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La santé en Afrique à l’ère de la Global Health. Leçons politiques aux temps du Covid-19

Fred EBOKO

Texte intégral

1Ce numéro de Face A Face a été conçu en collaboration1 avec la revue Politique africaine2. Le présent dossier s’inscrit donc dans la filiation de celui qui a été publié sous le titre : Global Health. Et la santé ? (Baxerres & Eboko 2019) Le même appel à contributions nous a offert l’opportunité de publier deux dossiers et de valoriser des textes et des orientations dont la diversité et la richesse mettent en exergue la dynamique et les contradictions de la Global Health. Réunis pour apporter des réponses rapides aux chocs épidémiologiques qui traversent les pays à ressources limitées (Eboko & Baxerres 2019), les acteurs qui constituent cette intention qu’est la Global Health (Lachenal 2013) incarnent la pluralité des intérêts et des pratiques dont les questions de santé en Afrique sont l’objet.

2Si les progrès et les financements internationaux générés pour lutter notamment contre les maladies transmissibles sont incontestables, la tentative de globalisation et de standardisation des réponses relèvent simultanément d’impératifs portés par le nouveau management public et des vulnérabilités de l’Afrique subsaharienne.

3Cette région du monde a été la plus éprouvée par les trois maladies auxquelles le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est dédié. Le précédent dossier de Face A Face (Eboko & Le Groupe Gouvernance et sida 2019) a largement montré les avancées, les limites et les incertitudes qui concernent la gestion des questions de santé dans des contextes plus globaux de mutations sociales et de transition épidémiologique.

4Dans ce contexte, l’irruption de la pandémie à Sars-Cov-2 représente une révélation paradoxale que met en lumière le présent dossier. En effet, il est avéré à ce jour que l’Afrique subsaharienne est une des régions du monde les moins touchées, en nombre de cas comme en nombre de décès, par la Covid-19 (Jessani, Langer L. et al 2020).

5Parmi le faisceau causal de cette « exception africaine », quelques pistes sont approfondies par les articles du présent dossier. En premier lieu, la pyramide des âges en Afrique subsaharienne constitue un des facteurs qui ont expliqué une moindre mortalité dans cette région jeune. Cette jeunesse est le double effet d’une forte natalité qui a été décriée comme étant un frein au « développement économique » de l’Afrique et d’une mortalité plus élevée en Afrique que sur les autres continents. En bref, pour reprendre une formule abrupte récente, les victimes préférentielles du coronavirus, les personnes âgées, « sont déjà mortes » sur le continent (Vidal, Eboko, Williamson 2020).

6A l’autre bout de la chaîne des causes des décès, la mortalité maternelle et infantile est des plus élevées en Afrique. Sur les douze pays du monde qui connaissent une mortalité maternelle catastrophique, onze se situent en Afrique subsaharienne, l’autre pays étant l’Afghanistan. La faiblesse des infrastructures de transport qui sont les vecteurs de transmission privilégiés du Sars-Cov-2 représentent également un élément d’une contamination moins forte en Afrique qu’ailleurs et plus forte dans les villes que dans les campagnes.

7En bref, de manière saisissante, le Covid-19 se heurte à ce qui est conçu par ailleurs – ou ailleurs – comme le « développement » au sens structurel et infrastructurel du terme. Un autre argument et non des moindres met en évidence la précocité des mesures adoptées par les autorités africaines en termes de fermeture des frontières (Petit & Robin 2020) et d’interdiction des rassemblements, avant la flambée relative de la pandémie sur leurs sols. Cette anticipation est principalement liée à la mémoire des épidémies et des pandémies dont l’Afrique a été l’épicentre. Ce qui s’est appelé « la mémoire d’Ebola », y compris pour des pays qui n’avaient pas été frappés par cette maladie.

8C’est dans cette dynamique que les articles de ce numéro de Face A Face montrent par contraste et par le caractère cumulatif des difficultés sanitaires, une Afrique quotidienne qui lutte avec des drames routiniers consubstantiels de sa marginalisation économique des normes de l’économie néolibérale mondialisée. Gérard Amougou et Victorine Oyane montrent la construction et les contraintes que rencontrent une réponse institutionnelle au drame de la mortalité maternelle dans la région la plus pauvre et la plus frappée par ce fléau au Cameroun. Soutenue par ses partenaires bilatéraux, les autorités camerounaises mettent en place un « chèque santé » pour sortir les parturientes des rets des contraintes économiques qui pénalisent le suivi adéquat des grossesses. Si ce processus semble préfigurer la mise en œuvre d’une politique visant à atteindre la couverture sanitaire universelle, il souligne surtout l’impact de la pauvreté de la prise en charge des femmes enceintes et oblige à penser de manière plus globale aux conditions de vie dont la santé est une déclinaison parfois abrupte dans les pays à ressources limitées.

9Waly Diouf et Sylvain Landry Faye traitent de la question d’Ebola en Guinée, envisagée sous le prisme des mobilisations citoyennes. Enchâssées dans une lutte qui a impliqué des acteurs internationaux, ONG et organisations internationales, des parties prenantes nationales, autorités publiques et organisations de la société civile, les mobilisations citoyennes les plus minorées au début de « la Riposte », ont montré la nécessité d’impliquer les acteurs dits communautaires. Leur place a mis en scène l’idée que l’on peut difficilement traiter une épidémie en faisant fi de l’intelligence de ceux qui portent le changement social, y compris en faisant évoluer les pratiques et les regards, de manière réciproque, des acteurs du Nord à ceux du Sud. Et vice versa. C’est dans cette logique que cet article porte un éclairage a posteriori sur « la mémoire d’Ebola » en temps de Covid.

