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La Nouvelle-Orléans et l’eau : un urbanisme à haut risque

Isabelle Maret et Romain Goeury

Résumés

Les effets catastrophiques de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans invitent à réexaminer les stratégies de protection mises en œuvre jusqu’à présent contre les risques d’inondation auxquels cette ville a toujours été exposée. Le système de levées et les autres défenses matérielles établies au cours des décennies autour de l’agglomération ont clairement, une fois de plus, démontré leur inefficacité, et du même coup, l’insuffisance d’une protection essentiellement structurelle. Une voie complémentaire est à chercher, malgré les difficultés de l’entreprise, dans une organisation politique cohérente et une gestion administrative systémique visant à atténuer la vulnérabilité du site.

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Texte intégral

Cet article est issu des résultats du programme de recherche dirigé par I. Maret à La Nouvelle-Orléans et financé par la Mission Scientifique et Technique de l’Ambassade de France à Washington. Romain Goeury, étudiant en master de Géomatique et gestion des territoires (Tuteur : Dr. J. M. Zaninetti) de l’Université d’Orléans (France), a été assistant de recherche à l’Université de La Nouvelle-Orléans (janvier-juin 2006). Les données ont été recueillies localement auprès des organismes cités, Regional Planning Commission, Census …)

Introduction

  • 1  Si le phénomène climatique est bien un cyclone, il est usuel d’utiliser le vocable ouragan, pour d (...)

1Les jours suivant le 29 août 2005, le monde a découvert avec stupéfaction les images de la Nouvelle-Orléans sous plusieurs mètres d’eau. L’ouragan1 Katrina, l’un des plus puissants qui ait frappé les États-Unis, avait causé au moins 1836 morts, 5000 disparitions, des pertes économiques sans précédent, et il avait mis en pièces le tissu industriel et humain de la ville, qui était inondée à 80%.

2Une catastrophe résulte de l’occurrence d’un aléa destructeur sur une société présentant un certain degré de vulnérabilité. En la matière, celle de La Nouvelle-Orléans était bien connue. Établie au cœur de la plaine deltaïque du Mississippi et en grande partie sous le niveau de la mer, cette cité n’a jamais cessé, depuis sa fondation, de se protéger des inondations. C’est par nécessité vitale qu’elle a, au fil des siècles, dressé une vaste ceinture de levées et de murs autour de la zone urbanisée.

3Après le désastre, il y a lieu d’analyser pourquoi ce système de protection s’est révélé inefficace, et de se demander quelles défaillances, structurelles aussi bien que politiques et humaines, sont à incriminer, ou ont empêché l’élaboration d’une politique véritablement cohérente de gestion de l’occupation du sol.

La nouvelle-orléans, fondation et croissance d’une ville exposée

4L’édification d’une ville a toujours un impact sur la nature. Malgré tout, on a rarement constaté un impact aussi profond et dramatique qu’à la Nouvelle-Orléans, dont l’urbanisation, en moins de trois siècles, a transformé une plaine alluviale marécageuse en une métropole moderne (Colten, 2000). La Nouvelle-Orléans a dû constamment lutter contre son environnement originel pour devenir habitable et prospère. Paradoxalement, ces efforts pour pallier l’inhospitalité du site n’ont fait qu’amplifier sa vulnérabilité face aux aléas naturels.

5Un rapide historique du développement de la ville montrera comment les aménagements du passé la mettent aujourd’hui en péril.

La fondation d’une « ville inévitable »

6Lorsque les Français s’installent en Louisiane, ils cherchent un lieu stratégique permettant le contrôle de l’embouchure du Mississippi (Campannella, 2002). Leur choix du site inaugure alors un long processus de transformation de l’environnement régional.

7Bien que cerné par les marais et menacé par les inondations, l’emplacement choisi en 1718, présente l’intérêt essentiel de constituer la porte d’entrée sur l’immense vallée du Mississippi, et d’offrir, via le lac Pontchartrain, un accès plus rapide et plus sûr au golfe du Mexique. Considérant les avantages stratégiques de cette situation, le géographe américain Peirce Lewis qualifiera plus tard la Nouvelle-Orléans de : « ville inévitable » (1976).

8La plaine deltaïque qui constituait la Louisiane du sud-est était un terrain apparemment plat et marécageux. Les berges du fleuve, rehaussées par les dépôts sédimentaires charriés par les crues successives, constituaient des levées naturelles qui atteignaient en moyenne 2 m au-dessus du niveau du Mississippi et 4 m au-dessus du niveau de la mer. On y a édifié le « Vieux Carré » (ou quartier français). Bien qu'exposé aux crues régulières, ce site relativement élevé était moins victime des inondations que les alentours, dans un rayon de plusieurs kilomètres et émergeait le premier lors des décrues (Colten, 2005).

9Derrière ces levées, le terrain décrit une légère pente vers le lac Pontchartrain, au Nord, sur environ 3 m. De ce côté, cette déclivité est interrompue par deux autres bordures naturelles, de 1.2 m à 1.5 m au-dessus du niveau de la mer, héritées d’un ancien bras du Mississippi (Métairie Ridge et Gentilly Ridge). Ainsi s’est formée une cuvette où les eaux des fortes pluies et des crues s’accumulaient et pouvaient stagner plusieurs mois. Cette configuration topographique condamnait la Nouvelle-Orléans à une lutte sans fin contre les inondations.

La lutte contre les débordements du Mississippi

10En 1727, un premier alignement de levées de 1 m de hauteur sur 1.6 km de longueur rehaussait les digues naturelles du quartier français; malheureusement, les excès des crues trouvaient toujours un cheminement par les marais en amont et en aval de ces protections, et s’infiltraient dans le « bol » par l’arrière de la « ville ». Les levées ont donc été prolongées sur l’ensemble de son périmètre (Colten, 2000).

11Pour constituer une protection viable, une coordination avec les propriétaires terriens des alentours a été mise en place et on a imposé à ces derniers de dresser leurs propres levées le long du Mississippi. En 1732, celles-ci s’étiraient sur 20 km en aval et 48 km en amont, et ce, sur les deux rives du fleuve. En 1752, le réseau avait encore gagné une quinzaine de kilomètres. Toutefois, si ces levées étaient continues, elles n’étaient égales ni en hauteur, ni en structure, remettant en cause la viabilité de l’ensemble (Morris, 2000).

12Après l’achat de la Louisiane par les États-Unis en 1803, le système de levées a rapidement été étendu. En l’absence d’une autorité centrale pour la protection contre les inondations, il consistait toujours en une barrière discontinue n’offrant qu’une efficacité aléatoire. Ni l’État de Louisiane, ni le gouvernement fédéral n’étaient encore prêts à s’impliquer. Par ailleurs, la Nouvelle-Orléans, qui gérait jusque-là ses levées, a été scindée en trois municipalités (nommées 1ère, 2ème et 3ème municipalité). À partir de 1836, chacune d’entre-elles prenait la responsabilité de ses propres levées. Les systèmes d’imposition des trois municipalités étant différents, la maintenance des levées s’en trouvait disparate (Colten, 2005). La fragmentation des gouvernances exacerbait déjà l’impact des inondations.

