Le poète devant son four à pain
Notes de l’auteur
Propos recueillis par Marie Frisson, le 4 juillet 2023.
Texte intégral
- 1 « De la parole poétique à la production artisanale : entretien avec Jesper Svenbro », Camille Pech (...)
- 2 Jesper Svenbro, La Parole et le marbre : aux origines de la poétique grecque, Lund, Université de L (...)
1Cet entretien a été suscité par la publication en 2021, dans le Bulletin des Belles Lettres, de « La question du poète » de Jesper Svenbro et d’un entretien de ce dernier avec Camille Pech de Laclause pour la maison d’édition, paru le 30 juin 20211, à l’occasion de la réédition de La Parole et le marbre2.
2Jesper Svenbro nous a transmis une photographie prise à Alger en 1972 lors d’une discussion avec Mohand Abdoun au sujet du « Pain » dans Le Parti pris des choses et nous le remercions pour son aide à la constitution de ce dossier.
Marie Frisson Comment avez-vous découvert l’œuvre de Francis Ponge ?
- 3 Francis Ponge, Le Grand Recueil, Paris, Gallimard, 1961.
- 4 Artur Lundkvist (1906-1991) est un poète, proche du Surréalisme, et un traducteur suédois. En 1939 (...)
- 5 Erik Lindegren, Ilmar Laaban, 19 moderna franska poeter, Stockholm, Éditions Albert Bonnier, 1948.
- 6 Erik Lindegren (1910-1968), poète lyrique et traducteur suédois, membre de l’Académie suédoise. Il (...)
- 7 Tomas Tranströmer (1931-2015), poète suédois, qui reçoit le Prix Nobel de littérature en 2011.
- 8 Gunnar Ekelöf (1907-1968), poète et traducteur suédois qui a joué un grand rôle dans la modernité p (...)
Jesper Svenbro En 1963, alors que je venais d’obtenir mon baccalauréat, un ami m’a fait cadeau du Parti pris des choses qu’il avait sans doute acheté à la « Librairie française » à Copenhague. Je m’étais déjà familiarisé avec Le Grand Recueil en français dont la parution3 avait été signalée par la presse locale suédoise en 1961. En 1962, a paru en Suède un article sur Francis Ponge d’Artur Lundkvist4, l’ami de Neruda : si l’article dépeignait bien un Ponge amoureux des choses, il en oubliait tout à fait son souci du langage comme matière à travailler, et la réflexion que Ponge poursuivait à ce sujet. L’interprétation en était donc appauvrissante ; elle a toutefois sans doute montré le chemin aux poètes suédois des années 1960 qui, rompant avec ce qu’ils qualifiaient de « romantisme », se vouaient à l’exploration des objets de la vie quotidienne dans la société de la consommation.Moi-même, je me suis passionné pour un texte particulier de Ponge, lu lorsque j’avais quatorze ou quinze ans, dans l’anthologie de la poésie française contemporaine5 publiée par Erik Lindegren6 en 1948 : « Pluie ». Cette anthologie a déjà compté pour les poètes de la génération précédant la mienne, par exemple pour Tomas Tranströmer7.Pendant ces années, j’ai lu Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, également : ce qui m’a amené à choisir le français comme troisième langue au lycée. Rimbaud avait beaucoup compté, par exemple, pour un poète comme Gunnar Ekelöf8.Mon choix a été guidé par mon goût pour la poésie. J’avais effectivement une grande admiration pour Ekelöf, dont l’œuvre était nourrie de poésie de l’Antiquité. C’est pour cette raison, entre autres, que j’ai choisi d’étudier le grec ancien après deux années de latin : pour comprendre Ekelöf et pour lire la poésie grecque, et notamment celle de Sappho.
M.F. Vous souvenez-vous de ce que vous avez pensé de votre première lecture du Grand Recueil ?
- 9 Francis Ponge, « L’Anthracite », Pièces, Œuvres complètes, éd. B. Beugnot, Paris, Gallimard, « Bibl (...)
- 10 Francis Ponge, « La Pomme de terre », OC I, p. 733.
- 11 Francis Ponge, « La Crevette dans tous ses états », OC I, p. 699.
J.S. J’ai repéré les titres des poèmes qui me permettaient déjà de mesurer l’ampleur de l’entreprise ; par la suite, j’ai pratiqué une lecture d’approche de titres « prometteurs », en utilisant mon dictionnaire, bien sûr. Ainsi, j’ai déchiffré « L’Anthracite9 », « La Pomme de terre10 » et surtout, par morceaux, « La Crevette dans tous ses états11 », dont j’ai compris le principe : attaquer et réattaquer le même motif, obstinément, et réunir le tout dans une espèce de dossier.
