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Dossier

Policer les espaces publics urbains par la marche ?

Policing urban public spaces through walking?
¿Reglamentar los espacios públicos urbanos a través de la marcha?
Mathieu Berger et Lionel Francou

Résumés

Une ethnographie des gardiens de la paix bruxellois, couplée à une analyse de leurs rapports, permet un éclairage critique de l’action publique à différents niveaux. (1) Ces marcheurs professionnels sont les emblèmes humains d’une action publique qu’ils représentent davantage qu’ils ne l’exercent. (2) Les déplacements de ces marcheurs participent de méta-enquêtes plus que d’enquêtes en prise sur des situations troubles ou problématiques. (3) Leur marche combine des rapports entre vision et visibilité et entre visibilité et invisibilité. (4) La mise en marche de ces agents produit une « mécanique de la marche » qui s’accompagne de dynamiques de subjectivation.

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Texte intégral

Introduction

1Par groupes de deux ou trois, ils arpentent les espaces publics de l’agglomération bruxelloise, engoncés dans des uniformes mauves mal ajustés. Les gardiens de la paix belges sont des marcheurs d’un genre particulier : chargés de diminuer le sentiment d’insécurité de la population, ainsi que de prévenir et de dissuader la délinquance dans les lieux publics, ils ne sont ni policiers ni travailleurs sociaux. Au quotidien, tout au long de la journée, en soirée, parfois la nuit, ils foulent les rues de la commune qui les emploie, afin d’assurer une présence visible à destination de la population. Être un marcheur perpétuel, porteur d’une charge politique, à la rencontre des espaces publics urbains et de ceux qui y passent, s’y arrêtent ou se les accaparent, qu’est-ce que cela signifie ?

2En Belgique, l’appellation « gardien de la paix » ne désigne pas des « agents des forces de l’ordre », comme pourrait le penser un lecteur français. Agents de l’ordre, la force en moins, ils appartiennent à cette nébuleuse des nouveaux métiers de la prévention et de la médiation sociale. Depuis une vingtaine d’années, en Belgique comme ailleurs en Europe ou au Canada, on a vu se multiplier les acteurs mis en circulation dans les espaces urbains pour « créer du lien social », « réduire l’insécurité », « augmenter le contrôle social », « rassurer la population », « faciliter la communication » ou « renforcer la confiance » entre autorités et population, etc. Si une contribution prenant pour objet les gardiens de la paix belges trouve sa place dans ce dossier, c’est avant tout parce qu’ils incarnent une figure particulière de marcheur urbain : un marcheur professionnel et contraint. Parcourant à pieds leur territoire communal à longueur d’année, ils trouvent dans leur présence et leur circulation dans les lieux publics les principaux moyens de leur activité professionnelle. Se tenir debout dans la rue, momentanément à l’arrêt ou occupés à marcher leur permet d’incarner une présence visible censée atténuer le sentiment d’insécurité et prévenir la délinquance.

3Dans cette contribution, nous présentons les premiers éléments d’une ethnographie des gardiens de la paix, abordée ici par le prisme de la marche. L’analyse que nous proposons articule cinq enjeux, propres à la pratique professionnelle de ces nouveaux acteurs, saisis au travers de l’enquête de terrain et théorisés chemin faisant. Dans un premier temps, nous montrons comment, par leur activité de marche, ces agents figurent dans les espaces urbains comme les supports mobiles et les emblèmes humains d’une action publique qu’ils représentent davantage qu’ils ne l’exercent (1). Cette « action publique » est-elle ici action, ou recherche-t-elle simplement, par la médiation de ces corps mobiles, à figurer la présence de l’État ? Après un point d’ordre méthodologique (2), nous tentons de saisir quelque chose comme une « compétence préventive » chez ces gardiens. Plus souvent confrontés à la perplexité ou à l’ennui qu’au danger, les déplacements de ces marcheurs participent de « méta-enquêtes » davantage que d’enquêtes pleinement déployées et en prise sur des situations troubles ou problématiques déjà advenues (3). Nous développons ensuite une réflexion sur la combinaison particulière, dans leurs activités pédestres, des rapports entre vision et visibilité, et entre visibilité et invisibilité (4). La vision de l’agent, sa surveillance active des espaces qu’il parcourt, semble en effet jouer un rôle périphérique par rapport à un enjeu d’ordre supérieur, qui consiste pour lui, plus simplement, à être vu. Nous verrons que ce seul objectif de visibilité peut lui-même s’avérer délicat à rencontrer ; c’est en effet parfois à une certaine invisibilité que se trouvent relégués ces agents de l’ordre fragiles et illégitimes. Enfin, nous posons de manière plus ouvertement critique le problème de ce que nous appelons la mise en marche de ces agents (5), une « mécanique de la marche » qui fait apparaître des dynamiques de subjectivation d’un genre particulier, dont nous esquissons quelques-unes des formes (activation, réification, fabrication).

Des marcheurs d’État en état de marche ?

  • 1 Notons que si ces acteurs évoluant dans les espaces publics urbains et employés par les communes ur (...)

4En Belgique, ces agents existent depuis 2007 et, plus exactement, depuis la loi du 15 mai 2007 « relative à la création de la fonction de gardien de la paix, à la création du service des gardiens de la paix et à la modification de l’article 119bis de la nouvelle loi communale » qui a permis d’uniformiser sous une appellation commune la multitude de statuts et de dénominations qui existaient déjà. Ces nombreux anciens acteurs tels que les stewards urbains, les agents de prévention et de sécurité ou les gardiens de parcs ne font désormais plus qu’un, partageant un uniforme règlementé, une hiérarchie unique plus clairement identifiable et des compétences plus clairement définies1.

5Comme l’a mis en évidence Sybille Smeets (2006), les APS (Assistants de prévention et de sécurité), dont les gardiens de la paix sont les descendants en ligne directe, ont été imaginés par les autorités publiques dans un double objectif politique, ayant une visée stratégique de communication. D’une part, une politique d’emploi : il s’agissait de remettre en selle des personnes empêtrées dans le chômage depuis un moment, en leur offrant une possibilité de se réinsérer dans la société par le travail et, accessoirement, de retrouver un droit aux allocations sociales. D’autre part, une visée de sécurité : considérant que la présence visible d’individus en uniformes – sorte de policiers dénués de pouvoir de neutralisation et d’arrestation – est de nature à diminuer le sentiment d’insécurité de la population, il est demandé à ces agents de se promener dans les espaces publics urbains et d’assurer une présence visible. La visibilité constitue clairement l’enjeu majeur de leur travail ; la plupart du temps, il n’y a rien d’autre qu’ils puissent faire (soit parce qu’il ne se passe rien, soit parce qu’ils ne sont pas en mesure de prendre en charge ce qui pourrait l’être par d’autres acteurs, tels que des policiers ou des travailleurs sociaux).

6Le gardien de la paix est donc un marcheur, un représentant de l’État à la fois visible et mobile, qui parcourt les espaces publics urbains en ponctuant sa marche de ce qu’il appelle des « interventions », par lesquelles il tente de repérer des perturbateurs (potentiels), d’empêcher qu’une situation ne s’envenime, d’aider autant que possible une personne en difficulté, de rappeler les règles du vivre-ensemble ou de dialoguer avec différentes sortes d’individus. Il leur faut pour cela être en mesure de repérer un « évènement » pertinent et se décider à agir. C’est en laissant leur regard se promener qu’ils sont en mesure de repérer – avec une acuité variable – une situation à laquelle ils auraient des raisons de se mêler. À ce stade, il convient de considérer plus en détail le rôle des gardiens de la paix, leurs compétences et leurs missions telles qu’elles sont définies par les textes législatifs et les autorités publiques communales (qui prennent parfois des libertés en la matière, participant à en faire une figure indéfinie porteuse d’attentes floues et démesurées).

