La publication de ce numéro thématique sur le thème « Urbanisme et développement durable » a bénéficié d’une aide précieuse de l’équipe de rédaction de la revue, dont mesdames Mélanie Gauthier et Gabriela Coman ainsi que de l’expertise de nombreux évaluateurs anonymes des articles soumis. Nous tenons à remercier sincèrement toutes ces personnes qui ont contribué à la publication de ce numéro.
1Au cours des dernières décennies, le concept de développement durable s’est imposé comme un nouvel impératif de l’action publique urbaine et métropolitaine, touchant ainsi les conceptions et les pratiques de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Le terme « ville durable », de même que l’expression « développement urbain durable », sont maintenant fréquemment utilisés pour désigner à la fois des intentions et des idéaux qui relèvent de l’utopie politique et des pratiques d’aménagement et d’urbanisme qui se veulent innovantes (Da Cunha et al., 2005; Mathieu et Guermond, 2005). Malgré cela, il est permis de se demander si le développement durable peut renouveler l’aménagement et l’urbanisme et à quelles conditions (Guermond, 2006; Gauthier et al., 2008). Le développement durable peut-il revitaliser l’urbanisme? La planification urbaine et métropolitaine peut-elle être renouvelée par le développement durable? Les professionnels de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme sont-ils en voie de remettre en cause leurs pratiques planificatrices pour prendre en compte les principes du développement durable? Quelle est la portée réelle des expérimentations pratiques en matière de développement urbain durable aux différentes échelles territoriales (métropoles, régions urbaines, villes moyennes, ...)? Répondre à ces questions, implique de prendre au sérieux le concept de développement durable, d’accepter son essence utopique et de développer une démarche interdisciplinaire pour appréhender l’objet (Mathieu, 2006). Cela implique également une réflexion sur la construction d’une interdisciplinarité qui réponde aux exigences de l’action publique et aux besoins des sociétés modernes, ce qui renvoie à des enjeux d’articulation entre la recherche et l’action et de redéfinition des rapports entre sciences et sociétés (Gauthier, 2006). Les textes rassemblés dans ce numéro thématique sur le thème « Urbanisme et développement durable » s’ins-crivent dans cette perspective qui vise à prendre au sérieux les concepts de « ville durable » et de « développement urbain durable » en multipliant les perspectives tant sur le plan théorique et conceptuel, que sur le plan méthodologique. Le numéro rassemble sept contributions abordant diverses thématiques associées à l’urbanisme et au développement durable et qui s’appuient essen-tiellement sur des études de cas de villes canadiennes et européennes.
2Le numéro s’ouvre avec une contribution portant sur un instrument de densification urbaine, le Coefficient d’occupation des sols (COS), qui a fait l’objet de débats publics au moment de l’élaboration du Plan local d’urbanisme de Paris (2001-2006). Dans cet article, David Guéranger et François-Mathieu Poupeau nous rappellent d’abord que le thème de la « ville durable » s’accompagne de nouveaux mots d’ordre : devant le phénomène de l’étalement urbain, il faut dorénavant densifier la ville, reconstruire la ville sur elle-même et mettre en œuvre la « ville compacte ». Le COS est un outil technique de régulation de la densité urbaine développé en France à la fin des années soixante. Considéré par certains « experts réformateurs » comme étant dépassé et inefficace, cet outil de planification urbaine, qui fournit une mesure simple de la densité, a été fortement critiqué, entre autres, en raison de sa piètre performance à lire le monde urbain. En retraçant les principaux débats entourant les projets de réforme de cet instrument d’action publique, les auteurs montrent à quel point le COS est « un outil qui résiste à sa réforme ». Guéranger et Poupeau montrent en effet que cet outil technique est intrinsèquement lié à l’histoire de l’urbanisme à Paris, ce qui rend très difficile sa réforme, malgré les volontés de certains spécialistes et élus locaux. L’article met notamment en exergue la victoire du monde de la protection paysagère et de la qualité de vie en faveur du statu quo sur celui du renou-vellement urbain et du pragmatisme davantage favorable au renouvellement des pratiques et des conceptions de l’urbain. Le principal intérêt de l’article est de démontrer avec éloquence que la thématique de la ville durable est soumise, dans une certaine mesure, à une incontestable résistance au changement ainsi qu’à la difficulté de renouveler les pratiques professionnelles et les façons d’appré-hender la ville.
