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Hors thème

Le logement des classes moyennes en France : un déclassement objectif, subjectif et politique

Julien Damon

Résumé

Les classes moyennes, en France, sont affectées par un déclassement (ressenti et observé) en ce qui concerne le logement. Ce sont les strates inférieures des classes moyennes, quelles que soient les définitions et délimitations retenues, qui rencontrent le plus de difficultés, se rapprochant des catégories les moins favorisées. Dans l’ensemble, les mécanismes sociofiscaux ne leur sont pas favorables : les aides au logement vont d’abord aux moins favorisés, les dépenses fiscales bénéficient aux mieux lotis. Alors qu’historiquement la politique française du logement a plutôt visé les classes moyennes, celles-ci sont désormais relativement de côté par rapport, d’une part, aux ménages les plus pauvres et, d’autre part, aux investisseurs plus aisés. Sans qu’il soit possible de décalquer la question des classes moyennes sur celle de la périurbanisation, il apparaît que l’éclatement structurel des classes moyennes se double de l’émiettement des territoires. Cet article, reposant sur la diversité des perspectives et des données, constitue une synthèse autour d’un sujet très débattu en France, qu’il s’agisse des définitions, des évolutions, des habitations et des localisations des classes moyennes.

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Texte intégral

Introduction

1Les classes moyennes (le pluriel est d’importance), auxquelles s’identifient majoritairement les Français, rassemblent les individus et ménages situés entre les moins bien lotis et les plus fortunés. La définition ne va pourtant pas du tout d’elle-même. Ces classes moyennes, ni prolétaires ni bourgeoises (pour prendre une tripartition plus traditionnelle), méritent leur pluriel, d’abord parce qu’il y a hétérogénéité des positions. Il est, en effet, impropre de vouloir condenser sous une appellation unique un ensemble de situations qui n’ont pas forcément toujours grand-chose à voir. Elles méritent également leur pluriel, car les diverses études ne prennent pas en considération les mêmes périmètres.

2Depuis le XIXème siècle, des deux côtés de l’Atlantique, de nombreuses analyses tentent d’en délimiter les contours. Célébrées, critiquées ou méprisées selon les époques et les auteurs, les classes moyennes font régulièrement l’objet d’observations attentives. On signale à l’envie, dans les pays occidentaux, le déclassement relatif et l’inquiétude des classes moyennes, tandis que dans les pays émergents, en Inde et en Chine notamment, des classes moyennes seraient en cours d’apparition et d’affirmation. D’une certaine façon, il y aurait des dynamiques de « moyennisation » dans des pays émergents et des dynamiques de « démoyennisation » dans des pays du vieux monde.

  • 1 Pour deux perspectives opposées, parues dans la même collection d’ouvrages, voir Chauvel (2006) ; G (...)
  • 2 Ce sont ici tous les débats alimentés par les travaux, les critiques et les polémiques autour des e (...)

3Certains observateurs, en France, annoncent leur inéluctable déliquescence, après un retournement de tendance qui aujourd’hui devient déclassement. D’autres les dépeignent en catégories en réalité supérieures déguisant leurs privilèges. D’autres, encore, estiment qu’elles ne vivent ni rétraction, ni paupérisation, mais, au contraire, ascension et extension1. D’autres, enfin, soulignent leurs déplacements, subis ou choisis, sur les territoires2.

  • 3 Voir, par exemple, Jacques Mistral, Valérie Plagnol, Loger les classes moyennes : la demande, l’off (...)
  • 4 Il faut noter que certaines de ces données récentes datent, pour les derniers chiffres exhaustifs s (...)

4Le thème du logement des classes moyennes a déjà fait l’objet de rapports officiels et d’études spécialisées3. On cherchera, dans cet article (qui se veut plus un essai synthétique qu’un apport empirique original), en s’appuyant sur les données les plus récentes4, à proposer un panorama de la situation et des dynamiques. Dans cette ambition on traitera de quatre questions : la diversité des classes moyennes et de leurs situations de logement ; le déclassement de ces catégories sociales en raison, entre autres, des coûts du logement ; la place qui leur est faite dans les politiques du logement ; leurs stratégies et réactions sur le registre de la localisation, qui ne se résument pas au problème de la périurbanisation.

Des classes moyennes qui ne sont pas logées à la même enseigne

5De quoi parle-t-on ? Il existe un nombre incalculable d’articles et de livres sur les classes moyennes, alimentant un nombre important de débats spécialisés et de controverses aussi bien techniques que politiques. On ne prétendra pas répondre de manière définitive. Mais on cherchera à synthétiser les principales approches – au nombre de trois -, ceci afin d’approcher ensuite les conditions de logement des personnes et ménages que l’on peut réunir sous la dénomination classe moyenne. Au préalable, il importe cependant de revenir théoriquement et historiquement sur ce que l’on baptise classe moyenne.

Retour théorique et historique

  • 5 Pour une approche générale des constats et débats, dans les pays développés, voir les travaux didac (...)
  • 6 Voir les diverses traductions, plus ou libres ou littérales, du Livre IV de La Politique, chez Vrin (...)

6L’expertise sur les classes moyennes est dense d’essais théoriques et d’observations empiriques5. Les plongées historiques font souvent référence à Aristote. Celui-ci, sans se préoccuper de contours statistiques, s’inquiétait d’équilibre. Dans sa Politique, le philosophe établissait, en termes très modernes, que « tout État renferme trois classes distinctes, les citoyens très riches, les citoyens très pauvres et les citoyens aisés, dont la position tient le milieu entre ces deux extrêmes. »6 La tripartition procède d’un critère de fortune. Et Aristote de considérer que « l'association politique est la meilleure quand elle est formée par des citoyens de fortune moyenne ». La citation – dont les diverses traductions peuvent faire varier le sens précis, mais dont la signification générale ne ressort pas altérée – mérite d’être encore développée : « Partout où la fortune extrême est à côté de l'extrême indigence, ces deux excès amènent ou la démagogie absolue, ou l'oligarchie pure, ou la tyrannie; la tyrannie sort du sein d'une démagogie effrénée, ou d'une oligarchie extrême, bien plus souvent que du sein des classes moyennes, et des classes voisines de celles-là ». Autre citation souvent produite : «  Lorsque la classe moyenne est importante, il y a moins de risques de discordes et de divisions ».

  • 7 Voir les descriptions et analyses souvent pénétrantes de Mayer (2012).

7Il serait faux de considérer que le sujet des classes moyennes a toujours préoccupé autorités et intellectuels. La question de la répartition des biens et des statuts, oui. Mais pas en ces termes très contemporains de classe sociale et de classe moyenne. Il existe cependant tout un pan de recherches sur les classes moyennes antiques. Un archéologue américain présente les résultats de son travail à leur rencontre en Italie, durant trois siècles autour du début de notre ère7. Emanuel Mayer, qui ne cite pas Aristote, ne fait ni dans la science politique ni dans l’anachronisme. Il répète que l’idée de classe est très actuelle, et peu adaptée à des sociétés de statuts. Il met néanmoins en lumière, à travers l’étude des aménagements intérieurs des maisons et tombeaux, les « empreintes archéologiques » d’une catégorie prospère de la population qui a pu s’affirmer en milieu urbain. Dans un empire romain encore majoritairement rural, cette strate particulière (qui n’aurait réuni que de 6 % à 12 % des habitants) se situe entre nobles et pauvres. Ni militaires, ni intellectuels, ses membres, se distinguent, d’une part, des goûts et pratiques des élites, et, d’autre part, des contraintes des esclaves. Commerçants ou artisans, ces ménages vivaient et travaillaient dans des conditions similaires. Ils ont joué un rôle capital dans l’économie des villes. Ces « classes moyennes » partageaient trois traits : importance accordée au travail ; valorisation des sentiments au sein de la famille nucléaire ; aspiration à une existence confortable et joyeuse. Des caractéristiques, en somme, très actuelles.

  • 8 La référence sur ces schémas classificatoires pour le Moyen Age est le travail de Duby (1978).
  • 9 Avant donc Duby, voir Dumézil (1968) qui l’a d’ailleurs inspiré.

8Dans des sociétés traditionnelles de statut et de stratification figée, on peut assurément repérer des catégories bien identifiables de la population. Il en va, par exemple, ainsi de diverses tripartitions : les trois ordres de l’Ancien régime8, en France, ou, plus globalement, les trois fonctions étudiées chez les indo-européens. Dans ce dernier cas, Georges Dumézil, en s’intéressant aux traditions orales et à l’exégèse des textes sacrés, a repéré les infinies variations des mêmes histoires mythiques dans les cultures indiennes, grecques ou scandinaves9. Il distingue partout des triades, avec des représentations de la vie sous trois catégories : les fonctions souveraines et religieuses (le spirituel), les fonctions guerrières (la force physique), et les fonctions économiques (la fécondité, l’agriculture). Cette « idéologie tripartite », séparant les prêtres, les guerriers, et les producteurs, agence l’organisation sociale mais aussi l’imaginaire des ensembles humains implantés de l’Inde à l’Irlande. Elle se retrouve, entre autres, dans le Moyen Age occidental, avec la division de la société en trois ordres : religieux, chevaleresque et paysan. Si tripartition et puissante hiérarchie il y a, il n’y a pour autant véritablement de places intermédiaires et donc véritablement de « classe moyenne ». Dans des sociétés sans mobilité, on repère des catégories intermédiaires de revenus (si l’on dispose de données), mais on ne peut déceler vraiment ce que les sciences sociales naissantes ont baptisé classes sociales et, parmi elles, ensuite, classes moyennes.

  • 10 Voir Ruhlmann (2001).

9Si, rétrospectivement, il est possible de partout percevoir des catégories intermédiaires, situées entre le bas et le haut d’une échelle des positions sociales, du prestige et du pouvoir, la problématique des classes moyennes date, en réalité, du tournant des 18ème et 19ème siècles, dans la suite de la Révolution française qui, avec l'abolition des privilèges, met fin au système des ordres et aux inégalités juridiques entre sujets et puissants10. C’est à ce moment qu’apparaît le vocable classe moyenne, avec un singulier de distinction (par rapport aux autres classes) qui deviendra progressivement pluriel de différenciation (pour rendre compte des différences de situation au sein de la catégorie).

  • 11 Voir les textes réunis dans l’anthologie de Bosc (2007).

