1Bien que l’activité conflictuelle ne soit pas un phénomène récent dans les sociétés occidentales (Meyer et Brown, 1989), il semble que les conflits survenant dans les aires urbanisées aient vu leur nombre exploser depuis le tournant des années 1960 (Rucht et al., 1999). À cette époque, les mouvements sociaux urbains faisaient le constat de l’échec des politiques ébauchées « par le haut » face aux grands bouleversements engendrés par les projets de rénovation urbaine et les nouveaux problèmes d’aménagement que rencontraient les villes.
2L’intérêt des chercheurs pour le phénomène a fait de l’analyse de l’activité conflictuelle un objet d’étude multidisciplinaire. En effet, la recherche sur l’activité conflictuelle a été conceptualisée de façon très large et ce, aussi bien en sciences sociales en général qu’en géographie en particulier. Les chercheurs qui se sont intéressés à l’activité conflictuelle, dont plusieurs sociologues et historiens, ont surtout tenté d’expliquer l’apparition de conflits, ou la fréquence plus grande de ceux-ci, par les contextes sociaux, macro-économiques et politiques. Cox (1984) voyait la dynamique des conflits comme s’imbriquant étroitement dans la forme capitaliste de la lutte des classes, expliquant l’extension des conflits du lieu de travail jusqu’au lieu de résidence par la « commodification » de la vie quotidienne. Lake (1993) arguait quant à lui que les projets de rénovation urbaine, qui tentent de répondre à certains problèmes sociaux ou physiques, se heurtent aux consommateurs d’espace, de biens et de services urbains ayant investi le territoire tel qu’il était. De là l’apparition de conflits. Guay (1996) établit pour sa part un lien entre les contestations des décisions concernant l’aménagement du territoire et les mouvements sociaux urbains et régionaux. Dans une étude sur la violence raciste, McLaren (1999) démontre que ces flambées sont étroitement liées au taux de chômage et au sous-emploi, reprenant ainsi l’explication avancée au sujet de la compétition pour les ressources limitées dans la genèse des conflits (Olzak, 1992). Trudelle (2005) a montré que la participation des femmes aux activités conflictuelles semble associée à une évolution de leur rôle sur la scène politique municipale. Concernant le contexte politique, la littérature au sujet des relations internationales et des effets des régimes politiques sur la naissance des conflits abonde (Chandler, 2006; Gartzk et Gleditsch, 2006; Hwang, 2006). À ce propos, Peceny et Butler (2004) et Geddes (1999) ont examiné les dynamiques particulières affectant les conflits dans les régimes autoritaires.
3Par ailleurs, les controverses liées aux processus d’aménagement du territoire ont donné lieu à de nombreux travaux, à la fois sur les procédures, sur l’analyse des discours et sur la perception. Cependant, alors que ces actions opèrent des transformations de l’espace géographique, rares sont les recherches prenant en compte la dimension spatiale de l’activité conflictuelle (Le Floch, 2000). Les quelques travaux réalisés dans le champ de l’analyse spatiale de l’activité conflictuelle ont permis principalement d’en apprendre sur la relation qui unit distance et sentiment de nuisance (Furuseth et O'Callaghan, 1991; Le Floch, 2000). D’autres chercheurs ont par ailleurs démontré l’existence d’une relation entre la géographie de l’activité conflictuelle et la structuration spatiale des sociétés (Janelle et Millward, 1976; Janelle, 1977; Ley et Mercer, 1980; Joerin et al., 2005). Ainsi, selon le contexte socio-environnemental, certains secteurs seraient plus fréquemment le lieu d’activités conflictuelles et les conflits dans ces lieux seraient de plus longue durée, ou encore plus intenses. Il a notamment été démontré que les conflits sont, par exemple, plus fréquents dans les secteurs où le niveau d’éducation est plus élevé et la densité de commerces plus forte (Joerin et al., 2005).
4Généralement, ces travaux s’appuient sur un inventaire systématique de l’activité conflictuelle pour une période et un territoire donnés, afin d’étudier les impacts systémiques des décisions prises quant à la gestion du milieu urbain. Cet inventaire permet également de procéder à une caractérisation rigoureuse du patron géographique des conflits. Bien que cela puisse sembler paradoxal, la forme de ces inventaires constitue en soi une limite importante à ces études. En effet, que ce soit pour des raisons techniques ou méthodologiques, ces études ont cartographié l’activité conflictuelle de façon ponctuelle : c’est-à-dire que chaque conflit est représenté par un point. Or, en procédant ainsi, l’extension spatiale de chaque conflit est occultée. Par exemple, sur une carte de l’activité conflictuelle, un tracé autoroutier contesté se matérialise par un point, tout comme un espace riverain où la population locale s’oppose à l’implantation d’un terminal de croisières. Il va de soi que cette représentation spatiale de l’activité conflictuelle limite grandement l’intérêt de l’analyse spatiale de ce phénomène.
5Par ailleurs, la grande majorité des études réalisées sur l’activité conflictuelle s’intéressent à un type spécifique de conflits. De fait, la littérature foisonne de définitions, appellations et explications de ce que l’on entend par « conflit » (Trudelle, 2003). La littérature francophone est révélatrice à ce sujet. On parle de conflit social (Charlier, 1999), de conflit d’implantation (Le Floch, 2000), de conflit environnemental, d’aménagement (Lecourt, 2003), d’usage (Torre et Caron, 2002) ou patrimonial (Melé, 2005). La littérature anglo-saxonne n’est pas en reste, on y retrouve les :
-
NIMBY « Not In My Backyard » (Freudenburg et Pastor, 1992),
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NIABY « Not In Anyone's Backyard » (Heiman, 1990),
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LULU « Locally Unwanted Land Use » (Popper, 1981; Freudenburg et Pastor, 1992),
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NOOS « Not On Our Street »,
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NOPE « Not On Planet Earth »,
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BANANA « Build Absolutely Nothing Anywhere, Near Any-place »,
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CAVE « Citizens Against Virtually Everything » ,
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YTSEBY « Yes To Someone Else’s Backyard »,
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NIMEY « Not In My Election Year »
-
et les NIMTOO « Not In My Term Of Office ».
6Ces multiples classifications montrent que l’étude empirique de l’activité conflictuelle est une entreprise extrêmement délicate. Il n’est pas aisé d’établir des frontières délimitant les différents types de conflits, d’autant plus qu’un même conflit présente souvent, plus ou moins clairement, les caractéristiques de plusieurs types différents, ou encore évolue avec le temps d’un type à l’autre.
