncifs littéraires, ridicule dans sa mièvrerie. Sa prérogative est de peindre “les plus pathétiques ou tragiques tableaux de l’humaine condition”54, chatouillant le cœur des “lecteurs épris des sentiments les plus nobles”55. En tant que telle, elle s’oppose structurellement à la prose ironique, destinée à ne provoquer rien d’autre que “les ricanements complices de célibataires misanthropes, morbides et répugnants dont la vie est une succession d’échecs, de fiascos sexuels, de contre-performances et de déroutes”56.
- 57 Ibid.
- 58 Ibid.
16Comme on le voit, l’énonciateur apporte à cette figure rhétorique une condamnation éminemment morale qui, en vertu de son caractère grotesque et disproportionné, ne peut qu’apparaître hilarante. Cela dit, le thème profond du pseudo-pamphlet nous semble être moins l’ironie que la posture de Chevillard. Dès le début, ce dernier s’efforce fanatiquement de corriger sa réputation dans le but de dissiper, une fois pour toutes, un fâcheux “malentendu”. Plus que l’ironie, ce qui suscite son indignation, c’est la figure de l’ironiste, ce “sale type pervers qui abuse de la naïveté des jeunes filles et de la candeur confiante de ses lecteurs”57. Chevillard ne supporte pas qu’on ait pu l’approcher avec un tel personnage : “C’est n’avoir rien compris à mes livres !”58. De fait, le texte crée une dichotomie entre ce personnage machiavélique et l’auteur lui-même, qui se présente comme un homme si sincère, candide et simplet qu’il en paraît ridiculement obtus :
- 59 Ibid. p. 245.
Mon teint est rose, mon regard clair. Certains trouveront l’expression de mon visage un peu niaise. Plutôt ça que l’atroce rictus de l’ironie, ce masque de Voltaire creusé par Léautaud qui n’aura bientôt plus de joues du tout. Pas moi, ce n’est pas moi, c’est mal me connaître. Que l’on puisse penser cela de moi me désespère.59
- 60 Éric Chevillard, “Portrait craché du romancier en administrateur des affaires courantes”, R de réel(...)
- 61 Éric Chvillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 243.
17Une fois décrypté, le passage révèle le véritable point de vue de Chevillard sur le sujet traité : l’ironie est une pratique qui lui est non seulement habituelle, mais aussi nécessaire pour échapper à l’affectation, aux poncifs littéraires, à la platitude d’une rhétorique réaliste de “bon vieux roman”60. De même, loin de se configurer dans l’esprit du lecteur comme un homme excessivement mielleux, l’auteur de ces lignes s’avère finalement n’être qu’une variante de cette “âme crapoteuse”61 qu’il fait semblant de réprouver : un habile ironiste qui joue systématiquement sur les doubles sens, les seconds degrés et la dissimulation. Le fait est que, alors même qu’il la vitupère, il recourt à l’ironie tout au long du texte, déjouant le sens de son discours au moment même où il l’énonce ou, plutôt, suggérant qu’il faut le lire à l’envers. Ce qui est formulé ici, en somme, c’est un éloge paradoxal de cette figure.
- 62 Philippe Hamon, L’ironie littéraire : essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette, (...)
- 63 Ibid.
- 64 Ibid, p. 61.
- 65 Ibid.
- 66 Ibid., p. 60.
- 67 Ibid.
- 68 Ibid.
- 69 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, op. cit., p. 99.
- 70 Philippe Hamon, op. cit., p. 62.
- 71 Ibid.
18Dans son essai sur L’ironie littéraire, Philippe Hamon pose une distinction entre le “discours sérieux” et le “discours ironique”. Le premier “croit à l’adéquation des mots aux choses”62 et se voudrait “en prise permanente sur le réel”63 : il craint la polysémie et aspire plutôt, comme tous les “discours d’autorité”64, à “produire un message monologique, compréhensible par tous”65. Dans ce domaine, l’universitaire inclut “tous les discours opératoires qui ont vocation à dire le réel et à le transformer”66, et qui s’efforcent de “faire croire avec”67, c’est-à-dire de donner au lecteur le sentiment d’appartenir à une communauté de croyants (les “lecteurs épris des sentiments plus nobles” dont parle Chevillard). À cette fin, il a besoin d’établir une certaine figure d’auteur sincère et digne de confiance. L’écrivain “sérieux” se proposera alors comme un auteur “objectif, savant, cohérent, maître de son discours et ‘franc’ avec son lecteur qu’il ne cherche pas à tromper”68. A contrario, le “discours ironique” a pour vocation la subversion, la perversion des codes et des langages figés, bref, la destruction (Schoentjes dit, à ce propos, que l’ironie est plutôt l’affaire du “sapeur” que du “terrassier”69). C’est un discours qui, s’il parle du réel, le fait de manière oblique (“l’adéquation au réel n’est jamais nette”70), et vise à ébranler les fausses croyances qui assurent la cohésion d’une société. Par définition polysémique, parcouru par d’autres discours, ou fondé sur le choc perpétuel de nombreuses voix, il n’impose jamais un sens univoque, et tend finalement à obscurcir sa source. L’ironiste constitue donc l’antithèse de l’écrivain sérieux : c’est un énonciateur partiel, incohérent et opaque, qui “souhaite être plutôt compris que cru ou vérifié”71.