10Depuis l’avènement du Fonds mondial et d’autres institutions nées dans le renouveau de la Global Health, les normes et standards internationaux provoquent une pression sur les autorités nationales qui constituent des exécutants volontaires davantage que des initiateurs des politiques de santé conformes aux dynamiques épidémiologiques nationales ou localisées. Cette situation est liée à la dépendance économique et structurelle qu’incarnent, de manière générale, les pays africains. Pour autant, ce que montrent Axelle Ebodé et Octovio Gonzales est une nécessité des réformes des instruments de politique publique de santé au niveau international.

11A partir de l’épidémie H1N1 en 2009 et de la maladie à virus Ebola en 2014, les deux auteurs affirment que l'échec et le succès de la gestion des épidémies majeures sont principalement liés à la conception institutionnelle des organisations internationales. Le cœur de leur argumentaire sans fard repose sur un mécanisme pas assez médiatisé et pourtant essentiel au sein de l’OMS : l’Urgence de santé publique de portée internationale (USPPI). Leur analyse critique rejoint celle énoncée récemment autour de la gestion de l’OMS de la Covid-19 (Tchiombiano et al. 2020). Dans ce cas comme dans d’autres les « victoires » portées par les organisations internationales, sur la base de calculs et/ou de projections arithmétiques voilent parfois des réalités structurelles et conjoncturelles. S’il est entendu que la massification de l’accès aux médicaments contre le sida et les progrès thérapeutiques permettent de poser la question de « la fin du sida » (Larmarange & Dabis 2017), les freins à ce dessein sont réels. C’est le sens de l’article d’Estelle Kouokam et Laurent Vidal sur les ruptures de stocks d’antirétroviraux au Cameroun, malgré les financements internationaux et les compétences transnationales qui accompagnent la lutte contre le sida au Cameroun. Dans le prolongement de ce type de préoccupations et d’alertes, Gabrielle Laborde Balen, Bernard Taverne et Ibra Ndoye dissèquent un risque peu médiatisé : la progression des résistances biologiques aux ARV et l’acuité des échecs thérapeutiques. Ils sont directement associés au « facteur humain », entre déformation des personnels soignants et désaffiliation du lien entre patient et praticien.

12C’est un autre regard sur l’Afrique au prisme des questions de santé dont la Covid-19 n’est pas un révélateur mais un miroir déformant de l’ordre du monde qu’il est urgent de réorganiser pour la survie de la planète dont l’Afrique est partie prenante, sous la lumière de sa jeunesse et l’ombre de ses évictions de l’espérance de vie en santé (Fassin 2018).

13Références bibliographiques

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Bibliographie

Baxerres C. & Eboko F., sous la direction de, Global Health: et la santé ? Politique africaine, vol. 156, no. 4, 2019.

Eboko F. & Baxerres C., « Politiques, acteurs et dynamiques à l’ère de la Global Health », in Baxerres C. & Eboko F., sous la direction de, Global Health: et la santé ? Politique africaine, vol. 156, no. 4, 2019 : 5-20.

Eboko F. & Le Groupe Gouvernance & Sida, « Les antécédents et évolution d’un instrument de solidarité internationale (fr) », Face à face [En ligne], 15 | 2019, mis en ligne le 20 octobre 2019, consulté le 14 octobre 2020. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/faceaface/1214

Fassin D., La vie. Mode d’emploi critique, Condé-sur-Noireau, Seuil (La couleur des idées), 2018.

Jessani N., Langer L., Van Rooyen, Stewart R., « Evidence for Decisions in the Time of Covid-19. Eyes on Africa », The Thinker, Vol. 84 / 2020: 45-48.

Lachenal G., «Le stade Dubaï de la santé publique. La santé globale en Afrique entre passé et futur », Revue Tiers Monde, n° 215, 2013 : 53-71.

Larmarange J. & Dabis F., « La fin du sida est-elle en vue ? », Face à face [En ligne], 14 | 2017, mis en ligne le 24 juin 2017, consulté le 14 octobre 2020. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/faceaface/1160

Petit V. & Robin N., « Les circulations transnationales, un des éléments-clés de la gestion de la crise du coronavirus en Afrique », Le Monde, 2 juin 2020 : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/02/les-circulations-transnationales-un-des-elements-cles-de-la-gestion-de-la-crise-du-coronavirus-en-afrique_6041551_3212.html

Vidal L., Eboko F., Williamson D, « Le catastrophisme annoncé, reflet de notre vision de l’Afrique », Le Monde, 8 mai 2020 : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/08/coronavirus-le-catastrophisme-annonce-reflet-de-notre-vision-de-l-afrique_6039110_3212.html

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Notes

1 Ont contribué à l’élaboration de ce numéro, Laeticia Atlani-Duault, Carine Baxerres, Adèle Essoh, Rebecca Gray, Guillaume Lachenal, Mathieu Quet, Marie Varloteaux et la rédaction de Politique Africaine. Nous les remercions vivement.

2 https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-politique-africaine-2019-4.htm?WT.rss_f=revue-Politique%20africaine&WT.tsrc=RSS

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fred EBOKO, « La santé en Afrique à l’ère de la Global Health. Leçons politiques aux temps du Covid-19 »Face à face [En ligne], 16 | 2020, mis en ligne le 19 octobre 2020, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/faceaface/1832

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