7Pour que l’étude des dynamiques spatiales de l’activité conflictuelle puisse enrichir la compréhension des conflits urbains et peut-être, à terme, permettre aux acteurs de mieux y faire face, elle doit nécessairement reposer sur une modélisation spatiale, elle-même fondée sur une modélisation conceptuelle. Autrement dit, avant d’étudier la relation entre le conflit et son lieu, il s’agit de préciser ce que nous entendons par conflit, notamment dans ses dimensions sociales et spatiales. Pour répondre à ce besoin, cet article met ainsi l’accent sur la représentation conceptuelle et spatiale de l’activité conflictuelle. Il constitue un premier jalon, un détour obligé en quelque sorte, dans la réalisation d’un projet plus global, qui vise à faire l’analyse spatiale à grande échelle et pour un grand territoire (près de 100 km²) de la relation qui unit les lieux en conflit aux caractéristiques sociales et environnementales propres à ces lieux. Dans sa première partie, l’article place le conflit dans le champ des processus décisionnels. Ce cadre théorique nous permet de proposer quelques facteurs susceptibles d’influencer l’activité conflictuelle. Les conflits deviennent ainsi des processus décisionnels controversés portant sur des décisions dites territoriales. À la décision territoriale sont associés trois espaces géographiques qui constituent l’articulation entre le conflit dans sa dimension conceptuelle et le conflit dans sa dimension spatiale. Cette articulation permet ensuite sa représentation cartographique. La seconde partie de l’article décrit la procédure appliquée pour cartographier l’activité conflictuelle dans la région de Québec entre les années 1989 et 2000. L’activité conflictuelle est alors décomposée en trois cartes : celles de la fréquence, de l’intensité et de la durée des conflits.
8Le conflit est abordé à travers le prisme des processus décisionnels, qu’on désigne ici comme le cheminement, impliquant un ensemble d’acteurs, qui va de l’émergence d’un projet jusqu’à la décision de sa mise en œuvre. Le processus décisionnel peut concerner la mise en place d’une politique globale, le choix d’une option de développement ou l’élaboration d’un programme concret d’action. On présente généralement un processus décisionnel sous la forme d’une succession d’opérations cognitives (Joliveau, 2004). Le processus de décision se construit aussi par un jeu d’acteurs : les protagonistes formulent leur position, les étayent, les débattent. Parfois, ils s’affrontent en menant des actes de protestation (manifestation, campagne de presse etc.) ou en utilisant des voies juridiques.
9En outre, le processus décisionnel possède certaines caractéristiques telles qu’une durée, un objet ou un lieu, mais aussi un degré de participation (Arnstein, 1969) ou de partage de l’information (Hanna, 2000). L’activité conflictuelle fait partie, elle aussi, des caractéristiques du processus décisionnel. Si certains processus sont très conflictuels, d’autres ne le sont pas du tout. De même, certains conflits se résolvent rapidement, alors que d’autres s’éternisent, ayant pour conséquence de prolonger d’autant le processus décisionnel. L’activité conflictuelle (associée au processus décisionnel) se distingue encore par un degré d’intensité. On peut penser qu’un processus décisionnel conflictuel intense est, par exemple, porté par un grand nombre d’acteurs aux enjeux à la fois nombreux et complexes.
10Les facteurs susceptibles d’expliquer le caractère conflictuel des processus décisionnels sont nombreux. Nous proposons trois grandes dimensions : la forme du processus, l’objet de la décision et les acteurs impliqués.
11La forme du processus peut être en soi la cause du conflit. Ceci comprend aussi bien la nature de la relation (échanges verbaux fréquents et francs, confiance mutuelle, etc.) que le flux, en termes de qualité et de quantité, d’information échangée (communication : A1 actif - A2 passif, consultation : A1 passif - A2 actif, participation : A1 actif - A2 actif) entre les acteurs en relation (Rowe et Frewer, 2005). La forme du processus intègre aussi le respect — ou non — des règles entourant les procédures (autorisations et documents légaux) et celles de la participation des acteurs (Vodoz, 2006) ou encore tout simplement le rythme (trop lent — trop rapide) avec lequel le processus est conduit.
12L’objet de la décision renvoie au projet lui-même. On suppose ainsi que certains projets seraient davantage conflictuels de par leur nature. Autrement dit, malgré la diversité des contextes et des approches, ces projets soulèvent, par les enjeux qui lui sont associés, une réaction de contestation chez les gens (Dente et al., 1998). Ici comme ailleurs, les exemples sont nombreux (dépotoirs, installations nucléaires, réseaux autoroutiers et ferroviaires, etc.) et les réactions et les comportements face à ces projets se ressemblent par leur ampleur.
13Il va sans dire que la place des acteurs au sein des processus décisionnels est centrale : ce sont eux qui mettent en œuvre, animent et font évoluer le processus décisionnel. Selon certains auteurs, ce serait dans le débat, le choc des idées, la confrontation et le conflit que se construiraient les consensus (Trudelle, 2003). Il convient donc de considérer les acteurs comme un facteur déterminant pour expliquer le caractère conflictuel des processus décisionnels. En raison d’intérêts divergents, certains acteurs ou groupes d’acteurs s’opposent fréquemment les uns aux autres (par exemple, les groupes environnementalistes et les groupes économiques). De même, alors que les enjeux ne peuvent être portés que par les acteurs, la considération ou la déconsidération de certains projets de même que l’ampleur de la réaction de contestation face à ceux-ci ne peuvent également être dissociées de ces mêmes acteurs.
14Dans un article discutant de la dimension spatiale de l’activité conflictuelle, November et al. (2004) défendent la notion de lieu, qui présente selon eux plusieurs avantages pour discuter du rapport de l’activité conflictuelle au territoire. Tout d’abord, cette notion a la souplesse nécessaire pour traiter du problème des limites spatiales, qui sont souvent soumises à la discussion lors des processus décisionnels conflictuels. Cette souplesse est particulièrement importante puisque les limites spatiales représentent l’une des principales caractéristiques de la controverse : changer les limites du dedans et du dehors, et changer la liste des éléments qui font ou non partie du problème (population, environnement, etc.) (November et al., 2004). La notion de lieu « […] tient compte du constant redimensionnement de la controverse, du côté éphémère et incertain dont vont être dotés les espaces au cours du conflit. […]. Les limites des endroits frappés par le conflit sont toujours à requestionner » (ibid, p. 98).