M.F. C’est la poésie qui vous a amené en France pour la première fois ?
- 12 Stéphane Mallarmé, « La Gloire », Œuvres complètes, éd. B. Marchal, Paris, Gallimard, « Bibliothèqu (...)
- 13 Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, « Chant VI », Les Chants de Maldoror, Œuvres complètes, éd. (...)
J.S. Après avoir obtenu mon baccalauréat en 1963, je suis allé à Paris et je me suis rendu rue de Rome, à l’adresse de Mallarmé. En remontant la rue, j’ai pu voir le fameux nuage de vapeur de la locomotive qui enveloppe le passant12. Plus tard, rue Vivienne, j’ai comme constaté la rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie, présentés ensemble dans une vitrine13.J’ai conçu, à ce moment-là, une première intuition, en quelque sorte, de la dimension concrète de l’image poétique que j’allais finalement poursuivre, tout à la fois, dans ma recherche universitaire et dans ma recherche poétique.
M.F. Vous écriviez vous-même de la poésie à cette période ?
J.S. J’ai commencé à écrire de la poésie en effet, vers mes quatorze ans. J’imitais Erik Lindegren, j’imitais Tomas Tranströmer, etc.Je crois que je m’étais fait une religion de la littérature et de la poésie, notamment lyrique, jusqu’à m’en empoisonner. Je n’ai jamais cessé de lire de la poésie, mais en 1968, j’ai cessé d’en écrire. Et cela, jusqu’en 1974 ou 1975. Toutefois, pendant toutes ces années d’études, un lien s’est établi dans mon esprit entre l’Antiquité et le monde actuel, entre les lettres classiques et la poésie moderne ou contemporaine : un lien qui ne s’est jamais démenti.
M.F. Grâce à une ou un professeur(e) ?
- 14 Paul La Cour, Fragmenter af en dagbog [Fragments d’un journal], Copenhague, Gylendal, 1950.
- 15 Sappho, « Fragment 96 », « Carminum Sapphicorum Fragmenta », Poetarum Lesbiorum Fragmenta, éd. E. L (...)
- 16 Paul Eluard, « L’univers-solitude », À toute épreuve [1930], Œuvres complètes, éd. M. Dumas et L. S (...)
- 17 Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 257
J.S. Plutôt grâce à la lecture de Paul La Cour, un écrivain danois au nom français. Les Fragments d’un journal14, qui se concevaient comme une sorte de « journal de bord de poète », avaient été traduits en suédois et étaient lus par toute personne intéressée par la poésie en Suède, dans les années 1950 et 1960. Je lisais intensément, pour m’orienter dans la poésie contemporaine et ancienne, et je crois que je peux dire que je me suis forgé une bonne « culture poétique ».Paul La Cour avait vécu en France dans les années 1920 et avait fréquenté les Surréalistes. De là, il a développé une théorie de « la dérive de l’image poétique ». Il a alors eu le courage et le culot d’analyser un poème de Sappho sous cet angle. Il s’agit du fragment 9615 où la femme aimée est comparée à la pleine lune, puis, par un glissement de l’image, elle est remplacée par un paysage éclairé par la lune, si bien que la comparaison initiale cesse d’être une comparaison et devient l’image autonome d’un paysage baigné par le clair de lune. Je n’ai pas seulement été marqué par cette conception de la dérive de l’image, mais également par le rapprochement effectué par Paul La Cour entre ce fragment de Sappho et un poème d’Eluard (« L’univers-solitude16 »). J’ai trouvé ce rapprochement extraordinaire, émouvant, et j’en ai conclu, en retour, que Sappho était « absolument moderne17 », une sœur des Surréalistes, en quelque sorte.
M.F. C’est la lecture de Sappho qui a conduit votre parcours universitaire et poétique ?
- 18 Marshall McLuhan (1911-1980), philosophe canadien, spécialiste des théories de la communication.
- 19 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, Paris, Franç (...)
