1À l'heure de la volonté des aménageurs de valoriser et développer les modes de déplacements doux, cette étude retrace et analyse l'évolution de la marchabilité d'un espace public entre deux résidences d'habitation à Bordeaux après l'introduction d'un nouveau mode de déplacement en 2008 : le tramway. L'enjeu de cette analyse est d'étudier la marche « en mouvement » et son évolution dans le temps afin de démontrer l'influence de l'environnement urbain sur les itinéraires des marcheurs.
- 1 « Measuring the Unmeasurable : Urban Design Qualities Related to Walkability » est le titre de l'ar (...)
2« Mesurer l'immesurable1 » selon Reid Ewing et Susan Handy, tel est le défi lancé lorsque l'on souhaite appréhender l'impact de l'environnement urbain sur la marchabilité. Lorsque l'on marche, on se meut dans l'espace et chaque individu a sa propre manière de marcher. La marche permet un déplacement à pied dans un espace qui demeure à taille humaine où il est possible de se mouvoir par le biais du corps (Miaux, 2009). Elle constitue un micro-espace ordinaire, une forme urbaine spécifique, moteur de sociabilités qui s’établissent dans le mouvement (Miaux, 2008). C'est pourquoi nous avons étudié les mouvements des marcheurs – ceux qui marchent – à travers les itinéraires empruntés dans le temps afin de comprendre comment marchaient-ils hier. Comment marchent-ils aujourd'hui ? Et tenter d'anticiper : comment marcheront-ils demain ?
- 2 Le « walkability index » offre une palette d’indicateurs pour la marchabilité (Franck, 2005) ainsi (...)
- 3 Après quatre ans de travaux qui ont rassemblé dix-huit pays, les résultats sont intégralement publi (...)
- 4 La marche peut également être appréhendée dans sa dimension modale en tant que moyen de déplacement
3Se référer à la marchabilité (walkability) d’un environnement, c’est envisager la propension de cet espace à accueillir la marche à pied. La marchabilité est également définie comme potentiel piétonnier et exprime la manière dont les individus entrevoient la rue comme un espace où il est confortable de marcher (Ewing et al., 2006). Concept multi-facettes, il a été inventé pour mesurer ce qu’il convient d’appeler, selon une formulation francisée, un « score de mobilité pédestre » depuis un lieu, afin d’évaluer les actions visant à promouvoir la marche et la qualité de celle-ci (Litman, 2003)2. Le projet de recherche européen « COST 358 Pedestreians’ Quality Needs »3 (Melhorst, 2010) montre notamment que la qualité des parcours offerts aux piétons influence directement leur choix modal4. Elle conditionne également la fréquence et la longueur des trajets effectués à pied et le plaisir qui en est retiré. Katy Gardner, quant à elle, prône le développement à Londres de « 5 C » pour favoriser la marche. Selon elle, les espaces publics doivent être à la fois conviviaux, commodes, connectés, clairs et confortables (Gardner, 1996).
- 5 Par espace public, on désigne tous les espaces vécus comme tels par le public, c'est-à-dire aussi b (...)
- 6 La définition d’une ambiance est unique. Elle appartient à la perception d’un individu. Mais elle e (...)
- 7 Un passant se définit ici comme étant une personne n'habitant pas dans le quartier mais qui y est p (...)
4La marchabilité s'appuie sur l'évaluation des caractéristiques de l'environnement (le plus souvent urbain) qui sont associés avec la pratique de la marche (Moudon et Lee, 2003). Nous nous sommes intéressés à la pluralité des manières de marcher (Thibault, 2008) au sein des espaces publics5. L'environnement urbain étant en évolution constante, il est opportun d'étudier les transformations urbaines qu'a subi l'espace pour comprendre les évolutions des manières de marcher au sein de celui-ci. Ces espaces sont caractérisés par différentes ambiances6 qui vont influencer les manières de marcher et favoriser ou non la marche ; celle-ci étant également un mode d’urbanité (Thomas, 2004). En effet, le facteur sensible tel que la perception du marcheur face à son environnement (Wood et al., 2010) influence directement celui-ci pour prendre la décision de marcher. La marche laisse à l'homme l'initiative (Le Breton, 2000). Nous nous sommes donc intéressés à ce qui pouvait motiver les résidents – ceux qui habitent le quartier – ou les passants7 à marcher dans le quartier des Aubiers. Pour Bruno Marzloff, « la motivation de la marche se joue dans un rapport réciproque entre le marcheur et son environnement » (Marzloff, 2010).
- 8 Une première série d'entretiens courts (en moyenne 10 minutes) a été réalisée auprès de marcheurs s (...)
5L'analyse des ambiances dans un espace public repose sur une partie subjective et une partie objective. Une partie objective que nous avons réalisée à partir d'analyses de terrain et de calculs et une partie subjective collectée à partir d'entretiens et de recherches sur les réseaux sociaux. Afin de mieux comprendre la partie subjective, nous avons divisé les individus en deux catégories : les passants et les résidents. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés afin de réaliser ce classement8. Ils ont permis de mettre en relation notre analyse de l’environnement urbain ainsi que l’observation des itinéraires empruntés par chacun.
6Réalisée sur deux années, nous nous sommes intéressés à la manière de marcher dans ce quartier et son évolution. La marche est un mouvement. Partant de ce principe, nous n'avons pas étudié seulement les itinéraires des marcheurs à l'instant « t » d'une étude, mais en plusieurs temps : avant et après la prolongation de la ligne de tramway ainsi qu'à l'occasion d'une recherche sur l'Histoire du quartier.
7Quels sont les lieux vers lesquels on marche ? Pourquoi certains itinéraires pourtant plus longs pour les piétons sont empruntés au détriment des autres ? Les objectifs recherchés reposent sur le potentiel de certains lieux du quartier à favoriser la pratique de la marche ou, à l’inverse, ceux qui l’empêchent ou la découragent.
