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L’Annotation « De l’Ancienne langue françoise » aux Commentaires de Cesar des guerres de la Gaule (1589) de Blaise de Vigenère. Les Serments de Strasbourg au service de la « deffence et illustration » du français

Paola Cifarelli
Référence(s) :

« De l’Ancienne langue gauloise, et quelle a peu près elle pouvoit estre du temps de Cesar », dans Les Commentaires de Jules Cesar des guerres de la Gaule plus ceux des guerres civiles, contre la part pompeienne, le tout de la version de Blaise de Vigenere bourbonnais, et illustré d’annotations, A Paris, chez Abel L’Angelier, au premier pillier de la grand’Salle du Palais, M.D.LXXXIX, Avec Privilege

Résumé

Cette étude s’insère dans le cadre du projet « Historiographie des Serments de Strasbourg et elle a comme objet les réflexions sur l’origine de la langue française que Blaise de Vigenère a développées dans l’édition de 1589 de sa traduction du De Bello Gallico de Jules César. Le texte des Serments de Strasbourg, transcrit et traduit, sert à prouver que l’ancienne langue des Gaulois, modifiée par le contact avec le latin, donna origine à une langue vernaculaire identifiée d’abord avec les dialectes d’oïl, appelés ici « cathelan ou provençal », puis sublimée, perfectionnée et diffusée dans la région occidentale allant du Rhin à la Loire et l’Océan par l’action de la monarchie française. Cet idiome, dont le premier témoignage est constitué par les Serments, possèderait dès l’origine des qualités poétiques qui le destinent à être un jour aussi illustre que les langues classiques ; l’exemple de quatre textes littéraires médiévaux permet d’étayer cette hypothèse.

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Texte intégral

Notice biographique

  • 1 Robert Descimon, « Les ducs de Nevers au temps de Blaise de Vigenère ou la puissance de faire des h (...)

1Blaise de Vigenère (1523-1596) était natif de Saint-Pourçain dans le Bourbonnais ; originaire d’une famille bourgeoise, il fit ses études à Paris sans pourtant obtenir de diplômes, puis entra au service du duc de Nevers, François de Clèves, en 1547, et occupa pendant une grande partie de sa vie les charges de secrétaire et de précepteur, même lors de l’avènement du nouveau duc, Louis de Gonzague, dont il fut l’homme de confiance1. Bientôt distingué pour ses qualités intellectuelles et morales, il fut investi de charges à la cour grâce à l’intermédiaire du duc et accomplit plusieurs voyages en Italie, où il eut la possibilité d’entrer en contact avec plusieurs artistes et intellectuels, ainsi que d’approfondir ses connaissances artistiques, archéologiques, linguistiques (il connaissait le latin et le grec, l’hébreu et l’italien) et kabbalistiques. Il fut à Rome d’abord en 1549, probablement sous le patronage du cardinal François de Tournon, puis entre 1566 et 1570 comme secrétaire d’ambassade ou chargé de mission pour la reine Catherine de Médicis. En 1581, il fut nommé secrétaire de la chambre du roi Henri III, ce qui l’amena à vivre à Paris.

  • 2 Voir Rita Mazzei, « L’elezione del 1573 e le prime storie di Polonia pubblicate in Francia », Rivis (...)

2Quant à son activité d’écrivain, elle ne débuta qu’en 1573, année où il publia les Chroniques et Annales de Pologne, histoire du pays à travers ses rois, ainsi qu’une Description du Royaume de Pologne et pays adjacents2 ; ayant eu une part dans la désignation de Henri III au trône de Pologne en tant qu’agent officieux de Catherine de Médicis, Vigenère fut probablement chargé de faire connaître aux Français ces territoires entrés sous le domaine de leur futur monarque. À partir de cette première publication, une production riche et variée vit le jour, qui témoigne d’une grande diversité d’intérêts et d’une érudition immense.

3Suivant l’ordre chronologique, les œuvres de Vigenère comprennent :

  • le Traicté de Ciceron de la meilleure forme d’orateur (…), le sixiesme livre des Commentaires de Cesar ou est faict mention des anciens Gallois (…) et la Germanie de Cornelius Tacitus, traduction des trois textes latins qu’il considère comme les exemples les plus accomplis des différentes formes de la prose, 1573 ;

    • 3 La traduction du livre VI parut à l’intérieur du Traité de Cicéron cité ci-dessus ; une première éd (...)

    la traduction du De Bello Gallico3 dans sa totalité, 1576 - réédité avec des modifications et des « Annotations » en 1584 avec les Commentarii de bello civili et en 1589 avec de nouvelles « Annotations » ;

    • 4 Jean-François Maillard, « De la maquette autographe à l’imprimé : La somptueuse et magnifique entré (...)

    La somptueuse et magnifique entrée du tres-chrestien roy Henri III de ce nom (…) en la cité de Mantoue, compilée sur la base d’opuscules italiens contemporains à l’occasion du passage du roi de Pologne et nouveau roi de France dans cette ville, à l’occasion de son voyage en France pour le couronnement, 15764 ;

    • 5 Jean Balsamo, « Byzance à Paris, Chalcondyle, Vigenère, l’Angelier », Sauver Byzance de la barbarie (...)

    la traduction de l’histoire de la péninsule balcanique par Chalcondyle, sous le titre Histoire et decadence de l’empire grec et establissement de celuy des Turcs, 15775 ;

    • 6 Philostrate, Les images ou Tableaux de platte-peinture ; traduction et commentaires de Blaise de Vi (...)

    Les Images ou tableaux de la platte peinture6, qui décrit les soixante-cinq peintures censées orner la maison d’un ami et relevant donc du genre de l’ekphrasis, ou description par la parole d’un objet d’art figuratif, 1578 ;

    • 7 Jean-François Maillard, « Prophétisme et cométologie sous le règne de Henri III : l’exemple de 1578 (...)

    un Traicté des comètes ou estoiles chevelues apparaissantes extraordinairement au ciel, 15787 ;

    • 8 R. Crescenzo, « Le "Lysis", de Des Périers à Vigenère. Enjeux linguistiques, religieux, politiques  (...)

    la traduction de trois traités sur l’amitié par Platon (Lysis), Cicéron (Lælius) et Lucian (Toxaris), 15798 ;

    • 9 Robert Crescenzo, Vigenère et l'oeuvre de Tite-Live. Antiquités, histoire, politique, Paris, Champi (...)

    la traduction et les Annotations sur la première décade de Tite-Live, 15809 ;

    • 10 Claude Buridant, « Blaise de Vigenère traducteur de La conquête de Constantinople de Geoffroy de Vi (...)

    la traduction intralinguale des Chroniques de Villehardouin10, commanditée par Louis de Gonzague duc de Nevers et vouée à un grand succès, 1584 ;

    • 11 Jean-François Maillard, « Aspects de l’encyclopédisme au XVIe siècle dans le Traité des chiffres an (...)

    un Traité des chiffres ou secretes manieres d’escrire, manuel de cryptographie diplomatique mais surtout traité mystique et kabbalistique, 158511 ;

  • le Traicté de la penitence et de ses parties, dans lequel Vigenère essaie d’appliquer les techniques de la kabbale à la religion chrétienne, 1587 ;

    • 12 Blaise de Vigenère, Psaumes pénitentiels, éd. Ghislain Sartoris, Paris, La Différence, 1989 ; Pasca (...)

    la traduction des Psaumes de David, d’abord partielle en 1578, puis complète en 158812 ;

  • la traduction du Stimulus amoris de saint Bonaventure (Esguillon de l’amour divin de saint Bonaventure), à l’occasion de sa proclamation à docteur de l’église par le Pape Sixte V, 1588 ;

  • l’édition du Discours sur l’histoire du roy Charles VII attribué à tort à Alain Chartier, 1594 ;

    • 13 Rosanna Gorris, « La Hierusalem rendue françoise. Vigenère entre traduction et écriture. Science, a (...)

    la traduction de la Gerusalemme liberata de Torquato Tasso13 ;

  • Des prieres et oraisons qui se doibvent conformer toutes a l’escriture sainte, écrit à la demande de Louis de Gonzague pour servir à la prière pendant les voyages, 1595 ;

  • La traduction de l’Art militaire d’Onosandros, philosophe néo-platonicien et historien grec, posthume 1605 ;

    • 14 Sur ce texte, voir Robert Crescenzo, Poésie d’instruction. La postérité littéraire des Images de Ph (...)

    la traduction de la Vie d’Apollinius de Tyane par Flavius Philostrate, type de l’ascète néo-pythagoricien : Philostrate de la vie d’Apollonius Thianeen, posthume 159914 ;

    • 15 Sylvain Matton, « Alchimie, kabbale et mythologie chez Blaise de Vigenère : l’exemple de sa théorie (...)

    le Traicté du feu et du sel, traité d’alchimie où Vigenère utilise aussi la kabbale chrétienne, posthume 161815 ;

  • 16 J.-F. Maillard, « Psaumes et poèmes orphiques », cit., p. 32.

4Jean-François Maillard, qui a consacré plusieurs études aux textes de Vigenère, a souligné que celui-ci « semble échapper à toute classification » à cause ses « curiosités trop diversifiées pour notre âge cloisonné »16, ce qui a contribué à le confiner parmi les compilateurs, traducteurs-commentateurs et polygraphes ; en réalité, les recherches des dernières décennies ont permis de mettre en évidence l’intérêt de sa production, le caractère novateur de certaines de ses idées et la cohérence profonde qui sous-tend tous ses ouvrages.

  • 17 Claude Buridant, « Les paramètres de la traduction chez Vigenère », Blaise de Vigenère poète et myt (...)
  • 18 Ibid., p. 40.
  • 19 Ibid.
  • 20 Pascal Blum-Cluny, « Traduire le sacré. Le Psautier de Blaise de Vigenère », Bibliothèque d’Humanis (...)

5En tant que traducteur de César, Platon, Lucien, Philostrate, Cicéron, il sut « promouvoir une nouvelle translatio studii »17 où la traduction constitue une étape indispensable dans un vaste mouvement de retour non seulement de l’âge d’or des Antiques, mais d’une unité originelle permettant l’accès à l’essence des choses. Mais c’est surtout la mise en français des Psaumes qui participe de ce processus de déchiffrement du verbe divin18 et contribue, plus encore que toute activité de translation, à retrouver les échos de la parole originelle. La traduction du texte sacré aurait alors une « dimension transcendantale avec, au sommet de la tradition des textes transmis, comme leur couronnement, les Psaumes, écho de la parole divine indicible »19. La recherche, dans la traduction française, d’une musicalité comparable à celle de la source sera dès lors primordiale pour faire en sorte que le texte traduit soit un instrument pour retrouver l’harmonie de l’Un, car pour Vigenère comme pour les philosophes néo-platoniciens dont il se sent si proche, poésie et musique sont associées dans ce parcours intellectuel20.

  • 21 J.-F. Maillard, « Le thème de la lumière chez Blaise de Vigenère (1523-1596), Kabbaliste chrétien » (...)
  • 22 Marc Fumaroli, « Blaise de Vigenère et les débuts de la prose française », L’automne de la Renaissa (...)
  • 23 Ibid., p. 34.
  • 24 Jean-François Maillard, « Aspects de l’encyclopédisme au XVIe siècle dans le Traité des chiffres an (...)

6Quant aux travaux de Vigenère concernant l’alchimie et la kabbale, si d’une part ils se conjuguent avec ses ouvrages sur la Bible dans le but d’« opérer par la contemplation un changement de vie, une conversion de pensées et de mœurs »21, ils auraient aussi le but de contribuer à construire une « herméneutique exotérique »22, que Vigenère imagine comme articulée en trois registres, destinés à déchiffrer respectivement le monde élémentaire (l’alchimie), la nature (la magie) et le monde intelligible (la kabbale)23 ; l’importance, dans ce contexte, du Traité des chiffres a été soulignée par J. F. Maillard24, qui a montré toute la richesse de cet ouvrage.

Présentation du contexte

  • 25 Ibid.
  • 26 M. Fumaroli, « Blaise de Vigenère et les débuts de la prose française », cit., p. 35.
  • 27 Ibid.

7Comme il l’a été dit plus haut, pour Vigenère toutes les manifestations du monde sont un chiffre, qui porte en soi la trace de l’essence divine. C’est grâce à la parole, « fille de raison »25, que l’homme peut en être le déchiffreur. Dans la préface à la traduction du Traité de Cicéron, il insiste sur l’importance d’un labeur sur la langue qui, à partir de l’effort que comporte la mise en français de trois modèles absolus de prose latine, puisse faire ressortir la capacité de la prose française de révéler la vérité ; ces potentialités de signification de la langue française, susceptibles de mettre l’homme contemporain dans la condition de « capter de manière durable et prégnante la magie silencieuse qui émane des Idées divines et qui soutient l’architecture du monde »26, passeront à l’acte seulement lorsque la prose française, à l’instar de la poésie et des arts figuratifs, sera purifiée complètement du « plomb gothique » médiéval pour atteindre le stade de l’or, à savoir la pureté et la netteté attiques d’un nouvel âge classique. En effet, tel les métaux, les langues sont des formes capables d’« abriter les secrets de l’éternité »27.

8Si, en véritable héritier des Humanistes, Vigenère attribue à la rhétorique un rôle déterminant, en tant que discipline capable de bien dire pour bien vivre, il va plus loin en affirmant qu’elle sera l’instrument par lequel l’homme pourra décrypter les chiffres, les signes du message divin ; ses recherches dans le domaine de la langue se greffent donc harmonieusement sur ses études kabbalistiques, mais aussi alchimiques en ce qu’elles tendent à dégager les propriétés qu’a le langage de signifier l’essence des choses et à construire une langue littéraire purifiée, resplendissante comme l’or et partant apte à transmettre le message divin.

9En ce sens, la « philosophie de la rhétorique » élaborée par Vigenère anticipe des tendances qui ne se réaliseront pleinement qu’à partir du milieu du siècle suivant ; Vigenère propose donc déjà une théorisation des valeurs propres de l’âge classique, à l’intérieur d’une conception cyclique de l’histoire qui préconise le retour périodique à l’âge d’or originaire.

10Dans ce contexte, les observations sur l’ancienne langue de la Gaule et sur le premier document en langue française que Vigenère formule à l’intérieur des Annotations à la traduction du De Bello Gallico de César, exemple suprême de prose essentielle, claire et énergique, prennent toute leur signification. Tout en se faisant l’écho de l’intérêt des contemporains pour la recherche de l’idiome source originaire et pour l’évolution des langues, les remarques sur « l’Ancienne langue gauloise, et quelle à peu près elle pouvoit estre du temps de Cesar » constituent une réflexion sur l’une des étapes qui permettraient de retrouver un état du verbe où signa et res n’avaient pas encore divorcé et où les arcanes des Idées divines se manifestaient clairement. Pour le fidèle serviteur de la monarchie, ces annotations constituaient aussi un moyen pour montrer la primauté de la langue gallo-romane sur les autres vernaculaires issus du latin et contribuer ainsi au prestige de la France et de ses monarques, rois d’un peuple issu de la lignée prestigieuse de Gomer, dont ils auraient contribué à polir la langue mêlée de latin grâce à l’influence du pouvoir politique.

11L’« Annotation », dans laquelle figure le texte des Serments de Strasbourg avec une traduction intralinguale, est enfin particulièrement importante comme témoignage de la réflexion sur la langue occitane qui, à la fin du XVIe siècle, fut élaborée dans le cadre d’une illustration de la langue nationale.

Enjeux linguistiques du texte

  • 28 Jean Céard, « Les transformations du genre du commentaire », L’Automne de la Renaissance, 1580-1630 (...)

12Parmi les différentes formes que le genre du commentaire érudit peut prendre à la Renaissance, l’Annotation désigne un commentaire libre, différent de la glose qui se tient près de la lettre du texte, mais qui permet à l’auteur de mettre davantage en avant le caractère modeste de sa contribution à l’éclaircissement du texte28 ; pour ce qui est de Vigenère, le choix du terme « annotations » peut également être motivé par la volonté de distinguer cette partie de son travail de la traduction elle-même du texte de César, dont le titre comporte justement le mot « commentaire ».

  • 29 Ibid., p. 107.

13La « démarche digressive » qui caractérise ces Annotations est bien caractéristique de l’attitude des commentateurs de la Renaissance, qui tendent à construire une « excursion autour du texte » pour proposer au lecteur une « invitation au voyage »29, dans lequel le commentateur-voyageur dialogue avec le texte en exprimant ses propres idées sur des arguments inspirés par celui-ci, et non seulement en l’expliquant ou en l’éclairant. Ce qui caractérise aussi ce type d’observations du modèle de commentaire pratiqué au cours du Moyen Âge est la mise en page ; en effet, au lieu d’être englobées dans le texte ou de l’entourer jusqu’à l’envahir complètement, les Annotations sont séparées nettement du texte, imprimées à la suite de celui-ci qui garde donc sa place de premier plan.

