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2015

La dédicace du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers (?) (1537). Une défense facétieuse du français.

Guillaume Berthon et Pascale Mounier
Référence(s) :

Bonaventure Des Périers (?), Cymbalum mundi en françoys, Contenant quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, joyeux, et facetieux, Paris, [Louis Blaubloom] pour Jean Morin, 1537, « Thomas du Clevier à son amy Pierre Tryocan S. »

Résumé

La dédicace fictive du Cymbalum mundi, dont les circonstances de publication sont des plus mystérieuses, peut être lue comme une défense précoce du français. Présentant l’œuvre comme une traduction, le prétendu Thomas du Clevier affiche, avant Étienne Dolet, le choix de la langue vulgaire contre le latin. L’argument de la traduction, probablement inventé, permet d’introduire l’idée d’une adaptation de la langue écrite à l’époque contemporaine. Le style facétieux de l’épître dédicatoire illustre le principe rhétorique du naturel que l’auteur appelle implicitement de ses vœux. Le titre de l’œuvre confirme, malgré son caractère énigmatique, la coloration morale et spirituelle de la réflexion linguistique.

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Texte intégral

La question de l’auteur

  • 1 Sur les discussions au sujet de l’identité de l’auteur, voir les deux préfaces (respectivement de P (...)
  • 2 Première édition : Cymbalum mundi en françoys, Contenant quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, (...)
  • 3 Ce nom de ville ne permet guère de mieux entrevoir le contexte de la genèse du Cymbalum. La ville d (...)

1Le Cymbalum mundi en françoys, Contenant quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, joyeux, et facetieux, publié en 1537, s’ouvre sur une énigme, celle du nom de l’auteur1. Aucune des deux éditions parues au xvie siècle n’en mentionne en effet2. L’épître liminaire, quant à elle, met en scène deux personnages, « Thomas du Clevier » et « son amy Pierre Tryocan ». Le premier envoie au second l’œuvre que le lecteur a sous les yeux et qu’il dit avoir lui-même traduite du latin en français. Il aurait trouvé le texte « en une vieille Librairie d’ung Monastere qui est auprès de la cité de dabas3 ». Pas un mot de l’auteur du texte latin supposé, en revanche. Le texte-source n’a jamais été retrouvé et on peut soupçonner que le scénario de la traduction est une fiction, c’est-à-dire que le texte a été directement composé en français. Par ailleurs, les noms de Thomas du Clevier et Pierre Tryocan ne nous mènent guère vers la solution de l’énigme puisqu’ils constituent chacun des anagrammes (Thomas Incrédule et Pierre Croyant), sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

  • 4 Voir le texte complet dans Gabrielle Berthoud, « Lettres de réformés saisies à Lyon en 1538 », Revu (...)
  • 5 « Dont pour la plus part du temps nostre loyal frere et bon amy Eutychus Deperius a adressé les som (...)

2La première des attributions date du 31 juillet 1538, soit un an après la parution. Elle figure dans une lettre genevoise d’André Zébédée, ancien régent du collège de Guyenne, à Charles de Candeley, conseiller au Parlement de Bordeaux, dont nous n’avons conservé qu’un résumé fait par un secrétaire au moment où la lettre a été saisie à Lyon parmi un lot de courrier genevois : « L’article suivant dit que France est par grans espritz tirée à l’enseigne de Epicure et que celluy qui a faict Cymbalum Mundi ne tendit jamais à aultre chose. Lequel (ce dit) estoit sorty de eulx et avoit esté clerc de Olivetain à mettre la bible en françoys4. » La périphrase a souvent été considérée comme une confirmation de l’hypothèse selon laquelle Bonaventure Des Périers est l’auteur du Cymbalum mundi, puisque l’on sait que Des Périers a œuvré à la grande entreprise de la Bible d’Olivétan5.

  • 6 Alcorani seu legis Mahometi et evangelistarum concordiae Liber, Paris, Pierre Gromors, 1543, p. 72.
  • 7 Cymbalum mundi, op. cit., préface, p. 10.

3Toutefois, quelques années plus tard, en 1543, Guillaume Postel fait mention du Cymbalum mundi, en semblant l’attribuer à un certain « Villanovanus » dans un passage à l’interprétation controversée : « id arguit nefarius tractatus Villanovani de tribus prophetis, Cymbalum Mundi, Pantagruellus et novæ insulæ quorum authores olim erant Cenevangelistarum antesignani6 ». L’on y a vu en général la mention de quatre ouvrages différents : le traité des trois prophètes de Villanovanus, le Cymbalum mundi, Pantagruel et les Nouvelles îles. Michael Screech a toutefois proposé de n’y voir que deux ouvrages : le traité concernant trois prophètes, c’est-à-dire le Cymbalum mundi, puisque le deuxième dialogue fait débattre trois philosophes, et Pantagruel et les nouvelles îles, ce qui renvoie probablement à l’édition de Pantagruel procurée par Dolet en 1542, où le texte de Rabelais est suivi du Voyage et navigation que fist Panurge, disciple de Pantagruel aux Isles incongneues, et estranges7.

4Il faut ensuite attendre 1566 pour voir quelqu’un mentionner à nouveau le nom de l’auteur du Cymbalum mundi et l’attribuer pour la première fois sans détour ni périphrase à Bonaventure Des Périers. Il s’agit d’Henri Estienne, dans son Introduction au traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes ou traité preparatif à l’Apologie pour Herodote :

  • 8 Cité d’après la préface du Cymbalum mundi, op. cit., p. VIII.

Je n’oublieray pas Bonaventure Des Periers, l’auteur du destestable livre intitulé Cymbalum mundi qui, nonobstant la peine qu’on prenoit à le garder (à cause qu’on le voyoit estre desesperé, et en deliberation de se deffaire), fut trouvé d’estant tellement enferré de son espee sur laquelle il s’estoit jetté, l’ayant appuyée le pommeau contre terre, que la pointe entrée par l’estomach sortoit par l’eschine8.

  • 9 Pour Lucien Febvre, il s’agit de Michel Servet qui signait du nom de Villanovanus en raison de sa v (...)

L’attribution a été reprise après par la plupart des savants, et l’hypothèse d’une attribution à Villanovanus presque totalement oubliée, d’autant qu’aucune identification de ce personnage ne s’est véritablement imposée9.

  • 10 Il le nomme « Ioannes Eutychus Deperius Heduus », « Jean Bonaventure Des Périers, bourguignon » (t. (...)
  • 11 Paris, [Louis Blaubloom pour] Jean Morin, 1537, f. D2 r°.
  • 12 Voir le texte cité par Yves Delègue dans son édition du Cymbalum mundi, Paris, Champion, 1995, p. 1 (...)

5Les détails de l’existence de Bonaventure Des Périers restent assez mystérieux. Une des toutes premières mentions de son nom est constituée par le passage de la Bible d’Olivétan déjà cité, datant de 1535. L’année suivante, Dolet a remercié Des Périers pour l’aide qu’il lui a apportée dans la rédaction du premier tome de ses Commentarii linguae Latinæ10. En 1537, lors de la querelle Marot-Sagon, Des Périers prend parti pour Marot en écrivant une épître « Pour Marot absent, contre Sagon, par Bonaventure valet de chambre de la Royne de Navarre » au sein du recueil des Disciples et amys de Marot contre Sagon11. La pièce nous apprend par la même occasion qu’il est devenu valet de chambre de la sœur du roi, ce qu’atteste également un livret de comptes de Marguerite conservé pour la date de 154112. Dernière date importante : en 1544 paraîtra à Lyon chez Jean de Tournes le Recueil des œuvres de feu Bonaventure Des Périers grâce à l’industrie de son ami Antoine Du Moulin. L’ouvrage ne contient aucune référence à l’éventualité d’un suicide, contrairement à ce qu’évoquera douze années plus tard Henri Estienne.

  • 13 Dans son édition, op. cit., p. XXIII-XXXIII Peter Hampshire Nurse consacre une dizaine de pages à d (...)
  • 14 Voir la démonstration de Michael Screech dans la préface de l’édition de Peter Hampshire Nurse, op. (...)

6Pour appuyer l’attribution à Des Périers, les critiques ont relevé de nombreux échos entre l’œuvre connue du poète et le Cymbalum mundi13. Ceux qui doutent en revanche de l’attribution, Michael Screech au premier chef, mettent en avant le fait suivant : il est étrange que l’un des valets de Marguerite de Navarre, maintenu dans sa charge au-delà de la parution du Cymbalum mundi, semble se moquer ouvertement de l’aumônier personnel de sa maîtresse : Girard Roussel, très probable cible du « Drarig » du deuxième dialogue comme « Rhetulus » est Luther(us) et « Cubercus » Bucer(us)14. Quoiqu’elle soit problématique, l’attribution du Cymbalum mundi à Des Périers demeure néanmoins l’hypothèse la plus couramment suivie par la critique, et celle que nous suivons dans cet article.