8Le quartier des Aubiers à Bordeaux en est le support d’analyse proposé. Cet ensemble urbain offre en effet de multiples façons de marcher. En mutation permanente, il illustre l’adaptation constante des marcheurs sur un site. Héritier de l’urbanisme des années 1960, il a récemment changé de visage, non pas à travers des réhabilitations architecturales, mais à travers la qualification de ses espaces publics emblématiques. De fait, afin d’appréhender la marchabilité du quartier des Aubiers, il s’agit de mener une observation à la fois dans sa dimension « interne » mais également à travers les relations inter-quartiers existantes grâce à la marche à pied.
9L'étude de la marche permet de mieux percevoir un quartier appartenant à ses résidents. Le quartier des Aubiers est devenu un pôle multimodal incontournable de l’agglomération, pour les personnes venant de l’extérieur de la métropole vers le centre de Bordeaux.
10Le quartier des Aubiers est situé au nord de la commune de Bordeaux, rive gauche, entre le Lac et les Bassins à flots (voir Figure 1). En 2009, il accueillait 3 814 habitants (données Insee) dans la Zone Urbaine Sensible des Aubiers. Celle-ci s’étend sur 40 hectares ; sur cet espace, sont implantées deux résidences : la résidence des Aubiers et la résidence du Lauzun appelée également résidence du Lac.
Fig. 1 - Le quartier des Aubiers
11Dès sa construction, au début des années 1970, le quartier des Aubiers connaissait une situation enclavée. Aujourd’hui, cet isolement tend à se limiter. Néanmoins, les Berges du Lac au nord, la friche ferroviaire de Cracovie au sud, les axes routiers à l’ouest et les centres commerciaux à l’est (voir Figure 1) demeurent des limites franches dans cet environnement urbain.
12L'environnement urbain de ce quartier est particulièrement complexe. On ne peut réduire l'étude de la marche à pied aux deux entités – la rue et le trottoir – avec parfois des espaces interstitiels pour les vélos (Germon, 2009). L'espace public entre les résidences au début de la construction du quartier était résiduel. En outre, les espaces publics s’organisent sur deux niveaux : un rez-de-chaussée et un rez-de-dalle situé à environ sept mètres du sol. Deux dalles sont réservées aux piétons, celle de la résidence des Aubiers et celle de la résidence du Lac. La résidence des Aubiers s’apparente à un bloc homogène composé de 10 barres et 15 tours oscillant entre 11 et 17 étages. La résidence le Lac est composée d’immeubles de huit étages autour d’une vaste terrasse bétonnée (voir Figure 2).
Fig. 2 - Résidence Les Aubiers et résidence Le Lac
- 9 Le quartier des Aubiers, comprenant les clairières des Aubiers et du Lauzun, a été classé en ZRU pa (...)
13Quelques années seulement après la construction de la ZUP (Zone à urbaniser en priorité), le quartier des Aubiers est frappé par l’appauvrissement de ses résidents, directement tributaires des fermetures d’entrepôts et de la désertion des quais et des hangars (Jacquemin, 2004). Dès 1977, il devient un quartier « sensible », un quartier classé en ZRU (Zone de redynamisation urbaine9) et fait l’objet d’une opération de réhabilitation (Victoire, 2007). Les logements deviennent des logements sociaux de fait. Cependant, les principes urbanistiques qui les composent demeurent (notamment les dalles et leurs accès) (voir Figure 3).
Fig. 3 - Dalles des résidences
14Néanmoins, le quartier est animé par la présence de commerces de proximité, d’équipements et de services situés pour la plupart au rez-de-chaussée. Les commerces de proximité deviennent un prétexte pour rassembler les gens. Il s'agit d'un terrain de rencontres (Lefebvre, 1968). Ils s'apparentent donc à un facteur de la marchabilité de ce quartier. La présence d'autres piétons est en effet positive pour encourager la marche à pied (Brownson et al., 2003 ; Ewing et al., 2006) dans la mesure où elle n'est pas excessive. Pour la résidence des Aubiers, le rez-de-chaussée est composé d’une bibliothèque, d’écoles maternelles et élémentaires (Jean Monnet et Lac II), du Centre des Apprentis d’Auteuil, ainsi que d’un bureau de Poste, d’une boulangerie, des antennes de bailleurs privés, d’une épicerie, d’un kebab-café, d’un tabac et d’un coiffeur. Un poste de Police est également implanté ainsi que l’association Urban Vibrations School. Toutes les autres façades des rez-de-chaussée sont aveugles et occupées par des parkings.
15Quant à la résidence du Lac, l’ensemble du rez-de-chaussée est un parking. Les dalles permettent un accès aux logements, ainsi qu’à certains équipements tels que la crèche, la MDSI (Maison départementale de la solidarité et de l’insertion) et le CSMI (Centre de santé mentale infantile) pour la résidence des Aubiers. Cependant, la dalle de la résidence des Aubiers est un espace minéral dépourvu de tout repère. Pour Kevin Lynch, dans son ouvrage L’image de la Cité, l’orientation dans une ville se base sur la lisibilité (Lynch, 1960). En conséquence, l’absence de points de repères dans le quartier le rend difficilement praticable à pied et induit un sentiment d’insécurité (Pagnac-Baudry, 2012).On peut en effet traverser la résidence des Aubiers de part en part sans aucun lien avec le rez-de-chaussée en passant par la dalle. Les marcheurs peuvent ainsi se croiser sans se voir, enlevant un élément de convivialité à l’espace public. Néanmoins, la complexité peut être perçue comme un des facteurs favorisant la marche (Ewing, 2006). Cependant, dans cet environnement urbain, elle s'apparente à un obstacle. Un excès de complexité freine ici la capacité des passants à s'approprier le quartier (Rapoport et Hawkes, 1970).