- 72 Éric Chevillard, “Je devenais moi-même un personnage de la grande fiction littéraire : entretien av (...)
- 73 Philippe Hamon, op. cit., p. 4.
- 74 Éric Chevillard, “Douze questions à Éric Chevillard”, art. cit.
19Nous pensons qu’Éric Chevillard souscrirait sans réserve à ces propos. La prose ironique est conçue par lui comme une réaction à une écriture candide, naïve, transitive, qui croit naïvement en ses propres “prodiges”, enfin une écriture encline au pathétisme qu’il trouve intrinsèquement insupportable en raison de sa mièvrerie, et dont la littérature contemporaine lui offre, hélas, un échantillon désolant – d’où la nécessité de prendre position : “Je combats l’esprit de sérieux, la solennité, toutes les postures d’autorité. Ce n’est pas en leur opposant un discours tout aussi empreint de gravité que j’arriverai à mes fins”72. Or, la prédilection pour l’ironie, que Philippe Hamon considère comme une “posture d’énonciation-type intégrée à l’énoncé”73 a des répercussions décisives sur l’image publique d’Éric Chevillard. Il en est parfaitement conscient et, se présentant comme un ironiste, voire un humoriste, il vise, entre autres, à se différencier de toute une série d’auteurs ridiculement solennels qui infestent, à l’en croire, les chaînes de télévision et de radio de son époque : “Vous voyez que je ne me moque pas tant que ça de l’écriture, ce sont plutôt certaines postures crispées de l’écrivain qui suscitent mon ironie”74. Or l’un des objectifs de Chevillard est justement de réinventer la figure de l’écrivain à l’époque actuelle.
L’homme qui rit
- 75 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, art. cit., p. 167.
- 76 Ibid.
- 77 De même, selon Dominique Noguez, l’une des caractéristiques de l’humour réside dans sa capacité à d (...)
- 78 Éric Chevillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 243. Je remercie Denis Saint-Amand pour cette sugges (...)
- 79 Ibid.
- 80 Ibid.
- 81 Ibid.
20Dans l’article cité au début de cette étude, Christelle Reggiani et Florence Leca-Mercier proposent d’examiner les différences entre l’ironie et l’humour à la lumière de l’ethos, c’est-à-dire de l’image de soi qu’un locuteur produit par le biais de son discours, et qui peut contribuer de diverses manières à légitimer ce dernier. La manière de se présenter d’un écrivain, selon les chercheuses, varie considérablement s’il pratique l’un ou l’autre mode d’expression : “position basse ou humble pour l’humoriste, position de supériorité de l’ironiste, qui s’érige en moraliste et ne s’inclut pas dans les victimes de l’humour”75. Dans cette perspective, l’ironiste placerait une barrière rigide entre lui et le monde extérieur. Agressifs, ses propos blessent les autres, tandis que lui, strictement invisible, se tient à l’abri de toute attaque : “Alors que l’ironiste s’efface, l’humoriste se met en volontiers en scène”76. Cette conclusion est contestable, car l’ironiste, comme le démontre le paragraphe précédent, ne se cache pas nécessairement77. Bien au contraire, il se construit par les mots un personnage d’écrivain instable, insaisissable et ambigu, que certains trouveront antipathique, imputant ce perpétuel jeu de cache-cache à une stratégie rhétorique relevant de la fourberie ou de la lâcheté. Comme le dit Chevillard, l’ironiste est une “anguille visqueuse”78, un individu qui “voudrait n’être dupe de rien, ni de lui-même, ni des autres, ni des mots ni des lettres qui les composent”79 et qui, se dérobant sans cesse à notre regard, “se couvre de tous les côtés”80. De plus, il est souvent perçu comme un individu cynique, moqueur et méprisant. S’adressant à un ironiste abstrait, Chevillard s’écrie : “tu manques d’eau, tu souffres en vérité de ton insensibilité, de ton indifférence, tu es un être de papier, exsangue et sans épaisseur, incapable de la moindre sympathie et qui ne connaît en fait de tendres caresses que la chiquenaude et la brûlure indienne !”81.
- 82 Texte original : “He cultivated a stoic and reserved mien while being secretly amused by the vaniti (...)
- 83 Texte original : “Irony, in this sense, refers to a particular sort of affectation. It describes a (...)