Présentation du contexte

Contexte éditorial

  • 15 Voir notamment Alfred Cartier, « Le libraire Jean Morin et le Cymbalum mundi de Bonaventure Des Pér (...)
  • 16 Pour l’analyse détaillée de la marque du libraire de l’édition princeps, voir Trung Tran Quoc et Ch (...)

7Le Cymbalum mundi paraît pour la première fois chez Jean Morin, un libraire parisien assez mystérieux, établi rue Saint-Jacques à l’enseigne du croissant15. Sa marque représente la Vertu (probitas) fière, quoique en haillons, entourée de deux anges. Y figure un double motto : « EUGE » (« Bravo ») d’un côté, en caractères romains, et « ΣΟΦΟΣ » (« sage ») de l’autre, en caractères grecs. Sous la marque, on lit encore une devise latine, issue de la première satire de Juvénal, décrivant précisément l’image : « Probitas laudatur, et alget » (« On loue la vertu, mais elle grelotte »). Deux têtes de Maures, sans doute par référence au patronyme du libraire, encadrent cette marque au programme symbolique très élaboré16.

  • 17 Voir l’Inventaire chronologique des éditions parisiennes du xvie siècle, d’après les manuscrits de (...)
  • 18 Le Manuel d’Epictete, Paris, Jean Morin, 1539, Munich, BSB [Rar. 812], f. H4 r° (privilège).

8On ne connaît qu’une petite poignée d’éditions publiées sous le nom de Morin. Elles portent toutes les dates de 1537 et 1538. En 1537, Morin publie le Cymbalum mundi, mais aussi La Prognostication des prognostications de « Maistre Sarcomoros, natif de Tartarie », ainsi que plusieurs opuscules de la querelle de Marot et de Sagon dont il a la primeur, tous en faveur de Marot : Le Valet de Marot contre Sagon, Les disciples et amys de Marot contre Sagon et la Responce à l’Abbé des Conars de Rouen. Cela fait peu de titres, d’autant qu’il s’agit à chaque fois de minces opuscules. Pour l’année 1538, on ne trouve au nom de Jean Morin qu’une réémission d’un Rommant de la Rose antérieur, publié en association avec un certain nombre de libraires parisiens17. Signalons encore une traduction française anonyme du Manuel d’Épictète, parue sans mention de libraire en page de titre, mais avec le nom de Morin dans le privilège octroyé par la prévôté de Paris en date du 3 janvier 1538 (a. s.), soit 1539 (n. s.)18. Ajoutons que toutes les éditions de l’année 1537 publiées sous le nom de Morin sont imprimées par Louis Blaubloom, imprimeur spécialisé dans les textes latins, dont les seules impressions en vernaculaire jusqu’en 1540 sont les œuvres de Marot (1533-1537), principalement pour le compte de la famille de libraires des Roffet, et ces publications de 1537 pour Jean Morin.

9De la brève salve de publications datées de 1537, on peut retenir la place non négligeable occupée par deux auteurs. Clément Marot est le premier d’entre eux : Morin sollicite en effet l’imprimeur attitré du poète de Cahors depuis 1533, Louis Blaubloom, et prend clairement parti pour Marot dans la querelle avec Sagon, quand d’autres libraires n’hésitent pas à publier les opuscules des deux camps. Bonaventure Des Périers est le second auteur dominant. Il apparaît comme nous l’avons vu dans le recueil des Disciples et amys de Marot contre Sagon et il est probablement aussi l’auteur de La Prognostication des prognostications qui lui est attribuée avec vraisemblance dans le Recueil des œuvres de feu Bonaventure Des Périers, édition-tombeau qui paraîtra à Lyon en 1544 chez Jean de Tournes.

  • 19 Voir Guillaume Berthon, L’Intention du Poète. Clément Marot « autheur », Paris, Classiques Garnier, (...)
  • 20 Cymbalum mundi, op. cit., p. 26-27 : « Memoire à Mercure de dire aux poetes, de par Minerve, qu’ilz (...)

10Marot et Des Périers appartiennent tous deux à l’entourage de Marguerite de Navarre. Clément a été directement au service de Marguerite avant de devenir valet de chambre du roi en 1527 ; il a peut-être continué ensuite à lui servir de secrétaire et il a été très présent auprès du couple de Navarre en cette année 153719. Bonaventure, quant à lui, était l’un des valets de chambre de Marguerite au moins à partir de 1537. Or il est probable que le « Memoire » laissé par Minerve à Mercure dans le troisième dialogue du Cymbalum mundi fasse référence à la cour de Marguerite et à la querelle Marot-Sagon20. Il apparaît donc que la composition du Cymbalum mundi est intervenue dans l’entourage de Marguerite de Navarre et qu’elle émane en partie des débats qui prennent place dans ce milieu, querelle Marot-Sagon comprise.

Le procès

  • 21 Voir l’article ancien d’Abel Lefranc (« Rabelais et les Estienne. Le procès du Cymbalum mundi de Bo (...)
  • 22 « Il fut conclu que, bien que ce livre ne contînt pas d’erreurs évidentes en matière de foi, il dev (...)

11Aussitôt paru, le Cymbalum mundi fait l’objet d’une procédure judiciaire dont les pièces conservées ont été abondamment citées par les historiens qui se sont penchés sur l’ouvrage21. Le 5 mars 1538 (n. s.), Pierre Lizet, le président du Parlement de Paris, reçoit l’ordre du roi en personne (doublé par celui du chancelier) de punir les responsables de la publication du Cymbalum mundi. Le lendemain, Lizet fait arrêter Jean Morin et fouiller sa boutique, où l’on trouve « plusieurs fols et erronez livres […], venans d’Allemaigne, mesmes de Clement Marot, que l’on voulloit faire imprimer ». Accusé, Morin dit ne s’être pas rendu compte qu’il publiait un livre scandaleux (ajoutant qu’il n’y aurait pas fait figurer son nom et sa marque s’il en avait été conscient) et livre le nom de l’auteur (que les documents conservés ne nous ont, hélas, pas transmis). Un mois plus tard, un autre libraire, Jean de La Garde, est arrêté en possession de livres hérétiques qui lui avaient été vendus par Morin. Si La Garde est brûlé avec ses livres, Morin est condamné par le Prévôt de Paris au bannissement après amende honorable devant le portail de Notre-Dame de Paris. Il fait appel de la condamnation devant le Parlement de Paris, qui décide de consulter la Faculté de théologie sur le texte incriminé. Celle-ci rend son jugement le 19 juillet 1538 : « conclusum fuit quod, quamuis liber ille non continet errores expressos in Fide, tamen quia perniciosus est, ideo supprimandus22. » On ignore ce qu’il advint de l’appel et on perd ensuite la trace du libraire. Le Manuel d’Epictète publié par Morin en 1539, que nous avons cité plus haut et qu’ignorent les critiques qui ont traité du procès du Cymbalum mundi, paraît indiquer que la condamnation n’a pas été appliquée. L’absence de toute publication postérieure suggère néanmoins que, d’une façon ou d’une autre, le procès a mis un terme rapide à l’activité de librairie de Morin. Quant à Bonaventure Des Périers, si c’est bien lui l’auteur, aucun document ne vient appuyer l’idée qu’il aurait été inquiété.

  • 23 Voir Francis Higman, Censorship and the Sorbonne. A Bibliographical Study of Books in French censur (...)
  • 24 Ibid., p. 31-32.
  • 25 C’est notamment l’avis de Michael Screech, qui défend l’idée que le Cymbalum mundi est un livre rel (...)
  • 26 C’était jadis l’avis d’Abel Lefranc : « S’il ne parut pas contenir d’hérésies particulières, au sen (...)

12La procédure, telle qu’on peut la restituer à travers les documents conservés par les archives, est assez inhabituelle pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour les années 1535-1539, c’est le seul cas connu de condamnation d’un livre par le Parlement ou par la Sorbonne, dans une période où le pouvoir de la Faculté paraît d’ailleurs fragilisé, malgré la violente (mais relativement brève) répression qui a fait suite à l’affaire des Placards contre la messe (1533-1535)23. Il est ensuite assez étonnant que ce soit le roi en personne qui intervienne pour faire condamner un livre. La seule démarche qui semble similaire remonte à 1533, mais elle est inverse : alors que la Sorbonne avait eu l’audace d’examiner le contenu du Miroir de l’âme pécheresse, ignorant que l’auteur en était Marguerite de Navarre elle-même, François Ier avait sommé la Faculté de théologie de se rétracter24. Enfin, le jugement exprimé par la Sorbonne à l’égard du Cymbalum mundi paraît ambigu et a été diversement compris. Pour certains critiques, il est d’une étonnante prudence : alors qu’il ne contenait pas d’hérésie évidente, le livre devait toutefois être condamné puisque le roi pensait qu’il était dangereux25. Pour d’autres, le jugement montre au contraire une claire compréhension de la subtile rhétorique du Cymbalum mundi : apparemment inoffensive, corrosive en vérité26.

