- 1 Le terme GAAP fait référence aux règles et principes comptables généralement admis (Generally Accep (...)
- 2 Selon l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), un IAP est « un indicateur financier, historique ou (...)
1Les résultats non-GAAP (ci-après RNG) sont définis comme des « indicateurs financiers de la performance de l’entreprise qui ne sont pas préparés selon les règles et/ou principes comptables généralement admis » (Bradshaw et Sloan, 2002, p. 42)1. Les RNG s’inscrivent dans ce que les autorités de régulation qualifient d’Indicateurs Alternatifs de Performance (IAP)2. Qualifiés selon diverses dénominations par les entreprises (ex : résultat net ajusté, EBIT courant, etc.), ces indicateurs sont communiqués de façon volontaire en marge des états financiers (ex : communiqués de résultats, prospectus d’introduction en bourse, etc.) et sont retraités des éléments considérés par l’équipe dirigeante comme non-récurrents et/ou peu pertinents pour la prise de décision des investisseurs (ex : charges de restructuration).
2Au cours des vingt dernières années, la divulgation de RNG n’a cessé de croitre. Aux États-Unis, approximativement 97 % des sociétés de l’indice S&P 500 ont eu recours à ces indicateurs au cours de l’année 2017 (Chen et al., 2021). Un phénomène similaire est constaté en Europe, où près de 75 % des entreprises divulguent des RNG (Guillamon-Saorin et al., 2017). À cet égard, la France est particulièrement concernée par cette pratique, comme en témoignent les récentes études (Clinch et al., 2019 ; Davrinche, 2023). D’un côté, les managers attestent que les RNG permettent de mieux informer les investisseurs sur la situation financière de l’entreprise, constat validé par une partie de la littérature académique (Bradshaw et al., 2018 ; Guillamon-Saorin et al., 2017 ; Leung et Veenman, 2018). De l’autre côté, les régulateurs boursiers et instances de normalisation comptable ont exprimé leur inquiétude quant au risque que les RNG finissent par occuper une place trop importante aux yeux des investisseurs, par rapport aux résultats issus des états financiers (SEC, 2001 ; IOSCO, 2016 ; Hoogervorst, 2015, 2018). Cette inquiétude est confortée par l’existence de travaux révélant l’adoption de pratiques de communication pouvant potentiellement induire en erreur les investisseurs (Black et Christensen, 2009 ; Chen et al., 2022 ; Doyle et al., 2013).
- 3 Le Committee of European Securities Regulators (CESR) était l’organe chargé d’assister la Commissio (...)
- 4 Ou en anglais : European Securities and Markets Authority (ESMA).
3Cette situation a conduit les autorités de régulation à encadrer les modalités de divulgation de RNG afin d’en améliorer la transparence et la comparabilité. Ce processus d’encadrement a débuté aux États-Unis, où la Security and Exchange Commission (SEC) a mis en place un règlement en ce sens dès 2003 (la Regulation G.). En Europe, après une première initiative lancée en 2005 par le Comité Européen des Régulateurs Boursiers (CESR)3, l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (ESMA) émet en 2015 des recommandations à destination des entreprises communiquant des RNG4. Celles-ci imposent un ensemble de bonnes pratiques dont le respect est censé, selon le régulateur européen, « améliorer la comparabilité, la fiabilité et/ou la compréhension des indicateurs communiqués » (ESMA, 2015, p. 5). L’ESMA impose par ailleurs la transposition de ses orientations par les autorités nationales compétentes (ESMA, 2015, p. 6). La France fait donc partie des pays directement concernés le cadre européen. Le 3 décembre 2015, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) intègre ces recommandations au sein de son règlement général, celles-ci s’appliquant à compter de juillet 2016 (AMF, 2015).
4L’objectif de cet article est d’évaluer : 1/ si la publication des recommandations de l’AMF s’est traduite par une amélioration de la « qualité » de communication des RNG et 2/ si cette intervention s’est traduite par une amélioration de la pertinence de ces indicateurs pour les investisseurs. Questionner l’efficacité du cadre réglementaire s’appliquant en France est particulièrement intéressant. Aux États-Unis, la littérature documente de façon consensuelle les effets bénéfiques de la Regulation G. : celle-ci s’est traduite par une amélioration de la pertinence des RNG, d’une amélioration de la transparence de communication et d’une diminution des pratiques susceptibles d’induire en erreur les investisseurs (Black et al., 2012 ; Jennings et Marques, 2011 ; Kolev et al., 2008 ; Marques, 2006).
5Pourtant, rien ne permet d’affirmer a priori que ces résultats soient transposables au contexte européen et français. Ainsi, les rares travaux conduits en Europe montrent que les précédentes recommandations émises par le CESR en 2005 ont eu un effet négligeable sur la communication de RNG (Hitz, 2010 ; Isidro et Marques, 2015). Plus récemment, Jana et McMeeking (2021) montrent que les entreprises allemandes ne se conforment qu’à 62 % au recommandations de l’ESMA. Il semble donc pertinent de s’interroger sur l’effet de cette même réglementation sur les entreprises françaises. Il est notamment permis de douter de la capacité de l’AMF à contrôler la correcte application de ses recommandations et à sanctionner les entreprises s’y soustrayant (Leuz, 2010). Contrairement à son homologue américain, le régulateur français ne dispose pas des moyens d’actions concrets lui permettant d’atteindre cet objectif. D’un point de vue de la pertinence des RNG, l’intervention de l’AMF est par ailleurs susceptible de produire des effets contraires aux souhaits du régulateur. En effet, si le cadre réglementaire n’est pas perçu comme suffisamment contraignant, celui-ci pourrait empêcher les « bonnes » entreprises de fournir un signal suffisamment crédible (Akerlof, 1970 ; Spence, 1973) et dans le même temps, accroitre la méfiance des investisseurs vis-à-vis des RNG (Black et al., 2012).
- 5 Cette mesure de « qualité » se distingue de la définition de Dechow et al. (2010, p. 345), qui cons (...)
6Notre échantillon est constitué d’entreprises françaises cotées (indice SBF 120) au cours de la période 2011-2017. Cette période nous permet de disposer de deux années postérieures à la transposition par l’AMF des recommandations de l’ESMA (résultats annuels 2016 et 2017). Les RNG ont été collectés manuellement à partir des communiqués de presse de résultats annuels. Nous avons ensuite mesuré la qualité de communication conformément au score proposé par Jana et McMeeking (2021). Ce score capture le degré de conformité de chaque RNG aux différentes recommandations du régulateur5. Enfin, la pertinence des RNG a été mesurée par la réaction des investisseurs au moment de l’annonce de ces indicateurs.
7Sur l’ensemble de la période d’étude, la qualité de communication des RNG peut être qualifiée de « moyenne ». À titre d’illustration, seulement 2,7 % des entreprises de notre échantillon se conforment en totalité aux recommandations de l’AMF. Nous observons néanmoins une augmentation notable de la qualité de communication après 2015. Cette amélioration concerne principalement la définition des indicateurs, l’explication des modalités de calcul des RNG et la présentation d’informations comparatives. Par ailleurs, nous constatons une diminution de la pertinence des RNG après la mise en place des recommandations de l’AMF : la réaction des investisseurs au moment de l’annonce des RNG est moins prononcée après 2015, ce qui suggère une méfiance accrue des investisseurs à l’égard de ces indicateurs. Toutefois, les RNG s’avèrent plus pertinents après 2015, lorsque la qualité de communication de ces indicateurs est plus forte. En l’absence d’un cadre perçu comme suffisamment contraignant, le degré de conformité des entreprises aux recommandations semble donc être un signal particulièrement crédible pour les investisseurs. Nos résultats sont robustes après avoir éliminé de l’échantillon les entreprises doublement cotées et soumises à la réglementation américaine. Une analyse complémentaire révèle ensuite que les RNG ne sont pas davantage associés au cours boursier de l’entreprise après 2015. Cela corrobore l’idée que le cadre réglementaire mis en place par l’AMF a eu, en soi, des effets relativement limités. Nous notons néanmoins une diminution de la dispersion des prévisions d’analystes financiers, ce qui semble suggérer une réduction d’asymétrie d’information suite à l’intervention du régulateur français.
8Cet article contribue à la littérature antérieure à plusieurs égards. Pour commencer, celui-ci s’inscrit dans la lignée des travaux étudiant l’impact de la régulation sur la divulgation de RNG. Ces travaux se focalisent presque exclusivement sur l’impact de la Regulation G. dans le contexte américain (Black et al., 2012 ; Black et al., 2017 ; Heflin et Hsu, 2008 ; Kolev et al., 2008 ; Marques, 2006). À notre connaissance, seuls Jana et McMeeking (2021) ont étudié cette question en Europe. Toutefois, leur étude se cantonne exclusivement sur la période postérieure à l’application des orientations de l’ESMA (2016-2017). De plus, les auteurs s’attachent à identifier les déterminants expliquant la plus ou moins grande conformité des entreprises à ces recommandations. A contrario, notre étude permet de mettre en évidence les conséquences de cette intervention pour les investisseurs, qui sont les principaux utilisateurs de RNG (Black et al., 2018). Or, cette question demeure encore largement inexplorée à ce jour. Plus spécifiquement, cet article permet de documenter l’impact de la réglementation en France, un des pays parmi les plus concernés par la divulgation de RNG en Europe (Clinch et al., 2019). Comme le notent Leuz et Wysocki, (2016, p. 530), il est nécessaire d’étudier les conséquences de la régulation en dehors du seul contexte américain, afin de mieux comprendre les vecteurs contribuant à l’efficacité des règles/bonnes pratiques mise en place par les autorités. En ce sens, nos résultats suggèrent que le cadre applicable en France est perçu comme peu contraignant par les entreprises. Cela se traduit par une application seulement partielle des recommandations de l’AMF et une méfiance accrue des investisseurs à l’égard des RNG. Finalement, notre étude est susceptible d’intéresser les autorités de régulation, et notamment l’ESMA, pour qui le respect des orientations publiées en 2015 revêt une importance majeure (ESMA, 2017, 2018). Nos résultats soulignent notamment l’importance de doter les autorités de régulation d’outils leur permettant de contrôler la bonne application des recommandations applicables en matière de RNG.
9L’article est organisé comme suit. Dans une première section, nous exposerons le cadre institutionnel s’appliquant à la communication de RNG (2). Dans un second temps, nous développerons la littérature pertinente (3) nous conduisant à la formulation de nos hypothèses de recherche (4). Nous présenterons ensuite la méthodologie de la recherche (5) et les résultats de l’étude (6). Enfin, la dernière section sera consacrée à la présentation des analyses complémentaires (7).