J.S. D’une certaine manière, oui. J’ai choisi de continuer d’étudier le latin et le grec à l’Université de Lund, en Suède. J’ai lu Homère ; je me suis également initié aux travaux de Marshall McLuhan18 avec son intérêt pour l’opposition entre oral et écrit. À travers les travaux de McLuhan, j’ai découvert Milman Parry, Albert Lord, et la question de l’oralité des poèmes homériques. Également, et surtout, les travaux d’Éric Havelock.Je suis parti à Yale pour suivre les cours de Havelock grâce à une bourse. Là, j’ai rencontré ma future épouse qui étudiait la littérature française et qui enseignait le français. J’ai également fait la connaissance d’Adam Parry, le fils de Milman Parry, qui m’a conseillé de lire Mythe et pensée19 de Vernant. Cette lecture a été déterminante. Je me heurtais au déterminisme technique de McLuhan et de Havelock, qui ne prenaient pas en compte l’économie et « la lutte des classes ».Quand je suis revenu en Suède, j’ai commencé mon doctorat à Lund dans le domaine de la poésie archaïque grecque, tout en correspondant avec Vernant qui a alors suivi l’avancée de mes travaux et qui m’a prodigué des encouragements. Il a sans doute compris que j’étouffais un peu dans l’atmosphère anti-marxiste de l’Institut des Langues anciennes. J’ai alors obtenu une bourse de philologie classique pour aller étudier en Italie et en France : je suis parti à l’Institut suédois de Rome en août 1973, avec mon épouse. Là, j’ai préparé ma thèse dans des conditions merveilleuses. Dans le cadre de cette bourse, je pouvais suivre les séminaires de Vernant et de Detienne à Paris.
M.F. C’est à Rome que, d’une certaine manière, vous retrouvez Ponge !
- 20 Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, Paris, Gallimard / Éditions du Seuil, 1970, p. 2 (...)
- 21 Jesper Svenbro, La Parole et le marbre : aux origines de la poétique grecque, op. cit.
J.S. Effectivement, j’ai trouvé à la Librairie Rizzoli les Entretiens avec Francis Ponge de Philippe Sollers. C’est là, à la page 27, qu’il développe sa conception de l’écriture poétique, et qu’il dit son aversion pour la définition de la poésie comme effusion de sentiment. Son humour et sa formulation m’ont fait rire : « “[j]e pleure dans mon mouchoir, ou je m’y mouche”, et puis je montre, j’expose, je publie ce mouchoir, et voilà une page de poésie20 ». Mais cela m’a surtout permis de faire le lien avec le terme grec ποιητής (poiētḗs) qui signifie « artisan », « producteur » : dans ma thèse, j’ai voulu expliquer cette conception artisanale du métier de poète21.
M.F. Detienne et Vernant étaient plutôt des lecteurs de René Char… ?
- 22 René Char, Aromates chasseurs [1975], Œuvres complètes, éd. J. Roudaut, Paris, Gallimard, « Bibliot (...)
- 23 Marcel Detienne, Jardins d’Adonis : la mythologie des aromates en Grèce, préf. J.-P. Vernant, Paris (...)
J.S. En effet, Aromates chasseurs22 fait écho aux Jardins d’Adonis : la mythologie des aromates en Grèce de Marcel Detienne23, publié en 1972 et préfacé par Vernant.J’ai connu tardivement le parcours politique de Ponge : en lisant sa correspondance avec Camus, je l’ai découvert plus communiste que je ne l’avais pensé.
M.F. Et cela vous l’a rendu encore plus sympathique ?
- 24 Liliana Lounguine, Mot à mot : une vie dans le siècle soviétique, récit recueilli par Oleg Dorman, (...)
- 25 Jesper Svenbro, « Brodskij – Vernant. Samizdat 1964 », Året hos Hyperboréerna [Alcée au pays des (...)
- 26 Hésiode, Théogonie, éd. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 2008.
