1La conjonction des enjeux associés aux évolutions climatiques et à la soutenabilité du développement fait surgir simultanément, dans la période actuelle, deux champs de problématiques complexes et qui ne sont pas aisés à articuler : d’une part, celui des caractéristiques et impacts du changement climatique et d’autre part, celui des conditions et modalités de la durabilité des économies. L’un et l’autre mêlent étroitement des problèmes scientifiques et des choix de société et sont objets de controverses dans le champ de la recherche comme dans celui du politique. L’un et l’autre appellent des modes de réponses qui renouvellent considérablement les capacités des sociétés à faire face aux défis alors même que la mesure de ces défis n’est pas totalement prise, voire même fait question. Toutes les échelles d’action (du micro au global) sont sollicitées et de nouveaux modes de régulations sont à inventer, d’autant plus qu’il semble que les objectifs ne soient pas de fait compatibles. Ainsi, dans son 4e rapport, le GIEC relève :
« À l’heure actuelle il y a peu de programmes pour le développement durable qui incluent explicitement l’adaptation aux effets du changement climatique ou qui encouragent la capacité d’adaptation (…). D’un autre côté, les changements climatiques peuvent très probablement ralentir le rythme du progrès vers un développement durable, soit directement, par une exposition accrue aux impacts défavorables, soit indirectement, par une érosion de la capacité à s’adapter » (GIEC, 2007, p. 18).
2Nous envisagerons ici de traiter de ces deux problématiques à partir d’une entrée spécifique qui questionne, disons en aval, les modalités par lesquelles aujourd’hui des réponses sont proposées en matière de gestion des ressources urbaines. Ce faisant, nous n’ajoutons rien au débat concernant la véracité ou la pertinence des problématiques de durabilité et d’adaptation au changement global, mais nous les considérons comme des perspectives qui appellent des solutions nouvelles. Nous formulons l’idée selon laquelle il est possible d’envisager les innovations qui naissent de la prise en compte des défis liés à la fois au changement climatique et à la soutenabilité en s’intéressant aux types de réponses proposées face à ces deux défis. Nous adoptons pour cela une définition de l’innovation comme mode d’exploration de solutions à ces problématiques nouvelles fondées sur la capacité d’anticipation ou d’adaptation.
3Pour ce faire, les contextes urbains offrent un angle d’observation particulier. Il y a plusieurs arguments qui peuvent justifier ce choix : on souligne généralement que les villes représentent aujourd’hui la majorité de la population dans le monde et sont productrices de la plupart des biens de consommations et de services, et qu’en conséquence, elles sont fortement consommatrices d’énergie et rejettent l’essentiel des émissions de CO2 (Sánchez-Rodríguez et al., 2005). Ces éléments sont généralement avancés comme les arguments principaux qui feraient des villes le contexte clé à la fois de la lutte contre le changement climatique et de l’expérimentation du développement durable (Betsill et Bulkeley, 2007). Car les villes ne sont pas seulement de puissants centres de production (et de consommation) transformant l’énergie et puisant dans l’écosystème, elles sont aussi les principaux centres de décision et de création de ressources nouvelles. On peut donc envisager que le contexte urbain soit pertinent pour observer les solutions proposées à la fois aux enjeux du changement climatique et à ceux concernant la soutenabilité du développement.
4À partir d’une approche théorique qui pointe la question de la capacité des villes à impulser les changements, à produire des solutions innovantes aux problèmes qu’elles rencontrent ou génèrent, voire pour cela à créer des ressources spécifiques, nous présenterons dans un premier temps les deux voies actuellement avancées pour rendre compte de cette capacité dynamique des villes : celle de la ville durable et celle de la ville post carbone. Dans un second temps, nous questionnerons les caractéristiques des vulnérabilités urbaines liées à l’injonction à l’adaptation au changement climatique et au développement durable. En quoi les problématiques de durabilité et d’adaptation font-elles surgir de nouvelles modalités de gestion des ressources, voire de nouvelles ressources ? Plus fondamentalement, qu’est-ce que ces processus de création de ressources nous apprennent sur les modalités par lesquelles les villes sont profondément en train de se redéfinir ?