14Dans l’Annotation intitulée « De l’Ancienne langue gauloise, et quelle a peu près elle pouvoit estre du temps de Cesar », Vigenère traite donc un sujet qui n’est qu’indirectement lié au texte du De Bello Gallico, à savoir les caractéristiques de la langue parlée par la population de la Gaule au moment de l’arrivée de César, et plus généralement les traits qui distinguent les premiers témoignages de la langue vernaculaire gallo-romane, ainsi que les principes qui sont à la base de son évolution.

  • 30 Sur Glarean, v. Heinrich Glarean's books : the intellectual world of a sixteenth-century musical hu (...)
  • 31 Beatus Rhenanus, Rerum germanicarum libri tres, Bâle, Froben, 1531, livre II, « Gallorum vetus ling (...)

15La problématique, double, est exposée dès l’incipit du texte, que nous ne reproduisons pas ici ; Vigenère déclare vouloir d’abord « parcourir un peu plus au long ce qui concerne le parler françois tant ancien que moderne, pour veoir si l’on pourroit redresser quelque chose » des opinions de ses contemporains (f. 97r) à propos de l’identification des caractéristiques de « l’ancien parler gaulois du temps de Cesar il y a plus de seize cens ans », sans pourtant remonter à l’origine de la différenciation des langues, représentée par le mythe de la Tour de Babel ; il se propose en particulier d’examiner le bien-fondé de la théorie de l’humaniste, musicien et poète Glarean, ou Henricus Glareanus, à propos de l’origine germanique de la langue des Gaulois30, et de celle de Beatus Rhenanus, selon lequel la langue des Gaulois correspondrait au breton31. Il se déclarera en désaccord avec ces deux savants. Le deuxième aspect que Vigenère se propose d’éclaircir est constructif : puisque « ce n’est pas assez de dire, le parler ancien Gaullois n’estoit ny cestui-cy, ny celuy-là, par ce que finablement nous n’en pourrions pas tirer aucune instruction » (f. 100v a), il s’agira de démontrer l’hypothèse selon laquelle « l’ancien parler Gaullois du temps de Cesar estoit bien fort aprochant du nostre ». Vigenère essaie donc de prouver premièrement que la langue des Gaulois, dont l’origine mythique remonte à la lignée du fils aîné de Japhet, était suffisamment proche du latin pour en être modifiée lors de la conquête romaine, et que de cette « alteration » (f. 101r a) est issu l’un des trois « enfantements de la langue latine avec l’Italien et l’Espagnol » (f. 101r b), à savoir le français ; ensuite, Vigenère cherche à démontrer qu’à l’origine, cette langue correspondait à l’ancien « cathelan ou provençal », né dans la région qui fut romanisée la première et ensuite diffusé dans toute la « Vuestrie », c’est-à-dire la région occidentale allant du Rhin à la Loire et l’Océan. Les Serments de Strasbourg serviront donc à prouver cette affirmation.

16Pour étayer son hypothèse, Vigenère se sert ensuite d’autres textes littéraires du Moyen Âge, dont quatre en ancien français selon notre définition moderne, et trois en ancien occitan. Ces textes permettent de montrer que la langue française résulte d’un processus de purification et de polissage progressifs du « cathelan ou provençal », considéré comme un stade intermédiaire entre le latin apporté en Gaule par les Romains et le français ; cette sublimation de la langue est rendue possible par l’action bénéfique de la monarchie, qui s’est exercée surtout dans les territoires situés au centre de la France comme la région parisienne, l’orléanais et la vallée de la Loire. Le fait que cette influence ne s’est pas étendue aux régions méridionales expliquerait « comme il s’est peu faire qu’en un mesme temps, et en un mesme endroit de la France, deux parlers se soient ainsi rencontrez si divers », c’est-à-dire, pour utiliser la terminaison actuelle, la langue d’oc et la langue d’oïl : le « cathelan » se serait conservé au sud, tandis que l’action de raffinement déclenchée par la monarchie aurait donné naissance au français.

  • 32 « Or pour arrester et conclure en fin quelque chose de ce qui a esté si prolixement esbauché cy des (...)

17Nous avons choisi de transcrire le texte à partir de la partie constructive, étant donné le style argumentatif particulièrement complexe de Vigenère pour un lecteur moderne peu enclin à suivre une démarche fortement empruntée à la digression et à la citation ; l’auteur, conscient de la difficulté de lecture que son texte pose, s’en excuse lui-même dans la conclusion32. Nous n’analyserons donc pas les arguments utilisés par Vigenère pour discuter les thèses de ses deux contemporains quant à la nature de la langue des Gaulois, pour nous concentrer sur la seconde partie du texte, transcrite ci-dessous.

Gaulois et latin, langues proches

  • 33 Sur ce sujet, voir Marie-Luce Demonet, Les voix du signe : nature et origine du langage à la Renais (...)
  • 34 Voir plus loin. Il refuse cependant de considérer que le français de son temps soit du grec ou de l (...)

18Dans sa réfutation des théories de Glarean, Vigenère a utilisé indirectement comme argument pour nier l’origine germanique du gaulois le thème de la filiation mythique de la population de la Gaule, dont l’ancêtre serait Gomer, fils aîné de Japhet, et dont le dixième roi, Galate, aurait envahi l’Anatolie actuelle et les terres à l’entour en donnant origine à la Gallo-Grèce33. Cette origine supposée, fondée sur les Commentaria super opera diversorum auctorum de antiquitatibus loquentium d’Annius de Viterbe, sert également à fonder l’affinité du gaulois et du latin, élément indispensable pour que l’hybridation du gaulois avec le latin ait lieu après la conquête romaine34.

19Vigenère s’appuie sur le témoignage des auteurs classiques pour signaler au moins un certain nombre de mots du latin qui auraient un étymon gaulois :

  • 35 Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues, London, 1611 (http://www.pbm.com/ (...)
  • 36 Pour le mot alauda, v. Eugène Rolland, Faune populaire de la France. Noms vulgaires, dictons, prove (...)

Nous avons assez d’autres [mots] que les anciens Autheurs Latins alleguent estre vrais Gaullois ; Comme Alauda, Alouëtte, le d et le t se trans-changeans aiseement, l’un en l’autre (…) Puis bracca, brayes ou brahiers dont le Languedoc ou Gaulle Narbonnoise receut le nom de Gallia brachatta, à cause des brayes qu’on y portoit (…), aussy cestuy [mot] de mulles, ce sont ces pantoufles que nous portons par les fanges35 (…). Suit après Bulgæ, bouges ou bougettes, qui estoient pur François (…), ce qui est proprement ce que nous disons bougette, et mettre en noz bouges (…). Outre plus il y a benna une benne, d’où a esté corrompu ce que nous disons plus modernement une manne au lieu de benne, chascun sçait assez que c’est ; et vannier pour bannier. (f. 98r b)36

20Le fait que ces mots, auxquels Vigenère ajoute encore battuere, soldarius, leuca, bacchinum, crupellarius, carra, marga, aient été intégrés au lexique latin serait pour lui une preuve de l’« ancienne affinité aucunement de nostre langue avec la latine ». Aussi, certains mots latins (comme floces, la lie du vin ou petorium, un chariot) que quelques auteurs estiment comme venant du gaulois ou du « thuscan » (f. 99r a), à savoir la langue des Étrusques, non seulement confirmeraient l’affinité du gaulois avec le latin, mais ils prouveraient également la « ressemblance alors du Gaulois avec le Thuscan » (ibid.), ce qui n’est pas sans importance pour la théorie de l’origine mythique des Gaulois, car selon Annius de Viterbe, les Étrusques aussi viendraient de la lignée des enfants de Noé :

Or puisqu’il [Aulu Gelle] accouple ainsi le Thuscan et Gaulois , par consequant cela infere qu’ils convenoient aussi deslors en beaucoup de mots, et par mesme moyen avecques le parler Latin, tous estant descenduz des anciens Hetrusques, comme ayans eu un mesme fondateur de leurs peuples, de leurs langages, et caracteres de l’escripture, ou plustost des lettres, dont le nom s’espandit en toute l’Europe, selon Herodote, Polybe, Diodore, Appian, et autres, de Gomer aisné fils de Japhet à ses successeurs : Car Josephe és antiquitez Judaiques met, que ceux qui de son temps, quelques 40. ans après la mort de nostre Sauveur, s’appelloient Gaullois ou Galates, se nommoient anciennement Gomerites : Berose aussi, mais par le contrepied en retrogradant, que la posterité de Gomer s’appelloit Gaulois en l’Umbrie, c’est la Romaigne de maintenant, tout contiguë à la Thoscane. (f. 99r b)

21Or, cette affinité de la langue des Étrusques, du latin et de la langue gauloise, fondée sur une origine commune, serait importante parce qu’elle constituerait l’élément qui aurait permis que le gaulois soit soumis à l’influence du latin, qui pour Vigenère est positive et se traduit en un enrichissement.

22En effet, pour Vigenère, le contact du gaulois avec une langue plus avancée dans son évolution, comme le latin de l’âge de César, est un facteur bénéfique, qui a comme conséquence de concourir à son perfectionnement. Le choix des verbes au début du passage suivant est tout à fait révélateur de cette conception :

Nostre [langue] ne s’en feust pas peu alterer, et corrompre, et par consequant enrichir et orner, en estant toute entremeslée, parce qu’il faut nomméement que le corruptible ait quelque participation et affinité avec le corrompant et alterant, d’autant que s’ils estoient du tout dissemblables, ils ne se pourroient pas mesler (f. 101r a)

  • 37 Pour ce qui est de cet aspect chez C. Fauchet, v. A. Pénot, Étude, cit., p. 187 sq.

23Les mots « corrompre » et surtout « altérer » sont utilisés ici dans un sens chimique ou alchimique, comme l’équivalent de « modifier la nature de quelque chose » et n’ont donc pas de valeur dépréciative (TLF ad vocem, partie étymologique ; Cotgrave, FEW) ; tel un métal, la langue sera purifiée et assouplie à travers le contact avec une autre langue plus pure, ce qui permettrait d’inférer indirectement que sa dissolution dans le latin, témoignée par les textes les plus anciens, ne serait que la prémisse pour une sublimation purificatrice. La coloration alchimique que Vigenère donne au principe de polissage de la langue, énoncé aussi par Claude Fauchet dans son Recueil de 158137, est cohérente avec les intérêts, signalés plus haut, que notre érudit manifesta pour l’alchimie comme discipline capable de dégager ce qu’il y a d’incorruptible et d’essentiel dans la nature ; l’emploi, quelques lignes plus loin, des substantifs « corrompant » et « corrompeur » pour désigner le gaulois et le latin vont dans le même sens.

  • 38 « toutes choses ont leur commencement et leur progrez, estat, et decadence selon que nous pouvons v (...)
  • 39 M. Fumaroli, « Blaise de Vigenère et les débuts… », cit., p. 34.

24Dans le contexte de cette « Annotation », il faut signaler aussi l’intérêt du fait que la langue latine de l’époque de César est considérée comme un exemple du stade de la « virilité et accomplie perfection » dans la vie de cet idiome38, car cela permet de soutenir l’idée que le contact du gaulois avec la langue des envahisseurs a constitué un moyen, pour la langue qui sera celle de la France, de se perfectionner pour tendre vers un nouvel âge d’or, comparable à celui qu’a connu le latin à la fin de la période républicaine et dont les écrits de César témoignent pour Vigenère de manière exemplaire. La proximité de ce passage avec la préface à la traduction des traités de Cicéron, César et Tacite parue en 1575 et analysée par M. Fumaroli est donc particulièrement importante pour souligner la cohérence et l’harmonie des idées de Vigenère à propos de la langue, et tout spécialement la langue littéraire. En effet, comme il l’avait déjà affirmé dans le prologue à ses traductions et conformément à sa croyance en le mythe des cycles historiques, dans notre texte il soutient que le français pourra atteindre son âge d’or seulement lorsque le processus mis en marche par la politique culturelle de François Ier et réalisé par Marot et Ronsard pour la poésie sera achevé aussi pour la prose (l’« oraison solue »)39, qui n’est pas encore parvenue à un degré de perfection rhétorique comparable :

  • 40 Le sens de ce mot étant « pureté » (DMF : Dictionnaire du Moyen Français, version 2015 (DMF 2015). (...)

Par mesme moyen [l’action de François Ier restaurateur des bonnes lettres] commença aussi deslors à reluire plus que de coustume, l’ornement et la pureté de nostre langue, qui ne s’est pas gueres accrue depuis, car on ne peut nier que la sincerité40 d’icelle n’ait esté autant en Marot que nul autre, et les enrichissemens en Ronsard : Quant à l’oraison solue je m’en tais, et deporte d’en parler plus avant, parce qu’il y a tant d’escrivains aujourd’huy, qui s’accablent les uns les autres, qu’on ne peut gueres bien discerner les bons des mauvais, qui les esteignent et suffoquent à guise des mauvaises herbes qui surcroissent parmy les utiles et salutaires, quand chascun sans aucun choyx ny jugement, sans rien elabourer, sarcler, ne cribler, se transporte le nez au vent selon que sa fantaisie le pousse (…) (f. 100v b)

25On remarquera que les langues anciennes jouent, dans ce chemin vers un état de perfection du français littéraire, un rôle comparable à celui du latin pour le gaulois, encore que moins déterminant pour la nature de la langue ; en effet, c’est grâce à sa pratique de la littérature grecque et latine, et même de celle dans les vernaculaires qui ont déjà atteint une perfection comparable à celle des langues classiques, que Ronsard a pu s’élever encore par rapport à Marot, qui n’avait pas une formation dans les studia humanitatis ; la métaphore du courtisan « qui desire de s’advancer » mais n’a pas le « suport qui l’introduise auprès des grands » (f. 101r a) cache justement l’idée que seule la pratique des langues anciennes a permis à Ronsard de devancer son rival et de parvenir à un « Stille à l’imitation des mouches à miel, doulx, et sublime » (ibid.). Aussi, la traduction sera un exercice indispensable pour façonner le style, car elle permet de « defleurer les beaux mots, et les riches locutions des bons autheurs és autres langues ».

26Dans ce contexte, parcourir les étapes à travers lesquelles la sublimation progressive du gaulois s’est réalisée est essentiel, non seulement dans une perspective érudite, mais aussi dans le cadre d’une vision « politique » de l’évolution de la langue. Vigenère revient donc à la question centrale de son « Annotation » et se demande quels seront les éléments susceptibles de lui fournir des éléments utiles pour trouver d’autres traces de la langue gauloise, en plus des quelques mots signalés par les auteurs latins, afin d’en avoir une image plus précise qui puisse démontrer de manière convaincante que « nostre langue d’aujourd’huy soit l’ancienne ou à peu près » (f. 101r b). Après avoir écarté le témoignage des noms propres et des toponymes, considéré peu fiable, il affirme qu’il faudra « aller requerir et chercher au plusloin ce qui s’en pourra recouvrer » (ibid.). C’est donc en tant que premier document en langue vernaculaire (« le plus vieil que nous ayons en vulgaire ») que les Serments de Strasbourg sont transcrits, traduits et analysés par notre érudit.

Les Serments de Strasbourg : enjeux philologiques

  • 41 Histoire des Fils de Louis le Pieux, éd. et trad. Philippe Lauer, revues par Sophie Glansdorff, Par (...)

27Vigenère ouvre la séquence de son « Annotation » consacrée aux Serments de Strasbourg en mentionnant l’auteur de l’œuvre qui contient la transcription la plus ancienne de ce texte ; le « texte de Guitard » est, naturellement, le De dissensionibus filiorum Ludovici Pii (Histoire des enfants de Louis le Pieux) de Nithard41, qui contient au livre III le récit des événements qui amenèrent à l’échange d’aide mutuelle entre Charles le Chauve et Louis le Germanique.

  • 42 De dissentionibus filiorum Ludovici Pii ad annum usque 843 libri iv ad Carolum Calvum Francorum reg (...)
  • 43 Jean Bodin, Les six livres de la République de J. Bodin Angevin, Paris, Jacques Du Puys, 1576, livr (...)
  • 44 Claude Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise: ryme et romans, Paris, Mamer (...)
  • 45 Bernard de Girard Du Haillan, L’Histoire de France : reveue, et augmentée depuis les precedentes, P (...)
  • 46 Selon A. Pénot, Étude, cit., p. 252, cette donnée peut être tirée d'une note de Claude Fauchet sur (...)
  • 47 Sur ce manuscrit, v. Courtney M. Booker, « An Early Humanist Edition of Nithard, De Dissensionibus (...)
  • 48 C. Booker, « An Early Humanist Edition », cit., p. 249. Dans un article récent, Marco Conti (« Vari (...)
  • 49 Pour celle du ms. Paris, BnF, lat. 9768, j’ai utilisé la transcription diplomatique et l’édition fo (...)