10Dans les décennies qui suivent la Révolution française, la classe moyenne est identifiée à la bourgeoisie. Tocqueville et Marx, chacun à leur manière, décrivent le début et le milieu du XVIIIème siècle comme l’accession des bourgeois au pouvoir11. Tocqueville prévoit l’embourgeoisement progressif et entrevoit la moyennisation (sans la nommer). Marx se fait prophète de la lutte inexpiable des classes et de la paupérisation des classes moyennes. Dans les discours libéraux des uns, milieu, moyenne et modération sont célébrés comme gages de constance et de justice. Dans le discours socialiste des autres, cette apparition d’une catégorie intermédiaire entre capitalistes et ouvriers, inéluctablement appelée à disparaître, par prolétarisation, n’est qu’une péripétie de l’histoire. L’appellation de classe moyenne ne désigne pas alors le centre de la société, mais une strate réduite et dynamique : la petite bourgeoisie. Entre l’élite de l’aristocratie foncière et la masse du peuple, se repère une population bien distincte composée principalement d’indépendants, de petits propriétaires, petits commerçants, petits entrepreneurs.

  • 12 Voir l’édition récente de ce cours : Halbwachs (2008). Raymond Aron fera, lui aussi, dans les année (...)
  • 13 À ce sujet, on peut lire l’introduction et les diverses contributions au dossier de la revue Afriqu (...)

11Dans le sillon d’Émile Durkheim, des sociologues vont s’intéresser à cette catégorie, au premier rang desquels François Simiand et, surtout, Maurice Halbwachs. Ce dernier consacre aux classes sociales, au cours des années 1930, un cours à la Sorbonne12. Repérant, déjà, le balancement entre le pluriel et le singulier du vocable et les limites imprécises du groupe, il insiste à la fois sur l’hétérogénéité et les traits communs de cette classe. Sans place majeure dans le mouvement de l’histoire, elle se trouve coincée entre la classe bourgeoise et la classe ouvrière. Mais elle s’en distingue, dans les deux cas. Les travaux classiques sont d’essence théorique et descriptive. Ils portent, de la fin du 19ème siècle à la fin du 20ème sur des pays occidentaux riches, généralement un seul, sans grandes incursions comparatives. Surtout, ils ne portent pas sur les pays d’autres ères géographiques, que l’on soit sous la colonisation ou ensuite. On parlait ainsi rarement de « classe moyenne » pour désigner les petits colons, les classes intermédiaires et commerçantes africaines ou indiennes alors que leurs réalités et situations relatives satisfaisaient plutôt les définitions alors données aux classes moyennes en France ou en Angleterre13.

  • 14 C’est le livre classique de Mills (1951).

12Concrètement, en France, les classes moyennes indépendantes périclitent dans les suites de l’après-guerre et sont remplacées par les salariés. Aux cols bleus du monde ouvrier, s’ajoutent les cols blancs des employés n’exerçant ni tâches manuelles ni responsabilités décisionnaires. C’est aux États-Unis, et par la sociologie américaine, que l’expression « col blanc » a gagné ses lettres de noblesse14. Historiquement, la classe moyenne américaine s’est constituée à partir de chefs d’entreprise et de fermiers indépendants, subdivisés en plus ou moins gros propriétaires, producteurs et négociants. Ces indépendants ont accédé ou ont été contraints au salariat. Après guerre, naissent, dans les grandes entreprises notamment, les « cols blancs » salariés qui incarnent les hiérarchies intermédiaires. Ils constituent une « nouvelle classe moyenne » américaine. Le sociologue américain Charles Wright Mills le note dès 1951 : cet accroissement numérique des cols blancs donne « un démenti » aux théoriciens du 19ème siècle qui prévoyaient une société divisée en patrons et ouvriers. Et le sociologue d’ajouter que ces cols blancs, avec leurs aspirations et modes de vie, ont profondément structuré la société américaine. Appartenant au monde des employés et des cadres, exerçant dans un univers bureaucratique, citadins, les cols blancs vivent la métropolisation des États-Unis, sur des standards de vie condensés et valorisés dans l’expression American way of life. Mills observait surtout des parcours sociaux ascendants, à rebours de la théorie marxiste de la prolétarisation et de l’intensification de la lutte des classes.

  • 15 Sur l’oubli puis le retour des classes sociales, voir, par exemple, Chauvel (2001).

13En France, les « anciennes » classes moyennes étaient, au milieu du 20ème siècle, constituées des indépendants, mobilisés contre la fiscalité et le projet de Sécurité sociale, tandis que les « nouvelles », telle une sorte d’avant-garde de la triple dynamique de salarisation, d’urbanisation et de moyennisation, rassemblent au cours des Trente Glorieuses des salariés qui, entre autres, profitent de la montée en puissance du régime général de la Sécurité sociale. Cette moyennisation, dont a traité Henri Mendras (1988), est aussi massification scolaire et universitaire, modernisation des valeurs et des aspirations. Elle correspond à une dilution de l’idée même de classe sociale ; cette représentation ayant d’ailleurs connu un grand succès à la fin du 20ème siècle15.

  • 16 Sur les comparaisons internationales, et sur les dynamiques contrastées et discutées des classes mo (...)

14Dans toute la période qui va jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, il y a essor des classes moyennes salariées qui accèdent, par la croissance, à une qualité de vie grandissante avec une foi élevée dans le progrès. Cette « moyennisation » caractérise pleinement la France, mais également d’autres grands pays occidentaux comme les États-Unis ainsi que certains États-membres de l’Union européenne16. C’est, toutefois, moins en termes de niveaux de revenus qu’en termes de représentation de leur place dans la société qu’il est fait référence aux classes moyennes. On peut alors en moquer le caractère petit bourgeois (expression qui devient plus dépréciative que descriptive). On peut, à l’inverse, en célébrer la supposée contribution à une vie démocratie apaisée. C’est selon.

  • 17 Pour les diverses définitions, ou plutôt les diverses fourchettes de revenus, qui peuvent être rete (...)

15Alors qu’elles ont autrefois été érigées, en France, en une catégorie unitaire, mais de taille relativement restreinte, on peine aujourd’hui à trouver le dénominateur commun d’une large population qui se trouve dans une position intermédiaire entre les nantis et les moins bien lotis17. Maintenant plutôt captées dans des entre-deux, par exemple entre une France d’en haut et une France d’en bas, les classes moyennes présentent une grande dispersion de profils. La classe moyenne a, un temps dans l’histoire, bénéficié d’une certaine unité, qui pouvait légitimer son singulier. Aujourd’hui le pluriel s’impose pour des classes moyennes qui se sont étendues et banalisées.

Trois perspectives

16La diversité est donc de mise au sens où l’expression de « « classes moyenne » est à géométrie très variable. Il est possible et loisible de distinguer les classes moyennes « aisées », « basses », « hautes », « inférieures », « supérieures », « employées », « ouvrières », salariées », « anciennes », « nouvelles », etc. La liste des oppositions peut être longue.

17On n’entrera pas dans l’exégèse des dénominations, conceptions et délimitations. On notera, d’emblée, que le sentiment d’appartenance de classe a pu décroître en France au cours de la deuxième partie du XXème siècle, mais que le sentiment d’appartenir à une catégorie moyenne – i.e. au centre ou au cœur de l’échelle des revenus – reste très puissant. On s’intéressera donc à trois approches principales : par les appartenances socio-professionnelles, par les situations objectives (en termes de revenus) et par l’adhésion subjective. On n’épuise pas, de la sorte, le sujet. Mais on le balise.

18Chaque méthode a ses qualités et ses limites pour l’anatomie des classes moyennes comme condition socio-économique et/ou comme catégorie politique. Chacune a également ses détracteurs et ses laudateurs.

19Des études consistent à découper des tranches de revenus et/ou de consommations. Les revenus étant fonction du cycle de vie, passer par des critères moins fluctuants est toutefois primordial si l’on veut capturer la substance des groupes sociaux. Le découpage monétaire et budgétaire semble insuffisant à nombre d’auteurs qui cherchent, en particulier avec Pierre Bourdieu, à découper l’espace social en fractions présentant des identités de goûts (musique mais aussi aménagement intérieur du logement), de pratiques culturelles, de comportements matrimoniaux et patrimoniaux.

20Une question capitale est donc de savoir si les classes moyennes sont une classe établie à partir d’un milieu mathématique (des revenus ou des consommations) ou bien si les classes moyennes sont, en elles-mêmes, un milieu social (comme on dit « je ne suis pas de ce milieu »). On ne tranchera pas, dans cette lutte des classements, mais on fera état des méthodologies et argumentations.

21Le thème et l’expertise en la matière sont assez connus. Il importe d’y revenir car c’est du choix des définitions et des délimitations que vont dépendre les observations et conclusions sur les liens entre classes moyennes et logement. On retient principalement trois orientations.

Un critère sociologique : profession, valeurs et modes de vie

22Les classes sociales, dans la tradition marxiste, ne sont pas seulement des positions dans la hiérarchie des revenus. Ce ne sont pas uniquement non plus des parties de nomenclatures des catégories socioprofessionnelles. Ce sont aussi une conscience de classe, des modes de vie et des croyances en commun. Une entrée pour approcher ces classes est de passer par la profession, qui reste un critère important de classement. Selon la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles, les classes moyennes peuvent regrouper les « professions intermédiaires », une partie des « cadres supérieurs » et également des « employés ».

23Pour affiner cette approche, d’autres éléments doivent également être pris en compte, comme ceux qui caractérisent la situation de travail d’un individu (secteur d’activité, type de contrat de travail, niveau de qualification).

24Dotées de capitaux économiques, mais aussi scolaires et culturels importants, les strates intermédiaires françaises aspireraient à une mobilité sociale ascendante et à une certaine qualité de vie. Elles développeraient un rapport particulier à l’éducation, l’école étant perçue comme un moyen d’ascension sociale efficace, tout comme le fait de devenir propriétaire de son logement.

25La localisation du logement devient probablement un critère plus déterminant, une partie importante des catégories intermédiaires de la population ne pouvant plus rester dans des centres villes devenus trop chers et ne souhaitant pas vivre dans des quartiers d’habitat social dépréciés. On observerait une périurbanisation des classes moyennes. Ces constats méritent le conditionnel car ils ne sont pas documentés par des séries statistiques fouillées décrivant les évolutions sur long terme. Les mouvements sont, en tout état de cause, difficilement contestables.

26Ces approches par nomenclatures de catégories socio-professionnelles (CSP – ou PCS pour professions et catégories sociales) ne sont ni les plus aisées, ni les plus usitées maintenant. Elles relèvent, un peu comme en science naturelle, d’un exercice de classement, de taxinomie, avec d’infinis débats pour savoir si telle ou telle sous-catégorie (ouvrier qualifié, professeur de lycée) appartient ou se situe aux marges des classes moyennes. Les métaphores qui prévalent, pour désigner les classes moyennes, ne viennent cependant pas de la biologie mais de l’astronomie. On lit souvent à leur sujet qu’il s’agit d’une galaxie, d’une constellation ou d’une nébuleuse.

