Olivia Rosenthal, “Tout projet commence par un déplacement”
Texte intégral
Olivia Rosenthal, écrivaine, dramaturge et performeuse, a publié une douzaine de récits aux éditions Verticales, dont Mes petites communautés (1999), Puisque nous sommes vivants (2000), On n’est pas là pour disparaître (2007, prix Wepler-Fondation La Poste et prix Pierre-Simon “Éthique et réflexion”), Que font les rennes après Noël (2010, Prix du Livre Inter, Prix Alexandre-Vialatte, Prix Ève-Delacroix 2011), Mécanismes de survie en milieu hostile (2014), et Éloge des bâtards (2019, prix Transfuge du meilleur roman français). Lauréate de la Vila Kujoyama (Kyoto) en 2018, elle a publié en 2022 Un singe à ma fenêtre (Verticales), un livre issu de cette résidence de trois mois au Japon. Elle est également l’autrice de deux recueils de textes interrogeant l’impact du cinéma sur nos vies, Ils ne sont pour rien dans mes larmes (2012) et Toutes les femmes sont des Aliens (2016). Chez d’autres éditeurs, elle a publié Viande froide : Reportages (Paris, Cent-Quatre éditions/Nouvelles Éditions Lignes, 2008), Les Lois de l’hospitalité (Paris, Inventaire/Invention, 2008), Maison d’arrêt Paris-La Santé, 42, rue de la Santé 75014 Paris (dans L’impossible photographie : les prisons parisiennes 1851-2010, Paris-Musées, 2010). Olivia Rosenthal écrit également pour le théâtre et réalise diverses interventions dans l’espace public (affichages, fresques ou pièces sonores) – autant de pratiques de la “littérature hors du livre.” Elle enseigne à l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis, où elle a créé avec Lionel Ruffel le Master en création littéraire.
- 1 Olivia Rosenthal, On n’est pas la pour disparaître, Paris, Gallimard, 2007, <Verticales>, p. 235.
- 2 Par ex. Olivia Rosenthal, Les lois de l’hospitalité, Paris, Inventaire/Invention, 2008 ; Viande f (...)
Alison James : Merci de m’avoir accordé cet entretien pour notre numéro de la Revue critique de fixxion française contemporaine consacré aux déplacements de la fiction aujourd’hui. Il s’agit dans ce projet d’interroger la place de la fiction dans la littérature française et francophone contemporaine, où il me semble que “fiction” n’est plus synonyme de “roman” : avec l’essor des narrations documentaires, des récits autobiographiques et autofictionnels, ou des récits d’enquête, le roman n’est plus uniquement défini comme une œuvre d’imagination. Ce numéro part d’un double constat : d’un côté, la fiction se déplace vers de nouveaux terrains médiatiques et investit de nouveaux espaces ; de l’autre, à l’intérieur de la littérature, la fiction occupe une place toujours plus variable, souvent mise en question par les œuvres elles-mêmes. Or, il me semble que ton œuvre met en lumière ces deux aspects, ou ces deux faces de la fiction aujourd’hui : investissement des espaces hors du livre : reconfiguration de la fiction à l’intérieur des livres. Pour commencer par le deuxième aspect, tes livres conjuguent souvent une dimension documentaire et un travail de mise en fiction. Je pense, par exemple, à ta démarche dans On n’est pas là pour disparaître, où tu précises, dans les remerciements, que le livre “réinvente et imagine en partie la vie de certaines personnes réelles”1 ou dans d’autres livres composés à partir d’entretiens, où il s’agit de reconstruire, d’imaginer, à partir de récits et de paroles de personnes réelles2. Comment conçois-tu cette manière de pratiquer la fiction ? Penses-tu la fiction surtout en termes de réinvention, de reconstruction à partir d’une matière documentaire préalable ? Ou est-ce que tu distingues, à l’intérieur de ta démarche d’écrivain, des pratiques ou des formes plus ou moins fictionnelles (des récits, des textes documentaires, des romans, les “reportages” de Viande froide) ?