28Comme on le sait, l’Histoire de Nithard avait été publiée une année plus tôt par Pierre Pithou42, tandis que d’autres érudits avaient transcrit le texte des Serments dans des œuvres diverses : Jean Bodin dans Les six livres de la Republique (1576)43, Claude Fauchet dans son Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise (1581)44 et Bernard de Girard Du Haillan dans son Histoire de France (1585)45 ; comme source pour sa transcription Vigenère aurait donc pu recourir tant à ces traités qu’au manuscrit actuellement conservé à la BnF sous la cote lat. 9768, alors possédé par le chanoine Jean de Saint-André après la vente des manuscrits de la bibliothèque de Saint-Magloire46, ou bien au manuscrit autographe copié par Pithou et maintenant conservé à Tours (MAT, 323047) ou encore au manuscrit aujourd’hui perdu que possédait l’humaniste Charles de la Mothe, ami de Pithou48. Les circonstances de la vie de Vigenère, connues de manière peu détaillée, ne permettent pas d’affirmer avec certitude qu’il ait eu des rapports personnels ou amicaux avec les possesseurs des manuscrits qui puissent justifier la consultation des codex ; une comparaison avec les autres transcriptions contemporaines et avec les éditions critiques des deux manuscrits49 est donc susceptible de fournir quelques indices à propos de la source utilisée, bien que cela comporte quelques difficultés, venant en premier lieu de l’impossibilité de vérifier le degré de fiabilité des transcriptions imprimées du XVIe siècle pour ce qui est du respect de la lettre du texte source.

29Compte tenu de ces limites, on peut tenter d’analyser la varia lectio des cinq autres témoins à la disposition de Vigenère, pour essayer d’établir quel texte il a pu copier.

Collation

30Sigles utilisés :

A : Ms. Paris, BnF, Lat. 9768.

T : Ms Troyes, MAT 3230.

B : J. Bodin, Les six livres de la République, 1576, p. 11[7]-118.

F : C. Fauchet, Recueil, 1581, éd. Pénot.

G : Bernard de Girard Du Haillan, Histoire de France, 1585, f. 336v.

Pi : P. Pithou, édition de l’Historia de Nithard, 1588, éd. Booker.

V : Blaise de Vigenère, Annotations.

31Texte :

Pro Doma amur, & pro Christian Poblo, & nostro commun salvamentb, distdi enc avant inquant Des savir & podird me dunat si Salvareio eist e meon fradre Lodhuvigsf, eig in adiudha, & in cadhuna cosa, si com homh per dreit son fradrei salvar dist ino quid il un altre si faretj. Et abludher nul plaid nunquam prindrai que meon vol sistk meon fradre Lodhuvigsl in damno sit.

32Réponse :

Si Lodhuvigs sacrementm que son fradre Karle iurat, conservat, & Karlus meo senorn de suopart non lo stanit ; si io returnar nen linto pois, neio ne nulsp cui eo returnar nitq pois, in nulla adiudha contra Ludhouuvig nun li iuer (V, f. 201v°b).

Varia lectio

33Texte :

aDom ] A, T, F Pi, Deo B, don G; bsalvament A, B, F, G, Pi ] salvamento T, corrigé dans la marge en –ment ; cen A, B, F, G, Pi ] in T, corrigé dans la marge en en ; dDes savir & podir] ds savir & podir A, F, G, Pi Deus savir et podir T, Ds sanir por di B ; esalvareio eist ] salvareio cist T, F, G ; salvarai eo cist A, salverio cist Pi, B ; fLodhuvigs ] Karlo /Carlo A, T, Pi, F, G, parle B ; gei ] et A, T, B, F, Pi, G ; hcom hom F, G ] cum om A, T, Pi, com om B ; ifradre T ] fradra A, B, F, G frada Pi ; jun altre si faret F, B. G ] mialtre si fazet A, mi altre si fazet T, Pi ; ksist ] cist A, T, B, F eist Pi ; lLodhuvigs ] A, T, B, F, G, Pi Karle

34Réponse :

msacrement ] sagrament A, T, B, F, G, Pi ; nmeo senor ] meos sendra A, T, Pi; meosender B meo sendr F meo sandre G ; onen lint ] non l. A, T, Pi, F, G., non luit B ; pnuls F ] neuls A, Pi veuls T, B, G ; qnit ] int A, T, Pi, F, G ] me B.

  • 50 nuls contre neuls/veuls irait dans le même sens.
  • 51 Pour la graphie du mot sendra, G. Holtus, p. 198, n. 20 signale que le a final paraît exponctué par (...)

35Les leçons significatives salvareio (e) et un altre si faret (j) tendent à rapprocher V de F et G, qui pourtant transcrivent cist et non pas eist ; quant à la leçon isolée meo senor (n), elle pourrait s’expliquer à partir de meo sendr de F, que V aurait pu corriger pour essayer de donner un sens à cette expression opaque50, mais elle peut s’expliquer aussi par le recours à A, où dans sendra le a est en partie effacé, selon Holtus51; nit (q), autre leçon isolée, pourrait résulter aussi bien d’une correction autonome de V par rapport à F que d’une mauvaise lecture des jambages dans le manuscrit A. Pareillement, Dom (a) pourrait résulter de la résolution de l’abréviation () figurant dans A et F. D’après ces indices, Vigenère aurait donc pu avoir vu le manuscrit BnF, lat. 9768 et éventuellement comparé sa propre transcription avec celle de Fauchet, avec laquelle il a beaucoup d’affinités sans pourtant s’y accorder in toto.

  • 52 Comme il l’a été rappelé plus haut, l’« Annotation sur la langue des Gaulois » ne figure pas dans l (...)
  • 53 En se conformant à l’interprétation de Ferdinand Brunot dans sa célèbre Histoire de la langue franç (...)
  • 54 Je n’arrive pas à déceler une raison qui tiendrait, éventuellement, à une logique plus subtile, car (...)

36Cependant, l’élément le plus particulier de la transcription de V, qui se conserve intact aussi dans l’édition L’Angelier de 160352, est la présence de Lodhuvigs à la place de Karlo, Karle dans les deux occurrences où ce nom propre apparaît dans le serment : on pourrait alors se demander si Vigenère n’aurait pas suivi un témoin aujourd’hui disparu, qui contenait une variante à ces endroits, fautive ou bien qui permettrait peut-être de remettre en question une donnée fondamentale de l’interprétation actuelle à propos de la stratégie politique inscrite dans l’épisode des Serments (à savoir le fait que les deux rois aient juré chacun dans la langue de l’autre53). Plus vraisemblablement, on pourrait supposer que Vigenère ait corrigé sa source, pour des raisons qui tiendraient au redressement de ce qu’il aurait pu considérer comme une incohérence, à savoir l’utilisation de la langue issue du latin par Louis plutôt que par Charles54 ; dans ce cas, on serait amené à conclure qu’il n’ait pas lu directement le texte des Historiæ de Nithard, mais qu’il se soit fondé uniquement sur l’un des autres ouvrages qui contenaient le texte des Serments.

  • 55 Elle sera d’ailleurs corrigée dans l’édition de 1603. Pour les variantes dans les différentes éditi (...)
  • 56 Éd. Pénot, l. IV, l. 11-40, p. 243sq.

37Dans ce cas, B, qui porte la variante parle en (f), se prêterait particulièrement bien à ce type d’intervention, mais la traduction qui suit (« si sauverai-je ce mien frere Charle ») permet d’inférer qu’il s’agit en réalité d’une coquille pour Karle55. Quant au Recueil de Claude Fauchet, il contient une explication qui ne prête à aucune équivoque (« les deux rois voulans asseurer ceux qui les avoient suyvis, que ceste alliance seroit perpetuelle, ils parlérent chacun aux gens de son pair, c’est le mot dont Guitard use, à sçavoir Louys Roy de Germanie aux François Westriens qui suyvoient ledit Charles en langue Romaine, c’est à dire la Rustique, et Charles à ceux de Louys, qui estoyent Austrasiens, Alemans, Saxons, et autres habitans delà le Rhin, en langue Theutonique »56). Vigenère l’aurait-il trouvée insatisfaisante ?

38La confrontation des traductions intralinguales figurant dans B et G avec celle de Vigenère amène à supposer pourtant que celui-ci s’est servi d’une source où seul le texte des serments était présent.

39Vigenère traduit les Serments de la façon suivante :

Pour l’amour (ou honneur) du Seigneur (Dieu) & pour le peuple chrestien, & nostre commun sauvement, d’icy en avant entant que Dieu m’en donra le sçavoir & pouvoir, si mon frere Loys est sain et sauve, je luy seray en ayde en chaque chose, si comme l’homme de droit son frere sauver doit en ce qu’un autre luy feroit. Et envers luy ne prendray jamais aucune querelle, que mon vouloir soit que mon frere Loys en soit endommagé.

Si Loys observe le serment que son frere Charles jure, & que Charles mon seigneur de sa part n’y demeure (ne s’y maintient) si je ne luy puis retourner (restablir, restituer en son entier) n’y moy ny nul de ceux qui le luy peuvent retorner, en nulle aide contre Lois je ne luy seray.

40La version de Bodin et celle de Bernard de Girard Du Haillan sont identiques, si bien qu’on ne fournira qu’un seul texte ; les parties soulignées sont celles qui divergent le plus de la traduction de Vigenère :

Pour l’amour de Dieu et du peuple chrestien et de nostre salut commun de ce jour en avant entant que Dieu sçavoir et pouvoir me doint, si sauveray-je ce mien frere Charle et en son aide et en chacune chose : ainsi comme homme par droit son frere sauver doit, et non pas comme un autre se feroit. Et a luy n’auray querelle que mon vouloir soit, si mon frere Charles ne me fait tort.

Sy Loys garde le serment faict a son frere et Charles Monseigneur de sa part ne le tient, si detourner je ne le puis, je ne veux avec luy retourner en paix, ne luy prester aucune obeissance.

  • 57 Cette caractéristique si particulière du texte chez Vigenère à propos des noms propres mériterait s (...)

41Les nombreuses différences avec la traduction de Bodin et de Bernard de Girard Du Haillan permettent d’exclure que Vigenère se soit inspiré de ces textes pour sa propre mise en français « moderne ». À propos de cette dernière, on peut observer tout d’abord que les variations de leçon influencent la traduction, tout d’abord pour les passages qui remplacent la mention de Charles le Chauve par celle de Louis le Germanique. En effet, la phrase « si Salvareio eist meon fradre Lodhuvigs ei in adiudha, & in cadhuna cosa » donne lieu à la traduction « si mon frere Loys est sain et sauve, je luy seray en ayde en chaque chose » parce que le verbe avec pronom personnel en enclise « salvareio » (tr. mod. « je soutiendrai ce mien frère … de mon aide et en toute chose ») est en réalité compris comme un adjectif (dont la traduction est « sain et sauf »), tandis que les variantes isolées eist pour cist et ei pour et font que ces termes sont considérés comme les formes de l’indicatif présent P3 et futur P2 du verbe être (« est », « sera », lat. « est », « eris »). On remarquera aussi au passage que la mention de Lothaire (« abludher ») n’a pas été transposée comme telle, mais substituée par un renvoi à Louis (« et envers lui »)57.

  • 58 C’est l’interprétation fournie dans G. Holtus, « Rilievi su un’edizione comparativa », cit., p. 204 (...)

42Quant à la phrase « ino quid il un altre si faret », traduite « en ce qu’un autre luy feroit », la lecture « un » à la place de « mi » fait que « altre » est considéré comme un pronom indéfini précédé de l’article, probablement à cause de l’éloignement du verbe (« fazet »), jugé incompatible avec la présence d’un pronom personnel séparé, tandis que « si » (généralement analysé comme partie du pronom indéfini « altresi ») serait l’équivalent d’un « sic » latin, sans correspondant dans la version de Vigenère. L’expression « ino quid », analysée par les commentateurs modernes comme ayant une valeur conditionnelle (« à condition que »58), est probablement interprétée comme le correspondant du latin « in hoc quid » (« en ce que ») et enfin « faret », lu généralement « fazet », serait le conditionnel P3 et non pas le subjonctif, rendu nécessaire par la construction conditionnelle.

  • 59 « meon fradre » n’est pas interprété comme un datif (« à mon frère »), mais comme un nominatif ; « (...)

43C’est encore à cause d’une série de variantes (« sist » pour « cist », et aussi « que » pour « qui », en plus de « Lodhuvigs » pour « Karle ») que la séquence « que meon vol sistk meon fradre Lodhuvigsl in damno sit » est considérée comme composée de deux phrases, la première, introduite par « que » et régie par le verbe au subjonctif « sist », avec valeur comparative (telle que…) (« que mon vouloir soit (que) ») et la deuxième, complétive (« que mon frere Loys en soit endommagé »59).

  • 60 La forme « fradre » est considérée un nominatif, et non pas un datif comme pour les philologues mod (...)

44Dans la réponse, les points sensibles de la traduction reposent sur des bases analogues60. On remarquera seulement que pour la séquence très problématique lo stanit (généralement lue par les philologues modernes los tanit / los tanit / lof tanit), Vigenère manifeste de nouveau une hésitation entre la traduction « n’y demeure » et « ne s’y maintient », signe que la difficulté d’interprétation a été perçue dès le début.

45Le texte et la traduction de la partie romane des Serments par Blaise de Vigenère montrent que notre érudit a travaillé sur le texte de manière autonome, soit en se fondant sur A, soit, plus probablement, sur la transcription presque diplomatique de Claude Fauchet, qu’il a d’ailleurs certainement connue parce que plusieurs arguments utilisés dans les « Annotations » sont déjà présents dans le Recueil ; c’est le cas, notamment, de la question du polissement de la langue comme facteur de changement mentionnée plus haut, que Vigenère élabore toutefois en accord avec sa propre vision du monde et ses propres théories, influencées par la littérature alchimique. Un autre élément important de la section des « Annotations » relative aux Serments de Strasbourg que Vigenère tire du Recueil de Fauchet est l’hypothèse d’une origine occitane du français.

Les Serments de Strasbourg et la langue « cathelane »

  • 61 Marie-Luce Demonet, « La langue des troubadours, origine de la langue française ? », La Réception d (...)

46L’émergence de l’idée qu’une « langue rustique occitane » avait été parlée dans l’ancien royaume a fait l’objet d’un article récent par Marie-Luce Demonet61, qui a montré que les points de contact entre le Recueil de Fauchet et les Annotations de Vigenère sont nombreux. En effet, juste après la traduction du texte roman des Serments, celui-ci ébauche une analyse linguistique, au terme de laquelle il déclare que son « opinion fut tousjours, [le Catellan ou Provençal] avoir esté le plus ancien parler François » (f. 101v b) ; or, au chapitre IV de son Recueil, Fauchet affirmait que la langue des Serments était du « rustique romain », c’est-à-dire du gaulois transformé par le latin, et que cette langue était « pareille à celle dont usent a present les Provençaux, Cathalans, ou ceux du Languedoc », ce qui lui permettait de terminer en affirmant que :

  • 62 Éd. Pénot, ch IV, l. 11-40, p. 244-sqq.

Ceste langue rustique Romaine entendue par les soldats du roy Charles le Chauve, estoit ceste rustique romaine, en en laquelle Charles le Grand vouloit que les Omelies preschées aux Eglises fussent translatées : à fin d’estre entendues par les simples gens, comme leur langue maternelle (…)62.

  • 63 Gerold Hilty, « Les Serments de Stasbourg et la Sequence de sainte Eulalie », Vox Romanica n° 37, 1 (...)
  • 64 M.-L. Demonet, « La langue des troubadours », cit., p. 23.

47On sait d’ailleurs que la théorie selon laquelle la langue des Serments correspondrait à une variante de langue orale parlée dans le sud-est de la France actuelle a été soutenue à plusieurs reprises, entre autres par Gerold Hilty à une époque assez récente63, et que la détermination de la base linguistique du texte pose encore des difficultés considérables. Les idées linguistiques énoncées par Vigenère et par Fauchet ne sont donc pas dépourvues d’intérêt, pour l’actualité de certaines de leurs intuitions qui les rend tout à fait « dignes d’intérêt »64.

  • 65 À partir de l’étude d’Alfred Ewert, « The Strasbourg Oaths », Transactions of the Philological Soci (...)

48À ce propos, parmi les questions que Vigenère soulève dans son « Annotation », les observations sur la présence de mots latins dans le texte des Serments sont elles aussi très actuelles, car la question de la « latinisierung » de la scripta utilisée dans le manuscrit A est au centre du débat parmi les philologues encore de nos jours, dont certains pensent que les traces du latin mérovingien dans la langue des Serments seraient une preuve de son caractère artificiel65.

  • 66 G. De Poerck, par exemple, a suggéré une interprétation nunqua plus le pronom enclitique me (« Le m (...)
  • 67 Vigenère était italianisant, pour avoir séjourné plusieurs fois dans la Péninsule; comme il l’a été (...)
  • 68 Celui-ci fait d’ailleurs partie aussi du vocabulaire italien.