15Ensuite, le lieu a la capacité de mettre en relation une série d’éléments et contribue à définir une identité, en associant des personnes, des objets, un sol particulier, une vue sur la mer. Cette idée en amène une autre, mentionnée plus haut et qui nous intéresse particulièrement : les lieux ont besoin des conflits pour se fabriquer autant que les conflits ont besoin des lieux pour se produire, du moins en partie, pensons-nous.
16L’activité conflictuelle, et notamment sa dimension spatiale (ou son lieu), se construit en partie par rapport à la notion de proximité (Sénécal, 2005). En particulier, certains auteurs ont relevé que la proximité spatiale joue un rôle dans la dynamique du conflit, dans la mesure où les populations riveraines définissent leur participation en fonction de la distance entre leur habitation et l’aménagement projeté (Lecourt et Faburel, 2005). La population qui habite directement un lieu où se déroule un conflit (l’espace de l’action) joue ainsi fréquemment un rôle actif dans le conflit (Janelle et Millward, 1976; Joerin et al., 2005). Par ailleurs, les gens habitant à proximité, quoiqu’à l’extérieur de ce lieu, vivent aussi le conflit. Ils le ressentent et/ou y participent, notamment en raison des conséquences du projet qu’ils pourraient subir. Ainsi, c’est en partie par une proximité spatiale que les acteurs acquièrent une légitimité à s’impliquer dans le conflit. Cette légitimité diminue toutefois avec l’éloignement géographique.
17Pourtant, si la proximité spatiale au projet est souvent, d’une part, au cœur de la motivation des acteurs à s’impliquer et, d’autre part, le fondement de la légitimité (notamment juridique) dans la prise de parole, il ne s’agit pas pour autant de considérer qu’elle définit complètement l’implication des acteurs. En effet, le droit suisse reconnaît par exemple un droit de recours à certaines associations de protection de l’environnement lors des procédures d’évaluation de l’impact environnemental. De même, certaines associations militantes d’envergure nationale ou internationale s’impliquent dans des conflits sans se justifier d’une proximité spatiale. Face à un projet de construction d’une centrale nucléaire, par exemple, cette relation, qui lie la proximité géographique à la légitimité des individus à s’impliquer dans le processus, ne tient plus. À la voix des riverains s’ajoutent celles d‘organismes internationaux et d’organismes non-gouvernementaux qui ne sont pas exposés directement aux effets de l’installation. Il arrive aussi que certaines décisions territoriales conflictuelles dont les effets sont locaux n’impliquent que des acteurs régionaux ou nationaux. Prenons l’exemple de la construction projetée d’une nouvelle bibliothèque municipale par l’administration de Vanier, une municipalité enclavée à l’intérieur des limites de la ville de Québec. L’administration de cette dernière s’y oppose avec force, allant même jusqu’à impliquer les instances gouvernementales provinciales (Fleury, 1999). Dans ce contexte comme dans le précédent, la relation qui unit la proximité spatiale à la légitimité tend alors à s’effacer.
18La partie précédente a mis en évidence la grande flexibilité spatiale, mais aussi conceptuelle, qui caractérise le lieu du conflit. Nous avons aussi montré que le lieu du conflit se structure en partie autour de relations de proximité spatiale, qui sont elles-mêmes difficiles à préciser puisqu’elles fluctuent d’un conflit à l’autre ou d’un contexte à l’autre. Cette incertitude dynamique dans la relation entre le conflit et son lieu est évidemment très difficile à matérialiser. Or, cette opération est nécessaire pour permettre une analyse spatiale de l’activité conflictuelle. Autrement dit, l’étude de la dimension spatiale de l’activité conflictuelle doit affronter un défi : comment représenter de façon cartographique des lieux en conflit alors que ceux-ci se définissent essentiellement par des frontières floues et dynamiques?
19Notre proposition pour affronter ce défi comprend deux aspects. Nous proposons, d’une part, de substituer à la notion de lieu, trois espaces caractéristiques de la décision : l’espace de l’action, l’espace des acteurs et l’espace des conséquences. D’autre part, nous proposons de limiter notre étude aux conflits (ou aux processus décisionnels conflictuels) pour lesquels cette réduction sémantique nous semble acceptable.
20Dans la vaste gamme des processus décisionnels, certaines décisions, qu’elles soient de nature conflictuelle ou non, ont la particularité d’entretenir une relation étroite avec le territoire. Par conséquent, cette recherche cible les décisions dont l’objet est un projet territorial. La définition du projet territorial retenue dans cet article est très ouverte : il s’agit simplement d’un projet ayant des effets significatifs, directs et indirects, sur le territoire. Les effets directs renvoient à l’emprise du projet tel que l’espace occupé par une construction ou l’espace d’un milieu naturel protégé. Les effets indirects font échos aux conséquences de la décision. Celles-ci peuvent être des nuisances sonores, un impact visuel, des retombées économiques, une évolution de la mobilité d’une population.
- 1 Ce concept d’espace s’inspire des travaux de Lecourt (2003) et Charlier (1999). Notre approche ac (...)
21Les effets directs et indirects d’une décision définissent à leur tour des espaces. On peut ainsi associer à la décision territoriale trois espaces distincts : 1) l’espace de l’action qui correspond à l’emprise objective du projet, 2) l’espace des conséquences qui couvre les impacts réels ou supposés et finalement, 3) l’espace des acteurs, soit le territoire définit par les lieux de résidence (ou de siège social) des acteurs ayant un rôle dans le processus décisionnel conflictuel1. Ces trois espaces matérialisent le lien entre la décision (territoriale) et le territoire qui peut être plus ou moins fort selon leur dimension ou leur agencement (figure 1). Comme nous le verrons dans la partie suivante, la configuration de ces trois espaces est au cœur de la méthodologie pour spatialiser l’activité conflictuelle (partie 3.4).
Fig. 1. Exemples d’agencements des trois espaces associés à la décision territoriale.
22La seconde partie de l’article s’appuie sur l’approche conceptuelle présentée ci-dessus pour proposer une représentation spatiale (cartographique) de l’activité conflictuelle. Cette proposition est concrétisée sur une base empirique relatant les conflits pour une région donnée (la ville de Québec) et une période donnée (les années 1989 à 2000). Plusieurs des paramètres utilisés dans la représentation sont choisis de façon arbitraire, dans le but d’illustrer une procédure qui devra éventuellement faire appel à des paramètres dérivés d’observations de terrain.
