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L'Homère de Salomon Certon : une traduction « protestante »

Christiane Deloince-Louette

Zusammenfassung

Cet article analyse la traduction des poèmes homériques par Salomon Certon, première traduction intégrale de l'Iliade et de l'Odyssée en alexandrins, parue en France en deux étapes, en 1604 et en 1615. Les choix stylistiques du traducteur, en ce qui concerne les épithètes, les vers formulaires, les realia, témoignent de sa fidélité au texte grec. Certon a visiblement suivi l'édition commentée publiée par Jean de Sponde en 1583 et connaît bien les poèmes de Du Bartas : sa traduction s'en fait parfois l'écho. Dans son désir de rendre compte à la fois de la rudesse et de la majesté d'Homère, Certon s'inscrit donc ouvertement dans une lecture protestante d'Homère qui, au début du XVIIe siècle, affirme la supériorité du poète grec sur le Virgile tant vanté d'un Scaliger ou d'un La Cerda.

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16. Jahrhundert
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Volltext

Introduction

  • 1 Voir Marguerite de Valois, Album de poésies, éd. Colette Winn et François Rouget, Paris, Éditions C (...)
  • 2 Agrippa d'Aubigné, Lettres touchant quelques poincts de diverses sciences, X, « À M. Certon », Œuvr (...)
  • 3 Voir Émile et Eugène Haag, La France protestante ou Vies des protestants français qui se sont fait (...)
  • 4 Eugénie Droz, « Salomon Certon et ses amis. Contribution à l'histoire du vers mesuré », Humanisme e (...)

1On sait assez peu de chose sur Salomon Certon. Né en 1552, donc un peu plus vieux que Jean de Sponde (né en 1557), mais plus jeune que Du Bartas (né en 1544), il a sans doute fréquenté la cour de Nérac dans ses belles années (1578-1580) puisqu'on trouve une vingtaine de ses poèmes dans l'Album de poésies de Marguerite de Valois1. La lettre X des Lettres touchant quelques points de diverses sciences d'Agrippa d'Aubigné, qui concerne les vers mesurés français, lui est adressée2. Certon a également laissé un recueil de Vers lipogrammes (publiés chez Jean Jannon en 1620) et un poème héroïque à la gloire de Genève3. D'après Eugénie Droz, il a consacré l'essentiel de son existence au service d'Henri de Navarre et la page de titre de sa traduction de l'Odyssée précise, en 1604, qu'il est « Conseiller et Secrétaire des finances de sa Majesté en sa maison et couronne de Navarre, et secrétaire de sa chambre »4.

  • 5 L'édition de 1604 contient une épître au roi Henri IV qui peint les malheurs d'un Ulysse tout jeune (...)
  • 6 Hugues Salel avait fait paraître en 1545 une traduction des dix premiers chants de l'Iliade en déca (...)

2C'est cette traduction qui l'a fait connaître, surtout de la postérité. Elle s'est faite en deux temps. Certon publie d'abord en 1604 une traduction de l'Odyssée qu'il dédie à Henri IV (Abel L'Angelier, Paris) puis, en 1615, toujours en alexandrins français, l'ensemble de l'œuvre attribuée à Homère, c'est-à-dire l'Iliade, l'Odyssée revue et corrigée, les Hymnes et même les Épigrammes en l'honneur d'Homère tirées de l'Anthologie grecque (Thomas Blaise, Paris)5. C'est à la demande d'Henri IV, dit la dédicace à Louis XIII, que Certon a poursuivi sa traduction d'Homère. Il évoque rapidement ses prédécesseurs sans les nommer – il s'agit sans doute de Hugues Salel et Amadis Jamyn6 – et insiste en revanche sur le présent nouveau et original qu'il offre à la France.

Si pensay-ie pourtant que point desestimee
N'en seroit pour cela leur belle renommee,
Si je faisois qu'on vist Achille, et son germain
Ulyses, par la France aller de mesme main,
Et qu'un seul fils fist voir à la France sa mere
Tracé d'un seul pinceau tout l'ouvrage d'Homere :

3La grande nouveauté, c'est donc l'Homère complet, la traduction intégrale par une seule et même main – « un seul pinceau » – quand les prédécesseurs de Certon n'ont traduit que quelques chants d'un des deux poèmes.

  • 7 Cité par Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968, p. 173.
  • 8 Haag, op. cit., col. 301-302. On remarquera au passage cette intéressante définition de l'épopée.

4Cette traduction a eu peu de succès. Elle ne fut jamais rééditée après 1615 et il en reste même très peu d'exemplaires. L'abbé Goujet dans sa Dissertation critique sur l'Iliade (Paris, 1715) la juge ainsi : « […] On ne peut disconvenir qu'elle ne soit fort désagréable pour le style. La versification est communément fort platte, les baillemens y sont très fréquens, les élisions sont presque toujours négligées. On rencontre souvent des expressions basses qu'on auroit peine à souffrir dans une méchante prose. »7 Bref, une traduction dont le style a heurté les contemporains et même au-delà, puisqu'au XIXe siècle La France protestante la condamne encore : « À l'époque où Certon écrivait, notre langue n'était pas encore mûre pour la poésie héroïque ; nos poëtes ne faisaient que bégayer le langage des grandes passions. » Les traductions de l'Odyssée et de l'Iliade sont cependant « des œuvres estimables », d'un intérêt certain pour l'histoire littéraire8.

  • 9 « Il n'y a pas pour Certon un "génie de la langue française" qui s'opposerait à celui de la langue (...)
  • 10 Voir les remarques élogieuses de Didier Pralon, « Traductions françaises de l'Iliade (1519-1989) », (...)

5Le XXe siècle réhabilite timidement le travail de Certon. Dans son Homère en France au XVIIe siècle, Noémi Hepp apprécie son souci d'exactitude (surtout lorsqu'on compare sa traduction avec celles, contemporaines et en prose, de François Du Souhait – en 1614 pour l'Iliade – et de Claude Boitet – en 1619 pour l'Odyssée) mais déplore l'absence de « prétention d'helléniste » et d'innovation en matière de langue française9. Voilà qui explique peut-être en partie le mépris de ses contemporains. Certon se coule dans le moule homérique en respectant parataxe et anacoluthe, il prend plaisir au « réalisme homérique », surtout dans l'Iliade... Autant d'éléments qui correspondent davantage à notre conception moderne de la traduction10.

6Je voudrais montrer ici que cette fidélité de Certon à Homère, choquante au XVIIe siècle, tient à une perception du poète grec propre aux auteurs protestants, que ne gêne pas le style d'Homère que Scaliger condamnait déjà comme « rude » dans sa Poétique de 1560. Je ferai donc l'hypothèse que le peu de succès de la traduction de Certon est dû, non aux maladresses et aux archaïsmes du traducteur, comme le veut Noémi Hepp, mais, paradoxalement, à sa fidélité au texte homérique. Dans les premières années du XVIIe siècle, ce n'est pas Certon qui déplaît, c'est Homère, dans un monde qui a désormais consacré Virgile comme le grand modèle du poème héroïque. Notre lecture du poète grec est aujourd'hui différente et autorise, pour cela même, la réhabilitation de la traduction de Salomon Certon.

Homère en français : les choix du traducteur

  • 11 Dans son introduction à l'Iliade (Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1ère éd. 1937), Paul Mazon insist (...)

7Il ne sera pas question ici des contresens éventuels, déjà relevés par Noémi Hepp, mais des réponses qu'apporte Salomon Certon aux difficultés bien connues des traducteurs d'Homère : la traduction des noms propres, des épithètes et des vers formulaires, la présence de realia antiques, le choix du vers et de son rythme11. Donner un Homère français ou donner Homère en français ? C'est la deuxième perspective qui prévaut pour Certon.

Noms propres, épithètes, vers formulaires

8Dans La Deffence et illustration de la langue française (1549), les conseils que donne Du Bellay pour la traduction des noms propres sont ambigus : il faut, certes, privilégier la langue française, donc franciser les noms propres, mais avec « discretion » et selon le « jugement de [l']oreille ».

  • 12 Joachim Du Bellay, La Deffence et illustration de la langue française, II, 6, Œuvres complètes, I ( (...)