5Qu’en est-il de la situation des villes face au double enjeu de la durabilité et de l’adaptation au changement climatique ? La réponse reste complexe : certes, un espace d’innovations s’ouvre pour que les villes puissent être simultanément plus durables et plus résilientes mais, dans les faits, les deux visées sont rarement articulées.
- 1 La charte d’Aalborg, rédigée durant la première conférence européenne sur les villes durables, en 1 (...)
6D’une part, la problématique du développement urbain durable, telle qu’elle se formule depuis les années 1990 dans le cadre d’accords internationaux, et notamment à partir de la Charte d’Aalborg1, a mis en avant le rôle des villes et leur engagement dans l’agenda 21. La première conférence sur les villes durables a donné naissance à un véritable manifeste où la durabilité est présentée comme « un système d’équilibrage novateur au plan local qui touche tous les aspects du processus décisionnel de la collectivité » (Charte d'Aalborg, 1994, p. 3).
- 2 Titre de la couverture de Sciences et Vie, numéro spécial Climat, décembre 2009.
7D’autre part, les villes sont présentées plus récemment comme susceptibles d’être les principales victimes du changement climatique parce que les conséquences sont supposées être plus prononcées et dévastatrices, en particulier dans les régions à forte croissance urbaine. Ainsi, les versions les plus catastrophistes évoquent pour les villes des menaces accrues sous des formes plus ou moins violentes, subites, latentes, exceptionnelles ou récurrentes. Les grandes cités du monde sont envisagées du point de vue de leur vulnérabilité spécifique à certains risques : « grosses chaleurs à Tokyo, montée des eaux à New York, Typhons à Taipei, désertification à Pékin, inondations à Londres, Mousson à Bombay... »2.
8La question est alors de savoir en quoi la double perspective pour les villes de s’engager dans un développement urbain durable et de l’adaptation au changement climatique est susceptible de les mettre en situation de conforter leur primat sur toute autre forme d’organisations humaines et de produire des solutions novatrices.
9La performance des villes a longtemps été tenue pour naturelle, en corrélation avec la densité et la masse d’activités et de résidences. Comme le disait dès 1966, J. Remy :
« La ville est une forme d’économie de dimension liée à la juxtaposition d’entreprises et de population. Cependant, toute juxtaposition, même relativement importante, ne donne pas lieu à cette économie de dimension. Celle-ci n’existe que si la concentration spatiale engendre, par un processus induit, un certain nombre d’avantages nouveaux » (Remy, 1966, p. 254).
10La ville performante et sûre d’elle-même tire son invulnérabilité de sa dynamique démographique, mais aussi et surtout de sa capacité à générer des ressources cognitives et culturelles (voir notamment Bairoch, 1985 et les références à l’« école de Chicago », Breslau, 1988). Elle a vu fonder ses certitudes sur l’image de la modernité, des comportements urbains novateurs, mais aussi, assez sûrement, sur le potentiel de consommation mimétique que l’habitant des villes était capable d’engendrer (voir le « Babbitt » de Lewis dès 1922).
11L’approche que nous proposons ici teste ce postulat de la dynamique intrinsèque des milieux urbains. Elle fait l’hypothèse que la ville est capable de générer des ressources particulières dites « territoriales », qui sont aujourd’hui, face aux problématiques nouvelles de changement climatique et de durabilité, susceptibles de permettre l’adaptation des ensembles urbains.
12Dans le cadre de l’approche des milieux innovateurs (Camagni et Maillat, 2006) comme organisations productives territorialisées articulant dynamique endogène et apports extérieurs, Kebir et Crevoisier ont proposé une définition de la ressource à partir de quatre processus : « La création et la destruction, qui concernent avant tout l’objet (matière première, énergie, connaissance, savoir-faire, etc.) ; l’identification et l’actualisation, qui concernent la manière dont les ressources sont incorporées et articulées dans le système de production » (Kebir et Crevoisier, 2004, p. 267). Nous avons suggéré (Peyrache-Gadeau et Pecqueur, 2004) d’élargir cette approche de la ressource territoriale à des processus de requalification en lien avec des projets de développement durable. Notre proposition est ici d’adapter cette approche à la ville comme incarnation des contextes de milieux innovateurs (Crevoisier et Camagni, 2000) à partir de la création de ressources urbaines susceptibles de répondre à des enjeux de durabilité et de changement climatique.