13Entre 1846 et 1859, les ingénieurs Paul Octave Hebert et Absalom D. Woodbridge ont exprimé leurs inquiétudes quant aux imperfections des levées et proposé une approche plus diversifiée du problème, basée sur la combinaison de zones tampons et de levées, afin de prendre en compte le fonctionnement naturel de la rivière en préservant les zones régulièrement submergées. Défenseurs de préoccupations différentes, d’autres ingénieurs se sont opposés au maintien de ces zones, qu’ils affirmaient « contraires à la mentalité actuelle, à cet esprit de développement qui prône la reconquête et les cultures, et qui se doit de convertir chaque marais et marécage en terre exploitable, en champ cultivé » (Kelman, 2000). Ainsi s’est poursuivie la politique du recours exclusif aux levées, dont les défaillances se sont révélées de nouveau de manière flagrante durant l’inondation de 1858.

14À partir de 1850, la coordination du système de prévention des inondations a été prise en charge par des autorités fédérales, au prétexte, notamment, que les eaux qui traversent la Louisiane proviennent de 31 états différents. De leur côté, les États ont créé des comités responsables de la gestion d’aires précises de levées : les « Levee Districts » (ou « Levee Board »). Les levées représentaient toujours l’expression ultime de la domination humaine sur la rivière ; cette vision a perduré jusqu’à l’inondation de 1927 (the Great Mississippi Flood) (Pabis, 2000).

15Au début du printemps 1927, pluies et crue du Mississippi ont provoqué une panique à La Nouvelle-Orléans. Pour échapper au désastre, la ville a ouvert une brèche dans les levées à Caernarvon, sacrifiant deux paroisses : St. Bernard Parish et Upper Plaquemines. La sévérité de cette inondation a marqué un tournant dans la politique de gestion des crues, avec le vote, en 1928, du Flood Control Act (Loi pour le contrôle des inondations). Cette législation détaillée a amorcé le processus de canalisation du Mississippi, qui inclut des canaux secondaires d’évacuation et des réservoirs pour absorber les fortes crues. Toujours en service aujourd’hui, ces dispositifs ont mis fin au système exclusif des levées et, depuis les années 1930, ont souvent fait leurs preuves (Pabis, 2000).

L’extension de la ville vers le lac Pontchartrain

16Au début du 20e siècle, la Nouvelle-Orléans était, avec 390 000 habitants, la 14e ville la plus peuplée des Etats-Unis (Gomez, 2000). L’aire urbaine, essentiellement confinée sur les levées naturelles le long du Mississippi, sur Metairie et Gentilly Ridge, évitait ainsi les zones basses et marécageuses. Ce sont les avancées technologiques en matière de drainage qui ont permis de faire reculer les marais et d'ouvrir la voie à l’extension de la ville vers le lac Pontchartrain.

17Directement ou non, les marais ont très tôt été menacés par les activités anthropiques (par exemple le déboisement). Entre 1880 et 1930, la conquête des zones humides s’est intensifiée, asséchant plus de 5600 hectares de marais (Davis, 2000). Si l’objectif premier était de combattre les épidémies, les marais asséchés sont rapidement devenus des espaces propices à l’urbanisation en direction du Nord, entre la ville historique et le lac.

18Les nouveaux quartiers résidentiels entraînaient chaque fois de nouveaux travaux de drainage : pompes, canaux et levées durent être aménagés. Ils requéraient aussi une protection contre les débordements du lac : l’État de Louisiane a autorisé, en 1922, la construction, sur la rive dépendant de la ville, d’un mur de 2.90 m au-dessus du niveau de la mer sur 9 km de long. La paroisse de Jefferson, voisine, a construit quant à elle une levée du même type en 1926. Ainsi, une longue barrière artificielle se dressait désormais entre le lac et les nouvelles terres drainées, motivant d’autant plus leur urbanisation. Après la seconde guerre mondiale, cette expansion a encore été accélérée par la forte croissance démographique et le développement de l’automobile (Colten, 2005).

19Une fois bâties, ces zones situées sous le niveau de la mer sont devenues, de facto, à haut risque. Se croyant à l’abri derrière les levées, c’est dans une trompeuse impression de sécurité que la Nouvelle-Orléans poursuivait son urbanisation.

20« Nous avons dépensé des centaines de millions de dollars pour nous protéger des eaux… Nous avons coupé le Mississippi dans de nombreux endroits pour que l’eau s’écoule plus rapidement vers le golfe. Nous avons construit des levées. Nous pensons désormais que nous sommes presque complètement protégés » (Shallat, 2000) affirmait le gouverneur de Louisiane John McKeithen en 1965, à la veille du passage de l'ouragan Betsy. L’onde de tempête créée quelques semaines plus tard par cet ouragan, submergea pourtant les levées du lac Pontchartrain, traumatisant la ville et montrant, par le menu, les limites de ce système de protection. Les conséquences de cet évènement ont contribué au lancement de l’« Hurricane Protection System » (Dispositif global de protection contre les ouragans), celui-là même qui a été défaillant en août 2005. Bien qu’exorbitants, la dévastation et le coût de la catastrophe n’ont pas ralenti l’urbanisation entre 1965 et 2000.

Figure 1. Hurricane protection system et ses brèches dues à Katrina

Figure 1. Hurricane protection system et ses brèches dues à Katrina

Source : Regional Planning Commission, NO ; IPET, Carte R Goeury / I Maret

Des aménagements passés à l’origine d’une vulnérabilité croissante

21Conçu pour protéger la population de la vallée du Mississippi, le système de levées est en partie responsable des changements topographiques de la région. En contenant les crues, les levées privent systématiquement les marais de Louisiane des sédiments vitaux indispensables à l’équilibre environnemental ; ces sédiments permettaient de garder le sol au-dessus du niveau de la mer. Avec le drainage et l’encerclement par les levées, les sols tourbeux se sont compactés, et se sont enfoncés peu à peu. Aujourd’hui, la majeure partie de la ville repose sur ces anciens marais, qui sont situés sous le niveau de la mer et continuent de s’enfoncer.

  • 2  Le terme de « terres humides » désigne ici les différentes catégories de marais.
  • 3  De nombreuses autres références font état de données plus alarmantes encore pour l'ensemble de la (...)

22L’anéantissement de la relation naturelle entre la rivière et les marais a également amorcé la disparition progressive des terres humides2 de Louisiane. Ce phénomène a été accéléré par l’augmentation du niveau de la mer et par l’érosion d’origine naturelle ou anthropique. L'étalement urbain fragilise particulièrement l'ensemble de l'écosystème (Maret, Blakeman, 2005). Depuis les années 1930, plus de 405 000 hectares des marais du delta ont disparu et chaque année, entre 6500 et 7800 hectares sont perdus (Coalition to restore Coastal Louisiana, 2000) 3. Outre leur exceptionnelle richesse écologique, ces zones humides constituent une des meilleures protections contre les ouragans : elles absorbent l’énergie des ondes de tempêtes en atténuant la vitesse et la hauteur de vagues violentes capables de surpasser les capacités des levées. Ce n’est qu’à partir des années soixante-dix que les ingénieurs ont essayé de réhabiliter le système naturel en aménageant des exutoires permettant aux sédiments du fleuve de se déverser dans les zones humides. Plusieurs milliers d’hectares pourraient être reconstitués d’ici 2050.