  • 18 Pour des développements très conséquents voir les travaux du spécialiste Serge Bosc.

27Les PCS demeurent tout de même un outil très intelligent pour saisir l’homogénéité des groupes18. Elles tracent une échelle du niveau social en fonction du diplôme et du revenu. Surtout, elles ouvrent une possible mesure de la mobilité sociale.

  • 19 Op. cit.

28C’est à partir de ces PCS qu’ont travaillé récemment les économistes Dominique Goux et Éric Maurin19. Tous les deux considérèrent que ces catégories centrales de la population, au carrefour de bien des dynamiques, tenaillées entre crainte du déclassement (que les auteurs relativisent vigoureusement) et aspiration à la promotion sociale (toujours à l’œuvre), progressent. Mais de qui parlent-ils ? Avec leur approche, en 2009, la moitié des Français relèvent des classes populaires (agriculteurs, employés, ouvriers), 20 % des classes supérieures (cadres, chefs d’entreprise), et 30 % des classes moyennes (contre 20 % au début des années 1960). Parmi elles, on trouve les artisans et commerçants, qui ont vu leur part relative diminuer de moitié en un demi-siècle, et, surtout, les professions intermédiaires (11 % de l’emploi en 1962, 24 % en 2009).

29Ces classes moyennes sont dites nouvelles car elles ne sont plus l’avant-garde des Trente Glorieuses, mais un socle bien installé au cœur de la société. Sur le plan territorial Goux et Maurin (qui passent alors à une analyse par revenus, en quatre classes) ne relèvent pas, sur la dernière décennie, de séparatisme croissant des plus aisés, ni d’aggravation de la relégation des catégories modestes vers les quartiers déshérités. Les déclassements territoriaux « par exil » (déménagement) ou par « envahissement » (dégradation du quartier d’habitat) ont été moins nombreux que les progrès résidentiels. Et nos deux économistes de préciser que si les classes apparaissent plutôt fixées, les individus et ménages qui les composent bougent sur les territoires et entre les groupes. Le propos souligne la centralité du salariat intermédiaire (peut-être faudrait-il ici bien distinguer le public du privé) et son surclassement éducatif (par rapport à la génération précédente). Surtout, les auteurs notent que ces classes moyennes, à niveau élevé de ressentiment, n’ont pas décroché.

Un critère économique : revenus et niveau de vie

30Le critère des revenus peut être utilisé en assimilant les classes moyennes au groupe de ménages situé au cœur de la distribution des revenus. Tout est dès lors affaire de convention sur ce qu’est le centre de la distribution des revenus et l’importance de sa périphérie. L’étendue de la classe moyenne varie ainsi fortement.

31Avec une définition extensive, on peut considérer que les classes moyennes rassemblent 80 % de la population. Les 10 % les plus modestes et les 10 % les plus riches n’appartiennent pas aux classes moyennes. Si la population englobée paraît considérable, cette approche a une certaine pertinence en France. Un tel intervalle rassemble en effet la population dont les ressources proviennent essentiellement d’un revenu salarié. Avec une définition plus restrictive, on peut considérer que les classes moyennes rassemblent 60 % de la population. Les 20 % les plus modestes et les 20 % les plus riches en sont exclus.

32Techniquement, l’approche est celle de la statistique descriptive. Elle repose sur les percentiles (les classes de pourcentage d’une distribution) et permet de présenter des proportions d’une population se situant entre un plancher et un plafond de revenus. Les déciles permettent de diviser une distribution en dix parties égales. Trois types de partitions sont souvent utilisées : les quintiles, les quartiles et les terciles. Les termes tercile, quartile, quintile et décile font réfèrence aux percentiles qui divisent une distribution de données (pour nos affaires les revenus) respectivement en 3, 4, 5 ou 10 parts égales. On peut de la sorte désigner, dans une tripartition, les classes moyennes, tout comme on peut, plus précisément, en désagrégeant ces classes moyennes centrales, distinguer les classes moyennes inférieures, intermédiaires et supérieures.

Les classes moyennes : 33 % de la population

Ménages pauvres

1er tercile

Classes moyennes

2ème tercile

Ménages aisés

3ème tercile

33Les classes moyennes : 50 % de la population

Ménages pauvres

1er quartile

Classes moyennes inférieures

2ème quartile

Classes moyennes supérieures

3ème quartile

Ménages aisés

4ème quartile

34Les classes moyennes : 60 % de la population

Ménages pauvres

1er quintile

Classes moyennes inférieures

2ème quintile

Classes moyennes intermédiaires

3ème quintile

Classes moyennes supérieures

4ème quintile

Ménages aisés

5ème quintile

35Les classes moyennes : 80 % de la population

Ménages pauvres

1er décile

Classes moyennes inférieures

2ème, 3ème et 4ème déciles

Classes moyennes intermédiaires

6ème et 7ème déciles

Classes moyennes supérieures

8ème, 8ème et 9ème déciles

Ménages aisés

10ème décile

  • 20 Avant impôts, en 2012, la classe moyenne rassemble des individus aux revenus situés entre 1 200 eur (...)

36Une autre voie de partage consiste à distinguer les catégories aisées (les 20 % les plus favorisés), les catégories populaires (les 30 % les moins favorisés), et une classe moyenne rassemblant la moitié de la population totale, entre les plus aisés et les moins aisés. Sous cette hypothèse – utilisée pour de nombreux travaux - les revenus disponibles, après impôts donc, de la classe moyenne sont (pour une personne seule), en 2008, compris entre 1 163 et 2 127 euros par mois20. Il s’ensuit un tableau de situation, en termes de niveaux de vie, pour 2008, différent bien entendu selon la situation des ménages.

37Il s’ensuit un tableau de situation, en termes de niveaux de vie, pour 2008, différent bien entendu selon la situation des ménages.

Frontières des niveaux de vie selon trois configurations familiales

Célibataire

Couple sans enfant

Couple avec 2 enfants

Les 20 % les plus aisés

2 127 € et +

4 068 € et +

5 174 € et +

Les classes moyennes

de 1 163 à

2 127 €

de 2 174 à

4 068 €

de 3 057 à

5 174 €

Les 30 % les plus modestes

de 0 à 1 163 €

de 0 à 2 174 €

de 0 à 3 057 €

Sources : INSEE, Centre d’observation de la société. www.observationsociete.fr

38Il n’y a pas avec ces approches une classe moyenne homogène, mais des catégories de la population qui se trouvent dans la moyenne (ou autour de la moyenne).

  • 21 Régis Bigot, Fins de mois difficiles pour les classes moyennes, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aub (...)

39Dans cette optique, un spécialiste du CREDOC, Régis Bigot a proposé une analyse de l’évolution des conditions des classes moyennes aboutissant à des conclusions moins pessimistes que ce qui est généralement martelé (rejoignant d’ailleurs en cela les travaux de Goux et Maurin)21.

40Bigot propose sa partition de la société, en tranches de 10 %. Les « pauvres », en 2007, disposent mensuellement (pour une personne seule) de moins de 780 €. Suivent les « modestes », avec moins de 1 120 €. Les classes moyennes (30 % de la population) « inférieures » dépassent ce seuil et se trouvent sous un plafond de 1 750 €. La limite pour les classes moyennes « supérieures » (20 % de la population) est à 2 600 €. Les « aisés » se situent entre 2 600 € et 3 010 €. Au-dessus, on trouve les 10 % de « hauts revenus ». Bigot précise que les Français considèrent que l’on est riche à partir de 4 660 € de revenus mensuels (ce qui, en termes de niveaux de vie, concerne 3 % de la population).

41L’auteur présente la célèbre et discutée « courbe en U », qui consiste à décrire un système socio-fiscal favorable aux deux extrêmes de la distribution des niveaux de vie. Les plus aisés bénéficient des réductions d’impôts ; les plus défavorisés des revenus d’assistance. Au centre, les classes moyennes seraient, relativement, délaissées.

42Bigot soutient qu’il n’y a ni déclin, ni paupérisation des classes moyennes. La France se distingue en effet dans la zone OCDE par le resserrement de la distribution des revenus autour de la moyenne. Par ailleurs, le niveau de vie médian est passé de 1 220 € par mois en 1996, à 1 384 € en 2005. Des conditions de vie améliorées et un pouvoir d’achat croissant n’empêchent pas une morosité plus prononcée.

43Bigot l’explique par le déclassement des jeunes et par la précarisation de l’emploi. Surtout, il avance une explication en termes de « dépenses contraintes » (celles qui, chaque mois, ne peuvent être arbitrées). Rassemblant les remboursements d’emprunts, les impôts directs, les dépenses d’assurance et de logement, elles pèsent un poids significativement plus grand maintenant. Exposées plus frontalement à l’augmentation des prix, dans l’immobilier principalement, les classes moyennes (notamment inférieures) ont l’impression, fondée, de disposer de moins d’argent en fin de mois.

Un critère subjectif : l’auto-évaluation

  • 22 Valéry Giscard d’Estaing, Deux Français sur trois, Paris, Flammarion, 1984.

44Une dernière approche consiste à prendre au sérieux les perceptions des individus quant à leur propre position sociale. En France, les résultats de sondages d’opinion indiquent que deux personnes sur trois s’identifient spontanément aux classes moyennes. Le résultat, toujours actuel, confirme ce que Valéry Giscard d’Estaing résumait dans le titre « deux Français sur trois »22.

  • 23 Voir France Guérin-Pace, Olivia Samuel, Isabelle Ville (dir.), En quête d’appartenances. L’enquête (...)

45Cette forte identification française aux classes moyennes est à relativiser dans la mesure où le sentiment d’appartenance à des classes sociales diminue. La moitié seulement des personnes vivant en France estiment appartenir à une classe sociale, la propension étant plus élevée d’ailleurs pour les cadres que chez les ouvriers.23

46Ce niveau élevé d’adhésion spontanée à l’idée d’appartenir aux classes moyennes s’explique en partie par la sous-déclaration des individus appartenant aux catégories les moins bien loties, qui préfèrent l’image valorisante des classes moyennes à celle plus ternie attachée aux classes défavorisées. Les déclarations des groupes les plus favorisés sont victimes d’un biais symétrique. Peu conscients de leur aisance, ceux-ci se considèrent en grande majorité comme faisant partie des classes moyennes.