Contexte idéologique

  • 27 Pour une synthèse des diverses lectures du Cymbalum mundi jusqu’en 1824, voir François Roudaut, « L (...)
  • 28 C’est l’une des thèses les plus anciennes concernant le sens du texte, notamment développée et abon (...)

13Ce serait une gageure que de vouloir restituer ici les débats autour de l’interprétation du Cymbalum mundi dans toute leur complexité27 – les actes du dernier colloque qui lui a été consacré (à Rome en 2000) ne totalisent pas moins de six cents pages. Rappelons seulement les éléments que suggère l’épître liminaire, à commencer par les deux noms anagrammatiques qui l’ouvrent : Tryocan pour croyant et Du Clevier pour incrédule – pour ce dernier, à une lettre près toutefois : simple coquille ? La lecture anagrammatique est renforcée par le choix des prénoms, qui sont ceux de deux apôtres : Thomas, qui a douté de la résurrection du Christ, et Pierre, le premier des Apôtres, sur l’autorité duquel s’est appuyée l’Église romaine. L’adresse de Thomas à Pierre met donc en place le thème de la foi et de la croyance. On a souvent pris le fait que Thomas Du Clevier prenne la plume et s’affiche comme la seule figure d’autorité identifiable du texte (puisque l’auteur reste dans l’ombre) comme une preuve de l’athéisme du Cymbalum mundi28.

  • 29 Nicolas Le Cadet, L’Évangélisme fictionnel…, op. cit., p. 338-339.
  • 30 Ibid., p. 340-347.
  • 31 Cymbalum mundi, op. cit., p. 8-9.
  • 32 Ibid. p. 10-11.

14Mais l’intervention de Thomas l’incrédule peut également être lue comme une leçon de méfiance vis-à-vis des discours dogmatiques de tout ordre. Comme l’a montré Nicolas Le Cadet29, le couple Thomas-Pierre peut en effet être rapproché du couple Tychiade-Eucrate du dialogue de Lucien Philopseudès (« les affabulateurs ») : tandis que Tychiade joue les esprits forts, Eucrate incarne un vénérable philosophe qui se laisse pourtant tromper par des fictions insensées. Or les dialogues du Cymbalum mundi sont justement traversés par la problématique de la foi et de la crédulité, les personnages mis en scène oscillant entre croyance aveugle et méfiance suspecte30. Dans le premier dialogue, Byrphanes et Curtalius soutiennent l’excellence incomparable du nectar de Jupiter par rapport au vin de Beaune, car ils croient « ce qu’en est escript et ce que l’on en dict », quand Mercure se permet d’en douter parce qu’il a « tasté des deux31 ». Mais dans le même dialogue, c’est ensuite l’hôtesse qui doute de la capacité de Mercure à allonger sa vie d’une cinquantaine d’années, provoquant ainsi le courroux du dieu qui jure de rayer son nom du livre d’immortalité puisqu’elle « est si desdaigneuse qu’elle ne veult croire ny accepter que l’on luy face du bien32 ». Les trois philosophes du deuxième dialogue se chamaillent à propos de la soi-disant pierre philosophale que Mercure aurait réduite en poudre et qu’ils continuent pourtant à chercher parmi le sable. Et c’est Mercure lui-même, grimé en vieillard, qui les invitera à la méfiance :

  • 33 Ibid., p. 18-19.

Ne doubtez-vous point qu’il ne vous ait baillé quelque aultre pierre des champs ou peult-estre, de l’areine mesmes, et puis qu’il vous ayt faict à croire que c’est la pierre philosophale, pour se mocquer de vous et prendre son passetemps des labeurs, coleres et debatz qu’il vous voit avoir en cuydant trouver la chose laquelle n’est point33 ?

Ainsi, la valorisation paradoxale du personnage de Thomas dans l’épître liminaire (paradoxale par rapport à sa condamnation dans l’Évangile de Jean) constitue peut-être un moyen d’inviter le lecteur à plus de circonspection, selon la voie non dogmatique propre à la fiction du Cymbalum mundi : il est permis de prendre plaisir aux plaisantes fictions tant qu’on ne les prend pas pour parole d’évangile.

  • 34 Aucun avis d’éditeur ne vient expliquer au lecteur comment le texte manuscrit soi-disant donné à ti (...)
  • 35 Le raisonnement qui suit est celui d’André Tournon, « Exégèse par énigmes : l’épître liminaire du C (...)
  • 36 Cymbalum mundi, op. cit., p. 33.

15De toute évidence, cette épître facétieuse invite d’emblée le lecteur à se méfier des apparences. Échangée par deux amis fictifs, la lettre multiplie les écarts comiques avec la vérité supposée : lieux inventés (la librairie, le monastère et la cité de Dabas), allégations mensongères (le livre traduit – sauf le titre), désir explicite du traducteur que l’ouvrage reste manuscrit parce que « ce qui est imprimé, n’a point tant de grace, et est moins estimé, que s’il demouroit encore en sa simple escripture34 ». Ce dernier point, tout particulièrement, rend le statut logique du texte ambigu35. Si les dialogues ont véritablement été livrés aux imprimeurs sans le consentement de l’auteur et du traducteur, ils ont pu être falsifiés ou corrompus au cours de l’opération. C’est par exemple ce que dit Mercure à la fin du troisième dialogue à propos de l’histoire du cheval Phlégon qui s’est miraculeusement mis à parler : « Le bruit en sera tantost par la ville, quelcun le mettra par escript, et par adventure qu’il y adjoustera du sien pour enrichir le compte. Je suis asseuré que j’en trouveray tantost la copie à vendre vers ces libraires36 ». En somme, face à tant de mystifications, le chemin le plus sûr pour interpréter l’épître dédicatoire consiste à se méfier de toute réduction à une thèse univoque et à rester sensible au fait que nulle part, ni dans le paratexte liminaire ni dans les dialogues, l’auteur ne prend la parole.

Enjeux linguistiques du texte

Une fausse traduction

  • 37 Les deux bibliographes mentionnent le Cymbalum comme une traduction. Voir François Roudaut, « La ré (...)

16L’œuvre affiche le choix de la langue vulgaire contre le latin. Elle a pour titre « Cymbalum mundi en françoys ». La dédicace prolonge l’affirmation construite par l’intitulé du premier feuillet de l’édition en déployant le lexique latinisant de la traduction : « rendre en langaige françoys », « translater », « eusse translatez » et « interpreter ». Or la présentation de l’original est on ne peut plus sommaire. Le prétendu Thomas du Clevier insiste, plutôt que sur l’anonymat, sur le genre du texte et sur les conditions matérielles de sa découverte et de sa transmission. Le motif du manuscrit, trouvé dans un monastère, déchiffré et envoyé à un ami prié de ne pas le diffuser, envahit le discours et occulte les renseignements attendus sur un ouvrage dont le titre énigmatique aurait pu au moins donner lieu à un commentaire. Comme la dédicace est fictive l’histoire du texte traduit du latin est ainsi probablement inventée. Quoique plusieurs générations de bibliographes et de critiques aient pu être leurrés par le boniment, à commencer par La Croix du Maine et Du Verdier37, l’œuvre est très certainement une invention.

  • 38 Le De imitatione est une réponse au Ciceronianus, où Érasme défend la prose cicéronienne. Comme le (...)
  • 39 Voir Michel Magnien, « Le Recueil de vers latins, et vulgaires de plusieurs Poëtes Françoys : Étien (...)
  • 40 Voir l’épître « Au peuple Françoys » de La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon, É (...)
  • 41 Dans le sillage de Dolet, qui a choisi d’encourager la poésie en français et en latin en 1536, mais (...)