7Si l’on se penche sur la loi qui les fonde en 2007, les gardiens de la paix y sont vus comme des acteurs dont « le but [est] d’accroître le sentiment de sécurité des citoyens et de prévenir les nuisances publiques et la criminalité » (art. 3). Par leurs interactions avec la population, ils doivent prévenir la survenance du sentiment d’insécurité, ainsi que des atteintes faites à l’ordre public, voire des actes criminels. Outre un devoir d’ « informer » et « sensibiliser » la population (les passants, les perturbateurs, les automobilistes, etc.), ils doivent relayer aux « services compétents des problèmes de sécurité, d’environnement et de voirie » qu’ils observent ou qui leur sont rapportés. Certains peuvent constater et sanctionner les infractions au règlement communal. De façon transversale, leur travail comporte aussi une importante dimension de surveillance, comme le souligne en 2010 la « Circulaire explicative relative à la fonction de gardien de la paix et à la création du service des gardiens de la paix » de la Ministre de l’Intérieur :

« L’exercice d’une surveillance publique non policière (ou surveillance préventive) constitue le fil conducteur des missions des gardiens de la paix. La surveillance préventive peut être définie comme le contrôle du respect des normes et prescriptions avant que celles-ci ne soient transgressées. Ce contrôle social fonctionnel peut se concrétiser par une présence visible et rassurante dans les quartiers, au travers d’une fonction de sensibilisation, d’information et de relais à l’égard des citoyens. » (p. 24910).

8À cette dimension de surveillance s’ajoute, dans la même circulaire, l’idée que « par leur présence visible et rassurante dans les quartiers, ils contribuent en effet à la cohésion sociale, combattent l’indifférence et réduisent dès lors le sentiment d’insécurité », dans un double objectif de « sécurité » et de « bien-être des citoyens ». Pour ce faire, comme le précise de façon étonnante la loi de 2007, le gardien de la paix doit faire preuve de « respect pour son prochain » et de « sens civique », tout en étant capable de rester inébranlable face à l’agressivité. Il y est également indiqué qu’ils « ne peuvent pas poser d’actes autres que ceux qui découlent de l’exercice des droits dont jouit tout citoyen et des compétences explicitement prévues dans la présente loi. Ils ne peuvent avoir recours à aucune forme de contrainte ou de force » (art. 14). Leur seule arme – si l’on peut dire – est le « dialogue courtois ». S’ils sont censés rapporter à la police locale « tous les faits qui constituent un délit ou un crime » dont ils auraient connaissance, de par leurs activités de surveillance, ils ne le font pas systématiquement. En effet, cela compliquerait leurs relations sur le terrain avec le public et, dans un certain nombre de situations, ils préfèrent laisser passer ou gérer le trouble à un niveau infra-policier, pour garder la confiance de leur public et conserver une capacité de « médiation ». Sybille Smeets (2012) a décrit un phénomène semblable dans le chef des policiers de proximité.

9Notons que si le gardien de la paix est souvent démuni face aux contrevenants, il est de plus en plus souvent également un « agent communal-constatateur [qui] peut demander au contrevenant la pièce d’identité ou un autre document d’identification afin de s’assurer de l’identité exacte de l’intéressé » (art. 21). Néanmoins, ne disposant d’aucun moyen pour forcer le contrevenant à la lui présenter, il n’est pas évident de l’obtenir sans devoir appeler la police pour ce faire, sauf concernant des véhicules mal garés, par exemple. Cette absence de pouvoir de coercition joue probablement un rôle dans les nombreuses situations où leurs « interventions » se soldent par un échec. Pour Egon Bittner (1991 : 228), si les citoyens font appel à la police, c’est parce qu’ils comptent sur sa capacité à « imposer une solution à un problème », en recourant à la force si nécessaire. Lorsqu’ils souhaitent proposer une solution à une situation à laquelle ils sont mêlés, les gardiens de la paix ont bien du mal à faire respecter leur volonté et doivent souvent faire appel à d’autres acteurs, tels les policiers, ce qui les place dans une situation de dépendance et d’incertitude, ces derniers étant parfois susceptibles d’arriver trop tard – s’ils arrivent. Ces « “gardiens de l’ordre de la situation” peuvent être défiés ou testés par ceux dont ils contrôlent les formes d’engagement. Le respect leur est dû comme à tout représentant de l’ordre public, mais ils peuvent être chahutés ou parfois contestés » (Cefaï, 2013 : 264), à plus forte raison s’ils ont peu d’autorité, de force ou de prestige.

10Dans les dépliants adressés par les autorités communales à la population afin de faire connaître les gardiens de la paix, on leur découvre une multitude de compétences, qui façonnent une figure censément disponible en toute situation et pour tout problème. Certains textes se font même plus ambitieux, expliquant que les gardiens de la paix travaillent dans une « relation directe avec les habitants » et qu’ils ont pour but de « prévenir toute situation conflictuelle, par voie du dialogue et du respect mutuel ». Pour rencontrer les diverses demandes (supposées ou avérées) de la population, ils sortent parfois du cadre légal supposé délimiter leurs interventions, notamment lorsqu’ils jugent que « c’est la meilleure chose à faire »* ou que « les gens ne comprendraient pas »* qu’ils observent la situation sans intervenir.

Observer en marchant des marcheurs observateurs

11Si cela fait une vingtaine d’années que ces anciens « nouveaux acteurs » des politiques de prévention et de sécurité investissent graduellement nos rues, il n’est pas toujours évident d’identifier ce qu’ils font concrètement dans ces lieux, face ou auprès de la population. Nous sommes donc arrivés sur le terrain avec une question de départ formulée en ces termes : comment les gardiens de la paix identifient-ils une situation, une interaction ou un individu comme « insécurisant » ? En effet, s’ils ont la particularité de circuler quotidiennement et continûment dans les rues de Bruxelles ou d’autres villes belges, présents et visibles, c’est dans le but d’agir sur la délinquance et le sentiment d’insécurité. Pour ce faire, n’est-il pas indispensable d’être en mesure d’en repérer les signes censés en annoncer l’émergence ? Alors qu’Erving Goffman (1973 : 232) estime que « le policier sait lire les signes invisibles aux profanes », qu’en est-il des gardiens de la paix qui, par la « surveillance non policière » qu’ils exercent dans les espaces publics urbains, tendent à se substituer aux policiers dans un certain nombre de missions qu’ils ne sont pas ou plus toujours en mesure de remplir ? Ces nouveaux « guetteurs » (p. 233) développent-ils des compétences particulières dans le repérage et l’interprétation de signes alarmants ?