- 10 Nous avons interrogé 30 personnes non résidentes du quartier au niveau de l’arrêt du tramway, sous (...)
16De nombreux passages, aménagés sous la dalle, sont uniquement connus des résidents. En effet, aucune information ou indication n’est donnée pour repérer les accès aux dalles et aux porches. Les passants interrogés10 n’osent pas s’y aventurer car ils ressentent cet espace comme privé. Ils ne sont pas enclins à s’y rendre, hormis dans l’hypothèse où ils doivent accéder aux équipements publics (voir Figure 4). En effet, certains passages constituent des nœuds d’accès aux habitations. Même si ces accès ne sont pas tous verrouillés, ils demeurent perçus comme appartenant aux résidents.
Fig. 4 - Passage sous la dalle et dalle de la résidence des Aubiers
17La dalle de la résidence du Lac a fait l’objet d’un traitement spécifique. En effet, des parcours piétons sont suggérés par des cheminements aménagés ainsi que différents espaces de repos/détente, ce qui contraste avec la dalle de la résidence des Aubiers. Cependant, ces deux dalles restent peu fréquentées la journée. Elles ne servent que d’accès aux logements. En soirée et le week-end, certains résidents profitent de cet espace (surtout pour la résidence du Lac) pour se retrouver et les enfants pour y jouer. Un contrôle informel des accès à la dalle (en particulier des escaliers) est effectué par des groupes de jeunes hommes du quartier, du fait de leur simple présence au rez-de-chaussée près de l’accès. Ce contrôle est ressenti par les passants comme une territorialité forte et un sentiment d’être ‘étranger’ au lieu. L'impression d'y être en permanence observé est très présente, un sentiment rappelant le célèbre film Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock. Cela a immanquablement des répercussions sur les parcours des marcheurs. Par manque de connaissance des itinéraires et des passages sous la dalle, les passants empruntent des chemins beaucoup plus longs que les résidents pour aller de l’arrêt de tramway au cours des Aubiers.
- 11 Le relief du quartier est très faible. On peut considérer que l’ensemble du quartier et de ses envi (...)
18Les ambiances urbaines traduisent différentes facettes des espaces urbains du quartier et vont induire un comportement des marcheurs, qu’ils soient passants ou résidents du quartier. La mobilité des marcheurs se heurte cependant à différents obstacles (Heran, 1999). En étudiant la dimension physique de l’environnement urbain et sa configuration, il est apparu que le quartier est à la fois cloisonné de par sa situation géographique11 et de par son organisation interne.
- 12 Situés au cœur du quartier des Aubiers, les jardins familiaux comprennent aujourd'hui 70 parcelles (...)
19La friche urbaine de Cracovie au sud empêche toute porosité avec le quartier voisin car elle est clôturée. Les jardins familiaux12 viennent accentuer cette coupure. L’allée de Boutaut à l’est a une largeur de 30 à 40 mètres et délimite fortement le quartier. Au nord-est, la zone artisanale, les bureaux et l’école sont organisés selon une logique de « boîtes » posées sur leur parcelle dont la limite est matérialisée par des clôtures, ce qui constitue également une limite franche au quartier (voir Figure 1). Au nord-ouest, le quartier Ginko, construit sur une ancienne forêt de pins, est longtemps resté en travaux. À présent, un parc tente de faire la « couture » avec le quartier (voir 2.2). Une friche clôturée demeure à proximité de la résidence du Lac. À l’ouest, l’avenue des Français et le magasin de sport Décathlon viennent délimiter le quartier. Les voies de circulation de l’avenue sont conçues selon une logique autoroutière, à tel point qu’il est dangereux pour les piétons de la traverser. Peu de passages piétons sont aménagés. Seul le carrefour avec des feux de signalisation en permet la traversée.
20Ces éléments peuvent décourager la marche, tout comme la présence d'espaces morts (chantiers, terrains vagues) (Ewing, 1999) ou une circulation excessive (Lee et Moudon, 2008). En effet, à chaque adjonction d'un élément clos (voir Figure 5), légende barrières et clôtures), l'espace dédié à la marche diminue et offre de moins en moins de liberté aux marcheurs.
21L’avenue de Laroque, située entre la résidence du Lac et la résidence des Aubiers s'impose ainsi comme l'espace public majeur où se concentrent les marcheurs. Néanmoins, son gabarit est tributaire d'un large espace dédié aux véhicules (voitures et bus). Le gabarit de l’avenue passe ainsi de 25 à 50 mètres pour les arrêts de bus. Au niveau de l’arrêt de tramway, les voies sont délimitées par une bande pédotactile, mais elles s’inscrivent au même niveau que les cheminements piétons aménagés. Les voies sont aisément franchissables et, de ce fait, régulièrement traversées par les marcheurs et les cyclistes.
Fig. 5 - Itinéraires des passants et des résidents vers l’avenue Laroque
22Les déplacements des marcheurs (en particulier des passants) sont concentrés sur ces allées le long du tramway (voir Figure 5). En effet, il s’agit d’un environnement ouvert, doté de bancs et d’arbres, constituant un espace de fraîcheur en été (voir Figure 6). Sa configuration permet une large perspective ouverte et favorise l’orientation du passant. En effet, selon leur connaissance du terrain, les marcheurs vont être attirés par différents espaces d’un même quartier selon s'ils sont passants ou résidents (Piombini et al., 2014).
23En outre, l'hypothèse que les piétons cherchent à confondre le plus possible la ligne de locomotion (la trajectoire réellement empruntée) et la ligne de trajectoire (celle qui unit tel un fil tendu le point de départ et le point d'arrivée) (Germon, 2009) semble s'appliquer à l'avenue de Laroque en particulier pour les passants.