Entre autres choses, se garde bien nostre Poete d'user de Noms propres Latins, ou Grecz, chose vrayment aussi absurde, que si tu appliquois une Piece de Velours verd à une Robe de Velours rouge, mais seroit-ce pas une chose bien plaisante user en un ouvraige Latin d'un Nom propre d'Homme, ou d'autre chose, en Francoys ? […] Accommode donques telz Noms propres de quelque Langue, que ce soit à l'usaige de ton vulgaire : suyvant les Latins, qui pour Héraklès, ont dict Hercule, pour Thèseus, Theseus : et dy Hercule, Thesée, Achile, Ulysse, Virgile, Ciceron, Horace. Tu doibz pourtant user en cela de jugement, et discretion, car il y a beaucoup de telz noms, qui ne se peuvent approprier en Francoys, les uns Monosyllabes, comme Mars, les autres dissyllabes, comme Venus, aucuns de plusieurs syllabes, comme Jupiter, si tu ne voulois dire Jove, et autres infinitz, dont je ne te scauroy bailler certaine reigle. Parquoy je renvoye tout au jugement de ton oreille12.

Que fait Certon ? Sans mépriser les transcriptions françaises (Achille, Ulysse, Polyphème, Pirithous, Thésé), il conserve souvent les noms antiques – Achillès, Ulyssès, Menelaus et Telemachus. Faut-il parler d'archaïsme ? Les raisons en semblent avant tout prosodiques.

  • 13 Les dix premiers livres de l'Iliade d'Homère prince des poètes, traduictz en vers Francois par M. H (...)

9La réponse apportée par les prédécesseurs de Certon au problème posé par la traduction des épithètes était tout aussi hésitante. On sait que les premiers traducteurs d'Homère, en latin comme en français, ne les traduisaient pas. Hugues Salel, en 1545, fait dire explicitement à Dame Poésie dans son « Epître préfacielle »13 :

Tu pourras veoir en brief l'œuvre avancée
De l'Iliade, et puis de l'Odyssée :
Non vers pour vers : Car persone vivante
Tant elle soit docte et bien escrivante,
Ne scauroit faire entrer les Epithetes
Du tout en rythme. Il souffist des Poetes
La volunté estre bien entendue,
Et la sentence, avec grace rendue.

  • 14 Jacques Peletier du Mans, Œuvres poétiques, Paris, Vascosan, 1547, préface en vers.

Mais Jacques Peletier, à la même époque, dans sa traduction des deux premiers livres de l'Odyssée, affirme au contraire la nécessité de les traduire pour ne pas perdre le « naïf de l'ancienneté »14. Jamyn, en 1577, préfère aussi les traduire (« Junon aux beaux yeux » ou « aux blanches mains », « Jupiter à l'œil large », le « Prince esbranle-terre » pour Neptune gaièokhos), tout comme Certon qui fait de leur traduction un principe systématique, tout en variant les formulations pour obéir aux contraintes du vers. Achille reçoit ainsi des qualificatifs divers : « Achille en force de pieds rare » ; « Achille aux pieds légers », etc. Ceux d'Apollon sont aussi riches : Apollon « de si long jetant ses traits dorez » ou « loin-tirant », « loin-dardant » ; Jupiter est « loin-voyant » ou « haut-tonant », il est aussi « le collecteur de la nue entassée », « celuy qui dans les airs les nuages balance », etc. Vulcain est « le pié-tortu Vulcain », Neptune gaièokhos, celui « qui va la grand terre embrassant ».

10Le poète protestant traite de la même manière les vers formulaires que Peletier et Jamyn oubliaient fréquemment. Il les conserve avec des concessions à la varietas. Le vers célèbre : « Αὐτὰρ ἐπεὶ πόσιος καὶ ἐδητύος ἐξ ἔρον ἕντο » (« Quand on eut satisfait la soif et l'appétit » dit Victor Bérard) que l'on retrouve dans l'Iliade comme dans l'Odyssée, est ainsi successivement traduit par Certon :

Quand la faim et la soif eurent laissé les troupes [Il., I, v. 469]

[…] Ayant chassé la faim
Et la soif bien loin d'eux, les amoureux se lèvent [Od., I, v. 150]

Estans rassasiés de vin et de viande [Od., III, v. 67]

Le vers formulaire n'est pas conservé à l'identique mais toujours traduit selon un procédé qu'on pourrait définir ainsi : variation des termes à partir d'une structure invariable. La binarité – la faim et la soif, le vin et la viande – est conservée, de même que l'association du liquide et du solide, mais on passe par métonymie du désir de boire et de manger aux boissons et nourritures. Comme pour les épithètes, on peut penser que les variations s'expliquent par le souci constant de concilier les particularités du texte d'Homère et les exigences de l'alexandrin et de la rime.

Le « réalisme homérique »

11L'expression, empruntée à Noémi Hepp, désigne le respect des réalités du monde homérique que Certon cherche à rendre sans anachronisme. Au chant I de l'Iliade, il décrit précisément, comme Homère, le sacrifice offert à Apollon :

  • 15 Iliade, I, v. 457-471.

Apollon l'exauça, puis ayant achevé
Sa devote oraison et sur le chef levé
La saincte aspersion, l'holocauste ils rangerent,
Et tout premierement du couteau l'égorgerent,
L'écorchèrent apres, coupèrent les jambons
Qu'ils couvrirent de gresse, et dessus les charbons
Les mirent pour rostir, Chryses y vint respandre
L'effusion de vin, et les jeunes gens prendre
Les broches à cinq rancs : Quand ils furent bien cuits
Et en eurent gousté, ils trancherent depuis
Tout le reste en morceaux, en la broche le mirent
Et curieusement au feu cuire le firent :
Cela faict, et ayans preparé le banquet
Chacun à suffisance à repaistre se met.
Quand la faim et la soif eurent laissé les troupes,
Les garçons de bon vin couronnerent les coupes,
Puis vindrent les offrir à chacun à leur tour15.

Les détails du découpage de la bête, le couronnement des coupes – que Salel laissait de côté – tous ces éléments « étrangers » sont scrupuleusement respectés sans désir de s'adapter au goût du jour. Un même respect du texte se lit dans les efforts de Certon pour conserver le rythme du vers homérique.

Le choix de l'alexandrin et le moule du vers homérique

  • 16 Sur Amadis Jamyn traducteur d'Homère, voir Théodora Graur, Amadis Jamyn (1540 (?)-1593), sa vie, so (...)
  • 17 Voir Olivier Halévy, La vie d'une forme : l'alexandrin renaissant (1452-1573), thèse de doctorat so (...)

12Certon ne s'explique pas sur le choix de l'alexandrin, déjà fait par Jamyn lorsqu'il avait entrepris de poursuivre le travail de Salel sur l'Iliade16. Il n'en a peut-être pas besoin. Rappelons que, dès l'origine, l'alexandrin a trouvé à s'épanouir dans la traduction puisqu'il offrait un espace plus grand aux transcriptions des vers latins ou grecs, en particulier des hexamètres17. Au début du XVIIe siècle, il domine très largement l'ensemble de la production poétique française. C'est le mètre français par excellence et tout particulièrement le mètre du poème héroïque – il porte même le nom de « vers héroïque ». Pierre Laudun d'Aigaliers l'affirme dans son Art poétique françois de 1596 :

  • 18 Pierre Laudun d'Aigaliers, Art poétique françois, III, ix, « De l'œuvre héroïque » Paris, Anthoine (...)

Il faut faire son poeme [heroïque] en rime platte et en vers heroïques ou doucasyllabes. Ce que Ronsard refute en sa preface de la Franciade. Mais c'est pour s'excuser dequoy il ne l'a faicte qu'en vers Elegiaques, qui sentent plus sa nygauderie que sa gravité. Virgile n'a pas faict son œuvre heroïque en vers Hexametres et Pentametres, mais en vers hexametres. Du Bartas a faict sa Sepmaine en vers Alexandrins, à quelle occasion seroient-ilz appellez vers heroïques, si ce n'estoit pour employer à l'œuvre heroïque ?18

  • 19 Odyssée, I, v. 1-10. Je souligne dans les textes les expressions qui font l'objet de mon commentair (...)