21Il n’en reste pas moins que de nombreux lecteurs, y compris le vrai Chevillard, peuvent trouver quelque chose de fascinant dans une telle démonstration systématique de cynisme assaisonné de sophistication intellectuelle. Dans un essai consacré à l’ironie et au sarcasme, le psychologue américain Roger Kreuz avance que Lord Shaftesbury, nonobstant ses contributions philosophiques et littéraires, est aujourd’hui “retenu” essentiellement pour son personnage d’ironiste : “Il cultivait un air stoïque et réservé tout en s’amusant secrètement des vanités des autres”82. De même, il observe que le mot “ironie” est souvent utilisé en anglais pour décrire un type de conduite, une façon de se comporter dans la vie quotidienne, voire un ethos : “L’ironie, dans ce sens, se réfère à une sorte d’affectation particulière. Elle désigne une personne dont l’attitude est à la fois détachée et cynique, malicieuse et méprisante, enjouée et désinvolte”83.
- 84 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, art. cit., p. 168.
- 85 Éric Chevillard, “Vous devriez raconter une histoire que tout le monde connaît déjà”, art. cit.
- 86 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes”, art. cit.
- 87 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, op. cit., p. 223.
- 88 Ibid.
- 89 Olivier Bessard-Banquy, “La relation amoureuse chez les ‘jeunes auteurs de Minuit’”, dans Bruno Bla (...)
- 90 Ibid.
- 91 Éric Chevillard, “Le monde selon Crab : entretien avec Richard Robert”, Les Inrockuptibles, vol. 47 (...)
22Jusqu’à présent, nous n’avons pas pu établir si la prose de Chevillard devait être associée à l’ironie ou à l’humour. La proposition de Leca-Mercier et Reggiani d’utiliser le mot-valise “humouronie” pour désigner cet espace “indécidable”84, quelque part entre les deux pratiques, ne nous paraît pas convaincante, car cette notion reste floue malgré les efforts des chercheuses, et difficile à manier dans le cadre de l’analyse d’un texte littéraire. Il serait donc préférable de regrouper les deux procédés, auxquels Chevillard recourt alternativement, sous la catégorie générale du “rire”, un phénomène qu’il valorise fréquemment : “C’est vraiment central. Je me demande même si ce n’est pas à l’origine de mon désir d’écrire”85. En effet, le rire est considéré par Chevillard comme l’exutoire idéal à la fois de l’humour et de l’ironie. C’est à cette catégorie qu’il aimerait que l’on associe l’ensemble de sa production littéraire : “Il me semble que toute phrase aspire à se dénouer dans un rire”86. On constate à quel point la conception du rire selon Chevillard diffère de celle proposée par Schoentjes. Pour l’auteur de Démolir Nisard, cette réaction physiologique n’entraîne aucune “dégradation”87 du public, effet d’une “anesthésie de l’esprit qui fait taire la raison”88 ; au contraire, il aspire à une sorte de réconfort ou de délivrance. En fait, le rire suscité par les œuvres de Chevillard est censé être intelligent, brillant, libérateur, ou, comme le dit Olivier Bessard-Banquy, “salutaire”89, car il aide le lecteur à “sublimer l’épouvantable banalité de sa propre histoire”90. L’écrivain l’envisage comme une ressource littéraire de premier plan, un effet corporel destiné à stimuler la “merveilleuse intelligence”91 de son lecteur. On notera également que, même dans ses manifestations les plus brutales, il dénote à ses yeux une certaine légèreté enfantine :
- 92 Éric Chevillard, “La littérature commence avec le refus de se plier aux faits : entretien avec Blan (...)
Le rire a toutes les qualités, il croise l’ironie, le dépit, la joie, le plaisir, il rencontre l’émotion, la colère, la compassion, la tristesse, la fantaisie, mais il est vrai que tout ce que j’écris aspire à ce soulagement, à cette délivrance. Je ne peux davantage brider mon rire en écrivant que lorsqu’une chèvre me lèche la plante des pieds, c’est ainsi. Je constate que de nombreux lecteurs sont naïvement impressionnés par le ton d’un livre et ne considèrent gravement que ceux qui traitent gravement de sujets graves. Mais si je me penche sur le destin d’une orpheline unijambiste, je ne pourrai pas m’empêcher – oh j’essaierai bien de retenir mon geste, mais en vain – de lui couper l’autre jambe.92
- 93 Avertissement : l’allusion au célèbre roman de Victor Hugo peut être trompeuse, car son protagonist (...)
- 94 Éric Chevillard, Le désordre azerty, op. cit., p. 116.
23Ce passage permet de mettre en évidence une caractéristique intéressante de la “posture auctoriale” d’Éric Chevillard. Car l’auteur d’Oreille rouge se présente volontiers dans ses textes comme un individu qui, bien qu’empêtré dans son désenchantement, a gardé une tendance innée, presque puérile, au rire, qui se déchaîne chaque fois que son regard se pose sur une contradiction du monde extérieur ou sur une dissonance du langage. Chevillard aime se présenter, en somme, comme un homme qui rit93. L’humoriste idéalisé, dans Le désordre azerty, est présenté comme un individu qui “trouve de quoi rire en toute chose”, comme s’il répondait à une pulsion physique irrésistible : “On peut lui appuyer n’importe où sur le corps, il rit”94. Or, quelques années plus tôt, l’auteur écrivait dans Le vaillant petit tailleur :
- 95 Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Paris, Minuit, 2011, p. 21.