13Dans cette perspective de création de ressources, la figure des « villes archipels », d’un monde bipolaire entre villes-monde et périphéries non connectées n’est pas opératoire. En effet, les villes sont inscrites dans la territorialité, elles sont engagées dans des échanges à la fois avec des espaces lointains et avec leur environnement proche, elles sont à la fois parties prenantes de processus globaux et ancrées dans des territoires. Dans ce contexte, la ville produit des externalités favorables aux activités (la connaissance, la technologie), des économies d’échelles et des processus dynamiques propices à l’innovation. La ville dispose donc « d’avantages comparatifs et différenciatifs » par la spécialisation des activités (Pecqueur, 2006). Elle crée des ressources tout autant qu’elle génère de la production, c’est-à-dire qu’elle participe fortement aux logiques de marché. Mais la production urbaine concerne, au-delà des biens, des services et des emplois, les agencements entre tous les acteurs locaux et l’historicité même du territoire sur lequel ce processus collectif se met en place. Cette conception de la ville comme « milieu » en fait potentiellement une organisation susceptible de dépasser ses propres contradictions et de trouver des solutions nouvelles aux problématiques qui la traversent.
14M. de Bernardy et M. Vanier (2002) ont eu l’intuition de la ville produisant de l’adaptation en proposant la notion de « flexibilité territoriale », définie comme :
« ensemble des aptitudes d’un territoire, pris dans tous les sens, à permettre l’inattendu, l’imprévu, l’inhabituel, voire l’incongru. Un territoire serait dit flexible du moment qu’il permet à la bifurcation économique d’advenir, parce qu’il ne lui oppose aucune rigidité des dispositifs sociaux et spatiaux et des principes de leur évolution » (De Bernardy et Vanier, 2002, p. 24).
15La ville pourrait alors favoriser des stratégies « proactives » qui lui seraient propres. En cela la ville devient actrice de ses changements et en mesure de définir des solutions adaptées aux problèmes qu’elle rencontre (Kousky et Schneider, 2003). Elle est capable d’innover, de créer des ressources nouvelles ; mais il lui faut encore, pour conforter son « invul-nérabilité », affronter les contradictions d’une croissance urbaine devenue incompatible avec les nécessités de la flexibilité territoriale.
16L’invulnérabilité permet d’une certaine façon de décrire la capacité des villes à surmonter les contraintes et les contradictions inhérentes aux processus d’agglomération et de concentration physique des activités et des hommes dans l’espace. Mais au cours des deux dernières décennies, les contraintes et contradictions se sont amplifiées, avec la prise en compte des impacts environnementaux et sociaux liés à la croissance urbaine et avec la montée de nouveaux enjeux sur les ressources urbaines.
17Ainsi, dans la période récente, l’évaluation des impacts environnementaux, en particulier ceux dus à l’étalement urbain, s’est engagée (croissance des surfaces bâties, augmentation des ruissellements liés à l’imperméabilisation des sols, pertes d’habitats naturels, etc.) ; on mesure notamment ses conséquences en termes d’augmentation des distances en transport (et donc des émissions de CO2 et de pollution), et de diminution des surfaces agricoles et forestières en zones périurbaines. Ces phénomènes sont connus aujourd’hui comme étant systémiques et générateurs de déséconomies et de déséquilibres. La prise de conscience des effets induits par la croissance et l’étalement des villes est au cœur du débat sur la (re)densification des villes.