12Dans ce texte, nous cherchons à mettre en lumière une expérience singulière de la marche urbaine, celle d’acteurs placés par les autorités publiques au plus près de la population. S’intéresser à l’expérience de ces marcheurs que sont les gardiens de la paix permet en effet d’en savoir plus tant sur la marche et ses effets, que sur la politique approchée par le bas. Cela nous demande certes de resituer leurs activités dans un environnement urbain, mais également dans un cadre sociopolitique particulier et dans des interactions dotées d’une certaine épaisseur. Elles seront donc considérées ici au croisement d’une écologie des relations en public (Goffman, 2013 [1963]), d’une sociologie de l’action publique portant sur l’analyse d’un dispositif particulier qui s’institutionnalise, se professionnalise et se consolide progressivement, et d’une sociologie du travail attentive à ce que signifie pour des individus vulnérables le fait de devoir incarner une présence d’État en réalisant des missions aux contours globalement indéfinis et souvent problématiques. Pour comprendre ce que font ces individus au quotidien, en interrogeant leurs pratiques et les comptes rendus qu’ils en font, la démarche ethnographique s’est imposée, en tant qu’elle permet de suivre au plus près les acteurs dans les différentes situations qu’ils rencontrent.

13Il était particulièrement intéressant pour nous d’observer la façon dont les gardiens de la paix passaient leurs journées dans la commune qui constituait notre terrain ; une commune résidentielle de la deuxième couronne de la Région de Bruxelles-Capitale, souvent qualifiée de « calme »*, voire de « village dans la ville »* par la population, les édiles ou les gardiens de la paix eux-mêmes. Comment lutte-t-on sur le terrain contre l’insécurité et la délinquance lorsque les espaces à couvrir n’ont rien d’un coupe-gorge, se présentent comme aérés, peu denses, quelconques ? Rapidement, nous avons pu observer que si les gardiens de la paix expliquent leur travail par leur action en faveur de la sécurité et contre la délinquance, ils réalisent, au cours de leurs rondes, toutes sortes d’interventions n’étant liées que de manière très indirecte à ces enjeux. L’ethnographie permet alors de dépasser la définition officielle de leur fonction et les tâches qui y sont associées pour observer au côté des acteurs ce qu’ils estiment être de leur ressort, mais aussi les manières dont ils interviennent ; la marche constituant ici un processus central tant dans leurs activités de perception que dans les types d’interventions qu’ils réalisent.

  • 2 D’autres situations ont également été observées : pauses café, discussions informelles avec la hiér (...)
  • 3 Notons cependant qu’il est arrivé plusieurs fois que les gardiens de la paix eux-mêmes, face à des (...)
  • 4 Les extraits de rapports cités figurent en italique. Le style et la syntaxe d’origine ont été conse (...)

14Ces observations directes ont été réalisées sur une période continue de trois mois à la fin de l’année 2012 par Lionel Francou auprès de différents binômes patrouillant sur le terrain, à différents moments de la journée ou de la semaine (sorties des écoles, soirées, week-ends, etc.), au sein d’un même service de gardiens de la paix dans l’agglomération bruxelloise2. L’ethnographe portait un uniforme de stagiaire (sans pour autant intervenir autrement que par l’observation), à la demande de la hiérarchie, afin que le public puisse l’assimiler aux gardiens de la paix et ne l’imagine pas policier, par exemple3. En plus de ces observations directes et des nombreuses discussions qu’elles ont permises, nous avons analysé de façon approfondie environ 800 rapports rédigés par les gardiens de la paix pour signaler des problèmes ou rendre compte d’interventions significatives à leur hiérarchie, à partir des différentes catégories qu’ils utilisent eux-mêmes pour les classer. Ces rapports couvrent une période de deux années civiles complètes, ce qui a permis d’élargir virtuellement la période de l’observation et d’ainsi mettre au jour des tendances, des répétitions, des évènements rares, etc. En croisant ces différentes données documentaires et d’observation4, il est possible de développer une idée assez précise de ce qu’a été le quotidien des gardiens de la paix de cette commune durant cette période ; entre, d’une part, la routine et le sentiment général d’ennui qu’il est possible de partager sur le terrain et, d’autre part, ces évènements plus remarquables que les agents jugent utile de consigner dans leurs rapports et qui offrent de la matière à leurs discours lorsqu’ils expliquent leur métier (oubliant alors le plus souvent d’évoquer ce quotidien où il ne se passe rien, ou si peu). Nous avons aussi consulté et analysé divers documents tels que des dépliants à destination de la population, des règlements d’ordre intérieur, des études ou des statistiques internes relatives au périmètre d’action des gardiens de la paix.

15Les gardiens de la paix sont des marcheurs réalisant un travail de perception plus intense que ne le ferait un individu lambda. Il en va de même pour l’ethnographe qui, en suivant les gardiens de la paix sur le terrain, fait porter son attention sur leur travail de vigilance, ainsi que sur l’environnement en mouvement qui en constitue la référence. Gardiens de la paix et ethnographe partagent un même investissement du corps dans leur travail, avec ce que cela peut impliquer, de part et d’autre, de fatigue physique ou mentale, d’ennui, mais aussi parfois, de découvertes et de fascinations. En observant ces marcheurs, en se plaçant à leurs côtés comme équipier, l’ethnographe incorpore leurs logiques d’action. Il éprouve lui aussi à sa façon les expériences sensibles qui font le quotidien du gardien de la paix. Dans l’enquête sur laquelle s’appuie cet article, la marche constitue à la fois l’objet d’étude et la méthode de recherche. En ce sens, le chercheur ne fait que suivre de manière très littérale l’adage pragmatiste invitant l’enquêteur à « suivre les acteurs », et s’adonne, au sens propre, à la « filature ethnographique ». Le sociologue devient observateur à un double titre et à un double niveau : des gardiens de la paix en quête d’interventions et de troubles en gestation, mais aussi des troubles qu’il cherche lui-même à repérer et à comprendre, dans une temporalité et à partir d’une structure de pertinence qui parfois diffèrent, parfois se recoupent avec celles de ses enquêtés.

En quête d’enquêtes

16Cette résonance troublante entre le travail du gardien de la paix et celui de l’ethnographe, entre l’expérience du guetteur et de son observateur, peut être poussée un cran plus loin et être considérée dans l’analogie de leur rapport à l’« enquête ». Le sociologue s’inscrivant dans une logique inductive peut en effet partager avec les hommes et femmes en mauve un autre souci : avant de pouvoir « mener l’enquête », les uns et les autres se trouvent en quelque sorte « en quête d’enquête ». Dans une perspective continuiste ne distinguant pas par nature les enquêtes menées par les scientifiques de celles menées par les acteurs sociaux et politiques, John Dewey (1993 [1938]) définit l’enquête comme un processus expérimental visant à transformer une situation initiale confuse et indéterminée en une situation plus déterminée formant un tout unifié. Toute enquête démarre donc d’une situation indéterminée et du trouble que celle-ci suscite chez l’individu ou le collectif qui la rencontre. On comprendra dans ce sens les enquêtes criminelles : un crime a été commis dans des conditions qui restent troubles, une affaire est ouverte, des équipes s’activent pour instruire l’affaire et résoudre l’énigme (Boltanski, 2012). Or, pour l’ethnographe comme pour le gardien de la paix, la marche n’est pas tant animée par un impératif de résolution d’un trouble déjà survenu qu’au contraire, par une disposition à s’ouvrir, à se rendre disponible et sensible à de possibles troubles, à « chercher les problèmes ». L’un et l’autre y sont en quête d’enquêtes. Dans ces « méta-enquêtes », le trouble ressenti (l’anxiété du jeune chercheur, l’embarras du gardien de la paix) a pour objet la possibilité même d’identifier et de traiter des troubles au cœur des situations urbaines, et ce dans des conditions de travail plutôt défavorables (précarité de l’emploi, consignes floues, défaut d’accompagnement ou manque d’intérêt de la part de la hiérarchie, etc.).