10Aux États-Unis, l’encadrement des RNG débute dès le début des années 2000. En 2001, la SEC, le régulateur boursier américain, émet un communiqué mettant en garde les investisseurs contre les éventuels dangers liés à la prolifération de RNG (SEC, 2001). L’année suivante est votée la « Loi sur la réforme de la comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs » (ou Loi Sarbanes-Oxley), qui impose de nouvelles règles sur la comptabilité et la transparence financière pour les entreprises. Cette loi est également à l’origine du premier règlement encadrant formellement la communication de RNG. En 2003, la SEC met en place la Regulation G. (ci-après Reg. G.). Ce règlement précise les conditions et modalités de présentation des RNG communiqués par les entreprises américaines au sein de leurs communications publiques (ex : communiqués de presse, présentation aux investisseurs, etc.). L’objectif de celui-ci est d’accroitre la transparence et la comparabilité des RNG communiqués en marge des états financiers. Pour ce faire, la Reg. G. impose aux entreprises communiquant ces indicateurs : (i) la présentation du résultat GAAP directement comparable et (ii) la présentation d’un tableau de réconciliation expliquant de manière chiffrée les retraitements qui ont permis de passer du résultat GAAP au RNG (SEC, 2003).
11Les dispositions présentes au sein de la Reg. G. ont entraîné l’amendement de l’item 10(e) de la Regulation S-K (ci-après Reg. S-K.), qui prescrit les obligations en matière de publications comptables et financières pour les sociétés cotées. Ainsi, les RNG présents au sein des communications réglementées (ex : formulaire 10-Q ou 10-K) sont soumis à des modalités de communication plus strictes. Outre les obligations prévues par la Reg. G., les entreprises sont tenues de présenter les RNG avec la même emphase que le résultat GAAP et de justifier en quoi les RNG sont utiles aux investisseurs. Enfin, selon le régulateur américain, les RNG ne doivent pas « induire en erreur les utilisateurs en émettant une fausse information ou en omettant une information essentielle à leur bonne compréhension » (SEC, 2003, §A3). La Reg. S-K. énumère quant à elle une liste plus exhaustive de pratiques prohibées en matière de communication de RNG. Le tableau 1 présente le champ d’application et les obligations prescrites par chacun des règlements mis en place aux États-Unis.
Tableau 1. La Reg. G. et la Reg. S-K. (item 10(e))
12Le cadre existant aux États-Unis a contribué à l’émergence et à la diffusion d’une réglementation à l’échelle internationale (IOSCO, 2002).
13Au niveau européen, une première tentative d’harmonisation émerge en 2005. Le Comité Européen des Régulateurs Boursiers (CESR) publie un guide de bonnes pratiques relatif à la communication d’Indicateurs Alternatifs de Performance (et s’appliquant aux RNG). Ces recommandations, fortement inspirées de la Reg. G. et de la Reg. S-K., requièrent le respect des principes suivants : la définition des indicateurs, la stabilité des indicateurs dans le temps, l’explication des raisons pour lesquelles la communication des indicateurs est pertinente, la réconciliation des indicateurs avec les résultats issus de l’information réglementée, la présentation des indicateurs avec la même emphase que les résultats issus de l’information réglementée (CESR, 2005). Emboitant le pas du CESR, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) publie un communiqué la même année, dans lequel elle rappelle qu’elle n’est pas opposée à l’utilisation de RNG (AMF, 2005). Toutefois, l’autorité précise que « l’usage de RNG ne devrait pas conduire à négliger les indicateurs d’usage courant et reconnu ». En 2010, l’AMF rappelle à nouveau les principes énoncés en 2005 par le CESR, insistant sur la nécessité pour les entreprises divulguant des RNG de fournir une information exacte, précise et sincère aux investisseurs (AMF, 2010).
14Le 5 Octobre 2015, l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (ESMA) publie les « Orientations relatives aux Indicateurs Alternatifs de Performance ». Ces orientations s’appliquent à tous les IAP communiqués en dehors des états financiers (ex : communiqués de résultats, prospectus d’introduction en bourse) par les entreprises dont les titres sont admis en négociation sur un marché réglementé en Europe. L’intervention de l’ESMA marque un tournant dans l’encadrement des RNG en Europe et en France. Premièrement, ces orientations émanent d’une autorité de surveillance européenne disposant de la personnalité morale (le CESR était un comité dépendant de la Commission Européenne), élargissant la portée d’action de l’ESMA. Deuxièmement, le régulateur européen impose la transposition de ses orientations par les autorités de régulation nationales. Le 3 décembre 2015, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) intègre au sein de son règlement général les orientations de l’ESMA (AMF, 2015). Les recommandations de l’AMF reprennent mot pour mot l’ensemble des dispositions prévues par l’autorité européenne et s’appliquent aux RNG communiqués à compter du 3 juillet 2016. Le cadre réglementaire s’appliquant en France découle donc d’une autorité de régulation supranationale.
15Selon l’AMF, les entreprises divulguant des IAP doivent :
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Définir les IAP utilisés, leurs composants et le mode de calcul adopté.
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Communiquer de manière claire et intelligible les définitions des IAP utilisés.
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Réconcilier les IAP utilisés avec le résultat GAAP de la période correspondante le plus proche en identifiant et expliquant les principaux retraitements.
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Expliquer les raisons de l’utilisation d’IAP afin de permettre aux utilisateurs de comprendre leur pertinence et leur fiabilité.
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Ne doivent pas présenter les IAP avec plus d'importance, d'emphase ou de prééminence que les indicateurs directement issus des états financiers.
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Fournir des informations comparatives relatives aux IAP utilisés pour les périodes antérieures.
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Définir les IAP de façon cohérente dans le temps. Si les émetteurs décident de redéfinir un IAP, ils doivent expliquer les modifications effectuées, expliquer les raisons pour lesquelles ces modifications procurent des informations plus fiables et fournir des chiffres comparatifs modifiés.
16La figure 1 récapitule le processus d’encadrement de la divulgation de RNG depuis le début des années 2000.
Figure 1. Encadrement de la divulgation de RNG (2002-2017)
17Sur le fond, les orientations publiées en 2015 par l’ESMA (et transposées en France par l’AMF) sont cohérentes avec le cadre réglementaire existant aux États-Unis. En effet, la presque totalité des recommandations exigées par la SEC ont été reprises par le régulateur européen. Cette homogénéité traduit les efforts de coordination entrepris par les différentes autorités dans le but d’harmoniser les pratiques de communication à travers le monde. Toutefois, deux points de divergence méritent d’être soulignés.
18Tout d’abord, le statut juridique des deux cadres reflète les différences en termes de portée restrictive. Aux États-Unis, les modalités de divulgation de RNG sont encadrées par des règlements à part entière (Reg. G. et item 10 de la Reg. S-K.) tandis qu’en France, celles-ci sont encadrées par de simples recommandations. Ainsi, les modalités prescrites par la SEC sont plus restrictives que celles de l’AMF. Par exemple, la SEC va jusqu’à interdire l’exclusion de charges et/ou produits susceptibles de se reproduire dans les deux années consécutives (SEC, 2003, B2). Sur ce même point, le régulateur français demeure bien plus vague, énonçant simplement le fait que les entreprises « ne doivent pas qualifier à tort des éléments de non récurrents, peu fréquents ou inhabituels » (AMF, 2015, p. 6). Plus généralement, le champ d’application du cadre réglementaire de la SEC est plus large que celui de l’AMF. Par exemple, la Reg. S-K. prescrit les modalités de communication des RNG présents en marge de l’information réglementée. Sans avoir la charge d’auditer ces indicateurs, les auditeurs disposent ainsi de la possibilité d’émettre une opinion sur la cohérence de ceux-ci avec les résultats issus des états financiers audités (Black et Christensen, 2018).
- 6 Selon Audit Analytics, le pourcentage de comment letters envoyées aux entreprises concernant la com (...)
19Par ailleurs, l’autorité de régulation américaine dispose de moyens plus conséquents pour contrôler l’application de ses règlements. En 2013 est créé un comité d’audit chargé de contrôler l’application de la Reg. G. (Rapoport, 2013). La SEC peut ainsi émettre des requêtes (comment letters) auprès des entreprises ne respectant pas les conditions prévues par la Reg. G. ou la Reg. S-K. L’autorité peut alors exiger des explications quant à l’utilisation de certains retraitements non-GAAP et demander aux entités concernées d’appliquer des modifications à leur communication financière6. Enfin, la SEC a sanctionné à plusieurs reprises des entreprises ne respectant pas les dispositions prévues par ses règlements (ex : l’entreprise SafeNet en 2009). Les moyens d’action de l’ESMA sont bien plus limités. Créée en 2011, l’ESMA est un organisme relativement jeune. Contrairement à la SEC, l’autorité de régulation européenne ne dispose pas d’un organe spécifique chargé de contrôler l’application des orientations, cette compétence étant déléguée à chacune des autorités nationales concernées par la régulation. Par conséquent, la supervision de l’application de cette régulation est rendue compliquée par les difficultés d’articulation entre les différents États Européens.
20Au cours des vingt dernières années, la divulgation de RNG est devenue une composante essentielle de la communication financière des entreprises. On retrouve ces indicateurs au sein des communiqués de résultats (Bentley et al., 2018), dans les parties narratives des rapports annuels (Bouwens, 2019 ; Malone et al., 2016), à l’occasion de conference-calls avec les analystes financiers (Henry et al., 2020) ou encore dans les prospectus d’introduction en bourse (Brown et al., 2022). Alors que cette pratique était encore sporadique au début des années 2000 (Bhattacharya et al., 2004), la divulgation volontaire de RNG concerne aujourd’hui la plupart des grandes entreprises (Bentley et al., 2018 ; Black et al., 2018). Aux États-Unis, leur fréquence de communication n’a cessé de croître ces dernières années, celle-ci passant de 53 % en 2009 à 71 % en 2014 (Black et al., 2018). Selon un rapport d’Audit Analytics, 97 % des sociétés du S&P 500 ont eu recours à au moins un RNG au cours de l’année 2017.