18Ce débat est pour une part lié à l’héritage des représentations qui, depuis la moitié du 20e siècle, désignent la concentration comme étant à l’origine de la plupart des maux générés par la ville (pollution, bruit, stress, mal-être, exigüité voire promiscuité, ou encore insécurité...). Le principe aujourd’hui mis en avant de reconstruction de la ville sur elle-même, central dans la rhétorique de la ville durable, remobilise ces représentations négatives. Mais le rêve de la péri-urbanité pavillonnaire, qui a été un temps un mode réponse à ces représentations négatives de la ville, n’est plus tenable.
« La ville à la campagne ou la construction de villages urbains n’offrent probablement que des perspectives limitées face aux défis de l’urbanisation mondiale. Sur le plan de l’environnement, on en connait les conséquences : multiplication par trois des déplacements et des consommations d’énergie, par quatre des émissions de gaz à effet de serre, détérioration de la qualité de l’air, congestion des infrastructures, dilapidation des sols, ou, finalement banalisation des paysages… au détriment du rêve néo rural. » (Theys et Emelianoff, 2001, p. 127).
19Mais face à l’alternative insatisfaisante de l’étalement ou de la redensification, des perspectives innovantes se construisent et s’expérimentent dans les projets d’urbanisation ou dans les schémas de cohérence territoriale. De nouveaux modèles urbains, de « villes compactes », ou de « villes émergentes », explorent la multidimensionnalité de la croissance urbaine fondée sur des formes d’habiter très variables (non réductibles à un ratio habitants/surface), jouant de la non linéarité des processus de densification et de la recherche de nouveaux équilibres environnementaux et sociaux. Car le problème est sans doute là, dans la réinvention des modes d’habiter en lien avec les écosystèmes environnants, en économisant les emprises au sol, en limitant le mitage urbain, et en favorisant la mixité sociale et fonctionnelle des espaces bâtis. « Une nouvelle culture urbanistique est en gestation » (Emelianoff, 2004, p. 22). L’alternative n’est sans doute pas uniquement du côté de la (re)densification des centres, mais aussi dans la prise en compte du polycentrisme, dans le maillage en réseau de centres urbains interconnectés par un système de transport en commun véritablement envisagé comme substitut aux déplacements automobiles.
20En effet, la réduction drastique des déplacements automobiles est devenue un enjeu majeur du développement urbain soutenable. On sait, depuis les travaux de P. Newman et J. Kenworthy (1989) que la consommation (annuelle par habitant) de carburant est en relation inversement proportionnelle avec la densité urbaine. Cette relation, utilisée pour la comparaison des grandes métropoles, a fait apparaitre une forte opposition entre les villes nord-américaines (très consommatrices et peu denses) et celles d’Asie (peu consommatrices et très denses). Ce constat plaide en faveur de la densification des villes, d’autant plus que s’ajoute à cela le fait qu’une ville dense garantit une meilleure efficacité énergétique (notamment grâce à la cogénération de chauffage urbain). En effet, la seconde difficulté de la ville durable concerne précisément la question de la production de CO2 et de la dépendance des villes à l’usage des énergies non renouvelables.
21La problématique de la durabilité par la réduction de l’usage de carbone et des émissions de pollutions et de GES rejoint ici celle de la résilience des villes face au changement climatique, et en particulier des politiques d’atténuation des rejets de CO2 en vue de limiter leurs effets envisagés en termes de réchauffement climatique.
- 3 Cette expression, liée à l'engagement d'une réflexion de la commission européenne en 2008 sur la so (...)
22Le projet de la « ville post-carbone »3 est non seulement celui d’une ville capable de réduire les rejets de CO2 des principaux secteurs émetteurs que sont les transports et le logement, mais aussi, et plus fondamentalement, il soulève la nécessité de penser une structure urbaine transformée par l’intégration des problématiques de déplacements, de relation entre activités et de résidences. Or, ce projet, nous dit J. Theys, affronte
« Le poids de l’inertie (...) et la très grande complexité des systèmes d’action à faire évoluer : modifier les formes urbaines ne suppose pas seulement d’articuler les politiques foncières, immobilières et de transport mais aussi d’intervenir sur la localisation des entreprises, sur le marché de l’emploi, sur la fiscalité locale, sur les services... avec tous les problèmes de gouvernance que cela implique. » (Theys, 2009, www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar 4/wg2/ar4-wg2-spm-fr.pdf, consulté le 30 mai 2011).