23Cette recherche s’appuie sur une base de données inédite (Trudelle et al., 2004) qui relate les conflits sur la ville de Québec entre 1965 et 2000. Parmi ceux-ci, nous avons sélectionné, pour s’inscrire dans un contexte politique relativement stable, ceux qui se sont déroulés entre 1989 et 2000. Les 210 conflits recensés ont été relevés dans la presse régionale (le quotidien Le Soleil), selon un protocole d’abord proposé par Janelle et Millward (1976) et élaboré ensuite par Ley et Mercer (1980) et Villeneuve et Côté (1994). Seuls les articles de presse s’inscrivant dans les périodes conflictuelles des processus décisionnels ont été analysés. Le contenu des articles a été utilisé pour décrire les conflits à l’aide de plusieurs variables qui concernent les protagonistes (acteurs) et les enjeux véhiculés lors de ces événements, le nombre d’articles relatant chacun d’eux, l’espace en cm2 qu’ils prennent dans le journal et leur date de parution.
24L’utilisation de la presse quotidienne comme source de données présente sans doute des risques de biais. Selon Trudelle (2005), les biais sont induits par deux grandes forces motrices, soit le processus de sélection des nouvelles, ainsi que les rapports sociopolitiques de pouvoir. Ces derniers influencent et transcendent même le processus de sélection des nouvelles. Cependant, de nombreux chercheurs considèrent que, malgré la présence de biais, la presse écrite est une source fiable et adéquate de données sur l’activité conflictuelle (Olzak, 1989; McCarthy et al., 1996; Hocke, 1999)
25Nous proposons de décrire spatialement l’activité conflictuelle à l’aide de trois variables : la durée, l’intensité et la fréquence spatiale.
26Conformément au point de vue adopté précédemment, la durée du conflit est en fait la durée du processus décisionnel conflictuel. Or, il est généralement plus difficile de déterminer le début du conflit que sa fin. En effet, dans certains cas, un arbitrage juridique ou la signature d’un accord, par exemple, permet d’identifier clairement la fin d’un conflit. Cependant, il arrive aussi que le conflit se dissipe sans véritablement se terminer. Malgré ces difficultés à mesurer avec précision la durée d’un conflit, il nous semble raisonnable de l’approcher par le nombre de jours qui s’est écoulé entre le premier et le dernier article traitant de chacun des conflits. Cette durée est probablement plus courte que la durée réelle du conflit, mais on suppose qu’elle est représentative.
27La fréquence spatiale de l’activité conflictuelle exprime le nombre de conflits pour un espace et une période donnés. En effet, si certains conflits se répercutent à plusieurs lieux (p.ex., l’adoption contestée d’un règlement municipal modifiant les heures d’ouverture pour l’ensemble des patinoires municipales), certains lieux font plus fréquemment l’objet de conflits. Afin de mesurer cette fréquence spatiale, il s’agit de superposer l’espace des conflits en considérant évidement, que ces espaces peuvent se chevaucher de façon totale ou partielle (figure 2).
28L’intensité du conflit est tout aussi difficile à mesurer. En effet, l’intensité d’un tel évènement relève en partie de la perception. Nous tentons cependant une démarche d’objectivation et proposons l’emploi d’un indicateur global de l’intensité conflictuelle qui se structure selon deux axes, où chacun exprime un type d’intensité. Le premier axe considère la multiplicité des acteurs (indice de complexité) et se compose : (i) du nombre d’acteurs dans le conflit divisé par sa durée et (ii) du nombre d’interventions différentes entreprises par les acteurs divisé par la durée du conflit. Le deuxième axe s’intéresse à l’ampleur de la couverture médiatique (indice d’importance) et se compose (i) de la superficie de la couverture journalistique du conflit divisée par sa durée et (ii) du nombre d’articles traitant du conflit divisé par sa durée. L’indicateur global de l’intensité conflictuelle a été obtenu en appliquant une analyse factorielle.
29Comme mentionné précédemment, notre cartographie de l’activité conflictuelle se restreint aux conflits alimentés par des relations de proximité. Afin d’identifier ces conflits, dans l’ensemble des conflits décrits dans la base de données disponible, nous avons procédé à une typologie basée sur les (3) espaces de la décision. En effet, nous supposons que la relation de proximité spatiale est le moteur de l’activité conflictuelle lorsque l’espace d’action, l’espace des acteurs et l’espace des conséquences se situent tous trois à l’échelle locale. Il se peut, bien entendu, que des conflits s’inscrivant à d’autres échelles spatiales soient, eux aussi, alimentés par des relations de proximité. À l’inverse, on peut supposer que des conflits se situant entièrement à l’échelle locale soient alimentés par d’autres mécanismes (une opposition de principe, par exemple, indépendante de la localisation du projet). Cependant, il faudrait, pour en tenir compte, parcourir en détail la description des 210 conflits décrits dans la base de données. De plus, nous verrons par la suite qu’en se limitant aux conflits s’inscrivant complètement à l’échelle locale, on facilite grandement la cartographie de l’activité conflictuelle.
Fig. 2. Fréquence spatiale de l'activité conflictuelle.
Tableau 1. Fréquence des agencements des échelles géographiques selon l’espace de l’action, des acteurs et des conséquences pour la ville de Québec entre 1989 et 2000
Espace
de l’action
|
Espace
des conséquences
|
Espace
des acteurs
|
Fréquence
des conflits
|
Lot
|
Lot
|
Lot
|
26
|
Lot
|
Lot
|
Quartier
|
42
|
Lot
|
Quartier
|
Quartier
|
45
|
Quartier
|
Quartier
|
Quartier
|
45
|
Lot
|
Lot
|
Arrondissement
|
16
|
Lot
|
Quartier
|
Arrondissement
|
1
|
Lot
|
Arrondissement
|
Arrondissement
|
4
|
Lot
|
Agglomération
|
Arrondissement
|
2
|
Lot
|
Lot
|
Agglomération
|
8
|
Lot
|
Agglomération
|
Agglomération
|
4
|
Quartier
|
Quartier
|
Arrondissement
|
1
|
Quartier
|
Arrondissement
|
Arrondissement
|
1
|
Arrondissement
|
Arrondissement
|
Arrondissement
|
9
|
Agglomération
|
Agglomération
|
Agglomération
|
6
|
|
Nombre total de conflits
|
210
|
Note : La partie en blanc présente les agencements observés pour les conflits avec au moins un acteur résidant dans le quartier alors que la partie grisonnée correspond aux conflits où tous les acteurs sont au minimum à l’échelle de l’arrondissement.
