1Il ne se passe pas un jour sans que la presse fasse état de projets de transformation de l’environnement urbain qui soulèvent débats, controverses et conflits. Par exemple, une étude récente (Trudelle et al., 2006) a relevé dans le principal quotidien de Québec plus de 6 500 articles se rapportant à 2 090 conflits qui se sont déroulés dans cette agglomération entre 1965 et 2000. Un nombre grandissant de chercheurs consacrent de plus en plus d’attention aux conflits urbains, car ceux-ci sont capables d’éclairer singulièrement l’évolution des rapports entre les sociétés urbaines et leur milieu de vie. Cette note de recherche aborde premièrement quelques questions de base en ce qui concerne les conflits urbains : qu’est ce qu’un conflit urbain? Quels rôles les conflits jouent-ils dans les transformations des milieux de vie? Comment ces conflits en sont-ils venus à occuper le devant de la scène au cours des dernières décennies? Elle illustre ensuite une approche analytique susceptible de compléter les études de cas qui constituent la démarche habituelle dans la recherche sur les conflits.
2De façon générale, la notion de conflit évoque une lutte faisant appel à des actions pouvant aller du débat policé à la confrontation violente, une lutte entre protagonistes conscients de l’incompatibilité de leurs positions respectives au sujet d’enjeux qui mettent en cause des intérêts et des valeurs. Si ces enjeux engagent l’environnement urbain, on parlera alors de conflits urbains. Certains conflits urbains peuvent porter sur des questions sociales, économiques ou culturelles et être influencés par le fait qu’ils se déroulent en milieu urbain. On les qualifie alors de « conflits dans la ville ». D’autres ont comme enjeu des transformations de l’environnement urbain en tant que cadre bâti. Il s’agit alors de « conflits au sujet de la ville ». Cette seconde catégorie comprend entre autres les « conflits de localisation » (Janelle, 1977).
3Les conflits urbains jouent un rôle majeur dans la constitution de la ville comme produit social (Castells, 1983). L’analyse politique de ces conflits et, plus largement, des mouvements sociaux urbains, enrichit considérablement notre compréhension des processus de transformation des villes. L’analyse économique des processus d’affectation des sols urbains voit dans les effets externes (par exemple, le phénomène « nimby ») la principale source de conflits en milieu urbain (Cox, 1973). Les effets externes, aussi appelés effets de débordement, expliquent sans doute une grande part de l’activité conflictuelle. Ils sont cependant définis par rapport au marché, plus précisément par rapport aux défaillances de celui-ci. Or, les relations marchandes occultent en partie les rapports de pouvoir qui dynamisent les processus de transformations de l’environnement urbain. Si, avec Michel Foucault, nous reconnaissons que le pouvoir ne se possède pas, mais qu’il s’exerce, nous disposons alors d’une fenêtre ouverte sur la complexité des villes, où les jeux ne sont jamais complètement faits (Raffestin, 1980). L’institution de la ville peut dès lors être vue comme un processus stochastique, dont les moments forts sont faits, entre autres, d’événements conflictuels se nouant autour d’enjeux urbains. Si ces événements s’ordonnent en séquences spatio-temporelles reliées par des valeurs partagées au sein de réseaux informels d’organisations et d’acteurs autonomes, alors des mouvements sociaux urbains se forment.
4Plusieurs auteurs voient l’environnement urbain comme un lieu de vie et de consommation collective qui se construit, entre autres, autour de conflits mettant en cause l’accès aux ressources urbaines, le désir d’autonomie locale, l’identité culturelle, ou encore la qualité même de l’environnement urbain (Ley et Mercer, 1980). La forte résonance des conflits urbains vient en partie du fait que ceux-ci trouvent souvent leurs racines dans l’attachement d’ordre affectif des citoyens aux lieux où ils vivent. Ces lieux ont d’abord valeur d’usage pour les citoyens, alors que pour les développeurs, ils ont d’abord valeur d’échange (Logan et Molotch, 1987).