17Cette analogie soulevée, concentrons-nous à présent sur les « quêtes d’enquêtes » des gardiens de la paix bruxellois, qui semblent caractériser l’expérience qu’ils font de leur métier au quotidien. Nous l’avons posé à l’instant : la réalité à laquelle ils font face et à l’intérieur de laquelle ils évoluent ne se présente pas d’emblée comme troublante, insécurisante, énigmatique, dangereuse, etc. Elle peut par contre le devenir, à partir de dynamiques que nous qualifierons de « déplacements ». Un premier ordre de déplacement relève, très concrètement, de la logique de circulation continue qui se trouve être le principe de leur activité professionnelle. C’est à travers une marche exploratoire et au gré de leurs parcours que ces agents « tombent » sur des situations jugées anormales, entrent en contact visuel ou auditif avec les signes d’un possible trouble. Un autre type de déplacement se joue sur un plan interprétatif. La situation de risque ou de danger n’est pas ici simplement constatée, elle est constituée comme telle à travers des processus inférentiels de type abductif (Peirce, 1992 [1903] ; Fann, 1970). Autrement dit, elle prend forme à travers la thématisation de données immédiates de l’expérience dans le domaine de l’insécurité, leur codage comme éléments d’une possible intrigue ou d’évènements probables, et la production d’hypothèses à leur sujet. Ces déplacements matériels et interprétatifs peuvent se produire dans des situations différentes. Ils peuvent également se combiner.

18Le déplacement circulatoire est au cœur de la pratique professionnelle des gardiens de la paix. C’est parce qu’ils marchent, beaucoup et longtemps, qu’il leur est possible d’appréhender une multitude de signes et de pointer parmi eux de possibles évènements. Lorsqu’ils traversent un cimetière de bout en bout, attentifs aux chemins latéraux, ils se donnent la possibilité de repérer et de secourir cette femme âgée qui s’est foulé la cheville et se trouve au sol, dans le froid, depuis un certain temps. Le fait de passer volontairement plusieurs fois au même endroit leur permet de distinguer des variations dans l’environnement, par exemple, d’observer des groupes se former sur la voie publique ou de vérifier si les personnes rappelées à l’ordre une première fois ont adapté durablement leur conduite. Ces jeunes à qui il a été demandé de quitter un escalier où il était manifeste qu’ils fumaient des joints, ou cette femme dont le chien n’était pas en laisse, qui ont tous fait mine de se plier au rappel à la norme des gardiens de la paix, auront-ils repris leur activité « répréhensible » initiale quelques instants plus tard, une fois les agents partis ? Leurs rondes se faisant le plus souvent dans certains espaces au détriment d’autres dont ils jugent qu’il ne s’y passe pas grand-chose, l’étendue de ce qu’ils sont susceptibles de pouvoir percevoir s’en trouve automatiquement limitée et cadrée.

19Quant aux déplacements abductifs, ils peuvent prendre plusieurs formes et représentent autant de moments où la vigilance comme l’imagination des gardiens de la paix fonctionnent à plein régime. La plupart de ces déplacements prennent leurs racines dans la perception d’un élément et dans sa transformation en un indice doté d’une signification plus grande que celle apparente dans un premier temps ou pour un individu inattentif. Un tel déplacement se fait par exemple lorsque les gardiens de la paix reconnaissent en quelqu’un un probable agresseur, une éventuelle victime ou un voleur potentiel, lorsqu’ils voient dans un objet (dont ils croient reconnaitre les contours) une possible arme, ou quand ils devinent dans les replis d’un environnement une vraisemblable planque ; autant d’indices autour desquels peut émerger une situation problématique. Lorsque l’équipe de gardiens de la paix avec laquelle nous sommes sur le terrain croise le chemin d’une adolescente âgée d’environ 13 ans, seule à 200 mètres de l’école à l’heure de la sortie scolaire, qui semble inquiète, à leurs yeux, et attend un parent venant la chercher en voiture, ils décident de rester avec elle le temps nécessaire pour la rassurer et éviter qu’il ne lui arrive quelque chose. Au moment même, il était difficile d’apprécier si l’adolescente était rassurée, inquiétée ou embarrassée par ces « gardiens » lui offrant leur présence mais la lui imposant également.

20D’autres situations sont l’occasion d’abductions hasardées et d’ébauches d’investigations. Ainsi, après avoir « vu des jeunes qui allaient dans les buissons », les gardiens de la paix y ont trouvé des bouteilles de soda et des paquets de chips non consommés. Ils les ont déposés au commissariat de police après avoir évalué qu’ils avaient « sûrement […] été volés » et que c’est sans doute le fait d’une bande. En s’appuyant sur l’incongruité de la situation observée, qui éveille leur curiosité, sur la présence de jeunes, puis sur la découverte progressive, au fil de leurs projections interprétatives, de ce qu’ils envisagent comme un butin (les chips et les sodas) dissimulé dans ce qui leur semble être une planque (le buisson), les gardiens de la paix voient immédiatement dans cette nourriture la preuve évidente d’un délit. Il apparaît sur le moment à l’ethnographe qu’il pourrait tout autant s’agir de l’indice qu’un rassemblement festif se préparait à proximité ou que ces jeunes qui devaient faire un aller-retour quelque part, avaient préféré laisser leurs provisions sur place, dissimulées, plutôt que de se charger inutilement. Les agents ne connaîtront jamais le fin mot de cette histoire, tandis que les policiers se demanderont que faire d’une affaire pareille et que quelques jeunes se demandent encore aujourd’hui ce qui a bien pu se passer. Il est également probable que, dorénavant, les gardiens de la paix ne regarderont plus les buissons de ce parc (voire les plantations en général) comme de simples buissons, mais comme des planques potentielles susceptibles de cacher des biens pouvant nécessiter leur intervention.

21D’autres traits des personnes, leur allure, leur démarche, mais aussi la perception d’objets (ou l’impression d’avoir perçu un objet) sont à l’origine d’autres enquêtes. Un objet à moitié apparent ou dont la forme pourrait être celle d’une arme suscitera une crainte et une vigilance décuplées des gardiens de la paix qui observeront de près les « suspects ». Ainsi, quand les gardiens de la paix remarquent « un jeune au comportement suspect criant dans la rue et embêtant les passants », ils vont à sa rencontre « pour le raisonner mais il avait des propos incohérents et était vraiment perturbé ». Ils essayent d’abord de le calmer, puis de le faire partir, sans succès. Ils décident alors d’appeler la police, puis de suivre le jeune qui quitte les lieux, afin de « le surveiller et pour ne pas le perdre de vue ». Ils contactent la police à trois reprises tout en le suivant, mais finissent par abandonner après que trois quarts d’heure se soient passés : les policiers « ne sont jamais venus. Nous sommes partis et l’avons laissé ».

22Ces signes, qui sont relevés et constitués en indices, en traces, en marques, en preuves, etc., sont appréhendés dans les constellations qu’ils forment ensemble. Un seul signe pourra laisser indifférent, alors que la combinaison de plusieurs éléments retenant l’attention des gardiens de la paix les amènera à poser une hypothèse, à échafauder une théorie, à s’en inquiéter et peut-être à intervenir. Ainsi, une forme indéterminée remarquée sous une veste ne donnera pas lieu aux mêmes inférences si la personne impliquée est une grand-mère souriante ou un homme aux gestes brusques et au regard fuyant. La perception du trouble et la reconnaissance d’un signe comme porteur d’informations susceptibles d’en faire un indice se réinscrivent immédiatement dans une forme, une structure d’intrigue plus large sur laquelle appuyer les interprétations et actions à venir.