49Parmi les traces de la présence du latin, Vigenère remarque, entre autres, le « nunquam » qui a fait l’objet d’interprétations multiples de la part des commentateurs jusqu’à une époque très récente encore66 ; les termes latins cités sont au nombre de cinq, mais pour lui cette influence du latin coexiste avec celle de trois langues vernaculaires, l’italien (dont il reconnaît la présence des termes « fradre, nostro, cosa, nulla, contra »67), l’espagnol (trois termes seulement : « aiuda, Cadhuna68, senor ») et le français (« en avant, nul plaid, son »), qu’il semble distinguer sur la base d’éléments phonétiques, tels la conservation ou la chute des voyelles finales, la nasalisation, le vocalisme tonique ou la palatalisation. La langue des Serments serait donc hybride. Cependant, elle ne manquerait pas de faire entrevoir sa base principale, qui serait le « Catellan ou Provençal », et la prédominance de mots occitans (87 sur 113, selon ce que l’on peut inférer de ses observations) en serait la preuve ; pour Vigenère, comme pour Fauchet, l’occitan serait donc un état intermédiaire entre le latin influencé par le substrat gaulois et l’ancienne langue française :

On voit assez que c’est un langage meslé du latin, numquam, conservat, in damno sit ; de l’italien, Christian, fradra, nostro, cosa, ne io, nulla, contra : de l’espagnol, aiuda, Cadhuna, senor : allemand, Lodhuvig, sagrement : françois, en avant, nul plaid, son : et au reste la plus part des mots sont catellans ou prouvençaux, que mon opinion fut tousjours, avoir esté le plus ancien parler françois. […]

Or puis que ce langage [des Serments] aproche fort du cathelan ou provençal usité au cueur de la France pour lors, lesquels se sont presque tousjours [f. 102r°a] maintenus depuis en leur ancienneté sans s’en alterer, come a fait celuy de Vuestrie, cela me confirme tousjours d’avantage, que le cathelan ou prouvençal ayent precedé le roman, qui se soit poly peu à peu, jusqu’à se rendre tel que nous l’avons. 

  • 69 la même désignation est utilisée par Fauchet; v. A. Pénot, Étude, cit., p. 238 sq.
  • 70 Pour l’utilisation de ce terme, v. ibid., l. IV, l. 17-18 et p. 240 sq.

50Mais comment serait-on passé de l’occitan, diffusé à l’époque des Serments dans toute la Gaule, au « roman », c’est-à-dire à ce que nous appellerions l’ancien français69 ? Il s’agirait, comme il l’avait été déjà affirmé précédemment, d’une « altération », c’est-à-dire une modification, qui se serait produite dans la « Vuestrie », région définie quelques lignes plus haut comme « le pays […] d’entre Meuze et Loire, comprenant une partie de la Gaule Belgique, et de la Celtique » (f. 101v b), en accord avec ce que Fauchet avait écrit dans son Recueil70 :

Cela dis-je de rechef me donne à penser comme il s’est peu faire qu’en un mesme temps, et en un mesme endroit de la France, deux parlers se soient ainsi rencontrez si divers. Or que le parler Roman ou François ait esté plus pur au cueur de la France qu’és lizieres ou extremitez, il ne faut pas trouver cela estrange, car tout ainsi que l’escume d’un pot quand il boult se chasse et renvoye ès bords, le millieu demeurant plus net, de mesme la cour des Roys se retenant vers Paris, Bourges, Blois et autres endroits du cueur du royaume, cela a fait qu’en Bretaigne, Aquitaine, Languedoc, Provence, Daulphiné, et semblables Provinces plus esloignées, le parler François y a deu estre moins poly et syncere (f. 102r b)

  • 71 M.-L. Demonet, « La langue des troubadours », cit., p. 29
  • 72 Ibid., p. 32

51La cause de cette « altération » ayant amené à la formation des deux langues que nous définirions d’oc et d’oïl serait donc à rechercher non pas dans les changements politiques qui amenèrent à l’usurpation de Hugues Capet, comme pour Fauchet71, mais par l’action catalisatrice de la monarchie, qui agirait comme élément déclenchant le processus de sublimation, de polissage progressif de la langue ; cette influence positive72 se manifesterait sous la forme d’une irradiation à partir du centre du royaume, identifié avec la région parisienne et la vallée de la Loire. La comparaison avec le processus de l’ébullition dans un « pot » permet de souligner l’effervescence et l’énergie inscrites dans l’action de la monarchie.

  • 73 Éd. Pénot, chap. IV, l. 8-10 ; Alexandre de Paris, Le Roman d'Alexandre. Traduction, présentation e (...)
  • 74 FEW, Band 7, p. 417.
  • 75 Huon de Méry, Le tournoi de l'Antéchrist (Li tornoiemenz Antecrit). Texte établi par Georg Wimmer, (...)

52L’épurement progressif du « roman » se manifeste, pour Vigenère, avant tout dans les textes littéraires. Il utilise donc des vers tirés d’ouvrages médiévaux pour prouver la capacité du « roman » d’être source de poésie, ce qui serait la démonstration du caractère illustre de la langue vernaculaire même dans son état le plus ancien ; deux ouvrages sont cités ici, tous les deux figurant déjà dans le Recueil de Fauchet : il s’agit du Roman d’Alexandre, vaste ensemble comprenant quatre récits composés avant 1180 et rassemblés par Alexandre de Paris toujours au XIIe siècle. L’extrait reproduit dans l’« Annotation » correspond exactement à celui transcrit par Fauchet (ch. IV, l. 8-10), qui l’utilise pour montrer que le « roman » est différent du latin73 ; Vigenère, quant à lui, en fait un exemple de la différence qui sépare la langue du XIIe siècle de celle des Serments, mais surtout un échantillon de « François orné », donc littérairement élaboré, car paré des ornements de la rhétorique74 ; l’autre extrait, tiré du Tournoiement d’Antechrist d’Huon de Méry (daté d’environ 1228)75 et destiné lui aussi à montrer le rapprochement progressif de la langue « romane » littéraire au français du XVIe siècle sous le profil du style poétique, se retrouve également chez Fauchet :

Il y a tout plein de fragments des anciens poëtes de plus de quatre ou cinq cens ans, qui different bien de ce que dessus, & approchent assez pres du Nostre ; comme entre autres cestuy-ci du Roman d’Alexandre, d’environ l’an M C L, soubs Loys le jeune :

La Verté de l’histoir’, si com Li Roix la fit,
Un Clers se Chasteaudun, Lambert li Cors l’escrit ;
Que de Latin la trest, et en Roman la mist ;

C’est à dire en François orné. Il s’en trouve encore du depuis assez d’autres, par où l’on peut voir comme nostre parler s’affinoit peu à peu : Ainsi que ces vers d’un autre Roman appellé le Tournoiement de l’Antechrist, par Huon de Meri, environ l’an 1228.

N’est pas oiseux, ains fet bon euvre,
Li trouverre qui sa bouche euvre
Par bonne euvre conter et dire,
Mais ki bien treuve plein est d’ire
Quant il n’a de matere point.

  • 76 Il s’agit de l’une des six traductions françaises de l’Historia Karoli Magni, attribuée à l’archevê (...)
  • 77 Th. Warton, The History of English Poetry, London, Tegg, 1824, p. 139 ; Catalogue of the Library of (...)

53Vigenère cite ensuite deux textes en prose, bien qu’il considère cette forme d’écriture littéraire comme encore imparfaite à son époque ; la Chronique de Villehardouin lui est bien connue, car il en avait publié une traduction intralinguale en 1584, tandis que le Pseudo-Turpin76, indiqué ici comme une « vie de Charlemagne », avait encore une fois été cité dans le Recueil de Fauchet ; cependant, l’extrait ne reproduit que succinctement, et dans une langue fort éloignée, le prologue de la version en ancien français, ce qui induit Vigenère à commettre une erreur de perspective, car il considère que ce texte serait la preuve que la langue française est déjà très proche du français actuel dans cet ouvrage, ce qui n’est pas le cas dans le texte original. L’extrait qui figure dans Fauchet, et que Vigenère reproduit, serait contenu dans un manuscrit conservé à la British Library, que nous n’avons pu identifier77 :

Or ce qui me donne le plus à penser en cest endroit, est de voir combien le langage de Geoffroy de Villehardouin Mareschal de Champagne, et qui estoit de ce pays là, en son histoire de la prise de Constantinople, est differend de quelques autres qui ont escript d’un mesme temps, et devant encore, selon qu’on le peult veoir par cecy : Sachiez que mille cent quatrevingts dixhuict ans après l’incarnacion de nostre Seigneur Jesus Chirst, ot ung sainct homme en France, qui ot nom Folque de Nuilly, et il erre prestre. Sachiez que la renommee de cel sainct homme alla tant qu’elle vint à l’Apostoile de Romme Innocent, qui manda al prodome que il empenschast des croix par s’authorité, et après envoya un suen Chardonal. Et ceste autre icy de la vie de Charlemagne, mise en François devant l’an mil deix cens ; car ledit Villeharduyn a escrit son histoire depuis. Baudoyn comte de Haynault trouva à Sens en Bourgoigne la vie de Charlemagne, et mourant la donna à sa seur Yoland Contesse de sainct Paul, qui m’a prié que je la mette en Roman sans ryme, par ce que tel se delittera el Roman, qui del Latin n’eut cure, et par le Roman sera mielx gardet. Maintes gens en ont oÿ conter et chanter, mais n’est ce mensonge non ce qu’ils en dient et chantent, cil Conteor, ne cil Jongleor. Nuz contes rymez n’est vrais, [f. 102r b] tot est mensonge ce qu’ils dient. Par lesquels deux exemples de près de cccc. ans on peut assez voir la difference qui estoit en la langue Françoise d’alors ; car le premier aproche fort du Cathelan ou Provençal, et cest autre icy est le mesme langage à peu près, qu’escrivoit Froissart, et autres depuis cc. Ans ; neaumoins les deux ou trois dernieres lignes me semblent aucunement sentir plus leur antiquité que le reste.

  • 78 Voir Fauchet, ch. VII, l. 79-111, p. 511 sq.; Fauchet utilise ce texte pour prouver que la rime aur (...)
  • 79 C. Buridant, « Blaise de Vigenère traducteur des Commentaires de César », cit., ici p. 130.
  • 80 Voir Stefano Jacomuzzi, « Un modello del principe rinascimentale : Francesco II Gonzaga nella Chron (...)
  • 81 Pour ce qui est du poème « gascon » d’Auger Gaillard Roudié de Rabasten, nous renvoyons à l’article (...)

54Les troubadours seraient, pour leur part, la preuve que dès son origine, lorsqu’elle n’était encore que du « cathelan ou provençal », la langue vernaculaire avait un potentiel en tant que langue poétique, qui s’est manifesté d’abord dans la Vie de sainte Foy, premier texte en occitan que Fauchet avait fait découvrir en 158178 ; comme dans le Recueil, le poème est fait remonter ici à « plus de cinq cens ans ». Quant au deuxième poème (« En Sordel que vos es semblan »), il s’agit d’une tenso, donc d’une dispute littéraire, entre les poètes Sordello da Goito et Peire Guilhelm de Toulouse ; Claude Buridant79 avait déjà signalé que ce texte est tiré de la Chronica di Mantua de Mario Equicola, parue en 152180 : en effet dans ce volume, parmi de nombreuses digressions, celle qui est consacrée à Sordello, originaire de la région de Mantoue, contient l’édition du partimen entre le troubadour de Mantoue et Peire Guilhelm de Toulouse: ces vers constituent le premier texte occitan imprimé et aussi le seul poème de Peire que l’on ait conservé (« En Sordel, que us es semblan »)81.

Conclusion

55Érudit éclectique et polygraphe fécond, Blaise de Vigenère a développé dans cette « Annotation » une analyse de l’évolution de la langue française qui tient compte à la fois des grandes constructions mythiques contemporaines et des recherches antiquaires d’autres intellectuels de son temps. La lecture des Serments de Strasbourg qu’il fournit dans son commentaire au De Bello Gallico de César, qui se distingue par une particularité de taille dans le texte, participe d’une conception plus vaste de l’origine de l’origine du français, à laquelle l’alchimie fournit un cadre interprétatif à travers le concept de sublimation du matériau linguistique ; tel un métal, la langue française pourra reluire de la pureté de l’or après avoir subi plusieurs transformations, que le contact avec le latin d’abord, puis l’influence bénéfique de la monarchie rendront possible dans un futur proche.

56Fortement influencé par les idées de Claude Fauchet, Vigenère nourrit l’hypothèse d’une origine occitane du français, dont les Serments seraient la première manifestation évidente. Ce document, exploré en profondeur grâce à l’exercice herméneutique de la traduction, se révèle l’ancêtre d’une lignée de textes en langue vernaculaire gallo-romane dont la qualité rhétorique montre l’attitude qu’a le français dès ses origines à être langue littéraire, qualité indispensable pour pouvoir être un jour aussi illustre que les langues classiques, avec lesquelles il a une affinité profonde. La particularité qui distingue le texte du serment dans son « Annotation », avec la substitution du nom de Louis par celui de Charles, n’est pas sans poser des questions d’ordre philologique et idéologique, qui restent pour l’instant sans réponse définitive.

57En tout cas, l’hommage que Vigenère rend à la monarchie française en instituant comme acte fondateur de l’idiome français un document juridique et politique qui est à la base de la naissance de la nation trouve son correspondant dans l’éloge rendu à François Ier et aux poètes contemporains ; si la prose nécessite encore un polissage par la rhétorique classique avant d’achever le chemin vers un nouvel âge d’or culturel, et si les origines de la langue restent enveloppées dans le mystère, la confiance dans les potentialités que l’idiome national contient projette les réflexions de Vigenère vers le Grand Siècle.

Texte : Les Commentaires de Jules Cesar des guerres de la Gaule, Blaise de Vigenère

Principes d’édition

Texte de référence

58Les Commentaires de Jules Cesar des guerres de la Gaule plus ceux des guerres civiles, contre la part pompeienne, le tout de la version de Blaise de Vigenere bourbonnais, et illustré d’annotations, À Paris, chez Abel L’Angelier, au premier pillier de la grand’Salle du Palais, M.D.LXXXIX, Avec Privilege. Exemplaire consulté : Lyon, Bibliothèque Municipale [Rés. 108123].

Principes de transcription

59La ponctuation et l’orthographe ont été respectées, avec les adaptations d’usage suivantes : dissimilation du i et du j, du u et du ; transcription du s long par un s court et du B par ss ; développement des abréviations et de l’esperluette (& et variantes) ; introduction de l’apostrophe et désagglutination selon l’usage moderne ; distinction des homonymes a / à, la / là ou / où, des / dès ; accentuation des finales -é, -és, -ée, -ées ou –ès (ès, dès, après), l’accentuation n’étant pas introduite en début ou milieu de mot ; respect de l’usage des majuscules, y compris après ponctuation moyenne.

Lien vers une édition numérisée

60Lien vers l’exemplaire de référence : https://books.google.fr/​books?id=SG5VrvwEOVMC&printsec=frontcover&dq=commentaires+de+jules+cesar+vigenere+1589&hl=fr&sa=X&ei=CfELVNnMH5PtaO6ZgsAB&ved=0CCIQ6AEwAA#v=twopage&q&f=false

61Autre copie numérisée : http://www.bib.ens.fr/​1589-Cesar-par-Vigen.526.0.html

« De l’Ancienne langue gauloise, et quelle a peu près elle pouvoit estre du temps de Cesar »

  • 82 C’est-à-dire, quelque peu.
  • 83 Perdre de sa valeur.
  • 84 Dans ce contexte, beaucoup; la phrase signifie donc que dans le domaine de la poésie, la langue fra (...)
  • 85 Pureté.
  • 86 La prose.
  • 87 Se déporter de signifie arrêter de; la phrase signifie donc qu’il arrête de parler de cet argument.
  • 88 Indicatif présent P3 du verbe pousser.
  • 89 Réduire la grâce ou la beauté de quelque chose.
  • 90 Quand et quand signifie en même temps.
  • 91 « les substances qui ne peuvent pas s’unir ne s’altèrent pas ». La citation est tirée de la Summa p (...)
  • 92 « pour les éléments qui ont en commun quelques qualités complémentaires, le passage de l’un à l’aut (...)
  • 93 Je n’ai pu identifier cette citation, dont la signification est « les choses semblables qui ne sont (...)
  • 94 Plantes médicinales.
  • 95 C’est-à-dire, ils ne se transforment généralement pas.
  • 96 L’historien latin Ammien Marcellin, dans son Res Gestæ (Histoire de Rome), livre XV, XI, 17, en par (...)
  • 97 À savoir, « fils ».
  • 98 « Tête ».
  • 99 « Pourquoi m’avez-vous abandonné ? » (Mc 15 : 34).
  • 100 La langue arabe.
  • 101 Tite-Live, Ab Urbe condita libri (Histoire romaine), éd. et trad. Richard Adam, Livre 38, Paris, Le (...)