5Les mouvements sociaux, qui émergent de la société civile, constituent sans doute des acteurs de premier plan au sein des conflits qui transforment les villes. Ils ne sont cependant pas les seuls. Deux autres grandes catégories d’acteurs peuvent être identifiées : les institutions étatiques et les diverses organisations constituant le secteur privé. D’une part, l’étude détaillée de quelques conflits urbains choisis a montré la complexité des jeux de pouvoir qui structurent les relations entre ces grandes catégories d’acteurs (Sénécal et Harou, 2005). D’autre part, l’étude systématique d’un grand nombre d’événements conflictuels, se succédant sur des périodes assez longues, jette un éclairage complémentaire important sur le rôle de l’action collective dans l’évolution sociale (Olzak, 1989). Par exemple, au cours de la recherche portant sur les quelque 2 090 conflits survenus entre 1965 et 2000 à Québec, les catégorisations apparaissant au tableau 1 ont graduellement émergé de l’analyse de contenu des articles de presse. Dans la plupart des conflits, il a été possible d’identifier, chez les instigateurs d’une part et chez les objecteurs d’autre part, des types d’acteurs, d’enjeux et d’actions. Ces types ont ensuite été regroupés en trois grandes catégories selon les logiques suivantes.
Tableau 1. Regroupement des types d’acteurs, d’enjeux et d’actions
Acteurs
|
Enjeux
|
Actions
|
Secteur public
|
Économiques
|
Argumentation
|
Municipalités
|
Coûts
|
Appel aux autorités
|
Communauté urbaine
|
Dévaluation immobilière
|
Rencontre officielle
|
Gouvernements féd. et prov.
|
Baisse de revenus
|
Référendum
|
Institutions d’enseignement
|
Hausse de revenus
|
Présentation de mémoires
|
Commissions scolaires
|
Réalisation d’économies
|
Formation de coalitions
|
Institutions hospitalières
|
Développement économique
|
Débat officiel
|
|
|
Lettre officielle
|
Secteur privé
|
Sociaux
|
Consultations publiques
|
Promoteurs
|
Santé
|
Commission parlementaire
|
Entreprises de production
|
Sécurité
|
Projet de loi
|
Associations d’entreprises
|
Délinquance juvénile
|
|
Groupes criminalisés
|
Services sociaux
|
Pression
|
Associations professionnelles
|
Liberté individuelle
|
Pétition
|
Institutions religieuses
|
Moralité/mœurs
|
Recours aux médias
|
|
|
Conférence de presse
|
Société civile
|
Environnementaux
|
Résolution d’opposition
|
Citoyens
|
Qualité de vie
|
Plainte officielle
|
Groupes de citoyens
|
Protection de l’environnement
|
Demande de moratoire
|
Mouvements de femmes
|
Protection du patrimoine
|
|
Groupes écologistes
|
Circulation
|
Confrontation
|
Organismes sociaux
|
Stationnement
|
Manifestation
|
Groupes politiques
|
Aménagement local
|
Harcèlement
|
Comités divers
|
Déstructuration locale
|
Contestation de procédure
|
Mouvements gais
|
Règlements d’urbanisme
|
Recours judiciaire
|
Personnes handicapées
|
|
|
Source : grille mise au point par les auteurs
6Pour ce qui est des acteurs, la catégorisation tripartite « secteur public, secteur privé, société civile » s’appuie, entre autres, sur les analyses du droit de propriété de Macpherson (1978), qui distingue la propriété étatique, la propriété privée et la propriété commune, ainsi que sur la reconnaissance d’un tiers secteur, de plus en plus souvent appelé « société civile », qui entretient des rapports souvent tumultueux avec l’État et avec le secteur privé (Thériault, 1985).