21La divulgation de RNG n’est pas cantonnée au seul contexte américain. Des études documentent ainsi l’utilisation de ces indicateurs au Canada (Cormier et al., 2017, 2022), en Australie (Cameron et al., 2012 ; Malone et al., 2016), en Nouvelle-Zélande (Rainsbury, 2017) ou en Afrique du Sud (Venter et al., 2014). En Europe, ce phénomène est plus récent, bien que le passage aux normes IFRS en 2005 ait largement contribué à l’essor de la divulgation de ces indicateurs (Young, 2014). Sur la période 2003-2007, Isidro et Marques (2015) notent que plus de 60 % des entreprises présentent au moins un RNG au sein de leurs communiqués de presse. Plus récemment, Guillamon-Saorin et al. (2017) constatent un taux de communication avoisinant les 75 % entre 2009 et 2014. Il subsiste toutefois une certaine hétérogénéité, certains pays étant bien plus concernés que d’autres par cette pratique (Clinch et al., 2019 ; Isidro et Marques, 2015). Au Royaume-Uni, Choi et al. (2007) constatent que la fréquence de communication de ces indicateurs était déjà de 40 % en 1993, pour atteindre près de 75 % dès le début des années 2000. En Allemagne, Hitz (2010) constate que sur la période 2005-2006, un peu plus de 35 % des communiqués de presse incluent au moins un RNG. Dans une étude plus récente, Jana et McMeeking (2021) constatent que des RNG sont présentés dans près de la moitié des rapports annuels de leur échantillon d’entreprises allemandes. En France, très peu d’études permettent de documenter la divulgation de RNG. Toutefois, il semble que cette pratique ait également connu un bond significatif (Aubert, 2010 ; Davrinche, 2023). Selon Davrinche (2023), près de 80 % des entreprises du SBF 120 communiquent des RNG sur la période 2011-2017.
22La prolifération de RNG dans la communication financière des entreprises a conduit un large pan de la littérature à tenter d’expliquer les motivations qui sous-tendent cette pratique. Ces travaux avancent deux principales logiques de divulgation.
23D’un côté, selon une logique « informative », la divulgation de RNG permettrait de signaler aux investisseurs les perspectives futures de l’entreprise, facilitant ainsi l’allocation des ressources sur le marché boursier (Akerlof, 1970 ; Healy et Palepu, 2001). Le postulat est le suivant : par l’élimination des éléments non-récurrents (« retraitements non-GAAP »), les RNG devraient faciliter la prédiction des résultats futurs et ainsi, l’évaluation de la valeur financière de l’entreprise (Nichols et Wahlen, 2004). La littérature académique corrobore cette première hypothèse. Ainsi, les RNG se trouvent davantage corrélés aux rentabilités boursières que les résultats issus des états financiers (i.e. résultats GAAP), suggérant un contenu informationnel plus important de ces indicateurs pour les investisseurs (Aubert, 2010 ; Bradshaw et al., 2018 ; Bradshaw et Sloan, 2002 ; Campbell et al., 2022 ; Guillamon-Saorin et al., 2017). Les RNG reflètent également plus fidèlement le cours et la rentabilité boursière de l’entreprise sur le long terme (Wieland et al., 2013). Enfin, des études montrent que les RNG sont davantage associés aux résultats et aux flux de trésorerie futurs de l’entreprise (Bhattacharya et al., 2003 ; Heflin et al., 2022 ; Leung et Veenman, 2018). Les choix de communication adoptés par les dirigeants viennent conforter l’idée d’une volonté de mieux informer. Par exemple, la plupart des éléments exclus du calcul des RNG correspondent effectivement à des éléments transitoires : ces retraitements sont peu (ou pas) associés aux rentabilités boursières et/ou à la performance future (Black et al., 2021 ; Choi et al., 2007 ; Curtis et al., 2014). Enfin, il semblerait que les dirigeants soient davantage enclins à communiquer des RNG lorsque le résultat GAAP est peu pertinent et/ou ne permet pas de traduire correctement la réalité économique de l’entreprise (Brown et al., 2021 ; Choi et Young, 2015 ; Lougee et Marquardt, 2004 ; Malone et al., 2016).
24De l’autre côté, selon une logique « opportuniste », la divulgation de RNG pourrait être motivée par une volonté du management d’induire en erreur les investisseurs sur la réalité économique de l’entreprise. Cette logique s’inscrit dans la théorie de l’agence, et postule que les dirigeants exploiteraient à leur avantage l’asymétrie d’information existante avec les investisseurs/actionnaires de l’entreprise (Jensen et Meckling, 1976 ; Merkl-Davies et Brennan, 2017). Un certain nombre de pratiques adoptées par les dirigeants suggèrent ainsi une volonté de dépeindre une image plus favorable de l’entreprise. Les retraitements non-GAAP étant essentiellement composés de charges, leur exclusion conduit mécaniquement à « gonfler » le montant des RNG. Ainsi, les RNG sont presque systématiquement d’un montant supérieur à celui du résultat GAAP (Aubert, 2010 ; Black et Christensen, 2009). De plus, bien que ces retraitements représentent en majorité des éléments sans rapport avec l’activité normale de l’entreprise, ils sont également composés d’éléments plus récurrents : c’est le cas de charges de dépréciations, des charges liées à la rémunération en actions, ou encore de certains retraitements d’impôts (Barth et al., 2012 ; Bhattacharya et al., 2004 ; Black et Christensen, 2009 ; Chen et al., 2022). La divulgation de RNG peut également être un moyen de tempérer les mauvais résultats issus de l’information réglementée lorsque ces derniers ne sont pas jugés satisfaisants. C’est notamment le cas lorsque le résultat GAAP est inférieur à certains résultats cibles, tels que la prévision des analystes financiers, ou le résultat de l’année précédente (Black et Christensen, 2009 ; Doyle et al., 2013 ; Lougee et Marquardt, 2004). Plus généralement, la littérature fait état de diverses stratégies de communication permettant d’influencer les investisseurs. Par exemple, les dirigeants ont tendance à présenter les RNG avec davantage d’emphase (Bouwens, 2019 ; Bowen et al., 2005 ; Cameron et al., 2012 ; Chen et al., 2021), à modifier le timing de communication des RNG (Brown et al., 2012), ou encore moduler la tonalité du discours accompagnant ces indicateurs (Guillamon-Saorin et al., 2017 ; Michailesco, 2017).
25La littérature antérieure a documenté assez largement les effets de l’intervention de la SEC sur la divulgation de RNG aux États-Unis. Premièrement, celle-ci s’est traduite par une diminution de la latitude exercée par les dirigeants dans les modalités de communication de RNG. Des études ont constaté une baisse de la fréquence de communication de RNG immédiatement après 2003, date de mise en application de la Reg. G. (Heflin et Hsu, 2008 ; Marques, 2006 ; Nichols et al., 2005). Selon Nichols et al. (2005), près des deux tiers des entreprises ont cessé de divulguer ces indicateurs après 2003. Parallèlement, on a pu constater une diminution : (i) de l’ampleur des retraitements non-GAAP, (ii) de l’utilisation de retraitements « récurrents », et (iii) de l’utilisation de retraitements permettant d’atteindre les résultats « cibles » (Black et al., 2017 ; Chen, 2010 ; Heflin et Hsu, 2008 ; Kolev et al., 2008). Considérés conjointement, ces résultats suggèrent que la régulation a permis de faire reculer considérablement l’adoption des pratiques de communication considérées comme « opportunistes » (et donc inappropriées).
26Deuxièmement, l’intervention du régulateur américain s’est accompagnée d’une plus grande transparence de communication des RNG, reflétant l’application par les entreprises concernées des obligations imposées par la Reg. G. et la Reg. S-K. Ainsi, on peut noter un accroissement notable du nombre d’entreprises fournissant une réconciliation numérique expliquant les retraitements non-GAAP utilisés dans le calcul des RNG (Marques, 2010 ; Zhang et Zheng, 2011). Par exemple, Marques (2010) montre que cette pratique est passée de 27 % en 2001 à 74 % en 2003. De même, le nombre d’entreprises présentant leurs RNG avec davantage d’emphase que le résultat GAAP (une pratique prohibée par la SEC) a diminué après l’intervention de la SEC (Bowen et al., 2005 ; Entwistle et al., 2006 ; Marques, 2010).
27Finalement, la Reg. G. semble avoir accru la pertinence des RNG aux yeux des investisseurs. Ainsi, plusieurs études documentent une réaction plus prononcée des investisseurs lors de l’annonce de RNG dans la période succédant l’intervention de la SEC (Black et al., 2012 ; Marques, 2006). Selon les auteurs, ces résultats reflètent la confiance plus forte des investisseurs à l’égard des RNG en raison : (i) de leur meilleure transparence suite aux obligations imposées par la Reg. G. et (ii) des risques de sanctions de la part de la SEC pour les entreprises ne respectant pas ces obligations. Par ailleurs, il semblerait que les investisseurs soient également moins à même d’être induits en erreur (Chen, 2010 ; Black et al., 2012 ; Jennings et Marques, 2011). Par exemple, Black et al. (2012) constatent qu’après 2003, les investisseurs parviennent à mieux identifier et à sanctionner les pratiques de communication opportunistes (ex : utilisation de retraitements récurrents ou permettant d’atteindre des résultats cibles). Dans l’ensemble, il semble donc que l’intervention de la SEC ait bien eu les effets escomptés, à savoir : 1/ une diminution des pratiques susceptibles d’induire en erreur les investisseurs et 2/ une amélioration de la pertinence des RNG communiqués.
28Assez peu de travaux ont étudié l’impact de la régulation en dehors du contexte américain. En Nouvelle-Zélande, Rainsbury (2017) montre que les recommandations mises en place en 2012 par le Financial Markets Authorities (FMA) ont eu un impact négligeable sur la divulgation de RNG. Sur le long terme, Carvajal et al. (2022) notent toutefois une diminution de l’utilisation de retraitements opaques (i.e. non correctement expliqués par les dirigeants), ce qui suggère une amélioration de la transparence de communication.
29En Europe, Isidro et Marques (2015) notent une très sensible diminution de la fréquence de communication suite à la mise en place des recommandations du CESR en 2005. Néanmoins, ils constatent que seulement 36 % des entreprises fournissent une réconciliation complète des RNG tandis que 83 % d’entre elles continuent de présenter les RNG avec davantage d’emphase. Dans le contexte allemand, Hitz (2010) a étudié l’évolution des stratégies de communication suite à l’application des recommandations du CESR. Celui-ci constate une augmentation de l’utilisation des retraitements non-GAAP, une diminution de la transparence de communication et une augmentation de l’emphase accordée aux RNG après 2005. Ces résultats suggèrent que l’intervention du CESR n’a pas permis de contraindre les pratiques de communication considérées comme opportunistes.
30Enfin, Jana et McMeeking (2021) ont étudié la divulgation d’Indicateurs Alternatifs de Performance (incluant les RNG) au cours de la période succédant la publication des orientations de l’ESMA (période 2016-2017). Dans le contexte allemand, les auteurs constatent que certaines de ces recommandations sont assez uniformément appliquées : c’est le cas de la cohérence de communication (94 %) ou de la présentation des IAP avec la même emphase (87 %). A contrario, assez peu d’entreprises justifient les raisons pour lesquelles les IAP fournissent une information pertinente aux utilisateurs (32 %). Enfin, l’obligation de réconcilier les IAP (56 %) ou de fournir des comparatifs sur les périodes antérieures (55 %) demeurent en partie appliquées. Au total, les auteurs constatent que seulement 10,4 % des entreprises se conforment en totalité aux recommandations de l’ESMA.