17Pourquoi donc prétendre qu’il s’agit d’une traduction ? Pour définir les spécificités de l’écriture en français, précisément. Le locuteur mobilise les expressions et les motifs de ceux qui, quand ils rédigent un discours liminaire, argumentent sur les bienfaits du parler national contre les langues étrangères. Il confirme ce faisant le rôle des préfaces de traduction dans la défense du vulgaire. Les expressions renvoyant à la volonté et au projet (« cela a esté faict tout exprès, affin de… », « j’ay mis… à icelle fin qu’… », « J’ay aussi voulu adjouster… pour… ») justifient le texte proposé au public en énonçant des idées personnelles sur la langue. La dimension didactique de la dédicace place l’auteur sur le terrain des philologues, des linguistes et des rhétoriciens antérieurs ou contemporains préoccupés d’écriture en latin, en particulier Érasme et Étienne Dolet. Le Ciceronanius et le Dialogus de recta latini graecique sermonis pronuntiatione, parus en 1528, d’un côté, et le De imitatione ciceroniana et les Commentarii linguæ Latinæ, publiés respectivement en 1535 et en 1536-1538, de l’autre, proposent en effet différents modèles de style à suivre38. Érasme a en outre certes donné des dialogues et des déclamations de son cru, en particulier la Stultitiæ laus et les Colloquia familiaria, mais pas dans sa langue maternelle. Si Dolet, avec qui Des Périers a été en contact à Lyon au moins par le fait qu’il a participé à la correction du premier tome des Commentarii linguæ Latinæ, paru en 1536, a probablement orchestré la publication en 1536 d’un recueil de vers latins et français à la mémoire du dauphin39, il n’a encore signé personnellement aucune œuvre en français au moment où paraît le Cymbalum mundi. Il faut attendre pour cela 1539 et la publication de son Avantnaissance de Claude Dolet, filz d’Estienne Dolet. S’il affirmera en 1540 avoir commencé dès 1534 à composer un Orateur Françoys dans le but d’« illustrer » le « peuple Françoys », le livre n’a jamais été publié intégralement40. En produisant une préface et une fiction, l’auteur du Cymbalum mundi joint ainsi théorie et pratique tout en polémiquant avec ceux qui réfléchissent dans de longs traités aux manières d’écrire en latin. Faire connaître un texte soi-disant antique « en françoys » constitue en cela un véritable geste théorique et éditorial en 153741.

  • 42 Voir Glyn Peter Norton, The Ideology and Language of Translation in Renaissance France and their Hu (...)
  • 43 La Maniere de bien traduire…, op. cit., p. 13 : « en traduisant il ne se fault pas asservir jusques (...)
  • 44 Ibid., p. 12. À moins qu’il ne s’agisse plus précisément du recours à un lexique courant, connu de (...)
  • 45 La Maniere de bien traduire…, op. cit., p. 13.

18Le contenu de la réflexion en soi est peu développé. L’auteur expose un seul principe de traduction, qu’il illustre de manière désinvolte par des exemples qu’il semble prendre au hasard. La règle à laquelle il dit s’être conformé est la liberté par rapport à l’original : « je ne te l’ay rendu de mot à mot ». C’est la troisième des cinq règles énoncées dans La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, souvent considérée comme le premier traité humaniste en français sur la traduction42. Dolet y formulera en 1540 de manière identique le principe de non-littéralité43. La confrontation faite ici des « façons de parler qui sont en [la] langue Françoise » aux tournures « selon le latin » signale en outre un souci similaire à celui qu’expose le manifeste lorsqu’il souligne l’importance d’une bonne connaissance préalable des langues de départ et d’arrivée44. La dédicace du Cymbalum mundi préfigure ainsi en partie la principale thèse de Dolet dans La Maniere de bien traduire… sans recourir au terme traduire, encore rare à la fin des années 1530. Plutôt que de développer l’idée du respect de « la proprieté de l’une, et l’aultre langue »45, l’auteur du Cymbalum mundi préfère mettre en avant le seul vulgaire et illustrer sa position par la citation et le commentaire de quatre passages des dialogues en affectant le sérieux.

  • 46 Ibid., p. 14.
  • 47 Voir Claude La Charité dans « Inter pastorem et impostorem : l’augustinisme rhétorique et le Cymbal (...)
  • 48 André Tournon (« Exégèse par énigmes : l’épître liminaire du Cymbalum Mundi », art. cit., p. 400-40 (...)

19Le pseudo-traducteur dit d’abord avoir rendu les « formes de juremens » latines des personnages par des équivalents vernaculaires. À l’exception de « Dispeream », fidèlement traduit par « Je puisse mourir », les termes source et cible mentionnés mobilisent tous des réalités divines : « Me Hercule », « Per Jovem », « Ædepol », « Per Styga » et « Proh Jupiter » sont devenus « Morbieu » et « Sambieu ». On peut voir dans le remplacement de Jupiter, Hercule, Pollux et du Styx par le Dieu chrétien l’application des principes de l’usage d’un lexique pris au « commun »46, pour reprendre le terme de Dolet, et de l’adaptation culturelle. Invoquer l’exemple des jurons semble en outre illustrer comiquement la critique que fait le Ciceronianus des tendances paganisantes des chrétiens qui recourent au panthéon romain47. On peut aussi s’interroger sur le sens de la déformation du substantif Dieu dans deux termes français, phénomène que certains critiques interprètent comme une irrévérence religieuse48. Mais la pique s’adresse peut-être plutôt à ceux qui parmi les croyants, catholiques, évangéliques ou protestants, s’attachent plus aux mots qu’à la disposition intérieure des personnes. Cette possible critique du pharisaïsme s’ajoute à l’idée qu’il faut parler ou écrire de manière à être compris par ceux qui écoutent ou qui lisent.

  • 49 Curtalius et Byrphanes reprochent à Mercure de préférer au « nectar de Jupiter » le vin de l’auberg (...)

20Le locuteur affirme ensuite que le souci du « familier et [de l’]intelligible » a conditionné le remplacement de l’expression « vin de Phalerne » par « vin de Beaulne ». Dans les dialogues, le syntagme vin de Beaulne est prononcé plusieurs fois et discuté dans un contexte qui établit une concurrence entre le vin des dieux et celui des hommes49. Mais plus qu’elle ne discute la valeur du vin de l’eucharistie, la mention d’un cru français en remplacement d’un cru italien peut à nouveau inviter plaisamment à prendre conscience de l’importance de transposer l’univers latin dans le monde national contemporain.

  • 50 Trigabus commente la métamorphose rapide de Mercure de jeune homme en vieillard en demandant à celu (...)

21Le préfacier note par ailleurs qu’il a « adjout[é] à Proteus, maistre Gonin » pour faciliter la compréhension de ce que le personnage d’un des dialogues veut dire quand il qualifie ainsi Mercure50. La caractérisation métaphorique adjoint à un nom de dieu romain une antonomase créée à partir de Gonin, nom d’un illusionniste de l’époque connu pour ses déguisements et ses tours de passe-passe surprenants. Plutôt qu’une désacralisation de Mercure c’est encore la notion d’actualisation qui émerge ici.

  • 51 Ibid., p. 29-30. Le premier couplet, chanté en entier, imite en le déformant le début de la chanson (...)

22Le prétendu Thomas du Clevier affirme enfin qu’il a remplacé « certains vers lyriques d’amourettes » chantés par Cupidon par des « chansons de nostre temps » pour leur conserver de la « grace ». Si l’on se reporte au dialogue III, comme il invite à le faire, on constate que la chanson entonnée par le dieu, donnée par extraits, est de registre grivois51. Le thème de la jeune fille facile à débaucher rappelle sur le mode comique la nécessité de mobiliser des références au goût de l’auditoire ou du lectorat.

23Quoique l’interprétation de certains détails reste délicate, l’épître formule donc facétieusement le principe linguistique du refus du « mot à mot » et la nécessité de produire une langue littéraire conforme au parler et au savoir des destinataires.

Une illustration par le style de l’épître

  • 52 Voir un passage des œuvres de saint Augustin cité par Claude La Charité dans « Inter pastorem et im (...)
  • 53 Claude La Charité (ibid., p. 493-494) rappelle que, dans la préface de son édition du Nouveau Testa (...)
  • 54 Véronique Zaercher affirme dans « Voix et énonciation… », art. cit., que l’auteur du Cymbalum mundi(...)

24De quel type de style les choix de traduction font-ils implicitement la promotion ? Difficile à dire, tant l’énoncé des règles linguistiques reste allusif. Mais à considérer la conduite de la prose dans l’épître, le paratexte liminaire du Cymbalum mundi défend probablement une sorte d’éloquence naturelle, reposant sur le respect de la clarté et de la simplicité lexicales et syntaxiques. L’auteur rejoint peut-être à ce niveau les préceptes de saint Augustin concernant le langage du prédicateur : adaptation aux connaissances rudimentaires des simples fidèles et effacement du discours devant la vérité spirituelle52. Il peut le faire via Érasme même, qui donne certes Cicéron pour modèle rhétorique dans le Ciceronianus et fait la promotion de la copia dans divers traités, mais sait à l’occasion vanter les mérites du dépouillement stylistique53. Il soutient peut-être aussi les critiques de Dolet à l’encontre de l’abondance des mots et des idées vantée à de nombreuses reprises par Érasme54. Toujours est-il que le sermo mis en œuvre dans la dédicace est facétieux. Sa « grace » particulière lui vient du fait que le locuteur, à la différence du prêcheur, n’adhère pas totalement aux idées qu’il avance. La falsification ironique du vrai et l’usage à valeur hypocoristique du déterminant possessif de première personne noz ou d’une expression métonymique dans la formule d’adieu de la lettre font apparaître la figure d’un je tout-puissant : Thomas du Clevier qualifie de façon affective les protagonistes et le dédicataire en pointant gentiment leurs faiblesses (« noz bons gallandz », « ton petit cueur »). Le bonimenteur masqué a quelque chose de la persona qui prend en charge la narration des deux premiers romans de Rabelais, publiés quelques années plus tôt, à ceci près qu’il n’invite pas explicitement le lecteur à une interprétation allégorique en lui laissant la responsabilité du résultat. Ici aussi, le discours paraît crypté, à la fois sérieux et comique, et le paratexte liminaire semble être l’occasion d’une initiation herméneutique. Mais par comparaison avec le « Prologue de l’Auteur » de Gargantua, la dédicace du Cymbalum mundi se singularise par la brièveté et la simplicité du propos : Des Périers semble tenir à mêler la légèreté et l’humour à l’exigence de naturel.