7S’agissant des types d’enjeux véhiculés par les protagonistes, il est apparu que les trois dimensions (économique, sociale et environnementale) généralement associées à la notion de « développement durable » constituaient un principe approprié de regroupement. Comme les données tirées de l’analyse de contenu des articles de journaux sont codées de façon très désagrégée, d’autres types de regroupements sont possibles, qui feraient par exemple intervenir la culture ou la démocratie. Par ailleurs, les enjeux sont codés sans qu’un choix axiologique soit fait. Par exemple, le fait qu’un enjeu environnemental soit mentionné dans un conflit est codé sans spécifier si la mention va ou non dans le sens des valeurs environnementales. Ceci a l’avantage d’éviter des choix potentiellement arbitraires et l’inconvénient de limiter la portée des analyses possibles.
8Pour ce qui est maintenant des types d’actions observées lors des conflits, l’inspection des articles de presse suggérait un principe de classement basé sur le degré d’intensité ou de virulence des gestes posés. Dans la littérature, nous n’avons repéré qu’une seule tentative de catégorisation, celle de Ley et Mercer (1980), basée sur neuf catégories d’intensité des actions entreprises, allant de la mésentente à l’arrestation. Les trois catégories d’actions du tableau 1, argumentation, pression et confrontation, font appel à ce critère de degré d’intensité, mais il y aurait sans doute d’autres façons de catégoriser les types d’actions.
9Il est probable que l’activité conflictuelle a, de tout temps, été au cœur des transformations de l’environnement urbain, comme le montre Castells (1983) à travers les exemples des Communidades dans les villes de Castille en 1520-22, de la Commune de Paris en 1871 et des grèves de loyers à Glasgow en 1915 et à Veracruz en 1922. Cependant, depuis quelques décennies, elle occupe l’avant-scène, en phase avec la montée en puissance des principes néo-libéraux d’une part et des préoccupations sociales et environnementales, portées surtout par les nouvelles classes moyennes issues de la tertiarisation de l’économie, d’autre part.
10Les conflits urbains doivent en grande partie leur visibilité à la couverture de presse qu’ils reçoivent. Cela présente un double avantage. D’abord, une couverture dans les médias de masse signifie que des informations sur les conflits deviennent immédiatement publiques et accessibles à un grand nombre. Cela amplifie le rôle local et régional des conflits urbains dans le processus de formation des valeurs, des idéologies et des représentations, tout en conférant à la presse un important rôle d’acteur (Gilbert et Brosseau, 2002). Ensuite, pour les chercheurs qui pensent que l’étude systématique de longues séquences d’événements conflictuels peut nous apprendre beaucoup, la presse devient une source privilégiée, car elle permet une granulométrie temporelle quotidienne (Villeneuve et al., 2006). La contrepartie de ce double avantage réside dans les nombreux biais qui peuvent affecter cette source d’information. Cependant, ces biais sont de mieux en mieux connus (Trudelle et al., 2006). Dans les lignes qui suivent, quelques exemples illustrent comment l’analyse statistique des conflits urbains peut contribuer à la connaissance des processus de transformation des villes.
11D’abord, il est possible de compiler le nombre de mentions dans les articles de presse des types d’acteurs, d’enjeux et d’actions chez les instigateurs et chez les objecteurs (voir Tableau 2). Cette compilation porte sur l’ensemble de la période étudiée, soit de 1965 à 2000. En ce qui concerne les acteurs, une sorte de symétrie apparaît, une symétrie qui met en cause les institutions étatiques chez les instigateurs et les groupes émanant de la société civile chez les objecteurs. Les fréquences des mentions de ces deux groupes d’acteurs sont élevées (3 056 et 3 072) et, à peu de choses près, égales. Dans une agglomération urbaine comme Québec, où les secteurs public et parapublic sont importants, il n’est pas surprenant d’observer une forte activité de la part des acteurs étatiques, qui sont mentionnés comme instigateurs plus de deux fois plus souvent que les acteurs émanant du secteur privé, ceux-ci étant par ailleurs peu mentionnés en tant qu’objecteur.