31En somme, l’étude de Jana et McMeeking (2021) montre que le degré de conformité des entreprises allemandes aux orientations de l’ESMA est mitigé. Cependant, en se focalisant sur la période postérieure à l’implémentation des orientations de l’ESMA, elle ne permet pas d’attester du réel impact de cette intervention (comparaison avant-après) sur la divulgation de RNG. De plus, leur étude laisse de côté une question essentielle : la mise en place des orientations de l’ESMA s’est -elle traduite par un changement de perception des investisseurs à l’égard des RNG ?
32Considérant la littérature exposée précédemment, les conséquences des recommandations de l’AMF sur la pertinence des RNG ne va pas de soi. D’une part, on peut supposer un effet positif de cette intervention sur la perception globale des investisseurs à l’égard de ces indicateurs. Du point de vue de la théorie du signal, la mise en place d’une réglementation impose un coût supplémentaire à la production de l’information. En ce sens, celle-ci est susceptible d’avoir découragé les entreprises les plus opportunistes à communiquer des RNG après 2015 (Heflin et Hsu, 2008 ; Kolev et al., 2008 ; Marques, 2006). Si tel est le cas, les entreprises continuant à divulguer devraient être celles dont les RNG sont les plus pertinents pour les investisseurs (Black et al., 2017 ; Jana et McMeeking, 2021).
33Par ailleurs, du point de vue de la théorie de l’agence, la réglementation peut être un moyen de pallier les insuffisances des mécanismes de gouvernance mis en place au sein de l’entreprise. Ainsi, Jennings et Marques (2011) montrent que l’amélioration de la qualité des RNG suite à la mise en place de la Reg. G. a principalement concerné les entreprises dont les dispositifs de gouvernance étaient les plus faibles. Dans les deux cas, les RNG devraient être perçus comme plus crédibles par les investisseurs, et ces derniers devraient davantage se fier à ces indicateurs pour leurs choix d’investissement.
34Ceci étant, plusieurs arguments permettent de douter d’un tel effet. Premièrement, le statut juridique des orientations de l’ESMA (transposées en France par l’AMF) sème le doute sur le caractère contraignant du cadre réglementaire en Europe. Il en est de même de la capacité des régulateurs nationaux à sanctionner les entreprises ne respectant pas ces recommandations. Or, l’efficacité d’une réglementation est intimement conditionnée à la capacité de l’organisme régulateur à engager des sanctions couteuses envers les entreprises ne respectant pas celle-ci (Leuz, 2010 ; Leuz et Wysocki, 2016). Si le coût associé à la divulgation opportuniste de RNG (ex : coûts réputationnels, risque de sanction du régulateur) n’est pas suffisamment élevé par rapport aux bénéfices potentiels d’une telle pratique (ex : augmentation du cours boursier), la réglementation pourrait encourager les comportements de « passager clandestin » et empêcher les « bonnes » entreprises de fournir un signal suffisamment crédible (Akerlof, 1970 ; Spence, 1973). Deuxièmement, il est possible que l’intervention de l’AMF ait accru l’attention des investisseurs, et la méfiance de ces derniers envers les RNG communiqués après 2015. Des travaux documentent ainsi la capacité des investisseurs à sanctionner les divulgations de RNG qu’ils considèrent comme opportunistes, notamment après l’intervention de la SEC aux États-Unis (Doyle et al., 2013).
35Compte tenu de ces arguments contradictoires, nous postulons l’existence d’un effet de l’intervention de l’AMF sur la pertinence des RNG, sans pour autant pouvoir en prédire le sens. Par conséquent, l’hypothèse H1 est formulée comme suivant :
H1 : L’intervention de l’AMF a un impact sur la pertinence des RNG
36Un des objectifs poursuivis par les recommandations de l’AMF est de « promouvoir l'utilité et la transparence des IAP inclus dans les prospectus ou les informations réglementées » (AMF, 2015, p. 1). Cette transparence passe par le respect de certaines modalités de communication des RNG par les entreprises (ex : définition des indicateurs, réconciliation numérique, justification de l’utilisation des indicateurs, etc.), ces modalités étant censées améliorer la compréhensibilité de ces indicateurs par les investisseurs. La littérature antérieure montre que les caractéristiques qualitatives accompagnant l’information comptable et financière facilitent le processus d’acquisition et d’assimilation de l’information, notamment pour les investisseurs non-sophistiqués (Hirst et Hopkins, 1998 ; Maines et McDaniel, 2000). Selon Li (2008), la lisibilité des rapports annuels est associée positivement à la performance de l’entreprise et à la persistance des résultats dans le temps, ce qui suggère une volonté des dirigeants de fournir une information plus pertinente aux utilisateurs. Plus récemment, Boutant Lapeyre et al. (2022) montrent que la lisibilité des informations extra-financières dans les rapports annuels est associée à une diminution de l’asymétrie d’information. Par ailleurs, Hirst et al. (2007) constatent que les prévisions de résultats communiquées par le management sont perçues comme plus crédibles lorsqu’elles sont décomposées (ou désagrégées). Elliott (2006) montre que la réconciliation des RNG avec le résultat GAAP permet de tempérer l’optimisme affiché par les investisseurs individuels lorsqu’ils évaluent ces indicateurs. De même il semble que les RNG soient davantage associés aux rentabilités boursières et/ou à la performance future en présence d’une réconciliation numérique (Baik et al., 2008). Au regard de la littérature antérieure, nous postulons un effet positif de la qualité de communication des RNG (i.e. le respect des recommandations de l’AMF) sur la pertinence des RNG. L’hypothèse H2 est donc la suivante :
H2 : La qualité de communication des RNG a un impact positif sur la pertinence des RNG
37Compte tenu de l’effet incertain de l’intervention de l’AMF sur la pertinence des RNG (cf. H1), on est en droit de questionner si la qualité de communication continue de jouer un rôle déterminant dans la période qui succède à cette intervention. D’une part, si l’on postule d’une amélioration de la pertinence des RNG suite à l’intervention de l’AMF, on suppose que les investisseurs se fient davantage à ces indicateurs en raison de la crédibilité conférée par le cadre nouvellement mis en place. Dans ce cas de figure, on peut donc penser que la qualité de communication ne joue plus un rôle déterminant, les investisseurs étant d’ores et déjà rassurés par l’existence du cadre réglementaire. A contrario, si l’on postule d’une diminution de la pertinence des RNG suite à l’intervention de l’AMF, on peut supposer que les investisseurs soient davantage sensibles à la qualité de communication des RNG, dans la mesure où celle-ci pourrait leur permettre de mieux discriminer les « bonnes » des « mauvaises » entreprises. Considérant ces deux arguments, nous postulons que l’effet de la qualité de communication sur la pertinence des RNG est différent après l’intervention de l’AMF, sans toutefois pouvoir en prédire le sens. L’hypothèse H3 est donc formulée comme suivant :
H3 : L’impact de la qualité de communication sur la pertinence des RNG est différent après l’intervention de l’AMF
38L’hypothèse H1 vise à tester l’effet de l’intervention de l’AMF sur la pertinence des RNG. Pour cela, nous avons mobilisé le modèle utilisé par Black et al. (2012) comme suivant :
39La variable RAC correspond aux Rentabilités Anormales Cumulées (RAC) constatées autour de l’annonce des résultats pour une entreprise i et la période t. Cette variable capture la réaction des investisseurs au moment de l’annonce des résultats. La rentabilité anormale (abnormal return) représente la différence entre la rentabilité de l’action effectivement constatée par l’entreprise au moment de l’annonce des résultats et la rentabilité normale qu’aurait dû constater l’entreprise en l’absence de cet évènement. La rentabilité normale est calculée par référence au modèle de marché. Conformément à Aubert (2010), celui-ci a été estimé sur une fenêtre allant de 250 jours à 11 jours avant la date d’évènement [-250 ; -11]. Par ailleurs, nous avons retenu une fenêtre d’évènement de 3 jours centrée autour de la date d’évènement [-1 ; 0 ; +1]. La date d’évènement correspond à la date de publication du communiqué de résultats annuels par les entreprises de l’échantillon.
40La variable SURPRISENG correspond à la fraction de RNG non anticipée par les investisseurs au moment de l’annonce des résultats. Celle-ci est mesurée par la différence entre le montant du RNG inclus dans le communiqué de presse et le dernier consensus de prévision des analystes financiers établi par IBES avant l’annonce des résultats, le tout déflaté par le cours de l’action à la clôture de l’exercice fiscal précédent (Black et al., 2012). Ce consensus est calculé par IBES comme la moyenne des prévisions de chaque analyste financier suivant l’entreprise. Pour cette variable, le consensus de prévision des analystes représente l’information publique disponible. Ainsi, la différence entre le montant du RNG et ce consensus capture l’information privée détenue par le dirigeant qu’il envoie au marché. Ainsi, le coefficient β1 représente l’effet de l’annonce des RNG sur la réaction des investisseurs. Si les investisseurs considèrent l’information contenue dans les RNG comme utile à leur prise de décision, ce coefficient devrait être positif et significatif.
- 7 Pour la plupart des entreprises de notre échantillon, le premier communiqué concerné par les recomm (...)
41La variable POSTAMF (β2) capture l’effet de l’intervention de l’AMF sur la réaction des investisseurs. Pour rappel, la position de l’AMF a été publiée en décembre 2015 et s’applique aux RNG communiqués à compter du 3 juillet 2016. Le premier exercice fiscal concerné par ces recommandations correspond donc à celui dont la clôture se situe après cette date. Ainsi, la variable POSTAMF a été codée 1 pour les communiqués de résultats annuels publiés après juillet 2016 (correspondant aux exercices fiscaux 2016 et 2017) et 0 pour les communiqués publiés avant juillet 2016 (correspondant aux exercices fiscaux 2011 à 2015)7. Le terme d’interaction β3 capture l’effet modérateur de l’intervention de l’AMF sur la pertinence des RNG. Pour rappel, nous supposons que cette intervention a pu se traduire par des effets contradictoires sur la pertinence de l’information communiquée. D’une part, il est possible que la publication de la position de l’AMF se soit traduite par un scepticisme plus grand des investisseurs à l’égard des RNG. Si tel est le cas, la fiabilité perçue des RNG et donc, leur pertinence a pu décroitre après 2015. Au contraire, il est possible que l’intervention de l’AMF ait été perçue par les investisseurs comme un gage de transparence et de fiabilité, compte tenu des obligations de présentation induites par celle-ci. Dans ce cas, on peut s’attendre à ce que les RNG communiqués à partir de 2016 soient considérés comme davantage pertinents par les investisseurs.