  • 55 Sur la volonté des valets de Marguerite de Navarre de faire émerger le genre dans les années 1530, (...)
  • 56 Peut-être les qualificatifs cryptés appliqués à Thomas et Pierre et le choix même de ces prénoms en (...)
  • 57 Voir Nicolas Le Cadet, L’Évangélisme fictionnel…, op. cit., p. 238-239.

25Le ton amusé et la familiarité du parler trouvent un correspondant dans le genre l’œuvre. Si l’expression « petit traicté » identifiant l’original antique est de sens hyperonymique, la fiction est caractérisée plus finement par le sous-titre, repris dans la dédicace : « quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, joyeux, et facetieux ». Outre la mise en vedette du mot Dialogues, les épithètes renvoyant au comique font écho à une forme particulière de « colloque », pour reprendre le terme d’Érasme : le dialogue lucianique55. Le locuteur signale à deux reprises le fait qu’il donne la parole à des personnages (« j’ay mis ceulx là dont noz bons gallandz usent », « voulant… translater et interpreter l’affection de celuy qui parle »). Il établit une distance entre eux et lui : il leur donne un nom (« Cupido »), explique les traits qu’on leur prête (« maistre Gonin ») et cite leurs paroles ; il se définit pour sa part par un prénom (« Thomas ») et un patronyme qui, fonctionnant comme une épithète de nature, lui donne un ethos propre (« du Clevier », c’est-à-dire « l’Incrédule »)56. Mais le pointage de la polyphonie n’invalide pas la visée mimétique du genre. L’insistance sur le langage tenu par les personnages vient contrer le sens de l’adjectif « Poetiques », caractérisant « Dialogues » en première page de l’édition et renvoyant à la fable, voire à la mythologie antique57. Le choix de la forme dialoguée et la mise en évidence du caractère « facetieux » de celle-ci prolongent ainsi la promotion par l’exemple d’un style vif et hardi.

Le titre de l’œuvre

26Répété dès le début de l’épître, le titre de la prétendue œuvre originale (« Cymbalum mundi », littéralement « la cymbale du monde ») est d’autant plus déroutant qu’il fait entorse au principe de traduction et d’adaptation culturelle énoncé ensuite par le locuteur. Le lecteur érudit peut reconnaître alternativement ou conjointement dans l’image musicale une allusion à Pline et à saint Paul.

27Comme le rappelle Érasme dans les Adagia, Pline commente l’origine du syntagme dans la préface de l’Histoire naturelle, adressée à Vespasien. Il indique que l’appellation est un surnom donné pour la première fois au grammairien Apion par Tibère pour vanter la capacité des orateurs à donner la célébrité à ceux dont ils font l’éloge :

Pline l’Ancien, dans sa préface adressée à l’empereur Vespasien, rapporte que l’empereur Tibère avait coutume d’appeler le grammairien Apion « cymbale du monde » – en raison, je pense, de la célébrité de son nom –, encore, dit-il, qu’il eût plutôt mérité d’être appelé « tambour de la rumeur publique ». Cet Apion prétendant conférer l’immortalité à ceux à qui il dédiait un ouvrage, à quoi Tibère faisait allusion en l’appelant « cymbale du monde », gratifiant son dédicataire d’une honorable renommée, propre à faire entendre dans le monde entier ses aimables accents.

  • 58 Érasme, Adages, « Cymbalum Mundi / Cymbale du monde », éd. et trad. sous dir. J.-C. Saladin, 5 t., (...)

En revanche, Pline préfère l’appeler, en raison de son arrogance, « tambour de la rumeur publique », donnant de la renommée plus qu’une bonne renommée. Car le tambour aussi résonne, mais d’un vacarme déplaisant, outre une allusion probable au fait que les tambours sont fabriqués avec une peau d’âne58.

Dans l’adage intitulé « Cymbalum mundi », Érasme soutient la critique par Pline de la parole flatteuse fondée sur le mensonge qu’il oppose à la sagesse du philosophe, qui dénonce les beaux parleurs acclamés par les grands. Le syntagme qui constitue le titre des dialogues a ainsi une implication linguistique et morale : la métaphore de la parole, positive pour l’empereur, négative pour Pline, invite à démasquer les orateurs stridents mais vides et à agir selon la raison. Des Périers rejoint du coup, via les Adagia cette fois, la polémique contre le déploiement vide des mots, donc contre les excès de la copia.

  • 59 1 Cor. 13, 1 : « mais si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain qui résonne, ou une cymbal (...)
  • 60 Et non le silence, comme le soutient en particulier Yves Delègue dans l’introduction de son édition (...)

28Saint Paul, le second auteur antique à utiliser de façon imagée le substantif cymbalum, établit un rapprochement entre le tintamarre du monde et l’amour du prochain. Dans l’Épître aux Corinthiens, il présente l’absence de caritas chez le croyant comme le fait de résonner dans le vide : « Si charitatem autem non habeam, factus sum velut æs sonnans aut cymbalum tinniens59. ». L’attaque contre le babil inutile apparaît comme une critique, non plus du charlatanisme et du refus de suivre la raison, mais de l’oubli du principal enseignement du Christ. L’interprétation paulienne confirme l’invitation à la méfiance vis-à-vis des mots et lui donne implicitement pour pendant la défense de la principale des vertus théologales : la charité serait bien le contraire du cymbalum mondain60. Par ce titre, le pseudo-traducteur suggérerait au croyant l’existence d’un antidote à la résonance vide des hommes, stigmatisée dans les dialogues par des personnages incarnant sous différentes formes la volonté de domination.

  • 61 Pour la citation des Apophthegmata, voir Michèle Clément, Le Cynisme à la Renaissance, op. cit., p. (...)
  • 62 Dans l’interprétation qu’en fait l’auteur du Cymbalum mundi, évangélisme et cynisme se rejoignent d (...)

29Le sens spirituel du syntagme n’est cependant pas incompatible avec son acception philosophico-morale dans la mesure où les humanistes superposent les implications négatives du thème de la parole dans la pensée païenne et dans la doctrine chrétienne. Dans ses Apophthegmata, Érasme rapproche ainsi du précepte de saint Paul un aphorisme de Diogène le Cynique comparant à des cithares les hommes qui prêchent la vertu mais ne vivent pas selon celle-ci61. Par le choix d’un titre sibyllin à coloration évangélique et cynique à la fois, l’auteur du Cymbalum met donc en garde contre un monde sans amour chrétien62. L’attention portée par le locuteur de l’épître à l’« affection » des personnages plutôt qu’à leurs « parolles » peut d’ailleurs renvoyer à l’idée d’une foi intériorisée. Le maintien à l’identique de l’intitulé d’une œuvre prétendument écrite en latin a ainsi vocation à stigmatiser le bavardage tout en préparant le lecteur, à la manière d’une propédeutique, au fonctionnement paradoxal des dialogues.

30Facétieuse, la dédicace du Cymbalum mundi l’est dès lors à plusieurs titres. Un individu sans correspondant réel vante les qualités d’une pseudo-traduction pour valoriser la composition en langue vulgaire. Un discours mensonger construit laconiquement mais fermement une réflexion linguistique, philosophique et théologique alors sans précédent. Par un ton apparemment désinvolte qui garantit l’innocuité du propos, le locuteur fait se confronter des positions antagonistes en évitant de mobiliser le registre polémique : l’auteur emprunte à Érasme des idées que celui-ci reprend éventuellement lui-même à Pline et à saint Augustin en même temps qu’il souscrit aux idées réformatrices de Dolet sur la nécessité d’écrire en français et sur la manière de traduire. Le seuil du livre dépasse plus largement l’apparente contradiction qu’il instaure entre la mise en avant de la langue nationale dans l’épître et la critique des beaux parleurs dans les dialogues : le titre de l’œuvre prévient déjà de la nécessité de se défier des excès du maniement du langage. La facétie s’avère ainsi bien la pierre de touche de la défense précoce du français qui est ici élaborée.