Tableau 2. Activité conflictuelle. Grandes catégories d’acteurs, d’enjeux et d’actions
Nombre de mentions comme :
|
Instigateurs
|
Objecteurs
|
|
Nombre
|
Moyenne
|
Nombre
|
Moyenne
|
Acteurs publics
|
3 056
|
1,46
|
1 449
|
0,69
|
Acteurs privés
|
1 308
|
0,63
|
583
|
0,28
|
Société civile
|
1 271
|
0,61
|
3 072
|
1,47
|
Enjeux économiques
|
989
|
0,47
|
1 354
|
0,65
|
Enjeux sociaux
|
1 615
|
0,77
|
2 334
|
1,12
|
Enjeux environnementaux
|
2 771
|
1,33
|
2 284
|
1,09
|
Actions : argumentation
|
3 306
|
1,58
|
2 812
|
1,35
|
Actions : pression
|
874
|
0,42
|
1 503
|
0,72
|
Actions : confrontation
|
382
|
0,18
|
772
|
0,37
|
Source : les mentions ont été relevées dans les articles d’information du quotidien Le Soleil portant sur 2090 conflits et controverses, excluant les éditoriaux et les lettres des lecteurs. Par exemple, 3056 mentions d’acteurs publics chez les instigateurs ont été relevées dans les 2090 conflits, soit 1,46 mentions par conflit en moyenne.
Tableau 3. Corrélations simples entre types d’instigateurs et types d’objecteurs dans les conflits et controverses. Région métropolitaine de Québec, 1965-2000
Instigateurs \ Objecteurs
|
Publics
|
Privés
|
Civils
|
Publics
|
-0,152*
|
0,143*
|
0,201*
|
Privés
|
0,142*
|
0,057*
|
0,040
|
Civils
|
0,215*
|
-0,046*
|
-0,417*
|
12*Corrélations significatives au niveau 0,01. N = 2090 conflits et controverses.
13S’agissant des enjeux, nous notons d’abord que le nombre de mentions d’enjeux environnementaux est plus élevé chez les instigateurs que chez les objecteurs, alors que le contraire aurait semblé plus probable étant donné la forte présence médiatique des groupes environnementaux. Une analyse (non montrée ici) de l’évolution des mentions pendant les 35 années à l’étude aide à mieux comprendre ce résultat. Alors qu’en début de période, les enjeux environnementaux sont plus souvent mentionnés par les objecteurs, dès le milieu des années 1970, les instigateurs prennent le dessus, les justifications environnementales devenant importantes pour ceux et celles ayant des projets à proposer. On note aussi que les enjeux économiques sont plus souvent mentionnés par les objecteurs qu’ils ne le sont par les instigateurs. L’analyse de corrélations présentée plus bas aidera à mieux comprendre ce résultat quelque peu contre-intuitif.
14En ce qui concerne les types d’action, notons d’abord la fréquence élevée des actions qui font appel à l’argumentation. Elles dominent nettement, aussi bien chez les instigateurs que chez les objecteurs. Cela est sans doute en partie dû aux choix d’assignation faits lors de la constitution de la grille présentée au tableau 1. Il est également intéressant de noter que les objecteurs ont plus souvent recours que les instigateurs aux actions plus intenses (pressions et confrontations).