Fig. 6 - Allée piétonne avenue de Laroque
24Certains facteurs sont souvent mis en évidence pour favoriser la marche en tant que moyen de transport comme la présence d'aires d'attente, d'arbres, de parcs, d'art urbain (Cervero et Ducan, 2003 ; Ewing et al, 2006). Les résidents du quartier viennent ainsi profiter des bancs mis à leur disposition sur ces allées.
25La marche offre en effet l'opportunité de la « pausabilité » (pausability) (Demerath et Levinger, 2003). La marche permet également une créativité collaborative (collaborative creativity) (Demerath et Levinger, 2003). Le trafic à pied est lent, plus libre et laisse place aux traversées illégales. En outre, la marche laisse libre cours aux interactions souvent provoquées par une collaboration (horaires de bus, de tramway...) ou des expériences partagées, comme assister à un même événement.
26Par exemple, le matin, un café ambulant s'installe près de l'arrêt de tramway sur l'avenue de Laroque. Il s’adresse principalement aux passants en transit entre le parking-relais, les bus et le tramway. Mais il a également ses « habitués » du quartier qui viennent s’y restaurer. La nuit, seule l’allée est éclairée et montre un chemin entre l’arrêt de tramway et le parking-relais. Les espaces alentours sont, quant à eux, très sombres. Or le manque d'éclairage ou un éclairage de mauvaise qualité (Brownson et al., 2009 ; Cervero et Ducan, 2003 ; Clifton et al., 2007 ; Dannenberg et al., 2005 ; Emery et al., 2003 ; Evensen et al., 2003 ; Troped et al., 2006) entretiennent un sentiment d'insécurité et sont un frein à la pratique de la marche.
27La résidence du Lac et la résidence des Aubiers qui bordent l’avenue de Laroque apparaissent comme deux blocs homogènes. Ces résidences accentuent la perspective de l’avenue. La présence d'un encadrement et de barrières visuelles d'ordre physique (bâtiment) peut favoriser la marche à pied (Cervero et Ducan, 2003 ; Ewing et al, 2006). L'échelle humaine est pourtant un des points clés pour favoriser la marchabilité (Ewing et al., 2006). Or, l'avenue revêt un caractère monumental. Le cours des Aubiers semble être le seul point d’appel afin de « franchir » ou de traverser la résidence des Aubiers pour les passants dans le sens transversal.
28Il apparaissait essentiel dans ce quartier d'étudier le lien entre les différentes manières de marcher entre les passants et les résidents selon l'implantation des services de proximité en son sein ainsi que la diversité des destinations possibles (Dannenberg et al., 2005 ; Emery et al., 2003 ;Evensen et al., 2009). Ewing ne prend pas en compte la diversité des destinations ni la présence de commerces pour calculer le score de marchabilité (Ewing, 2006). Néanmoins, afin de mieux comprendre les itinéraires des marcheurs dans l'espace public entre les résidences du Lac et des Aubiers, il est important de comprendre l'organisation des rez-de-chaussée et des rez-de-dalle des bâtiments qui est restée la même depuis une dizaine d'années. Les commerces, les services et les équipements implantés au cœur de ce quartier sont particulièrement méconnus des passants. Ils sont en effet, peu visibles depuis les espaces publics, « cachés » derrières les containers et les parkings avenue de Laroque. Sans une recherche préalable, il est difficile de savoir qu'ils s'y trouvent au-delà de la distance qui les sépare du tramway (voir Figure 7).
Fig. 7 - Distances concentriques depuis l’arrêt du tramway
29La visibilité du cours des Aubiers depuis l’arrêt de tramway est limitée du fait de la hauteur des bâtiments de la résidence (et en particulier de celle de la bibliothèque) qui masque l’accès au cours (voir Figure 8).
Fig. 8 - Le cours des Aubiers et les commerces situés avenue de Laroque
30Le cours des Aubiers est un espace très fréquenté par les résidents ; nombre d'entre eux s'y retrouvent en groupe pour discuter en particulier devant les accès à la dalle. Pour une personne de passage, le sentiment d’être observé est très présent. La présence d'autres piétons peut favoriser la marche à pied (Lee et Moudon, 2008). Cependant, dans cet espace, elle paraît plutôt dissuasive pour les marcheurs. Ce contrôle social informel (Jacobs, 1991) est perçu par les passants comme une territorialité forte réservée aux résidents. Les marcheurs empruntent plus volontiers les chemins de la résidence du Lac (voir Figure 9).
Fig. 9 - Avenue de Laroque côté résidence du Lac
- 13 Les données regroupent les services accessibles à proximité d’un lieu, à partir d’un isochrone donn (...)
31Le site Walkscore attribue une note de 62/100 pour le cours des Aubiers. Cette note est délivrée selon les qualités des espaces de déploiement de la marche, les accessibilités de la ville en marchant depuis un point donné13 et l’accès aux modes de déplacement. Les informations collectées par les opérateurs sont complétées en permanence par des internautes. La note du cours des Aubiers s’explique par la présence des équipements, des services et des commerces dans le quartier mais aussi celle du pôle multimodal.
- 14 L’analyse des ombres portées a été réalisée à partir du logiciel Sketchup en simulant la dalle et l (...)
32Or, l’obscurité permanente14 du rez-de-chaussée au cœur de la résidence des Aubiers, due à la dalle et à la hauteur des bâtiments n'est pas prise en compte dans ce calcul. Pourtant, la lumière naturelle nous paraît fondamentale pour favoriser la marche à pied. On constate également que le cours des Aubiers constitue la partie la plus ensoleillée du rez-de-chaussée de la résidence.
33Cependant, la présence des commerces, des services et des équipements n'est pas aussi attractive pour la marche qu'elle aurait pu l'être. Le manque de visibilité depuis l'avenue de Laroque ainsi que le manque de lumière naturelle des rez-de-chaussée de la résidence des Aubiers constituent un véritable frein à la marche pour les passants. Pour les résidents, la situation est inversée. Se retrouvant entre connaissances ou amis, les résidents (de la résidence des Aubiers et ceux de la résidence du Lac) jouissent des commodités de la résidence des Aubiers et se sont appropriés le cours des Aubiers.