23Si la mutation du cadre local, pour s’affranchir des contraintes naturelles, a globalement amélioré les conditions de vie à court terme, ses conséquences sont aujourd’hui devenues redoutables. Par le bouleversement profond des mécanismes naturels pour établir des aménagements compensatoires, les problèmes n’ont été, dans l’ensemble, que reportés et amplifiés. Ainsi, le long processus de contrôle du Mississippi, puis le drainage des marais pour étendre la ville, ont contribué à l’avènement d’un nouveau risque majeur de submersion de la ville par les eaux du lac Pontchartrain.

Les failles du dispositif global de protection contre les ouragans

24À sa mise en place en 1965, le projet « Hurricane Protection System » consistait en l’édification d’un vaste réseau de diverses structures anti-inondations entourant la Nouvelle-Orléans, afin de contenir les ondes de tempêtes hors de l’aire urbaine.

  • 4  L'IPET (Interagency Protection Evaluation Task Force) est la commission d'enquête créée par le C (...)
  • 5  Certains articles utilisent USAC et non USACE.

25Quarante ans après le début de sa mise en œuvre, l’ouragan Katrina a révélé de façon spectaculaire les limites de ce dispositif que l’on croyait global. « Le "Hurricane Protection System" de la Nouvelle-Orléans et de la Louisiane du Sud-Est n’avait de dispositif global que le nom » (IPET, 2006)4. Cette première conclusion du rapport de l’« Interagency Performance Evaluation Task Force » résonne comme un aveu de la part de l’US Army Corps of Engineers (USACE)5, l’agence fédérale chargée de la conception et de la construction du réseau.

Le « Hurricane Protection System » : un dispositif incomplet

26La mise en place d’un « système » de protection supposait une approche globale de la problématique.

2.1.1 Un système, trois projets

27Si les études préliminaires avaient commencé dès 1955, ce n’est qu’en mai 1965, soit quatre mois avant l’ouragan Betsy, que le projet de l’«Hurricane Protection System» a été soumis au congrès. Betsy a souligné l’urgence de la situation et a certainement activé le vote du programme. Signe de fragmentation, ce programme consistait dans la juxtaposition de trois plans conçus indépendamment, qui ont été réalisés à des époques différentes. Les deux premiers ont débuté dès 1966, le troisième en 1991 seulement (voir Figure 1) :

  • le « Lake Pontchartrain and Vicinity », concernant la construction de levées en bordure du lac,

  • le « New-Orleans to Venice » qui visait essentiellement à renforcer les levées déjà existantes le long du Mississippi,

  • le « West Bank and Vicinity » dont la construction prenait en compte les rives ouest des districts de Jefferson, Orléans et Plaquemines.

Une construction sporadique et incomplète

28L’USACE a été désigné comme l’unique responsable de la conception et de la construction du dispositif. Un financement parcimonieux et de nombreux contretemps ont rendu cette construction laborieuse et interminable. Le gouvernement fédéral n’assumait que 70% des coûts du dispositif, laissant aux autorités régionales et locales le reste des charges financières.

  • 6  Équivalent du Bureau du vérificateur général du Canada.

29Planifié sur 13 ans pour un coût total de 85 millions de dollars (selon General Accounting Office)6, le projet « Lake Pontchartrain and Vicinity » a accumulé du retard. Ses coûts se sont accentués, en raison notamment d’oppositions locales et de problèmes d’ordre technique, environnemental, ou judiciaire. Quarante ans après son lancement, à la veille de Katrina, le projet « Lake Pontchartrain and Vicinity » restait très incomplet : de nombreuses sections inachevées symbolisaient sa vulnérabilité. La réalisation des travaux était variable selon les zones : 90% dans les paroisses d’Orléans et Chalmette, 70% dans celle de Jefferson et 60% dans celle de Saint-Charles (IPET, 2006). Le terme du projet était alors prévu pour 2015, avec un coût total estimé à 738 millions de dollars.

30Ces délais de construction s’expliquent notamment par les financements irréguliers et en constante diminution alloués par le gouvernement fédéral ces dernières années. Le budget annuel autorisé par le Congrès pour le projet « Lake Pontchartrain and Vicinity », qui oscillait autour de 15 millions de dollars depuis le début des années 1980, n’était plus que d’environ 5 millions de dollars depuis 2003. Si cette diminution peut s’expliquer par la progression des travaux, l’USACE indique néanmoins que les fonds alloués demeuraient largement insuffisants. Quatre mois avant Katrina, le budget voté par le Congrès pour l’année 2006 ne s’élevait qu’à 3 millions de dollars, alors que l’USACE estimait que 20 millions de dollars (GAO, 2005) étaient nécessaires. À cela s’ajoute le fait que les gouvernements locaux n’ont pas toujours eu les moyens de financer les 30% restant à leur charge. Ceci dit, il est vrai que seule une petite partie des fonds alloués au financement des levées était réellement utilisée à cette fin. Compte tenu de la volonté d’économiser sur les coûts et des soucis de rentabilité immédiate, le système s’est bâti au gré des fonds réellement disponibles.

Le système de protection et les gouvernances

31Les décideurs locaux, qui étaient censés financer une part de la construction du système et supporter ses coûts de maintenance, n’ont pas manqué d’exprimer leurs points de vue. Les consensus devaient s’établir non seulement entre les différents niveaux de gouvernance, mais également entre juridictions voisines. Le « Hurricane Protection System » ne couvre, en effet, pas moins de cinq districts : les quatre cités précédemment, auxquels on ajoute Plaquemines. Chaque paroisse possède son Levee Board, chargé de la gestion de ses propres levées, et peut exercer une influence décisive sur l’USACE dans le choix du type de protection. La prise en compte par l’USACE des intérêts locaux a ainsi contrecarré toute approche globale du problème.

32Les influences politiques locales et les enjeux économiques ont été déterminants dans les processus de décision, chacun des acteurs locaux (des entreprises de travaux publics aux communautés de quartiers) cherchant à faire valoir ses intérêts, et ce au détriment d’un programme de sécurité cohérent. La fragmentation politique et administrative de la Nouvelle-Orléans a ainsi donné lieux à la mise en place d’un système de protection très hétérogène et souvent incohérent d’une juridiction à l’autre. Ajoutons que certains des districts locaux n’ont pas toujours attendu l’aval de l’USACE pour construire leurs propres digues, en dehors du cadre fédéral. La présence de ces levées non-fédérales a exacerbé la fragmentation du dispositif, et accentué l’hétérogénéité des protections.