13De ce point de vue, le choix de l'alexandrin est tout à fait attendu. La question est plutôt : comment Certon adapte-t-il cet alexandrin au vers homérique, cet alexandrin qui tend, au début du XVIIe siècle, à devenir par excellence le vers de la douceur ? Prenons par exemple le début de l'Odyssée19.

Ἂνδρα μοι ἔννεπε, Μοῦσα, πολύτροπον, ὃς μάλα πολλὰ
πλάγχθη, ἐπεὶ Τροίης ἱερὸν πτολίεθρον ἔπερσε,
πολλῶν δ'ἀνθρώπων ἴδε ἄστεα καὶ νόον ἔγνω·
πολλὰ δ'ὅ γ'ἐν πόντῳ πάθεν ἄλγεα ὃν κατὰ θυμόν,
ἀρνύμενος ἥν τε ψυχὴν καὶ νόστον ἑταίρων,
ἀλλ'οὐδ' ὧς ἑτάρους ἐρρύσατο ἱέμενός περ·
αὐτῶν γὰρ σφετέρῃσιν ἀτασθαλίῃσιν ὄλοντο,
νήπιοι, οἳ κατὰ βοῦς Ὑπερίονος Ἠελίοιο
ἤσθιον αὐτὰρ ὁ τοῖσιν ἀφείλετο νόστιμον ἧμαρ.
Τῶν ἁμόθεν γε, θεά, θύγατερ Διός, εἰπὲ καὶ ἡμῖν

14Traduction de Jacques Peletier (1547) :

Enseigne moy, Muse, le personnage
Plein d'entreprise et savoir en son age,
Lequel apres qu'il a eu sacagé
Troye la grand', a long temps voyagé,
Et en errant les villes a passees
D'hommes divers, et compris leurs pensees :
Qui a souffert maintz travaux perilleux
Dessus la mer, avec soing merveilleux
De rachetter sa vie, et de donner
Moyen aux siens de povoir retourner :
Mais toutesfois il ne les a peu rendre
En sauveté, quelque soing qu'il seust prendre:
Car ilz sont mors, les pauvres indiscrez,
D'avoir osé manger les beufz sacrez
Du haut Soleil, qui pour ce mauvais tour,
Leur a tollu le jour de leur retour.
Fai moy savoir, Muse du haut Dieu nee,
De quelque part leur male destinee.

  • 20 Dans l'édition de 1604 (Paris, Abel L'Angelier) : « Muse raconte moy l'homme fin et rusé […] / Des (...)

15Traduction de Salomon Certon (1615)20 :

Muse dy moi qui fut l'homme fin et rusé
Qui si long temps erra, depuis qu'il eut rasé
Le sacré mur de Troye, et d'hommes et de villes
Remarqua les façons farrouches et civiles :
Il eut en son esprit, en courant sur les mers,
Maints travaux angoisseux, et maints soucis amers,
Pour conserver sa vie, il eust peine tres-grande
À garantir de mort les soldats de sa bande,
Et faire que chez eux ils peussent arriver,
Mais quelque effort qu'il fist il ne les peust sauver :
Car les mal-advisez, par leur faute perirent.
Méchants, qui au Soleil tournant là haut se prirent,
Et mangerent ses beufs. Partant de leur retour
Apollon leur osta le desirable jour.

Fille de Jupiter, Deesse (si je t'ose
Enquerir) conte moy de cecy quelque chose.

La comparaison des traductions de Peletier et de Certon permet plusieurs remarques :

161. L'alexandrin respecte davantage la forme du vers, voire la place des termes dans le vers. L'adjectif polutropon (πολύτροπον), au vers 1, est traduit chez Certon, comme chez Homère, dès le premier vers, quand Peletier doit attendre le deuxième ; le verbe plagkhthè (πλάγχθη), traduit par « erra », est mis en valeur à l'hémistiche, simple concession à la syntaxe du français puisqu'il se trouve à l'attaque du vers 2 chez Homère. Au vers 8, nèpioi (νήπιοι : « méchants »), de même que èsthion (ἤσθιον : « ils mangèrent ») conservent la place qu'ils occupent chez Homère, à l'attaque du vers.

2. L'alexandrin permet aussi de conserver la syntaxe : les premiers vers de la traduction de Certon suivent la syntaxe homérique (l'adresse à la muse est suivie d'une relative puis d'une subordonnée temporelle et d'une deuxième relative coordonnée à la précédente). Le recours à l'enjambement (v. 2-3, v. 15-16) ajoute encore à la fluidité de la phrase.

  • 21 Remarquons cependant, aux v. 15-16, l'ajout d'une parenthèse respectueuse, « si je t'ose enquérir »

3. Ce respect de la forme du vers s'accompagne enfin d'une réelle simplicité : les adresses à la muse par exemple – « dy moi », « conte moy » – gardent les verbes homériques (enepe, eipe), à la différence du « fai moy savoir » de Peletier, plus solennel21.

17Le travail de Certon est plus visible encore si l'on compare cette même traduction des premiers vers de l'Odyssée avec celles d'Amadis Jamyn (1584) et de Vauquelin de La Fresnaye (Art poétique, II, 1605), toutes les deux en alexandrins. Amadis Jamyn a besoin de dix vers pour rendre les quatre premiers d'Homère :

Muse viens moy chanter ce rusé personnage
Qui de baucoup de mœurs et façons eust l'usage.
Qui voyagea beaucoup errant de toutes pars
Depuis qu'il eut destruit de Troye les rampars :
Il vid maintes citez, et les ayant passees
De maints hommes divers il connut les pensées :
Il souffrit sur la mer plusieurs maux et douleurs, […]
Pensant en son esprit comment par ses labeurs
Il pourrait garantir et racheter sa vie
Et remener les siens chacun en sa patrie.

18Vauquelin de La Fresnaye, en revanche, condense à l'excès :

Muse, di moy celuy qui a tant voyagé
Après Ilion pris et son mur saccagé
Pratiqué tant de mœurs et tant d'ames diverses,
Et tant souffert de maux dessus les ondes perses.

19Le respect du texte homérique, autant que possible dans ses termes et dans sa syntaxe, voilà ce qui caractérise la traduction de Salomon Certon qui concilie habilement contraintes de l'alexandrin et fidélité homérique. Or nous n'avons conservé aucune trace de la manière dont Certon a travaillé, aucune trace des principes de traduction qu'il a suivis. Pour tenter de les comprendre, il faut donc recomposer le cercle dans lequel il évoluait et les modèles qui ont pu lui être utiles.

Modèles et influences

  • 22 Eugénie Droz, art. cité, p. 180.

20Lorsque sa traduction intégrale des poèmes homériques paraît en 1615, Salomon Certon s'est retiré à Gien et ne correspond plus qu'avec quelques amis de confession protestante comme lui. On sait qu'il a d'abord appartenu à la cour d'Henri de Navarre puis à la maison de ce dernier devenu roi de France. Il a fréquenté la cour de Nérac en même temps que Du Bartas et Aubigné22.

  • 23 Guillaume Salluste Du Bartas, La Sepmaine ou création du monde, Paris, Michel Gadoulleau et Jean Fé (...)

21Or, pour qui voulait traduire Homère dans ce milieu, deux modèles étaient incontournables. D'une part Du Bartas et ses Sepmaines en alexandrins qui renouvelaient le genre épique. D'autre part, l'édition commentée de Jean de Sponde, autre protégé du roi de Navarre, publiée pour la première fois en 158323. La présentation de l'édition d'Homère par Certon montre qu'à l'évidence, il a eu celle de Sponde entre les mains. À Du Bartas, il reprend, j'en ferai l'hypothèse, le goût de l'amplification poétique.

Certon et Sponde

  • 24 Même si, il faut le préciser, ces arguments et titres viennent de la tradition antique transmise pa (...)