23Au total, face à la simultanéité des enjeux de la durabilité et de la montée des risques climatiques, les villes offrent de véritables espaces d’innovation où peuvent s’inventer non seulement de nouvelles formes urbaines, mais aussi de nouveaux modes d’habiter, de déplacement et, plus généralement, d’urbanité. Mais cette capacité des villes à produire des réponses permettant de développer leur propre propension à s’adapter s’accompagne de la prise de conscience de nouvelles formes de « vulnérabilités » (Galland, 2009) en quelque sorte devenues inhérentes à l’urbain.
24La perspective de la ville durable, tout comme celle de la ville post-carbone, génèrent la possibilité de nouveaux modèles urbains et simultanément la prise en compte de problématiques nouvelles. Dynamiques d’innovation et identification de nouveaux problèmes semblent s’autoalimenter. Il faut envisager les mutations urbaines, voire mettre à l’épreuve les paradigmes et représentations dominantes alors même que les incertitudes restent nombreuses. Comment envisager, dans ce contexte, le renouvellement des ressources urbaines ?
25La perspective d’un développement durable et celle de l’adaptation au changement climatique font surgir la complexité des problématiques de transformation. Les villes se découvrent exposées au réchauffement et doivent faire face à la nécessité de définir de nouvelles modalités de gestion des ressources ; ce faisant elles prennent en quelque sorte la mesure de leurs vulnérabilités.
26L’évaluation prospective de l’impact du changement climatique est faite actuellement à partir de scénarios qui font valoir la nécessité de se préparer aux phénomènes extrêmes et d’anticiper leurs impacts sur les populations les plus « vulnérables ». L’un de ces scénarios, partant d’une hypothèse de réchauffement du climat, envisage dans les contextes urbains la reproduction régulière de phénomènes extrêmes du type de la canicule de l’été 2003 en France. Les conséquences humaines généralement évoquées sont les effets sur la santé et la mortalité. Ceux-ci seront par ailleurs accentués du fait de l’accroissement de la pollution urbaine.
« Les niveaux de pollution baissent mais la morbidité et la mortalité liées à cette pollution reposent sur l’exposition continue aux polluants, (…) la qualité de l’air urbain dans 50 ans dépendra des facteurs comme la mobilité, l’étalement urbain, les technologies utilisées pour répondre aux besoins en énergie, (…) il est probable, compte tenu de l’augmentation des températures, que des risques de nuisances soient cumulés, que les populations soient plus sensibles, que des exigences de sécurité environnementale soient plus fortes, que de nouvelles méthodes de surveillance (micro-capteurs, satellites, modèles) soient nécessaires… » (Verdier, 2009, www.smf.asso.fr/fim09_pro_ programme.html, consulté le 30 mai 2011)
27La contribution scientifique et technique à la mesure et l’évaluation de ces vulnérabilités s’est accrue considérablement ces dernières années (mobilisation des satellites pour le suivi et l’alerte en matière d’extrêmes météorologiques ou climatiques, quantification des pollutions, mesure des températures, projets de construction et de mise sur orbite de nouveaux capteurs, etc.). Tout ceci a permis un accroissement des données et des modèles de prévision. Mais si l’on connait de mieux en mieux les risques liés à l’exposition au réchauffement climatique en milieu urbain, on sait encore assez peu de choses sur les vulnérabilités et les réponses engagées, notamment en matière d’adaptation des sociétés urbaines.