47Des enquêtes récentes menées par le Crédoc ou pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), il ressort bien que les deux tiers des Français veulent bien se classer dans cette catégorie. Ceci ne leur confère pas une identité de classe, mais confirme que les Français se représentent, pour les deux tiers d’entre eux, au centre de la distribution des revenus et des positions sociales.

Deux tiers de Français estiment appartenir aux classes moyennes

Enquête Ifop, Fondation pour l’Innovation politique (2010)

Les défavorisés

Les catégories modestes

Les classes moyennes

Les classes moyennes supérieures

Les favorisés ou les aisés

4 %

29 %

52 %

13 %

2 %

Total « classes moyennes » : 65 %

Enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français » Crédoc, 2008

Défavorisés

Classes populaires

Classe moyenne inférieure

Classe moyenne supérieure

Aisés, privilégiés

6 %

21 %

44 %

22 %

5 %

Total « classes moyennes » : 66 %

Sources : Fondapol, Crédoc

48L’enquête pour la Fondapol nous indique que le sentiment d’appartenir à telle ou telle catégorie varie significativement selon la catégorie socio professionnelle. 90 % des cadres supérieurs se reconnaissent dans l’expression classes moyennes, 42 % des ouvriers. Selon le statut d’occupation du logement, la variation est également élevée : 74 % des propriétaires se voient appartenir aux classes moyennes, ce n’est le cas que de 53 % des locataires. En matière de localisation, 63 % des ruraux se comptent dans les classes moyennes. C’est le cas de 76 % des habitants de l’agglomération parisienne.

Sentiment d’appartenance aux classes moyennes selon statut d’occupation et lieu de résidence

Les défavorisés

Les catégories modestes

Les classes moyennes

Les classes moyennes supérieures

Les favorisés ou les aisés

Statut d’occupation

Propriétaire

1

22

57

17

3

Locataire

7

39

45

8

1

Lieu de résidence

Communes rurales

3

33

52

11

1

Communes urbaines province

5

31

50

12

2

Agglomération parisienne

1

17

57

19

6

Source : Ifop, Fondapol, 2010

49Cette importance subjective des classes moyennes, en France, se retrouve en comparaison internationale, européenne au moins. Dans une récente enquête Eurobaromètre il apparaît que 60 % (soit presque deux tiers) des Français estiment que leur ménage se trouve dans une situation « ni riche, ni pauvre ». En moyenne dans l’Union, c’est le cas de 49 % des ménages. La France, sur ce plan, est au premier rang européen.

50Il y a là illustration de l’importance particulière que revêtent, en France, le sujet des classes moyennes, celui des constats qui peuvent être faits de leurs progrès ou de leurs difficultés, et celui des politiques qui les distinguent, les oublient ou les défavorisent (relativement).

Part de la population estimant que son ménage est dans une situation… (en %)

Part de la population estimant que son ménage est dans une situation… (en %)

Source : Eurobaromètre, décembre 2010

Un logement qui pèse sur les budgets moyens et qui déclasse

  • 24 Voir Éric Maurin, La peur du déclassement. Une sociologie des récessions, Paris, Seuil, coll. « La (...)

51Un spectre hante les classes moyennes et la société françaises : le déclassement24. Le concept est assez riche pour désigner des phénomènes différents, mais convergents : d’une part, un sentiment et des observations objectives sur la détérioration passée de sa situation, d’autre part des craintes quant à son avenir et/ou à celui de ses descendants. Les classes moyennes craignent cette rétrogradation. Même si on peut le relativiser, le phénomène se nourrit de multiples dimensions, parmi lesquelles le logement joue un rôle déterminant. Aujourd’hui, des ménages s’estimant « moyens » disposent de ressources trop élevées pour prétendre au logement social, mais trop faible pour louer ou acquérir dans le secteur libre. Ces ménages rencontrent des difficultés à améliorer leurs conditions actuelles de logement. Si 70 % des personnes en France ont des revenus qui les autorisent théoriquement à occuper un logement social, l’offre ne couvre pas la demande et, surtout, les priorités portent sur les ménages défavorisés.

52Les coûts du logement ont, plus généralement, pris une importance grandissante dans le budget des ménages, celui des ménages « moyens » en particulier. Il y a là un effet « qualité ». La qualité des logements s’est fortement améliorée (augmentation de la surface, amélioration des équipements et services). Il y a aussi un effet « prix » dans la mesure où les coûts, singulièrement en ce qui concerne l’accession à la propriété, ont considérablement augmenté ces dernières années. Songeons que l’achat d’un mètre carré à Paris représente près d’une année de SMIC.

53Une première observation, si l’on prend en considération les résultats des enquêtes « Logement » de l’INSEE, tient dans l’amélioration de la qualité des logements, pour toutes les catégories de la population. On sépare la population en cinq catégories de taille égale, représentant donc chacune 20 % de l’ensemble. Ces cinq quintiles vont du moins aisé (Q1 : les 20 % les moins riches) au mieux loti (Q5 : les 20 % les plus aisés). On peut – une nouvelle fois, tout est convention - considérer que Q2 rassemble les classes moyennes inférieures, Q3 les classes moyennes intermédiaires, et Q4 les classes moyennes supérieures.

54Dans les cinq cas, il y a croissance de la proportion des ménages disposant des équipements de base (eau, sanitaires, chauffage central). La tendance est à un rattrapage des ménages les plus aisés. Ceux-ci, sur une vingtaine d’années, passent de 88 % à 97 % de leurs logements disposant des équipements de base. Les moins bien lotis gagnent, en l’espèce, 32 points, les classes moyennes inférieures 22 points et les classes moyennes intermédiaires 17 points.

Proportion (en %) de ménages équipés en eau, sanitaires et chauffage central en fonction du niveau de vie

Proportion (en %) de ménages équipés en eau, sanitaires et chauffage central en fonction du niveau de vie

Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE

55Cette forte amélioration ne doit pas masquer les disparités qui persistent. Si l’on se penche sur le caractère confortable ou non du logement, les différences demeurent marquées. Sont dit « inconfortables » par l’INSEE les logements de mauvaise qualité ou de surface trop petite. La qualité du logement répond à un ensemble de critères, comme la disponibilité d’eau courante et la puissance du chauffage, mais aussi l’humidité ou la lumière. En 2006, les 20 % les mieux lotis ne sont que 5 % à vivre dans un logement inconfortable. C’est le cas de 28 % des plus défavorisés. Au sein des classes moyennes, les ménages des classes moyennes inférieures sont deux fois plus nombreux (18 %) à être dans cette situation que les ménages des classes moyennes supérieures. On repère une première fois ce qu’on martèlera tout au long du texte : un décrochage des classes moyennes inférieures, qui se regroupent plus avec les catégories les moins favorisées qu’avec les autres strates des classes moyennes.

Proportion (en %) de logements inconfortables (2006) en fonction du niveau de vie

Proportion (en %) de logements inconfortables (2006) en fonction du niveau de vie

Source : INSEE, Enquête « Logement » 2006

56Pour la mesure du ressenti, on ne pourra pas, hélas, prendre exactement les mêmes catégories. On passera par des exploitations qui ont été faites de l’enquête barométrique du Crédoc sur les « Conditions de vie et aspirations des Français ». Comme aucune définition des « classes moyennes » ne fait l’unanimité, il a été décidé, dans ce cadre, de les placer entre, d’une part, les « hauts revenus » et les « aisés » (les 20 % de la population aux revenus les plus élevés) et, d’autre part, les « bas revenus » (les 30 % de la population aux revenus les plus faibles, rassemblant les ménages défavorisés et les classes populaires). En dynamique, on repère nettement que la situation de ces classes moyennes tend à ressembler davantage à celle des bas revenus qu’à celle des hauts.

57En ce qui concerne la proportion des propriétaires de leurs logement (aujourd’hui moins de 6 ménages sur dix, en général) la tendance est à la stagnation pour les classes moyennes. Il y a là une évolution qu’ont connu les catégories pauvres et modestes, mais qui est l’inverse de ce qu’ont vécu les catégories aisés et à hauts revenus. En 1990, plus de la moitié des individus appartenant aux classes moyennes (soulignons encore qu’il s’agit d’une affectation des individus à cette catégorie au centre de la distribution des revenus) se déclaraient propriétaires de leur logement. Ils sont minoritaires vingt ans plus tard. On est là au seuil de la significativité statistique. Il y a probablement plus stagnation que mouvement clair. En revanche pour les catégories aisées et pour les hauts revenus (les 10 % les mieux lotis), on est passé, entre 1980 et 2008, respectivement de 51 % et 54 % à 65 % et 75 %. Dit autrement, alors que pour les classes moyennes la proportion de propriétaire a stagné autour de la moitié, elle est passée d’une moitié aux deux tiers pour les catégories aisées, et des deux tiers aux trois quarts pour les hauts revenus.

Proportion d'individus propriétaires de leur logement (en %)

Proportion d'individus propriétaires de leur logement (en %)

Source : Crédoc

58Pour soutenir la cohérence des approches et des enquêtes, indiquons que les données tirées des enquêtes « Logement » de l’INSEE procurent des informations tout à fait similaires. Une augmentation moyenne, entre 1988 et 2006, de la proportion de propriétaires (de 54 % à 57 %) masque des divergences, avec une concentration de la propriété parmi les plus favorisés, tandis que la situation des classes moyennes n’a pas significativement évolué. Il y a là un point d’importance, pour caractériser une forme de déclassement dans le temps, dans la mesure où l’accession à la propriété est couramment envisagée comme une aspiration forte des classes moyennes.

Évolution du statut de propriétaire (en accession ou non) en fonction du niveau de vie (en %)

Évolution du statut de propriétaire (en accession ou non) en fonction du niveau de vie (en %)

Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE

59Être propriétaire ou locataire ne dit pas grand chose, a priori, des coûts de son logement et de la part de son budget qu’un ménage y affecte. S’il y a stagnation de la proportion des classes moyennes propriétaires, il y a une progression de la part des individus issus de ces classes moyennes qui estiment que leurs dépenses de logement sont une charge trop lourde à laquelle ils ne peuvent, pour certains d’entre eux, plus faire face. Les informations importantes ne sont pas les données absolues, mais les comparaisons avec d’autres catégories sociales. Les personnes défavorisées et les personnes comptées dans les classes populaires ont vu leurs dépenses de logement constituer une charge toujours plus lourde (relativement). Il en va de même pour les classes moyennes inférieures qui, de 1980 à 2008, ont vu la proportion de personnes estimant ces charges problématiques passer de 41 % à 50 %, tandis que pour les hauts revenus elle passait de 28 % à 21 %. Il y a là illustration, d’un côté, du rapprochement entre classes défavorisées et classes moyennes, et, de l’autre côté, du relatif décrochage d’avec les hauts revenus.