23Comme nous venons de le voir, lorsque les gardiens de la paix repèrent une situation qu’ils jugent problématique, que ce soit de façon potentielle ou avérée, il arrive qu’ils décident de suivre la personne suspecte pendant un moment, afin de s’assurer que rien de grave ne se passe et d’être là au cas où quelque chose de plus tangible se passerait finalement. Ce déplacement abductif particulier aura par exemple lieu lorsqu’ils redoutent que des « jeunes »* se bagarrent après l’école (sur base d’un ressenti, de rumeurs ou d’une bagarre précédemment interrompue par leurs soins), et qu’ils décident alors de les suivre pour qu’ils se dispersent sans heurts. Il en va de même lorsque, à un arrêt de tram, ils repèrent un homme après avoir « remarqué à 2 reprises qu’il possédait quelque chose ressemblant à 1 couteau et ce en soulevant sa chemise pour la préparation de cigarettes » et décident de monter dans le même tram que lui pour le surveiller. Ces filatures, au moment même où elles se déroulent, stimulent l’élaboration de nouvelles hypothèses. Les gardiens de la paix captent de nouveaux indices et continuent leur travail interprétatif. Ils pourront ensuite décider d’intervenir pour réorienter l’intrigue dont ils craignent le déroulement à venir (une agression, par exemple), ou choisir d’abandonner cette surveillance rapprochée, parce qu’il s’agissait manifestement d’une fausse alerte ou d’une fausse piste. S’ils parviennent bien parfois à mener leurs enquêtes à terme et à démêler les situations, au moins sur le plan interprétatif, ils se trouvent le plus souvent contraints de rester dans cette zone grise, de demeurer perplexes, incapables de connaître le fin mot de l’histoire. C’est par exemple le cas lorsqu’ils arrêtent de suivre le « suspect »*, faute d’éléments nouveaux et confirmatifs de leur intuition première et/ou parce qu’il a quitté le territoire communal sur lequel ils sont censés opérer.

24Si ces différentes ébauches d’enquêtes et les logiques de déplacement qui les guident s’avèrent souvent si peu concluantes, c’est qu’à nouveau, elles sont poursuivies en régime d’impuissance ou à l’état de virtualités. Comme le met en évidence un agent sur un ton résigné : « il y a beaucoup d’“arrangés”, d’“abîmés” de la vie. Et avec la crise [qui perdure], il va en avoir encore plus, et on va avoir encore plus de travail »*. Les gardiens de la paix ne sont pas en mesure de mener ces enquêtes à leur terme, faute de temps (il ne leur est pas possible de consacrer la journée, ou même une heure, à un seul cas, à plus forte raison s’il n’est pas clairement avéré), faute de moyens (tel que le recours à la force qui pourrait s’avérer nécessaire si la crainte anticipée venait à se confirmer), faute de légitimité (leur intervention n’est pas toujours prise au sérieux, d’autant plus s’ils interviennent et qu’il s’avère qu’ils se sont trompés) ou faute de sens (l’individu appréhendé est un « fou »*, sa conduite manque à faire sens, ne peut être resituée dans une intrigue où tel mot ou comportement conduirait à tel autre). Ces quasi-enquêtes sont ainsi fragilisées dans leurs fondements même par une double difficulté : d’une part, elles démarrent par hasard en s’appuyant sur des éléments souvent pauvres, des inférences sauvages, des hypothèses hasardées et, d’autre part, le plus souvent, elles ne peuvent être qu’ébauchées, sans possibilité d’aboutir. Pour paraphraser Wittgenstein (2005 [1953]) lorsqu’il écrit « Quand je lève mon bras, qu’est-ce qui reste, une fois soustrait le fait que mon bras se lève ? L’intention de lever mon bras. », ce qui subsiste, dans le cas des situations passées à l’instant en revue, c’est l’intention de mener l’enquête.

Voir et être vus

  • 5 Comme l’explique Sybille Smeets (2006), la fonction policière englobe des acteurs tels que les gard (...)

25Les gardiens de la paix, un peu à la manière des policiers de proximité avec lesquels ils partagent une partie de la fonction policière (ou policing en anglais, à distinguer de la fonction de police5), travaillent constamment dans la rue. Ils y patrouillent, y déambulent, s’y arrêtent, y rencontrent des gens, y observent la vie sociale en train de se faire, le plus souvent sans heurts. Cette activité physique quotidienne permet d’être au plus près de la population (et donc de l’observer) et d’être visible pour celle-ci (et donc d’être, potentiellement, observé par celle-ci). S’ensuit naturellement une question importante : quel pas adopter, quel rythme de marche est-il le mieux adapté aux missions envisagées ? Certains gardiens de la paix avec lesquels nous nous sommes entretenus estiment qu’il vaut mieux s’arrêter régulièrement plusieurs minutes en certains endroits considérés comme stratégiques et ainsi se rendre disponibles à l’environnement alentour et à ceux qui s’y trouvent et qui pourraient avoir besoin de l’attention des agents ou qui pourraient vouloir interagir avec eux. La marche lente permettrait aussi d’augmenter leur présence, plus visible et rassurante, dans les espaces qui sont traversés, renvoyant une image proche de la flânerie, à même d’apaiser la population. D’autres pensent au contraire qu’il est préférable de marcher d’un pas rapide, ce qui permet de couvrir plus de terrain, de se montrer à un maximum de personnes, et de ne pas s’attarder dans les espaces qu’ils traversent et où il ne se passe la plupart du temps pas grand-chose ou, en tout cas, rien d’anormal. Ce pas rapide peut s’avérer plus fatigant, puisqu’il implique une plus grande mobilisation du corps et un nombre de kilomètres parcourus plus important, mais il permet aussi de rester en mouvement, de ne pas se refroidir, d’être occupé, de faire passer le temps, d’aller de l’avant, mentalement et physiquement, et de « se sentir utile »*. Pour certains, la marche est même un « plaisir »* qu’ils présentent comme l’une des qualités de ce travail, qui leur permet d’être souvent dehors, de rencontrer des gens et de se maintenir en forme.

26Au-delà du rythme à adopter, les déambulations des gardiens de la paix sont surtout un moyen pour se retrouver au sein de situations sociales pouvant réclamer leur intervention. S’ils peuvent se faire flâneurs, il arrive assez régulièrement qu’ils se fassent plus attentifs, lorsqu’ils perçoivent des signaux susceptibles de leur indiquer que l’ordre public est affaibli ou menacé. Au versant « social »* et « préventif »* de leur travail, qui les amène à entrer en relation et en conversation avec la population, s’ajoute une dimension de surveillance exercée sur les espaces publics urbains et leurs perturbateurs potentiels.