28La ville comme « îlot de chaleur » fait surgir un ensemble de problématiques sanitaires et sociales en termes d’exposition aux risques, dont on conçoit bien qu’elles interpellent fortement les décideurs publics. Des perspectives d’innovations variées sont explorées, généralement qualifiée de voies de l’« adaptation » : elles consistent à envisager la pluralité des modalités de limitation des effets du changement climatique. Elles s’expriment par exemple à travers l’importance accordée en France aux Plans Climat-Energie Territoriaux devenus obligatoires avec les lois du Grenelle de l’Environnement pour les régions, les départements, les communautés et les communes de plus de 50 000 habitants. Des perspectives d’innovation s’explorent aussi par exemple à travers la recherche de solutions face à la problématique du « refroidissement » des centres-villes. Les solutions préconisées pour « rafraîchir la ville » fleurissent ici et là dans des projets de doublement des surfaces végétales, de blanchissement des surfaces de toitures ou de voies publiques (parking, rues, etc.). Mais s’agit-il de raisonner seulement le refroidissement (sanitaire) ou bien d’envisager aussi la valorisation de la chaleur existante (par la pose de panneaux solaires sur les toits ou les jardins) ou encore de mettre en culture les espaces urbains par la végétalisation des terrasses, toitures, espaces publics pour envisager de réinstaller l’agriculture dans la ville ? La manière de poser le problème et de le solutionner ne produit pas les mêmes résultats en termes de ressources urbaines.
29Et les questions restent nombreuses : quelles morphologies urbaines sont susceptibles de permettre une meilleure résistance ou résilience face au changement climatique ? Quelles modifications faudra-t-il apporter aux documents d’urbanisme ? Dans quel intervalle de temps la structure urbaine va-t-elle devoir être transformée ? L’expérience projective autour du « Grand Pari(s) », visant à imaginer la région Ile-de-France pour le 21e siècle, peut être ici un début de réponse quant à la capacité des architectes et urbanistes à envisager les nouvelles ressources urbaines susceptibles de répondre aux défis de la ville du futur proche. Parmi les dix équipes d’architectes qui ont travaillé sur ce projet en 2009, tous ont mis le développement durable et l’écologie au cœur de leurs préoccupations. Citons notamment le projet de « haut-lieu » de l’équipe de Jean Nouvel : un gratte-ciel qui produit des énergies renouvelables (géo-thermie, éolien, biomasse, solaire thermique), ou encore la proposition « Paris, une pile urbaine » de l’équipe de Richard Rogers : éoliennes, centres de tri et de recyclage, système de méthanisation pour récupérer l’énergie des déchets brûlés, récupération des eaux de pluie pour arroser les espaces verts, etc. Ces équipements seraient construits et/ou insérés discrètement sur des bâtiments existants.
- 4 Le projet de loi « Grenelle 2 » et la loi du 3 août 2009 ont complété les Plans Climat-Energie Terr (...)
30Des toits plus verts ou plus blancs, de l’éco-habitat, des éco-villes, des écoquartiers... les déclinaisons des solutions d’adaptation au changement climatique sont nombreuses et s’expérimentent un peu partout. L’initiative privée et le rôle des politiques publiques s’articulent étroitement (Mendelsohn, 2006). Ces dernières ont été renforcées en France, suite au Grenelle de l’Environnement4. Les collectivités territoriales sont appelées à mettre en place des mesures d’adaptation et d’atténuation ; les stratégies « climat » peuvent être l’occasion de l’identification de nouvelles opportunités sous la forme de réponses ponctuelles réparatrices ou plutôt anticipatrices, voire prospectives.
31Par ailleurs, des modalités plurielles d’adaptation aux changements globaux s’inventent à partir de communautés innovantes (Agrawal, Mc Sweeney et Perrin, 2008). Ces communautés, à l’exemple des « transition towns » fondées sur le principe de « local food », redéfinissent les rapports de proximité et de créations de ressources territoriales. Par là, les villes se recentrent sur leur vocation à être avant tout des milieux de vie et des leviers créatifs de la « réinscription territoriale et écologique » (Emelianoff, 2004).
32À travers la ville durable, ce qui est discuté plus fondamentalement, c’est la nature même du phénomène urbain dans une perspective éco-systémique : on peut considérer que c’est la façon dont la ville va consommer, transformer, dégrader des ressources qui conditionne sa durabilité, car elle importe des ressources naturelles, les consomme ou les transforme et les réexporte sous la forme de pollution atmosphérique et aquatique et de déchets solides.