  • 7  « Southeast Louisiana Flood Protection Authority – East » d’une part et « SLFPA West bank » d’au (...)

33En mars 2006, au grand soulagement de la population, la gestion des levées a été totalement remaniée, réduisant à deux les entités7 désormais en charge de la gestion des digues.

Un système conçu pour une protection limitée

34Le système n’a jamais été conçu pour faire face à des ouragans majeurs. À sa conception, le dispositif global devait être capable de faire face « aux conditions météorologiques les plus sévères, raisonnablement caractéristiques de la région » (IPET, 2006). L’USACE a pris en référence le Standard Hurricane Project (SHP), modélisation d’un ouragan fictif développé par le Département national de la météorologie (National Weather Bureau) en 1959. Ce modèle, considéré à l’époque comme représentatif d’un événement qui ne se produit qu’une fois tous les 200 ou 300 ans, était censé répondre à l’objectif défini. Toutefois, non seulement les connaissances en matière d’ouragan étaient limitées en 1959, mais cet ouragan de référence a été élaboré sur la base de données climatiques enregistrées entre 1900 et 1956, soit 57 ans, durant lesquels seuls trois ouragans avaient sévi (1915, 1947, 1956). L’ouragan Betsy, en 1965, a apporté de nouvelles données, mais seuls les paramètres éoliens du SHP ont alors été rectifiés. Sur ces bases, il est admis que le SHP représente de façon plus vraisemblable un ouragan ayant une période de retour de 100 ans, correspondant de fait à un ouragan de catégorie 3 qui se déplacerait rapidement.

35Il était aussi admis que le système serait probablement insuffisant en cas d’ouragan de catégorie 4 ou 5. Pourtant, aucune mesure supplétive n’a été envisagée pour faire face à cette éventualité. Enfin, l’échelle de Saffir-Simpson, qui détermine la catégorie des ouragans selon la vitesse de leurs vents, est un bon indicateur pour la prévision des dommages éoliens : selon la configuration du terrain, les vents générés par un ouragan de catégorie 5 seront éventuellement moins destructeurs que l’onde de tempête provoquée par un ouragan de catégorie 3 dans un contexte différent. Un ouragan dit de catégorie 3 n’était donc pas nécessairement la référence la plus appropriée pour concevoir un système de protection de la Nouvelle-Orléans.

36D’ailleurs, si Katrina était bien un ouragan de catégorie 5 jusqu’à 170 miles des côtes, réduit à la catégorie 3 lorsqu’il a atteint le continent, il avait, durant son parcours à travers le Golfe du Mexique, engendré une onde de tempête et des vagues record bien supérieures aux capacités du dispositif global de protection de la ville.

Des négligences techniques fatales

Un système périmé

37En 2005, la hauteur des structures ne correspondait plus à ce que les plans avaient prévu en 1965. Les effets de 40 années de subsidence, mais aussi des erreurs de données lors de la construction, avaient amoindri le niveau de protection des digues de façon sensible, d’autant plus qu’aucun ajustement n’avait été réalisé pour compenser ces déficits.

38Les dimensions des digues, déterminées à l’origine par rapport au niveau moyen de la mer, ont été calculées selon le NGVD29 (National Geodetic Vertical Datum de 1929), un système de références dont l’origine a été établie à partir du niveau moyen de la mer en 1929, lequel ne correspond pas forcément au niveau actuel. Cette confusion, courante dans la communauté des ingénieurs jusque dans les années quatre-vingt-dix, a entraîné de graves erreurs dans l’élévation réelle des structures de protection. Dans les canaux de drainage (London Avenue Canal, Orléans Avenue Canal et 17th Street Canal) ainsi que dans l’Inner Harbor Navigation Canal (IHNC), par exemple, les différences de hauteur étaient de 30 à 60 centimètres.

  • 8 Autre diminutif pour USACE.

39Par ailleurs, les effets de la subsidence n’ont pas été anticipés (ou très peu) lors de la conception des levées. David Daniel, président de l’American Society of Civil Engineers (ASCE) dans le cadre de l’IPET, admet : « On savait que la Nouvelle-Orléans s’enfonçait, mais le Corps8 n’a pas pris cette subsidence suffisamment en compte. En conséquence, toutes les levées sont plus basses que ce qu’elles devraient être, certaines jusqu’à 1 mètre ». Les estimations de subsidence étaient généralement faibles, elles ne dépassaient pas 30 cm par siècle. Il est vrai que les moyens de la mesurer n’étaient pas aussi précis qu’aujourd’hui. La marge d’un demi-pied attribuée en prévision de la subsidence était insuffisante. Selon l’IPET, et si les tendances actuelles se confirment, la Nouvelle-Orléans s’enfonce à la vitesse de 6 à 16mm par an, soit 60 cm à 1.60 m par siècle, (jusqu’à 3 m dans certaines zones alentour). La hauteur des structures de protection dans l’IHNC a par exemple diminué de plus de 60 cm en 35 ans. La subsidence, très variable entre deux points relativement proches, n’est linéaire ni dans le temps ni dans l’espace. Ainsi, bien qu’initialement de même taille, certaines levées voisines présentent des hauteurs très variables. D’un point de vue général, la variabilité spatiale et temporelle de la subsidence a largement été sous-évaluée.

40Bien que la National Geodesic Society (Société Géodésique Nationale) ait averti l’USACE de problèmes de subsidence à la Nouvelle-Orléans et ce, dès la fin des années cinquante, ce paramètre n’a sérieusement attiré l’attention que dans les années quatre-vingt, et encore, sans que de réelles mesures soient envisagées.

41Le Dr. Ivor Van Heerden, du centre des ouragans de Louisiana State University (LSU) à Bâton Rouge, reproche au Corps le manque de mise à niveau des paramètres de construction des structures: « Si cela avait été actualisé, le dispositif de protection contre les ouragans aurait été revu pour faire face à un ouragan de catégorie 4 considérant des vents allant à 225 km par heure » (Campbell Rock, 2006). Il était difficile d’envisager des ajustements alors que les financements manquaient et que la construction du dispositif n’était pas terminée.

42Ed Link (2006), ingénieur-chercheur à l’université du Maryland, et directeur de la commission d’enquête de l’IPET, reconnaît lui aussi, dans le Denver Post, le caractère obsolète du programme adopté, l’environnement de la Nouvelle-Orléans ayant profondément changé en un demi-siècle. Outre les erreurs de mesure et l’absence de prise en compte de la subsidence, on doit considérer aujourd’hui l’élévation du niveau de la mer et l’amenuisement des marais. Nombreux sont les climatologues qui, du fait du réchauffement climatique, prédisent des ouragans plus intenses et plus fréquents dans le golfe du Mexique.

