Présentation
Texte intégral
- 1 Francis Ponge, Pour un Malherbe [1965], Œuvres complètes, éd. B. Beugnot, Paris, Gallimard, « Bibli (...)
- 2 Francis Ponge, « Le Platane », Pièces [1961], Œuvres complètes, éd. B. Beugnot, Paris, Gallimard, « (...)
- 3 Francis Ponge, Pièces [1961], OC I, p. 695.
- 4 On pense en particulier aux poèmes du Parti pris des choses qui décrivent le monde du travail, « R. (...)
- 5 Francis Ponge, La Fabrique du pré [1971], OC II, p. 425-563.
- 6 Francis Ponge, Nioque de l’avant-printemps [1983], OC II, 955-984.
- 7 Francis Ponge, « Nous, mots français » [1978], dans Nouveau Nouveau Recueil, OC II, p. 1290.
- 8 Francis Ponge, L’Écrit Beaubourg [1977], OC II, p. 895-911.
- 9 Francis Ponge, « Nous, mots français », op. cit., p. 1290-1294.
1À partir de 1965 et de la publication de Pour un Malherbe se fait jour chez Ponge, de plus en plus explicitement, un imaginaire national dans lequel il inscrit sa poétique. L’ouvrage, foisonnant et multiple, définit entre autres Malherbe comme « le noyau dur de la Francité », et le livre qui lui est consacré comme une « occasion » de se montrer « violemment patriote1 ». Cette préoccupation patriotique n’est pas nouvelle : « Tu borderas toujours notre avenue française2… », lit-on par exemple à l’ouverture du « Platane », poème d’abord paru dans la revue Poésie 42. Mais cet attachement au pays, commun à beaucoup de poèmes de la Résistance communiste, n’y revêtait pas la même signification, et ne se formulait pas avec la même virulence. À l’inverse, la poétique de parti pris des choses telle que Ponge l’élabore dans les années 1920 et 1930, privilégiant l’élémentaire, « l’insignifiant3 », se situait en deçà des organisations humaines pour mieux en interroger les logiques sous-jacentes4. Sans que cet intérêt pour l’élémentaire se démente (en témoignent La Fabrique du pré5 ou Nioque de l’avant-printemps6), l’inscription de son œuvre dans une histoire nationale – qui va de pair avec la réaffirmation d’un héritage gréco-latin, et même, dans les textes tardifs, des « déterminations de [sa] race7 » – devient chez Ponge un motif récurrent, et très saillant dans certains textes tardifs comme L’Écrit Beaubourg8 ou « Nous, mots français9 ». Elle conduit à interroger l’articulation entre poétique de parti pris et inscription de l’œuvre dans cet horizon national.
- 10 Pour une saisie d’ensemble de ces questions, voir Benoît Auclerc et Bénédicte Gorrillot (dir.), dos (...)
- 11 Christian Prigent, « La Besogne des mots », Ceux qui merdRent, Paris, P.O.L, 1991, p. 87 et sq. ; « (...)
- 12 Jean-Marie Gleize, Francis Ponge, Paris, Éditions du Seuil, « Les Contemporains », 1988.
2La place qu’il convient de faire à ces textes et à leur lien avec l’ensemble de l’œuvre continue de faire débat10, que l’on considère, à l’instar de Christian Prigent, ces prises de position du dernier Ponge comme un infléchissement significatif et une rupture avec le début de l’œuvre, appelant à une forme d’inventaire11, ou, à la suite de Jean-Marie Gleize, que les prises de position publiques de Ponge demeurent relativement hétérogènes à une œuvre qui, dans sa dynamique, continue de refuser les formes admises et d’inventer un rapport renouvelé aux choses et au réel12.
3Les deux contributions ici réunies reprennent cette question à nouveaux frais, en s’affrontant à ces textes tardifs. À partir de Pour un Malherbe et de L’Écrit Beaubourg, Vincent Berthelier montre que le gaullisme de Ponge, s’il réactualise le mythe du grand homme, met l’accent néanmoins sur la possibilité d’un progrès, défend la vitalité des formes – qu’il s’agisse dans Pour un Malherbe, de lutter contre le repli sur des formes anciennes comme le sonnet, ou dans L’Écrit Beaubourg, de défendre une « démocratie culturelle et une monumentalité progressiste » : en cela, même le dernier Ponge est très peu soluble dans l’idéologie réactionnaire.
4Lucas Kervegen propose quant à lui une lecture rapprochée de « Nous, mots français » à partir des manuscrits : si la lecture du dossier d’archives confirme bien la violence du texte – y compris dans la dénonciation antisémite d’un « lobby juif », finalement effacée du texte publié –, elle indique aussi que Ponge, au moment de rédiger ce texte se concluant par un appel à un vote partisan dans le cadre d’élections, ne cesse de réfléchir à des questions de rhétorique et de poétique qui s’éloignent de la position partisane tranchée qu’affiche le texte final, ce qui laisse deviner un tremblé nuançant quelque peu la virulence du texte que nous connaissons.
5Ces lectures assurément nouvelles des textes tardifs les rendent donc à leur complexité, redessinent aussi une continuité de l’ensemble de l’œuvre de Ponge, tout en remettant en perspective les lectures qui en ont été faites antérieurement – les restituant à leur propre historicité.
Notes
1 Francis Ponge, Pour un Malherbe [1965], Œuvres complètes, éd. B. Beugnot, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », vol. II, 2002, p. 116. Souligné par Ponge. Désormais abrégé en OC II.
2 Francis Ponge, « Le Platane », Pièces [1961], Œuvres complètes, éd. B. Beugnot, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », vol. I, 1999, p. 729. Désormais abrégé en OC I.
3 Francis Ponge, Pièces [1961], OC I, p. 695.
4 On pense en particulier aux poèmes du Parti pris des choses qui décrivent le monde du travail, « R.C. Seine N° » et « Le Restaurant Lemeunier » (Le Parti pris des choses [1942], OC I, p. 34-38).
5 Francis Ponge, La Fabrique du pré [1971], OC II, p. 425-563.
6 Francis Ponge, Nioque de l’avant-printemps [1983], OC II, 955-984.
7 Francis Ponge, « Nous, mots français » [1978], dans Nouveau Nouveau Recueil, OC II, p. 1290.
8 Francis Ponge, L’Écrit Beaubourg [1977], OC II, p. 895-911.
9 Francis Ponge, « Nous, mots français », op. cit., p. 1290-1294.
10 Pour une saisie d’ensemble de ces questions, voir Benoît Auclerc et Bénédicte Gorrillot (dir.), dossier « Politiques de Ponge », Revue des Sciences humaines, n° 316, 2014.
11 Christian Prigent, « La Besogne des mots », Ceux qui merdRent, Paris, P.O.L, 1991, p. 87 et sq. ; « Malaise dans l’admiration », Revue des Sciences humaines, « Politiques de Ponge », op. cit., p. 135-145.
12 Jean-Marie Gleize, Francis Ponge, Paris, Éditions du Seuil, « Les Contemporains », 1988.
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Référence électronique
Benoît Auclerc, Pauline Flepp et Luigi Magno, « Présentation », La Fabrique pongienne [En ligne], 1 | 2024, mis en ligne le 31 décembre 2024, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fabriquepongienne/292 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/13g96
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