- 3 Olivia Rosenthal, Que font les rennes après Noël ?, Paris, Gallimard, 2010, <Verticales> ; Mécani (...)
Olivia Rosenthal : Depuis On n’est pas là pour disparaître, tout mon travail se concentre sur la question des voix et des manières de restituer et de faire entendre ces voix dans le cadre de livres, qui, par nature, se prêtent plutôt à la lecture silencieuse. C’est pour moi un enjeu majeur de l’écriture, faire entendre quelque chose qui a circulé par le biais de la parole et jouer de la friction entre l’oral et l’écrit. De ce point de vue, il n’y a pas pour moi une différence de nature entre des textes documentaires (comme Viande froide) et des textes qui le seraient moins (comme Que font les rennes après Noël ou Mécanismes de survie en milieu hostile3). Tous procèdent du même protocole et du même enjeu d’écriture : à la fois faire entendre la multiplicité des points de vue et des voix et travailler sur la mise en récit de ces voix. Je crois aussi que toute entreprise de ce type, qui pratique la sélection, le montage, la réorganisation de la parole d’autrui selon des critères rythmiques et narratifs, relève de la fiction. Je dirais même que c’est pour moi une des définitions possibles de la fiction, ce travail de montage qui permet de faire jouer ensemble des paroles qui peuvent parfois se contredire. Il s’agit, par l’écriture de fiction, de rendre compte de la nature hétérogène d’un réel qui exige de nous une adaptation permanente. Transformer le réel en mots permet, à partir des éléments disparates, parfois blessants, parfois incompréhensibles dont il est constitué, de produire une matière homogène, de régler notre rapport au monde et de nous aider à l’interpréter. Je crois que la littérature est un art adapté à cet objectif général.
- 4 Olivia Rosenthal, Un singe à ma fenêtre, Paris, Gallimard, 2022, <Verticales>, p. 80.
A.J. : Ton dernier livre, Un singe à ma fenêtre, raconte une enquête sur la mémoire des attentats au gaz sarin commis dans le métro de Tokyo en 1995. Ce texte se pose, ou nous pose, la question du rapport entre fiction et réalité : “Établis-tu une différence entre le mensonge et la fiction ? Penses-tu qu’il faut fabuler le réel pour avoir une chance de le saisir ?”4. Ce sont des questions qui restent en suspens dans le livre ; comment y répondrais-tu ?
O.R. : De manière générale, j’aime mieux les questions que les réponses. Mais pour ne pas me défiler, je dirais effectivement que j’établis une distinction nette entre fiction (telle que je conçois ce terme) et mensonge, le second terme relevant d’une falsification, d’une volonté de cacher la vérité, de s’y soustraire. La fiction au contraire serait un des moyens pour accéder à quelque chose de vrai, mais un moyen détourné, un mode d’approche possible d’une réalité qu’il est très difficile d’appréhender directement parce que, d’une part nous sommes sans cesse distraits, et d’autre part nos sens nous trompent. La fiction serait ainsi une manière d’interpréter les signes que le monde nous envoie pour essayer de le saisir.
- 5 Olivia Rosenthal, “La Douleur de Marguerite Duras interroge la frontière entre l’humain et l’inhu (...)
A.J. : Dans un entretien en 2011, tu parles du “sentiment d’inutilité, de vacuité” qu’on peut éprouver en écrivant des fictions entièrement inventées5. On pourrait voir dans ce sentiment l’indice d’un phénomène contemporain plus général, face à l’épuisement de certaines formes littéraires traditionnelles. Retrouves-tu souvent ce sentiment chez d’autres écrivain·e·s, dans tes cours de création littéraire par exemple ?