62[f. 100v a] […] Mais ce n’est pas assez de dire, le parler ancien Gaullois n’estoit ny cestuy-cy, ny celuy-là, par ce que finablement nous n’en pourrions pas tirer aucune instruction ; pourtant il vault mieux venir de droict fil une fois pour toutes à quelque affirmative, qu’insister tousjours sur les negatives, ou bien de laisser du tout ce propos, sans ainsi inutilement tournoier à l’entour du pot. Je m’enhardirois donques volontiers de dire, si la conjecture peut avoir lieu, que selon les mots amenez cy dessus d’alauda, benna, bulga et c. l’ancien parler Gaullois du temps de Cesar estoit bien fort aprochant du nostre, qui s’est ainsy polly par les menus, comme toutes autres choses font avec le temps ; lesquelles, et les langues mesmes, ont leur commencement, leur progrez, estat, et decadence selon que nous pouvons veoir au latin par les XII. Tables, et autres ancien- [f. 100v b] nes formules des loix Romaines, leurs epigraphes, et inscriptions ; et par les escrits des vieils autheurs ; car jusqu’à Terence, et a Lucrece ceste langue estoit demeurée ainsi qu’en enfance ; sa virilité, et accomplie perfection fut du temps de Ciceron, Cesar, et Salluste ; car Tite-Live mesme commance aucunement82 à decliner de la pureté precedante ; Pline, et Tacite encore plus, et soubz Symmache, Cassiodore, Ammian Marcellin, et semblables, elle estoit desja du tout desbauchee, tant que finablement elle vint a descheoir83 en la Barbarie Gothique, où elle est demeurée près de mille ans, sinon plus, ensevelie dans ce bourbier, jusques au regne du grand Roy Françoys premier de ce nom, pere et restaurateur des bonnes lettres, que les bons esprits s’estans comme resveillez d’un profond endormissement, remirent les lettres et les langues en leur ancienne splendeur, et les resusciterent de mort à vie. Par mesme moyen commença aussi deslors à reluire plus que de coustume l’ornement et la pureté de nostre langue, qui ne s’est pas gueres84 accreue depuis, car on ne peut nier que la sincerité85 d’icelle n’ait esté autant en Marot que nul autre, et les enrichissemens en Ronsard : Quant à l’oraison solue86 je m’en tais, et deporte87 d’en parler plus avant, parce qu’il y a tant d’escrivains aujourd’huy, qui s’accablent les uns les autres, qu’on ne peut gueres bien discerner les bons des mauvais, qui les esteignent et suffoquent à guise des mauvaises herbes qui surcroissent parmy les utiles et salutaires, quand chascun sans aucun choyx ny jugement, sans rien elabourer, sarcler, ne cribler, se transporte le nez au vent selon que sa fantaisie le poulse88, ainsi que le maniement d’un cheval non dompté encore car n’y ayant point de grammaire, ny de regles establies jusqu’aujourd’huy, cela s’en va indistinctement, et varie tout de mesme que la main d’un jeune garçon, auquel si deslors qu’on luy veut apprendre a escrire on abandonnoit en pleine liberté son papier, sans le reigler pour le faire aller droit, tout s’en iroit a vau de route haut et bas, tortu, bossu, sans aucune proportion : Ainsi est-il des reigles de la grammaire pour les langues, qui nous contraignent de parler et escrire correct et congru, sans lesquelles si quelqu’un s’y comporte tollerablement, [f. 101r a] il faut referer cela à la bonté de son esprit, et à la longue praticque et usage qu’il en a eu de longue main, mesmement à hanter les Cours des Princes, où par raison on doit tousjours mieux parler, et escripre qu’ailleurs : Et finablement à son erudition et labeur, qui aura mis peine de defleurer89 les beaux mots, et les riches locutions des bons autheurs és aultre langues, pour façonner la sienne dessus ; car cela n’y aporte pas peu de secours, d’autant qu’elles s’affinent et pollissent les unes les autres : Et pour cest effect n’y a rien de plus proffitable et advantageux que l’exercice des traductions, a l’adveu mesme de Ciceron au traité De optimo genere oratorum. Et de fait nous voyons que l’ornement de nostre parler a commancé de prendre pied, quand les bonnes lettres, et les langues se sont venues à reveiller, ainsi qu’on le peult discerner en Marot, et Ronsard ; dont celuy-là n’ayant eu que le naturel, à la verité heureux et fertile, a esté contraint de demeurer bas, à maniere d’un Courtisan qui desire de s’advancer, lequel s’il n’est assisté de quelque support qui l’introduise auprès des grands, et luy donne entrée, ne se peult pas poulser si tost qu’un autre, lequel bien que moindre assez en merite, seroit favorisé de ceux qui y ont desja quelque authorité et credit ; là où Ronsard pour avoir esté instruit au Grec et Latin, et d’ailleurs n’ayant point ignoré l’Italian ny l’Espagnol, s’est eslevé comme un gerfault par dessus quelque tiercelet d’autour, et de la rosée empraincte en ces belles fleurs, tissu un Stille à l’imitation des mouches à miel, doulx, et sublime quant et quant90, voire tel que je ne sçay si un autre le pourra non qu’outrepasser cy après, mais tant seullement egaller, en quelque langue que ce soit. Mais pour revenir à nostre propos, si la nostre n’eust en aucune convenance avec la Latine, elle ne s’en fust pas peu alterer, et corrompre, et par consequent enrichir et orner, en estant toute entremeslée, parce qu’il faut nomméement que le corruptible ait quelque participation et affinité avec le corrompant et alterant, d’autant que s’ils estoient du tout dissemblables, ils ne se pourroient pas mesler, quod enim non ingreditur non alterat, dit Geber91 ; et là où il n’y a point aussi de alteration ; ce qui auroit meu le Philosophe à dire ; Quod in habentibus Symbolum facilior est transitus ad invicem92. Et cela a esté cause, que [f. 101r b] l’Alleman, l’Anglois, et autres semblables langages qui sont du tout esloignez du Latin, ne se sont peu corrompre ny mesler de luy, comme a fait le nostre, qui par succession de temps est venu à estre l’un des trois enfantements de la langue latine, avec l’Italian et l’Espagnol. Et qu’il ne soit vray, nous voyons par experience, que nonobstant le long sejour que par tant d’années les Anglois ont fait en Picardie, Normandie, et Guienne, la langue Françoise pour tout cela ne s’estre en rien corrompue ny alterée de la leur, pour raison de la grande dissimilitude et esloignement qu’il y a de l’une à l’autre. Au demeurant pour prouver que nostre langue d’aujourd’huy soit l’ancienne, ou à peu près ; car encore qu’il y ait de la ressemblance, ce n’est pas à dire pourtant que ce soit la mesme, aussi les anciens autheurs de quattre ou cinq cens ans, et beaucoup plus recens encore, m’en dementiroient, multa enim sunt similia quæ non sunt eadem93 ; Pour prouver donques leur affinité, il me semble ne suffire pas, s’il n’y avoit d’autres considerations qui le renforçassent, combien que cecy il contribue quelque chose, ce qu’on allegue des appellations des lieux, rivieres, montagnes, contrées, villes, et autres semblables, qui sont les mesmes aujourd’huy, s’il ne s’en fault que la terminaison latine, qu’elles estoient du temps de Cesar ; Parce qu’on sçait assez que les noms propres, tant des persones que des lieux, et de plusieurs Simples94 encore, comme pour exemple celuy de Saphir, n’ont gueres accoustumé de se changer95 que fort rarement ; car quant à celuy d’Arar, qui est esloigné de Saone, on ne sçauroit bonnement dire comment il a esté si transchangé de son ancienne appellation, attendu la grande dissemblance des deux ; joint qu’Arar ne signifie rien de soy en langue latine, tellement qu’il fault qu’il fust tel envers nous du temps de Cesar comme il le nomme, d’autant mesme que ce n’est pas une desinence proprement latine : bien est vray, qu’Ammian Marcellin qui a escript il y a plus de 1200 ans au XV. livre met que ceste riviere d’Arar s’appelloit de son temps Sanconna96, qui n’est gueres esloigné de Saone ; ce qui corrobore tousjours d’autant l’affinité de nostre langage à l’ancien Gaulois. Et de fait les langues ne se peuvent pas corrompre ny alterer de sorte, quelque mutation qui intervienne, qu’il n’y en re- [f. 101v a] -ste beaucoup de marques, ainsi que de l’Hebraique au Chaldée ou Syriaque, lors que les Israelites demeurerent captifs en Babylone, LXX ans : car encore que leur langue l’y alterast, ce ne fut pas toutesfois que la pluspart des mots ne s’aprochassent bien fort, comme on peult voir en Bar Chaldée, où l’Hebrieu dit Ben97 ; gulgotta pour gulgoleth98, et Elilamma Sebactant, pour lamma hazabrani99 en langue Hebraïque : laquelle au reste se conserva tousjours en son entier envers les Prestres, les Levites, et autres gens doctes ; ayant produict de ses racines la Syriaque, et l’Arabesque100 ; comme la Latine a fait l’Italien, et l’Espagnol ; et le François, pour la pluspart. Que si l’ancien parler Gaulois, depuis que le pays fut assubjety soubs la domination des Romains par Jules Cesar, s’est beaucoup alteré et meslé de la langue Latine usitée par les Romains, dont est venu ce qu’on appelle le parler Roman, la Latine s’est alterée aussi ; suyvant ce que dit Tite Live au 38. parlant des Gallogrecs, qui avoient changé de mœurs en l’Asie, Que les arbres et plantes se convertissent aiseement au naturel du terrouer où ilz sont plantez101 : comme on peult veoir des peschiers qui en Perse d’où ils vindrent premierement, sont veneneux et mortels, lù où transportez en Chypre, ils sont beaucoup moins nuisibles ; et point du tout en Italie, et autres regions du Ponant.

  • 102 à mi-chemin entre.
  • 103 Au contraire.
  • 104 De la France occidentale.
  • 105 Comme il l’a été remarqué plus haut, Vigenère affirme que le serment a été prononcé en rustica roma (...)

63Or puis que nous n’avons rien par escrit de nostre ancien langage du temps de Cesar, outre les conjectures qui se peuvent tirer des mots [de lieux, rivieres, mntagnes, contrees, villes et autrs semblables] amenez cy dessus, conformes à nostre parler de aujourd’huy, il en faut aller requerir & chercher au plus loin ce qui s’en pourra recouvrer, qui est le fragment qui s’ensuit, tiré de l’histoire de Guitard d’environ l’an VIII C. XL : il y a quelques VIIC. ans, car c’est le plus vieil que nous avons en vulgaire, comme je croy. Et d’autant que cela arrive presqu’a my carriere102 du temps de Cesar jusques à noz peres, où l’on parloit presque tout de mesme que maintenant, il y a apparence que la mutation ne doit point avoir esté plus-grande de Cesar jusqu’à Charlemaigne, que de Charlemaigne jusques à nous, ains103 encore moindre, d’autant que communement sous les esprits plus resveillez les choses se changent bien d’avantage, et plus soudain que sous les grossiers, à cause de la remuante activeté de ceux là, qui ne peuvent demeurer en un mesme Estat ; et la lourde et lente pe-[f. 101v b]-santeur de ceux-cy qui se retiennent comme immobiles Voyla pourquoy c’est que les Suisses & les Allemans ont plus longuement gardé leurs anciennes façons de faire, tant en leur langage, vestir & manger, que les François, qui sont d’un naturel plus volage & changeant, comme le tesmoigne mesme Cesar. Le fragment donques, qui est en langue Vuestrienne104 ou Occidentale, le pays assavoir entre Meuze & Loire, comprenant une partie de la Gaule Belgique, & de la Celtique, est une formule de Serment que fait Charles le Chauve roy de France, à son frere Loys105 Roys de Germanie.

64Pro Dom amur, & pro Christian Poblo, & nostro commun salvament, distdi en avant inquant Des savir & podir me dunat si Salvareio cist meon fradre Lodhuvigs , ei in adiudha, & in cadhuna cosa, si com hom per dreit son fradre salvar dist ino quid il un altre si faret. Et abludher nul plaid nunquam prindrai que meon vol sist meon fradre Lodhuvigs in damno sit.

65Et le peuple respond en la mesme langue ;

66Si Lodhuvigs sacrement que son fradre Karle iurat, conservat, & Karlus meo senor de suopart non lo stanit ; si io returnar nen lint pois, neio ne nuls cui eo returnar nit pois, in nulla adiudha contra Ludhouuvig nun li iuer.

  • 106 Castillans, c’est-à-dire, selon une terminologie moderne, appartenant aux dialectes d’oïl.

67On voit assez que c’est un langage meslé du latin, numquam, conservat, in damno sit ; de l’italien, Christian, fradra, nostro, cosa, ne io, nulla, contra : de l’espagnol, aiuda, Cadhuna, senor : allemand, Lodhuvig, sagrement : françois, en avant, nul plaid, son : et au reste la plus part des mots sont catellans106 ou prouvençaux, que mon opinion fut tousjours, avoir esté le plus ancien parler françois : ce que dessus voullant dire en somme :

68Pour l’amour (ou honneur) du Seigneur (Dieu) & pour le peuple chrestien, & nostre commun sauvement, d’icy en avant entant que Dieu m’en donra le sçavoir & pouvoir, si mon frere Loys est sain et sauve, je luy seray en ayde en chaque chose, si comme l’homme de droit son frere sauver doit en ce qu’un autre luy feroit. Et envers luy ne prendray jamais aucune querelle, que mon vouloir soit que mon frere Loys en soit endommagé.

69Si Loys abserve le serment que son frere Charles jure, & que Charles mon seigneur de sa part n’y demeure (ne s’y maintient) si je ne luy puis retourner (restablir, restituer en son entier) n’y moy ny nul de ceux qui le luy peuvent retorner, en nulle aide contre Lois je ne luy seray.

  • 107 Le Roman d’Alexandre désigne un poème en quatre branches issu d’une histoire fabuleuse sur Alexandr (...)

70Or puis que ce langage aproche fort du cathelan ou provençal usité au cueur de la France pour lors, lesquels se sont presque tousjours [f. 102r a] maintenus depuis en leur ancienneté sans s’en alterer, come a fait celuy de Vuestrie, cela me confirme tousjours d’avantage, que le cathelan ou prouvençal ayent precedé le roman, qui se soit poly peu à peu, jusqu’à se rendre tel que nous l’avons : car il y a tout plein de fragments des anciens poëtes de plus de quatre ou cinq cens ans, qui different bien de ce que dessus, & approchent assez pres du Nostre ; comme entre autres cestuy-ci du Roman d’Alexandre107, d’environ l’an M C L, soubs Loys le jeune :

71La Verté de l’histoir’, si com Li Roix la fit,
Un Clers se Chasteaudun, Lambert li Cors l’escrit ;
Que de Latin la trest, et en Roman la mist ;

  • 108 Voir supra, n. 72.

72C’est à dire en François orné. Il s’en trouve encore du depuis assez d’autres, par où l’on peut voir comme nostre parler s’affinoit peu à peu : Ainsi que ces vers d’un autre Roman appellé le Tournoiement de l’Antechrist, par Huon de Meri108, environ l’an 1228.

73N’est pas oiseux, ains fet bon euvre,
Li trouverre qui sa bouche euvre
Par bonne euvre conter et dire,
Mais ki bien treuve plein est d’ire
Quant il n’a de matere point.

  • 109 Comme il l’a été dit plus haut, l’extrait transcrit ici ne reproduit que succinctement, et dans une (...)
  • 110 Pur.
  • 111 De nos jours.