3La coordination entre les politiques urbaines de transport et d’urbanisme représente un autre enjeu de taille qui interpelle les élus locaux et les professionnels des grandes villes et métropoles contemporaines. À partir d’une analyse comparative d’expériences concrètes menées dans les grandes villes suisses de Bâle, Berne, Genève et Lausanne, Vincent Kaufmann et Fritz Sager portent leurs regards sur l’articulation entre le développement urbain et les politiques locales de transport. Dans la continuité de leurs travaux antérieurs (Kaufmann et al., 2003; Kaufmann et Sager, 2006), les auteurs examinent les diverses facettes de l’articulation entre transport et urbanisme. Ils constatent d’abord que les villes de Berne et Bâle sont deux agglomérations dont l’urbanisation est plus compacte que celles de Genève et de Lausanne et ils se demandent ensuite « dans quelle mesure est-ce le reflet d’une meilleure coordination entre les politiques d’aménagement et de transport ? ». Cet examen croisé des politiques locales de quatre agglomérations suisses leur permet d’identifier des facteurs clés de succès, qui ont trait, entre autres, à la morphologie urbaine, au fonctionnement des institutions supra-locales, aux décisions politiques passées et à d’autres facteurs liés à la culture politique locale. Leur regard analytique et empirique sur la situation des villes suisses est détaillé et nuancé, ce qui contribue à accroître nos connaissances sur la variété des situations locales. L’intérêt et l’apport de l’analyse résident également dans l’approche méthodologique développée qui s’inscrit dans une perspective historique et multicritères visant à expliciter la diversité des pratiques locales. Les résultats de la recherche, même s’ils sont relativement exploratoires, ont une portée pratique indéniable. Ils contribuent à articuler les rapports entre connaissances scientifiques et action publique urbaine.
4L’article de Hannah Maoh et Pavlos Kanaroglou s’intéresse également à la question de l’articulation entre l’aménagement urbain et les transports, mais cette fois-ci, sous l’angle du développement d’un outil de simulation conçu pour évaluer la durabilité urbaine. Cet outil de simulation, qui est appliqué à deux villes canadiennes, soit Hamilton en Ontario et Halifax en Nouvelle-Écosse, consiste essentiellement à apprécier les progrès vers la durabilité urbaine à l’aide d’un système d’indicateurs environnementaux, sociaux et économiques. L’article présente un cadre général d’évaluation permettant d’élargir le champ des connaissances nécessaires à la planification urbaine et pave ainsi la voie à des recherches plus opérationnelles visant à apprécier la durabilité urbaine des villes canadiennes.
5À travers l’étude des politiques d’environnement et de développement durable à Manchester au Royaume-Uni depuis les années soixante-dix jusqu’à nos jours, Vincent Béal examine l’évolution du traitement des enjeux environnementaux à l’échelle urbaine. L’auteur, qui s’inscrit dans la continuité des travaux émanant de la géographie radicale anglo-saxonne, cherche à comprendre « comment l’évolution du capitalisme, les nouvelles formes de gouvernance et de régulation, ont influencé les politiques urbaines d’environnement et de développement urbain durable ». En dressant une périodisation en trois phases distinctes – Grassroots Environmentalism, Roll Back Environmentalism, Roll-out Environmentalism – il cherche à repérer non seulement les affichages discursifs autour du concept de développement urbain durable, mais aussi les configurations et les reconfigurations sociales, politiques et économiques qui accompagnent chacune de ces trois phases. Ce travail minutieux, basé sur une enquête de terrain approfondie, lui permet d’établir le lien entre les politiques environnementales et les mécanismes de gouvernance urbaine. Deux hypothèses sont ainsi testées à travers le passage des politiques « d’envi-ronnement local » à celles de « développement urbain durable » : la marchandisation de l’environnement comme critère de la compétitivité des territoires; la transformation du travail des élus qui déplacent leurs efforts de la compétition politique vers la production de politiques urbaines. Selon l’auteur, l’apparition du « développement urbain durable » a constitué un contexte favorable à l’émergence d’un traitement entrepreneurial des enjeux environnementaux qui s’inscrit dans un contexte d’émergence d’une ère post-démocratique. L’étude du cas de Manchester, qui est finement documentée, soulève toutefois la question de la généralisation des résultats à d’autres villes européennes et nord-américaines.