O.R. : Les étudiant·e ·s de création littéraire que je suis dans le master de Paris 8 sont très friands d’autofiction et finalement il y en a assez peu qui s’essayent au roman au sens classique de création d’un monde alternatif où les personnages seraient imaginaires. Et si je reviens à ma pratique d’écriture, je dirais qu’il s’agit moins d’une méfiance à l’égard de ces formes que d’une incapacité à les pratiquer. J’ai d’ailleurs constaté à chaque fois que je commence un texte, que j’essaye d’écrire une pure fiction romanesque, tout à fait imaginaire. Et à chaque fois cette tentative se solde par un échec, je suis obligée de transformer le texte à mesure et n’arrive à me passionner pour l’écriture qu’en travaillant à partir de faits ou de paroles réelles. C’est plus un constat qu’une croyance, comme si le romanesque se refusait à moi. Je crois qu’on n’écrit pas ce qu’on veut mais surtout ce qu’on peut !
A.J. : Pour revenir à la notion de “déplacement” : dans une perspective psychanalytique, le déplacement est un processus psychique qui opère dans le travail du rêve et ailleurs, au niveau de l’inconscient, avec une fonction défensive face à l’angoisse. On pourrait dire – pour reprendre le titre d’un de tes livres – que cette forme de déplacement fait partie de nos “mécanismes de survie en milieu hostile”. C’est une notion qui n’est peut-être pas sans rapport avec les structures ou les dispositifs d’écriture que tu mets en place (quoique de manière consciente, bien sûr), pour parler de l’intime de manière contournée ou oblique. Est-ce que la fiction opère également selon cette logique de déplacement dans tes livres, comme un mode de représentation ou d’expression oblique ?
- 6 Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, Paris, Denoël, 1975.
O.R. : Oui, tu m’as percée à jour, je me protège un peu de l’intime par la fiction ! En même temps, j’ai aussi le sentiment que les fictions que je déploie sont de petites machines destinées à entrer le plus loin possible à l’intérieur de soi. Dans cette perspective, Perec, et en particulier W ou le souvenir d’enfance6, serait un modèle tout à fait opérant. La fiction a aussi (et peut-être surtout) une fonction exploratoire, et je crois être allée assez loin dans l’intimité par ce moyen-là. D’une certaine manière la fiction est le pendant du rêve, un moyen, par les vertus de l’écriture à mesure (une écriture qui ne sait pas où elle va et qui chemine à l’aveugle), d’accéder à son inconscient. Je cherche à analyser plus précisément cette question (le rapport entre la forme, l’intime et la fiction) dans mon prochain livre, à paraître en 2025, j’y fais un éloge de la spirale qui serait la forme que prennent mes textes. Quand tu auras lu ce livre, on aura peut-être l’occasion d’y revenir !
- 7 Pour le projet La ville de Bobigny, une architecture en parole, en 2010, en collaboration avec le (...)
A.J. : Plus concrètement, en parlant de déplacements, je pense aussi aux changements de lieu, aux déplacements sur le terrain qui inspirent ou qui fondent beaucoup de tes livres, parfois dans le cadre de résidences d’auteur : au Cent-Quatre à Paris (Viande froide), à médiathèque de Bobigny7, aux Nouvelles Subsistances à Lyon (Les lois de l’hospitalité), ou encore à la Villa Kujoyama au Japon (Un singe à ma fenêtre). Quelle est l’importance pour toi de ces déplacements physiques et géographiques (plus ou moins lointains), et de ces commandes ou ces résidences qui t’entraînent ailleurs ? Ce genre de déplacement est-il nécessaire à l’élaboration de tes projets ?