« Des ressources sont extraites de la nature pour assurer la vie dans les villes, mais pratiquement rien ne lui est restitué sous une forme dont les éléments de l’écosystème naturel pourraient tirer des substances utiles à réintégrer dans le processus de circulation. » (Groupe d’Experts sur l'Environnement Urbain, 1996, p. 9).
33Il faudrait parvenir à articuler l’analyse à long terme des modes de production et de consommation des villes, leur fonctionnement, et la prise en compte des biens collectifs et les problèmes spécifiques de régulation des usages de ces biens qui sont nombreux en contexte urbain (Metzger, 1994). L’eau, l’air et le sol, la biodiversité sont considérés comme des biens naturels communs dans le chapitre 3 des engagements d’Aalborg ; les villes durables doivent s’engager à les préserver et garantir un accès équitable à ceux-ci (Brot, 2005). Dans le même sens, le patrimoine culturel urbain doit être reconnu et préservé ; les engagements d’Aalborg stipulent que les villes « travailleront à assurer la conservation, la rénovation, l’utilisation et la réutilisation appropriée de notre héritage culturel urbain » (Poirot, 2005, p. 27). À travers la prise en compte et la valorisation des biens collectifs et patrimoniaux il s’agit en fait de réinscrire les villes dans leur environnement culturel et écologique.
- 5 Parmi les initiatives citons le regroupement de 600 collectivités européennes dans Climate Alliance (...)
34La ville invulnérable a été présentée dans un premier temps comme étant en mesure d’apporter ses propres solutions, anticipatrices ou correctrices, aux enjeux qui se présentent à elle. Cette représentation s’appuie sur l’idée selon laquelle la ville, par ses caractéristiques de densité et de taille, et donc à plus forte raison encore la métropole, sont des organisations les plus à même de produire des richesses et de créer des ressources à partir d’une forte propension à innover. Cette représentation semble renforcée dans une période où les injonctions se développent pour adopter de nouvelles logiques, et rechercher de nouvelles pratiques. La ville serait en même temps particulièrement concernée par la montée des enjeux de durabilité et d’adaptation au changement climatique. De fait, les cadres règlementaires ou incitatifs, les accords, engagements, les réseaux5 qui contribuent à promouvoir la « ville durable » ou à faire valoir le projet de la ville « post carbone » se multiplient.
35Jusqu’où les villes sont-elles en mesure de faire preuve de résilience et d’entretenir la perspective de leur invulnérabilité ? Le contexte est propice aussi à la prise de mesures des limites et des fragilités associées à la croissance urbaine. Les risques associés au réchauffement dans les villes ouvrent de nouvelles opportunités de créations de ressources, mais l’innovation ici réside moins dans la solution elle-même (quel que soit son degré de technicité) que dans la manière de la raisonner en cohérence avec les enjeux de durabilité. De la même manière, l’étalement urbain n’est pas écologiquement, socialement et économiquement viable à long terme ; il impose de trouver de nouvelles cohérences territoriales. Ici encore des perspectives d’innovations sont nécessaires. Car la croissance des villes s’accompagne de celle des inégalités sociales et écologiques : les fortes disparités du point de vue des qualités environnementales jouent comme processus ségrégatifs et provoquent l’éviction des catégories sociales les plus démunies, voire la concentration des populations les plus pauvres dans les espaces à fort risque environnemental (zones inondables ou classées Seveso). Ainsi, l’introduction de la variable environ-nementale sous ses diverses formes (climatique, énergétique, risque, santé, etc.) dans les dynamiques urbaines, vient retourner la question de l’invulnérabilité des villes. Dans un contexte de globalisation où domine l’idée d’une croissance linéaire, la ville génère des ressources spécifiques à l’urbain qui lui permettent de développer une propre propension à s’adapter. La perspective de ville durable met en avant le « bien vivre ensemble » plutôt que la performance et la notion de « compétitivité territoriale » qui y est attaché. Ce renversement fait apparaître de nouvelles formes de « vulnérabilités métropolitaines » et requiert de nouvelles solutions.
36Il y a au fond de cela la question de la démocratie à réinventer, dans laquelle les vulnérabilités seraient véritablement mises en débat et hiérarchisées.