43Étonnamment, l’IPET considère malgré tout que la perte de hauteur des structures n’a probablement pas eu un gros impact dans le désastre. En effet, en de nombreux points du système, le niveau de l’onde de tempête et des vagues fut de toute façon bien supérieur à la hauteur initialement prévue pour les levées. Katrina a effectivement engendré des hauteurs d’eau supérieures de 1.5 m à 1.8 m aux structures de protection. La submersion du système semblait donc inévitable. Il est pourtant admis qu’un dispositif complet aux dimensions idoines aurait considérablement réduit les dommages.

Des structures de protection défaillantes

44Sur les 560 km de levées, Katrina a provoqué au total 50 brèches, endommageant 270 km de digues et de murs, dont 65 km gravement (voir Figure 1) ; les brèches ont créé des dégâts bien plus importants qu’une inondation due à une simple submersion des levées.

  • 9 Le Dr Ivor Van Heerden, du LSU Hurricane Center de Bâton Rouge, depuis 1997, entre autres.

45Le rapport de l’IPET indique ainsi que 2/3 du volume total de l’inondation leur serait imputable ; selon d’autres sources, la proportion grimperait à 92% (Environmental Defense et al., 2006). Ces brèches sont les conséquences de l’hétérogénéité du système : de larges levées en terre voisinent avec des murs dits en « I », en « T » ou encore en « L », construits avec des matériaux divers et de résistance différente. La probabilité d’apparition de brèches était élevée, de nombreux scientifiques9, relayés par les médias, émettaient depuis longtemps des alertes sur les capacités réelles des levées.

46La submersion a engendré des vitesses d’écoulement très élevées et très érosives à l’arrière des structures, entraînant leur instabilité et leur effondrement, particulièrement dans le cas des murs en « I » (ASCE, 2005). Les fondations de ces murs reposaient sur des substrats peu stables : sédiments marécageux ou dépôts sableux. Les piliers qui les soutenaient n’étaient pas ancrés aux profondeurs nécessaires ; ainsi, selon l’USACE, les levées de 17th Street Canal auraient dû être ancrées deux fois plus profondément.

47D’autres points faibles se situaient aux zones de « transition » entre différents types de levées, notamment à la limite de deux districts et aux endroits d’inachèvement des constructions réglementaires.

48La submersion des levées s’est produite notamment sur la partie est du «Hurricane Protection System», particulièrement dans les paroisses de Plaquemines et de Saint-Bernard, ainsi que le long du Mississippi River Gulf Outlet (MRGO) et du Gulf Intracoastal Waterway (GIWW). Par contre, quatre ruptures de digue ont eu lieu avant que l’eau ne submerge les digues touchées. Trois d’entre elles concernent les canaux de drainage (17th Street Canal, et London Avenue Canal), la quatrième a eu lieu dans l’IHNC ; toutes mettent en cause des murs en « I ».

49D’après le rapport de l’IPET, les trois brèches survenues sur les canaux de drainage sont responsables de 70% du volume d’inondation dans Orleans East. Le complément serait dû aux pluies abondantes (jusqu’à 36 cm en 24 heures) et aux brèches de la rive Ouest de l’IHNC, consécutives à la submersion des levées. Des modélisations (IPET, 2006) ont ainsi montré que si aucune levée n’avait cédé, certaines zones de la paroisse d’Orléans auraient été trois fois moins inondées, et les dégâts, considérablement réduits.

50Pour résoudre ses problèmes d’évacuation des eaux, La Nouvelle-Orléans s’est dotée, au fil des années, d’un vaste ensemble de canaux de drainage, associé à près de 100 stations de pompage, qui aurait pu agir comme une seconde ligne de défense. Ce système de drainage a été conçu pour faire face à des tempêtes tropicales, non pour compenser une inondation majeure. L’ensemble de stations de pompage n’est prévu que pour affronter des épisodes pluvieux ayant une période de retour de 10 ans, les parties les plus anciennes du système ayant une capacité moindre. Nous nous référons à ces nombreuses inondations dont sont victimes toute l’année certains microreliefs de la ville (voir Figure 2).

Figure 2. Mapple Street, inondée en deux heures après une pluie intensive (plus de 5 cm/h). Photo : Maret

Figure 2. Mapple Street, inondée en deux heures après une pluie intensive (plus de 5 cm/h). Photo : Maret

51Le système de pompage a été réduit à 16% de ses capacités en raison des conditions engendrées par l’inondation : submersions des pompes, absence des opérateurs, rupture du courant électrique, etc. Même à plein régime, les pompes n’auraient eu la capacité de lutter que sur la durée de l’inondation, et non sur son étendue. L’utilisation de pompes temporaires et la lente remise en activité des stations endommagées ont finalement permis d’évacuer l’eau hors de la ville en 53 jours.

52Le Mississippi River Gulf Outlet (MRGO) est un canal de navigation de 122km, aménagé de 1958 à 1968, destiné à accélérer les communications entre le port de la Nouvelle-Orléans et le Golfe du Mexique. Il a été creusé au cœur des marais pour rejoindre le tracé déjà existant du Gulf Intracoastal Waterway (GIWW), qui communique avec l’Inner Harbor Navigation Canal. Sa construction a détruit plus de 8 000 hectares de marais (Environmental Defense, 2006.) ; les marais avoisinants continuent d’ailleurs de s’éroder. On peut se demander s’il a pu favoriser la propagation de l’onde de tempête jusqu’à l’intérieur de la ville.

53Selon le rapport de l’IPET, le MRGO n’a joué qu’un rôle marginal. Cependant, plusieurs scientifiques affirment le contraire et pensent effectivement que l’onde de tempête a dû être amplifiée par la configuration en entonnoir à la confluence du MRGO et du GIWW. Ainsi, d’après des modélisations réalisées par Hassan Mashriqui, du Louisiana State University Hurricane Center, l’onde de tempête se serait intensifiée de 20 % dans le MRGO et sa vitesse de propagation aurait été doublée, passant de 1 mètre par seconde à l’entrée du chenal à 2m/s à sa confluence avec l’IHNC. Mashriqui en conclut : « Sans le MRGO, l’inondation aurait été bien moindre, (…), les levées auraient peut-être été submergées, mais elles n’auraient pas été détruites » (Warrick et Grunwald, 2005).

54Depuis longtemps, nombre de scientifiques et d’écologistes préconisaient la fermeture de ce canal, mais les enjeux économiques semblaient passer avant la conservation des marais et la sécurité des populations. Aujourd’hui, des travaux de fermeture ont été votés et commenceront en juin 2008. Les revendications s’orientent maintenant en faveur de la restauration des marais, pour laquelle toutefois rien n’a été prévu.

55Puisqu’il était le seul garant du programme, il a été aisé, au lendemain de Katrina, de désigner l’USACE principal responsable des défaillances du «Hurricane Protection System». L’IPET conclut pourtant que « rien ne prouve qu'il y ait eu des négligences ou des erreurs de la part des gouvernements » (IPET, 2006), la construction du système ayant sans cesse été dictée par des intérêts politiques et économiques particuliers, notamment ceux de chacune des juridictions locales, ce qui a généré un système fragmenté.