O.R. : Tout projet commence de fait par un déplacement, qui peut être géographique ou seulement mental. C’est-à-dire que je cherche à aller explorer un thème, une question que je ne connais pas. Je vais donc me documenter sur le sujet, essayer de comprendre certaines choses grâce à la rencontre avec des acteurs qui sont compétents sur ce sujet-là. J’ai le sentiment que cela me permet de me mettre en mouvement, de créer de l’instabilité, du désir, d’exercer ma curiosité, un moteur essentiel dans le processus d’écriture. Par exemple pour mon prochain livre, j’ai travaillé sur le fil et la fabrication du fil. Pour ce faire, j’ai passé du temps dans une usine de lin et j’ai aussi interviewé pas mal de funambules pour essayer de comprendre quel lien ils entretenaient avec leur art. C’est un art qui m’est totalement étranger et j’ai eu envie de connaître ce qui animait ces danseurs de fil quand ils choisissaient de s’y essayer. Donc, j’entre en terrain inconnu et c’est d’abord ce qui me motive dans mon travail, l’ignorance me donne un regard presque naïf et j’ai ainsi le sentiment de pouvoir apprendre de nouvelles choses. Après, je me rends toujours compte que les sujets que je choisis soi-disant au hasard de mes envies sont en fait des sujets profondément liés à ma propre histoire ou mes propres failles. Une fois réalisée l’enquête proprement dite, je me retrouve à mettre en relation une matière apparemment étrangère avec des questions intimes. Ce frottement est au cœur de mon travail. Le déplacement est donc aussi un moyen de revenir à soi (à moins que ce ne soit l’inverse !)
A.J. : Cela m’amène à une question connexe : les résidences d’auteur établissent-elles un certain rapport obligé au lieu ou au territoire ? Au début d’Un singe à ma fenêtre, il me semble que tu présentes cette obligation de manière un peu sardonique….
O.R. : Disons que lorsqu’on a une subvention dans le cadre d’une commande, la question est bien là. Pas tellement pour la Villa Kujoyama, où le travail était complètement libre, je n’avais aucun compte à rendre , seulement à faire état dans un bilan écrit, de ce que j’avais fait lors de mon séjour. Mais quand une collectivité commande un travail sur un territoire donné, il peut arriver que cette collectivité attende de l’auteur·trice quelque chose qui relève plus de la communication que du travail artistique. On n’est pas à l’abri de difficultés ou de possibles malentendus et il faut donc discuter en amont avec le commanditaire pour savoir ce que les deux partis attendent de la commande. Et il faut aussi reconnaître que même si on n’écrit pas pour flatter son commanditaire, il n’est pas non plus simple ni très élégant d’écrire contre lui. Bref, il faut rechercher un équilibre…
A.J. : Les rencontres et les entretiens sont essentiels pour ta démarche mais j’imagine qu’ils peuvent être éprouvants. On l’aperçoit notamment dans Les lois de l’hospitalité, texte écrit à partir d’entretiens avec des personnes qui vivent à Lyon et dont la langue maternelle n’est pas le français, où il est difficile de définir un terrain partagé ou même une langue commune pour l’échange. Plus récemment, dans Un singe à ma fenêtre, il est question d’entretiens qui déçoivent, qui ne répondent pas vraiment au projet d’enquête tel qu’il a été conçu. Dans quelle mesure s’agit-il pour toi de garder une trace de la rencontre (y compris dans ce qu’elle peut avoir de difficile ou de décevant) dans le livre final ? Ou s’agit-il plutôt de transformer la parole d’autrui en matériau à retravailler, à reconstruire, voire à réinventer ? La fabulation ou la mise en fiction peuvent-elles s’exercer librement à partir de ces matériaux, ou y a-t-il des “lois de l’hospitalité” littéraires qui gouvernent l’accueil de la parole d’autrui ?