22L'Homère de 1615 qui contient la traduction de l'Iliade et celle de l'Odyssée, s'ouvre sur un long paratexte en trois temps : l'épître au roi, une présentation d'Homère (« Ce qui se trouve en divers autheurs de la patrie, parents, vie et mort d'Homère ») et les « Épigrammes anciens de divers autheurs, sur Homère. » La traduction de l'Iliade est elle-même précédée d'un « argument » qui en résume la teneur. Or, ces trois derniers éléments sont repris de l'édition gréco-latine de Sponde : le choix et la succession des épigrammes sont identiques dans les deux ouvrages, la présentation d'Homère chez Certon est une traduction de la dernière partie des « Prolégomènes » de Sponde intitulée « De Homero », l'argument traduit également la première partie de l'argument de l'Iliade chez Sponde. Certon a laissé de côté sa deuxième partie, plus érudite, et n'a conservé que le récit de la situation générale et le résumé du poème. De même, chaque chant – ou livre – est précédé d'un bref argument, d'une « inscription » en vers et d'un titre, tous traduits de l'édition de Sponde24.

  • 25 Je me permets de renvoyer sur ce point à mon Sponde, commentateur d'Homère, Paris, Champion, 2001.

23Certains éléments du commentaire de Sponde semblent même avoir pu nourrir les manchettes de l'édition de Salomon Certon, bien qu'en ce domaine il faille avancer avec précautions. Les manchettes en marge de la traduction d'Homère remontent en effet, à ma connaissance, à la traduction latine de l'Iliade qu'a proposée Eobanus Hessus à Bâle en 1540. Elles ont été en partie reprises dans la traduction française que Salel donne des dix premiers chants de l'Iliade en 1545 à Paris et dans la traduction de l'ensemble de l'Iliade en collaboration avec Amadis Jamyn (1577). Certon – ou son éditeur – est donc tributaire d'une longue tradition. On peut cependant remarquer l'étroite parenté entre la disposition rhétorique dont témoigne la mise en forme de la traduction de Certon et les annotations de Sponde, lui-même héritier d'une pratique réformée du commentaire qui découlerait de l'enseignement de Melanchthon et des exigences rhétoriques du genre didascalique25.

24Prenons l'exemple du début du chant I de l'Iliade (v. 1-8). Je donne d'abord le texte d'Homère, puis les traductions de Salel et de Certon :

Μῆνιν ἄειδε, θεά, Πηληιάδεω Ἀχιλῆος
οὐλομένην, ἣ μυρί' Ἀχαιοῖς ἄλγε' ἔθηκε,
πολλὰς δ'ἰφθίμους ψυχὰς Ἄιδι προίαψεν
ἡρώων, αὐτοὐς δὲ ἑλώρια τεῦχε κύνεσσιν
οἰωνοῖσί τε πᾶσι Διὸς τ'ἐτελείετο βουλή·
ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε
Ἀτρείδης τε ἄναξ ἀνδρῶν καὶ δῖος Ἀχιλλεὺς.
Τίς τάρ σφωε θεῶν ἔριδι ξυνέηκε μάχεσθαι ;
Λητοῦς καὶ Διὸς υἱός·[…]

25Traduction d’Hugues Salel (1545) :

Je te supply Deesse Gracieuse,
Vouloir chanter l'Ire pernicieuse,
Dont Achillés fut tellement espris,
Que par icelle, ung grand nombre d'espritz
Des princes Grecs, par dangereux encombres,
Feit lors descente aux infernales umbres :
Et leurs beaulx Corps, privez de sepulture,
Furent aux chiens, et aux oiseaulx pasture.
Certainement c'estoit la volunté
De Juppiter, grandement irrité :
Des qu'il cogneut Agamemnon contender
Contre Achillés, et sur luy entreprendre.
Enseigne moy, qui fut celuy des Dieux,
Qui leur causa debat tant odieux ?

Ce fut Phœbus, le clair fils de Latone, […] Narration

26Traduction de Salomon Certon (1615) :

Deesse je te prie aprend moy et me chante
Du Pelide Achilles la colere sanglante
Qui nuisit tant aux Grecs, leur portant tant de maux,
Quelle força descendre aux regnes Infernaux
Les plus braves Esprits de leurs bons Capitaines
De leurs chefs genereux, exposant par les plaines
Leurs corps auparavant tant forts tant estimez,
Aux oiseaux devorants et aux chiens affamez.

Du puissant Iupiter l'ordonnance fut telle ;
Des le premier instant qu'entrirent [
sic] en querelle
Et furent divisez Achille au divin nom :
Et des hommes le Roy l'Atride Agamemnon.

Quel des Dieux leur causa contention si grande ?
Ce fut le Fils du Dieu qui sur le Ciel commande
Que Latone enfanta. […]

27Salel fait commencer la narration après la question : « qui fut celuy des Dieux... », associant étroitement cette dernière aux vers précédents par la reprise – qui n'est pas chez Homère – de l'invocation initiale à la Muse : « Enseigne moy, qui fut celuy des Dieux ». Cette première étape est désignée, dans l'édition de 1545 comme dans celle de 1577, comme « Proposition et invocation à la Muse ».

  • 26 Jean de Sponde, op. cit., commentaire à l'Iliade, p. 1. Sponde découpe une première section composé (...)

28Certon, lui, fait commencer la narration précisément avec la question : « Quel des Dieux leur causa contention si grande ? ». La fin de l'exorde est marquée par la clausule de son vers 12 qui correspond exactement au vers 7 d'Homère. On le voit clairement par le retrait du vers suivant qui contient la question que Salel associait à l'invocation. Or ce découpage – un exorde constitué des sept premiers vers d'Homère suivi d'une narration – est celui que propose Sponde dans son commentaire26.

  • 27 Ibid., p. 2.

29Dernière remarque : à l'intérieur même de l'exorde constitué par les vers 1 à 7, Certon met en valeur la volonté de Jupiter en lui accordant un alexandrin entier et solennel : « Du puissant Jupiter l'ordonnance fut telle » qu'il fait commencer en retrait. Or cette formule sentencieuse (littéralement : « c'était la volonté de Zeus ») fait l'objet d'un long commentaire chez Sponde qui y voit à la fois la marque de la cohérence du poème – l'annonce du dessein de Zeus qui sera justifié par la prière de Thétis à la fin du chant – et l'expression d'une toute-puissance de la divinité, ce qui satisfait pleinement le pieux chrétien qu'il est27.

Certon et Du Bartas

30Il est plus difficile de rendre compte précisément d'une influence de Du Bartas sur Salomon Certon. Il faudrait une analyse métrique attentive et systématique, en particulier de l'usage des discordances (rejet, contre-rejet, enjambement), qu'il n'est pas possible de faire ici. Certon utilise aussi fréquemment, mais sans excès, pour traduire les épithètes homériques (« loin-tirant », « pié-tortu »), les adjectifs composés dont Du Bartas a fait grand usage.

31Il m'a semblé pourtant pouvoir faire un rapprochement intéressant entre deux textes : la description des vergers de l'Eden (Du Bartas, La Seconde Sepmaine, Premier Jour, livre I, « Eden », v. 467-476 sq) et la description des jardins d'Alcinous au chant VII de l'Odyssée. Je donne d'abord le texte d'Homère (Odyssée, VII, v. 112-121) avec la traduction de Philippe Jaccottet, puis le texte de Du Bartas et la traduction de Certon.

32Homère, Odyssée, VII, v. 112-121 :

ἔκτοσθεν δ'αὐλῆς μέγας ὄρχατος ἄγχι θυράων
τετράγυος περὶ δ'ἕρκος ἐλήλαται ἀμφοτέρωθεν.
ἔνθα δὲ δένδρεα μακρὰ πεφύκασι τηλεθόωντα,
ὄγχναι καὶ ῥοιαὶ καὶ μηλέαι ἀγλαόκαρποι
συκέαι τε γλυκεραὶ καὶ ἐλαῖαι τηλεθόωσαι.
τάων οὔ ποτε καρπὸς ἀπόλλυται οὐδ'ἀπολείπει
χείματος οὐδὲ θέρευς, ἐπετήσιος ἀλλὰ μάλ'αἰεὶ
Ζεφυρίη πνείουσα τὰ μὲν φύει, ἀλλὰ δὲ πέσσει.
ὄγνη ἐπ'ὄγνῃ γηράσκει, μῆλον δ'ἐπὶ μήλῳ,
αὐτὰρ ἐπὶ σταφυλῇ σταφυλή, σῦκον δ'ἐπὶ σύκῳ.