J.S. Il est aisé d’avoir de la sympathie pour Ponge compte tenu de son parcours, de sa détermination et de ce que montre de lui sa correspondance avec Camus.Mais l’énergie de ma recherche sur l’Antiquité me vient, d’une certaine façon, de Vernant, rompant avec le PCF et libérant par là une énergie dont, nous autres, nous avons largement profité. En effet, en 1964, Jean-Pierre Vernant est parti à Moscou, en plein procès Brodsky, avec sa femme Lida. C’est Frida Vigdorova qui a été chargée de transcrire le procès de Joseph Brodsky, transcription que Lida, née Russe, a lue sans problème. Le couple Vernant a alors ramené clandestinement le compte rendu du procès en France et a œuvré à sa diffusion : ce qui a ensuite permis l’expulsion de Brodsky d’URSS. Vernant, marxiste de la première heure, a ainsi pris ses distances avec le régime, au nom de la vérité qui, seule, compte. C’est ce que l’on apprend dans l’ouvrage Mot à mot de Liliana Lounguine, publié en 201724, que j’ai lu avec beaucoup de retard, mais qui m’a touché comme une épiphanie. J’évoque aussi ce moment dans un poème de mon dernier recueil, « Brodskij-Vernant. Samizdat 196425 ».Ainsi, dans le cadre de ma recherche en thèse, en dehors de la découverte des Entretiens avec Francis Ponge, le marxisme a beaucoup compté. À l’époque où j’entamais mon travail doctoral, la philosophie britannique dominait en Suède : le marxisme représentait pour moi un contact avec le continent. De plus, mes recherches sur la tradition orale entraient en résonance avec les outils théoriques forgés par le marxisme.Il y a d’ailleurs une étude que j’ai faite dans les années 1973-1974 sur Hésiode, devenant plus tard le chapitre II de ma thèse, étude que Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant ont beaucoup appréciée et qu’ils ont utilisée pendant une tournée de séminaires au Canada. Cette même étude m’a valu les foudres d’un des professeurs de mon jury de thèse qui m’avait alors associé à Mao ! Il s’agit de l’interprétation des vers 26 à 28 de la Théogonie, lorsque les Muses s’adressent au berger Hésiode : « [n]ous sommes capables de dire beaucoup de choses mensongères, / Nous savons aussi, quand nous le voulons, faire entendre des vérités26 ». Le berger est considéré au début de ce texte comme un simple « ventre » (gastêr), parmi d’autres « ventres », c’est-à-dire des poètes prêts à flatter les puissants dont ils dépendent pour leur survie. Ainsi, pour Hésiode, il faut être un paysan indépendant, autonome, pour avoir la possibilité de dire la vérité.
M.F. Et cela n’est pas sans rapport avec la poésie : la rencontre d’Hésiode avec les Muses le transforme de « ventre » en poète ?
J.S. Oui, Hésiode se positionne comme quelqu’un en mesure de dire la vérité dans ses poèmes, tandis que ses adversaires, qualifiés de « ventres », préfigurent des poètes d’époque plus récente, écrivant des poèmes contre rémunération pour des commanditaires qui ne s’attendaient qu’à la louange. Hésiode prend ses distances avec les « ventres », c’est-à-dire avec ceux qui composent des poèmes pour plaire aux puissants et qui, à cause de leur dépendance, sont incapables de « clamer la vérité ».
M.F. La correspondance avec Jean-Pierre Vernant après votre lecture de son ouvrage, son soutien et ce qui en a suivi… On peut dire que la rencontre avec Vernant, puis celle avec Marcel Detienne, ont été déterminantes pour vous… ?
- 27 Voir à ce sujet Jesper Svenbro, « Les divinités du métier et l’impensable travail d’Aristote », Rev (...)
- 28 Jean-Pierre Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, Presses universitaires de France, 19 (...)
- 29 Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de trois études d’ethnologie kabyle(...)
- 30 Marcel Detienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, préf. P. Vidal-Naquet, Paris, Franç (...)
- 31 Marcel Detienne, Jean-Pierre Vernant, La Cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, Gallimard, 1979.
J.S. Oui, Jean-Pierre Vernant pour Mythe et pensée, études de psychologie historique, où l’on voit bien qu’il est un disciple d’Ignace Meyerson27 et pour Les Origines de la pensée grecque28, où apparaît aussi la filiation avec Louis Gernet. La sociologie de Bourdieu m’avait déjà aidé pour formuler certains éléments dans ma thèse, car j’avais lu Théorie de la pratique en 197229, lecture que m’avait suggérée Mouloud Mammeri, directeur du musée du Bardo à Alger, rencontré au moment où le livre de Bourdieu parvint en Algérie.Et puis, au CNRS, c’est Vernant qui m’a orienté en direction de la recherche en « sociologie de l’Antiquité » : l’étude des pratiques sociales, des savoirs partagés, du vocabulaire, etc.Mais c’est Marcel Detienne qui m’a téléphoné en 1977 pour me proposer de venir travailler au CNRS pour un projet sur le sacrifice grec (auquel je ne connaissais pas grand-chose). Je l’avais rencontré par l’intermédiaire de Vernant qui pensait, à juste titre, que mon travail rejoignait ce que Detienne avait élaboré dans Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque30. Ensuite, Detienne m’a proposé d’écrire ensemble un chapitre sur « les loups au festin » dans La Cuisine du sacrifice31 qu’il codirigeait avec Vernant.
M.F. En somme, vos travaux sur la poésie ont prolongé la réflexion de Detienne sur la pensée politique en Grèce archaïque.