Trompeuse pourrait être aujourd’hui ma réputation d’écrivain sarcastique incapable de contenir le fou rire qui monte en lui en toute circonstance de la vie et même au nez du mort, riant de la veuve sanglotante, ce rire redoublant devant la pauvre mine de l’orpheline, et pour peu que le cadavre étendu sur le dos entre quatre longs cierges jaunes porte les marques de la maladie ou de l’accident qui ont fait de lui ce qu’il est, riant à en perdre le souffle de sa tête creusée ou démolie, ou enflée comiquement, riant de toute manière et de toutes les façons de l’homme mort ou vif, comme si j’étais déjà son lointain descendant mieux profilé et plus malin95
- 96 Alain Vaillant, “La subjectivation comique”, dans Alain Vaillant, Matthieu Letourneux, (dir.), L’em (...)
- 97 Ibid.
24Signalons que la phrase s’étend sur plusieurs pages et se termine sans point, comme si l’auteur s’était forcé à mettre fin brutalement à une liste qui, sans cela, aurait continué à s’allonger à l’infini. Évidemment, Chevillard s’amuse ici à se caricaturer lui-même, et en particulier cette attitude cynique et insensible (encore l’image de l’orpheline désespérée) qu’on associe fréquemment à sa posture d’ironiste. Tout cela n’est pas sans rapport, nous semble-t-il, avec le principe de la “subjectivation comique”, terme par lequel Alain Vaillant désigne “la perception heureuse que le rieur, par son rire même, a de sa subjectivité”96, ainsi que “le plaisir, éprouvé symétriquement par [les lecteurs], d’avoir accès à la subjectivité du rieur”97. En lisant les livres de Chevillard, on est naturellement amené à fantasmer sur la personnalité de l’écrivain drolatique, irrévérencieux et quelque peu enfantin qui les a rédigés ; et ce dernier, parfaitement conscient de ces mécanismes, répond à la fois à cette attente commune et la problématise, se mettant en scène sur un mode manifestement auto-ironique, de manière à se rendre finalement insaisissable, tout en développant un réjouissant jeu réflexif sur sa propre réputation.
25De même, ce choix de se présenter sous les traits d’un homme qui rit nous invite à associer le personnage auctorial d’Éric Chevillard à la figure du “serial rieur” qui, selon le même chercheur, a pris forme à la fin du xixe siècle. On rappellera ici que, selon Vaillant, la culture de l’humour moderne a été profondément influencée par l’essor et la diffusion des médias périodiques. Cette transformation sociale a en effet favorisé l’émergence d’un nouveau type de comique, qui trouve sa raison d’être dans la répétition :
- 98 Alain Vaillant, “Portrait de l’humoriste moderne en serial rieur : à propos d’Alphonse Allais”, Bel (...)
À l’opposé de l’actualité, la sérialité vise à établir une régularité, à susciter un rythme de consommation par le retour des mêmes rubriques, par la satisfaction des mêmes attentes, si bien que le plaisir de repérer cette régularité et cette identité, précédé de l’attente de ce plaisir, finit par constituer la principale jouissance que le lecteur retire du journal.98
- 99 Ibid., § 3.
26Dans une telle perspective, Alphonse Allais peut être considéré comme “l’artiste majeur du rire moderne”99, car il a su exploiter mieux que tout autre le potentiel de la répétition et de la sérialité pour créer un lien unique avec son public, fondé sur la reconnaissabilité et l’anticipation du rire, ainsi que sur la fabrication progressive d’un personnage auctorial aux traits singuliers, avec lequel les lecteurs de l’époque pouvaient facilement sympathiser :
- 100 Ibid., § 11.
son humour ne repose pas sur les “mots d’auteur”, sur ces sentences ironiquement frappées qui, grâce à leur bon sens lapidaire, sont censées mettre les rieurs du côté du personnage (et, à travers lui, de l’auteur), mais sur des “gimmicks”, sur des procédés, des tics ou des motifs qui n’ont pas de valeur en soi, mais dont la fonction est de désigner la manière de l’humoriste et d’esquisser en creux, par la régularité même de leur retour, sa vraie personnalité.100
- 101 Ibid., §3.
27Cette répétition systématique de motifs ou de procédés n’est jamais banale ou prévisible, mais devient au contraire le vecteur d’une expérience comique sans cesse renouvelée, alimentant le désir du public de revenir, épisode après épisode, à la source de ce rire, et de fantasmer sur la personnalité qui en est à l’origine. En ce sens, on pourrait s’aventurer à dire qu’Alphonse Allais est “l’un des authentiques génies de la culture française du xixe siècle, à côté des plus grands écrivains”101. Le fait est qu’il a forgé la figure de “l’humoriste”, que Vaillant définit comme suit :
- 102 Ibid., nous soulignons.
ni un acteur comique jouant un rôle de fiction pour provoquer l’hilarité, ni un ironiste dont la satire indirecte a une fonction de dénonciation politique ou sociale, mais un professionnel du rire qui s’adresse au public en son nom propre et dans le but explicite, sinon exclusif, de le faire rire. Il apparaît d’ailleurs lui-même de façon volontairement ambiguë comme la première victime de son propre rire et pour cette raison il bénéficie en retour de la part de son public d’une authentique popularité.102
- 103 José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire : scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Cha (...)