33Traduction de Philippe Jacottet :

En sortant de la cour, près des portes, se trouve un grand
jardin de quatre arpents tout entouré de murs.
Là de grands arbres ont poussé avec richesse,
des poiriers, des pommiers aux fruits brillants, des grenadiers,
des figuiers doux, des oliviers en pleine force.
Ni l'été ni l'hiver les fruits ne font défaut,
toute l'année les arbres donnent, et sans relâche,
un doux Zéphyr fait bourgeonner les uns, mûrir les autres.
La poire vieillit sur la poire, la pomme sur la pomme,
la grappe sur la grappe, et les figues l'une sur l'autre.

34Du Bartas, Seconde Semaine, « Eden », v. 467-476 :

Ore un sentier muré d'aigre-doux Citroniers,
D'Orengiers aigre-doux, d'aigre-doux Limoniers,
Dont les rameaux fueillus si bien s'entretortillent,
Qu'ils semblent un mur peint, où de vrays fruicts pendillent :
Ore un verger fertil, dont les troncs non-entez
Sont en rond, à la ligne, en eschiquier plantez,
Et les fruicts vont suivant les desirs de leur maistre.
Car l'un n'est si tost pris, que l'autre est prest à l'estre :
Si bien que l'homme ayant l'un et l'autre gousté,
Les treuve en goust divers, semblables en bonté.

35Traduction de Certon :

Or dehors le palais au sortir de la porte
Le grand jardin estoit ceint de muraille forte,
Contenant quatre arpens. En ce jardin croissoient
Arbres et grands et hauts, et tousjours florissoient,
Poiriers et grenadiers, pommiers aux pommes belles,
Figuiers doux, oliviers aux verdeurs perennelles ;
À ces arbres les fruicts sans cesse pendilloient,
Jamais tant en Hyver qu'en Esté n'y failloient,
(Les fueilles y gardoient leur honneur perdurable,
Et le suc doucereux n'y estoit perissable)
Le doux Zephir aux uns fait croistre, gracieux,
Aux autres fait meurir le fruit delicieux.
La poire suit la poire, et la fleurante pomme
Qui n'y manque jamais sort soudainement, comme
Sa compagne a meury, qui s'y tost ne meurit
Comme tout aussi-tost une autre apres fleurit :
Ainsi ces fruicts, sans fin l'un en l'autre vieillissent
:
Les poires tout ainsi sur les poires fleurissent
À la figue se tient la figue, […]

  • 28 Voir Sponde, commentaire à l'Iliade, IX, p. 152.

36Certon a considérablement élagué, en 1615, une description qui avait plus d'ampleur en 1604. Il conserve cependant des vers (soulignés ci-dessus par des italiques) qui ne correspondent à aucun vers d'Homère et qui me paraissent gloser le vers 474 de l'« Eden » de Du Bartas (en italiques également). Le traducteur semble abandonner la fidélité au texte homérique pour rivaliser avec un poète célèbre que d'aucuns considéraient comme le véritable Homère français28.

37L'amplification de 1604 voyait dans les jardins d'Alcinous une promesse d'« éternelle vendange », transformant plus nettement encore ces jardins en paradis biblique. Peut-on parler, pour autant, de lecture religieuse ? C'est une des tentations de la traduction à laquelle cède parfois Certon. Ainsi, au chant III de l'Odyssée, lorsque Télémaque, par désespoir, se laisse aller à critiquer les dieux, Athéna lui rétorque :

  • 29 Homère, Odyssée, III, v. 230.

Quel mot tout de travers
T'est, dit-elle, eschappé ? (Quelle rage te touche
De blasphémer ainsi de ta prophane bouche ?)29

Entre parenthèses, un vers et demi de glose, qui explicite le sacrilège que vient de commettre Télémaque en osant incriminer les dieux. Cependant la parenthèse dit bien qu'il s'agit d'un commentaire, le lecteur ne peut s'y tromper.

38Il est donc possible de montrer que Certon a été marqué tout à la fois par le respect du texte homérique et de ses valeurs que véhicule le commentaire de Sponde, et par le goût de l'amplification poétique, voire religieuse, que j'associerais volontiers à Du Bartas. Mais tout en cherchant une voie moyenne entre la fidélité à Homère et la recherche poétique, Certon veut aussi, dans sa traduction, revaloriser, voire glorifier le poète grec et son style simple, à une époque où Virgile l'a éclipsé.

La majesté simple d'Homère

39Avoir « tracé d'un seul pinceau tout l'ouvrage d'Homere », telle est la gloire dont se targue Salomon Certon dans son épître au roi, en reprenant la métaphore du poète peintre, chère à Du Bartas comme à Agrippa d'Aubigné. Son pinceau, on l'a vu, choisit de respecter les couleurs homériques. Qu'est-ce à dire ?

Le style d'Homère : Peletier et La Cerda

40Dans la préface en vers à sa traduction des deux premiers chants de l'Odyssée (1547), Jacques Peletier justifiait ainsi le respect des épithètes homériques :

  • 30 Jacques Peletier du Mans, Œuvres poétiques, Paris, Michel de Vascosan, 1547, « Epistre au Roy », p. (...)

J'y ai voulu les Epithetes mettre,
En ne voulant d'Homere rien omettre :
Et m'a semblé sur ce, qu'en les ostant
Hors du François, ce seroit tout autant
Que s'on ostoit d'iceluy mesme livre
Habitz, bancquetz, et manieres de vivre,
Qui japieçà sont d'usage estrangées,
Et en façons bien diverses changées :
Mais il convient garder la majesté,
Et le naif de l'ancienneté […]30

  • 31 Ce que confirment les vers qui suivent : « Pareillement exprimer les vertuz / Des adiectifz dont le (...)
  • 32 Voir Jacques Peletier du Mans, Art poétique, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renais (...)

Peletier met en valeur deux aspects de l'ouvrage d'Homère : le caractère « étranger » (voire étrange) des manières de vivre de ses héros, dû à « l'ancienneté » du poème, et la majesté d'un style qui se peut lire dans les épithètes31. Quelques années plus tard cependant, dans son Art poétique de 1555, Peletier considère qu'Homère a été dépassé par Virgile. Jules-César Scaliger le suit dans sa Poétique de 1561 : le cinquième livre de cet ouvrage compare systématiquement Homère et Virgile, citations à l'appui, et conclut à l'imperfection d'Homère, trop simple, trop nu, trop grossier et dépourvu d'art32.

41Si Peletier parle encore de la majesté d'Homère, tout comme Ronsard qui, dans la préface de la Franciade, associe la « naïve facilité » d'Homère et la « curieuse diligence » de Virgile (la nature et l'art, dit Scaliger), le style du poète grec gêne, à l'évidence. À la fin du XVIe siècle, au fur et à mesure que la langue française se complaît dans la douceur, il est même ouvertement condamné. Le grand commentaire de Virgile du père La Cerda (1608-1610) reprend ainsi dans sa préface les principales critiques de Scaliger contre la rudesse d'Homère, mais avec beaucoup plus de véhémence.

Proponit nuda, plebeia, quovis ingenio parabilia, simplicia, incoata tantum et non perfecta, mollia, tenuissima, levissima, ineptissima, ieiuna, pessima, fatua, falsa, puerilia, languida, sine arte, sine affectu, nugas anicularum, verbula sicca, vasta, sententias aridissimas, apparatum sine apparatu, futilia, loquacia, orationem miseram et tabernariam, dictionem coactam et insuavem, figuras barbaras. Ineptit repetendo, insanitque. Plenus est fatali Graecorum nugacitate.

  • 33 P. Virgilii Maronis Priores sex libri Aeneidos Argumentis, explicationibus notis illustrati, Auctor (...)

Ses propos sont nus, communs, faciles, tout simples, seulement ébauchés et non parfaits, faibles, chétifs, légers et niais au dernier degré, secs, misérables, bouffons, menteurs, puérils, languissants, dépourvus d'art et de sentiment ; ce sont des contes de bonne femme, de petits mots desséchés, grossiers, des pensées décharnées, un éclat sans recherche, des choses futiles et bavardes, un style misérable et qui sent la taverne, une façon de parler contrainte et sans douceur, des figures barbares. Ses répétitions sont absurdes et montrent sa folie. Il est plein des funestes balivernes des Grecs33.