- 32 Sappho, « Fragment 26 », « Carminum Sapphicorum Fragmenta », Poetarum Lesbiorum Fragmenta, op. cit. (...)
- 33 Arthur Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 », Correspondance, éd. J.-J. Lefrère, Paris, (...)
- 34 Arthur Rimbaud, « Lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871 », Correspondance, op. cit., p. 63.
- 35 Voir le poème que Jesper Svenbro a consacré aux années de latiniste de Rimbaud en s’appuyant sur l’ (...)
J.S. Oui, Les Maîtres de la vérité ont été une lecture décisive pour l’élaboration de ma thèse. Au cinquième chapitre, Detienne observe que l’île de Lesbos, par sa topographie géopolitique, était à l’avant-garde dans l’histoire de la pensée politique. Il y a notamment un concept très important dans la pensée politique archaïque, le méson, littéralement « centre ». Or, il y avait à Lesbos un lieu appelé Messon, situé à équidistance des petites cités principales de l’île (Erésos, Méthymna, Mytilène). Le mésson (ou méson) désigne le « lieu de la publicité », soit le lieu où l’on prend la parole pour parler à la communauté ou bien distribuer les biens communs. La constitution de Lesbos était l’œuvre du présocratique Pittacos. Selon Vernant et Detienne, le projet démocratique n’est autre que le projet du méson attribué à Thalès, mais précédé, en fait, par celui de Lesbos, ce qui place la génération des poètes Sappho et Alcée dans l’avant-garde de la transformation politique de la Grèce archaïque. Voilà le cadre où s’inscrit la poésie de Sappho et d’Alcée. Grâce au fragment 26 de Sappho32, complété par le nouveau papyrus mis en circulation en 2014, nous pouvons insister sur le fait que Sappho découvre la « conscience de soi », reprise dans le jargon de Socrate (« je sais avec moi-même »), et la considérer comme une intellectuelle au même titre qu’Alcée (avec sa métaphore de l’État-navire, reprise par la pensée politique).Le fragment 26 est en fait un bel exemple de poésie réflexive où la locutrice assiste à « l’éclosion de sa propre pensée33 ». On a tort de dire « je pense », cogito, on devrait dire « on me pense34 » : cogitor, dit Rimbaud dans un esprit parfaitement comparable à celui du fragment 2635. J’assiste à l’éclosion de mon poème, en somme.
- 36 Francis Ponge, « À propos du “Galet” », Dans l’atelier du « Parti pris des choses », OC I, p. 68.
- 37 Francis Ponge, « Le Pain », Le Parti pris des choses, op. cit., p. 22.
M.F. Un peu comme Ponge tel qu’il le développe notamment dans sa lettre à Groethuysen, par exemple36… Vous avez encore vérifié cette hypothèse grâce à Ponge, et particulièrement grâce au poème en prose « Le Pain37 », dans Le Parti pris des choses.
J.S. Oui, on retrouve dans ce texte du « Pain » l’emploi de l’image telle que la définit André Breton dans le premier Manifeste. C’est, en effet, l’« étincelle » entre les deux éléments de l’image qui nous est présentée : entre celui de la croûte de la baguette et celui de la cordillère des Andes. En dialoguant, par un hasard exquis, avec des boulangers à Alger, j’ai compris qu’il s’agissait en réalité d’une allégorie et que Ponge se montrait comme assistant à l’éclosion de sa propre pensée, car ils m’ont rappelé que la baguette est façonnée en amont de la cuisson, et non pas dans le four, comme le décrit le poème. Le pain est ici la métaphore du poème qui prend forme devant le poète-témoin.
- 38 Platon, Apologie de Socrate, Œuvres complètes, trad. et éd. M. Croiset, Paris, Les Belles Lettres, (...)
- 39 Svenbro, appliquant la méthode de Socrate, a mené une enquête, à Alger, auprès de son voisin boulan (...)
- 40 Aristote, Métaphysique, I, 3,11, 984 a, Œuvres complètes, trad. C. Rutten et A. Stevens, éd. R. Bod (...)
- 41 Jesper Svenbro, « Alger, janvier 1972. À Mohand Abdoun, en remerciement tardif », Året hos Hyperbo (...)