56Or, à la Nouvelle-Orléans, ce genre de défaillances s’est déjà produit. Plus de deux siècles d’absence de synchronisation des efforts ont été nécessaires pour qu’enfin s’impose l’idée d’une protection systémique contre les crues du Mississippi. Les levées du fleuve, considérées fiables, n’ont été que peu endommagées en septembre 2005. À l’image de celles-ci, le «Hurricane Protection System» nécessite la création d’une autorité unique, vraisemblablement fédérale, chargée à la fois de sa conception, de sa construction et de sa maintenance, pour qu’enfin sa cohérence garantisse son efficacité. Cette conclusion est en accord avec David Daniel lorsqu’il souligne la nécessité « d’une approche globale accompagnée d’un plan d’évacuation ou de reconstruction » (Campbell Rock, 2006).

Domination des mesures structurelles

Le National Flood Insurance Program (NFIP)

57Être en situation risquée, c’est exposer sa vulnérabilité à l’aléa. L’expérience du système de levées de la Nouvelle-Orléans apporte un argument supplémentaire pour soutenir le principe selon lequel il est plus approprié de réduire le degré de vulnérabilité que de chercher à « prendre le contrôle » du risque ou à défier l’aléa par des moyens techniques. Dans cet esprit, une stricte gestion de l’occupation des sols paraît déterminante : il ne faut plus bâtir en zone classée à risques ou, à tout le moins, il faut imposer des codes de construction prenant en compte l’exposition à l’aléa.

58Les politiques d’urbanisme menées à la Nouvelle-Orléans n’ont jamais considéré ces options, non seulement parce que l’on faisait confiance aux technologies, mais aussi parce que le Congrès incitait à rendre productives ces terres surexposées.

59L’État fédéral considère depuis toujours « le système de protection de la ville » comme un outil pour drainer les zones inondables, ouvrir de nouveaux territoires à l’urbanisation et rendre rentables les infrastructures de protection par l’apport fiscal créé. En le finançant, il a directement contribué à la colonisation de terres fortement exposées. Par ailleurs, en 1968, le Congrès vote le National Flood Insurance Program (NFIP), un fonds d’assurances fédéral spécifique aux risques d’inondations qui va indirectement accélérer le processus en minimisant les craintes de pertes financières. Raymond Burby appelle cela « le paradoxe de l’urbanisme sécurisé » (Burby, 2006).

60Cette assurance fédérale spécifique prend en charge les risques majeurs que les compagnies d’assurances traditionnelles refusent de couvrir, ouvrant ainsi la porte à l’urbanisation des zones délaissées parce que trop exposées aux risques.

La démarche de l’état fédéral suit le raisonnement suivant

  • une terre à risques peut être mise à profit si des structures de sécurisation, comme les levées ou les barrages, sont déployées pour protéger les résidents. Ceux-ci, par leurs contributions fiscales, permettront de réaliser les investissements structurels ;

  • tout futur propriétaire en zone à risques, sollicitant un prêt bancaire, devra, selon la loi, souscrire une assurance spécifique au risque identifié en plus de son contrat d’assurance général ;

  • à la Nouvelle-Orléans, les propriétaires bénéficieront de l’assurance fédérale, peu coûteuse, si leurs bâtiments respectent les codes de construction définis, notamment en matière d’élévation des bâtiments au-dessus de la hauteur estimée de l’inondation (Base Flood Elevation, BFE) ;

  • une exception de ces contraintes d’élévation pourra être faite pour les zones bénéficiant de protections structurelles, puisqu’elles sont censées être sécurisées.

61Ce dernier point a été surexploité par les autorités locales qui, s’appuyant sur le « Hurricane Protection System », ont favorisé l’évolution des quartiers bâtis sur dalle sèche au lieu des traditionnels pilotis (Link, 2006).

62Bien qu’à l’évidence, les gouvernements locaux aient la charge des plans d’urbanisme, dans une optique de sécurisation des populations, l’État de Louisiane, a rendu constructibles des zones à risques, en s’appuyant notamment sur la certitude qu’en cas de défaillance des structures, le gouvernement fédéral couvrirait les dommages subis tant par les résidents que par les municipalités.

63La Nouvelle-Orléans doit à cette décision la construction de 29 000 habitations et commerces sur dalle sèche, dont 75% ont engendré le quartier de East New Orleans, qui n’était encore que du marais au moment de l’ouragan Betsy, l’extension du quartier huppé de Lakeview, protégé par le 17th st canal, et l’extension du quartier de Gentilly, sécurisé par le London Canal. La paroisse de Jefferson a laissé s’édifier 47000 logements sur la rive Est du Mississippi, protégés par le West Bank Vicinity (Burby, 2006).

64Le professeur Rosenbaum résume ainsi la situation :

« La croissance des richesses personnelles de nombreux Américains, associée à une assurance anti-inondations bon marché et à une période relativement calme en ouragans, ont contribué […] au développement de zones côtières à haut risque et à l’environnement fragile. L’assurance fédérale contre les inondations a considérablement réduit le risque économique de ce développement et les protections anti-inondations financées par le gouvernement […] ont créé un faux sentiment de sécurité pour les résidents de ces zones peu élevées. Le National Flood Insurance Program doit être réformé » (Pew Ocean Commission (2003) cité in Rosenbaum, 2005)

65Les effets négatifs du NFIP doivent pourtant être pondérés. D’une part, on ne peut pas lui imputer toute la responsabilité de la présence humaine en zone inondable à la Nouvelle-Orléans, les terres nouvellement urbanisées n’étant pas les seules à être exposées, loin s’en faut! D’autre part, ce fonds a été créé pour combler la défaillance des assureurs traditionnels qui refusaient de couvrir, pour un tarif modique, un risque omniprésent jugé inéluctable.

De la confiance à l’inconscience

66De fait, il apparaît que moins de 40% des victimes de Katrina (Louisiane et Mississippi réunis) étaient couverts par l’assurance fédérale (Kunreuther, 2006). Ce chiffre pourrait laisser entendre que le reste de la population serait propriétaire sans emprunt foncier, ou situé en zone déclarée non inondable, et que les habitants n’avaient pas pris la peine de souscrire à cette police.

67On sait que la majeure partie de la ville est déclarée inondable, selon une échelle qui comporte 11 degrés (A1, A2, ...A11). Pour sa part, la zone B (non inondable) exempte ses accédants à la propriété de l’obligation d’assurance NFIP, leur laissant le choix de souscrire ou non. La carte qui fait référence au classement des quartiers a été éditée par la Federal Emergency Management Agency (FEMA) en 1970. Bien que les problèmes de subsidence, d’élévation du niveau de la mer, d’érosion des côtes et des marais et d’imperméabilisation des sols, aient été mis en évidence au fil des décennies, et que la méthode de détermination des zones apparaisse dépassée, celle-ci n’avait jamais été réactualisée. De nombreux propriétaires de la zone B ont été victimes de cette négligence (voir Figure 3).