O.R. : Dans les deux exemples que tu donnes, c’est vrai que les entretiens ont pu parfois être difficiles. Et pour Un singe à ma fenêtre, j’ai eu envie de raconter aussi cette difficulté, elle faisait partie du projet, elle permettait de décrire des différences culturelles et des usages différenciés de la parole en fonction de la culture à laquelle on appartient. Je me suis donc plongée aussi, pour écrire ce texte, dans la description des circonstances de l’entretien car ces circonstances sont en elles-mêmes parlantes. À chaque fois que je rencontrais un nouvel interlocuteur, j’étais étonnée par le choix qu’il faisait du lieu de la rencontre ou de la manière dont il se présentait, il y avait constamment des surprises. Avant ce livre, je n’avais jamais vraiment inclus l’enquête elle-même dans le déroulé du texte, sauf de manière fugitive, dans de petits textes qui accompagnent et rythment les Lois de l’hospitalité ou Viande froide. De manière générale, je crois aussi que les entretiens que je fais m’obligent, que je ne peux pas faire n’importe quoi avec. Je précise bien à mes interlocuteurs que je vais sans doute “utiliser” leur parole et peut-être déformer leur propos du fait du montage de leur voix avec d’autres voix et du fait même de la mise en fiction de leur parole. Mais j’essaye quand même de ne pas trahir ce qu’ils disent, et de ne pas non plus me mettre en situation de surplomb par rapport à leur parole et donc de ne pas les juger. C’est très important, je dirais même que c’est la moindre des choses : il s’agit d’un échange où chacun doit trouver son compte. Moi, je vais tirer de ces entretiens un texte de fiction, et les personnes qui acceptent de jouer le jeu vont, elles, avoir l’occasion pendant quelques heures, de dérouler leur point de vue, de raconter des épisodes de leur vie, d’entrer en elles-mêmes, de bénéficier de ce temps-là de réflexion sur soi, ce que la vie trépidante que nous menons les uns et les autres permet rarement de faire. Il m’est arrivé bien sûr d’être en profond désaccord avec ce que les personnes me disaient et dans ce cas mon travail a consisté, non pas à gommer le désaccord mais à faire en sorte qu’il y ait du jeu, de la dissension et qu’on puisse l’entendre dans le texte. C’est par exemple le cas dans Viande froide, quand j’ai interviewé le chef de chantier. Il me racontait pas mal de choses sur ses équipes et sur la nationalité des ouvriers qui pouvaient me heurter. J’ai donc essayé de rendre compte de notre désaccord, sans effacer ce qu’il disait, et sans essayer non plus de l’atténuer.
- 8 Olivia Rosenthal, Ils ne sont pour rien dans mes larmes, Paris, Gallimard, 2012, <Verticales>.
- 9 Olivia Rosenthal, Toutes les femmes sont des aliens, Paris, Gallimard, 2016, <Verticales>.
A.J. : Dans deux recueils de textes sur le cinéma, Ils ne sont pour rien dans mes larmes8 et Toutes les femmes sont des aliens9, tu explores l’impact de la fiction sur nos vies : cet effet est-il plus puissant au cinéma qu’avec la littérature ? Comment comprendre cette force émotionnelle de la fiction, de ces histoires et ces personnages qui n’existent pas ?
O.R. : Dans ma jeunesse, je suis beaucoup allée au cinéma, j’habitais Paris et c’est une ville où le cinéma est extrêmement présent, les salles très nombreuses, dans les années 80-90 on pouvait voir énormément de films, de rétrospectives, le foisonnement de l’offre était extraordinaire. Le cinéma a été, pour moi, un lieu de transfert d’émotions, il m’a permis de pleurer autant que je voulais, en déplaçant mes affects sur des personnages de fiction. Et je crois effectivement, on le remarque d’ailleurs tous les jours, que les images sont beaucoup plus puissantes que les textes pour opérer ces transferts, elles ont une force hypnotique que les textes n’ont pas. L’état de passivité dans lequel le cinéma nous met favorise les passions (c’est d’ailleurs le sens étymologique du mot passion, et du verbe qui va avec, pâtir, c’est-à-dire souffrir et subir). C’est aussi pour ça sans doute que j’ai choisi plutôt la littérature que le cinéma dans ma pratique : la littérature offre beaucoup plus de liberté, le lecteur y est globalement plus actif qu’au cinéma, il doit faire jouer son imagination et sa capacité à se représenter un monde auquel il n’accède que par des signes abstraits, des lettres et des mots.