3En somme, comme Socrate dans l’Apologie38, j’étais allé chercher la vérité auprès des artisans. Nous étions en 1972, j’avais suivi mon épouse à Alger pour les besoins de sa recherche en doctorat sur la poésie algérienne. Nous habitions au premier étage d’une maison, au-dessus d’une boulangerie, au pied de la Casbah. J’ai eu l’idée d’interroger les boulangers sur le texte de Ponge que je leur ai fait lire pour connaître leur point de vue. J’ai donc enregistré les artisans boulangers présents dans la boutique39. Ils s’attendaient à une description réaliste du pain fabriqué, alors que pour Ponge, il s’agissait d’une allégorie de la genèse du poème lui-même : cela ne pouvait pas leur parler. Cette différence est capitale ! Comme l’a alors déclaré le boulanger, Mohand Abdoun : « [j]e n’ai jamais vu un pain prendre sa forme dans le four ! » On retrouve les mêmes termes dans la Métaphysique d’Aristote40, où il est dit qu’il ne peut y avoir un auto-développement de la matière en un produit fini : c’est là qu’intervient le travail de l’artisan sur la matière. Grâce à cette discussion avec Mohand, à qui j’ai rendu un hommage tardif dans mon dernier recueil41, j’ai compris ce que voulait dire et faire ce texte de Ponge.
Boulangerie d’Alger, 36 rue Babel oued, janvier 1972.

Les personnes présentes sont Mohand Abdoun et son collègue boulanger Salah Touati, Yvonnette Svenbro (et au fond, un autre boulanger, Hachemi Mellal).
© Jesper Svenbro.
M.F. En 1979, vous rencontrez Ponge au Bar-sur-Loup. Vous nous avez confié le compte rendu de cette discussion et une photographie de Ponge en Horace dans son jardin, devant son mas, que vous aviez prise alors. Est-ce que la lecture de Ponge, mais aussi sa « présence réelle », la rencontre avec lui, ont joué un rôle dans votre retour à l’écriture poétique ?
- 42 Francis Ponge, Ur Tingens synpunkt, trad. J. Svenbro, Stockholm, Coeckelberghs, 1977.
J.S. Mon volume de traductions suédoises de Ponge a paru en 197742, et le travail sur ces traductions a certainement influencé mon écriture poétique. La rencontre avec le maître n’a fait que confirmer cette influence, qui est toujours là, je pense.
M.F. Vous étiez présent à la soirée donnée en 1980 en son honneur à la maison de la Poésie ?
J.S. Oui, je me rappelle en particulier la réaction de Ponge durant les ovations à la fin de la séance. Les deux mains en l’air, il s’exclamait : « Merci, merci ! », en ajoutant par modestie qu’il comprenait ce mot au sens étymologique, à savoir : « Pitié ! ».
M.F. Votre dernier recueil dont la figure d’Alcée est le centre fait se rejoindre Horace et Ponge. Comme un hommage à votre première rencontre ?
- 43 Francis Ponge, « Notes sur un coquillage », Le Parti pris des choses, OC I, p. 39.
- 44 Jean-Sébastien Bach, Goldberg Variations, BWV 988, R. Kirkpatrick (clavecin), Paris, Valois MB68, 1 (...)
- 45 Jesper Svenbro, « Kirkpatrick, Salle Gaveau, mai 1963 », Året hos Hyperboréerna, op. cit., p. 59.
- 46 Francis Ponge, « Notes sur un coquillage », op. cit., p. 42.
J.S. Le dernier recueil est en effet placé sous le signe d’Alcée et relie Ponge à Horace, notamment par l’oblique du « Coquillage43 » dans Le Parti pris des choses. Le titre Året hos hyperboréerna signifie « l’année auprès des Hyperboréens », ce peuple des contrées du Nord au-delà du souffle du vent Borée. Alcée chante les cygnes transportant Apollon après sa naissance jusqu’au pays des Hyperboréens à qui il apporte ses lois et sa musique, sa culture européenne, en somme, avant de retourner à Delphes.Dans ce recueil, on peut lire différentes évocations de Francis Ponge, directes et moins directes, comme la mention d’un concert d’une pièce de Bach que Ponge aimait beaucoup, les Variations Goldberg44 par Ralph Kirkpatrick, à la salle Gaveau en 1963. Le poème en question porte une citation de Ponge en exergue45 : « [d]e ce point de vie, j’admire surtout certains écrivains ou musiciens mesurés, Bach, Rameau, Malherbe, Horace, Mallarmé46 ».
- 47 En effet, εvδον peut être traduit comme « intérieur » au sens de la maison ou de l’être intérieur. (...)
M.F. Il ne me reste plus qu’à vous remercier de nous avoir reçu dans votre « maison47 », c’est-à-dire, si l’on suit les dires de Socrate, dans cette agora intérieure où vous conviez vos amis du passé et du présent, semblable en cela à celle du Ponge des « Notes pour un coquillage » que vous venez de citer.