74Or ce qui me donne le plus à penser en cest endroit, est de voir combien le langage de Geoffroy de Villehardouin Mareschal de Champagne, et qui estoit de ce pays là, en son histoire de la prise de Constantinople, est differend de quelques autres qui ont escript d’un mesme temps, et devant encore, selon qu’on le peult veoir par cecy109 : Sachiez que mille cent quatrevingts dixhuict ans après l’incarnacion de nostre Seigneur Jesus Chirst, ot ung sainct homme en France, qui ot nom Folque de Nuilly, et il erre prestre. Sachiez que la renommee de cel sainct homme alla tant qu’elle vint à l’Apostoile de Romme Innocent, qui manda al prodome que il empenschast des croix par s’authorité, et après envoya un suen Chardonal. Et ceste autre icy de la vie de Charlemagne, mise en François devant l’an mil deix cens ; car ledit Villeharduyn a escrit son histoire depuis. Baudoyn comte de Haynault trouva à Sens en Bourgoigne la vie de Charlemagne, et mourant la donna à sa seur Yoland Contesse de sainct Paul, qui m’a prié que je la mette en Roman sans ryme, par ce que tel se delittera el Roman, qui del Latin n’eut cure, et par le Roman sera mielx gardet. Maintes gens en ont oÿ conter et chanter, mais n’est ce mensonge non ce qu’ils en dient et chantent, cil Conteor, ne cil Jongleor. Nuz contes rymez n’est vrais, [f. 102r b] tot est mensonge ce qu’ils dient. Par lesquels deux exemples de près de cccc. ans on peut assez voir la difference qui estoit en la langue Françoise d’alors ; car le premier aproche fort du Cathelan ou Provençal, et cest autre icy est le mesme langage à peu près, qu’escrivoit Froissart, et autres depuis cc. Ans ; neaumoins les deux ou trois dernieres lignes me semblent aucunement sentir plus leur antiquité que le reste. Cela, dis-je de rechef, me donne à penser comme il s’est peu faire qu’en un mesme temps, et en un mesme endroit de la France, deux parlers se soient ainsi rencontrez si divers. Or que le parler Roman ou François ait esté plus pur au cueur de la France qu’és lizieres ou extremitez, il ne faut pas trouver cela estrange, car tout ainsi que l’escume d’un pot quand il boult se chasse et renvoye ès bords, le millieu demeurant plus net, de mesme la cour des Roys se retenant vers Paris, Bourges, Blois et autres endroits du cueur du royaume, cela a fait qu’en Bretaigne, Aquitaine, Languedoc, Provence, Daulphiné, et semblables Provinces plus esloignées, le parler François y a deu estre moins poly et syncere110, Comme encore nous le voyons pour le jourd’huy111 en Gascon entre les autres, où depuis quelques jours en ça un charron appellé Augier Gaillard Roudié de Rabastens en Albigez, est tout soudain devenu Poëte, ainsi qu’autrefois Hesiode gardant les troupeaux en Asie ; mais à la mode du païs, et en son patoys, naïf au reste et non du tout si disgracié qu’on pourroit dire, pour n’y avoir rien que le seul naturel, rustique encore : Et à la verité il rencontre par endroits assez plaisamment.

75L’ome qu’es oubligat à paga calque rento,
Sel nou pot acaba de paga soun segnieur,
El tachio de cerqua par vievre an soun amour,
Calquepoulit presen, et peyslou li presento et c.

  • 112 César, De Bello Gallico livre I, I (Les Belges sont les plus éloignés de la culture et de la vie ra (...)
  • 113 Bien que.
  • 114 Mots, expressions.
  • 115 La chanson de Sainte Foi d’Agen, premier texte en langue d’oc, fut rédigée au XIe siècle; elle se c (...)

76De maniere que de tout temps, se sont trouvez deux Principales sortes de parler en France, qui se sous-divisent et fourchent en plusieurs branches et rameaux ; assavoir le pur, comme est le nostre de pardeça ; et le corrompu, comme au Guascon, Provençal, et autres semblables ; Ce qui se conforme a peu près à ce que Cesar a dit au commencement, que les Celtes differoient de langage d’avec les Aquitaniens, qui est la Guyenne d’aujourd’huy. Mais une autre chose se presente icy à considerer, que la Provence, et le Languedoc, autrement la Gaule Narbonnoise, ayans esté les premiers pays con-[f. 102v a]-quis des Romains és Gaules ; et par eux reduicts en Province, qui par consequant s’altera aussi et embeut de leurs meurs et delicatesses, comme Cesar le tesmoigne là mesme ; Belgæ a cultu, atque humanitate Provinciæ longissime absunt112 ; il est à croire que par mesme moyen ce furent les premiers à entremesler du Latin leur ancien langage, comme les plus proches voisins des Romains, à cause de leur frequentation ; dont se seroit venu premierement à bastir le parler Provençal, et le Cathelan, qui ont de tout temps eu une tresgrande affinité ensemble, combien qu’113 ils se soient aussi peu à peu alterez et polys selon que leurs dictions114 et phrases l’ont peu porter, qui ne sont pas si idoines au pollissement que le Roman ou François, ainsi qu’on peult veoir par les deux exemples suivans opposez l’un à l’aultre ; le premier de la vie de S. Fides d’Agen115, par où l’on pourra veoir leur difference ; car cestui-cy est de plus de cinq cens ans, en Cathelan.

Canczon audi qes bell antresca
Que fo de razo Espanesca ;
Non de paraulla Grezesca,
Ne de lengua Serrazinesqua ;
Dolz esuans es plus que bresca ;
E plus que nuls piment quon mesca.

Chançon escoutte quelle belle fantasie
Que je fais en parler Espagnol ;
Non de parole Grecque
Ny de langue Sarrazinesque :
Doulce et suave est plus que miel
Et plus que nulles drogues qu’on mesle.

  • 116 Voir plus haut ; il s’agit d’une tenso, donc d’une dispute littéraire, entre les poètes Sordello da (...)

77Et ce suit après. L’autre est un fort plaisant dialogisme d’un brave cavaller Mantouan ; apellé Sordel avec un sien compere, extraict du livre de Mario Equicola, des Marchys et Ducs de Mantoue116. Ce Sordel qui estoit il y a quelque deux cens quarante ans se plaisoit fort au language Provençal, pour lors en grand vogue et reputation en la poësie, où il y a eu de tres-excellens ouvriers ; car le Dante, le Petrarche mesme, et Boccace, avec autres poëtes Italiens y ont pesché la pluspart de leurs inventions. Il y a doncques en l’inscription :

Tensa de Sordel, et de Peyre Guilhelm.
Dispute ou devys de Sordel, et de Pierre Guillaume.

Peyre Guilhelm

En Sordel que vos es semblan
De la pros Contessa preysan ?
Car tut dison, et van parlan,
Que per s’amor ertz ca vengutz
Que pour l’amour d’elle vous estes ici venu
E qu’en cuiars esser sos druts,
En blanchaz etz por ley canutz

O Sordel que vous semble-il
De la gentille Contesse tant prisée ?
Car chacun dit, et va parlant,
Que pour l’amour d’elle vous estes ici
Et que vous cuidez estre son favorit,
Et que vous estes devenu pour elle blanc et chenu

Sordel

Peyre Guilhelm, tot son assan
Mist Dieu in ley far, per mon dan.
Las beutatz que las autras an
E nient, et els prez sont menutz ;
Ans fos ab emblanchatz perduz
Che so nos fos advergutz

Pierre Guillaume, toute son entente
Mit Dieu à la faire pour mon dommage
Les beautez que les autres ont
Est un rien, et leur pris petit.
Plustost fussay-je avec mes cheveux blancs perdu
Que cela ne fust advenu.

Pey.Guil.

Anc mays no vic amador
Eu Sordel, de vostro color ;
Quer tuit li art endedor
Volon lo beysar et iazer ;
Et vo metés a nonchaler
So qu’autres drues volon suer.

Jamais je ne vy amoureux,
O Sordel, de vostre honneur ;
Car toutes les autres
Veulent le baiser et coucher
Et vous mettez à nonchalloir,
Ce que les autres amants voudroient bien avoir.

Sordel.

De ley vuellez solaz et honor
Peyre Guilhelm, e si d’amoir
Li meschau, un pauc de sabor
Per mercés, et non per dever,
Qui volgues agues tout l’aver
Del Mon, et ieu ay cel plazer.

D’elle je veuc soulas et honneur,
Pierre Guillaume, et si d’amour
Elle y mesle un peu de faveur,
De sa grace et mercy, non par merite, (f. 103r a)
Qui vouldra aye tout l’avoir
Du Monde, et de moy ce plaisir.

Pey. Guil.

Eu Sordel, pius amesurats,
De nulls autr’hom qu’anc foc nats,
S’el Conte sta assecurats
Qu’om a vist, altre trahir,
Sordel, s’om be l’ausau a dir

O Sordel, plus discret et mesuré
De nul autre homme qui oncq fut né,
Il s’en pourroit bien repentir ;
Qu’on en a veu d’autre trahir,
Sordel, si on l’osoit dire.

Sordel.

Peyre Guilhelm, vos direis natz,
A ley d’home cui yoi non plats ;
Lo Conte es tan ben ensenhats,
Que d’ayso non cal mens dormir.
Hom den so celar et cobrir,
Qui nos tanclz veser in ausir.

Pierre Guillaume, vous ne dites rien,
À guise de celuy à qui je ne plays ;
Le Conte est si sage et bien enseigné,
Que cela ne luy oste point le dormir.
L’homme doit celer et couvrir ;
Ce qu’il ne convient veoir ny oyr.

Pey.Guillh.

Eu Sordel, pro ben sap del schremir
Qui al vostre cop aurey gaudir.

O Sordel, celuy sçait assez de l’escrime
Qui a vostre coup sçait gaulchir.

Sordel.

Peyre Guilhelm ieu say jausir
Los bes d’amour, el mals suffrir.

Pierre Guillaume, je sçay joÿr
Du bien d’amour, et le mal souffrir.

  • 117 Depuis longtemps.
  • 118 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, éd. et trad. René Marache, Livres 11-15, Paris, Les Belles Lettres, 198 (...)
  • 119 Clair, sans équivoque.
  • 120 Geoffroy de Villhardouin est l’auteur d’une histoire de la quatrième prise de Constantinple qui déc (...)
  • 121 Il s’agit d’une citation tirée de nouveau de la Summa du Pseudo-Geber citée plus haut.

78Or pour arrester et conclure en fin quelque chose de ce qui a esté si prolixement esbauché cy dessus, et amené de plusieurs et divers endroits tous descousus et desmanchez, ne se pouvant faire autrement ; et les reduire comme en un centre, à guise des rayons escartez du Soleil en un point de la concavité d’un mirouër ardent, dont quelque lumiere resulte à travers ceste obscurité ; Je disois, attendu la conformité de ce serment de Charles le Chauve en langue Vuestrienne, qui estoit à lors la Gaule Celtique, où le bon François et Roman s’est semé depuis ; avec les allegations dessusdites de la langue Cathelane ou Provençale, qui se conforme à ce fragment, et laquelle devroit estre celle qui du temps de Cesar estoit en usage, en ce qu’il appelle la Province, qui comprenoit le Daulphiné, la Provence, et le Languedot, jusqu’en Arragon ; et la longue vogue où ce parler Cathelan a esté de si longue main117, envers les Poëtes mesmement, les premiers escrivains et autheurs tousjours ; la convenance d’autre part qui estoit entre la langue Espagnole, et Gauloise, selon qu’on le peult recueillir de ce mot lancea lance, qu’Aulugelle li. XV. ch. 30 après Varron dit estre Espagnol118 ; je dirois doncques, et telle seroit mon opinion, sauf meilleur advis, et jusques à ce qu’on en aye (f. 103v b) produit de plus apparens119 tesmoignages au contraire, que l’ancienne langue Gauloise du temps de Julles Cesar, fust la Cathalane ou Provençale, qui s’est venue peu à peu à ainsi se pollir et orner : et que Geoffroy de Villehardouyn, nonobstant qu’il vescut en un siecle où desja l’on parloit assez bon François, et très aprochant du nostre de maintenant, comme on peut veoir parce qui nous avons amené de l’histoire de Charlemaigne, et par celle encore du siour de Joinville, a mieux aimé d’user en son livre de l’ancien parler Cathellan et Provençal, que du François, pour estre mieux intelligible aux Venitiens, dont il a escript aussi bien l’entreprise que celle des François ; car ils furent en cest endroit associez les uns aux autres en ce voyage de la Terre Saincte, qui degenera d’un commun consentement et accord, et s’arresta en la prise et conqueste de Constantinople120, qu’ils partirent entr’eux, de sorte que les François eurent l’Empire où il se maintindrent près de cinquante ans ; et les Venetiens le Patriarchat, qui estoit le chef de toute l’Eglise Orientale. Que si le parler Roman ou François que nous avons pour le jourdh’ huy, est pour la pluspart tissu du Latin, comme il est, avec l’Italian, l’Hespagnol, et que l’Italian soit plus prochain de (f. 104r a) la langue latine qui n’est la nostre ; d’autant que le Provençal a bien plus d’affinité et de convenance avec l’Italien que n’a le François, par consequant il en doit plus avoir aussi avec le latin, Et est a croire que avec les meurs et façons de faire Romaines, dont ils s’embeurent lorsqu’ils furent reduits en Province, selon qu’il est dit au commancement de ces Commentaires, ils meslerent par mesme moyen en le parler Latin avec le leur, d’où puis après il se seroit espadu et communiqué au reste des Gaules, fuyant ceste maxime de Philosophie, de extremo ad extremum non fit transitus nisi per medias dispositiones121, car la Provence est comme à my-chemin de Paris à Rome. Qui est tout ce que nous avons peu redresser de cest incident de l’ancien langage Gaulois ; le tout encore si tenebreuc, qu’on n’y marche que comme à tastons, et par advis de pays, par des conjectures qui nous peuvent plustost apprendre que ce parler n’estoit pas le Suisse comme le veut persuader Glarean ; ny le Breton-bretonnant selon la fantastique opinion de Beatus Rhenanus, que de monstrer d’asseurance quel il estoit du temps de Cesar, puisque de plus de huict cens après nous n’en avons rien par escrit, qui nous en peust servir de tesmoignage et preuve cuidente.

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Bibliographie

Bibliographie de corpus

Éditions anciennes de l’auteur

Vigenère, Blaise de, Traicté de Ciceron de la meilleure forme d’orateur (…), le sixiesme livre des Commentaires de Cesar ou est faict mention des anciens Gallois (…) et la Germanie de Cornelius Tacitus, Paris, s. n., 1573.

Vigenère, Blaise de, Les chroniques et annales de Poloigne, Paris, Jean Richer, 1573.

Vigenère, Blaise de, La somptueuse et magnifique entrée du tres-chrestien roy Henri III de ce nom (…) en la cité de Mantoue, Paris, Nicolas Chesneau, 1576.

Vigenère, Blaise de, Histoire et decadence de l’empire grec et establissement de celuy des Turcs, Paris, Nicolas Chesenau, 1577.

Vigenère, Blaise de, Images ou tableaux de la platte peinture, Paris, Nicolas Chesneau, 1578.

Vigenère, Blaise de, Traicté des comètes ou estoiles chevelues apparaissantes extraordinairement au ciel Paris, Nicolas Chesneau, 1578.

Vigenère, Blaise de, Trois traités de l’amitié, Paris, Nicolas Chesneau, 1579.

Vigenère, Blaise de, Les decades de Tite-Live, Paris, Jacques du Puys, 1580.

Vigenère, Blaise de, Chroniques de Villehardouin, Paris, Abel l’Angelier, 1584.

Vigenère, Blaise de, Traité des chiffres ou secretes manieres d’escrire, Paris, Abel L’Angelier, 1585.

Vigenère, Blaise de, Traicté de la penitence et de ses parties, Paris, Abel L’Angelier, 1587.

Vigenère, Blaise de, Esguillon de l’amour divin de saint Bonavnture, Paris, Abel L’Angelier, 1588.

[Vigenère, Blaise de], Discours sur l’histoire du roy Charles VII jadis escripte par Maistre Alain Chartier son secretaire, Paris, Abel L’Angelier 1594.

Vigenère, Blaise de, La Hierusalem rendue françoise, Paris, Abel L’Angelier, 1595.

Vigenère, Blaise de, Des prieres et oraisons qui se doibvent conformer toutes a l’escriture sainte, Paris, Abel L’Angelier, 1595.

Vigenère, Blaise de, Philostrate de la vie d’Apollonius Thianeen, Paris, Abel L’Angelier, 1599.

Vigenère, Blaise de, Traicté du feu et du sel, Paris, Abel l’Angelier, 1618.

Autres éditions anciennes citées

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Beatus Rhenanus, Rerum germanicarum libri tres, Bâle, Froben, 1531.

Bodin, Jean, Les six livres de la Republique de Jean Bodin Angevin, Paris, Chez Jacques du Puys, 1576.

Du Haillan, Bernard de Girard (Seigneur), L’Histoire de France : reveue, et augmentée depuis les precedentes, Paris, Chez Michel Sonnius, 1585.

Fauchet, Claude, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise: ryme et romans, Paris, Mamert Patisson, 1581.

Huon de Méry, Le tournoi de l'Antéchrist (Li tornoiemenz Antecrit). Texte établi par Georg Wimmer, présenté, traduit et annoté par Stéphanie Orgeur. 2e édition entièrement revue par Stéphanie Orgeur et Jean-Pierre Bordier, Orléans, Paradigme (Medievalia, 13), 1995.

Nithard, De dissentionibus filiorum Ludovici Pii ad annum usque 843 libri iv ad Carolum Calvum Francorum regem, Annalium et historiæ Francorum ab anno Christi 708 ad ann. 990 scriptores coætanei xii, éd. Pierre Pithou, Paris, 1588.