- 104 Denis Saint-Amand, Le style potache, Genève, La Baconnière, 2019.
28Bien sûr, Chevillard récuserait l’idée que toute son œuvre se réduise au rire, et d’ailleurs des passages sincères, graves et même poignants se retrouvent dans ses ouvrages les plus récents. Néanmoins, il semble avoir en commun avec l’auteur du Captain Cap, outre une passion pour le bestiaire et les calembours, un certain esprit espiègle et léger, ainsi que la capacité de jouer sur le potentiel de sérialité et de répétition du rire, éventuellement à l’aide des médias périodiques, pour donner à ses textes une tonalité reconnaissable. Enfin, lui aussi s’est fabriqué en parallèle de son œuvre un personnage singulier d’“enfant capricieux”103 ou, si l’on préfère, d’écrivain “potache”104 avec lequel ses lecteurs assidus sont devenus de plus en plus familiers.
- 105 Éric Chevillard, “Le tombeau d’Alexandre Jardin”, Hesperis, vol. 6, 2000 ; disponible sur : <http:/ (...)
- 106 Ibid.
- 107 Ibid.
- 108 Ibid.
- 109 Ibid. Pour une analyse approfondie de ce texte, nous renvoyons à Denis Saint-Amand, “Démolir Jardin (...)
- 110 Un exemple parmi d’autres est la phrase suivante, extraite d’Oreille rouge, qui fait allusion à la (...)
29Ces mêmes lecteurs sont d’ailleurs continuellement évoqués par Chevillard au sein de ses œuvres, et impliqués dans le jeu de l’ironie. Dans un vieux Tombeau d’Alexandre Jardin, l’auteur les désignait comme “une poignée de mâles solitaires vraisemblablement malpropres et malodorants, tant obsédés par le fait littéraire qu’ils en négligent les soins de la plus élémentaire hygiène”105. Intellectuellement exigeants, antisociaux et scandaleusement démunis, ils s’opposeraient structurellement, du fait même de leur apparence physique, aux “lectrices bronzées”106 sur lesquelles peut compter son ennemi Jardin, ces “trois cent mille ingénues”107 qui “bronzent en lisant dans les squares ou sur les plages, nues presque”108, alors que les lecteurs de Chevillard “s’emmitouflent dans les chambrettes cafardeuses de leurs interminables hivers et célibats sans fin”109. Ces derniers sont les destinataires privilégiés des nombreux “gimmicks” ou tics stylistiques dont Chevillard truffe sciemment ses textes ; c’est pour eux, encore, que Chevillard dissémine dans ses livres une myriade de “private jokes” ou de références amusées à ses ouvrages antérieurs110. Cela lui permet d’établir une relation particulière avec son public, une relation de connivence scellée par des “ricanements” conjoints.
- 111 Cf. David Vrydaghs, “Quand un blog devient une œuvre : L’Autofictif d’Éric Chevillard”, Mémoires du (...)
- 112 Blanche Cerquiglini, “Le sabotage Chevillard”, Critique, vol. 855-856, n° 8-9, 2018, p. 680.
- 113 Ibid.
30Cette tendance de Chevillard à jouer sur les potentialités de la sérialité semble s’être intensifiée au cours des dernières décennies, au moment où il commence à produire une quantité dense de textes de circonstance et de performances diverses qui dépassent sa simple activité de romancier, et qui lui permettent, entre autres, de mieux préciser son idée de littérature. On songe à son expérience de chroniqueur littéraire pour Le Monde des Livres, aux entretiens qu’il accorde en abondance depuis son entrée dans le champ littéraire et, surtout, à son blog L’autofictif, rédigé d’une manière infatigable depuis 2007, et basé sur une contrainte rigoureuse : trois aphorismes par jour, tous les jours, qui peuvent porter sur les sujets les plus variés111. C’est en effet dans les pages du blog que Chevillard a le plus systématiquement exploré les potentialités de la sérialité, développant au fil des ans toute une galerie de personnages récurrents (le gros célibataire, la joggeuse au petit caleçon court…), de situations typiques, de topoï rhétoriques que ses plus fidèles lecteurs ont appris à reconnaître et à apprécier comme tels – en vertu même de leur récursivité, qui crée un effet de familiarité propice à la délectation. La question est maintenant de savoir si l’on doit considérer le blog, les entretiens, les préfaces et les chroniques littéraires comme un appendice à l’œuvre de Chevillard ou comme une partie intégrante de celle-ci. Nous penchons pour la seconde option, rejoignant Blanche Cerquiglini lorsqu’elle affirme que, “comme un artiste, Chevillard infuse de son art tous les domaines qu’il touche”112, et que son œuvre entière gagnerait par conséquent à être pensée à la lumière de “l’idée d’art total”113. On serait tenté d’ajouter que cette production diversifiée pourrait être considérée même comme une longue et complexe “performance auctoriale”, destinée à porter l’attention, avant tout, sur l’étrange personnage d’écrivain insaisissable que Chevillard a sciemment peaufiné tout au long de sa carrière. En ce sens, le blog L’autofictif, qui est en quelque sorte une démonstration de bravoure permanente (il ne se passe pas un jour sans que l’auteur ne poste ses trois billets), en illustrerait la quintessence.