15En somme, cette compilation du nombre de mentions des types d’acteurs, d’enjeux et d’actions confirme certaines des perceptions préalables que nous aurions pu avoir. Elle contient aussi quelques résultats contre-intuitifs qu’une analyse de corrélation peut aider à mieux comprendre. Commençons par un calcul de corrélations simples entre types d’instigateurs et types d’objecteurs. Cet exercice renseigne sur la fréquence des affrontements entre les trois types. Par exemple, la corrélation négative de -0,152 entre des instigateurs du secteur public et des objecteurs aussi du secteur public révèle que si, dans un conflit, les acteurs du secteur public apparaissent du côté des instigateurs, le risque est faible qu’ils apparaissent aussi du côté des objecteurs et vice versa. Il s’agit en fait d’une analyse de cooccurrences. Pour calculer la corrélation et mesurer les cooccurrences, nous considérons les 2 090 conflits et codons «1» ceux où le secteur public apparaît du côté des instigateurs et «0» ceux où il n’y apparaît pas, et nous faisons la même chose pour les cas où le secteur public apparaît du côté des objecteurs. Le coefficient de corrélation phi, qui est la version du coefficient de Pearson qu’on applique à des variables dichotomisées, est ensuite obtenu. En raison du grand nombre de conflits considérés, dès qu’un coefficient > ± 0,044, il est significatif au niveau de confiance 0,01, ce qui permet l’exploration de liens diffus entre phénomènes dont on soupçonne qu’ils sont interdépendants, même si cette interdépendance est faible. Par exemple, contrairement à la situation concernant le secteur public et la société civile, le secteur privé peut, dans certains conflits, se retrouver à la fois chez les instigateurs et chez les objecteurs (phi = 0,057). Par ailleurs, les conflits entre le secteur public-instigateur et la société civile-objectrice (0,201) sont légèrement moins fréquents que ceux entre la société civile-instigatrice et le secteur public-objecteur (0,215). Notons que ces deux coefficients sont les plus élevés parmi les coefficients positifs, alors que les coefficients impliquant la société civile et le secteur privé sont, soit non-significatifs (0,040), soit négatifs ( 0,046). Ceci semble indiquer que, dans l’agglomération de Québec, les conflits entre le secteur public et la société civile occupent davantage l’avant-scène que ceux entre le secteur privé et la société civile.
16La même procédure faisant appel à des coefficients de corrélation simple peut être utilisée pour explorer les rapports entre acteurs, enjeux et actions (voir Tableau 4). Certains des résultats obtenus confirment nos attentes, d’autres moins. Par exemple, on a l’habitude de considérer le secteur privé comme le principal porteur des enjeux économiques. Nous observons effectivement une corrélation positive (0,131) entre la présence du secteur privé comme instigateur et les mentions d’enjeux économiques, mais cette corrélation est plus faible que celle impliquant la présence du secteur public (0,193). Par contre, lorsqu’il s’agit des objecteurs, on observe le résultat inverse (0,243 et 0,086). Le secteur privé véhiculerait donc plus souvent des enjeux économiques comme objecteur que comme instigateur. Par ailleurs, pour ce qui est des acteurs émanant de la société civile, comme on pouvait s’y attendre, ils sont fréquemment associés à des enjeux sociaux et environnementaux, qu’ils soient instigateurs (0,527 et 0,205) ou objecteurs (0,363 et 0,396).
Tableau 4. Corrélations simples entre types d’acteurs, d’enjeux et d’actions. Région métropolitaine de Québec, 1965-2000
Types d’acteurs et types d’enjeux chez les instigateurs
|
Acteurs \ Enjeux
|
Économiques
|
Sociaux
|
Environnementaux
|
Publics
|
0,193*
|
-0,068*
|
0,182*
|
Privés
|
0,131*
|
-0,041
|
0,121*
|
Civils
|
-0,018
|
0,527*
|
0,205*
|
b) Types d’acteurs et types d’action chez les instigateurs
|
Acteurs \ Actions
|
Argumentation
|
Pression
|
Confrontation
|
Publics
|
0,218*
|
0,035
|
0,001
|
Privés
|
0,043
|
0,085*
|
0,062*
|
Civils
|
0,286*
|
0,361*
|
0,234*
|
c) Types d’acteurs et types d’enjeux chez les objecteurs
|
Acteurs \ Enjeux
|
Économiques
|
Sociaux
|
Environnementaux
|
Publics
|
0,086*
|
-0,009
|
0,016
|
Privés
|
0,243*
|
0,003
|
0,007
|
Civils
|
-0,046
|
0,363*
|
0,396*
|
d) Types d’acteurs et types d’actions chez les objecteurs
|
Acteurs \ Actions
|
Argumentation
|
Pression
|
Confrontation
|
Publics
|
0,040
|
-0,014
|
0,027
|
Privés
|
0,092*
|
0,100*
|
0,078*
|
Civils
|
0,362*
|
0,357*
|
0,174*
|
*Corrélations significatives au niveau 0,01. N = 2090 conflits et controverses.