30Concrètement, cette typologie est réalisée en associant un niveau d’échelle géographique à chacun des espaces de chacun des conflits. La plus petite unité spatiale est celle du lot. Elle s’étend au maximum sur quelques centaines de mètres carrés. Par la suite, suivent dans l’ordre, le quartier, l’arrondissement (municipalité) et, finalement, l’agglomération (regroupement de municipalités qui partagent un territoire en commun). L’agencement des échelles géographiques associées à chacun des trois espaces permet de dégager l’éventail des arrangements faisant partie du système observé (tableau 1).
31Dans le cadre de cette étude, nous avons déterminé que le niveau local couvre au maximum l’échelle du quartier (tableau 1). Ce faisant, cette typologie a permis de retenir 158 des 210 conflits, soit environ 75 % des conflits recensés dans la ville de Québec entre 1989 et 2000.
32Comme nous l’avons vu, les acteurs peuvent s’impliquer en raison d’une proximité au lieu du projet lui-même (l’espace de l’action) ou à ses conséquences (espace des conséquences). Idéalement, la cartographie de l’activité conflictuelle devrait ainsi s’appuyer sur une définition précise des espaces de l’action, des acteurs et des conséquences. Or, si l’espace de l’action se définit relativement facilement, l’information nécessaire à la bonne représentation des espaces des acteurs et des conséquences est rarement disponible, parfois difficile à utiliser. En effet, l’espace des conséquences se définit de manière spécifique à la nature du conflit. Cet espace sera très différent s’il s’agit de la propagation d’une nuisance sonore, d’un impact paysager, d’un risque industriel, etc. Parallèlement, la représentation spatiale de l’espace des acteurs requiert la position géographique précise par l’entremise du lieu de résidence, par exemple, de l’ensemble des acteurs impliqués dans le processus décisionnel conflictuel.
33Afin de bien illustrer ce point, prenons pour exemple la controverse qui a eu lieu en 1989 (le quotidien Le Soleil), portant sur la présence d’un hôtel localisé au cœur d’un quartier résidentiel du centre de Québec et qui contrevenait au zonage (au dire des résidants du voisinage). La situation était la suivante : les résidants se plaignaient d’un achalandage excessif, de fréquents bouchons de circulation attribuables à la présence d’autobus de voyageurs. Ils constataient aussi une augmentation du bruit dans le secteur. Dans ce cas-ci, la controverse vient non de l’hôtel en lui-même, mais bien de l’impact environnemental attribuable à l’achalandage. Ce sont les conséquences, les nuisances auditives, visuelles et sûrement olfactives, qui sont à la source du conflit. Or, si la représentation de l’espace de l’action cause relativement peu de problème (car l’hôtel en question se localise aisément), la représentation spatiale de l’espace des conséquences et des acteurs est beaucoup plus difficile à cerner : sur quelle distance le bruit se fait-il entendre? Jusqu’où l’embouteillage routier se répercute-t-il? Et sur quelle distance faut-il considérer que les émissions du trafic routier constituent une gêne pour les résidents?
34Afin de contourner cette difficulté excessive, qui nécessiterait, pour la régler vraiment, le traitement spécifique des espaces de conséquences et d’acteurs de près de 160 conflits, nous proposons de simplifier la délimitation de l’espace des acteurs en le construisant comme une extension de l’espace de l’action. Cette simplification n’est certainement pas toujours pertinente mais elle semble raisonnable pour le type de conflits sélectionné, puisque nous nous sommes limités à l’étude des conflits dont les trois espaces de la décision s’inscrivent tous à l’échelle locale (tableau 1).
35Afin d’étendre progressivement l’espace de l’action et définir ainsi l’espace des acteurs, nous nous appuyons sur la théorie des ensembles flous (Zadeh, 1965) qui convient bien à la modélisation de la relation de proximité. Le principe fondamental de cette théorie est que l’appartenance à un ensemble, traditionnellement complète (1) ou nulle (0), peut être partielle. Le degré d’appartenance peut donc être exprimé par une variable entre 0 et 1 (Kaufmann, 1973). Ainsi, le degré d’appartenance à l’espace des acteurs est total dans les limites de l’espace de l’action propre à chaque conflit et il est amené à diminuer par la suite selon l’éloignement à l’espace de l’action donné (figure 3).
36Les outils de la géomatique permettent de mettre en œuvre cette approche floue des espaces. Plusieurs possibilités existent. Parmi celles-ci, il est possible d’ajouter à chacun des espaces de l’action, et ce quelles que soient leur forme ou leur dimension, un nombre de surfaces équidistantes (généralement appelées « buffer »). Par la suite, un degré d’appartenance est attribué à chacune des surfaces équidistantes, y compris l’espace de l’action lui-même. Un degré d’appartenance (ou de proximité) de 1 est attribué à l’espace de l’action. Ensuite, en fonction de leur éloignement, les surfaces équidistantes sont associées à un degré d’appartenance qui diminue progressivement entre 1 (inclus) et 0 (non inclus). Les surfaces dont le degré d’appartenance est de 1 font complètement partie de l’espace des acteurs alors que les surfaces dont le degré d’appartenance est compris entre 1 (non inclus) et 0 (non inclus) font, quant à elles, plus ou moins partie de l’espace des acteurs. Cette fonction d’appartenance matérialise en fait l’espace des acteurs, ainsi que la transition progressive entre les lieux qui sont conflictuels et ceux qui ne le sont pas. La figure 4 représente, en exemple, quatre (4) espaces des acteurs propres à autant de conflits. Pour chacun des figurés, la surface de couleur noir représente l’espace de l’action du conflit. Cette surface couvre l’espace où la population à une légitimité totale à jouer un rôle actif dans le conflit. Par la suite, les surfaces de teinte grise (du gris très foncé au gris très pâle) couvrent, quant à elles, l’espace où les individus ont un degré de légitimité à s’impliquer dans le conflit qui tente à diminuer selon l’éloignement à l’espace de l’action (surface noire). Finalement, au-delà de la dernière surface concentrique de couleur grise très pâle, la légitimité à être acteur dans un conflit est nulle.
Fig. 3. Degré d’appartenance (Da) en relation avec la proximité à l’espace de l’action.