27Avant d’approfondir la question de leur vigilance, il convient de souligner qu’il arrive aussi (à une fréquence qui dépend des individus, de la culture professionnelle locale, des jours, etc.) que les gardiens de la paix se montrent peu attentifs, parce que la fatigue ou l’ennui prennent le dessus, ou parce que leurs « engagements secondaires » (conversations téléphoniques, discussions entre collègues, rêveries, etc.) empiètent sur l’attention qu’ils sont capables de porter à la situation dans laquelle ils évoluent (Goffman, 2013 [1963]). Ainsi, lorsqu’un vieil homme, qui croise le chemin de l’équipe que nous accompagnons, adresse aux gardiens de la paix un « bonjour » d’une voix discrète, ils ne semblent même pas le remarquer. Discutant entre collègues tout en marchant, ils n’ont pu réaliser que cette personne les avait salués, voire qu’elle était présente, tout simplement. Certains évènements, bien qu’ils ne fassent pas partie des missions des gardiens de la paix, sont bien difficiles à ignorer tant ils attirent immédiatement l’attention. Par exemple, nous avons pu observer que la traversée d’un marché à pied durant l’heure du midi éveille la faim, fait saliver, et l’attention des gardiens de la paix peut facilement glisser des pickpockets potentiels aux poulets qui rôtissent. Le consommateur présent en chaque gardien de la paix doit être maîtrisé, ce qui n’est pas nécessairement évident, les tentations pouvant être fortes. L’impression qu’il ne se passe de toute façon rien de spécial amène à parcourir du regard, à distance, et tout en marchant, les objets et aliments présentés sur les étals.

28Ainsi, l’individu peut se montrer « inattentif, distrait, en dehors du coup » (Chateauraynaud, Torny, 1999 : 77). Les passages d’un état à l’autre sont très fréquents : l’état d’alerte déclenché par la perception des indices d’un possible danger oblige ces travailleurs à la vigilance, force leur attention. Celle-ci sera plus relâchée et diffuse si l’individu est rassuré par la stabilité des « apparences normales », c’est-à-dire quand « il n’y a aucun danger à poursuivre les activités en cours, en n’accordant qu’une attention périphérique au contrôle de la stabilité de l’environnement » (Goffman, 1973 : 228). Il arrive également que les gardiens de la paix adoptent « des positions de retrait ou de repli », condition indispensable pour que l’espace public reste « vivable » (Cefaï, 2013 : 259) pour ceux sur lesquels ils porteraient un regard continu et appuyé. Parce qu’ils sont aussi des acteurs des interactions et de la communication qui se déroule dans les espaces publics urbains, il leur revient de chercher le juste équilibre entre une intervention, susceptible de troubler plus encore l’ordre public, et une position plus attentiste. Il leur arrive donc de fermer les yeux sur certains évènements, afin de ne pas jeter de l’huile sur le feu, ou pour laisser de l’espace à certaines catégories de la population. Ainsi, lorsque quelques jeunes s’amusent autour d’un banc, où ils fument peut-être des joints mais à distance des circulations piétonnes, deux gardiens de la paix préfèrent ne pas aller leur faire de remontrances, pour que cette déviance légère ne se transforme pas en un trouble plus important. Ils estiment en effet qu’en donnant un peu d’espace à ces jeunes, qui ne causent pas de troubles majeurs, ceux-ci se tiendront tranquilles quand, au contraire, une intervention créerait des problèmes.

29Un trouble émerge dans l’interaction lorsque les individus perçoivent qu’« il se passe quelque chose », voire que « quelque chose ne va pas » (Breviglieri, Trom, 2003 : 400). Les troubles auxquels les gardiens de la paix font face peuvent indiquer des problèmes qui se constituent directement dans les espaces publics, mais aussi des problèmes privés, liés à des trajectoires et des évènements qui se sont passés en coulisses, qui apparaissent sur la scène publique, s’y invitent (Ibid., 2003). Une femme ivre, décrite par un gardien de la paix dans un rapport comme étant dans « un grand désarroi » nécessitera une approche particulière, consciente de cet empiètement de ses problèmes privés dans l’espace public, tout comme une femme se faisant frapper par son mari en pleine rue. Au-delà du repérage du trouble (une personne qui crie, qui tombe au sol, qui ennuie des passants, etc.), il s’agit alors pour les gardiens de la paix de tenter d’en comprendre les ressorts et d’y réagir de manière appropriée : s’agit-il d’appeler les secours, de raccompagner l’âme en peine chez elle, de la mettre en contact avec un psychologue ?

30Nombreux sont les indices qui sont susceptibles de mettre les gardiens de la paix sur la piste d’un trouble suspecté ou déjà clairement advenu. Au-delà de ce à quoi leur vue leur donne accès, ils peuvent entendre des bruits ou des cris qui, par leur volume ou leur saillance caractéristique, attirent inévitablement l’attention. Ainsi, lorsqu’ils entendent distinctement des cris au loin, les gardiens de la paix se mettent à courir (« nous nous somme précipités », écrivent-ils), avant de réaliser qu’il ne s’agit que d’exclamations s’échappant d’un café. Mi-rassurés, mi-déçus, ils se contentent de demander aux clients de faire moins de bruit. Parfois l’indice se voit confirmé par le déroulement des évènements : une femme dont les « cris violents » avaient provoqué l’intervention des agents présents à proximité, loin de se calmer, a « insulté [un agent] de gardien de mon cul », ce qui a convaincu les gardiens de la paix d’appeler la police pour que son identité soit notée et qu’une sanction administrative communale puisse lui être adressée.

31Vu le temps passé dans les espaces publics urbains et compte tenu de la place accordée à la voiture dans l’agglomération bruxelloise, les gardiens de la paix repèrent souvent des conducteurs ayant une conduite agressive ou provocatrice, qui est alors appréciée en fonction du risque qu’elle fait courir à la population et du trouble qu’elle entraîne. À l’inverse, une voiture à l’arrêt occupée par un ou plusieurs passagers attirera également leur attention. Une telle scène, considérée comme suspecte, donne prise à plusieurs interprétations : en fonction de variations contextuelles de temps et de lieu, elle peut indiquer aux agents un travail de repérage en vue d’un cambriolage ou d’un braquage, la consommation de drogues, un rassemblement susceptible de causer du trouble, la préparation d’une agression sexuelle, la surveillance ou le harcèlement d’une personne par une autre, etc. Certains comportements leur semblent particulièrement suspects ; sans doute en partie car il leur est impossible, étant donné leur position d’observateurs extérieurs, de connaître les raisons réelles de ce qu’ils observent ou, simplement, de le comprendre. Ainsi, un jeune qui « n’arrêtait pas » de se rendre d’un endroit à un autre en voiture, puis à pied, et ainsi de suite, en étant « tout le temps avec le gsm à la main », retient l’attention des gardiens de la paix qui le surveillent, au cas où il se passerait quelque chose. Nous l’avons déjà mentionné, il leur est rarement possible de connaître le fin mot de l’histoire. Faute de repérer des indices supplémentaires, si le trouble ne va pas en s’amplifiant, ils finissent généralement par reprendre leur marche, comme si de rien n’était.

32Les gardiens de la paix se montrent plus vigilants à l’égard de certaines catégories de la population (groupes de jeunes, SDF, roms, etc.) problématiques à leurs yeux, mais s’intéressent également à certaines catégories de comportements plus qu’à d’autres (folie, harcèlement de rue, assuétudes, etc.). D’autres catégories de personnes, d’allures ou de comportements ne seront pas saisies directement comme porteuses de troubles et ne pourront se placer au centre de l’attention qu’à travers la persistance de certains signes. Ainsi, lorsqu’une femme âgée d’environ 80 ans, ayant l’air confuse, demande son chemin à des gardiens de la paix, ils lui répondent gentiment. Mais lorsqu’ils repassent à proximité près de cinq heures plus tard, remarquant qu’elle se trouve toujours au même endroit, ils comprennent qu’elle « était bel et bien perdue ».