Proportion d'individus déclarant que leurs dépenses de logement constituent une charge lourde, ou très lourde ou à laquelle ils ne peuvent faire face (en %)

Proportion d'individus déclarant que leurs dépenses de logement constituent une charge lourde, ou très lourde ou à laquelle ils ne peuvent faire face (en %)

Source : Crédoc

60Dans la même veine de données, on observe des mouvements globalement similaires en ce qui concerne les restrictions qu’indiquent s’imposer des ménages en ce qui concerne leurs dépenses de logement. Sur ce point, les plus favorisés n’ont pas vraiment vu leur situation s’améliorer (sur trente ans il y a toujours, seulement, 7 % ou 8 % des hauts revenus qui déclarent de telles restrictions). En revanche, pour les classes moyennes inférieures, la part des individus déclarant se restreindre pour leur logement a gagné 14 points entre 1980 et 2008.

Proportion d'individus déclarant s'imposer des restrictions sur leurs dépenses de logement (en %)

Proportion d'individus déclarant s'imposer des restrictions sur leurs dépenses de logement (en %)

Source : Crédoc

  • 25 Voir les différents travaux de Jacques Friggit.

61Ce sentiment de contraintes pesant davantage sur les budgets du logement ne s’explique qu’en partie par la qualité augmentée de ces logements. L’effet prix est très important. En effet, au cours des trente dernières années, le prix réel (corrigé de l’inflation) des logements anciens a été multiplié par deux, tandis que les loyers progressaient de 30 %. Alors que jusqu’à la fin des années 1990, le prix du logement avait augmenté, globalement, au même rythme que le revenu moyen des ménages, le lien s’est rompu depuis la décennie 200025. Il y a donc une distorsion grandissante entre les coûts du logement (en particulier pour les ménages primo accédants, souhaitant acquérir pour la première fois un logement) et les revenus. Et ces coûts du logement ont davantage progressé, proportionnellement, pour les plus pauvres que pour les plus riches.

62Afin d’évaluer l’importance des coûts du logement par rapport au budget des ménages, on peut prendre en considération un taux d’effort des ménages qui mesure la part du revenu consacré aux dépenses de logement.

63Pour les accédants à la propriété, les catégories modestes ont connu une augmentation de 8 points de leur taux d’effort, contre 2 ou 3 pour l’ensemble des quatre autres quintiles de la distribution des revenus.

Taux d'effort net (en %) en fonction du niveau de vie. Accédants à la propriété

Taux d'effort net (en %) en fonction du niveau de vie. Accédants à la propriété

Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE

64Pour les locataires (dans le secteur libre), les taux d’effort n’ont pas évolué pour les plus favorisés, mais ils ont fortement augmenté (+ 11 points) pour les moins aisés. Ces taux d’effort ont également fortement augmenté pour les classes moyennes inférieures (Q2) et pour les classes moyennes intermédiaires (Q3).

Taux d'effort net (charges comprises, en %) en fonction du niveau de vie. Locataires du secteur libre

Taux d'effort net (charges comprises, en %) en fonction du niveau de vie. Locataires du secteur libre

Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE

65Quelle leçon générale tirer ? Les classes moyennes, en particulier leurs segments intermédiaires et inférieurs, se sont rapprochées, pour ce qui a trait aux évolutions de leurs contraintes financières de logement, des catégories défavorisées. Leurs dépenses contraintes, que l’on dit aussi non arbitrables, pré engagées, pèsent fortement sur leur budget. L’augmentation passée, et pour certains postes (énergie notamment) très probablement encore à venir, des budgets liés au logement (loyers, prêts, eau, gaz, électricité, mais aussi assurances et impôts) est l’un des principaux moteurs de la pression ressentie et vécue par les ménages des classes moyennes.

Une politique du logement qui ne fait plus des classes moyennes sa priorité

66La « moyennisation » de la société française, pendant les Trente Glorieuses, a été accompagnée d’une politique du logement volontariste dont l’ambition était, comme d’ailleurs la Sécurité sociale, de promouvoir un salariat grandissant, une généralisation de l’accès au progrès social.

67La dynamique « glorieuse » des Trente Glorieuses aurait été celle d’une classe moyenne en expansion, avec des revenus en hausse, une aisance matérielle accrue, en gros de la promotion sociale, celle-ci étant accompagnée historiquement de l’accès au logement social puis de l’accession à la propriété. Depuis les années 1980, il y aurait stagnation des revenus, ascenseur social en panne, doutes et malaise au sein des classes moyennes.

68La dynamique de moyennisation serait suspendue. Une pleine illustration, en matière de logement, relève de l’évolution du peuplement, sur le plan d’abord des revenus, des logements HLM. Ceux-ci rencontrent, depuis le début des années 1970, un processus de paupérisation. Si l’on opère une partition de la population française en quatre parties égales, quatre quartiles représentant chacun 25 % de la société française, alors on note que le premier quartile (c’est-à-dire les ménages les plus pauvres), représentait il y a une quarantaine d’années 12 % des locataires HLM. Ils en représentent 42 % en 2006 (50 % dans les zones urbaines sensibles). Pour le deuxième quartile (i.e. les classes moyennes inférieures), la proportion de locataires HLM reste autour de 30 %. Il y a là encore un rapprochement des plus démunis et de cette classe moyenne inférieure (auquel on peut donner aussi le pluriel). Le troisième quartile, qui correspond aux classes moyennes supérieures, est de moins en moins présent dans le logement HLM. Ces classes moyennes supérieures, qui rassemblaient 35 % des locataires HLM en 1973 (et 15 % seulement en 2006), ont quitté ces logements sociaux, très souvent pour accéder à la propriété. Le point important est qu’en flux ce sont les pauvres qui sont venus peupler les HLM, cohabitant plus ou moins aisément avec des classes moyennes inférieures qui ne les considérent pas nécessairement favorablement.

Évolution de la distribution des revenus des locataires HLM

Évolution de la distribution des revenus des locataires HLM

Source : INSEE / Union Sociale pour l’Habitat

69Aujourd’hui, la palette d’interventions du mouvement HLM vise encore, potentiellement, largement les classes moyennes. Il en va ainsi de ses trois principaux instruments de financement, les prêts permettant la construction de ces logements :

70En théorie, le prêt locatif à usage social (PLUS), principal produit pour le financement de logements sociaux, vise des ménages aux revenus modestes ou moyens. Près des deux tiers de la population peuvent être éligibles à des logements financés en PLUS.

71Le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) vise des ménages à plus bas revenus. Ses conditions d’accès rendent éligibles environ 40 % des ménages.

72Le prêt locatif social (PLS) est, en réalité, le moins « social ». Il vise des populations plus aisées que celles éligibles aux PLUS. Il vise donc les classes moyennes supérieures et peut concerner jusqu’à 80 % de la population.

73Si les outils de financement visent encore la classe moyenne, la tendance est, stratégiquement, à une « résidualisation » du secteur du logement social. Il s’agit de conférer à ce parc de logements sociaux une mission plus claire et prioritaire de logement des catégories moins favorisées. Il y a là nombre d’arguments techniques et de controverses politiques quant au souci de préserver une certaine mixité sociale dans ce parc, tout en remplissant des obligations adaptées aux évolutions de la société française. En tout état de cause (et de polémique) la tendance est claire : paupérisation du profil de populations logées en HLM, volonté stratégique de résidualisation (de la part des pouvoirs publics). Il existe de bons arguments pour aller dans un sens ou dans un autre. Seul compte ici le constat : les classes moyennes, de fait, ne sont plus la priorité d’une politique de logement social qui devient à bien des égards une politique de logement très social.

74D’une certaine manière les classes moyennes sont, en matière de politique du logement, écartelée, en tant que priorité, entre, d’une part, les plus défavorisés (qu’il s’agit de loger ou d’héberger en tentant de mettre en œuvre l’opposabilité affirmée du droit au logement), et, d’autre part, les plus aisés qui sont incités à investir pour développer l’offre locative.

  • 26 Pour une critique de cette représentation en « U » voir les travaux de Henri Sterdyniak.

75Cette tension, en matière de logement social, pour les classes moyennes en position précédemment centrale et maintenant un rien de côté est à rapprocher de l’ensemble des mécanismes socio-fiscaux à l’œuvre. On reprend la représentation désormais classique (même si toujours discutée26) de la courbe stylisée des avantages socio-fiscaux sous la forme d’un U.

76Les mécanismes socio-fiscaux ne semblent pas favorables aux classes moyennes (entendues comme les catégories situées entre les plus riches et les moins aisés). Les aides sociales (l’assistance) vont d’abord aux moins favorisés, les dépenses fiscales (les réductions d’impôt) profitent aux mieux lotis. Une représentation du phénomène est la courbe en « U ». D'un côté, les moins aisés voient leurs revenus augmenter grâce aux prestations familiales, aux allocations logement et aux minima sociaux. De l'autre, les plus aisés tireraient davantage de bénéfices de la fiscalité grâce aux niches fiscales. Entre les deux, les classes moyennes seraient à la base du « U ». La courbe stylisée de la redistribution (prestations et fiscalité) suit, en effet, le profil d’un « U ». Les moins favorisés touchent des prestations ; les plus favorisés obtiennent des allègements fiscaux. Au milieu, les classes moyennes ne bénéficient pas aussi nettement que les plus modestes des prestations, et pas aussi fortement des avantages fiscaux que les plus aisés.

Le « U » des dépenses socio-fiscales

Niveau des dépenses sociales et fiscales pour le ménage

Effets des prestations sociales (de logement en particulier)

Effets des allègements fiscaux

Niveau de ressources du ménage

  • 27 Notons que ces incitations, très décriées aujourd’hui, ont été mises en œuvre, sous des formats var (...)

77Le principe est de montrer de façon frappante les effets d’un action publique en matière de logement qui consiste, principalement, à soutenir la demande, celle des locataires modestes, via les aides au logement, et celle des propriétaires aisés via des incitations fiscales à l’investissement locatif27.

78Les moins favorisés bénéficient directement des prestations logement (les trois allocations sous condition de ressources). Les plus favorisés bénéficient directement des avantages fiscaux pour l’investissement locatif ou la réhabilitation de leur résidence principale, par exemple pour les aides publiques d'incitation à la rénovation thermique des logements. Certes le trait est grossier derrière cette représentation mais elle désigne un phénomène incontestable, et qui pèse dans l’opinion : les classes moyennes seraient délaissées.