68L’obligation d’adhésion au NFIP ne concernant que les nouvelles acquisitions, les propriétaires de constructions antérieures à 1968 se voyaient dispensés de sa souscription. Les propriétaires de quartiers pauvres, au bâti ancien, ont souvent fait l’économie de cette opportunité, même lorsque, comme dans le Lower Ninth Ward, ils avaient souffert de Betsy.

69Excès de confiance ou inconscience? Aujourd’hui 15 5900 demandes d’indemnisation compensatoire ont été déposées auprès du plan de secours mis en place par l’État de Louisiane (Road Home program); ce programme ne prend en considération que les propriétaires.

70Ce n’est qu’après la catastrophe qu’un grand nombre de propriétaires ont pris conscience que la franchise de « l’assurance inondations » allait limiter les montants compensatoires, puisque les dégâts causés par le vent n’étaient pas de son ressort, et qu’ainsi les pertes financières seraient conséquentes. Chaque situation étant particulière, on perçoit, deux années plus tard, d’un bloc d’habitations à l’autre, les leçons tirées de l’expérience et leurs implications sur le paysage urbain: abandons de nombreux bâtiments, rehaussement démesuré des maisons sur pilotis (jusqu’à 4 mètres).

Figure 3. L’inondation de 2005 : au delà des prévisions de FEMA

Figure 3. L’inondation de 2005 : au delà des prévisions de FEMA

Source : LSU GIS Information Clearinghouse: CADGIS Research Lab, Louisiana State University, Baton Rouge, LA. 2005/2006 (Goeury R., 2006. p58).

71Enfin, victime de la fuite des compagnies qui couvraient les contrats de base des habitations, la paroisse d’Orléans dépend aujourd’hui à 100% du Louisiana Fair Plan, considéré comme « l’assureur en dernier ressort ». Créée à l’origine pour permettre aux « mauvais clients » d’être couverts lorsque personne ne voulait plus les prendre en charge, cette institution d’État, loin d’être philanthropique, a quintuplé ses tarifs. Cette augmentation massive des primes limite le retour de candidats à l’accession à la propriété, engendre des hausses de loyers et motive la fermeture de nombreux commerces. Ajoutons que le traumatisme est encore bien présent et que la population n’a plus une confiance aveugle dans le système de protection.

De la fragmentation des gouvernances aux négligences

72Le rôle de chaque niveau de gouvernance dans l’instauration de mesures de mitigation non structurelles n’est pas nettement défini. Certains attribuent cette fonction à l’État fédéral, tandis que pour d’autres, les gouvernements locaux sont les plus à même de prendre les décisions appropriées sur leur territoire (May et Deyle, 1998).

73Dans les faits, chaque État de l’Union gère sa planification et ses codes de construction dans les zones à risques, de façon indépendante. Certains États, comme la Caroline du Nord, ne donnent accès aux fonds de dédommagement (North Carolina Department of Emergency Management, 2002) qu’aux villes et comtés qui se dotent d’un plan de mitigation homologué par leurs soins. D’autres États préventifs, comme la Géorgie ou la Caroline du Sud, imposent leurs codes de construction aux municipalités de façon stricte, sans obligation d’un plan d’aménagement global intégrant les aléas.

74La Louisiane, quant à elle, entre 1978 et 2002, n’a ni renforcé les codes de construction, ni proposé un plan global de développement urbain prenant en compte l’exposition aux aléas naturels (Burby, 2006). Ces responsabilités ont été déléguées au niveau local, chaque niveau de gouvernance attendant que l’autre se charge du fardeau politique, financier et légal que représente la gestion du risque (Platt, 1998).

  • 10 Les barrières anti-inondations sont aujourd’hui en place aux embouchures des London canal et 17th s (...)

75Les conséquences sur le terrain ont été proportionnelles aux compétences, aux moyens financiers et aux motivations, lesquels variaient fortement d’une paroisse ou d’une municipalité à l’autre. Le Levee Board de la paroisse d’Orléans, qui a imposé au Corps des Ingénieurs l’édification d’un système de protections pour un ouragan de type centennal plutôt que bi-centennal afin de réduire sa participation financière, n’est qu’un exemple parmi d’autres. Il s’est également opposé à la construction de barrières anti-inondations à l’embouchure des canaux de drainage; cela a conduit à dresser des murs de protection le long de ces canaux, des murs mal édifiés qui ont cédé lors de Katrina10.

76Le laisser-aller en matière de gestion des risques était tel qu’au début des années 80, la Federal Insurance Administration (qui gère le NFIP) a intenté un procès en subrogation contre les paroisses de Jefferson, d’Orléans et de Saint-Bernard, pour manque d’entretien des levées; les trois paroisses ont été condamnées à renforcer leurs structures (Malone, 1995).

77Plusieurs raisons expliquent cette inertie des pouvoirs locaux. Outre la question des coûts induits, le souci d’assurer la sécurité publique par la gestion de l’occupation du sol se heurtait au souhait d’exploiter les bénéfices économiques de l’ensemble des terrains disponibles, et au principe américain de propriété privée (May et Deyle, 1998).

78Une profonde culture d’anti-planification a ainsi paralysé la prise de décisions fermes sur la côte du Golfe du Mexique (Peirce, 2005). Les plans de mitigation, quand ils existaient, ne faisaient pas partie d’un plan global d’aménagement et ne bénéficiaient que d’une faible attention. Pendant presque 30 ans, le plan global de protection de la Nouvelle-Orléans n’a pas été remis à jour. Actualisées en 1999, les directives du New Century New Orleans Land Use Plan ne mentionnaient ni l’éventualité d’une inondation extrême, ni les moyens de mitigation et ne suggéraient aucune réglementation de l’occupation du sol ou de durcissement du code de construction (Burby, 2006).

79À la Nouvelle-Orléans, une gestion stricte de l’occupation du sol, considérant les risques naturels, apparaît très contraignante et constitue un sérieux frein au développement. L’application de mesures de restriction d’occupation des zones déjà développées étant très impopulaire, le premier plan de reconstruction (la Bring New Orleans Back Commission, au printemps 2006), qui prévoyait de convertir certains quartiers en parcs et zones de réception des eaux, a ainsi provoqué un tollé.

80Ce comportement politique local correspondait à l’état d’esprit général, moins préoccupé par le problème des aléas naturels que par ceux, plus quotidiens, du chômage, de la criminalité, du logement, ou de l’éducation. Sous-estimant généralement la probabilité de retour d’un aléa dévastateur, les citoyens doutaient de la rentabilité d’investissements coûteux en faveur de la protection de la ville et les pouvoirs publics hésitaient à prendre des mesures aux bénéfices électoraux aussi incertains que difficiles à comptabiliser (Mileti, 1999).

81Enfin, le fait qu’officiellement, l’État fédéral prétendait ne pas apporter d’aide en cas de catastrophe majeure, n’incitait pas les gouvernements locaux et régionaux à mettre en place de solides politiques de protection, ni les citoyens à souscrire à l’assurance fédérale (Kunreuther, 2006). En effet, il était implicite qu’en cas de désastre, c’était bien Washington qui accorderait les moyens et les fonds de secours ; Katrina n’a pas démenti ce principe.