  • 34 Cité par Michel Magnien, « Du Bartas en France au XVIIe siècle », dans Du Bartas 1590-1990, études (...)
  • 35 La langue grecque fait à l'évidence l'objet d'une querelle idéologique à la charnière des XVIe et X (...)

Le style d'Homère est donc à la fois simple (sans ornement ou presque) et rude (sans douceur, sans liaison). Or, la rudesse est une critique que l'on fait à la même époque aux poèmes de Du Bartas, comme l'a bien montré Michel Magnien dans un article de 1992. Charles Sorel, par exemple, dans De la Connoissance des bons livres (1671), fustige la « rudesse de style » du poète protestant et lui reproche d'avoir « eu envie de faire changer de forme au langage français et de le rendre à moitié grec »34. La critique du style d'Homère s'accompagne d'un refus de la langue grecque et de ses auteurs, au profit du latin virgilien et catholique35.

42Comment comprendre alors le projet de Certon ? Le choix d'Homère, dans ce contexte, est, comme pour Sponde, une défense d'Homère : une défense de la rudesse et de la simplicité – gages d'authenticité – du premier des poètes. Une défense aussi de la majesté du fondateur du poème héroïque. C'est à la lumière de ce double critère – rendre compte à la fois de la rudesse et de la majesté d'Homère – qu'il faut reconsidérer la traduction de Salomon Certon.

La rudesse d'Homère : discordance et hiatus

43Au début du XVIIe siècle, l'alexandrin, mètre héroïque, est devenu un vers « doux-coulant ». Or la traduction de Certon montre qu'il cherche souvent à rompre la fluidité du vers par l'usage de discordances. Prenons l'exemple des reproches d'Achille à Agamemnon au chant I de l'Iliade (v. 158-171) :

Cependant, impudent, nous voicy à ta suite,
Afin que tout icy t'accroisse et te profite :
Nous conservons icy, ô visage de chien,
De ton frere et de toy et l'honneur et le bien,
Faisans teste aux Troyens, Sans graces nous en rendre,
Plutost me menaçant tu oses entreprendre
De me ravir mon bien, Ou j'ay pour le gaigner
Couru risque et hazard, Que m'ont voulu donner
Les Grecs pour ma vertu. Eus-je oncques recompense
Qui la tienne egalast, alors que la puissance
Des Grecs bouleversoit tant de riches Citez ?
Bien que j'aye le plus de leurs travaux portez
Et que la plus grand part des beaux exploits de guerre
Soit faicte par mes mains ? Tu prens alors, tu serre
Le meilleur du butin, J'en ay la moindre part,
Que j'emporte pourtant dans mes vaisseaux à part,
Et contant et sans bruit, Bien que j'aye le pire
Et que j'aye tout fait. Mais bien, je me retire
En Phthie mon pays, je mets dessus les eaux
Pour gaigner ma maison, mes gens et mes vaisseaux
Car c'est bien le meilleur. Toy si tu veux demeure
Sans honneur consumant tes biens à la male heure.

La véhémence d'Achille est ici exprimée par les enjambements qui débordent le cadre de l'alexandrin et cassent la régularité de son rythme.

  • 36 Ronsard, La Franciade, « Épître aux lecteurs », dans Œuvres complètes, édition établie, présentée e (...)

44Autre élément « rude », stigmatisé par La Cerda comme par l'abbé Goujet : l'absence de douceur ou le « baillement », c'est-à-dire le hiatus, considéré déjà par Ronsard comme propre à Homère36. La citation ci-dessus en comporte, que la ponctuation ne parvient pas à masquer. Relevons par exemple : « Nous voicy à ta suite » ou « Les Grecs pour ma vertu. Eus-je oncques recompense ». La traduction de Certon travaillerait donc la langue française selon des modalités qui visent à rendre la rudesse homérique, des modalités qui vont au rebours du goût dominant au début du XVIIe siècle.

Une majesté simple

45Certon en est certainement conscient car cette « rudesse » s'accompagne d'une recherche de majesté et parfois d'un assouplissement lorsque le contexte le réclame. Notons d'abord que l'enjambement, s'il sert la véhémence, apporte aussi de la gravité au vers, de la majesté au poème, si l'on en croit Le Tasse :

  • 37 Le Tasse, Leçon sur le sonnet LIX de Giovanni Della Casa (1568), cité par Olivier Halévy, « L'inven (...)

Il rompimento de' versi, come da tutti i maestri è insegnato, apporta grandissima gravità : e la ragione è, che 'l rompimento de' versi ritiene il corso dell'orazione, ed è cagione de tardità ; e la tardità è propria della gravità37.

46Rudesse et majesté peuvent donc aller de pair. Mais Certon va plus loin et, par une série de réajustements stylistiques, cherche, sans abandonner la rudesse, à rendre le poème homérique acceptable pour des oreilles françaises. De ces réajustements, je prendrai comme exemple la fin du chant I de l'Iliade. Les deux hérauts envoyés par Agamemnon sont venus chercher Briséis. Achille la leur remet, puis va trouver sa mère sur le rivage et la prie (v. 345 sq).

Ὣς φάτο, Πάτροκλος δὲ φίλῳ ἐπεπείθεθ'ἑταίρῳ,
ἐκ δ'ἄγαγε κλισίης Βρισηίδα καλλιπάρῃον,
δῶκε δ'ἄγειν τὼ δ'αὖτις ἴτην παρὰ νῆας Ἀχαιῶν·
ἡ δ'ἀέκουσ' ἅμα τοῖσι γυνὴ κίεν αὐτὰρ Ἀχιλλεὺς
δακρύσας ἑτάρων ἄφαρ ἕζετο νόσφι λιασθείς,
θῖν'ἐφ'ἁλὸς πολιῆς, ὁρόων ἐπὶ οἴνοπα πόντον·
πολλὰ δὲ μητρὶ φίλῃ ἠρήσατο χεῖρας ὀρεγνύς·
Μῆτερ, ἐπεί μ'ἔτεκές γε μινυνθάδιόν περ ἐόντα,
τιμήν πέρ μοι ὄφελλεν Ὀλύμπιος ἐγγυαλίξαι
Ζεὺς ὑψιβρεμέτης νῦν δ'οὐδέ με τυτθὸν ἔτισεν·
ἧ γάρ μ'Ἀτρείδης εὐρὺ κρείων Ἀγαμέμνων
ἠτίμησεν·ἑλὼν γὰρ ἔχει γέρας, αὐτὸς ἀπούρας.

  • 38 Homère, L'Iliade, traduit du grec par Philippe Brunet, Paris, Éditions du Seuil, 2010.

47Traduction de Philippe Brunet (2010)38

Il se tut. Patrocle obéit à son compagnon d'armes.
De la baraque il fit sortir Briséis joues-vermeilles,
la leur donna.

Les deux hommes s'en furent aux nefs achéennes.
À contrecœur, la femme dut les suivre. Et Achille, tout en larmes, assis à l'écart de ses compagnons d'armes
sur le rivage écumant, contemplait le flot sans entrave. Levant les bras vers sa mère, il fit des prières nombreuses :
« Mère, qui m'as enfanté pour une si brève existence, l'Olympien aurait dû me donner l'honneur en échange – Zeus grondant aux cieux –, mais rien, voilà tout mon salaire !
Agamemnon, le très puissant Atréide, m'inflige le déshonneur : il m'a pris lui-même mon lot et le garde ! »

48Traduction de Certon (1615)

Patrocle, d'Achillès faict le commandement,
Entre dedans la chambre, ameine promptement
La belle Briséis, entre leurs mains la livre,
La met en leur puissance et luy dit de les suyvre,
Eux la prennent de luy, et le pas retournant
Vers les vaisseaux des Grecs ils la vont emmenant :
Elle contre son gré suivant les accompagne.

Mais Achillès à part tout de larmes se baigne
Sur le bord de la mer, et dedans regardant,
Sa mere il suplioit les deux mains luy tendant.

Puis que pour vivre peu vous me mistes au monde,
Pour le moins le moteur de la machine ronde,
Ma mere, me devoit faire vivre en honneur.
Mais voicy qu'il m'enfondre en un grand deshonneur,
Car cest Agamemnon superbement m'offence,
Et me ravit mon bien d'injuste violence.