42Compte tenu de la présence d’effets individuels au sein de notre échantillon, nous avons réalisé un test de spécification d’Hausman sur données de panel. Celui-ci nous a conduit à retenir un modèle à effets fixes. Enfin, afin de limiter les problèmes d’hétéroscédasticité et d’autocorrélation, les termes d’erreurs ont été estimés au niveau de chaque entreprise (clustered standard-errors), conformément à la procédure recommandée par Petersen (2009).
43L’hypothèse H2 postule une association positive entre la qualité de communication des RNG et la pertinence des RNG. Pour tester cette hypothèse, nous nous conformons au modèle utilisé par Bhattacharya et al. (2003) que nous avons adapté aux besoins de notre question de recherche. Ainsi, nous avons estimé l’équation (2) comme suivant :
44Les variables RAC et SURPRISENG sont mesurées de la même façon que pour l’équation (1). La variable SQC correspond au score de qualité de communication des RNG au sein des communiqués de presse, dont la mesure est présentée en section 5.2. Enfin, le coefficient d’intérêt β3 nous permet de tester l’hypothèse H2. L’interaction entre SURPRISENG et SQC permet de capturer l’effet modérateur de la qualité de communication sur la pertinence des RNG. En d’autres termes, si la qualité de communication permet d’accroitre la pertinence des RNG (comme nous le postulons), le terme d’interaction β3 devrait être positif est significatif.
45L’hypothèse H3 postule l’existence d’un effet conjoint de la qualité de communication des RNG et de l’intervention de l’AMF sur la pertinence des RNG. Pour tester cette hypothèse, nous avons estimé l’équation (3) comme suivant :
46Dans ce modèle, les variable POSTAMF et SQC sont introduites de façon simultanée. Ainsi, les coefficients β4 et β5 capturent l’effet modérateur respectif de : (i) l’intervention de l’AMF et (ii) de la qualité de communication sur la pertinence des RNG. Le terme d’interaction β6 permet quant à lui de capturer l’effet modérateur conjoint de ces deux variables sur notre variable dépendante. Ainsi, si la qualité de communication des RNG a un impact plus (moins) important après la publication de la position de l’AMF, ce coefficient devrait être positif (négatif) et significatif. A contrario, si l’impact de la qualité de communication sur la pertinence des RNG est indépendante de l’intervention de l’AMF, ce coefficient devrait être non-significatif.
47Pour mesurer la qualité de communication des RNG, nous nous sommes référés à la position de l’AMF relative à la communication d’Indicateurs Alternatifs de Performance (cf. section 2.). À l’instar de Jana et McMeeking (2021), nous considérons plusieurs modalités (items) de communication dont le respect est censé, selon le régulateur, « améliorer la comparabilité, la fiabilité et la compréhension des IAP » (AMF, 2015, p. 1) : (1) la présence d’une définition des RNG, (2) la dénomination appropriée des RNG, (3) la présence des éléments de réconciliation des RNG avec les indicateurs issus des états financiers, (4) la comparaison des RNG sur différentes périodes, (5) les justifications par l’équipe dirigeante des objectifs de communication des RNG, (6) les justifications par l’équipe dirigeante de la pertinence des RNG pour comprendre la performance de l’entreprise, (7) la présentation des RNG avec la même emphase que les indicateurs issus des états financiers et (8) la cohérence de communication des RNG d’une période à l’autre.
48Pour chaque RNG, nous avons procédé à l’analyse détaillée du communiqué de presse afin de contrôler la conformité (ou la non-conformité) du RNG à chacun des 8 items présentés plus haut. Par exemple, lorsqu’un RNG était explicitement défini dans le communiqué de presse, l’item n° 1 a été codé 1. Au contraire, si ce même RNG n’avait pas fait l’objet d’une réconciliation avec l’indicateur issu des état financier, l’item n° 3 a été codé 0. Ainsi, pour chaque indicateur communiqué, ce codage se traduit par un score total pouvant aller de 0 (le RNG n’est conforme à aucun des items) à 8 (le RNG est conforme à tous les items). Ce score total a ensuite été déflaté par le nombre total d’items constituant le codage (soit 8 items) afin de disposer d’une mesure allant de 0 à 1. Par ailleurs, afin de disposer d’un score au niveau de chaque firme-année, nous avons pondéré le score de chaque RNG d’un même communiqué par le nombre total d’indicateurs présent au sein de ce communiqué. Finalement, le score de qualité de communication pour chaque firme-année (variable SQC) est mesuré comme suivant :
Avec :
j = RNG
k = Item de l’AMF
n = Nombre de RNG au sein d’un même communiqué
49Afin de garantir la fiabilité du score de qualité de communication, nous avons procédé à un double codage à partir d’un manuel nous facilitant l’interprétation de chacun des items constituant le score. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur : (i) les précisions apportées par l’AMF au sein de sa position et (ii) les interprétations publiées par l’ESMA précisant les modalités d’application de certaines des orientations transposées par l’AMF (ESMA, 2017). Dans un premier temps, chaque auteur a procédé au codage du score dans un fichier à part. Dans un second temps, une vérification a été effectuée pour s’assurer de la cohérence de la base. Les éventuels désaccords sur le codage des items ont été réglés par discussion entre les auteurs. Le manuel de codage est présenté en annexe 1. En outre, un exemple de codage de communiqué de presse (Gemalto SA, résultats 2015) est présenté en annexe 2.
- 8 Au regard de l’impact des normes IFRS sur certaines stratégies de divulgation (Barth et al., 2012 ; (...)
50L’échantillon initial est composé d’entreprises françaises cotées sur l’indice SBF 120 entre 2011 et 2017. Le choix de cet indice nous permet de disposer d’entreprises de grande envergure, particulièrement enclines à communiquer des RNG. Par ailleurs, le SBF 120 est un indice de référence dont l’évolution fait l’objet d’une attention accrue de la part des investisseurs et de la sphère financière. Dans ce contexte, on peut s’attendre à ce que la pertinence des chiffres comptables soit conditionnée par le niveau et la qualité de la communication financière des entreprises composant cet échantillon. Débuter la période d’étude à l’exercice 2011 permet d’éviter les biais potentiels liés aux conséquences de la crise financière de 2008. Par ailleurs, l’exercice 2017 est retenu comme date limite en raison des modifications réglementaires apportées par la mise en place de la norme IFRS 15 (norme relative à la reconnaissance et à la comptabilisation du chiffre d’affaires) prenant effet au 1er janvier 20188. Cette période nous permet de disposer de deux années postérieures à la mise en place en 2015 des « orientations relatives aux IAP » par l’ESMA, et leur transposition en France par l’AMF la même année (ESMA, 2015 ; AMF 2015). De notre échantillon initial, nous avons exclu les établissements bancaires et sociétés d’assurance en raison des spécificités comptables et réglementaires propres à ces secteurs d’activités (56 firmes-années). Par ailleurs, des modifications dans la composition de l’indice SBF 120 nous ont conduit à exclure 57 firmes-années.
Tableau 2. Constitution de l'échantillon
51Les RNG ont été collectés manuellement à partir des communiqués de presse de résultats annuels (Chen et al., 2021 ; Isidro et Marques, 2015 ; Jana et McMeeking, 2021). Les communiqués de résultats représentent un vecteur de communication particulièrement pertinent, dans la mesure où ils bénéficient d’une attention accrue de la part des investisseurs (Davis et al., 2012). Suivant la définition donnée par l’AMF, nous considérons comme RNG tous les indicateurs autres que ceux précisément définis par le référentiel IFRS (IAS 1). En revanche, contrairement à Jana et McMeeking, (2021), nous avons exclus de notre échantillon les indicateurs liés à la situation financière et/ou aux flux de trésorerie de l’entreprise. De même, nous avons uniquement considéré les indicateurs historiques de la performance financière. Par conséquent, les indicateurs portant sur des périodes futures ont été exclus de notre échantillon. Les données relatives aux rentabilités boursières ainsi que les variables de contrôle ont été collectées sur la base Refinitiv Datastream. Enfin, les prévisions de résultats des analystes financiers ont été collectés sur la base IBES. Après élimination des données manquantes, notre échantillon final est constitué de 84 entreprises représentant 533 firmes-années. Le détail de la constitution de l’échantillon est présenté en tableau 2. Les variables utilisées dans cet article sont définies dans le tableau 3.
Tableau 3. Définition des variables
52Le tableau 4 présente la distribution de l’échantillon d’étude par année et secteur d’activité. Sur les 533 communiqués de presse analysés (total firmes-années), 441 incluent un ou plusieurs RNG, ce qui représente plus de 82 % de l’échantillon total. En d’autres termes, un peu plus de 8 entreprises sur 10 ont communiqué ces indicateurs durant la période d’étude. À titre de comparaison, Aubert (2010) avait constaté que seulement 116 communiqués de presse incluaient ce type d’indicateurs entre 1996 et 2006. Cette pratique s’est donc considérablement accrue au cours des dernières années, pour être comparable à ce qui est observé aux États-Unis (Black et al., 2018). Par ailleurs, on peut observer une légère hausse de la communication de RNG au cours de la période d’étude. Ainsi, les entreprises du SBF étaient 80 % à communiquer un RNG en 2011 contre près de 84,5 % en 2017. Ainsi, contrairement à ce qui a été observé aux États-Unis après la mise en place de la Reg. G. (ex : Heflin et Hsu, 2008 ; Kolev et al., 2008), les recommandations de l’AMF ne semblent pas avoir eu pour effet de faire diminuer la fréquence de communication de RNG.
Tableau 4. Distribution de l'échantillon
53Tous les secteurs d’activité sont concernés par la divulgation de RNG (Panel B). On peut constater que la totalité des entreprises des secteurs de la construction, des services financiers, de l’alimentaire, de la santé, des télécommunications et des services aux collectivités communiquent des RNG. Les taux de communication avoisinent les 90 % pour la plupart des autres secteurs d’activité. A contrario, les entreprises du secteur de l’industrie (70 %), des médias (76,67 %) et des ressources de base (66,67 %) communiquent relativement moins de RNG. Enfin, les entreprises du secteur automobile semblent les moins enclines à divulguer ces indicateurs, avec un pourcentage de communication de seulement 27 % (9 firmes-années sur les 33 de l’échantillon total).
- 9 Un test de moyenne sur échantillon unique (t-test) révèle que la variable RAC présente une moyenne (...)