Bibliographie des études critiques

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Holtus, Günther, « Rilievi su un’edizione comparatistica dei Giuramenti di Strasburgo », La transizione dal latino alle lingue romanze, Atti della Tavola Rotonda di Linguistica Storica (…) 14-15 giugno 1996, dir. Jósef Herman, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1999, p. 195-212.

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Warton, Thomas, The History of English Poetry, London, Tegg, 1824.

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Notes

1 Robert Descimon, « Les ducs de Nevers au temps de Blaise de Vigenère ou la puissance de faire des hommes puissants », Blaise de Vigenère, poète et mythographe au temps de Henri III. Cahiers Verdun-Louis Saulnier 11, Paris, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, 1994, p. 13-37, ici p. 15-16. Sur Vigenère, voir la biographie de Denise Métral, Blaise de Vigenère archéologue et critique d’art (1523-1596), Paris, Droz, 1939 et Maurice Sarazin, Blaise de Vigenère Bourbonnais. Introduction à la vie et à l’œuvre d’un écrivain de la Renaissance, Charroux-en-Bourbonnais, Ed. des Cahiers Bourbonnais, 1997.

2 Voir Rita Mazzei, « L’elezione del 1573 e le prime storie di Polonia pubblicate in Francia », Rivista storica italiana CXX, 2008, p. 459-502 ; Ead., « Una strategia di comunicazione nella Francia del 1573: l’immagine della Polonia all’indomani dell’elezione di Enrico di Valois », Strumenti e strategie di comunicazione scritta in Europa fra Medioevo ed età moderna, éd. Manuela Doni Garfagnini, Firenze University Press, 2017, p. 57-65, part. p. 69-75.

3 La traduction du livre VI parut à l’intérieur du Traité de Cicéron cité ci-dessus ; une première édition du De Bello Gallico dans son entier fut publiée en 1576 sous le titre Les Commentaires de César, des Guerres de la Gaule, Paris, Nicolas Chesneau ; une réédition parut en 1582 chez le même éditeur, puis, en 1584, une édition enrichie d’Annotations fut publiée par Abel l’Angelier (Les Commentaires de César, des guerres de la Gaule, mis en françois par Blaise de Vigenère, avec quelques annotations dessus). Dans l’édition Paris, Abel l’Angelier, 1589, à la Guerre des Gaules fut ajouté le corpus césarien entier, avec de nouvelles annotations. C’est cette édition qui contient la transcription des Serments de Strasbourg. Le texte de l’Annotation sur l’ancienne langue des Gaules ne figure pas dans les rééditions de 1594 (Lyon, A. Blanc pour J. Chouet) et de 1600 (Genève, J. Chouet) ; par contre, elle est présente dans l’édition de 1603 (Paris, Abel l’Angelier, p. 270). Ici, la transcription des Serments et la traduction ne subissent aucune variation. Sur la mise en français du De bello gallico, qui fait suite à celle de Robert Gaguin (1485, réadaptée par Estienne de Laigues en 1535), voir Claude Buridant, « Blaise de Vigenère, traducteur des Commentaires de César », Travaux de linguistique et de littérature, t. XX, n° 1, 1982, p. 101-133; Marie-Clarté Lagrée, « Blaise de Vigenère, traducteur de la Guerre des Gaules : approche du langage et écriture personnelle à la fin du XVIe siècle », Histoire, Économie et Société n° 25/4, 2006, p. 3-16 ; Paul-Victor Desarbres, « Les Commentaires de César des Guerres de la Gaule mis en français par Blaise de Vigenère, avec quelques annotations dessus. Un art de transposer politique, entre vulgarisation et érudition », Le choix du vulgaire. Espagne, France, Italie, dir. Nella Bianchi Bensimon, Bernard Darbord, Marie-Christine Gomez-Géraud, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 177-198.

4 Jean-François Maillard, « De la maquette autographe à l’imprimé : La somptueuse et magnifique entrée du roi Henri III à Mantoue par Blaise de Vigenère », Le livre dans l’Europe de la Renaissance, éd. Pierre Aquilon, Henri-Jean Martin et François Dupuignet Desrousilles, Paris, Promodis, 1988, p. 73-90. Transcription numérisée à l’adresse http://architectura.cesr.univ-tours.fr/Traite/Textes/INHA-8R531.pdf..

5 Jean Balsamo, « Byzance à Paris, Chalcondyle, Vigenère, l’Angelier », Sauver Byzance de la barbarie du monde, Gargnano del Garda (14-17 maggio 2003), dir. Liana Nissim, Silvia Riva, Milano, Cisalpino, 2004, p. 197-212.

6 Philostrate, Les images ou Tableaux de platte-peinture ; traduction et commentaires de Blaise de Vigenère (1578), présenté et annoté par F. Graziani, Paris Champion, 1995 dans lequel on trouvera la bibliographie antérieure.

7 Jean-François Maillard, « Prophétisme et cométologie sous le règne de Henri III : l’exemple de 1578 », La comète de Halley et l’influence sociale et politique des astres, dir. Lucien Musset, Gilbert Simon, Gérard Gadoffre, Bayeux, éd. Ville de Bayeux, 1991, p. 29-35.

8 R. Crescenzo, « Le "Lysis", de Des Périers à Vigenère. Enjeux linguistiques, religieux, politiques », Travaux de littérature n° XXVII, 2014, p. 215-232.

9 Robert Crescenzo, Vigenère et l'oeuvre de Tite-Live. Antiquités, histoire, politique, Paris, Champion, 2014, dans lequel on trouvera la bibliographie antérieure.

10 Claude Buridant, « Blaise de Vigenère traducteur de La conquête de Constantinople de Geoffroy de Villehardouin », Revue des Sciences Humaines n° 180, 1980, p. 95-118 ; Peter Rickard, « Blaise de Vigenère’s translation of Villehardouin », Zeitschrift für französische Sprache und Literatur n° XCI, 1, 1981, p. 1-40.

11 Jean-François Maillard, « Aspects de l’encyclopédisme au XVIe siècle dans le Traité des chiffres annoté par Blaise de Vigenère », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance n° XLIV, 1982, p. 235-268 ; Traité des chiffres ou Secrètes manières d'écrire, éd. fac-similé, Paris, Trédaniel, 1996; Jean-Raymond Fanlo, « Le Traicté des chiffres et secretes manieres d’escrire de Vigenère », L’Enigmatique à la Renaisssance. Formes, significations, esthétiques, dir. Daniel Martin, Pierre Servet, André Tournon, Paris, Champion, 2008, p. 27-39.

12 Blaise de Vigenère, Psaumes pénitentiels, éd. Ghislain Sartoris, Paris, La Différence, 1989 ; Pascal Blum-Cuny, Le Psautier de David tourné en prose mesurée ou vers libres, Paris, Le Miroir Volant, 1991-1996, 2 vols ; Jean-François Maillard, « Psaumes et poèmes orphiques. Le Roi-Prophète : David et Orphée sous la lignée de Henri III », Revue de la Bibliothèque Nationale n° 25, 1987, p. 32-57 ; Bruno Petey-Girard, « Vigenère, Desportes et la divine poésie et musique des Psaumes », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance n° LXVIII, 2006, p. 499-516.

13 Rosanna Gorris, « La Hierusalem rendue françoise. Vigenère entre traduction et écriture. Science, alchimie et roman à la cour du duc Louis de Gonzague-Nevers », Franco-Italica n° 10, 1996, p. 11-38 ; Françoise Graziani, « Sur le chemin de Tasse. La fidélité du traducteur selon Vigenère, Baudoin et Vlon Dalibray », L’Arioste et le Tasse en France au XVIe siècle, dir. Rosanna Gorris, Cahiers V. L. Saulnier 20, 2003, p. 203-216.

14 Sur ce texte, voir Robert Crescenzo, Poésie d’instruction. La postérité littéraire des Images de Philostrate en France de Blaise de Vigenère à l’époque classique, Genève, Droz, 1999, particulièrement le chapitre Blaise de Vigenère lecteur de Philostrate p. 81-102.

15 Sylvain Matton, « Alchimie, kabbale et mythologie chez Blaise de Vigenère : l’exemple de sa théorie des éléments », Blaise de Vigenère poète et mythographe, cit., p. 111-137

16 J.-F. Maillard, « Psaumes et poèmes orphiques », cit., p. 32.

17 Claude Buridant, « Les paramètres de la traduction chez Vigenère », Blaise de Vigenère poète et mythographe, cit., p. 39-65, ici p. 39.

18 Ibid., p. 40.

19 Ibid.

20 Pascal Blum-Cluny, « Traduire le sacré. Le Psautier de Blaise de Vigenère », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance n° 54, 2, 1992, p. 441-449, ici p. 441-442.

21 J.-F. Maillard, « Le thème de la lumière chez Blaise de Vigenère (1523-1596), Kabbaliste chrétien », Lumière et cosmos, courants occultes de la philosophie de la nature, Paris, A. Michel, 1981, p. 131-143, ici p. 139.

22 Marc Fumaroli, « Blaise de Vigenère et les débuts de la prose française », L’automne de la Renaissance 1580-1630, éd. Jean Lafond, André Stegmann, Paris, Vrin, 1981, p. 31-51, ici p. 33.

23 Ibid., p. 34.

24 Jean-François Maillard, « Aspects de l’encyclopédisme au XVIe siècle dans le Traité des chiffres annoté par Blaise de Vigenère », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance 44, 2, 1982, p. 235-268, ici p. 236.

25 Ibid.

26 M. Fumaroli, « Blaise de Vigenère et les débuts de la prose française », cit., p. 35.

27 Ibid.

28 Jean Céard, « Les transformations du genre du commentaire », L’Automne de la Renaissance, 1580-1630, cit., p. 101-113, ici p. 114.

29 Ibid., p. 107.

30 Sur Glarean, v. Heinrich Glarean's books : the intellectual world of a sixteenth-century musical humanist, éd. Iain Fenlon and Inga Mai Groote, Cambridge, Cambridge University Press, 2013 où l’on trouvera la bibliographie antérieure et une liste de ses ouvrages. Sur César à la Renaissance, v. Présence de César, éd. Raymond Chevallier, Paris, Les Belles Lettres 1985. Vigenère donne de ce grand homme un portrait très flatteur dans l’Avis aux lecteurs de sa traduction du De Bello Gallico, qu’il emprunte surtout à l’Histoire Naturelle de Pline et à saint Augustin (v. Daniel Ménager, « La figure de César dans les recueils biographiques à la Renaissance », Cahiers de Recherche Médiévales et Humanistes n° 13 spécial, La figure de César au Moyen Âge et à la Renaissance, 2006 p. 9-21, ici p. 12).

31 Beatus Rhenanus, Rerum germanicarum libri tres, Bâle, Froben, 1531, livre II, « Gallorum vetus lingua ». Comme l’a souligné Alexandra Pénot, Étude et projet d’édition du Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise, Ryme et Romans de Claude Fauchet (1581), thèse pour le doctorat Université Lyon 3, dirigée par S. Lardon, 2016 p. 131, Bertrand d’Argentré en 1588, donc à une époque très proche de la parution de l’ « Annotation » de Vigenère, affirmait que la langue bretonne correspondait au gaulois ; Vigenère en parle aux f. 99v-100r.

32 « Or pour arrester et conclure en fin quelque chose de ce qui a esté si prolixement esbauché cy dessus, et amené de plusieurs et divers endroits tous descousus et desmanchez, ne se pouvant faire autrement, et les reduire comme en un centre… » (f. 103r a)

33 Sur ce sujet, voir Marie-Luce Demonet, Les voix du signe : nature et origine du langage à la Renaissance, 1480-1580, Paris, Champion - Genève, Slatkine, 1991 ; Vigenère cite une première fois les Galates pour affirmer que les habitants de la ville de Trier, séparés des Allemands par des barrières naturelles, auraient parlé gaulois, et non pas une langue germanique : « Et ne fait nomplus à propos pour ledit Glarean ce qu’il allegue de saint Jerosme, qui a escrit que les Galates venans anciennement des Cletes ou Gaullois, comme met Tite Live au trente-hitiesme, ausquels sainct Pol addresse l’une de ses Epistres, parloient encore de son temos, il y peut avoir près de douze cens ans, le mesme langage que les Triefvois ; mais s’autant que lesdits Triefvois estoient ainsi separez des Allemans par cesre grosse barriere du fleuve du Rhin, car ils sont assis sur la riviere de Mozelle, qui se va rendre à Cobelents ou Confluence dans le Rhin, il est plus à croire qu’ils parlassent Gaullois qu’Alleman, attendu qu’ils ont tousjours esté compris parmy les Gaulois (…) et que depuis ils ayent receu le parler Alleman. » (f. 98r a).

34 Voir plus loin. Il refuse cependant de considérer que le français de son temps soit du grec ou de l’hébreu, en prenant donc les distances avec un traité qui était déjà mis en discussion à l’époque et qui ne fut pas utilisé par Claude Fauchet.

35 Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues, London, 1611 (http://www.pbm.com/~lindahl/cotgrave/), ad vocem.

36 Pour le mot alauda, v. Eugène Rolland, Faune populaire de la France. Noms vulgaires, dictons, proverbes, légendes, contes et superstitions, Paris, 1967, t. 2, p. 205, 216 ; t. 10, p. 96 ; pour braca, l’origine gauloise est signalée dans FEW (Walther von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, base de données https://apps.atilf.fr/lecteurFEW/index.php/page/view, Band I, p. 482), tout comme celle de mule (FEW Band. 6, 3, p. 201a-b.) et bulga, (« wohl gallisch » dans FEW Band I, p. 606).

37 Pour ce qui est de cet aspect chez C. Fauchet, v. A. Pénot, Étude, cit., p. 187 sq.

38 « toutes choses ont leur commencement et leur progrez, estat, et decadence selon que nous pouvons veoir au latin par les XII. Tables, et autres anciennes formules des loix Romaines, leurs epigraphes, et inscriptions ; et par les escrits des vieils autheurs ; car jusqu’à Terence, et a Lucrece ceste langue estoit demeurée ainsi qu’en enfance ; sa virilité, et accomplie perfection fut du temps de Ciceron, Cesar, et Salluste ; car Tite-Live mesme commance aucunement à decliner de la pureté precedante… » (f. 100v b)

39 M. Fumaroli, « Blaise de Vigenère et les débuts… », cit., p. 34.

40 Le sens de ce mot étant « pureté » (DMF : Dictionnaire du Moyen Français, version 2015 (DMF 2015). ATILF - CNRS & Université de Lorraine. Site internet : http://www.atilf.fr/dmf, ad vocem).

41 Histoire des Fils de Louis le Pieux, éd. et trad. Philippe Lauer, revues par Sophie Glansdorff, Paris, Les Belles Lettres, 2012. L’utilisation de la forme « Guitard » pour Nithard est vraisemblablement due à la lecture du Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise de Claude Fauchet, auquel Blaise de Vigenère est redevable pour une grande partie de son « Annotation », comme il sera montré par la suite.

42 De dissentionibus filiorum Ludovici Pii ad annum usque 843 libri iv ad Carolum Calvum Francorum regem, Annalium et historiæ Francorum ab anno Christi 708 ad ann. 990 scriptores coætanei xii, éd. Pierre Pithou, Paris, 1588.

43 Jean Bodin, Les six livres de la République de J. Bodin Angevin, Paris, Jacques Du Puys, 1576, livre I, ch. VIII, « De la Seureté et droit des alliances et traitez entre les Princes », p. 87-132, spéc. p. 11[7]-118. En 1577, le chapitre est déplacé : Jean Bodin, Les six livres de la Republique de Jean Bodin Angevin, Paris, Chez Jacques du Puys, 1577, livre V, ch. VI, p. 633.

44 Claude Fauchet, Recueil de l’origine de la langue et poesie françoise: ryme et romans, Paris, Mamert Patisson, 1581, livre I, ch. IV, p. 27-28.

45 Bernard de Girard Du Haillan, L’Histoire de France : reveue, et augmentée depuis les precedentes, Paris, Chez Michel Sonnius, 1585, livre V, f. 336v.

46 Selon A. Pénot, Étude, cit., p. 252, cette donnée peut être tirée d'une note de Claude Fauchet sur le manuscrit Città del Vaticano, BAV, Ottoboni 2537, f. 1r : «… Autre Flodoard, preste de Reims, a escrit des Annales depuis l'an 919 jusque l'an 966. L'original qui fut de Saint-Magloire est ès mains dudit de Saint-André et j'ai la coppie de saint Victor ». Les rapports entre Vigenère et Jean de Saint-André sont documentés dans J. Balsamo, « Byzance à Paris », cit., p. 200.

47 Sur ce manuscrit, v. Courtney M. Booker, « An Early Humanist Edition of Nithard, De Dissensionibus filiorum Ludovici Piii », Revue d’Histoire des Textes n. s. n° V, 2010, p. 231-258.