Tableau 2. Somme du nombre de jours pondérée uniquement par le degré d’appartenance
Zone
|
Distance à l’espace de l’action
|
Degré d’appartenance à l’espace des acteurs
|
Nombre de jours pondéré par le degré d’appartenance
|
1 / espace de l’action
|
0
|
1
|
5
|
2
|
10
|
0,95
|
4,75
|
3
|
20
|
0,9
|
4,5
|
4
|
30
|
0,85
|
4,25
|
5
|
40
|
0,8
|
4
|
6
|
50
|
0,75
|
3,75
|
7
|
60
|
0,7
|
3,5
|
8
|
70
|
0,65
|
3,25
|
9
|
80
|
0,6
|
3
|
10
|
90
|
0,55
|
2,75
|
11
|
100
|
0,5
|
2,5
|
12
|
110
|
0,45
|
2,25
|
13
|
120
|
0,4
|
2
|
14
|
130
|
0,35
|
1,75
|
15
|
140
|
0,3
|
1,5
|
16
|
150
|
0,25
|
1,25
|
17
|
160
|
0,2
|
1
|
18
|
170
|
0,15
|
0,75
|
19
|
180
|
0,1
|
0,5
|
20
|
190
|
0,05
|
0,25
|
21
|
200
|
0
|
0
|
|
Somme pondérée de jours
|
52,5
|
Fig. 4. Exemple de la représentation de l'espace des acteurs.
Tableau 3. Somme du nombre de jours pondérée à la fois par le degré d’appartenance et par le nombre de ménages
Zone
|
Distance à l’espace de l’action
|
Degré d’appartenance à l’espace des acteurs
|
Nombre de ménages
|
Nombre de ménages équivalents
|
Nombre de jours pondéré
|
1 / espace de l’action
|
0
|
1
|
10
|
10
|
1,473
|
2
|
10
|
0,95
|
2
|
1,9
|
0,280
|
3
|
20
|
0,9
|
3
|
2,7
|
0,398
|
4
|
30
|
0,85
|
1
|
0,85
|
0,125
|
5
|
40
|
0,8
|
5
|
4
|
0,589
|
6
|
50
|
0,75
|
1
|
0,75
|
0,110
|
7
|
60
|
0,7
|
2
|
1,4
|
0,206
|
8
|
70
|
0,65
|
5
|
3,25
|
0,479
|
9
|
80
|
0,6
|
0
|
0
|
0,000
|
10
|
90
|
0,55
|
2
|
1,1
|
0,162
|
11
|
100
|
0,5
|
1
|
0,5
|
0,074
|
12
|
110
|
0,45
|
2
|
0,9
|
0,133
|
13
|
120
|
0,4
|
3
|
1,2
|
0,177
|
14
|
130
|
0,35
|
7
|
2,45
|
0,361
|
15
|
140
|
0,3
|
3
|
0,9
|
0,133
|
16
|
150
|
0,25
|
4
|
1
|
0,147
|
17
|
160
|
0,2
|
0
|
0
|
0,000
|
18
|
170
|
0,15
|
6
|
0,9
|
0,133
|
19
|
180
|
0,1
|
1
|
0,1
|
0,015
|
20
|
190
|
0,05
|
1
|
0,05
|
0,007
|
21
|
200
|
0
|
3
|
0
|
0,000
|
|
Total du nombre de ménages équivalents
|
33,95
|
|
|
|
Somme pondérée de jours
|
5,000
|
37Cette approche par des surfaces équidistantes autour de l’espace de l’action et l’utilisation d’une fonction linéairement décroissante qui exprime le degré d’appartenance, constitue une approximation de l’espace d’acteurs. Il serait possible d’utiliser d’autres fonctions pour représenter le degré d’appartenance, ou encore de moduler les fonctions appliquées selon le type de conflits. La définition de cette fonction pourrait se fonder sur une étude empirique de la relation proximité-légitimité. Malheureusement, nous n’avons pas connaissance, jusqu’à maintenant, de l’existence de telles études. Les quelques travaux concernant une mesure de distance impliquant la notion de proximité tournent autour de la gêne pressentie (Dear et al., 1980; Lober et Green, 1994; Le Floch, 2000). Aussi, dans la quasi-totalité des cas, il s’agit de projets ponctuels de grande envergure (aménagement d’un dépotoir, installation nucléaire, etc.) difficilement comparables aux conflits considérés dans cette recherche qui se situent à l’échelle locale.
38Bien que la représentation spatiale de l’espace des acteurs propre à chaque conflit soit réalisée, une question demeure : comment diffuser les trois dimensions de l’activité conflictuelle (fréquence, durée et intensité) sur l’ensemble de l’espace des acteurs? Par exemple, considérons un conflit dont la durée est de cinq jours. Une première approche consisterait à répartir la valeur sur l’ensemble de l’espace des acteurs en la multipliant par le degré d’appartenance propre à chacune des 21 surfaces équidistantes (tableau 2). Cependant, cette approche pose problème puisque la somme des valeurs obtenues par surface équidistante, soit la durée totale attribuée au conflit n’est plus de cinq jours mais de cinquante-deux jours et demi (52,5). Autrement dit, la somme pondérée par le degré d’appartenance a pour inconvénient de multiplier artificiellement la durée totale de l’activité conflictuelle. Afin de corriger cet effet indésirable, nous avons choisi d’introduire un facteur de correction, soit le nombre de ménages recensés dans chacune des surfaces équidistances divisé par le nombre de ménages équivalents pour l’ensemble des surfaces équivalentes. Ce nombre de ménages équivalents est quant à lui égal au nombre de ménages de chaque surface équivalente multiplié par leur degré d’appartenance. Comme le montre le tableau 3, l’introduction de ce facteur permet de maintenir la durée ou l’intensité du conflit tout en les diffusant sur l’espace des acteurs.