54Le tableau 5 présente quelques statistiques descriptives. En moyenne, la variable NG est de 5,434 € par action (médiane : 4,026). C’est presque deux fois plus que le résultat GAAP (mesuré par le résultat net des activités poursuivies), dont la valeur moyenne est de 2,910 € par action (médiane : 2,439). La variable RETRAIT représente le montant des retraitements non-GAAP (calculée par la différence entre NG et GAAP). Ces retraitements représentent 1,865 € par action, soit près de 64 % du montant des résultat GAAP. Ces retraitements ne représentaient que 18 % du résultat GAAP au début des années 2000 (Aubert, 2010). À l’instar des États-Unis, l’ampleur des retraitements non-GAAP utilisés dans le contexte français a significativement augmenté au cours des dernières années. Les rentabilités boursières cumulées au moment de l’annonce des résultats (variable RAC) sont en moyenne de 0,008 (médiane : 0,008)9. Enfin, la publication de RNG se traduit par une surprise positive (variable SURPRISENG) moyenne de 0,079.
55La variable SQC présente une moyenne de 0,540. Pour rappel, cette variable prend des valeurs allant de 0 à 1 (1 étant le niveau de conformité parfait et 0, la non-conformité totale). Ce score reflète donc une qualité de communication que l’on peut considérer comme « moyenne ». La médiane de SQC est quant à elle de 0,500. Ainsi, la moitié de notre échantillon se situe dans une fourchette de qualité « supérieure », tandis qu’une autre moitié se situe dans une fourchette de qualité « inférieure ». Une analyse plus détaillée de la distribution de cette variable révèle que seulement 10 % des entreprises présentent un score supérieur (inférieur) à 80 % (37,5 %). Enfin, les valeurs minimales et maximales de SQC (non présentées) sont respectivement de 0,187 et 1. En d’autres termes, aucune entreprise de notre échantillon ne présente un score de qualité nul (i.e. conformité à aucun des items constituant le score). En revanche, le score maximal de 1 traduit le fait qu’une partie au moins de ces entreprises se conforme en totalité à ces recommandations.
56Le tableau 5 présente également le détail de chacun des items constituant le score de qualité de communication. On observe une grande hétérogénéité dans le niveau de conformité des entreprises. D’une part, certaines recommandations semblent assez bien appliquées. Ainsi, la quasi-totalité des RNG sont accompagnés d’informations comparatives relatives aux périodes antérieures : la variable SQC_Item4 est de 0,987. De plus, les entreprises adoptent des choix d’indicateurs cohérents d’une période à l’autre, comme en atteste la variable SQC_Item8 (moyenne : 0,939). Ainsi, 93,9 % des RNG communiqués en N sont également communiqués en N-1. Enfin, la plupart RNG (environ 3 sur 4) sont désignés par une terminologie reflétant correctement leur nature et mode de calcul (SQC_Item2). D’autres recommandations semblent en revanche peu ou pas appliquées par les entreprises. Par exemple, la variable SQC_Item1 est seulement de 0,321, ce qui suggère que moins d’un tiers des RNG sont explicitement définis dans les communiqués de presse. Par ailleurs, les RNG sont correctement réconciliés avec le résultat GAAP dans moins de la moitié des cas : la moyenne de SQC_Item3 est de 0,405. Enfin, l’utilisation des RNG est très rarement justifiée de la part des dirigeants (objectifs poursuivis et pertinence des RNG pour comprendre la performance) : les variables SQC_Item5 et SQC_Item6 sont respectivement de 0,236 et 0,170. La variable SQC_Item7 présente quant à elle une moyenne de 0,502. Ainsi, environ la moitié des RNG sont présentés avec la même emphase que le résultat GAAP.
Tableau 5. Statistiques descriptives
Note : Toutes les variables sont définies dans le tableau 3.
57Enfin, le tableau 5 nous renseigne sur les variables utilisées pour nos analyses complémentaires (cf. section 7.). Les variables |SURPRISENG| et σFORECASTNG présentent une moyenne respective de 0,086 (écart-type : 0,356) et 0,205 (écart-type : 0,492). Le cours moyen d’une action (PRIX) est de 60,154 €. TAILLE et ANALYSTES (mesurées en logarithme) sont quant à elles de 7,086 et 2,886. Le ratio market-to-book (MTB) est de 2,961 et la croissance du chiffre d’affaires (ΔCA) est de 4,9 %. Environ 11 % des entreprises de l’échantillon ont reporté une perte comptable (LOSS) tandis que les actifs incorporels représentent en moyenne de 20,2 % du total bilan (INCORP). Les variables σROA et HORIZON sont de 0,021 et 3,964. Enfin, les capitaux propres par action (CP) sont en moyenne de 33,454.
58Afin d’évaluer si l’intervention de l’AMF s’est traduite par une amélioration de la qualité de communication des RNG, nous procédons à des comparaisons de moyennes (test t de Student sur échantillons appariés) de la variable SQC ainsi que des différents items constituant le score avant et après l’intervention de l’AMF. Le sous-échantillon POSTAMF = 0 (exercices 2011 à 2015) est constituée de 302 firmes-années tandis que le sous-échantillon POSTAMF = 1 (exercices 2016 et 2017) est constitué des 139 firmes-années restantes. Dans la mesure où la variable SQC est tronquée, nous procédons également à un test non-paramétrique (test z de Wilcoxon) afin de nous assurer de la robustesse de nos résultats. Les résultats sont présentés dans le tableau 6.
59Pour commencer, on peut observer une augmentation de la qualité de communication globale des RNG. La variable SQC est de 0,521 (écart-type : 0,168) pour la période précédant la publication des recommandations de l’AMF (POSTAMF = 0) contre 0,581 (écart-type : 0,186) pour la période succédant à celle-ci (POSTAMF = 1). Cette différence est significative au seuil de 1 % pour le test paramétrique (t = -3,338) et non paramétrique (z = -3,103). La hausse générale de la qualité de communication semble être guidée par certains items en particulier. Par exemple, on peut constater une hausse particulièrement importante de la variable SQC_Item1 (présence d’une définition des RNG au sein du communiqué de presse). Celle-ci passe de 0,280 à 0,410 (t = -2,894 ; z = -2,916). De même, la présence d’une réconciliation des RNG avec le résultat GAAP (variable SQC_Item3) est beaucoup plus fréquente à l’issue de l’intervention de l’AMF : celle-ci passe de 0,359 à 0,507 (t = -3,043 ; z = -3,040). Enfin, les entreprises apparaissent plus enclines à présenter des informations comparatives (SQC_Item4) et à justifier les objectifs poursuivis par la communication de RNG (SQC_Item5). Cette hausse est toutefois plus relative, les tests de moyennes n’étant significatifs qu’au seuil de 10 %.
Tableau 6. Comparaison de la qualité de communication des RNG avant et après l'intervention de l'AMF
Note : Toutes les variables sont définies dans le tableau 3. ***,**, et * indiquent une significativité statistique au seuil de respectivement 1 % ; 5 % et 10 %
- 10 Les variables SURPRISENG et |SURPRISENG| (r = 0,98), NG et SURPRISENG (r = 0,69), NG et |SURPRISENG(...)
60Avant de procéder au test des hypothèses, le tableau 7 présente la matrice des corrélations des variables de l’étude. Sans surprise, la réaction des investisseurs (RAC) est positivement corrélée à la surprise de RNG (SURPRISENG). Par ailleurs, le score de qualité de communication des RNG (variable SQC) se trouve positivement corrélé aux variables TAILLE (r = 0,25) et ANALYSTES (r = 0,23). Ainsi, les entreprises les plus visibles semblent davantage enclines à fournir une information transparente et comparable à leurs utilisateurs. La variable PRIX (cours de l’action) est corrélée avec le montant des capitaux propres (CP) et du RNG (variable NG). La dispersion des prévisions d’analystes (σFORECASTNG) est quant à elle positivement corrélée à l’occurrence de pertes comptables (LOSS), à la dispersion des résultats (σROA) et négativement corrélée au nombre d’analystes. Enfin, la taille de l’entreprise se trouve fortement corrélée au nombre d’analystes financiers suivant l’entreprise (r = 0,58)10. Afin de nous assurer que nos tests statistiques ne soient pas biaisés par un problème de multi-colinéarité, nous avons mesuré pour chacune de nos estimations le Variance Inflation Factor (ou VIF).
Tableau 7. Matrice des corrélations (Pearson)
Note : Ce tableau présente les résultats des équations (1), (2), et (3). Toutes les variables sont définies dans le tableau 3. ***, **, et * indiquent une significativité statistique au seuil de respectivement 1 %, 5 % et 10 %.
61Les résultats de l’équation (1) sont présentés dans la colonne 1 du tableau 8. Pour commencer, on peut constater que le coefficient β1 (variable SURPRISENG) est positif et significatif. Pour rappel, un signe positif et significatif suggère que l’information contenue dans les RNG au moment de leur communication se traduit par une réaction positive des investisseurs (earnings response coefficient). En d’autres termes, indépendamment de l’intervention de l’AMF, les RNG fournissent une information utile pour la prise de décision des investisseurs. Ce constat est conforme à la littérature antérieure conduite aux États-Unis comme en Europe (Bradshaw et al., 2018 ; Guillamon-Saorin et al., 2017). La variable POSTAMF est quant à elle non significative. Le fait de se trouver dans la période postérieure aux recommandations de l’AMF ne se traduit pas en soi par une réaction plus importante des investisseurs. Enfin, et conformément à H1, on peut constater que la pertinence des RNG est différente dans la période suivant l’intervention du régulateur français. Plus spécifiquement, le terme d’interaction β3 est négatif et significatif. Ainsi, le contenu informatif des RNG communiqués après 2015 est moins important : celui-ci est de 0,047 (β1) – 0,014 (β3) soit 0,033. Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que l’intervention de l’AMF s’est traduite par un plus grand scepticisme des investisseurs à l’égard des RNG communiqués par les entreprises. En moyenne, ces indicateurs sont perçus comme moins fiables après 2015, ce qui se traduit par une réaction moins importante des investisseurs au moment de leur annonce. Ce constat est contraire avec ce qui a été constaté aux États-Unis, où l’intervention de la SEC s’est traduite par une amélioration du contenu informatif des RNG (ex : Marques, 2006).
Tableau 8. Test des hypothèses
62Les résultats de l’équation (2) sont présentés dans la colonne 2 du tableau 8. Le coefficient β1 est positif et significatif. Le coefficient β2 (variable SQC) est quant à lui de -0,006 et non significatif. En revanche, le terme d’interaction β3 apparaît positif et significatif au seuil de 5 %. Pour rappel, ce coefficient traduit l’effet additionnel de la qualité de communication sur la réaction des investisseurs au moment de l’annonce de RNG. Ainsi, la pertinence des RNG est davantage prononcée à mesure que la qualité de communication de ces indicateurs est forte. Au total, la réponse des investisseurs est donc de 0,026 (β1) + 0,130 (β3) soit 0,156. Un test de Fisher révèle que ces coefficients sont conjointement significatifs (F = 8,72 ; p-value < 0,01). Dans l’ensemble, les résultats présentés dans le tableau 8 nous permettent de valider l’hypothèse H2, et suggèrent que les caractéristiques qualitatives accompagnant la divulgation de RNG sont perçues comme un signal de transparence par les investisseurs, ce qui se traduit par une réaction plus importante de leur part le cas échéant (Aubert et Grudnitski, 2014 ; Baik et al., 2008).