Texte : Cymbalum mundi, Bonaventure Des Périers (?)

Principes d’édition

Texte de référence

31Cymbalum mundi en françoys, Contenant quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, joyeux, et facetieux, Paris, [Louis Blaubloom] pour Jean Morin, 1537. Seul exemplaire connu : Versailles, Bibliothèque municipale [Goujet in-12 241].

Principes de transcription

32La ponctuation et l’orthographe ont été respectées, avec les adaptations d’usage suivantes : dissimilation du i et du j, du u et du ; transcription du s long par un s court ; développement des abréviations et de l’éperluette (& et variantes) ; introduction de l’apostrophe et désagglutination selon l’usage moderne ; distinction des homonymes a / à, la / là ou / où, des / dès ; accentuation des finales -é, -és, -ée, -ées ou -ès (ès, dès, après), l’accentuation n’étant pas introduite en début ou milieu de mot ; respect de l’usage des majuscules, y compris après ponctuation moyenne.

Lien vers une édition numérisée

33Lien vers un fac-similé de l’édition de référence :

http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/​ark:/12148/​bpt6k731650/​f22.image

34Lien vers la numérisation de la deuxième édition (Lyon, Benoît Bonyn, 1538) :

http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/​ark:/12148/​bpt6k70124p

Thomas du Clevier à son amy Pierre Tryocan S.

35Il y a huyct ans ou environ, cher amy, que je te promis de te rendre en langaige françoys le petit traicté que je te monstray, intitulé Cymbalum mundi, contenant quatre dialogues poetiques, lequel j’avoys trouvé en une vieille Librairie d’ung Monastere qui est auprès de la cité de dabas. de laquelle promesse j’ay tant faict par mes journées, que je m’en suis acquité au moins mal que j’ay peu. Que si je ne te l’ay rendu de mot à mot selon le latin, tu doibs entendre que cela a esté faict tout exprès, affin de suyvre le plus qu’il me seroit possible, les façons de parler qui sont en nostre langue Françoise : laquelle chose cognoistras facilement aux formes de juremens qui y sont, quand pour Me Hercule, Per Jovem, Dispeream, Ædepol, Per Styga, Proh Jupiter, et aultres semblables, j’ay mis ceulx là dont noz bons gallandz usent, assçavoir : Morbieu, Sambieu, Je puisse mourir. comme voulant plus tost translater et interpreter l’affection de celuy qui parle, que ces propres parolles. Semblablement, pour vin de Phalerne, j’ay mis vin de Beaulne : à icelle fin qu’il te fust plus familier et intelligible. J’ay aussi voulu adjouster à Proteus, maistre Gonin, pour myeulx te declairer que c’est que Proteus. Quant aux chansons que Cupido chante au troysiesme dialogue, il y avoit au texte certains vers lyriques d’amourettes, au lieu desquelz j’ay mieulx aymé mettre des chansons de nostre temps, voyant qu’elles serviront autant à propos, que lesdictz vers lyriques, lesquelz (selon mon jugement) si je les eusse translatez, n’eussent point eu tant de grace. Or je te l’envoye tel qu’il est, mais c’est soubz condition que tu te garderas d’en bailler aulcune copie, à celle fin que de main en main il ne vienne à tomber en celles de ceulx qui se meslent du faict de l’imprimerie, lequel art (où il souloit apporter jadis plusieurs commoditez aux lettres) par ce qu’il est maintenant trop commun, faict que ce qui est imprimé, n’a point tant de grace, et est moins estimé, que s’il demouroit encore en sa simple escripture, si ce n’estoit que l’impression fust nette, et bien correcte. Je t’envoiray plusieurs autres bonnes choses, si je cognoy que tu n’ayes point trouvé cecy maulvais. Et à Dieu mon cher amy, auquel je prie qu’il te tienne en sa grace, et te doint ce que ton petit cueur desire.

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Bibliographie

Bibliographie de corpus

Éditions anciennes

[Des Périers, Bonaventure ?], Cymbalum mundi, Paris, [Louis Blaubloom] pour Jean Morin, 1537.

[Des Périers, Bonaventure ?], Cymbalum mundi, Lyon, Benoît Bonyn, 1538.

[Des Périers, Bonaventure ?], Cymbalum mundi, Amsterdam, Prosper Marchand, 1711 (rééditions augmentées en 1732 et 1753).

Éditions modernes

[Des Périers, Bonaventure ?], Cymbalum mundi, éd. de Peter Hampshire Nurse et Michael A. Screech, Genève, Droz, 1983 [1re éd. de Peter Hampshire Nurse 1958].

[Des Périers, Bonaventure ?], Cymbalum mundi, éd. d’Yves Delègue, Paris, Champion, 1995.

[Des Périers, Bonaventure ?], Cymbalum mundi, éd. de Max Gauna, Paris, Champion, 2000.

[Des Périers, Bonaventure ?], Cymbalum mundi, éd. et adaptation en français moderne de Laurent Calvié, Toulouse, Anacharsis, 2002.

Bibliographie sélective des études critiques

Cartier, Alfred, « Le libraire Jean Morin et le Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers devant le Parlement de Paris et la Sorbonne », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme français, n° 38, 1889, p. 575-588.

Clément, Michèle, Le Cynisme à la Renaissance, Genève, Droz, 2005, ch. 5 « Cynisme de Bonaventure Des Périers », p. 105-122.

Febvre, Lucien, Origène et Des Périers, Paris, Droz, 1942.

Febvre, Lucien, Le Problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 2003 [1re éd. en 1942].

Giacone, Franco, « D’un livre à l’autre : échos bibliques et théologiques dans le Cymbalum mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 140-141.

Huchon, Mireille, « Dialogue poétique et littérature mercurienne », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 187-200.

La Charité, Claude, « Inter pastorem et impostorem : l’augustinisme rhétorique et le Cymbalum Mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 489-500.

Le Cadet, Nicolas, L’Évangélisme fictionnel. Les Livres rabelaisiens, le Cymbalum Mundi, L’Heptaméron (1532-1552), Paris, Classiques Garnier, 2011.

Lefranc, Abel, « Rabelais et les Estienne. Le procès du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers », Revue du seizième siècle, n° 15, 1928, p. 356-366.

Mothu, Alain, « Les visages du Christ dans le Cymbalum mundi », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 75/3, 2013, p. 460-461.

Peach, Trevor, « Notes sur l'exemplaire unique de la première édition du Cymbalum Mundi », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, n° 54, 1992, p. 715-723.

Roudaut, François, « La réception du Cymbalum Mundi : 1538-1824 », in Le Cymbalum mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 77-102.

Saulnier, Verdun-Léon, « Saint Paul et Bonaventure des Périers », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 15, 1953, p. 209-212.

Screech, Michael Andrew, « The Meaning of the Title Cymbalum Mundi », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 31, 1969, p. 343-345.

Smith, Malcolm, « A Sixteenth-Century Anti-Theist (On the Cymbalum Mundi) », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 53, 1991, p. 593-618.

Tournon, André, « Exégèse par énigmes : l’épître liminaire du Cymbalum Mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 399-409.

Tran Quoc, Trung et Clavel, Christophe, « Euge sophos : lecture syncrétique de la devise et de l’image », in Le Cymbalum mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 568-591.

Zaercher, Véronique, « Voix et énonciation dans le Cymbalum Mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 385-398.

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Notes

1 Sur les discussions au sujet de l’identité de l’auteur, voir les deux préfaces (respectivement de Peter Hampshire Nurse et Michael A. Screech) de l’édition moderne suivante : Cymbalum mundi, Genève, Droz, 1983 ; et l’article de Malcolm Smith, « A Sixteenth-Century Anti-Theist (On the Cymbalum Mundi) », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 53, 1991, p. 593-618. Les références au texte du Cymbalum seront données dans cette édition.

2 Première édition : Cymbalum mundi en françoys, Contenant quatre Dialogues Poetiques, fort antiques, joyeux, et facetieux, Paris, [Louis Blaubloom pour] Jean Morin, 1537, in-8°. Seconde édition au titre identique : Lyon, Benoît Bonyn, 1538, in-8°.