Tableau 4. Les caractéristiques spatiales associées au conflit intitulé « HÔTEL ILLÉGAL »
Zone
|
Distance à l’espace de l’action
|
Degré d’appartenance à l’espace des acteurs
|
Nombre de ménages
|
Nombre de ménages équivalents
|
1 / espace de l’action
|
0
|
1
|
1
|
1
|
2
|
10
|
0,95
|
1
|
0,95
|
3
|
20
|
0,9
|
0
|
0
|
4
|
30
|
0,85
|
1
|
0,85
|
5
|
40
|
0,8
|
4
|
3,20
|
6
|
50
|
0,75
|
10
|
7,5
|
7
|
60
|
0,7
|
6
|
4,2
|
8
|
70
|
0,65
|
12
|
7,8
|
9
|
80
|
0,6
|
11
|
6,6
|
10
|
90
|
0,55
|
23
|
12,65
|
11
|
100
|
0,5
|
14
|
7
|
12
|
110
|
0,45
|
27
|
12,15
|
13
|
120
|
0,4
|
14
|
5,6
|
14
|
130
|
0,35
|
12
|
4,2
|
15
|
140
|
0,3
|
20
|
6
|
16
|
150
|
0,25
|
17
|
4,25
|
17
|
160
|
0,2
|
35
|
7
|
18
|
170
|
0,15
|
29
|
4,35
|
19
|
180
|
0,1
|
19
|
1,9
|
20
|
190
|
0,05
|
27
|
1,35
|
21
|
200
|
0
|
26
|
0
|
|
Total du nombre de ménages équivalents
|
98,55
|
Tableau 5. Diffusion de la fréquence, de la durée et de l’intensité dans les zones de l’espace des acteurs pour le conflit : « HÔTEL ILLÉGAL »
Zone
|
Fréquence
|
Durée
|
Intensité
|
1 / espace de l’action
|
0,01
|
19,3
|
0,04
|
2
|
0,01
|
18,3
|
0,04
|
3
|
0
|
0
|
0,00
|
4
|
0,009
|
16,4
|
0,03
|
5
|
0,032
|
61,7
|
0,13
|
6
|
0,076
|
144,5
|
0,3
|
7
|
0,043
|
80,9
|
0,17
|
8
|
0,079
|
150,3
|
0,31
|
9
|
0,067
|
127,2
|
0,26
|
10
|
0,128
|
243,8
|
0,5
|
11
|
0,071
|
134,9
|
0,28
|
12
|
0,123
|
234,1
|
0,48
|
13
|
0,057
|
107,9
|
0,22
|
14
|
0,043
|
80,9
|
0,17
|
15
|
0,061
|
115,6
|
0,24
|
16
|
0,043
|
81,9
|
0,17
|
17
|
0,071
|
134,9
|
0,28
|
18
|
0,044
|
83,8
|
0,17
|
19
|
0,019
|
36,6
|
0,07
|
20
|
0,014
|
26
|
0,05
|
21
|
0
|
0
|
0
|
Espace des acteurs
|
1,000
|
1899
|
3,88
|
39Le principe de l’approche sous forme d’une équation donne :
40Où Vj = Valeur de la caractéristique de la zone j
41ηj = Degré d’appartenance à l’espace de la zone j [0,1]
42Nmj = Nombre de ménages dans la zone j
43NmE = Nombre de ménages équivalents
44Vi = Valeur associée à la dimension du conflit (durée, intensité et fréquence) prend toujours la valeur 1 puisque nous considérons que chaque conflit est un événement spécifique ayant des caractéristiques particulières (jeu d’acteurs, objet, enjeux, etc.)
45Afin de bien illustrer l’approche suivie, nous reprenons le même exemple sur la controverse entourant la présence de l’hôtel localisé, de façon présumée illégale, au cœur de Québec. Le conflit, d’une durée de 1 899 jours et relaté par quatre articles de presse (superficie journalistique de 361 cm²), a opposé quatre principaux acteurs ou groupes d’acteurs, lesquels prirent une série de mesures concrètes (cinq) pour obtenir gain de cause. L’indice d’intensité globale du conflit a été établi à 3,88 (tableau 4).
46Après répartition des valeurs de la fréquence (1), de l’intensité (3,88) et de la durée (1899 jrs) sur l’ensemble de l’espace des acteurs, selon le principe mathématique énoncé précédemment, nous obtenons une fréquence, une intensité et une durée par zone (tableau 5). En outre, pour une même dimension, la somme des valeurs obtenues pour chacune des zones ne peut être qu’égale à la valeur initiale (c’est-à-dire avant la diffusion de la dimension sur l’ensemble de l’espace des acteurs).
47La méthode adoptée permet ainsi de prendre en compte l’effet combiné de plusieurs espaces des acteurs sur le même lieu. Pour définir ces lieux, nous avons opté pour la technique du carroyage (Langlois et Lajoie, 1998), qui consiste à passer d’une carte zonale à une partition géométrique du même espace, une partition qui prend le plus fréquemment la forme d’un quadrillage régulier aux mailles de faible superficie. On postule implicitement « l’équirépartition » spatiale de la variable sur l’ensemble de la surface de la zone et, par la suite, sur l’ensemble des carreaux du carroyage. Dans ce cas-ci, la grille se définit par un maillage de dix mètres de côté. Le plan de mailles est ensuite apposé à la carte des espaces des acteurs. Le nombre de mailles par zone est alors déterminé. En divisant la fréquence, l’intensité et la durée de chacune des zones par le nombre de mailles, nous obtenons une fréquence, une intensité et une durée par maille. En additionnant, tour à tour, à l’échelle de chaque maille l’ensemble des valeurs des durées, l’ensemble des valeurs des intensités et l’ensemble des valeurs des fréquences, nous obtenons trois cartes. Chacune d’elles représente spatialement l’une des dimensions de l’activité conflictuelle (figures 5, 6, 7).
Fig. 5. Carte de la fréquence spatiale de l’activité conflictuelle pour la ville de Québec entre 1989 et 2000.
Fig. 6. Carte de la durée de l’activité conflictuelle pour la ville de Québec entre 1989 et 2000.
48À l’échelle des limites de l’ancienne ville de Québec (avant les fusions de 2001), la carte de la fréquence spatiale de l’activité conflictuelle (figure 5) indique une concentration marquée des controverses dans les quartiers centraux de Québec. Au-delà de la première couronne de peuplement (où les conflits sont quasi inexistants) la fréquence spatiale de l’activité conflictuelle est généralement faible. Il s’agit essentiellement de conflits de grande taille géographique. On remarque ici et là, tout de même, quelques secteurs où l’activité conflictuelle semble avoir été plus récurrente dans le temps. L’effet « d’auréole » qui apparaît en certains lieux est cohérent avec l’approche adoptée. En effet, selon cette logique, si l’une des surfaces constituant l’espace des acteurs (soit l’espace de l’action, soit l’une des surfaces équidistantes) est totalement inhabitée, donc sans acteur potentiel, il est naturel qu’elle ne présente aucune activité conflictuelle.