48 C. Booker, « An Early Humanist Edition », cit., p. 249. Dans un article récent, Marco Conti (« Variants and their Traps : Pierre Pithou’s Philological Policy and his editions of Nithard’s Historiae », Revue d’Hitoire des Textes n. s. XIV, 2019, p. 209-223) formule l’hypothèse que pour son édition du texte de Nithard, Pithou ne se soit pas fondé sur le ms Paris, BnF, lat. 9768 mais sur un manuscrit aujourd’hui perdu.

49 Pour celle du ms. Paris, BnF, lat. 9768, j’ai utilisé la transcription diplomatique et l’édition fournies par Günther Holtus, « Rilievi su un’edizione comparatistica dei Giuramenti di Strasburgo », La transizione dal latino alle lingue romanze, Atti della Tavola Rotonda di Linguistica Storica (…) 14-15 giugno 1996, dir. Jósef Herman, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1999, p. 195-212. Pour le ms. Troyes, MAT 3230, j’ai suivi le texte édité par C. Booker, voir supra n. 47.

50 nuls contre neuls/veuls irait dans le même sens.

51 Pour la graphie du mot sendra, G. Holtus, p. 198, n. 20 signale que le a final paraît exponctué par un trait.

52 Comme il l’a été rappelé plus haut, l’« Annotation sur la langue des Gaulois » ne figure pas dans les autres éditions parisiennes parues après 1589. Dans celle de 1603, consultable en ligne (https://books.google.fr/books?id=SG5VrvwEOVMC&printsec=frontcover&dq=commentaires+de+jules+cesar+vigenere+1589&hl=fr&sa=X&ei=CfELVNnMH5PtaO6ZgsAB&ved=0CCIQ6AEwAA#v=twopage&q&f=false), le passage sur les Serments est à la p. 270.

53 En se conformant à l’interprétation de Ferdinand Brunot dans sa célèbre Histoire de la langue française, la critique a interprété le texte des Serments comme un témoignage de la nécessité de Louis le Germanique et de Charles le Chauve de faire en sorte que les armées présentes fussent témoins de ce pacte solennel : Louis se serait donc exprimé en « français », c’est-à-dire en « langue romane – dialecte d’oïl », afin d’être « compris » de Charles le Chauve et de son armée « française » ; Charles le Chauve se serait exprimé réciproquement en « germanique ». Dans son essai L’Institution du français (Paris, PUF, 1985, première partie « Le texte qui a donné naissance à la langue française », p. 19-91), Renée Balibar soutient par contre que l’utilisation de la langue vernaculaire serait une innovation de Nithard, véritable mise en scène linguistique dont la valeur diplomatique, juridique et politique résiderait dans la volonté de stabiliser un partage des patrimoines fondée sur une frontière linguistique plutôt que sur des liens de parenté, en sortant délibérément des formes établies pour cela chez les rois.

54 Je n’arrive pas à déceler une raison qui tiendrait, éventuellement, à une logique plus subtile, car l’idée que Vigenère développe par la suite – l’influence de la royauté sur l’expansion d’une langue épurée à partir des régions centrales du royaume – ne me paraît pas aller à l’encontre de la stratégie de l’échange linguistique mise en place à Strasbourg

55 Elle sera d’ailleurs corrigée dans l’édition de 1603. Pour les variantes dans les différentes éditions du texte de Bodin on se reportera à l’article de Sabine Lardon dans Corpus EVE, « Historiographie des Serments de Strasbourg ».

56 Éd. Pénot, l. IV, l. 11-40, p. 243sq.

57 Cette caractéristique si particulière du texte chez Vigenère à propos des noms propres mériterait sans doute des recherches plus approfondies; quelques suggestions dans P.-V. Desarbres, « Les Commentaires de César des Guerres de la Gaule », cit., p. 185 sq.

58 C’est l’interprétation fournie dans G. Holtus, « Rilievi su un’edizione comparativa », cit., p. 204-205.

59 « meon fradre » n’est pas interprété comme un datif (« à mon frère »), mais comme un nominatif ; « in damno », interprété par les philologues modernes comme « au détriment de », est considéré ici comme une locution adjectivale signifiant « endommagé ».

60 La forme « fradre » est considérée un nominatif, et non pas un datif comme pour les philologues modernes (« le serment que son frere Charles jure » contre « le serment que [Louis] a juré à son frère ») ; quant à « lo stanit », qui constitue l’une des cruces qui ont fait couler le plus d’encre, on remarquera la gêne de Vigenère, qui utilise plusieurs synonymes comme équivalents (« n’y demeurs, ne s’y maintient »).

61 Marie-Luce Demonet, « La langue des troubadours, origine de la langue française ? », La Réception des troubadours en Languedoc et en France - XVIe-XVIIIe siècle, dir. Jean-François Courouau, Isabelle Luciani, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 23-36.

62 Éd. Pénot, ch IV, l. 11-40, p. 244-sqq.

63 Gerold Hilty, « Les Serments de Stasbourg et la Sequence de sainte Eulalie », Vox Romanica n° 37, 1978, p. 126-150. Pour Arrigo Castellani, par contre, la langue serait plutôt du poitevin (« Precisazioni sulla lingua dei Giuramenti di Strasburgo », Nuovi saggi di linguistica e filologia italiana e romanza i(1976-2004), Roma, Salerno, 2004, 2 vols, t. II p. 1083-1106, qui reproduit un article publié en 1989, où il fait référence à ses études antérieures). Pour d’autres encore, il s’agirait de Lorrain. Quant à Ferdinand Lot, « Le dialecte roman des Serments de Strasbourg », Romania n° 65, 1939, p. 145-163, il invitait à ne pas s’occuper de la question, insoluble d’après lui.

64 M.-L. Demonet, « La langue des troubadours », cit., p. 23.

65 À partir de l’étude d’Alfred Ewert, « The Strasbourg Oaths », Transactions of the Philological Society, 1935, p. 22-23 et, avant lui, Heinrich L. W. Nelson, « Die Latinisierungen in den Strassburger Eiden », Vox Romanica n° 25, 1966, p. 193-226, essai auquel Gerold Hilty fit correspondre son étude intitulée « Romanisierungen in den Strassburger Eiden », dans le même numéro de la revue, p. 227-235. Aussi G. De Poerck, « Les plus anciens textes de la langue française comme témoin d’époque », Revue de linguistique romane n° 27, 1963, janvier-juin, p. 1-34 souligna-t-il l’influence des formulaires carolingiens.

66 G. De Poerck, par exemple, a suggéré une interprétation nunqua plus le pronom enclitique me (« Le ms. B. N. lat. 9768 et les Serments de Strasbourg », Vox Romanica n° 15, 1956, p. 193-202). Voir aussi une discussion approfondie de ce mot dans A. Fassò, V. Menoni, « Note a passi controversi dei Giuramenti di Strasburgo e dei Placiti Campani », Medioevo Romanzo n° 23, 1979, p. 161-188, par. 1.2.

67 Vigenère était italianisant, pour avoir séjourné plusieurs fois dans la Péninsule; comme il l’a été remarqué plus haut, il traduisit aussi la Gerusalemme Liberata du Tasse (v. plus haut, n. 13).

68 Celui-ci fait d’ailleurs partie aussi du vocabulaire italien.

69 la même désignation est utilisée par Fauchet; v. A. Pénot, Étude, cit., p. 238 sq.

70 Pour l’utilisation de ce terme, v. ibid., l. IV, l. 17-18 et p. 240 sq.

71 M.-L. Demonet, « La langue des troubadours », cit., p. 29

72 Ibid., p. 32

73 Éd. Pénot, chap. IV, l. 8-10 ; Alexandre de Paris, Le Roman d'Alexandre. Traduction, présentation et notes de Laurence Harf-Lancner (avec le texte édité par E. C. Armstrong et al.), Paris, Librairie générale française (« Le livre de Poche », 4542. « Lettres gothiques »), 1994, p. 293, v. 13-15.

74 FEW, Band 7, p. 417.

75 Huon de Méry, Le tournoi de l'Antéchrist (Li tornoiemenz Antecrit). Texte établi par Georg Wimmer, présenté, traduit et annoté par Stéphanie Orgeur. 2e édition entièrement revue par Stéphanie Orgeur et Jean-Pierre Bordier, Orléans, Paradigme (Medievalia, 13), 1995, p. 39, v. 1-5. Comme le signale A. Pénot dans sa thèse, ce roman avait été célébré par Geoffroy Tory.

76 Il s’agit de l’une des six traductions françaises de l’Historia Karoli Magni, attribuée à l’archevêque Turpin, contemporain de Charlemagne, parce que l’auteur utilise ce personnage pour raconter la vie de l’empereur à la première personne. Le texte latin fut rédigé vers le milieu du XIIe siècle, puis traduit dès le XIIIe siècle. La mise en français que Vigenère cite ici semble être celle que Nicolas de Senlis réalisa pour Yolande de Saint-Pol, soeur de Baudoin IV de Hainaut. La tradition très complexe de cette traduction, qui donna à son tour lieu à trois remaniements, est retracée par A. de Mandach, dans l’introduction à son édition (Chronique dite saintongeaise, texte franco-occitan inédit « Lee ». À la découverte d'une chronique gasconne du XIIIe siècle et de sa poitevinisation, par André de Mandach, Tübingen, Niemeyer, 1970).

77 Th. Warton, The History of English Poetry, London, Tegg, 1824, p. 139 ; Catalogue of the Library of the late Richard Heber, Part the Eleventh, Manuscripts, 1836, p. 177. Cependant, la base Jonas (http://jonas.irht.cnrs.fr) ne signale aucun manuscrit de la traduction par Nicolas de Senlis conservé à Londres. Le prologue de l’édition par Robert Gaguin ne contient pas ce passage.

78 Voir Fauchet, ch. VII, l. 79-111, p. 511 sq.; Fauchet utilise ce texte pour prouver que la rime aurait été créée par les Francs : « Je passe bien plus oultre, et sy qu’il y a grande apparence, que nos François ont monstré aux autrs nations d’Europe l’usage de la ryme consonante ou omioteleute, ainsi que voudrez »

79 C. Buridant, « Blaise de Vigenère traducteur des Commentaires de César », cit., ici p. 130.

80 Voir Stefano Jacomuzzi, « Un modello del principe rinascimentale : Francesco II Gonzaga nella Chronica di Mantua dell’Equicola », Umanesimo e Rinascimento a Firenze e Venezia, Miscellanea di Studi in onore di Vittore Branca, Firenze, Olschki, 1983, 2 vols, t. II, p. 701-716.

81 Pour ce qui est du poème « gascon » d’Auger Gaillard Roudié de Rabasten, nous renvoyons à l’article de M.-L. Demonet, « La langue des troubadours », cit., p. 31-32.

82 C’est-à-dire, quelque peu.

83 Perdre de sa valeur.

84 Dans ce contexte, beaucoup; la phrase signifie donc que dans le domaine de la poésie, la langue française était déjà très illustre et pure à l’époque de Clément Marot.

85 Pureté.

86 La prose.

87 Se déporter de signifie arrêter de; la phrase signifie donc qu’il arrête de parler de cet argument.

88 Indicatif présent P3 du verbe pousser.

89 Réduire la grâce ou la beauté de quelque chose.

90 Quand et quand signifie en même temps.

91 « les substances qui ne peuvent pas s’unir ne s’altèrent pas ». La citation est tirée de la Summa perfectionis du Pesudo-Geber, traité alchimique des plus célèbres, attribué à l’alchimiste arade Jabir-Ibn-Hayyan (« Geber »). Récemment, l’auteur a été identifié avec le moine franciscain Paul de Tarente, qui l’aurait composé à la fin du XIIIe siècle.

92 « pour les éléments qui ont en commun quelques qualités complémentaires, le passage de l’un à l’autre est plus facile » (Aristote, De generatione et corruptione, II, 5, 332-333.

93 Je n’ai pu identifier cette citation, dont la signification est « les choses semblables qui ne sont pas identiques sont nombreuses ».

94 Plantes médicinales.

95 C’est-à-dire, ils ne se transforment généralement pas.

96 L’historien latin Ammien Marcellin, dans son Res Gestæ (Histoire de Rome), livre XV, XI, 17, en parlant du Rhône affirme que « ce fleuve passe entre la Savoie et le pays des Séquanais, poursuit son cours, laissant à sa droite la Viennoise, à sa gauche la Lyonnaise, et forme brusquement le coude après s'être associé l'Arar, originaire de la première Germanie, qu'on appelle dans ce pays la Saône, et qui perd son nom dans cette rencontre ».

97 À savoir, « fils ».

98 « Tête ».

99 « Pourquoi m’avez-vous abandonné ? » (Mc 15 : 34).

100 La langue arabe.

101 Tite-Live, Ab Urbe condita libri (Histoire romaine), éd. et trad. Richard Adam, Livre 38, Paris, Les Belles Lettres, 1982, p. 29 (l. 38, 17 : 5-6) : « Alors c'étaient de vrais Gaulois, nés en Gaule. Aujourd'hui ce sont des Gaulois abâtardis, du sang mêlé, des Gallo-Grecs enfin, comme on les appelle ; (10) car il en est des hommes comme des plantes et des animaux : c'est moins le germe primitif qui contribue à leur conserver leur excellence naturelle que l'influence du terrain et du climat où ils vivent qui les fait dégénérer ».

102 à mi-chemin entre.

103 Au contraire.

104 De la France occidentale.

105 Comme il l’a été remarqué plus haut, Vigenère affirme que le serment a été prononcé en rustica romana lingua par Charles le Chauve, contrairement à tous les autres témoignages, selon lesquels ce fut Louis le Germanique à parler en proto-français.

106 Castillans, c’est-à-dire, selon une terminologie moderne, appartenant aux dialectes d’oïl.

107 Le Roman d’Alexandre désigne un poème en quatre branches issu d’une histoire fabuleuse sur Alexandre le Grand ; œuvre collective de Lambert le Tort et d’Alexandre de Paris, le roman fut remanié ensuite par Alexandre de Bernay, qui ajouta la version de Pierre de Saint-Cloud. Les sources antiques furent exploitées pour en faire un roman d’aventures en vers à décor oriental, réélaboré et mis en prose au cours du Moyen Âge tardif.

108 Voir supra, n. 72.

109 Comme il l’a été dit plus haut, l’extrait transcrit ici ne reproduit que succinctement, et dans une langue fort éloignée, le prologue de la version en ancien français de Villehardouin, ce qui induit Vigenère à commettre une erreur de perspective, car il considère que ce texte serait la preuve que la langue française est déjà très proche du français actuel dans cet ouvrage, ce qui n’est pas le cas dans le texte original. L’extrait serait contenu dans un manuscrit conservé à la British Library, que nous n’avons pu identifier.

110 Pur.

111 De nos jours.

112 César, De Bello Gallico livre I, I (Les Belges sont les plus éloignés de la culture et de la vie raffinée de la Province [la Gallia Narbonensis]).

113 Bien que.

114 Mots, expressions.

115 La chanson de Sainte Foi d’Agen, premier texte en langue d’oc, fut rédigée au XIe siècle; elle se compose de quarante-quatre laisses monorimes et raconte l’histoire de la sainte.

116 Voir plus haut ; il s’agit d’une tenso, donc d’une dispute littéraire, entre les poètes Sordello da Goito et Peire Guilhelm de Toulouse ; ce texte est tiré de la Chronica di Mantua de Mario Equicola, parue en 1521. Ces vers constituent le premier texte occitan imprimé et aussi le seul poème de Peire que l’on ait conservé.

117 Depuis longtemps.

118 Aulu-Gelle, Nuits Attiques, éd. et trad. René Marache, Livres 11-15, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 177 (l. XV, 30) : « Id scriptum est in libro Varronis quarto decimo rerum divinarum, quo in loco Varro, cum de petorrito dixisset esse id verbum Gallicum, lancea quoque dixit non latinum, sed Hispanicum verbum esse » (Varron nous l’apprend au quatorzième livre des choses divines, où, après avoir parlé du mot petorritum, il dit que c'est un mot gaulois, et lancea un mot espagnol et non latin).

119 Clair, sans équivoque.

120 Geoffroy de Villhardouin est l’auteur d’une histoire de la quatrième prise de Constantinple qui décrit les événements survenus entre 1198 et 1207.

121 Il s’agit d’une citation tirée de nouveau de la Summa du Pseudo-Geber citée plus haut.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Paola Cifarelli, « L’Annotation « De l’Ancienne langue françoise » aux Commentaires de Cesar des guerres de la Gaule (1589) de Blaise de Vigenère. Les Serments de Strasbourg au service de la « deffence et illustration » du français »Corpus Eve [En ligne], 3 | 2018, mis en ligne le 10 octobre 2019, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eve/1450 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eve.1450

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Auteur

Paola Cifarelli

Paola Cifarelli enseigne la littérature française à l’Università degli Studi di Torino, Dipartimento di Studi Umanistici (paola.cifarelli@unito.it).

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