33Comme le souligne Rod Watson (1995), « un regard “non focalisé” (le balayage visuel général d’un espace social donné) peut, suivant des modalités liées au contexte, se transformer en un regard “focalisé”, lié à des intérêts ou à des pertinences déterminés ». Dans cette optique, on peut considérer que le regard porté par les gardiens de la paix sur certains types de comportements ou de situations reflète leur volonté d’empêcher l’émergence de problèmes affectant l’ordre public en général ou des individus en particulier. Néanmoins, leur quotidien étant surtout caractérisé par l’ennui d’une marche sans histoire au milieu d’environnements résidentiels dont les apparences normales ne sont que rarement troublées, ils entrent dans une routine qui tend à émousser leur attention, à entraver ce passage du regard « non focalisé » au regard « focalisé » et, ainsi, à réduire leur capacité à prendre en main des situations qui le nécessiteraient ou à réagir face à un comportement manifestement perturbateur ou perçu comme tel par d’autres citoyens.

34Si les gardiens de la paix portent un regard sur les espaces publics urbains et les personnes qui s’y trouvent, ils sont également visibles et la population peut porter un certain regard sur eux en retour. Leur travail de (re)médiation les place à portée de la perception des personnes auprès desquelles ils interviennent ainsi que du reste de la population qui peut leur prêter un regard distrait ou plus appuyé. Soutenir ces regards peut être délicat, surtout lorsque, à l’arrêt, en petits groupes, ils peuvent donner l’impression à certains de n’être occupés à rien. L’enquête montre une sensibilité – une réelle vulnérabilité même – des agents à ces regards qui leur sont adressés, « comme des menaces, des défis […] ou des insultes » (Watson, 1995 : 200).

35Par leurs uniformes mauves et l’objectif de visibilité qui a présidé à la création de leur fonction, il pèse sur les gardiens de la paix des attentes particulières de disponibilité et de proximité à l’égard de la population. Ces exigences se traduisent dans leur façon de marcher, leurs gestes, leurs mimiques, etc. Comme l’a montré Isaac Joseph (1999) à propos d’agents d’accueil de la SNCF appelés les « Gilets Rouges », cette disponibilité physique et mentale affichée par les gardiens de la paix relève d’un régime de disponibilité, c’est-à-dire un ensemble de « règles pragmatiques élaborées en cours d’action, inhérentes au “vocabulaire des motifs” que se donnent les participants pour ajuster leurs engagements respectifs et qui sont tributaires de l’environnement commun de leurs activités » (p. 171). Cette recherche de la mise à disponibilité et de sa visibilité est un trait qui s’observe de façon assez transversale chez les différents gardiens de la paix observés sur le terrain. Ils assurent ainsi un rôle de relai potentiel pour les autorités publiques, dont ils sont les représentants les plus proches pour la population. Ainsi, il arrive régulièrement que des habitants, des passants ou des commerçants les interpellent dans la rue, leur expliquent un problème, voire demandent explicitement qu’ils fassent passer le message à leur hiérarchie directe, à la commune ou aux élus. Néanmoins, si les gardiens de la paix jouent le jeu de cette disponibilité, et ont certains canaux pour faire remonter des informations ou des demandes captées sur le terrain, il est vraisemblable – en tout cas dans la commune où les observations ont été réalisées – que l’administration ne leur accorde qu’une importance et un crédit très relatifs.

36D’une certaine façon, les gardiens de la paix apparaissent aussi comme des représentants de l’État en régime d’impuissance : « nous on déplace le problème mais on le résout pas »*. Ils évoluent en porte-à-faux dans des espaces auxquels ils ne peuvent contribuer que faiblement ou virtuellement, en prenant acte du défaut de crédit et de légitimité qui caractérise leur position et compromet la félicité ou l’actualisation de leur tâche. Pour une bonne partie de la population, qui semble indifférente à leur égard, ils paraissent transparents. Lorsqu’ils font des remarques, invitant des individus à tenir leur chien en laisse, à ne pas nourrir des pigeons, à ramasser un papier gras, ils se font le plus souvent opposer une fin de non-recevoir. Au mieux, la personne obtempère de mauvaise foi, en grommelant une critique ou une insulte. N’ayant ni le statut ni la force qui leur permettrait de contraindre les gens de se plier à certaines normes, leurs injonctions ne sont pas suivies des réactions escomptées. Agents de l’ordre illégitimes, donneurs de leçons impuissants, leur situation évoque parfois celle du Schtroumpf-à-lunettes, prodiguant ses conseils et adressant ses remontrances à une population à la fois proche et très lointaine qui ne veut ou ne peut le voir et l’entendre.

Des individus à « mettre en marche » et à « faire marcher »

37Nous l’avons vu, la marche des gardiens de la paix se caractérise autant par son intensité que par son indétermination. Ainsi, souvent, les agents se rendent nulle part d’un pas pressé. Saisie par l’ethnographie, la fébrilité de ces déplacements et de l’activité professionnelle qu’ils sous-tendent nous amène enfin sur le terrain d’une sociologie clinique du travail. En guise de conclusion de cet article, nous voudrions donc interroger certains des motifs ou des moteurs de la marche des gardiens de la paix.

Activation

  • 6 Si, à l’heure actuelle, certaines communes tendent à diversifier les profils lors du recrutement, p (...)

38Ces états d’« affairement » (Périlleux, 2015) doivent d’abord être replacés dans le contexte d’un dispositif de prévention articulant une fonction socio-sécuritaire (contrôle des espaces urbains) et une fonction économico-morale (remise à l’emploi et remise en mouvement des chômeurs)6. Une mission de pacification des espaces et de sécurisation des citadins doit-elle nécessairement passer par une telle dépense d’énergie physique ? On peut en douter (nous l’avons vu, certains gardiens considèrent une posture immobile plus efficace sur ce plan). Il se trouve que le fait d’arpenter les rues de la ville d’un pas soutenu permet de réaliser un certain contrôle de ces espaces (de les surveiller et d’y être vus) tout en satisfaisant par ailleurs des exigences d’activité. Pour les gardiens de la paix recrutés dans le cadre d’une politique générale d’activation des chômeurs, marcher d’un bon pas (dans des circonstances où les objectifs de cette marche, ses effets ultimes ou même sa destination restent très incertains) c’est, au moins, montrer une activité intense. C’est, plus précisément – pour des personnes parfois soupçonnées de tirer au flan – se montrer actif. Ainsi, quand « il ne se passe rien » d’anormal, quand il arrive aux gardiens de la paix de perdre de vue la finalité et le sens de leur marche, cette dernière continue de valoir pour elle-même, par le simple fait de signaler (au citoyen, au responsable de service ou à l’agent lui-même) le mouvement et l’activité. Il est alors nécessaire de faire une lecture politique de cette marche, qui nous renseigne autant sur la représentation des problèmes de sécurité et des réponses à leur apporter que sur les « politiques d’activation » en Belgique (Vrancken, 2010) et l’insinuation de leurs logiques dans le monde vécu des travailleurs précaires. Dans le cas des gardiens de la paix, et par une interprétation très littérale des objectifs d’activation, « remettre les gens en mouvements » a consisté très concrètement à les mettre en marche.