Des programmes fédéraux peu appliqués

82Suite à la grande inondation du Midwest de 1993, le rapport Galloway indique : « Le contrôle de l’utilisation du sol relève de la seule responsabilité des états et des entités locales. La responsabilité fédérale se limite aux audits pourvoyant informations techniques, données et conseils aux États » (Interagency Floodplain Management Review Committee, 1994 : 74). Le pouvoir fédéral avait encouragé, dès 1950, une politique de mitigation des inondations, en créant la Water Ressource Policy Commission : plus de 50 lois fédérales ont été édictées. Leur faiblesse était qu’hormis en ce qui concerne les domaines de la protection des marais et des espèces menacées, les mesures prescrites n’étaient qu’incitatives et ne proposaient qu’assistance technique ou soutien financier. Constatant le manque d’aptitude des gouvernements locaux à s’engager dans les processus de planification souhaités, le Disaster Mitigation Act de 2000, (un amendement au R. T. Stafford Disaster Relief and Emergency Assistance Act) a proposé de soutenir financièrement les États et les localités qui suivront les recommandations de la loi en présentant des plans concertés de mitigation des risques naturels. Incitatif et motivant, il propose 15 à 20% de dédommagements supplémentaires tirés d’un fonds spécifique : le Hazard Mitigation Grant Program Fund (Daniels et Daniels, 2003). L’efficacité de cette législation n’est pas encore avérée, comme le révèle le cas de la Louisiane.

83L’échec des recommandations fédérales a engendré une situation paradoxale supplémentaire : « D’un côté, Washington est implicitement censé assumer une part des pertes économiques des États, des gouvernements locaux et du secteur privé lors des désastres…, d’un autre, il se montre impuissant à exiger des mêmes acteurs qu’ils assument les charges politiques et financières qui éviteraient le développement urbain dans les zones à risques » (Burby, 2006). Douze ans après la publication de son rapport aux conclusions quasi non exploitées, Galloway, aujourd’hui professeur à l’Université du Maryland, réagissait : « les leçons de Katrina sont les mêmes que celles de l’inondation de 1993, on déplore le manque d’attention envers le programme national de réduction des dommages dus aux inondations » (Galloway, 2005 : 2).

Conclusion

84Les dommages provoqués à la Nouvelle-Orléans par l’ouragan Katrina résultent d’une suite d’évènements qu’un choix technique n’a pu maîtriser : un ensemble de structures de protection consistant presque uniquement à faire barrage à l’inondation qui, s’il procure une impression de sécurité, n’en reste pas moins imparfait. L’USACE n’a pas manqué de souligner les nombreuses sections de levées qui ont contenu la puissance du cyclone, bien qu’elle fût largement supérieure à leurs capacités théoriques de résistance. La viabilité d’un ensemble de structures de protection dépendra de sa continuité, de sa globalité, de sa cohérence, de la minutie de son entretien et de sa mise à niveau, etc. Cela exige des pouvoirs publics une vigilance constante et un réel souci de coordination.

85La technologie ayant ses limites, et l’expérience aidant, il apparaît qu’une protection structurelle ne suffit pas. Il est essentiel d’élaborer une approche plus diversifiée, incluant aussi une gestion de l’occupation du sol et des codes de construction fondée sur l’évaluation des risques. La Louisiane doit aussi restaurer ses marais, les conserver et rendre au Mississippi la relation originelle qu’il entretenait avec les zones humides en créant des voies de déversement des sédiments. Ces stratégies ne trouveront une pleine efficacité que si elles sont associées les unes aux autres. De plus, l’application de ces programmes de façon à diminuer la vulnérabilité du site et à enclencher un processus de développement durable nécessite une coordination intergouvernementale efficiente. La situation actuelle de la Nouvelle-Orléans représente une opportunité, celle de réorienter la planification urbaine dans cette direction, ce qui s’avère nécessaire alors que la question des zones à ré-urbaniser suscite les plus vives controverses (Maret, 2006).

86Si cette idée semble évidente, il aura néanmoins fallu attendre janvier 2007 pour que le Unified New Orleans Plan voie le jour. Ce plan de reconstruction unit les travaux de la municipalité, des districts et de l’État. Validé par la mairie, accepté par les résidents, il résulte de la 4e étude centrée sur la Nouvelle-Orléans depuis la catastrophe, mais la première qui fasse l’unanimité parce qu’elle considère la ville dans son ensemble. Si la planification semble plus unifiée à travers ce projet, la gestion des risques reste en grande partie cloisonnée, ce qui montre le chemin qui reste à parcourir vers la sécurisation de la ville.

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Notes

1  Si le phénomène climatique est bien un cyclone, il est usuel d’utiliser le vocable ouragan, pour décrire ceux qui sévissent dans l’atlantique.

2  Le terme de « terres humides » désigne ici les différentes catégories de marais.

3  De nombreuses autres références font état de données plus alarmantes encore pour l'ensemble de la Louisiane.

4  L'IPET (Interagency Protection Evaluation Task Force) est la commission d'enquête créée par le Corps des ingénieurs de l’armée, chargée d'évaluer le comportement des systèmes de protection contre les cyclones lors de l’ouragan Katrina. Ce groupe de travail constitué de 150 scientifiques et ingénieurs a également bénéficié de la collaboration de l'American Society of Civil Engineers (ASCE) et le National Research Committee (NRC).

5  Certains articles utilisent USAC et non USACE.

6  Équivalent du Bureau du vérificateur général du Canada.

7  « Southeast Louisiana Flood Protection Authority – East » d’une part et « SLFPA West bank » d’autre part.

8 Autre diminutif pour USACE.

9 Le Dr Ivor Van Heerden, du LSU Hurricane Center de Bâton Rouge, depuis 1997, entre autres.

10 Les barrières anti-inondations sont aujourd’hui en place aux embouchures des London canal et 17th st canal…financées par USACE à 100%

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Hurricane protection system et ses brèches dues à Katrina
Crédits Source : Regional Planning Commission, NO ; IPET, Carte R Goeury / I Maret
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/867/img-1.jpg
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Titre Figure 2. Mapple Street, inondée en deux heures après une pluie intensive (plus de 5 cm/h). Photo : Maret
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/867/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Titre Figure 3. L’inondation de 2005 : au delà des prévisions de FEMA
Crédits Source : LSU GIS Information Clearinghouse: CADGIS Research Lab, Louisiana State University, Baton Rouge, LA. 2005/2006 (Goeury R., 2006. p58).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/867/img-3.jpg
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Isabelle Maret et Romain Goeury, « La Nouvelle-Orléans et l’eau : un urbanisme à haut risque »Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 2 | 2008, mis en ligne le 09 septembre 2008, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/867

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Auteurs

Isabelle Maret

Professeure, Université de Montréal, courriel : isabelle.thomas-maret@umontreal.ca

Romain Goeury

Assistant de recherche, Université de La Nouvelle-Orléans

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Droits d’auteur

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