- 10 Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel (dir.), “La littérature exposée. Les écritures contemporaines h (...)
A.J. : Tu as réalisé des pièces sonores (Viande froide ; Maison d’arrêt Paris-La Santé, 42 rue de la Santé 75014 Paris), des courts-métrages, des performances en collaboration avec des plasticiens et des chorégraphes, des interventions dans l’espace public. Ces pratiques, que tu as théorisées sous le terme de “littérature exposée”10 étendent la littérature à de nouveaux espaces. Est-ce aussi une manière pour toi de déplacer ou de redéfinir la fiction, de mettre en question les frontières entre le réel et l’imaginaire ?
O.R. : C’est surtout une manière de mettre en pratique le lien entre l’oral et l’écrit, de jouer de cette mise en fiction de la parole. Quand je suis sur scène je fais entendre les textes, ils ne sont donc plus des objets qui atteignent silencieusement le lecteur, ils sont transportés par ma voix. Et de ce fait, ma voix porte aussi les autres voix, elle est riche de toutes ces rencontres et ces entretiens à partir desquels j’écris. Je dois dire aussi que j’écris beaucoup à l’oreille, en répétant mes textes à haute voix. De ce point de vue, la scène est un débouché quasi naturel pour mes textes et plusieurs d’entre eux d’ailleurs (en particulier On n’est pas là pour disparaître) ont été mis en scène au théâtre.
avril 2024
Note de fin
1 Olivia Rosenthal, On n’est pas la pour disparaître, Paris, Gallimard, 2007, <Verticales>, p. 235.
2 Par ex. Olivia Rosenthal, Les lois de l’hospitalité, Paris, Inventaire/Invention, 2008 ; Viande froide, reportages, Paris, Gallimard, 2008 ; <Verticales>, Maison d’arrêt Paris-La Santé, 42 rue de la Santé 75014 Paris, dans L’Impossible photographie: les prisons parisiennes 1851-2010, Paris, Paris-Musées, 2010, p. 122-127.
3 Olivia Rosenthal, Que font les rennes après Noël ?, Paris, Gallimard, 2010, <Verticales> ; Mécanismes de survie en milieu hostile, Paris, Gallimard, 2014, <Verticales>.
4 Olivia Rosenthal, Un singe à ma fenêtre, Paris, Gallimard, 2022, <Verticales>, p. 80.
5 Olivia Rosenthal, “La Douleur de Marguerite Duras interroge la frontière entre l’humain et l’inhumain”, propos recueillis par Sabine Audrerie, La Croix, 20 juillet, 2011, URL : http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Olivia-Rosenthal-La-Douleur-de-Marguerite-Duras-interroge-la-frontiere-entre-l-humain-et-l-inhumain-_EP_-2011-07-20-691048.
6 Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, Paris, Denoël, 1975.
7 Pour le projet La ville de Bobigny, une architecture en parole, en 2010, en collaboration avec le graphiste Philippe Bretelle, dans le cadre du programme “Écrivains en Seine-Saint-Denis”.
8 Olivia Rosenthal, Ils ne sont pour rien dans mes larmes, Paris, Gallimard, 2012, <Verticales>.
9 Olivia Rosenthal, Toutes les femmes sont des aliens, Paris, Gallimard, 2016, <Verticales>.
10 Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel (dir.), “La littérature exposée. Les écritures contemporaines hors du livre”, Littérature, n° 160, 2010 ; “La littérature exposée (2)”, Littérature, n° 192, 2018.
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Référence électronique
Olivia Rosenthal et Alison James, « Olivia Rosenthal, “Tout projet commence par un déplacement” », Revue critique de fixxion française contemporaine [En ligne], 28 | 2024, mis en ligne le 15 juin 2024, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fixxion/13937 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11u09
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