3 Ce nom de ville ne permet guère de mieux entrevoir le contexte de la genèse du Cymbalum. La ville de Dabas n’existe pas, à la différence par exemple de Constantinople, où Des Essarts prétend dans le « Prologue du translateur » du livre I d’Amadis de Gaule, paru en 1540, avoir trouvé un original picard du texte espagnol qu’il a traduit. Quelques hypothèses d’interprétation du nom propre ont été formulées sans jamais s’imposer totalement. En s’appuyant sur la table des mots hébreux de la Bible d’Olivétan et notamment sur le mot Dabaseth glosé par « rendant miel », Franco Giacone a notamment proposé d’y voir « une ville utopique, une ville riche de miel où règnent abondance et fertilité » (« D’un livre à l’autre : échos bibliques et théologiques dans le Cymbalum mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome (3-6 novembre 2000), dir. Franco Giacone, Genève, Droz, 2003, p. 140-141). En tout état de cause, le nom propre évoque par sa consonance l’Orient des aventures.

4 Voir le texte complet dans Gabrielle Berthoud, « Lettres de réformés saisies à Lyon en 1538 », Revue de théologie et de philosophie, n° 24, 1936, p. 154-178.

5 « Dont pour la plus part du temps nostre loyal frere et bon amy Eutychus Deperius a adressé les sommaires » (« Apologie du translateur » insérée au début de la Bible d’Olivétan, Neufchâtel, Pierre de Vingle, 1535, f. *5 v°).

6 Alcorani seu legis Mahometi et evangelistarum concordiae Liber, Paris, Pierre Gromors, 1543, p. 72.

7 Cymbalum mundi, op. cit., préface, p. 10.

8 Cité d’après la préface du Cymbalum mundi, op. cit., p. VIII.

9 Pour Lucien Febvre, il s’agit de Michel Servet qui signait du nom de Villanovanus en raison de sa ville d’origine, Villanueva de Sijena (Le Problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 2003 [1re éd. en 1942], p. 106-107). Pour Michael Screech, ce pourrait être plutôt Simon de Neufville, le maître de Dolet, mort pourtant sept ans avant la publication du Cymbalum mundi (Cymbalum mundi, op. cit., p. 14).

10 Il le nomme « Ioannes Eutychus Deperius Heduus », « Jean Bonaventure Des Périers, bourguignon » (t. II, col. 535).

11 Paris, [Louis Blaubloom pour] Jean Morin, 1537, f. D2 r°.

12 Voir le texte cité par Yves Delègue dans son édition du Cymbalum mundi, Paris, Champion, 1995, p. 114.

13 Dans son édition, op. cit., p. XXIII-XXXIII Peter Hampshire Nurse consacre une dizaine de pages à de tels rapprochements.

14 Voir la démonstration de Michael Screech dans la préface de l’édition de Peter Hampshire Nurse, op. cit., p. 11-14. Max Engammare y a répondu dans un compte rendu de l’édition procurée par Yves Delègue, paru dans Bibliothèque d’humanisme et Renaissance, n° 57/3, 1995, p. 795, n. 9.

15 Voir notamment Alfred Cartier, « Le libraire Jean Morin et le Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers devant le Parlement de Paris et la Sorbonne », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme français, n° 38, 1889, p. 575-588, et Abel Lefranc, « Rabelais et les Estienne. Le procès du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers », Revue du seizième siècle, n° 15, 1928, p. 356-366.

16 Pour l’analyse détaillée de la marque du libraire de l’édition princeps, voir Trung Tran Quoc et Christophe Clavel, « Euge sophos : lecture syncrétique de la devise et de l’image », in Le Cymbalum mundi, Actes du colloque de Rome, op. cit., p. 568-591.

17 Voir l’Inventaire chronologique des éditions parisiennes du xvie siècle, d’après les manuscrits de Philippe Renouard, Paris, Imprimerie municipale, Service des travaux historiques de la ville de Paris, 1972-2004, t. 5, n° 538 et 916.

18 Le Manuel d’Epictete, Paris, Jean Morin, 1539, Munich, BSB [Rar. 812], f. H4 r° (privilège).

19 Voir Guillaume Berthon, L’Intention du Poète. Clément Marot « autheur », Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 69-71 et 74-75 (sur le service auprès de Marguerite) et p. 87 (sur la présence du poète auprès du couple de Navarre fin 1537).

20 Cymbalum mundi, op. cit., p. 26-27 : « Memoire à Mercure de dire aux poetes, de par Minerve, qu’ilz se deportent de plus escrire l’ung contre l’autre, ou elle les desadvouera, car elle n’en ayme ny appreuve aucunement la façon, et qu’ilz ne s’amusent point tant à la vaine parolle de mensonge, qu’ilz ne prennent garde à l’utile silence de verité ; et que, s’ilz veulent escrire d’amour, que ce soit le plus honestement, chastement et divinement qu’il leur sera possible, et à l’exemple d’elle. ».

21 Voir l’article ancien d’Abel Lefranc (« Rabelais et les Estienne. Le procès du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers », art. cité) ou les présentations plus modernes des différents éditeurs du texte, par exemple la préface de Michael Screech dans Cymbalum mundi, op. cit., p. 4-9.

22 « Il fut conclu que, bien que ce livre ne contînt pas d’erreurs évidentes en matière de foi, il devait pourtant être supprimé parce qu’il était pernicieux. ».

23 Voir Francis Higman, Censorship and the Sorbonne. A Bibliographical Study of Books in French censured by the Faculty of Theology of the University of Paris, 1520-1551, Genève, Droz, 1979, p. 32-35.

24 Ibid., p. 31-32.

25 C’est notamment l’avis de Michael Screech, qui défend l’idée que le Cymbalum mundi est un livre relativement orthodoxe qui raille les évangéliques de toute obédience, dont la parole bruissante alimente le « tintamarre du monde » (Cymbalum mundi, op. cit., p. 3-4).

26 C’était jadis l’avis d’Abel Lefranc : « S’il ne parut pas contenir d’hérésies particulières, au sens strict du mot, il n’en fut pas moins jugé comme dangereux pour l’esprit général de dénigrement qui l’avait inspiré. Il n’y a pas d’hérésies non plus dans Candide. En effet, le Cymbalum mundi mettait en cause les fondements mêmes du christianisme et l’existence du principe religieux » (« Rabelais et les Estienne », art. cit., p. 362-363). C’est aussi aujourd’hui l’avis d’Alain Mothu, par exemple : « Les censeurs de la Sorbonne n’étaient pas des ânes et ils ont parfaitement compris […] que ce qui était insidieusement visé dans ces dialogues habilement dépourvus d’"erreurs franches contre la foi" mais "pernicieux" à souhait et donc "à supprimer", c’était le christianisme à travers la personne de son fondateur » (« Les visages du Christ dans le Cymbalum mundi », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 75/3, 2013, p. 460-461).

27 Pour une synthèse des diverses lectures du Cymbalum mundi jusqu’en 1824, voir François Roudaut, « La réception du Cymbalum Mundi : 1538-1824 », in Le Cymbalum mundi, Actes du colloque de Rome, op. cit., p. 77-102. Pour une synthèse des grands courants modernes d’interprétation du texte, voir les très nombreuses écoles et sous-écoles critiques distinguées par Nicolas Le Cadet dans L’Évangélisme fictionnel. Les Livres rabelaisiens, le Cymbalum Mundi, L’Heptaméron (1532-1552), Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 106-125.

28 C’est l’une des thèses les plus anciennes concernant le sens du texte, notamment développée et abondamment étayée par Lucien Febvre dans Origène et Des Périers, Paris, Droz, 1942 et Le problème de l’incroyance au xvie siècle, op. cit.

29 Nicolas Le Cadet, L’Évangélisme fictionnel…, op. cit., p. 338-339.

30 Ibid., p. 340-347.

31 Cymbalum mundi, op. cit., p. 8-9.

32 Ibid. p. 10-11.

33 Ibid., p. 18-19.

34 Aucun avis d’éditeur ne vient expliquer au lecteur comment le texte manuscrit soi-disant donné à titre confidentiel à une seule personne a pu être imprimé, ce qui discrédite l’histoire de la transmission du texte et raille peut-être l’attachement au manuscrit, autrement dit la défiance envers l’imprimé, des humanistes.

35 Le raisonnement qui suit est celui d’André Tournon, « Exégèse par énigmes : l’épître liminaire du Cymbalum Mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome, op. cit., p. 408-409.

36 Cymbalum mundi, op. cit., p. 33.

37 Les deux bibliographes mentionnent le Cymbalum comme une traduction. Voir François Roudaut, « La réception du Cymbalum Mundi : 1538-1824 », art. cit., p. 86-87. Plus récemment, Anthony Caswell a approfondi l’hypothèse d’une version latine primitive du Cymbalum qui aurait pu être composée par Ortensio Lando : « Le Paradoxe contre les lettres est-il un autre pamphlet de Thomas ? », Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome, op. cit., p. 533-564.

38 Le De imitatione est une réponse au Ciceronianus, où Érasme défend la prose cicéronienne. Comme le rappelle Véronique Zaercher dans « Voix et énonciation dans le Cymbalum Mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome, op. cit., p. 385-398 et ici p. 387-388, Dolet s’y attaque directement au linguiste de Rotterdam.