17L’analyse des rapports entre types d’acteurs et types d’actions produit également quelques résultats intéressants. Bien que les trois types d’acteurs aient recours à l’argumentation, ce sont les acteurs de la société civile qui y ont davantage recours, un peu moins toutefois lorsqu’ils sont instigateurs (0,286) que lorsqu’ils sont objecteurs (0,362). D’ailleurs, les acteurs de la société civile recourent aussi davantage aux deux autres types d’actions, soit les pressions et la confrontation. En somme, lorsque des acteurs provenant de la société civile sont impliqués dans un conflit, que ce soit à titre d’instigateurs ou à titre d’objecteurs, la probabilité que des actions des trois types soient mentionnées dans la presse est plus élevée que lorsqu’il s’agit d’acteurs étatiques ou privés.
18Cette courte note de recherche propose d’abord une définition simple de ce qu’est un conflit urbain. Celui-ci est vu comme un événement qu’il est possible de circonscrire dans l’espace et dans le temps, bien qu’il soit habituellement lié d’une façon ou d’une autre à d’autres événements qui le précèdent ou le suivent et qui sont localisés à plus ou moins grande distance. Le conflit implique des protagonistes qu’on peut, en première approximation, dichotomiser : d’un côté les instigateurs d’un projet; de l’autre des objecteurs à ce projet. Si l’objectif est d’étudier l’activité conflictuelle en longue période, la presse écrite s’avère être la source d’information la moins inadéquate. Une analyse de contenu de plus de 6500 articles parus dans Le Soleil, quotidien régional de Québec, permet d’identifier des types d’acteurs, d’enjeux et d’actions se rapportant à 2090 conflits survenus entre 1965 et 2000. La visibilité de ces types peut être approximée à l’aide de la fréquence à laquelle ils sont mentionnés dans la presse et des outils statistiques simples peuvent être utilisés pour explorer les rapports entre ces types.
19Cette démarche, que nous qualifions d’analytique, peut compléter l’approche plus fréquente, qui consiste à décrire, à la manière de l’historien, les tenants et aboutissants d’un petit nombre de conflits. Une démarche analytique permet, plus facilement qu’une démarche historique, le va et vient entre l’induction et la déduction. La base de données sur les conflits à Québec a été construite par induction : les catégories utilisées pour structurer les informations ont graduellement émergé du texte des articles de presse. Cette base peut ensuite être utilisée pour tester des hypothèses réfutables construites par déduction (Popper, 1962). Une démarche analytique appliquée adéquatement révèle souvent des résultats contre-intuitifs. Ceci est dû en partie aux possibilités offertes par la modélisation statistique : un modèle dont les résultats surprennent n’offre-t-il pas un plus grand intérêt, sur le plan de la découverte scientifique, qu’un autre dont les résultats sont conformes aux attentes?
20Par contre, la démarche analytique, parce qu’elle est soumise aux catégories utilisées pour structurer les représentations du réel, rend parfois difficile l’introduction de nuances, alors que ces dernières sont nécessaires à la compréhension des processus en cause. Par exemple, dans la base de données sur les conflits à Québec, la dichotomisation des acteurs en instigateurs et objecteurs est une simplification qui limite la saisie du rôle d’acteurs moins «alignés» ou, carrément, du rôle des professionnels de l’aide à la décision, une spécialité qui se développe en aménagement du territoire (Joerin et Rondier, 2008). On voit que les pratiques de gestion sociétale des conflits évoluent rapidement et incitent les analystes à réviser leurs modèles.