31Pour conclure, nous pouvons dire que le type d’écriture développé par Chevillard au cours de sa carrière marque une évolution de cette verve moderne, fondée sur la sérialité et la répétition, qui selon Alain Vaillant s’est imposée à la fin du xixe siècle, et que son personnage d’écrivain, bien résumé dans l’image d’un homme qui rit, loin d’être le pendant anodin de ses œuvres, en représente peut-être le noyau le plus dur – variante contemporaine de cette figure du “serial rieur” qu’Alphonse Allais avait incarné pour la première fois sur le plan littéraire. Que l’on décide d’associer cela à l’ironie ou à l’humour n’a, en fin de compte, qu’une importance relative.
Note de fin
1 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, “L’‘humouronie’ de Jean Echenoz”, Roman 20-50, vol. 70, 2021, p. 167.
2 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, Paris, Points, 2001, p. 222.
3 Ibid.
4 Ibid., p. 223.
5 Ibid., p. 222.
6 Ibid.
7 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, art. cit., p. 167.
8 Selon d’autres chercheurs, comme Alain Vaillant, la différence entre l’ironie et l’humour réside dans le fait que la première est une figure, alors que le second est une forme particulière du rire. La satire et l’humour peuvent tous deux recourir à l’ironie, mais à des fins pragmatiques différentes, que l’analyste devrait mettre en évidence. Ceci montre, au moins, que les conceptualisations de ces phénomènes sont extrêmement variées. Cf. Alain Vaillant, La civilisation du rire, Paris, CNRS éditions, 2016, p. 143 et s.
9 Ibid., p. 168.
10 Gilles Lipovetsky, L’ère du vide : essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 2022, p. 226.
11 Alain Vaillant, La Civilisation du rire, op. cit., p. 143.
12 Catherine Kerbrat-Orecchioni, “L’ironie comme trope”, Poétique, n° 41, 1980, p. 119.
13 Stéphane Chaudier, “Ironie pas morte : Nicolas Mathieu contre le politiquement correct”, Carnets, vol. 23, “Inactualité de l’ironie ?”, 2022 ; disponible sur : <http://journals.openedition.org.bibelec.univ-lyon2.fr/carnets/13653> (consulté le 4/04/2023).
14 Mathieu Delaveau, “Bêtise de l’intelligence”, Carnets, vol. 23, “Inactualité de l’ironie ?”, 2022 ; disponible sur : <https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/carnets/13440?lang=fr> (consulté le 10/04/2023).
15 Olivier Bessard-Banquy, L’industrie des lettres, Paris, Pocket, 2012, p. 155.
16 Ibid., p. 412.
17 Jérôme Meizoz, La littérature “en personne”. Scène médiatique et formes d’incarnation, Genève, Slatkine, 2016, p. 125.
18 Un exemple parmi d’autres : dans une scène célèbre du Bavard, le narrateur, après avoir enfin dit à la femme qui l’attire toutes les pensées qui agitent son âme, est contraint d’assister à une réaction inattendue. En effet, celle-ci, ainsi que toutes les personnes présentes dans le dancing miteux où se déroule la scène, lui rit au nez, l’obligeant à quitter brusquement l’endroit sous le coup de la honte et de la colère. Plus tard, errant dans les rues, le protagoniste ne se remet pas de ce qui s’est passé, et assume l’entière responsabilité de ce “rire” humiliant, qu’il interprète comme une “juste sanction” pour s’être imprudemment exposé devant “un public si vaste et de qualité si médiocre”. Il conclut : “je m’étais brisé cruellement sur l’ironie”. Louis-René des Forêts, Le bavard, dans Œuvres complètes, éd. Dominique Rabaté, Paris, Gallimard, 2015, p. 565-566.
19 Cf. infra.
20 Denis Saint-Amand, Léa Tilkens, “Ce qu’Éric Chevillard fait à la critique académique”, COnTEXTES (En ligne), Varia, 2017; disponible sur : <http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/contextes/6283> (consulté le 04/06/2024), § 15.
21 Ibid.
22 Rappelons que ce terme est utilisé par Jérôme Meizoz pour désigner “la présentation de soi d’un écrivain, tant dans sa gestion du discours que dans ses conduites littéraires publiques”. Jérôme Meizoz, Postures littéraires II : la fabrique des singularités, Genève, Slatkine, 2011, p. 83.