49La comparaison des deux traductions, l'ancienne et la moderne, montre ici les deux procédés utilisés par Certon pour atténuer la rudesse du texte homérique tout en lui conservant sa majesté : l'amplification et la simplification.

  • 39 Certon distingue typographiquement l'enlèvement de Briséis et la douleur d'Achille par un alinéa qu (...)
  • 40 Et protestant ! L'injustice du roi à l'égard de ses sujets est un thème courant depuis la Saint-Bar (...)

50L'amplification est à la fois d'ordre quantitatif et d'ordre qualitatif. Quantitatif : Certon ajoute deux vers au texte d'Homère (en italiques dans la citation) pour compléter le distique à rimes plates : « […] / La belle Briséis, entre leurs mains la livre, / La met en leur puissance et luy dit de les suyvre ». Qualitatif : c'est insister à la fois sur le fait qui déclenche la colère d'Achille et sur le geste d'Achille lui-même, geste honorable puisqu'il n'est plus celui d'un rebelle, mais douloureux, comme les vers suivants vont le montrer qui associent plainte et accusation contre l'Atride39. La solennité des trois derniers vers va dans le même sens : rime plus que riche (« honneur » / « deshonneur »), gravité de l'adverbe « superbement » qui remplace l'adjectif χρειῶν (« très puissant ») et clausule marquée – « d'injuste violence » – qui, en ajoutant un jugement de valeur, explicite la dimension éthique de l'Iliade pour le lecteur français40.

51La simplification se manifeste d'abord dans la suppression d'adjectifs épithètes. Les qualificatifs de la mer (πολιῆς : « écumant » ; οἴνοπα : « sans entrave ») ont disparu, Zeus n'est plus « l'Olympien » ni « grondant aux cieux » – ces deux qualificatifs sont remplacés par une longue métaphore, « le grand moteur de la machine ronde », qui permet l'emploi de la rime « monde » / « ronde », fréquente chez Du Bartas. À quoi tendent ces simplifications ? À mettre en valeur la douleur d'Achille, corroborée par la régularité rythmique des trois vers qui l'introduisent :

Mais Achillès à part tout de larmes se baigne (4/2//4/2)
Sur le bord de la mer, et dedans regardant, (3/3//3/3)
Sa mère il suppliait les deux mains lui tendant. (4/2//3/3)

La simplicité sert ici le pathétique, sans glisser vers la douceur, remarquons-le, puisque Certon garde l'ordre des termes d'Homère, et donc l'inversion : « Sa mère il suppliait... ». On retrouve ce double enjeu qui me paraît propre à la traduction de Certon, donc à sa lecture d'Homère : majesté et simplicité.

Conclusion

52Il est temps de justifier mon titre. Si la traduction de Certon est « protestante », c'est qu'elle défend, contre le goût dominant, la fidélité à Homère et à son style rude et simple. C'est aussi parce qu'elle inscrit cette défense dans une tradition prohellénique qui semble, au début du XVIIe siècle, être propre aux protestants.

53Cherchant à concilier la simplicité du style homérique et la majesté du poème héroïque, Certon fait aussi œuvre poétique. Il faudrait une étude plus attentive des figures et des rythmes dans ses alexandrins pour montrer que son travail vise à redonner à Homère les « nombres » que lui refusait Scaliger. On se contentera pour finir, dans cette étude déjà trop longue, de donner, sans commentaire, la traduction en prose du début de l'Odyssée que propose Claude Boitet en 1619 :

  • 41 L'Odissée d'Homère, traduict de grec en françois par Claude Boitet, Paris, 1619. Au bas de la page (...)

Chere Muse, Anime ma veine, espure mes esprits, et favorise mon entreprise, à ce que sous ta faveur je puisse avec du merite entonner par mes escrits, les ruses, les artifices et la gentillesse d'esprit de cest homme rusé. Dechiffre moy les étranges adventures, et les hazards qu'il a risqué sur mer pendans ses divers voyages, errant çà et là parmy les pays lointains, et havres estrangers, s'accommodant selon les occurrences, aux lieux, aux saisons, aux mœurs et coutumes des Royaumes où par hazard il s'est rencontré après avoir mis à sac et reduit en poudre la superbe et sacrée cité de Troye : Raconte moy avec combien de peine il a mesnagé la vie depuis ce temps-là, et avec quel soing et providence il s'estoit mis en devoir de garantir ses camarades du naufrage, et de leur faire libre passage pour retourner bagues sauves en leur patrie, si contre tous ces efforts eux-mesmes mal-advisez qu'ils furent, et ennemis de leur liberté, ils ne se fussent par une certaine malice précipitez à leur propre ruine, et furtivement enlevé les bœufs du bon père Hypérion qui pour se venger de leur attentat et témérité, les rendit comme aveugles et leur osta en même temps et sa lumière ordinaire et l'esperance du retour. Sus donc, belle Deesse, et fille de Jupin, dy moy, dy moy franchement d'où leur peuvent estre venues tant de sortes de traverses, et quelle faute leur a peu causer tant de disgraces41.

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Peletier, Jacques, Œuvres poétiques, Paris, Vascosan, 1547.

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Ronsard, Pierre de, La Franciade, « Épître aux lecteurs », dans Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. I.

Scaliger, Jules-César, Poetices libri septem, éd. Luc Deitz et Gregor Vogt-Spira, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1994-2011.

Sponde, Jean de, Homeri quæ extant omnia, Bâle, Eusebius Episcopus, 1583.

Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, LGF, 1990.

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Anmerkungen

1 Voir Marguerite de Valois, Album de poésies, éd. Colette Winn et François Rouget, Paris, Éditions Classiques Garnier, 2009. Dix-neuf de ces poèmes sont des sonnets en alexandrins.

2 Agrippa d'Aubigné, Lettres touchant quelques poincts de diverses sciences, X, « À M. Certon », Œuvres, éditées par Henri Weber, Jacques Bailbé et Marguerite Soulié, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1969. Cette lettre deviendra la préface des Vers mesurés dans les Petites Œuvres meslées du même auteur.

3 Voir Émile et Eugène Haag, La France protestante ou Vies des protestants français qui se sont fait un nom dans l'histoire depuis les premiers temps de la réforme jusqu'à la reconnaissance du principe de la liberté des cultes, deuxième édition revue par H. Bordier, 10 t. Paris, 1846-1859, t. III, col. 971-977.

4 Eugénie Droz, « Salomon Certon et ses amis. Contribution à l'histoire du vers mesuré », Humanisme et Renaissance, 6, 1939, p. 179-197.

5 L'édition de 1604 contient une épître au roi Henri IV qui peint les malheurs d'un Ulysse tout jeune et sauvé par Dieu. Certon dresse un « parallele » entre ce Prince et le roi en insistant sur la clémence d'Henri IV, plus humain qu'Ulysse puisqu'il a renoncé au désir de vengeance. L'édition de 1615 a pour titre complet : Les Œuvres d'Homère prince des poètes assavoir : L'Iliade, l'Odyssée, la Batrachomyomachie, les Hymnes, et les Epigrammes. Le tout de la version de Salomon Certon, Conseiller, Notaire et Secrétaire du Roy, Maison et Couronne de France, et Secrétaire de la Chambre de sa Majesté. L'Odyssée cy devant imprimée, a esté de nouveau et exactement reveue et corrigee par le Traducteur, Paris, Thomas Blaise, 1615 [Bnf YB 1177-1178 – l'Odyssée manque cependant dans cet exemplaire]. Elle contient une longue dédicace en vers au roi Louis XIII où le traducteur rappelle qu'il avait offert (en 1604) l'Odyssée à son père. Le privilège du roi est attribué à Certon lui-même. Une deuxième édition paraît la même année chez Nicolas Hameau.

6 Hugues Salel avait fait paraître en 1545 une traduction des dix premiers chants de l'Iliade en décasyllabes (Paris, Vincent Sertenas). Il traduira encore les chants XI et XII mais c'est Amadis Jamyn qui, quelques années plus tard, la complète en alexandrins. En 1577, la France dispose donc d'une Iliade en vers français (Paris, Lucas Breyer). En ce qui concerne l'Odyssée, Jacques Peletier avait publié dès 1547 sa traduction des deux premiers chants (Œuvres poétiques, Paris, Vascosan, 1547). En 1584, rééditant sa traduction de l'Iliade, Jamyn y ajoute celle des trois premiers chants de l'Odyssée. Voir Philip Ford, De Troie à Ithaque. Réception des épopées homériques à la Renaissance, Genève, Droz, 2007, p. 240-246 et 289-294.