63La colonne 3 du tableau 8 présente les résultats de l’équation (3). Celle-ci teste l’effet conjoint de l’intervention de l’AMF et de la qualité de communication sur la pertinence des RNG. En d’autres termes, nous cherchons à déterminer si l’effet de la qualité de communication des RNG est différent après la publication de la position du régulateur français en 2015. Conformément aux résultats présentés plus haut, nous constatons un effet négatif (positif) de l’intervention de l’AMF (de la qualité de communication) sur la pertinence des RNG : le terme d’interaction β4 est négatif et significatif tandis que le terme d’interaction β5 est positif et significatif. Enfin, le coefficient d’intérêt est le terme d’interaction β6 (SURPRISENG*POSTAMF*SQC). Celui-ci est positif et significatif au seuil de 1 % (t = 0,042 ; p-value < 0,01). Conformément à l’hypothèse H3, l’impact de la qualité de communication sur la pertinence des RNG est bel et bien différent après l’intervention de l’AMF. Cet impact total peut être calculé comme la somme des coefficients β1 (0,029), β4 (-0,013), β5 (0,064), et β6 (0,042), soit 0,122. Un test de Fisher révèle que ce coefficient est positif est statistiquement significatif. De plus, ce coefficient est plus important que l’effet cumulé de β1 (SURPRISENG) et β5 (SURPRISENG*SQC). En d’autres termes, l’effet positif de la qualité de communication sur la pertinence des RNG est davantage prononcé dans la période postérieure à la publication de la position de l’AMF (après 2015).
64Dans le tableau 9, nous reproduisons le test des hypothèses H1, H2 et H3 en fonction de l’intensité de la réaction des investisseurs. Pour cela, nous avons calculé les valeurs absolues de la variable RAC (|RAC|), décomposé les valeurs obtenues en quatre quartiles (Q1-Q4), et reconduit les équations (1), (2) et (3) sur chacun de ces quartiles.
Tableau 9. Test des hypothèses (analyse par quartile)
65Note : Ce tableau présente les résultats des équations (1), (2), et (3) par quartile de la variable RAC. Les montants entre parenthèses indiquent les valeurs du t-stat. Toutes les variables sont définies dans le tableau 3. ***, **, et * indiquent une significativité statistique au seuil de respectivement 1 %, 5 % et 10 %.
- 11 Ce constat est vrai pour l’ensemble des estimations présentées dans le tableau 9 (colonnes 1 à 12).
66Les colonnes 1 à 4 du tableau 9 présentent les résultats pour l’équation (1). Le coefficient de la variable SURPRISENG n’est significatif (et positif) que pour les deux derniers quartiles de la variable |RAC| (colonnes 3 et 4)11. De même, le terme d’interaction β3 (SURPRISENG*POSTAMF) apparaît négatif et significatif pour les deux derniers quartiles de la variable RAC uniquement. L’hypothèse H1 est ainsi validée pour les réactions les plus importantes. Les résultats pour l’équation (2) (colonnes 5 à 8) sont relativement similaires. Conformément à H2, l’interaction entre SURPRISENG et SQC est positive et significative. Toutefois, cela est uniquement vrai pour le dernier quartile de la variable expliquée (colonne 8). Ainsi, la qualité de communication n’a d’effet sur la pertinence des RNG que lorsque la réaction des investisseurs est la plus forte. Enfin, les colonnes 9 à 12 présentent les résultats relatifs à l’équation (3). À l’instar des résultats présentés plus haut, l’interaction entre SURPRISENG et POSTAMF est négative et significative pour les deux derniers quartiles uniquement. En revanche, nous ne constatons plus d’effet modérateur de la qualité de communication dans l’équation (3). Enfin, l’interaction entre les trois variables d’intérêt (SURPRISENG*POSTAMF*SQC) est positive pour le dernier quartile (conformément aux résultats du tableau 8) mais négative pour le premier et troisième quartile.
67Dans l’ensemble, les résultats présentés dans le tableau 9 corroborent nos hypothèses, mais uniquement dans les cas où les investisseurs réagissent avec le plus d’intensité (i.e. rentabilités anormales cumulées les plus importantes). Pour les réactions les moins intenses en revanche, nous ne constatons pas de lien statistique significatif avec l’information contenue dans les RNG (surprise de RNG), ni d’effet modérateur des recommandations de l’AMF ou de la qualité de communication des RNG.
- 12 Un American Depository Receipt (ou ADR) est « un titre financier représentant des actions de sociét (...)
- 13 Au contraire, les ADR négociées sur les marchés de gré-à-gré (ou Over The Counter) ne sont soumises (...)
68Dans cet article, nous cherchons à estimer l’effet d’un traitement (mise en place d’une réglementation) sur la pertinence des RNG. Cela suppose implicitement qu’aucune des entreprises de l'échantillon n'a été soumise à un traitement similaire avant 2015 (date de mise en place des recommandations de l’AMF). Or, dans la mesure où certaines sociétés du SBF 120 sont également cotées aux États-Unis (directement, ou par le biais d’American Depository Receipts)12, il est possible que celles-ci soient déjà soumises aux obligations imposées par SEC en matière de divulgation de RNG (notamment l’item 10 de la Reg. S-K). Dans son règlement de 2003, la SEC indique que : « les émetteurs privés étrangers seront soumis aux mêmes exigences que les émetteurs nationaux en ce qui concerne l'utilisation de mesures financières non-GAAP dans les documents déposés auprès de la SEC (formulaire 20-F) » (SEC, 2003). L’item 10 de la Reg. S-K s’applique donc aux sociétés étrangères tenues de déposer auprès de la SEC un formulaire 20-F (rapport annuel). Il s’agit plus précisément des sociétés dont les actions et/ou ADR sont négociés sur un marché boursier organisé (ex : NYSE, Nasdaq)13.
69Afin d’établir la liste des sociétés concernées par la réglementation américaine, nous avons utilisé le système EDGAR (Electronic Data Gathering, Analysis, and Retrieval), accessible sur le site de la SEC. Pour chaque société de l’échantillon, nous avons effectué une recherche manuelle afin de prendre connaissance des documents déposés sur EDGAR. Sur les 84 sociétés constituant notre échantillon, 57 émettent des ADR négociées de gré-à-gré et sont enregistrées auprès de la SEC sur EDGAR (Form F-6). Toutefois, seulement 5 sociétés (représentant 34 firmes-années) sont concernées par l’obligation de publication de rapports financiers auprès de la SEC (Form F-20) et par conséquent, par la Reg. S-K. Nous avons donc reconduit nos analyses (équations 1-3) en éliminant de l’échantillon les 34 firmes-années correspondant aux sociétés déjà soumises aux États-Unis à la Reg. S-K.
70Les résultats, présentés dans le tableau 10, sont relativement cohérents avec ceux conduits sur l’échantillon total. Le coefficient β1 de la variable SURPRISENG est positif et significatif dans les colonnes 1 (équation 1) et 3 (équation 3). En revanche, ce coefficient est non significatif dans la colonne 2. Conformément à H1, l’interaction entre SURPRISENG et POSTAMF est négative et significative (cf. colonne 1), ce qui traduit une diminution de la pertinence des RNG suite à la mise en place des recommandations de l’AMF. De même, le terme d’interaction β3 (SURPRISENG*SQC) dans la colonne 2 est positif et significatif conformément à H2. Enfin, le terme d’interaction β6 de la colonne 3 (SURPRISENG*POSTAMF*SQC) est positif et significatif. À l’instar des résultats constatés dans le tableau 8, l’effet de la qualité de communication sur la pertinence des RNG est plus important après l’intervention de l’AMF.
Tableau 10. Test de robustesse (élimination des sociétés doublement cotées)
Note : Ce tableau présente les résultats des équations (1), (2), et (3) après élimination des sociétés doublement cotées concernées par les obligations de la Reg. S-K. Toutes les variables sont définies dans le tableau 3. ***, **, et * indiquent une significativité statistique au seuil de respectivement 1 %, 5 % et 10 %.
71Afin d’apporter de la robustesse à nos résultats principaux, nous avons également testé l’impact de l’intervention de l’AMF sur un autre proxy de la pertinence largement utilisé dans la littérature antérieure : la value relevance des RNG (Brown et Sikavumar, 2003 ; Cormier et al., 2017 ; Venter et al., 2014). L’étude de value relevance consiste à tester dans quelle mesure l’information comptable publiée par l’entreprise se reflète dans son cours boursier. Conformément à Cormier et al. (2017), nous avons mobilisé le modèle de Ohlson (1995) que nous avons adapté pour les besoins de notre étude. Nous avons formulé l’équation (4) comme suit :
72La variable PRIX représente le cours boursier unitaire (ajusté des versements de dividendes) de l’entreprise à la clôture de l’exercice. La variable CP représente le montant des capitaux propres de l’entreprise par action. Dans notre modèle, nous avons remplacé le résultat net par action (GAAP) par le RNG par action (variable NG). Enfin, nous avons introduit notre variable binaire POSTAMF afin de la faire interagir avec respectivement CP et RNG. Dans l’équation (4), le coefficient d’intérêt est le terme d’interaction β5 (RNG*POSTAMF). Celui-ci capture l’effet modérateur de l’intervention de l’AMF sur la pertinence des RNG communiqués. Les résultats de l’équation (4) sont présentés dans le tableau 11. Sans surprise, nous constatons que les variables CP et RNG présentent toutes les deux des coefficients positifs et statistiquement significatifs. La variable POSTAMF est quant à elle non significative. Par ailleurs, les termes d’interaction β4 et β5 sont également non significatifs. Ainsi, l’association entre le RNG et le cours boursier n’est pas plus prononcée (ni moins prononcée) après la mise en place des recommandations de l’AMF. Il semble donc que l’intervention du régulateur boursier ait été sans impact sur la pertinence des RNG (telle que mesurée par leur association avec le cours boursier).
Tableau 11. Analyse complémentaire : test de value relevance
Note : Ce tableau présente les résultats de l’équation (4). Toutes les variables sont définies dans le tableau 3. ***, **, et * indiquent une significativité statistique au seuil de respectivement 1 %, 5 % et 10 %.