49La carte de la représentation de l’activité conflictuelle selon les durées (figure 6) est bien différente de la carte précédente. Si certains lieux se caractérisent par une faible fréquence spatiale de l’activité conflictuelle, ces mêmes lieux présentent des controverses qui se caractérisent par leur longévité. Ces différences démontrent l’intérêt de considérer l’activité conflictuelle non seulement en termes de fréquence, mais aussi dans ses autres dimensions (durée et intensité). L’effet » couloir » observé, entres autres, dans le conflit linéaire de couleur rouge foncé est attribuable, comme l’effet « d’auréole » précédemment discuté, au fait que ces lieux sont inhabités.
50Tout comme la carte de la durée des conflits, la carte de l’intensité (figure 7) est singulière dans sa représentation du phénomène conflictuel. Alors que certains lieux se caractérisent par une fréquence spatiale et une durée de l’activité conflictuelle marquées, ces mêmes lieux connaissent une activité conflictuelle de faible intensité. L’inverse est aussi vrai. Certains secteurs se démarquent par une forte intensité de l’activité conflictuelle, alors que leur fréquence et durée sont relativement faibles.
Fig. 7. Carte de l’intensité de l’activité conflictuelle pour la ville de Québec entre 1989 et 2000.
51Les événements conflictuels sont des phénomènes complexes qui ont été analysés dans un éventail de disciplines sous des perspectives variées et avec des méthodes diverses. Paradoxalement, l‘analyse spatiale de ces phénomènes a été peu poussée et les représentations spatiales qui ont été utilisées sont sommaires. Or, notre intérêt pour une analyse spatiale détaillée de l’activité conflictuelle nous amène à envisager autrement sa cartographie. Dans ce contexte, l’originalité de cette recherche comporte plusieurs facettes.
52Tout d’abord, l’activité conflictuelle se fonde sur une approche conceptuelle qui aborde le phénomène de façon inédite. Notre réflexion se place en effet au sein des processus décisionnels territoriaux, et le conflit est alors considéré comme l’une de leurs caractéristiques. Cette approche conceptuelle, à la fois simple et robuste, a pour avantage de permettre l’analyse d’une vaste gamme de projets sur le territoire, conflictuels ou non, sans que ne soit imposée a priori une classification ou typologie de l’activité conflictuelle.
53La singularité de l’approche se révèle aussi à travers les trois espaces géographiques (espace de l’action, espace des conséquences, espace des acteurs) de la décision territoriale. Ceux-ci matérialisent la dimension spatiale des processus décisionnels. C’est à travers ces espaces qu’une représentation complète et inédite du phénomène conflictuel est possible. Cette modélisation spatiale de l’activité conflictuelle se fonde sur la notion de proximité spatiale. En effet, la cartographie de l’activité conflictuelle n’est pas pertinente pour toutes les décisions, ni tous les conflits. Sa pertinence se limite, selon nous, aux décisions dont les conséquences sur le territoire sont significatives et aux conflits qui sont alimentés par des relations de proximités. Dans ce cas, ce sont ces relations de proximité qui construisent les espaces de la décision et ceci autorise l’étude de leur composition.
54Nous proposons également de représenter spatialement l’activité conflictuelle non seulement en termes de fréquence spatiale, mais aussi en termes de durée et d’intensité. Chacune de ces dimensions (fréquence, durée, intensité) exprime un trait particulier de l’activité conflictuelle, puisque si certains lieux se caractérisent, par exemple, par un grand nombre de conflits, mais des conflits de faible durée et de faible intensité, d’autres lieux présentent un tout autre agencement.
55Malgré son originalité, cette forme de représentation cartographique de l’activité conflictuelle présente tout de même certaines limites. Tout d’abord, son exhaustivité est relative puisque que certains conflits peuvent être absents en raison de la source de données (la presse écrite) et plus particulièrement du biais induit par le processus de sélection de la nouvelle. Ainsi, l’interprétation des représentations spatiales de l’activité conflictuelle incite à la prudence : l’absence de conflits, pour un lieu et une période donnés, ne signifie pas nécessairement que les processus décisionnels qui s’y sont déroulés sont de grande qualité et facilement consensuels. Il se peut en effet que dans ces lieux, les acteurs en conflits ne soient pas parvenus à attirer l’attention des médias.
56Par ailleurs, bien que ces représentations soient fondées sur des données objectives, ces cartes ne sont pas pour autant totalement objectives. En effet, l’extension de l’espace des acteurs (établie dans cette recherche à 200 mètres) et la fonction décroissante exprimant le niveau de proximité des acteurs ne constituent qu’une simplification du phénomène. L’étude détaillée de quelques cas, à la fois significatifs et différents de processus décisionnels conflictuels, devrait permettre de préciser la modélisation de ces relations de proximité spatiale.
57Cet effort de conceptualisation et de modélisation spatiale permet maintenant d’entreprendre l’analyse spatiale de l’activité conflictuelle. Ces analyses spatiales devraient améliorer notre compréhension de la relation liant d’une part, les caractéristiques du conflit (fréquence, durée, intensité) et d’autre part, les caractéristiques sociales et environnementales propre à son lieu. On espère ainsi mettre en évidence un effet de milieu sur la dynamique de l’activité conflictuelle.
58Ce type d’analyse fait actuellement l’objet d’un grand intérêt dans le champ de l’étude des processus décisionnels et plus particulièrement dans celui des processus participatifs. En effet, Rowe et Frewer (2005) concluaient ainsi leur article synthèse sur les mécanismes d’engagement public dans cette direction : « A further step involves understanding and defining, perhaps via a second typology, the different types of context in which engagement takes place. ». À terme, on peut penser que les retombées de ces travaux permettront, par exemple, de mieux cibler les contextes locaux où la mise en place de démarches participatives devrait être encouragée. Par ailleurs, mieux comprendre l’activité conflictuelle, c’est peut être aussi développer une certaine capacité d’anticipation. On pourrait ainsi envisager des stratégies de communication visant particulièrement les populations locales les plus vigoureusement opposées à toute modification de leur cadre de vie (selon des modalités conflictuelles de cette nature : des évènements conflictuels davantage fréquents dans l’espace, le plus souvent de courte durée, et plutôt intenses). Finalement, en adoptant d’une part une stratégie de communication vers les quartiers les plus actifs dans les conflits et en soutenant d’autre part, l’implication des quartiers qui le sont moins, on peut espérer renforcer une certaine “équité” environnementale au sein du cadre urbain