23 Éric Chevillard, Le caoutchouc décidément, Paris, Minuit, 1992, p. 122.
24 Éric Chevillard, “Frère lumière”, dans Feuilleton : chroniques pour Le Monde des livres (2011-2017), Genève, La Baconnière, 2018, p. 293
25 Ibid.
26 Éric Chevillard, “Douze questions à Éric Chevillard : entretien avec Florin Leplâtre”, Inventaire / Invention, 2006 ; disponible sur : <https://www.eric-chevillard.net/e-inventaireinvention.html> (consulté le 20/03/2023).
27 Gilles Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1969, p. 18.
28 Éric Chevillard, “Vous devriez raconter une histoire que tout le monde connaît déjà : entretien avec Nicolas Vives”, PAGE des libraires, vol. 85, 2003 ; disponible sur : <https://www.eric-chevillard.net/e-page2003.html> (consulté le 20/03/2023)
29 Éric Chevillard, Le désordre azerty, Paris, Minuit, 2014, p. 115.
30 Éric Chevillard, L’autofictif nu sous son masque : journal 2020-2021, Talence, L’arbre vengeur, 2022, p. 100 (23 janvier).
31 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes. Comme si la situation pouvait empirer encore ! Entretien”, Article 11 (En ligne), 2008 ; disponible sur : <https://www.article11.info/?Eric-Chevillard-J-admire-l> (consulté le 23/03/2023).
32 Éric Chevillard, “Thalassothérapie”, dans Feuilleton, op. cit., p. 186.
33 Éric Chevillard, Le désordre azerty, op. cit., p. 92.
34 Éric Chevillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 63.
35 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes. Comme si la situation pouvait empirer encore ! Entretien”, art. cit.
36 Éric Chevilard, “La littérature à la hussarde”, dans Feuilleton, op. cit., p. 309.
37 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes”, art. cit.
38 Éric Chevillard, Le caoutchouc décidément, op. cit., p. 7.
39 Cf. Giorgio Agamben, Che cos’è un dispositivo ?, Roma, Nottetempo, 2006.
40 Pierre Jourde, “Chevillard en vaillant petit tailleur de costards”, Critique, vol. 855‑856, n° 8‑9, 2018, p. 703.
41 Éric Chevillard, Le désordre azerty, op. cit., p. 116.
42 Ibid., p. 118.
43 Ibid., p. 116.
44 Ibid.
45 Ibid., p. 120.
46 Ibid.
47 Ibid.
48 Ibid.
49 Éric Chevillard, L’auteur et moi, Paris, Minuit, 2012, p. 241-242.
50 Pierre Schoentjes, “L’ironie contemporaine de la fugue à la fantaisie. Chevillard au risque de l’ironie”, dans Pierre Schoentjes, Didier Alexandre (dir.), L’ironie : formes et enjeux d’une écriture contemporaine, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 223.
51 Éric Chevillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 242.
52 Ibid., p. 242.
53 Ibid., p. 242-243.
54 Ibid., p. 244.
55 Ibid.
56 Ibid.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Ibid. p. 245.
60 Éric Chevillard, “Portrait craché du romancier en administrateur des affaires courantes”, R de réel, vol. 9, 2001 ; disponible sur : <http://rdereel.free.fr/volJZ1.html> (consulté le 20/03/2023)
61 Éric Chvillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 243.
62 Philippe Hamon, L’ironie littéraire : essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette, 1996, p. 60.
63 Ibid.
64 Ibid, p. 61.
65 Ibid.
66 Ibid., p. 60.
67 Ibid.
68 Ibid.
69 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, op. cit., p. 99.
70 Philippe Hamon, op. cit., p. 62.
71 Ibid.
72 Éric Chevillard, “Je devenais moi-même un personnage de la grande fiction littéraire : entretien avec Eléonore Sulser”, Le Temps (En ligne), 2018 ; disponible sur : <https://www.letemps.ch/culture/livres/devenais-moimeme-un-personnage-grande-fiction-litteraire> (consulté le 20/03/2023).
73 Philippe Hamon, op. cit., p. 4.
74 Éric Chevillard, “Douze questions à Éric Chevillard”, art. cit.
75 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, art. cit., p. 167.
76 Ibid.
77 De même, selon Dominique Noguez, l’une des caractéristiques de l’humour réside dans sa capacité à dissimuler – à rire sous cape. Cf. Dominique Noguez, L’arc-en-ciel des humours : Jarry, Dada, Vian, etc., Paris, Hatier, 1996.
78 Éric Chevillard, L’auteur et moi, op. cit., p. 243. Je remercie Denis Saint-Amand pour cette suggestion.
79 Ibid.
80 Ibid.
81 Ibid.
82 Texte original : “He cultivated a stoic and reserved mien while being secretly amused by the vanities of others”. Dans Roger Kreuz, Irony and sarcasm, Cambridge, MA, The MIT Press, 2020, p. 38. Nous traduisons.
83 Texte original : “Irony, in this sense, refers to a particular sort of affectation. It describes a person whose disposition is detached, but also cynical ; wry, but also scornful ; hip, but also flippant”. Ibid.