39 Voir Michel Magnien, « Le Recueil de vers latins, et vulgaires de plusieurs Poëtes Françoys : Étienne Dolet promoteur d’une poésie docte », in La Poésie à la cour de François Ier, dir. Jean.-Eudes Girot, Paris, PUPS, « Cahiers Saulnier », 2012, p. 215-237, et Élise Rajchenbach-Teller, « L’humaniste et l’imprimeur. Les relations d’Étienne Dolet et de François Juste (1536-1539) », in Étienne Dolet. 1509-2009, dir. Michèle Clément, Genève, Droz, 2012, p. 309-323.

40 Voir l’épître « Au peuple Françoys » de La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, Lyon, Étienne Dolet, 1540, p. 7-8.

41 Dans le sillage de Dolet, qui a choisi d’encourager la poésie en français et en latin en 1536, mais avec un autre programme linguistique et littéraire que lui. Voir Michèle Clément, « Un geste poétique et éditorial en 1536 : le Recueil de vers latins, et vulgaires de plusieurs Poëtes Françoys, composés sur le trespas de feu Monsieur le Daulphin », Réforme, Humanisme, Renaissance, n° 62, 2006, p. 31-43.

42 Voir Glyn Peter Norton, The Ideology and Language of Translation in Renaissance France and their Humanist Antecedents, Genève, Droz, 1984, p. 103-104 et p. 203-217.

43 La Maniere de bien traduire…, op. cit., p. 13 : « en traduisant il ne se fault pas asservir jusques à là, que l’on rende mot pour mot ».

44 Ibid., p. 12. À moins qu’il ne s’agisse plus précisément du recours à un lexique courant, connu de tous, qui fait l’objet de la quatrième règle (p. 14). Il est délicat de voir d’autres points communs évidents entre l’épître et les idées de Dolet, malgré la tentative de Véronique Zaercher dans « Voix et énonciation… », art. cit., p. 388-389.

45 La Maniere de bien traduire…, op. cit., p. 13.

46 Ibid., p. 14.

47 Voir Claude La Charité dans « Inter pastorem et impostorem : l’augustinisme rhétorique et le Cymbalum Mundi », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome, op. cit., p. 489-500 et ici p. 491-492 : le Ciceronianus fustige les Cicéroniens fanatiques qui n’hésitent à pas à remplacer les noms du Christ et de Dieu par Apollon et Jupiter.

48 André Tournon (« Exégèse par énigmes : l’épître liminaire du Cymbalum Mundi », art. cit., p. 400-404) décèle dans le choix de morbieu pour mort-Dieu et sambieu pour sang-Dieu des « intentions profanatrices ». Le traducteur aurait dû traduire plus simplement « Per Jovem » par Par Dieu, qui apparaît d’ailleurs dans les dialogues. S’il est vrai que le choix d’évitement du nom de Dieu est surprenant, les termes morbleu et sambieu n’interviennent pas seulement à propos de la perte du Livre des destinée dans les dialogues. Voir aussi les objections de Claude La Charité dans « Inter pastorem et impostorem… », art. cit., p. 491 ; et la lecture de Nicolas Le Cadet dans L’Évangélisme fictionnel…, op. cit., p. 369-373.

49 Curtalius et Byrphanes reprochent à Mercure de préférer au « nectar de Jupiter » le vin de l’auberge où ils se trouvent et l’accusent de « blasphem[e] » (Cymbalum mundi, op. cit., p. 8-9).

50 Trigabus commente la métamorphose rapide de Mercure de jeune homme en vieillard en demandant à celui-ci : « Quel Proteus ou maistre Gonin tu es ? » (ibid., p. 15).

51 Ibid., p. 29-30. Le premier couplet, chanté en entier, imite en le déformant le début de la chanson 36 de l’Adolescence clementine intitulée « Pour la Brune ».

52 Voir un passage des œuvres de saint Augustin cité par Claude La Charité dans « Inter pastorem et impostorem… », art. cit., p. 493-494.

53 Claude La Charité (ibid., p. 493-494) rappelle que, dans la préface de son édition du Nouveau Testament, Érasme rejette le modèle cicéronien et appelle de ses vœux une éloquence efficace et modérément fleurie. Le passage cité, qui rejoint l’idée de saint Augustin d’une prédication qui ne cherche pas les subtilités de la parole, prend pour image de la force oratoire les capacités de métamorphose de Mercure. On peut toutefois objecter à l’idée d’« augustinisme rhétorique » pour le Cymbalum mundi que Mercure est le premier exemple de menteur apparaissant dans les dialogues.

54 Véronique Zaercher affirme dans « Voix et énonciation… », art. cit., que l’auteur du Cymbalum mundi suit la voie de Dolet, qui voit dans le linguiste de Rotterdam une personnification du thème de la parole abondante et vide, en s’attaquant à son tour à Érasme. Si l’analyse est convaincante sur plusieurs points, on doit nuancer l’idée de l’anti-érasmisme rhétorique de l’œuvre. Le rejet de l’éloquence copieuse est évident dans les dialogues ; mais c’est un topos à la Renaissance.

55 Sur la volonté des valets de Marguerite de Navarre de faire émerger le genre dans les années 1530, voir Mireille Huchon, « Dialogue poétique et littérature mercurienne », in Le Cymbalum Mundi, Actes du colloque de Rome, op. cit., p. 187-200. La critique rappelle que Lucien définit la forme comme une combinaison du dialogue philosophique et de la comédie dans son traité À celui qui a dit : « Tu es un Prométhée en discours » (p. 188).

56 Peut-être les qualificatifs cryptés appliqués à Thomas et Pierre et le choix même de ces prénoms entrent-ils en résonance avec les consignes données par Érasme dans l’Ecclesiastes sur le respect de l’ethos des personnages que le prédicateur peut mettre en scène dans ses récits. Comme le remarque Claude La Charité dans « Inter pastorem et impostorem… », art. cit., p. 492, Érasme donne les apôtres du Christ pour modèles du decorum peculiare, c’est-à-dire d’une forme d’individualité : Thomas serait plus incrédule et Pierre plus croyant.

57 Voir Nicolas Le Cadet, L’Évangélisme fictionnel…, op. cit., p. 238-239.

58 Érasme, Adages, « Cymbalum Mundi / Cymbale du monde », éd. et trad. sous dir. J.-C. Saladin, 5 t., Paris, Belles lettres, 2011, t. IV, X, 82, n° 3982, p. 433-434. Dans « The Meaning of the Title Cymbalum Mundi », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 31, 1969, p. 343-345, Michael  Screech signale l’emprunt possible de l’intitulé des dialogues à Pline par l’intermédiaire d’Érasme.

59 1 Cor. 13, 1 : « mais si je n’ai pas la charité, je suis comme un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit ». Dans Le Cynisme à la Renaissance, Genève, Droz, 2005, p. 105-122 et ici p. 108-109, M. Clément pointe le fait que pour un annotateur de la Bible comme Des Périers le terme cymbalum est d’abord un emprunt à saint Paul.

60 Et non le silence, comme le soutient en particulier Yves Delègue dans l’introduction de son édition du Cymbalum mundi, Paris, Champion, 1995, p. 38-39, et même l’introduction de Peter Hampshire Nurse à son édition, op. cit., p. xiv-xv. Sur l’influence de la notion de charité sur l’œuvre, voir Verdun-Léon Saulnier, « Saint Paul et Bonaventure des Périers », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, n° 15, 1953, p. 209-212.

61 Pour la citation des Apophthegmata, voir Michèle Clément, Le Cynisme à la Renaissance, op. cit., p. 109.

62 Dans l’interprétation qu’en fait l’auteur du Cymbalum mundi, évangélisme et cynisme se rejoignent dans une dénonciation de l’oubli de la vertu et dans le recours à une méthode qui consiste à mordre pour enseigner, que Nicolas Le Cadet présente comme une « pédagogie du contre-exemple » (L’Évangélisme fictionnel…, op. cit., p. 337). Il s’agit de mettre en avant l’oubli de la charité chez les uns et la crédulité superstitieuse chez les autres pour vivifier a contrario la foi du croyant.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Berthon et Pascale Mounier, « La dédicace du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Périers (?) (1537). Une défense facétieuse du français. »Corpus Eve [En ligne], Éditions ou études sur le vernaculaire, mis en ligne le 03 septembre 2015, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eve/1181 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/eve.1181

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Auteurs

Guillaume Berthon

Maître de conférences à l’Université de Toulon, Laboratoire Babel (EA 2649), berthon@univ-tln.fr

Pascale Mounier

Maître de conférences à l’Université de Caen, EA 4256 LASLAR, pascale.mounier@unicaen.fr

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