79On pourra rétorquer, à raison, que les incitations à l’investissement locatif sont à destination des classes moyennes, pour produire du logement accessible. Certes, mais en termes d’équilibre immédiat des budgets, les dépenses fiscales ne profitent pas directement à ces classes moyennes. Et, de surcroît, les programmes aidés d’investissement locatif ne rencontrent pas tous le succès. Mais c’est une autre histoire.

80On pourra surtout rétorquer que la représentation en « U » ne dit rien des dynamiques favorables aux classes moyennes. La représentation en « U » peut, en effet, être discutée car les prestations permettent à une partie de la population modeste de basculer, vers le haut, dans les classes moyennes. Si elles ne profitent pas pleinement, à un moment t, de gains complémentaires, souvent elles se trouvent dans cette situation parce qu’en t-1 ou t-2 elles vivaient dans des conditions moins favorables, que l’État providence a contribué à améliorer. Appartenant, dans le passé, à des catégories moins fortunées, elles ont prospéré au cours de leur trajectoire grâce, en particulier, au système éducatif qui vise à assurer leur promotion.

  • 28 À ce sujet, on se permet de renvoyer à Damon (2012).

81En coupe l’image d’une classe moyenne défavorisée par les politiques publiques est aisée à mettre en lumière. Dans une perspective longitudinale la conclusion est bien moins évidente. L’agrégation de l’ensemble des dépenses publiques, sur le cycle de vie, permet de contester avec de solides arguments l’idée d’un État social qui se détournerait des classes moyennes28. Il n’en reste pas moins, en matière de logement, des virages assez nets.

Des classes moyennes qui recomposent le territoire

82Sans qu’il soit possible d’établir une géographie indiscutable des classes moyennes – ne serait-ce qu’en raison de la diversité des définitions -, il est tout à fait concevable et utile de préciser de grandes évolutions à l’œuvre.

83Sans communauté d’intérêt ni conscience de classe, plus éclatées que durant la phase d’élévation des Trente Glorieuses, les classes moyennes se regrouperaient aujourd’hui, matériellement, sur des territoires particuliers : ceux du périurbain. Après coup, le développement des périphéries pavillonnaires, pendant les périodes de croissance, est maintenant analysé comme la traduction résidentielle de l’ascension des classes moyennes, en particulier lorsqu’elles accédaient à la propriété. Depuis les années 1980, c’est un mouvement de fuite de la ville qui est annoncé. Après l’exode rural et l’industrialisation qui ont entretenu la montée des classes moyennes, la désindustrialisation et un certain exode urbain entretiendraient des recompositions territoriales poussant les classes moyennes à se réfugier dans le périurbain. Le conditionnel est de mise car le sujet est habité de mythes, sans données ni conclusions décisives.

84Première réserve : les diverses définitions du périurbain, morphologiques (le périurbain comme lotissements d’habitat pavillonnaire) ou fonctionnelles (le périurbain comme espaces discontinus mais en lien avec une agglomération), n’amènent jamais à y recenser plus de 20 % à 25 % de la population tandis que les diverses définitions des classes moyennes en regroupent toujours, aujourd’hui, largement plus (généralement deux fois plus). Il n’y a donc pas recoupement intégral entre ce groupe social et cette catégorie territoriale. La plus grande partie des classes moyennes se trouve en dehors du périurbain. Deuxième réserve : le périurbain n’est pas uniforme et ses habitants présentent plus de diversité que d’homogénéité. On ne saurait forcer le jeu de mots en appelant au pluriel des périurbains, mais il faut bien y voir une mosaïque d’espaces qui accueillent des populations hypermobiles ou captives, sans homogénéité parfaitement symptomatique. Troisième réserve : les situations varient fortement selon les régions. De ce poncif il faut garder à l’esprit que l’Ile-de-France et Paris tout particulièrement, en matière de logement et de localisation, se différencient de toutes les autres régions. Quatrième réserve : contre l’image d’un périurbain pauvre, à la périphérie des métropoles, les taux de pauvreté sont très inférieurs dans les espaces périurbains (toutes définitions confondues) que dans les grands pôles urbains.

85Ceci dit, on observe indubitablement, en raison de l’évolution des coûts du logement et de la forme des ménages, une périurbanisation, pour partie choisie et pour partie subie, des classes moyennes. Des ménages issus des catégories intermédiaires de la population ne pouvant plus rester dans des centres villes devenus trop chers et ne souhaitant pas vivre dans des quartiers d’habitat social dépréciés quittent les villes pour s’installer dans une sorte d’interface entre la campagne et la ville. Ces constats d’une éviction des classes moyennes peuvent être documentés par monographies. Mais l’intensité globale du phénomène n’a jamais été évaluée. Sont, en tout cas, souvent décrites des classes moyennes déstabilisées, contraintes à ce mode de vie, rationnalisant a posteriori ou bien dépitées face aux perspectives d’augmentation de leur budget à consacrer au transport et à l’énergie. Au déclassement social s'additionnerait le déclassement territorial ; tous ces espoirs déçus conduisant balistiquement au vote protestataire.

86Cette grille de lecture, avec ses fondements, a rencontré le succès. Les classes moyennes y sont entendues comme les personnes et ménages qui ne vivent ni dans l’aisance persifflée ni dans l’assistance vilipendée, ni dans les banlieues et centres-villes huppés ni dans les quartiers et ghettos défavorisés. Toujours entre-deux, elles caractériseraient le périurbain (et vice-versa).

  • 29 Rappelons que pour le sociologue Henri Mendras, le barbecue est un déterminant typique de la classe (...)
  • 30 Pour s’informer de ces évolutions géographiques françaises, voir les travaux, aux conclusions contr (...)

87La France des pavillons et des lotissements, de la bagnole et du barbecue29, a longtemps renvoyé l’image de l’ascension et du standing moderne des classes moyennes. Avant cette accession à la propriété, c’est l’habitat social qui signait la promotion résidentielle d’ouvriers et d’employés vivant, dans l’après guerre, dans des conditions vétustes. Ces images et ce monde ont largement changé. De nouvelles fractures territoriales sont apparues tandis que les classes moyennes se fracturaient elles-mêmes. Les parties supérieures de cette catégorie statistiquement centrale se sont rapprochées, en termes d’aspiration et de conditions de logement, de celles des plus favorisées. À l’inverse, les classes moyennes inférieures, tout en se rapprochant en termes d’aspiration se sont distancées des plus aisés et raccordées aux plus défavorisées. Pour le dire de façon abrupte, les classes moyennes supérieures ont connu un embourgeoisement que l’on baptise gentrification, en restant dans des centres villes ou en y retournant après leur réhabilitation. De leur côté, les classes moyennes inférieures sont restées dans des quartiers d’habitat social qu’elles souhaitent pourtant quitter ou bien sont parties loin des centres, les regrettant ou les rejetant, pour peupler le périurbain. La vision est tranchée, voire caricaturale, car on trouve aussi bien dans les centres villes et dans le périurbain des ménages modestes et pauvres, mais elle désigne bien des dynamiques à l’œuvre, même si leur quantification exacte est difficile à produire30.

  • 31 Voir, pour commencer, le dossier « La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurba (...)

88Sur l’habituelle tripartition sociale à trois classes (aisées, moyennes, populaires), s’est calquée une tripartition territoriale. Depuis la fin des années 1990 des travaux repèrent des classes aisées embourgeoisées (on dit « gentrifiées ») dans des quartiers valorisés de centre-ville, des classes populaires ségréguées (on dit « reléguées ») dans des zones urbaines sensibles, et, entre les deux, des classes moyennes qui choisissent le périurbain ou bien qui sont poussées à s’y implanter31. Une dynamique dite de « séparation » affecterait les classes moyennes inférieures qui se trouvent reléguées dans les quartiers sensibles de la politique de la ville. Une dynamique dite de « sécession » affecterait une autre partie de ces classes moyennes, les ménages qui les composent cherchant à s’isoler des autres catégories modestes tout en ne pouvant atteindre les lieux de résidence des plus aisés.

89Une autre image est celle d’un dualisme entre populations aisées concentrées dans des métropoles bien connectées à la mondialisation et populations modestes établies dans des franges périphériques plus ou moins bien équipées. Les classes moyennes inférieures peuvent rester dans les centres métropolitains à condition d’y trouver du logement social, mais elles n’en sont plus le destinataire privilégié. À défaut, elles viennent s’installer, contraintes par les coûts du logement et/ou attirées par la qualité de vie de zones moins denses (et moins coûteuses), dans le périurbain. Et leur problème n’est plus tant la qualité de leur logement que celui des coûts de leurs déplacements.

90Il y a certainement un périurbain forcé qui, s’il manque de qualités, de services et d’équipements, préserve à la fois des cités réputées dangereuses et des coûts devenus trop élevés de la ville. Il y a aussi un périurbain favori, avec valorisation de la végétation et des pavillons. Il ne s’agit pas là d’un choix par défaut par rapport à la ville, mais d’une protection générale à l’égard de l’urbain. Une partie des classes moyennes – mais il n’y pas qu’elles – établies dans le périurbain y sont piégées par les coûts de transport et d’énergie. Une autre partie en fait toujours le choix en connaissance de cause et de coûts.

  • 32 Voir l’étude « Le logement, facteur d'éclatement des classes moyennes ? » sur le site www.fondation (...)

91À ce sujet, désormais considéré comme crucial, des situations et stratégies résidentielles des classes moyennes, une étude plus précise, menée auprès de 4 000 actifs, a été publiée en 2010 par le sociologue François Cusin. L’étude prend en considération à la fois une approche en catégories socioprofessionnelles et une approche en revenus32.

92Sur la base du revenu déclaré, trois strates de tailles voisines ont été distinguées au sein des classes moyennes. Classiquement, mais avec des bornes qui correspondent aux particularités de l’enquêtes, on discerne ainsi des classes moyennes inférieures, intermédiaires, et supérieures.

Trois classes moyennes

Classes moyennes

(CM)

Revenu des célibataires

Revenu des

couples

Poids de chaque strate dans les classes moyennes (%)

Part des cadres et professions intellectuelles sup. dans chaque strate (%)

CM Inférieure

moins de 1 800 €

moins de 2 700 €

35,4

13,7

CM Intermédiaire

de 1 800 à 2 500 €

de 2 700 à 3 750 €

32,8

25,8

CM Supérieure

de 2 500 à 4 400 €

de 3 750 à 6 600 €

31,8

50,1

Source : François Cusin, 2011.