84 Florence Leca-Mercier, Christelle Reggiani, art. cit., p. 168.
85 Éric Chevillard, “Vous devriez raconter une histoire que tout le monde connaît déjà”, art. cit.
86 Éric Chevillard, “J’admire l’angélisme des pessimistes”, art. cit.
87 Pierre Schoentjes, Poétique de l’ironie, op. cit., p. 223.
88 Ibid.
89 Olivier Bessard-Banquy, “La relation amoureuse chez les ‘jeunes auteurs de Minuit’”, dans Bruno Blanckeman, Marc Dambre (dir.), Romanciers minimalistes (1979-2003), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2012, p. 163.
90 Ibid.
91 Éric Chevillard, “Le monde selon Crab : entretien avec Richard Robert”, Les Inrockuptibles, vol. 47, 1993 ; disponible sur : <https://www.eric-chevillard.net/e-inrocks1993.html> (consulté le 22/04/2024).
92 Éric Chevillard, “La littérature commence avec le refus de se plier aux faits : entretien avec Blanche Cerquiglini”, Critique, vol. 767, n° 4, 2011, p. 311.
93 Avertissement : l’allusion au célèbre roman de Victor Hugo peut être trompeuse, car son protagoniste, Gwynplaine, est l’antithèse exacte d’un rieur, comme l’observe Vaillant : “Il est, chirurgicalement parlant, le rire incarné : son visage charcuté a été transformé en un hideux rictus, qui s’accentue encore dans les moments émouvants. Plus il veut manifester des sentiments sincères, plus il devient risible. Il est le contraire de l’ironiste. L’ironiste rit pour ne pas être obligé de parler sincèrement ; Gwynplaine, au contraire, rit parce qu’il ne parvient pas à dissimuler ses sentiments”. Alain Vaillant, op. cit., p. 178.
94 Éric Chevillard, Le désordre azerty, op. cit., p. 116.
95 Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Paris, Minuit, 2011, p. 21.
96 Alain Vaillant, “La subjectivation comique”, dans Alain Vaillant, Matthieu Letourneux, (dir.), L’empire du rire (xixe-xxie siècle), Paris, CNRS éditions, 2021, p. 196.
97 Ibid.
98 Alain Vaillant, “Portrait de l’humoriste moderne en serial rieur : à propos d’Alphonse Allais”, Belphégor (En ligne), vol. 14, 2016 ; disponible sur : <https://journals-openedition-org.bibelec.univ-lyon2.fr/belphegor/740?lang=en (consulté le 30/05/2024)>, § 5.
99 Ibid., § 3.
100 Ibid., § 11.
101 Ibid., §3.
102 Ibid., nous soulignons.
103 José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire : scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion, 2017, p. 532.
104 Denis Saint-Amand, Le style potache, Genève, La Baconnière, 2019.
105 Éric Chevillard, “Le tombeau d’Alexandre Jardin”, Hesperis, vol. 6, 2000 ; disponible sur : <http://www.vincent-roca.com/docsite/158/Le-tombeau-d-Alexandre-Jardin-Chevillard.pdf> (consulté le 05/06/2024).
106 Ibid.
107 Ibid.
108 Ibid.
109 Ibid. Pour une analyse approfondie de ce texte, nous renvoyons à Denis Saint-Amand, “Démolir Jardin”, Critique, vol. 855‑856, n° 8‑9, Paris, Éditions de Minuit, 2018, p. 704‑715, disponible sur : <https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-critique-2018-8-9-page-704.htm> (consulté le 02/11/2024) ; Léa Tilkens, “‘Être invendu ou être un vendu’ : du chiffre à la valeur littéraire selon Éric Chevillard”, COnTEXTES (En ligne), vol. 27, 2020, disponible sur : <https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/contextes/9166#quotation> (consulté le 02/11/2024).
110 Un exemple parmi d’autres est la phrase suivante, extraite d’Oreille rouge, qui fait allusion à la fois à Du hérisson (pour l’expression figée “naïvement et globuleusement”) et au Vaillant petit tailleur, publiés quelques années plus tôt par l’écrivain : “Le vaillant petit Oreille rouge marche dans les ruelles étroites du village bambara, naïvement et globuleusement”. Éric Chevillard, Oreille rouge, Paris, Minuit, 2005, p. 111.
111 Cf. David Vrydaghs, “Quand un blog devient une œuvre : L’Autofictif d’Éric Chevillard”, Mémoires du livre (En ligne), vol 8, n° 1, 2016 ; doi : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7202/1038030ar (consulté le 29/04/2024).
112 Blanche Cerquiglini, “Le sabotage Chevillard”, Critique, vol. 855-856, n° 8-9, 2018, p. 680.
113 Ibid.
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Référence électronique
Alessandro Grosso, « Ironie vs humour : Éric Chevillard, ou l’homme qui rit », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 29 | 2024, mis en ligne le 15 décembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fixxion/14406 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12xh4
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