34Après avoir analysé les rez-de-chaussée et les rez-de-dalle des résidences du Lac et des Aubiers, nous avons tenté de caractériser les ambiances perçues au sein de l'espace public. Les réaménagements qui se sont succédés au sein de l'avenue de Laroque ont peu à peu ouvert cet espace conçu à l'origine pour les voitures en un espace mixte, plus favorable à la marche à pied. Une mosaïque d'ambiances y cohabitent. Parmi elles, la prise en compte du sentiment d'insécurité, même si ce dernier reste subjectif, permet de mieux comprendre les manières de marcher dans le quartier (Troped et al., 2006). Distinguer le statut des espaces est l'un des outils d'analyse de l'environnement urbain pour comprendre le sentiment de sécurité ou d'insécurité (Safepolis, 2007). En effet, lorsque l'on distingue clairement les limites entre les espaces privés et publics, il est plus aisé de comprendre comment s'orienter et savoir où l'on peut marcher. Dans un premier temps, le statut des espaces (privés, publics, semi-privés) a été déterminé de manière sensible par la description des passants interrogés. Dans un second temps, l’influence du son a été mise en relation avec cette analyse. Enfin, nous avons comparé ces éléments avec la perception qu’en ont les résidents.
Fig. 10 - Synthèse des espaces ressentis comme privés et semi-privés
35L’interprétation des limites s’est appuyée sur l’entretien perçu de ces espaces ainsi que la qualification de leur accès. (voir Figure 10). On aurait pu penser que les espaces ouverts du rez-de-chaussée, situés à l’intérieur de la résidence des Aubiers, seraient perçus comme semi-privés ainsi que les parkings. Cependant, même s’ils sont libres d’accès, les passants n’osent pas s’y aventurer. Ces espaces intérieurs sont ressentis comme intimes. Plusieurs personnes ont même dit : « j’ai l’impression d’être dans le jardin des gens ».
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- 16 La dynamique Espoir Banlieue renforce le rôle de la GUP en 2009 à travers la réalisation des « Diag (...)
- 17 Le « diagnostic en marchant » est réalisé le plus souvent par un petit groupe de résidents, d’acteu (...)
36Pour réaliser la synthèse des espaces perçus comme « privés » ou « semi-privés » (voir Figure 10), nous avons réalisé une série de cartes individuelles sur cette thématique15. Nous avons soulevé les questions de l’appartenance, de l’appropriation par les résidents et la qualification des espaces au moyen d’un « diagnostic en marchant » (Pagnac-Baudry, 2013). Nous avons confronté cette analyse sensible aux domanialités officielles recensées par la GUP16 (Gestion Urbaine de Proximité). En effet, la clarification des domanialités17 pour permettre l’identification des propriétaires des espaces n’est pas toujours liée aux usages réels quotidiens ni à l’entretien (Pagnac-Baudry, 2013). Les passants s'aventurent plus facilement dans les espaces qu'ils ressentent publics situés avenue de Laroque qu'au sein du cours des Aubiers ainsi que dans les espaces à l'arrière de la résidence des Aubiers pourtant ouverts à tous.
Fig. 11 - Jardins intérieurs de la résidence des Aubiers
37Les espaces préservés au cœur de la résidence des Aubiers (voir Figure 11) montrent une intimité forte. Leur qualité d’entretien contraste avec les espaces extérieurs à la résidence où ont été relevées différentes dégradations : graffitis, poubelles cassées, déchets, bornes incendie cassées, mobilier urbain fracturé, etc.
38La situation est différente pour la résidence du Lac. En effet, sa configuration davantage « linéaire » n’introduit des espaces « intérieurs » privés qu’au niveau de la dalle. Les espaces en rez-de-chaussée sont libres d’accès ainsi que les escaliers pour rejoindre la dalle.
- 18 Des mesures du niveau de bruit ont été effectuées à l’aide de sonomètres à différents moments de la (...)
39Les statuts des espaces et leurs limites marquent une fragmentation de l'espace entre « l'intérieur » des résidences et l'avenue de Laroque. Cette rupture est renforcée par une différence nette au niveau du son au sein de ces espaces. Afin de comprendre ces limites sensibles relevées, nous nous sommes intéressés à l’influence du son au sein de ces différents lieux. Les bruits de chantier ou de la circulation excessive peuvent être des freins à la qualité de la marche (Ewing, 1999). Cependant, d'autres sons contribuent à influer de manière positive la marche (Sémidor et al., 2010). Pour cela, nous avons réalisé différentes mesures du niveau de bruit18 et étudié la qualité d’écoute de ces lieux.
40Nous avons établi des « aires des lieux bruyants et aires des lieux tranquilles » (Augoyard, 1991) afin d’esquisser le paysage sonore du quartier.
- 19 D’autres mesures ont été effectuées dans le quartier : 60 dB en moyenne sur le cours des Aubiers et (...)
41Les mesures effectuées19 au niveau de l’arrêt du tramway oscillent entre 64 et 82 dB ponctuellement (selon le passage du tramway et des bus avenue de Laroque) et contrastent avec les mesures comprises entre 50 et 60 dB au niveau du parking de la résidence du Lac et celles comprises entre 50 et 56 dB dans les jardins intérieurs de la résidence des Aubiers.
- 20 On entend le klaxon du tramway, les personnes qui attendent le tramway parler, les informations-tra (...)