7 Cité par Noémi Hepp, Homère en France au XVIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1968, p. 173.

8 Haag, op. cit., col. 301-302. On remarquera au passage cette intéressante définition de l'épopée.

9 « Il n'y a pas pour Certon un "génie de la langue française" qui s'opposerait à celui de la langue homérique. Certon considère sa propre langue comme un instrument docile qui n'a pas d'exigences propres à formuler en face des exigences du texte à traduire. » (op. cit., p. 159).

10 Voir les remarques élogieuses de Didier Pralon, « Traductions françaises de l'Iliade (1519-1989) », Cahiers du Claix (Cercle de Linguistique d'Aix en Provence), Travaux 10, 1993, p. 135-179.

11 Dans son introduction à l'Iliade (Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1ère éd. 1937), Paul Mazon insiste sur deux difficultés majeures de la traduction d'Homère : les épithètes et le style formulaire.

12 Joachim Du Bellay, La Deffence et illustration de la langue française, II, 6, Œuvres complètes, I (éd. Francis Goyet et Olivier Millet), Paris, Champion, 2003, p. 61.

13 Les dix premiers livres de l'Iliade d'Homère prince des poètes, traduictz en vers Francois par M. Hugues Salel, de la Chambre du Roy, et Abbé de S. Cheron, Paris, Vincent Sertenas, 1545.

14 Jacques Peletier du Mans, Œuvres poétiques, Paris, Vascosan, 1547, préface en vers.

15 Iliade, I, v. 457-471.

16 Sur Amadis Jamyn traducteur d'Homère, voir Théodora Graur, Amadis Jamyn (1540 (?)-1593), sa vie, son œuvre, son temps, Paris, Champion, 1929, chapitre VI, p. 205-226.

17 Voir Olivier Halévy, La vie d'une forme : l'alexandrin renaissant (1452-1573), thèse de doctorat sous la direction de Francis Goyet, Université Stendhal-Grenoble 3, 2003.

18 Pierre Laudun d'Aigaliers, Art poétique françois, III, ix, « De l'œuvre héroïque » Paris, Anthoine du Breuil, 1598, p. 262.

19 Odyssée, I, v. 1-10. Je souligne dans les textes les expressions qui font l'objet de mon commentaire.

20 Dans l'édition de 1604 (Paris, Abel L'Angelier) : « Muse raconte moy l'homme fin et rusé […] / Des douleurs en grand nombre, et des travaux amers / Pour garder plein de soin et de peyne infinie / Sa vie, et ramener ceux de sa compagnie. / Mais pourtant quoy qu'il fist pour ses gens conserver, / Il y perdit sa peine, et ne les peut sauver : […]

21 Remarquons cependant, aux v. 15-16, l'ajout d'une parenthèse respectueuse, « si je t'ose enquérir ».

22 Eugénie Droz, art. cité, p. 180.

23 Guillaume Salluste Du Bartas, La Sepmaine ou création du monde, Paris, Michel Gadoulleau et Jean Février, 1578 et La Seconde Sepmaine ou enfance du monde, Paris, Pierre Lhuillier, 1584 ; Jean de Sponde, Homeri quæ extant omnia, Bâle, Eusebius Episcopus, 1583. Cette édition fut reprise en 1606 à Bâle et à Genève.

24 Même si, il faut le préciser, ces arguments et titres viennent de la tradition antique transmise par Eustathe.

25 Je me permets de renvoyer sur ce point à mon Sponde, commentateur d'Homère, Paris, Champion, 2001.

26 Jean de Sponde, op. cit., commentaire à l'Iliade, p. 1. Sponde découpe une première section composée des vers 1 à 7.

27 Ibid., p. 2.

28 Voir Sponde, commentaire à l'Iliade, IX, p. 152.

29 Homère, Odyssée, III, v. 230.

30 Jacques Peletier du Mans, Œuvres poétiques, Paris, Michel de Vascosan, 1547, « Epistre au Roy », p. 6.

31 Ce que confirment les vers qui suivent : « Pareillement exprimer les vertuz / Des adiectifz dont les motz sont vestuz, / Et bien garder en son entier l'obget / De son Autheur, auquel on est suget. » (op. cit., p. 6).

32 Voir Jacques Peletier du Mans, Art poétique, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. Francis Goyet, Paris, LGF, 1990 ; Jules-César Scaliger, Poetices libri septem, éd. Luc Deitz et Gregor Vogt-Spira, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1994-2011, V, 3. Jacques Chomarat a donné une traduction française du livre V (Criticus), chez Droz en 1994.

33 P. Virgilii Maronis Priores sex libri Aeneidos Argumentis, explicationibus notis illustrati, Auctore Ioanne Ludouico de la Cerda […], Lyon, Horace Cardon, 1612 ; P. Virgilii Maronis Posteriores sex libri Aeneidos Argumentis, explicationibus, notis illustrati, Auctore Ioanne Ludouico de la Cerda […], Lyon, Horace Cardon, 1617. Le premier volume est republié en 1619 chez le même éditeur. Je cite ici le chapitre IV de la longue préface du tome II, intitulé « De Homero ». La traduction est mienne.

34 Cité par Michel Magnien, « Du Bartas en France au XVIIe siècle », dans Du Bartas 1590-1990, études réunies et publiées par James Dauphiné, Mont-de Marsan, Éditions InterUniversitaires, 1992.

35 La langue grecque fait à l'évidence l'objet d'une querelle idéologique à la charnière des XVIe et XVIIe siècles. Voir Pascale Hummel, De lingua Græca. Histoire de l'histoire de la langue grecque, Berne, Peter Lang, 2007, p. 170 : « Entre 1600 et 1650, le grec est perçu comme inutile ». C'est en Allemagne, terre réformée, qu'on peut encore trouver à cette époque des éditions d'auteurs grecs. Les grands hellénistes de la deuxième moitié du XVIe siècle, à commencer par Henri Estienne, étaient déjà majoritairement des protestants.

36 Ronsard, La Franciade, « Épître aux lecteurs », dans Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. I, p. 1169-1170.

37 Le Tasse, Leçon sur le sonnet LIX de Giovanni Della Casa (1568), cité par Olivier Halévy, « L'invention de "l'enjambement" ? La discordance métrique chez Ronsard autour de 1555 », L'expérience du vers à la Renaissance, sous la dir. de Jean-Charles Monferran, Cahiers V.-L. Saulnier 30, Paris, PUPS, 2013.

38 Homère, L'Iliade, traduit du grec par Philippe Brunet, Paris, Éditions du Seuil, 2010.

39 Certon distingue typographiquement l'enlèvement de Briséis et la douleur d'Achille par un alinéa qui n'existe pas dans le texte d'Homère.

40 Et protestant ! L'injustice du roi à l'égard de ses sujets est un thème courant depuis la Saint-Barthélémy.

41 L'Odissée d'Homère, traduict de grec en françois par Claude Boitet, Paris, 1619. Au bas de la page de l'exemplaire conservé à la Bibliothèque municipale de Grenoble, une main vigoureuse a écrit en grandes lettres noires : « Cette traduction est misérable ».

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Zitierempfehlung

Online-Version

Christiane Deloince-Louette, L'Homère de Salomon Certon : une traduction « protestante »Corpus Eve [Online], 2 | 2015, Online erschienen am: 31 Dezember 2015, abgerufen am 12 Dezember 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eve/1235; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eve.1235

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Autor

Christiane Deloince-Louette

Maître de conférences en littérature du XVIe siècle à l'université Grenoble-Alpes, Christiane Deloince-Louette a publié en 2001 aux éditions Champion Sponde commentateur d'Homère. Elle vient d'achever pour les Éditions Garnier l'édition critique et la traduction du commentaire des poèmes homériques par Jean de Sponde et poursuit des recherches sur Homère aux XVIe et XVIIe siècles.

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