93Cette étude permet la mise en évidence de trois logiques.

94Une logique d’amélioration croissante. Contre l’idée d’un affaiblissement généralisé des classes moyennes, une partie d’entre elles continuent à voir leurs conditions de logement s’améliorer et leurs aspirations satisfaites par un mouvement ascendant, notamment en continuant à pouvoir devenir propriétaire. En vocabulaire simple, on a confirmation du fait que les classes moyennes supérieures se rapprochent des catégories les plus aisées.

95Une logique de subsistance. Des ménages comptés dans les classes moyennes vivent des trajectoires sociales et résidentielles bloquées, voire descendantes. Les déménagements espérés sont repoussés. D’autres sont obligés, au sens de forcés. Les effets à la fois du chômage et des séparations sont, à ces égards, puissants. Dans certains de ces cas le projet d’accession à la propriété n’est plus vécu comme un aboutissement mais comme un coût qui devient insupportable.

96Une logique de sécurisation. Des ménages « moyens », dans la hiérarchie des revenus et des catégories socioprofessionnelles, cherchent à se défendre, à se protéger, par, économiquement, la constitution d’un patrimoine (la propriété est parfaitement plébiscitée parmi les classes moyennes interrogées) et, géographiquement, par des lieux de vie qui sécurisent (dans un périurbain ou dans des espaces plus denses, mais toujours éloignés des catégories populaires).

97Une observation importante de ce travail tient dans l’éclatement des classes moyennes, dans les fractures internes de cette grande catégorie, avec le déclassement objectif de la strate inférieure. L’étude confirme l’évolution positive pour une partie des classes moyennes supérieures, et l’involution pour une partie des classes moyennes inférieures. Alors que ces dernières ressemblent de plus en plus (dans leur profil économique) aux catégories les moins aisées, elles cherchent de plus en plus à s’en distancer, que ce soit par le souci de ne pas voir scolarisés ensemble leurs enfants, par l’effort important consenti pour éviter le parc social ou par le vote.

98Une autre conclusion notable est de rappeler que les situations varient fortement selon les régions. De ce poncif il faut garder à l’esprit que l’Ile-de-France et Paris tout particulièrement, en matière de logement, se différencient de toutes les autres régions. Au regard de critères nationaux de catégorisation, être compté comme classes moyennes en Ile-de-France, sur tout le spectre de situations qui peuvent être réunies de la sorte, ne fait pas partager grand chose avec le fait d’être compté comme classes moyennes dans d’autres régions. Ici jouent à plein les coûts du logement.

99Une remarque encore relève des moteurs d’évolution des situations de logement des classes moyennes. Bien entendu le chômage joue, tout comme la production immobilière, plus ou bien formatée par les promoteurs. Mais une dimension essentielle est à souligner : l’évolution des structures familiales. Séparations et remises en couple sont deux dynamiques qui transforment les ménages moyens, et leurs conditions de logement.

  • 33 Voir les travaux de Marco Oberti et Edmond Préteceille.

100Pour finir, il faut souligner que l’on peut mesurer la concentration des pauvres et celle des riches sur des territoires précis. Il n’en va pas de même pour les classes moyennes qui ne se distinguent pas comme peuplant des territoires bien spécifiques. C’est plutôt la diversité et la mixité qui priment dans les territoires qui ne sont ni riches, ni pauvres33. Qu’il s’agisse du périurbain, du rural ou même des centres-villes, on ne trouve pas de territoires propres aux classes moyennes. La plupart des territoires, en particulier périurbains, demeurent, en moyenne, plus mélangés que spécialisés. Les professions intermédiaires et cadres du secteur public vivent dans des quartiers mixtes.

  • 34 Voir les analyses et intuitions de Laurent Davezies, La crise qui vient. La nouvelle fracture terri (...)

101La spécialisation sociale des territoires a toujours été l’une des dimensions de la question sociale. Elle serait devenue sa forme dominante. La distinction entre catégories sociales aurait déserté le registre de la consommation – plus démocratisée (tout le monde a un téléphone portable) – pour se nicher dans celui de la localisation résidentielle – de plus en plus discriminante34. Cette territorialisation des réalités n’est pas spécifique aux classes moyennes. Celles-ci ne peuplent pas des espaces particuliers. Comme toutes les catégories de la population, leur localisation est néanmoins devenue une dimension cruciale de leur situation et de leurs perspectives. Mais les classes moyennes – en tant que catégorie unitaire appréciée nationalement – ne présentent pas de singularité territoriale déterminante. Bien entendu, si l’on décompose la catégorie il n’en va pas exactement de même. Mais, en toute rigueur, ce n’est plus parler exactement de la même chose.

Conclusion 

  • 35 Pour quelques éléments de constats mais aussi de critiques politiques, voir Laurent Wauquiez, La lu (...)

102La situation et les évolutions des classes moyennes dépendent, on l’a vu, largement de la définition, et, plus précisément, de la circonférence que l’on donne à cette catégorie de population. À chaque échéance électorale ce sont leurs difficultés et leur déclin qui sont érigés en sujet d’actualité et de controverse. L’élection présidentielle de 2012 aura été un moment d’accentuation de cette problématique traditionnelle35. Si le constat d’augmentation ou de rétrécissement de la classe moyenne est difficile à établir sans longues discussions des définitions, on peut tenter une synthèse des difficultés des catégories centrales de la distribution des revenus et des positions sociales.

103Au terme de ce parcours dans l’univers hétérogène des classes moyennes, le tout sous un déluge de données, que retenir ? Comment résumer les tendances contemporaines affectant les classes moyennes en France ? Pour être mnémotechnique, on propose une synthèse en quatre « e ».

104Effritement : les classes moyennes ne constituent pas une unité sociologique. Dans toutes les approches on observe des tendances contrastées, voire opposées. Le constat n’est pas inédit. Il pouvait même être avancé il y a des décennies. Il est aujourd’hui établi. Les classes moyennes supérieures se rapprochent des catégories les plus favorisées ; les classes moyennes inférieures des catégories les plus défavorisées. Les premières se boboïsent (expression récente, qui insiste d’ailleurs sur le côté bourgeois de la catégorie). Les secondes se prolétarisent (expression ancienne). Le mouvement n’a rien d’implacable ni d’inéluctable – comme Marx le prédisait. Mais il y a bien polarisation.

105Écrasement : au-delà de la dynamique d’effritement que connaissent les classes moyennes, les catégories centrales de la distribution des revenus et des positions sociales sont objectivement desservies par un système français de transferts à la fois plus ciblé sur les plus démunis (prestations d’assistance) et favorable aux plus aisés (niches fiscales). Certes, l’assise universelle du système continue à promouvoir et maintenir les classes moyennes. Mais une partie de leur sentiment de déclassement relatif est fonction du ressentiment à l’égard de mécanismes socio-fiscaux auxquels elles contribuent mais dont elles peuvent estimer ne plus être la priorité.

106Étalement : géographiquement, il n’est pas aisé de dégager les particularités des territoires sur lesquels se trouvent les classes moyennes. Comme pour la pauvreté, la richesse ou la question de la mixité sociale, il faudrait d’abord choisir une échelle d’observation et des définitions stables. Pour autant, les tendances existent, sans être forcément quantifiables dans le détail. Les bobos des classes moyennes supérieures (voire très supérieures) participent au mouvement d’embourgeoisement de quartiers qui deviennent prisés. Les ménages précarisés des classes moyennes inférieures (pas nécessairement si inférieures que cela) sont conduits à s’établir à l’écart des quartiers qu’ils valorisent. Soit les coûts leur sont devenus insupportables, soit les modes et conditions de vie leur sont devenus intolérables. En quête d’un environnement plus sécurisant et pesant moins sur leurs budgets, les classes moyennes (accompagnées de ménages plus aisés disposant de résidences secondaires et de ménages moins aisés encore davantage contraints) alimentent l’étalement urbain à la française. Elles ne constituent pas seules la périphérie de grandes métropoles mais leurs trajectoires résidentielles nourrissent le phénomène.

107Émiettement : plus qu’effritement social et étalement géographique, les classes moyennes vivent un émiettement de la catégorie et un émiettement de leur positionnement sur le territoire. Sans en ressortir totalement en miettes – car la variable revenus permet toujours de distinguer des positions centrales – les classes moyennes occupent une place centrale sur l’agenda politique des premières décennies du XXIème siècle. Mais elles n’ont certainement plus ni la consistance ni la cohérence qu’elles ont pu avoir. Il est d’ailleurs significatif que toutes les formations politiques – sauf l’extrême gauche – s’en réclament et se posent en porte-parole. Tout le monde cherche à défendre ce qui est favorablement connoté et ce à quoi s’identifient très majoritairement les personnes vivant en France. Ni mythe, ni mirage, ni miettes du passé, les classes moyennes sont dispersées et fractionnées.

108Pour prendre deux « e » supplémentaires et conclure : l’incontestable écartèlement des classes moyennes françaises ne vaut pas effacement. Au contraire. Elles sont, plus que jamais, un sujet central.

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Annexe

Quatre schémas de représentation des classes moyennes

Les définitions et délimitations des classes moyennes sont légion. Au-delà des débats spécialisés, et sans entrer dans des estimations chiffrées, des représentations graphiques simples permettent de rendre compte de situations, et des évolutions à l’œuvre.

De manière schématique, on peut trouver dans la littérature quatre représentations habituelles des classes moyennes. Celles-ci ne se comprennent que dans le cadre d’une stratification sociale, c’est-à-dire en les différenciant, d’une part, des classes supérieures ou « favorisées », et, d’autre part, des classes inférieures ou « défavorisées ».

Ces quatre schémas autorisent quelques commentaires sur la situation contemporaine des classes moyennes et les dynamiques qui les affectent, d’une part, dans les pays traditionnellement développés, et, d’autre part, dans les pays émergents.

Les classes moyennes occidentales sont représentées, par des experts optimistes, sous forme de montgolfière, ou, par des experts pessimistes, sous forme de sablier. Pour les classes moyennes émergentes, c’est l’image de la pyramide qui prévaut.

Le diamant

Classes favorisées

Classes défavorisées

Le graphique en forme de diamant, ou plus précisément de carré posé sur l’un de ses pieds, est plus un projet qu’une réalité. C’est celui d’une société équilibrée, avec une classe moyenne très garnie, avec une élite et une population pauvre, elles deux très réduites. C’est l’incarnation ou l’interprétation métaphorique de toutes les philosophies (de Aristote à Tocqueville) qui ont insisté sur l’importance de ces classes moyennes pour une vie politique saine. L’illustration est celle de sociétés idéalisées avec une tripartition équilibrée.