42La qualité du son est également très différente. Sur l’avenue de Laroque, les sons écoutés sont majoritairement liés à la circulation routière et au tramway. Cependant, à l’arrêt du tramway, c’est une réelle variété de sons qui est perceptible20. Le va-et-vient des passants en transit cesse vers 19 heures et laisse place à un trafic moins dense. Le week-end en journée et en soirée, l’avenue Laroque reste un lieu de passage animé par les résidents. Quant aux espaces « intérieurs », ils sont occupés le mercredi après-midi, en début de soirée et le week-end.
43Ainsi les aires de lieux bruyants ont-elles une propension à rassurer les passants de par la diversité des sons entendus (des passants, des véhicules, des tramways, des bus, etc.). Ils sont ainsi plus nombreux. Les aires de lieux tranquilles, conférant un sentiment de privatisation de l'espace, sont évités des passants et prisés des résidents.
44Le quartier des Aubiers appartient à ses résidents, qui en connaissent les moindres recoins. La présence de rez-de-dalle et de rez-de-chaussée accentue la configuration labyrinthique des résidences. Les passants sont désorientés et marchent donc plus volontiers le long de l'avenue de Laroque réaménagée où passe la ligne de tramway. Les principes urbanistiques des résidences ont peu évolué depuis la construction des résidences contrairement aux aménagements de l'espace public qui ont accompagné l'avenement du tramway. C'est sur ceux-ci que l'analyse de la marche à pied et son évolution sont la plus importante. En effet, ces aménagements auraient pu favoriser davantage la marche à pied dans le quartier. Cependant, la configuration du quartier (rez-de-dalle, obscurité permanente...) persistent à créer une dualité forte entre « l'intérieur » du quartier, celui ressenti comme « privé » (même s'il ne l'est pas) et l'avenue de Laroque ressentie comme publique. Les ambiances (notamment le son) qui caractérisent ces espaces renforcent ce sentiment. Cette combinaison entraîne une configuration singulière des itinéraires des marcheurs.
45L'avenue de Laroque développe une attractivité propice à la marche à pied. Pôle multimodal, elle tente à faire du quartier un point de convergence des différents flux de marcheurs mais aussi des autres modes de transport.
46Le tramway est au cœur du quartier des Aubiers ; il organise à présent le site depuis 2008. Jadis enclavé, le quartier est aujourd’hui une partie prenante de l’ensemble urbain. Demain, ce quartier, du fait des réalisations à venir, est appelé à des métamorphoses régulières.
47Le projet urbain du Lac, conçu dans les années 1960 par l’architecte-urbaniste Arsène-Henry, avait pour intitulé « la nature dans la ville, la ville dans la nature » (Godier, 2006). Néanmoins, le quartier est aménagé principalement pour la voiture. Situé près du centre-ville de Bordeaux mais suffisamment éloigné par les grands espaces commerciaux, les bureaux et les zones artisanales, le quartier a longtemps été une enclave résidentielle. D'un point de vue inter-quartiers, la marche était tournée vers le Lac, la plage, les sports nautiques et vers les centres commerciaux. La voiture et les bus étaient les deux moyens de déplacement privilégiés. L'environnement conçu pour les voitures est linéaire, peu complexe et homogène contrairement à celui du piéton qui est chaotique, en mouvement et le lieu d'interractions spontannées (Demerath et Levinger, 2003). La marche se résumait essentiellement à l’accès aux parkings. La présence de passants dans le quartier était très limitée. Les quartiers alentours n’étaient pas construits.
48Depuis 2008, l’arrêt de tramway a été le terminus de la ligne C, faisant du quartier une impasse. La marche est devenue un moyen de déplacement incontournable pour les résidents. En se rendant au tramway, les passants laissent sur le parking leur voiture et marchent. Les résidents ne sortent plus leur voiture et se rendent à pied à l'arrêt de bus ou à celui du tramway. La disponibilité d'un autre mode de transport s'apparente à un critère favorisant la marche à pied (Browson et al., 2003 ; Troped et al., 2006 ; Clifton et al., 2007).
49La résidence des Aubiers est ponctuée de porches pour les voitures. Le rez-de-chaussée est en effet conçu à l'échelle de la voiture. Les entrées de la résidence réservées aux piétons sont confidentielles et difficiles à percevoir par les passants car les stationnements se situent entre les voies de circulation et les résidences. Or, des rues orientées vers les bâtiments plutôt que vers les stationnements permettent de favoriser la marche à pied (Cervero et Ducan, 2003 ; Ewing et al, 2006). Ramener l'espace public à une échelle plus « humaine », tel a été le défi des aménageurs de l'espace public de l'avenue de Laroque. Cela s'est traduit par l'introduction du mobilier urbain adapté (candélabres pour piétons, bancs, trottoirs, passages piétons, etc.). Cependant, la configuration des stationnements est restée presque la même.
50L’espace public suppose que soient réunis trois principes élémentaires : une accessibilité maximale pour le marcheur, un très fort potentiel de rencontre de l’autre, une mise en scène de l’altérité (Berdoulay et Morales, 1999). Néanmoins, seule l'avenue de Laroque et les abords du tramway ont été aménagés de cette manière. Les espaces « résiduels » tels que les stationnements ou les espaces verts ne sont pas ou peu aménagés pour les piétons. Leur traversée est dangereuse en l'absence de trottoir adapté ou tout simplement parce que les voitures en grand nombre s'y sont stationnées. La marche est un des éléments structurant du tissu urbain, permettant d’assurer un lien entre les constructions, une transition d’une place à une autre (Rieucau, 2012).
51Le pôle multimodal des Aubiers a ouvert de nouvelles perspectives de déplacement pour les résidents de la métropole et également pour les publics extérieurs. En effet, sa position aisément accessible depuis la rocade de Bordeaux permet un accès rapide en voiture au parking-relais puis au tramway ou aux bus afin de rejoindre le centre-ville de Bordeaux, et ce, en moins de 20 minutes. La circulation automobile dans Bordeaux étant régulièrement saturée, les déplacements en tramway sont incontournables. En outre, la marche joue le rôle d’attracteur social, par la mise en scène qu’elle induit, facilitant les interactions sociales, permettant un jeu interactif dans lequel les rôles d’acteurs et de spectateurs sont interchangeables (Rieucau, 2012). Les marcheurs réguliers se retrouvent ainsi pour prendre le bus ou tramway aux même horaires.