Notes
1 « De la parole poétique à la production artisanale : entretien avec Jesper Svenbro », Camille Pech de Laclause pour Les Belles Lettres, Paris, Blog des belles lettres, 30 juin 2021.
URL : https://lesbelleslettresblog.com/2021/06/30/de-la-parole-poetique-a-la-production-artisanale-entretien-avec-jesper-svenbro/ [consulté le 14 novembre 2024].
2 Jesper Svenbro, La Parole et le marbre : aux origines de la poétique grecque, Lund, Université de Lund, 1976 [rééd. Paris, Les Belles Lettres, 2021].
3 Francis Ponge, Le Grand Recueil, Paris, Gallimard, 1961.
4 Artur Lundkvist (1906-1991) est un poète, proche du Surréalisme, et un traducteur suédois. En 1939, il publie une étude dans la presse suédoise sur Anabase de Saint-John Perse, recueil qu’il traduit l’année suivante. Il est élu à l’Académie suédoise en 1968. Ami de Neruda, dont il a traduit l’œuvre, ainsi que celle de Llorca et de Paz, il soutient l’attribution du prix Nobel de littérature au poète chilien en 1971.
5 Erik Lindegren, Ilmar Laaban, 19 moderna franska poeter, Stockholm, Éditions Albert Bonnier, 1948.
6 Erik Lindegren (1910-1968), poète lyrique et traducteur suédois, membre de l’Académie suédoise. Il a contribué notamment à faire connaître l’œuvre de Saint-John Perse en Suède, mais aussi Rainer Maria Rilke et T. S. Eliot. Il a également traduit de nombreux livrets d’opéra (Mozart, Verdi). Un prix Erik-Lindegren est décerné tous les deux ans depuis 1992.
7 Tomas Tranströmer (1931-2015), poète suédois, qui reçoit le Prix Nobel de littérature en 2011.
8 Gunnar Ekelöf (1907-1968), poète et traducteur suédois qui a joué un grand rôle dans la modernité poétique suédoise. Francophile, proche des Surréalistes, c’est un lecteur, entre autres, de Baudelaire, de Rimbaud, d’Apollinaire, de Desnos.
9 Francis Ponge, « L’Anthracite », Pièces, Œuvres complètes, éd. B. Beugnot, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », vol. I, 1999, p. 732. Désormais abrégé en OC I.
10 Francis Ponge, « La Pomme de terre », OC I, p. 733.
11 Francis Ponge, « La Crevette dans tous ses états », OC I, p. 699.
12 Stéphane Mallarmé, « La Gloire », Œuvres complètes, éd. B. Marchal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », vol. I, 2004, p. 434.
13 Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, « Chant VI », Les Chants de Maldoror, Œuvres complètes, éd. H. Juin, Paris, Gallimard, « Poésie », 1973, p. 234.
14 Paul La Cour, Fragmenter af en dagbog [Fragments d’un journal], Copenhague, Gylendal, 1950.
15 Sappho, « Fragment 96 », « Carminum Sapphicorum Fragmenta », Poetarum Lesbiorum Fragmenta, éd. E. Lobel et D. Page, Oxford, Clarendon Press, 1955, p. 110, 2292 fr. 96.
16 Paul Eluard, « L’univers-solitude », À toute épreuve [1930], Œuvres complètes, éd. M. Dumas et L. Scheler, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2017, p. 291-297.
17 Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 257.
18 Marshall McLuhan (1911-1980), philosophe canadien, spécialiste des théories de la communication.
19 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique, Paris, François Maspéro, coll. « Les textes à l’appui », 1965.
20 Entretiens de Francis Ponge avec Philippe Sollers, Paris, Gallimard / Éditions du Seuil, 1970, p. 27.
21 Jesper Svenbro, La Parole et le marbre : aux origines de la poétique grecque, op. cit.
22 René Char, Aromates chasseurs [1975], Œuvres complètes, éd. J. Roudaut, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 511-528.
23 Marcel Detienne, Jardins d’Adonis : la mythologie des aromates en Grèce, préf. J.-P. Vernant, Paris, Gallimard, 1972.
24 Liliana Lounguine, Mot à mot : une vie dans le siècle soviétique, récit recueilli par Oleg Dorman, trad. B. Jeuffrin, Mesnil-Saint-Loup, les Éditions des Quatre Vivants, 2017.
25 Jesper Svenbro, « Brodskij – Vernant. Samizdat 1964 », Året hos Hyperboréerna [Alcée au pays des Hyperboréens], Stockholm, Éditions Albert Bonnier, 2024, p. 65.