La montgolfière

Classes favorisées

Classes défavorisées

La métaphore et le graphique en forme de montgolfière dessinent une classe moyenne centrale et ascendante, avec une classe aisée peu importante et des catégories pauvres réduites. L’image est celle d’un progrès commun, entraîné par le dynamisme des classes moyennes.

L’illustration typique est celle des sociétés occidentales « moyennisées » au cours des Trente Glorieuses, avec ascension des classes moyennes. La plupart des pays de l’OCDE, même s’ils sont affectés conjoncturellement par la pauvreté et structurellement par la crise de leurs classes moyennes, ressemble à cette montgolfière, même si celle-ci monte moins vite.

Le sablier

Classes favorisées

Classes défavorisées

Le sablier est une métaphore de l’érosion des classes moyennes, avec une classe moyenne disloquée par enrichissement de sa strate supérieure et appauvrissement de sa classe inférieure. C’est l’image, commune maintenant en Occident, d’un effondrement progressif. La mort des classes moyennes serait contenue dans les réalités amenées par la société post-industrielle. Tout ce qui est milieu et moyen s’effacerait du fait de la nouvelle révolution industrielle, de l’écrasement des hiérarchies, de l’éclatement de la production entre haut et bas de gamme, abandonnant précisément tout ce qui se situe au milieu. Alors que l’image, établie rétrospectivement, de la montgolfière signale une élévation collective, celle du sablier annonce une progressive décrépitude, associée à une dualisation. C’est, surtout la promesse d’ascension sociale qui vient faire défaut.

La pyramide

Classes favorisées

Classes défavorisées

Outil classique de la représentation démographique des âges, la pyramide est également utile pour représenter une stratification sociale. On y trouve une élite très réduite, des populations pauvres très larges, et une classe moyenne qui, pour être centrale dans la pyramide, n’est pas forcément de grande taille. On trouve là typiquement les pays émergents, avec des classes moyennes naissantes. La logique de marchés est celle du luxe pour le segment restreint (mais à fort pouvoir d’achat) des classes favorisées, du BOP (bottom of the pyramid) pour les moins favorisés qui peuvent accéder à la consommation, et la question spécifique de ces classes moyennes à satisfaire non par le luxe qu’elles ne peuvent pas encore s’offrir, ni par les produits et services de base dont elles disposent déjà. En termes de représentation, cette pyramide peut, pour s’intéresser à la consommation, être calquée sur la célèbre pyramide de Maslow de hiérarchie des besoins.

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Notes

1 Pour deux perspectives opposées, parues dans la même collection d’ouvrages, voir Chauvel (2006) ; Goux, Maurin, (2012). Pour une approche appuyée sur l’enquête barométrique du CREDOC sur les aspirations et les conditions de vie des Français, et rendant compte d’une classe moyenne toujours en progrès, voir Bigot (2010). Et pour une vision argumentée, par un éditorialiste, de l’extinction des classes moyennes françaises, Vittori (2009).

2 Ce sont ici tous les débats alimentés par les travaux, les critiques et les polémiques autour des essais de Guilluy (2004, 2010, 2014) qui ne donnent pas de définition précise de ces classes moyennes, souvent confondues avec les « classes populaires ».

3 Voir, par exemple, Jacques Mistral, Valérie Plagnol, Loger les classes moyennes : la demande, l’offre et l’équilibre du marché du logement, Rapport du Conseil d’Analyse Économique, Paris, La Documentation française, 2009.

4 Il faut noter que certaines de ces données récentes datent, pour les derniers chiffres exhaustifs sur le logement, de l’Enquête Nationale sur le Logement (ENL) de 2006…D’autres enquêtes permettent de compléter et actualiser l’analyse. Les chiffres de la plus récente ENL commenceront à être diffusés à partir de 2015.

5 Pour une approche générale des constats et débats, dans les pays développés, voir les travaux didactiques de Bosc (2007, 2008).

6 Voir les diverses traductions, plus ou libres ou littérales, du Livre IV de La Politique, chez Vrin, aux Belles Lettres, et, pour la plus récente, chez Flammarion (sous le titre Les politiques).

7 Voir les descriptions et analyses souvent pénétrantes de Mayer (2012).

8 La référence sur ces schémas classificatoires pour le Moyen Age est le travail de Duby (1978).

9 Avant donc Duby, voir Dumézil (1968) qui l’a d’ailleurs inspiré.

10 Voir Ruhlmann (2001).

11 Voir les textes réunis dans l’anthologie de Bosc (2007).

12 Voir l’édition récente de ce cours : Halbwachs (2008). Raymond Aron fera, lui aussi, dans les années 1950, un cours à la Sorbonne sur les classes sociales, mais sans leçon particulière sur la classe moyenne (Aron, 1964).

13 À ce sujet, on peut lire l’introduction et les diverses contributions au dossier de la revue Afrique contemporaine sur « Les classes moyennes africaines », Jacquemot (2012).

14 C’est le livre classique de Mills (1951).

15 Sur l’oubli puis le retour des classes sociales, voir, par exemple, Chauvel (2001).

16 Sur les comparaisons internationales, et sur les dynamiques contrastées et discutées des classes moyennes dans les pays occidentaux, voir les travaux menés à partir des données Eurostat et des données du Luxembourg Income Study (Pressman, 2007 ; Bigot, Croutte, Müller, Osier, 2011).

17 Pour les diverses définitions, ou plutôt les diverses fourchettes de revenus, qui peuvent être retenues, voir les travaux de Louis Maurin (2009) et du Centre d’Observation de la Société (www.observationsociete.fr). Ainsi que ceux du centre d’analyse stratégique (Gimbert, Rohmer, 2007 ; Gimbert, 2007).

18 Pour des développements très conséquents voir les travaux du spécialiste Serge Bosc.

19 Op. cit.

20 Avant impôts, en 2012, la classe moyenne rassemble des individus aux revenus situés entre 1 200 euros et 2 700 euros.

21 Régis Bigot, Fins de mois difficiles pour les classes moyennes, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube, 2010.

22 Valéry Giscard d’Estaing, Deux Français sur trois, Paris, Flammarion, 1984.

23 Voir France Guérin-Pace, Olivia Samuel, Isabelle Ville (dir.), En quête d’appartenances. L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités, Paris, INED, 2009.

24 Voir Éric Maurin, La peur du déclassement. Une sociologie des récessions, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2009 ; Camille Peugny, Le déclassement, Paris, Grasset, 2009 ; Julien Damon, « Le déclassement : définitions et perceptions », Regards sur l’actualité, n° 354, 2009, pp. 90-98.

25 Voir les différents travaux de Jacques Friggit.

26 Pour une critique de cette représentation en « U » voir les travaux de Henri Sterdyniak.

27 Notons que ces incitations, très décriées aujourd’hui, ont été mises en œuvre, sous des formats variés, depuis 1984.

28 À ce sujet, on se permet de renvoyer à Damon (2012).

29 Rappelons que pour le sociologue Henri Mendras, le barbecue est un déterminant typique de la classe moyenne des Trente Glorieuses. « La ‘bouffe’ autour du barbecue est le rite caractéristique de cette constellation centrale, rite en tout point opposé au repas bourgeois », in Mendras (1988).

30 Pour s’informer de ces évolutions géographiques françaises, voir les travaux, aux conclusions contrastées de Christophe Guilluy et de Gérard-François Dumont. Et pour de la statistique accessible et intéressante : www.inegalitesterritoriales.fr

31 Voir, pour commencer, le dossier « La ville à trois vitesses : gentrification, relégation, périurbanisation », Esprit, n° 303, 2004.

32 Voir l’étude « Le logement, facteur d'éclatement des classes moyennes ? » sur le site www.fondation.dauphine.fr/

33 Voir les travaux de Marco Oberti et Edmond Préteceille.

34 Voir les analyses et intuitions de Laurent Davezies, La crise qui vient. La nouvelle fracture territoriale, Paris, Seuil, coll. « La République des idées », 2012.

35 Pour quelques éléments de constats mais aussi de critiques politiques, voir Laurent Wauquiez, La lutte des classes moyennes, Paris, Odile Jacob, 2011 et le dossier « 2012 : la bataille des classes moyennes », Alternatives économiques, n° 311, mars 2012. Notons, pour le passé, l’ouvrage de Michèle Alliot-Marie, La Grande Peur des classes moyennes, Paris, La Table Ronde, 1996, qui rappelle, une nouvelle fois, combien le sujet n’est pas neuf.

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Table des illustrations

Titre Part de la population estimant que son ménage est dans une situation… (en %)
Crédits Source : Eurobaromètre, décembre 2010
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/621/img-1.png
Fichier image/png, 51k
Titre Proportion (en %) de ménages équipés en eau, sanitaires et chauffage central en fonction du niveau de vie
Crédits Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE
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Titre Proportion (en %) de logements inconfortables (2006) en fonction du niveau de vie
Crédits Source : INSEE, Enquête « Logement » 2006
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Titre Proportion d'individus propriétaires de leur logement (en %)
Crédits Source : Crédoc
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Titre Évolution du statut de propriétaire (en accession ou non) en fonction du niveau de vie (en %)
Crédits Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE
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Titre Proportion d'individus déclarant que leurs dépenses de logement constituent une charge lourde, ou très lourde ou à laquelle ils ne peuvent faire face (en %)
Crédits Source : Crédoc
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Titre Proportion d'individus déclarant s'imposer des restrictions sur leurs dépenses de logement (en %)
Crédits Source : Crédoc
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/621/img-7.png
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Titre Taux d'effort net (en %) en fonction du niveau de vie. Accédants à la propriété
Crédits Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/621/img-8.png
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Titre Taux d'effort net (charges comprises, en %) en fonction du niveau de vie. Locataires du secteur libre
Crédits Source : Gabrielle Fack (2009), à partir des enquêtes « Logement » de l’INSEE
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/621/img-9.png
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Titre Évolution de la distribution des revenus des locataires HLM
Crédits Source : INSEE / Union Sociale pour l’Habitat
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Pour citer cet article

Référence électronique

Julien Damon, « Le logement des classes moyennes en France : un déclassement objectif, subjectif et politique »Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 9 | 2015, mis en ligne le 19 octobre 2015, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/621

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Auteur

Julien Damon

Professeur associé à Sciences Po, Master Urbanisme, (julien.damon@orange.fr)

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Droits d’auteur

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