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52Néanmoins, le quartier des Aubiers est régulièrement associé à une image médiatique négative qui pourrait amoindrir son attractivité. Ainsi a-t-il fait l’objet d’articles de presse en janvier 2013 relatant la présence d’un hélicoptère de Police surveillant le quartier (Andrieux, 2013). Plus récemment, suite à l’agression de plusieurs conducteurs de bus et de tramway avec des pointes laser, le journal régional Sud Ouest a relaté une descente de Police en octobre 2014 (Desplos, 2014). La station Les Aubiers a été privée de desserte durant plusieurs jours, pénalisant, de fait, l’ensemble des résidents. Cependant, les chiffres des faits constatés par la Police Nationale21 ne montrent pas une criminalité plus élevée dans le quartier par rapport aux autres quartiers sensibles de Bordeaux. Nous avons également interrogé les passants et les résidents afin qu’ils qualifient l’image perçue de leur quartier22. L'image véhiculée sur Internet ou par la perception populaire sur le quartier ont parfois un impact important sur son attractivité (Bassand et al., 2001). L’analyse de ces entretiens a été complétée par une recherche sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter23), en vue de mieux percevoir l’image véhiculée sur le Web du quartier. Le sentiment d’insécurité ressenti par la majorité des passants interrogés n’est pas retranscrit sur Internet, en dehors des journaux et des sites d’information en ligne. Les résidents du quartier publient, sur la toile, des photos d’eux-mêmes prenant le tramway, assistant à des rencontres de BMX, allant aux Berges du Lac, prenant un verre sur les espaces verts… autant d’éléments positifs de la vie quotidienne, et non un panorama de faits divers négatifs.
53Le quartier est rythmé par des évènements proposés au sein de la métropole vecteurs d'attractivité. Lors des manifestations de BMX, l’ensemble du site est animé (Cantat-Corsini, 2013). Ce temps éphémère (Chaudoir, 2007) constitue un point fort de l'attractivité (Ewing et al. 2006 ; Dannenberg et al., 2005) du quartier et de son rayonnement au sein de la métropole bordelaise en un court moment. Une pratique élevée de la marche à pied dans un quartier contribue à augmenter le capital social des individus en influençant la vie sociale locale (Rogers et al., 2011).
54Les parkings sont saturés et les personnes proviennent de l’agglomération toute entière. Les passants n’hésitent pas à traverser le cours des Aubiers pour rejoindre le terrain de BMX en venant du tramway. Les autres passants arrivent en grande partie en voiture, se stationnent où ils le peuvent (bords de routes, trottoirs, pistes cyclables…) et laissent place à une variété de parcours, souvent les plus directs, pour rejoindre le terrain de BMX.
55Ainsi, le quartier des Aubiers constitue un pôle attractif de par sa multimodalité mais aussi grâce aux événements qui rythment sa fréquentation. Malgré une image persistante de quartier « à problèmes », des opportunités de marche sont présentes au quotidien et lors des manifestations sportives.
56Le nouveau quartier de Ginko ayant vu le jour depuis 2010 (début du chantier), et qui ne cesse de se développer est implanté au nord de la résidence du Lac. Premier écoquartier de Bordeaux construit sur une forêt de pins bordant le lac, il a métamorphosé le quartier des Aubiers et l'a sorti de son isolement résidentiel. Avec l'objectif d'accueillir à terme près de 7000 habitants, il apporte une nouvelle densité à l'ensemble urbain. Néanmoins, les rez-de-chaussée de ce quartier auraient pu apporté une vie urbaine qui manque aux résidences du Lac et des Aubiers. En effet, les rez-de-chaussée de ce nouveau quartier sont organisés pour une grande majorité d’entre eux de la même manière que les résidences des Aubiers et du Lac : la plupart des rez-de-chaussée est aveugle, hormis en façade de l’arrêt de tramway. Les rez-de-chaussée sont majoritairement dédiés aux parkings (voir Figure 12).
Fig. 12 - Rez-de-chaussée aveugle et rez-de-chaussée ouvert à Ginko
- 24 Une page internet est dédiée à ce programme sur le site de la ville de Bordeaux 2030, disponible en (...)
57Globalement, on a une impression de continuité architecturale entre Ginko et les Aubiers indépendamment de la hauteur des bâtiments (plus faible à Ginko). Le tramway accentue cette continuité, notamment par le même traitement de l’espace public. Un programme ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine) est actuellement mis en place sur le quartier des Aubiers depuis 201124.
58Un parc, rythmé par quelques passerelles au-dessus des canaux, a été aménagé entre la résidence du Lac et le quartier. Ce qui était une forêt de pins s’est ainsi transformé en quartier d’habitation : 2200 logements, de multiples équipements, des services et des commerces. Depuis 2012, il accueille les nouveaux résidents. Le parc se veut être un lien entre les deux quartiers. Cependant, ce dernier est aménagé dans une logique de promenade intérieure et non conçu comme une connexion entre les résidences et le tramway.
- 25 Un regroupement sauvage de caddies s’est même constitué devant la résidence du Lac ; d’autres sont (...)
59La présence de caddies au pied des résidences privées (10 à 15 selon nos visites25) montre que les résidents se rendent à pied au centre commercial Auchan, de leur résidence au centre commercial. Cette distance représente, pour eux, environ 600 à 800 mètres de marche sur une surface relativement plane, ce qui correspond à un trajet effectué entre 9 à 13 minutes. En effet, 85% des trajets à pied se font à moins de 900m (Saelens et Handy, 2008).