Réification

39À travers la reproduction routinière des déplacements et l’autonomisation de la marche comme système d’activité en soi, ce sont des dynamiques de réification et d’aliénation que l’ethnographe voit poindre. Réification puisque, dans le primat accordé à leur simple présence visible sur leur travail d’observation et de surveillance, c’est la chosification des agents – leur réduction à l’état de signes mobiles, de supports humains des politiques de prévention – qui est en jeu. Aliénation, au sens où ces hommes et femmes prêtent leurs jambes, leur corps et leur attention à une marche dont les motifs et les moteurs en viennent à leur échapper partiellement ou totalement. Après avoir relevé la dimension idéologique de la politique d’« activation », notre inquiétude porte ici plus directement sur les conséquences subjectives de cette « mise en marche ». Cette dernière notion permet d’éclairer certains aspects problématiques de la pratique des gardiens de la paix : le caractère machinal de leurs circulations, mais aussi l’exagération de leurs gestes, le raidissement et l’automatisme de leurs interventions, etc. Ces limitations subjectives posées par le dispositif, ces réductions anthropologiques expérimentées au quotidien placent parfois les agents dans un rapport à leur tâche qui n’est pas sans rappeler la « mauvaise foi » du garçon de café de Sartre (1943), dont les mouvements s’enchaînent « comme s’ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres », dont la « mimique et [la] voix même semblent des mécanismes ». Les moqueries dont ces agents sont victimes au quotidien sont d’ailleurs à comprendre à la lumière de ces limitations : après tout, le « mécanique plaqué sur du vivant » constitue l’un des ressorts fondamentaux du comique (Giribone, 2007).

Fabrication

  • 7 Des logiques semblables sont observables dans la participation citoyenne au sein d’assemblées de di (...)

40Un troisième « moteur » mérite le développement d’une réflexion critique, que nous ne pouvons ici qu’esquisser. Il ne renvoie plus seulement à l’injonction d’activation. Il n’est pas non plus lié à une routine productrice d’automatismes. Il s’agit plutôt ici d’interroger le cadre ludico-fictionnel à l’intérieur duquel les gardiens de la paix mènent leurs activités « quasi-policières ». Pour saisir cette dimension et la connecter à ce qui a été dit plus haut, il est possible à nouveau de nous tourner vers une expression du langage ordinaire. Nous dirons que ces individus évoluent au sein d’un dispositif qui les fait marcher ; « faire marcher » étant à entendre au sens de « mettre en marche » (comme nous l’avons vu), mais également au sens de « tromper » ou « piéger par plaisanterie » (ces opérations que Goffman, dans Les cadres de l’expérience, nomme des « fabrications »). L’expérience quotidienne de ces travailleurs nous donne en effet à voir quelques-uns des problèmes complexes que pose une action publique exécutée sur un mode feint, ludique ou virtuel7.

  • 8 L’introduction d’un second degré dans l’expérience professionnelle prend des formes variées. Les un (...)

41Se saisir de ces problèmes revient à nager en eaux troubles, tant la sociologie du travail et la sociologie des politiques de la ville ont tendu jusqu’ici à les laisser de côté. Cependant, pour l’ethnographe, ils crèvent les yeux et ne peuvent être contournés. Aussi complexes soient-ils à décrire et à analyser, ils trouvent leur origine dans un constat simple : il est difficile pour les responsables de ces programmes de demander à des personnes d’âge mur, aussi peu formées qu’équipées, de faire baisser le sentiment d’insécurité par leurs déambulations, sans leur raconter des histoires et sans compter sur leur disposition à les croire ou à s’en raconter elles-mêmes ; sans compter sur un certain sens du second degré, de la distance au rôle, et sur la mobilisation de « compétences fictionnelles » (Schaeffer, 1999)8. Une activité professionnelle impliquant une tâche « infinie » (ce sont les mots du coordinateur) et qui, pour être remplie, ne propose à ses travailleurs que les moyens les plus rudimentaires (leurs jambes, leurs vestes mauves, leurs mots), ne peut être prise longtemps au sérieux ou, en tout cas, au pied de la lettre. Paradoxalement, pour se réaliser et faire porter ses effets, le travail consistant à policer les espaces publics urbains par la marche semble demander au marcheur de n’y croire qu’à moitié : ils s’accordent à dire que leur action est « une goutte d’eau dans l’océan »*.

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Notes

1 Notons que si ces acteurs évoluant dans les espaces publics urbains et employés par les communes urbaines belges ont été fusionnés, cela n’empêche pas l’existence d’autres catégories d’acteurs semblables sur le terrain, qui dépendent principalement de bailleurs sociaux et de sociétés de transports en commun.

2 D’autres situations ont également été observées : pauses café, discussions informelles avec la hiérarchie, réunions d’équipe, etc.

3 Notons cependant qu’il est arrivé plusieurs fois que les gardiens de la paix eux-mêmes, face à des connaissances, révèlent que leur stagiaire n’en était pas un, mais bien un chercheur venu réaliser une étude sur leur travail.

4 Les extraits de rapports cités figurent en italique. Le style et la syntaxe d’origine ont été conservés mais les fautes d’orthographe ont été corrigées. Les paroles recueillies par l’observation directe sont suivies d’un astérisque*.

5 Comme l’explique Sybille Smeets (2006), la fonction policière englobe des acteurs tels que les gardiens de la paix « dont les activités sont principalement tournées vers une sécurité assurée au travers des modalités de surveillance et de dissuasion » (p. 101). Elle cite également David H. Bayley and Clifford D. Shearing (1996) qui définissent le policing ainsi : « all explicit efforts to create visible agents of […] control, whether by government or by non-governmental institutions » (p. 586).

6 Si, à l’heure actuelle, certaines communes tendent à diversifier les profils lors du recrutement, pour assurer une mixité au sein des équipes (âge, genre, origines étrangères, parcours socio-professionnel, etc.), nombre d’agents en fonction sont encore aujourd’hui des personnes passées par une phase de galère plus ou moins longue.

7 Des logiques semblables sont observables dans la participation citoyenne au sein d’assemblées de dispositifs d’État (Berger, 2015).

8 L’introduction d’un second degré dans l’expérience professionnelle prend des formes variées. Les uns sont enclins à ironiser, à blaguer, à tourner l’activité en dérision, transformant du coup la situation de travail en une situation dont l’enjeu premier devient la sociabilité et la cordialité (« Il n’y a pas de responsable quand je ne suis pas là. Quand le chat est parti, les souris dansent », confie le coordinateur). D’autres, au contraire, manifestent un engagement presque excessif, se lancent dans de véritables mises en scène d’eux-mêmes et accompagnent leurs interventions (d’aide, de conseil, de remontrances) de gestes démonstratifs ou de discours emphatiques, soulignant le caractère quasi-héroïque de leur travail. Enfin, indépendamment des objectifs très incertains assignés à leur tâche, d’autres se concentreront sur la marche, la valoriseront pour elle-même, se montrant satisfaits de ces activités extérieures qui leur font prendre l’air et les maintiennent en forme.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Berger et Lionel Francou, « Policer les espaces publics urbains par la marche ? »Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 9 | 2015, mis en ligne le 19 octobre 2015, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/588

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Auteurs

Mathieu Berger

Centre de recherches interdisciplinaires Démocratie, Institutions, Subjectivité, Université catholique de Louvain (m.berger@uclouvain.be)

Lionel Francou

Centre de recherches interdisciplinaires Démocratie, Institutions, Subjectivité, Université catholique de Louvain (lionel.francou@gmail.com)

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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