26 Hésiode, Théogonie, éd. P. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 2008.
27 Voir à ce sujet Jesper Svenbro, « Les divinités du métier et l’impensable travail d’Aristote », Revue Europe : Jean-Pierre Vernant, no 964-965, 87e année, août-septembre 2009.
28 Jean-Pierre Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, Presses universitaires de France, 1962.
29 Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de trois études d’ethnologie kabyle, Genève, Droz, 1972.
30 Marcel Detienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, préf. P. Vidal-Naquet, Paris, François Maspéro, « Textes à l’appui », 1967.
31 Marcel Detienne, Jean-Pierre Vernant, La Cuisine du sacrifice en pays grec, Paris, Gallimard, 1979.
32 Sappho, « Fragment 26 », « Carminum Sapphicorum Fragmenta », Poetarum Lesbiorum Fragmenta, op. cit., p. 23, 1231 fr. 16.
33 Arthur Rimbaud, « Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 », Correspondance, éd. J.-J. Lefrère, Paris, Fayard, 2007, p. 68.
34 Arthur Rimbaud, « Lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871 », Correspondance, op. cit., p. 63.
35 Voir le poème que Jesper Svenbro a consacré aux années de latiniste de Rimbaud en s’appuyant sur l’émouvant texte « Maintenant c’était à nous… », publié dans le Bulletin officiel de l’Académie de Douai du 15 janvier 1969 (Jesper Svenbro, « Rimbauds Cogito [Le Cogito de Rimbaud] », Året hos Hyperboréerna, op. cit., p. 61).
36 Francis Ponge, « À propos du “Galet” », Dans l’atelier du « Parti pris des choses », OC I, p. 68.
37 Francis Ponge, « Le Pain », Le Parti pris des choses, op. cit., p. 22.
38 Platon, Apologie de Socrate, Œuvres complètes, trad. et éd. M. Croiset, Paris, Les Belles Lettres, vol. I, 1959, p. 147, §22 d.
39 Svenbro, appliquant la méthode de Socrate, a mené une enquête, à Alger, auprès de son voisin boulanger Mohand Abdoun sur « Le Pain » et sur la fabrication du pain.
40 Aristote, Métaphysique, I, 3,11, 984 a, Œuvres complètes, trad. C. Rutten et A. Stevens, éd. R. Bodéüs, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2014, p. 924, l. 23-24.
41 Jesper Svenbro, « Alger, janvier 1972. À Mohand Abdoun, en remerciement tardif », Året hos Hyperboréerna, op. cit., p. 25.
42 Francis Ponge, Ur Tingens synpunkt, trad. J. Svenbro, Stockholm, Coeckelberghs, 1977.
43 Francis Ponge, « Notes sur un coquillage », Le Parti pris des choses, OC I, p. 39.
44 Jean-Sébastien Bach, Goldberg Variations, BWV 988, R. Kirkpatrick (clavecin), Paris, Valois MB68, 1959. Jean-Sébastien Bach, Goldberg Variations, BWV 988. Italian Concerto, BWV 971. Fantaisia, BMW 904 et 906, R. Kirkpatrick (clavecin), Berlin, Deutsche Grammophon, « H Classics », 1960.
45 Jesper Svenbro, « Kirkpatrick, Salle Gaveau, mai 1963 », Året hos Hyperboréerna, op. cit., p. 59.
46 Francis Ponge, « Notes sur un coquillage », op. cit., p. 42.
47 En effet, εvδον peut être traduit comme « intérieur » au sens de la maison ou de l’être intérieur. Voir le discours d’Alcibiade et l’évocation du « coffret » où sont rangées les « figurines intérieures » de Socrate. (Platon, Le Banquet, Œuvres complètes, éd. L. Robin, Paris, Les Belles Lettres, tome IV, 2e partie, 1929, §216 e)
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Titre | Boulangerie d’Alger, 36 rue Babel oued, janvier 1972. |
Légende | Les personnes présentes sont Mohand Abdoun et son collègue boulanger Salah Touati, Yvonnette Svenbro (et au fond, un autre boulanger, Hachemi Mellal). |
Crédits | © Jesper Svenbro. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fabriquepongienne/docannexe/image/311/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 528k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Jesper Svenbro et Marie Frisson, « Le poète devant son four à pain », La Fabrique pongienne [En ligne], 1 | 2024, mis en ligne le 31 décembre 2024, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fabriquepongienne/311 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/13g9h
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