6L’article de Tanya Markvart discute du rôle que la théorie politique verte et radicale pourrait jouer en ce qui a trait aux processus décisionnels en matière d’aménagement du territoire dans une perspective de développement durable. Pour ce faire, elle dégage d’abord une série de critères génériques à partir d’une revue critique des travaux de Dobson (2000) portant sur l’écologisme. Ces critères génériques sont ensuite confrontés aux principaux critères de durabilité développés par Gibson et al. (2005) pour inscrire la pratique de l’évaluation environnementale dans une perspective de développement durable. Cette grille d’analyse est finalement appliquée à l’étude du cas de la Moraine de Waterloo, à Waterloo (Ontario, Canada), ce qui permet à l’auteure de conclure que l’écologisme, en raison de son orientation sur les aspects non-humain, limite ses habilités à prendre en compte les facteurs politiques et socio-économiques en matière d’aménagement du territoire. Selon elle, l’écologisme ne prend pas suffisamment en compte les critères de durabilité tels que proposés par Gibson et al. (2005), dont les disparités entre les riches et les pauvres, les générations futures, les processus décisionnels participatifs, les principes de précaution et d’adaptation, etc.
7L’article de Paul L. Nichols traite des aspects sociaux de la foresterie urbaine. Son texte se présente comme une réflexion intéressante sur les rapports entre les projets de revitalisation des anciennes friches industrielles (brownfields rede-velopment) et la foresterie urbaine. L’auteur examine plus spécifiquement les efforts entrepris par la Société de revitalisation du secteur riverain de Toronto pour restaurer et revitaliser les West Don Lands à Toronto, en centrant l’analyse sur le rôle que la foresterie urbaine peut jouer sur la création de liens physiques et sociaux. L’article met l’emphase sur les bénéfices sociaux des forêts urbaines en favorisant les interactions sociales et la cohésion des communautés.
8En terminant, l’article de Graham Senft explore la question de la congestion routière comme facteur de changement vers la durabilité, un thème qui est très peu traité dans la littérature portant sur les transports durables. En prenant comme terrain d’étude la région métropolitaine de Vancouver (Metro Vancouver), l’auteur se demande dans quelle mesure la congestion routière peut-elle contribuer à changer les comportements individuels et institutionnels? L’article qui s’appuie sur une série d’entretiens menés auprès d’acteurs locaux explore ainsi le potentiel de la congestion routière à agir comme catalyseur pour contrer la spirale de l’étalement urbain et pour renouveler les pratiques planificatrices en matière de transport et d’aménagement urbain. L’analyse effectuée par l’auteur tend à démontrer que la région métro-politaine de Vancouver est marquée par l’existence de deux discours régionaux et de deux modèles cognitifs distincts qui oppose le centre urbain aux régions suburbaines. Selon son analyse, dans le centre urbain, la conscience sociale envers la durabilité serait plus développée que dans les régions suburbaines. En outre, même si les notions de « ville consciente », de conscience sociale et de changement demeurent faiblement théorisées, le principal intérêt de cet article réside dans l’originalité de la question posée et des pistes de recherches à conduire sur le thème des conditions favorables à la mise en œuvre de la « ville durable ».