60On peut se demander toutefois si les équipements de Ginko vont attirer les résidents des Aubiers (et vice versa) et faire ainsi naître de nouvelles porosités de marche à pied inter-quartiers. « Les Aubiers/Ginko, voisins dos à dos », est souvent l'image qui oppose ces deux quartiers (Ta Ninga, 2015). Comme le rapporte la journaliste Mila Ta Ninga qui a interrogé quelques résidents, les quartiers cohabitent mais ne fusionnent pas. On peut se demander dans le temps si l'environnement urbain construit à travers le parc et les canaux va ou non accentuer la différence entre ces deux entités ou au contraire les rassembler dans le temps, puisque finalement, l'animation des rez-de-chaussé qui contribuent à favoriser la marche à pied est peu mise en place à Ginko. Malgré la mixité sociale imposée au quartier de Ginko. On sait que rares sont les aménagements qui produisent le lien social attendu (Charmes, 2006).
61Aujourd’hui, les relations inter-quartiers existantes à travers la marche à pied sont tournées vers le nouveau quartier de Ginko, vers les centres commerciaux et le magasin de sport Décathlon, vers la ferme enfantine et le terrain de BMX, vers l’espace vert de Cracovie, vers la place Ravezies et vers le Lac (voir Figure 13). Quartier multiculturel, il accueille différentes nationalités. Très régulièrement, la communauté chinoise et la communauté réunionnaise se retrouvent par exemple sur les Berges du Lac pour un pique-nique collectif.
Fig. 13 - Parcours piétons inter-quartiers
62On rencontre également de nombreux joggeurs le long du Lac, habitant soit le quartier des Aubiers, soit celui de Ginko ou bien encore dans les nouveaux quartiers « mixtes » des Berges du Lac et du Tasta (Godier, 2006). Tous ces nouveaux logements reconfigurent entièrement la partie nord de Bordeaux, initialement vouée au tertiaire.
63Des bouleversements importants concernant les déplacements sont également à signaler. Le 1er février 2014, la ligne de tramway a été prolongée entre Les Aubiers et Les Berges du Lac, desservant ainsi le nouveau quartier de Ginko. Depuis le printemps 2015, la ligne de tramway dessert le Palais des Congrès et le Parc des Expositions, connectant ainsi le nouveau Grand stade de Bordeaux au centre-ville, en passant par le quartier des Aubiers.
- 26 Le Point infos sur le Projet urbain Les Aubiers-Le Lac a été implanté en mai 2014 à l'initiative de (...)
64Le tram-train du Médoc en provenance de Bruges et de Blanquefort devrait rejoindre la ligne de tramway à Cracovie au niveau de la friche de l’ancienne gare de triage d'ici 201726 (voir Figure 14).
Fig. 14 - Projets en cours et à venir autour du quartier des Aubiers
65La zone de chantier présente entre la résidence du Lac et le magasin de sport Décathlon est vouée à devenir, d’ici le second semestre 2016, un collège privé, un gymnase, ainsi qu’un mur d’escalade pour les compétitions.
66Aujourd’hui, le quartier des Aubiers est tourné tout à la fois vers l’arrêt de tramway et vers le site Ginko au nord-est. Avec l’aménagement à venir du Tram-Train du Médoc au sud-ouest, on peut se demander si on assistera, demain, à une réorientation du pôle attractif du quartier. Par ailleurs, sans doute faut-il d’ores et déjà s’interroger sur les nouvelles mobilités que pourrait faire naître ce nouveau mode de déplacement, accentuant le pôle multimodal des Aubiers.
67Afin d'étudier la marchabilité d'un quartier, il est nécessaire d'en comprendre le fonctionnement, au passé et au présent, pour envisager son évolution future.
68Le quartier objet de notre étude a longtemps tenté de tirer partie de son enclavement géographique en tissant des liens avec le Lac et les centres commerciaux, par la marche à pied. Aujourd’hui, au cœur des réseaux de déplacement de la métropole bordelaise, grâce au tramway, et connecté au quartier Ginko, ce quartier aurait pu développer davantage de porosité avec les quartiers voisins. Or, de nombreuses « barrières » mentales et physiques persistent.
69Établir la marchabilité à l'instant « t » - telle qu'elle est effectuée lors d'un audit de potentiel piétonnier (Evensen et al., 2009 ; Ewing et al., 2006 ; Pelletier et al., 2011 ) - serait réducteur par rapport au potentiel d'évolutivité de ce quartier.
70Lorsque l'on étudie un quartier ayant sans cesse fait l'objet de multiples aménagements pour tenter d'en gommer les faiblesses de sa conception, il est nécessaire de situer son étude dans son Histoire. Cela permet de différencier ce qui relève de sa conception et qui est difficilement modifiable, tels que le positionnement des entrées des résidences ou bien encore l'agencement des bâtiments permettant de laisser pénétrer la lumière naturelle jusqu'aux rez-de-chaussée.
71Différencier les passants des résidents pour analyser la marchabilité se révèle par ailleurs particulièrement utile. Cela met en exergue une différenciation claire des itinéraires selon les ambiances des espaces (Piombini, 2014). L'appropriation d’un quartier par les résidents s'illustre à travers un florilège d'itinéraires inconnus des passants, qui eux, se concentrent sur un axe et n'osent pas - ou peu - s'aventurer aux abords d’une résidence - telle celle des Aubiers -, en dépit de la présence de commerces, de services ou encore d'équipements.
72La prise en compte de l'attractivité et de l'image du quartier sont indissociables pour comprendre les itinéraires des passants et ceux des résidents. Les ambiances analysées, et notamment le sentiment de sécurité ou d'insécurité, permettent indéniablement de mieux comprendre l'influence de l'environnement urbain sur la marchabilité et livrent ainsi d’utiles enseignements.