73Finalement, nous avons étudié l’impact des recommandations de l’AMF sur la qualité des prévisions établies par les analystes financiers (Gomez et al., 2022). En collectant, en retraitant, et en disséminant l’information auprès des marchés financiers, ces derniers contribuent à réduire les coûts d’acquisition et de traitement de l’information par les investisseurs (Healy et Palepu, 2001). Toutefois, la qualité des informations fournies par ces analystes dépend en partie des informations communiquées volontairement par les entreprises et leurs dirigeants. La littérature antérieure documente ainsi un effet positif de la divulgation de RNG sur le degré de précision des prévisions d’analystes (Malone et al., 2016). En imposant des modalités de communication plus strictes aux entreprises divulguant des RNG, l’intervention de l’AMF est susceptible d’avoir accru le volume et la qualité des informations à disposition des analystes, facilitant ainsi le travail de ces derniers (Andersson et Hellman, 2007). Conformément à Malone et al. (2016) et Gomez et al. (2022), nous mesurons la qualité des prévisions d’analystes selon deux variables : la précision (variable |SURPRISENG|) et la dispersion (variable σFORECASTNG) du consensus de prévision des analystes. Nous régressons chacune de ces variables sur la variable POSTAMF (définie précédemment) et un ensemble de variables de contrôle. Les équations (5) et (6) sont présentées ci-dessous.
74La variable |SURPRISENG| représente la valeur absolue de SURPRISENG. Plus les analystes sont précis, moins le montant de cette variable est élevé. La variable σFORECASTNG capture le degré de divergence des analystes concourant au consensus de prévision. Celle-ci est mesurée comme l’écart-type des prévisions établies par IBES au cours de l’année précédant l’annonce des résultats. Ces modèles incluent un ensemble de variables de contrôle (Gomez et al. 2022). La taille est mesurée par le logarithme du total actif (TAILLE). Les opportunités de croissance sont mesurées par la croissance du chiffre d’affaires (ΔCA) et le ratio Market-To-Book (MTB). Le nombre d’analystes (ANALYSTES) est mesuré par le logarithme du nombre moyen d’analystes suivant l’entreprise au cours d’un exercice donné. La variable LOSS est codée 1 lorsque le résultat net des activités poursuivies est inférieur à zéro et 0 sinon. INCORP est mesurée par le montant des actifs non-courants incorporels, divisé par le total actif. σROA représente la dispersion des résultats, mesurée par l’écart-type du ROA sur une période de 6 ans. Enfin, HORIZON est le logarithme du nombre de jours entre la date de fin de l’exercice fiscal et la date d’annonce des résultats.
75Les résultats des équations (5) et (6) sont présentés dans les colonnes 1 et 2 du tableau 12. Le coefficient de POSTAMF est non significatif pour la colonne 1 (variable |SURPRISENG|). Ainsi, nous n’observons aucun effet de l’intervention de l’AMF sur la précision des prévisions de RNG établies par les analystes. En colonne 2, en revanche, le coefficient β1 de la variable POSTAMF est négatif (β : -0,066) et significatif (p-value < 0,05). Ainsi, après la publication des recommandations de l’AMF en 2015, les analystes produisent des prévisions relativement moins divergentes les unes des autres. La plus grande transparence imposée aux entreprises après 2015 a pu se traduire par une information plus homogène à disposition des analystes financiers, et par conséquent, à des modèles d’évaluation plus convergents. Ainsi, ce résultat corrobore l’idée d’une diminution de l’asymétrie d’information entre les entreprises et les analystes suite à l’intervention de l’AMF.
Tableau 12. Analyse complémentaire : impact de l’intervention de l’AMF sur les prévisions d’analystes financiers
Note : Ce tableau présente les résultats des équations (5) et (6). Toutes les variables sont définies dans le tableau 3. ***, **, et * indiquent une significativité statistique au seuil de respectivement 1 %, 5 % et 10 %.
76Voilà plus de deux décennies que la divulgation de RNG ne cesse d’attirer l’attention des différents acteurs de la sphère financière. Ces indicateurs financiers dérogent aux normes et principes comptables, et sont très largement utilisés par les investisseurs à des fins de prise de décision (Bradshaw et al., 2018 ; Guillamon-Saorin et al., 2017). Néanmoins, leurs modalités de communication confèrent une latitude considérable aux dirigeants, faisant craindre une utilisation inappropriée de ces indicateurs de la part des entreprises. En 2015, l’autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a ainsi mis en place des recommandations visant à accroitre la transparence, la comparabilité et in fine, l’utilité des RNG pour les investisseurs. Ces recommandations ont été transposées en France par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en décembre 2015. À partir d’un échantillon de 441 RNG divulgués par les entreprises du SBF 120 entre 2011 et 2017, nous étudions les conséquences du cadre mis en place par l’AMF sur : (i) la qualité des RNG communiqués par les entreprises (mesurée par le degré de conformité des RNG aux recommandations) et (ii) la pertinence de ces indicateurs pour les investisseurs (mesurée par la réaction des investisseurs au moment de leur annonce). Cette question revêt une importance majeure compte tenu du vif intérêt porté à la divulgation de RNG par les régulateurs boursiers, les instances de normalisation comptable, et la communauté financière dans son ensemble (IOSCO, 2016 ; ESMA, 2018 ; Hoogervorst, 2018). De plus, très peu de travaux académiques ont étudié les conséquences de la régulation en dehors du contexte américain.
77Nos résultats révèlent que l’intervention de l’AMF s’est traduite par une amélioration de la qualité de communication des RNG. Après 2015, les entreprises sont davantage enclines à définir les indicateurs communiqués, à en expliquer les modalités de calcul, à fournir des informations comparatives et à justifier les objectifs poursuivis par la divulgation de tels indicateurs. Il semble donc que le cadre européen de 2015 (transposé en France par l’AMF) ait été suivi d’effets plus concrets que les précédentes recommandations émises par le CESR en 2005. Cela étant, beaucoup de ces recommandations demeurent peu ou pas appliquées après 2015. C’est particulièrement le cas des items portant sur la compréhensibilité des RNG (définition pertinence, objectif). Or, il s’avère que les investisseurs les plus induits en erreurs par les RNG sont les investisseurs individuels ou non sophistiqués ; les investisseurs institutionnels ayant les ressources pour traiter l’information financière et extra financière (Elliot, 2006). Dans ce contexte, il semble nécessaire que les items de qualité portant sur la compréhensibilité progressent afin d’améliorer l’information destinée aux investisseurs les plus vulnérables et ainsi les protéger des informations de mauvaise qualité. Contrairement à ce qui a été observé aux États-Unis, nous constatons une diminution de la pertinence des RNG suite aux recommandations de l’AMF. L’intervention du régulateur ne semble donc pas avoir conféré aux RNG une plus grande crédibilité aux yeux des investisseurs. Au contraire, ce résultat reflète plutôt un scepticisme de ces derniers à l’égard des RNG après 2015. Finalement, il semble que les investisseurs réagissent davantage aux RNG communiqués après 2015, lorsque ces indicateurs sont davantage conformes aux recommandations de l’AMF (i.e. plus grande qualité de communication). En d’autres termes, il semble que le degré de conformité des entreprises aux recommandations de l’AMF soit perçu comme un signal particulièrement crédible par les investisseurs. Dans une analyse complémentaire, nous avons testé l’impact du cadre réglementaire sur la value relevance des RNG. Nos résultats révèlent que ces indicateurs ne sont pas davantage associés au cours boursier après l’intervention de l’AMF. Ce résultat va dans le sens du scepticisme observé chez les investisseurs au moment de l’annonce des RNG. Enfin, nous constatons après 2015 une diminution de la dispersion des prévisions d’analystes, corroborant l’idée d’une baisse de l’asymétrie d’information entre dirigeants et analystes financiers.
78Notre étude présente toutefois certaines limites qu’il convient de souligner. Premièrement, ce travail se focalise exclusivement sur les conséquences à court terme de l’intervention de l’AMF (deux premières années d’application). Aux États-Unis, les effets à plus long terme de l’intervention de la SEC se font ainsi plus contrastés. Ces travaux documentent notamment une recrudescence des stratégies de divulgation opportunistes (Baumker et al., 2014 ; Black et al., 2017 ; Kolev et al., 2008) et des effets limités des interventions plus récentes du régulateur américain (Bond et al., 2017). En termes de design ensuite, bien que notre travail nous permette d’évaluer la réaction des investisseurs au moment de l’annonce des RNG (date de publication du communiqué de presse), nous ne sommes pas en mesure d’évaluer si cette réaction reflète une décision rationnelle ou une évaluation biaisée de la part des investisseurs (mispricing). À cet égard, la littérature antérieure montre que certains investisseurs peuvent être induits en erreur à la date d’annonce des résultats, ce qui se traduit par une correction du cours boursier dans les périodes succédant à cette annonce (Doyle et al., 2003 ; Landsman et al., 2007). Enfin, dans cet article, nous nous intéressons à une seule catégorie d’indicateurs alternatifs de performance (IAP) : les RNG. Ce choix est motivé par le fait que ces indicateurs sont les plus largement utilisés par les entreprises pour communiquer sur leur performance. Toutefois, nos résultats ne sont pas nécessairement généralisables aux autres types d’IAP, dont le choix de communiquer ne dépend pas toujours des mêmes facteurs (Jana et McMeeking, 2021).
79Cet article ouvre donc la voie à des pistes de recherches futures. Tout d’abord, dans la lignée de ce que nous évoquons plus haut, il serait intéressant d’évaluer les conséquences à plus long terme de l’intervention de l’AMF sur la divulgation de RNG. Dans un rapport publié en 2019, le régulateur européen note que la non-conformité des entreprises aux orientations publiées en 2015 est en partie attribuable à une mauvaise compréhension de celles-ci par les dirigeants (ESMA, 2019). Aussi, il serait pertinent d’étudier l’impact des interprétations publiées par l’ESMA en 2017 afin d’identifier si les entreprises se sont mieux appropriées les recommandations. Deuxièmement, l’application partielle des recommandations de l’AMF ainsi que le scepticisme affiché par les marchés questionnent le rôle coercitif du régulateur français et son impact sur la crédibilité de l’information fournie par l’entreprise aux yeux des investisseurs. Ainsi, il serait intéressant d’étudier si la coercition exercée par les régulateurs permet de modifier les pratiques de divulgation adoptées par les entreprises. Cette question est d’autant plus importante qu’aux États-Unis, la littérature montre que l’envoi de comment letters par la SEC se traduit par des effets contrastés sur la qualité des RNG communiqués (Donelson et al., 2020 ; Gomez et al., 2022). Finalement, il conviendrait d’élargir cette étude à un échantillon européen afin de mettre en évidence l’influence des facteurs institutionnels et culturels sur la divulgation de RNG (Isidro et Marques, 2015 ; Visani et al., 2020).