1L’objectif que cette étude se propose de poursuivre s’inscrit dans une double orientation scientifique. D’un côté, nous essaierons d’explorer une nouvelle approche de la notion de ruralité urbaine, relevant de la portée des démarches durables actuellement établies dans bon nombre de pays occidentaux par une pluralité d’acteurs au sein de l’espace rural périurbain. De l’autre, la réflexion sur les potentialités d’une telle approche sera développée par le biais d’une mise en perspective critique des instances publiques et privées dont elle relève.
2De cette première distinction découle le choix de mettre en avant une évolution de la notion de ruralité urbaine se déroulant en deux étapes majeures : d’abord en terme de plateforme d’expérimentation – en évolution permanente – de formes nouvelles de durabilité ; ensuite comme étant le lieu de la mise en scène par les pouvoirs publics de l’application des principes du développement durable à l’échelle du territoire métropolitain.
3Tout en mettant en évidence les contradictions inhérentes à cette nouvelle forme de colonisation de l’urbain – dans son acception la plus centralisatrice et la plus consommatrice d’espace – sur le rural, l’étude ici présentée se propose l’évaluation de deux aspects majeurs de ce processus féodalisant; ils relèvent de deux types de conséquences, différents et complémentaires, engendrés au sein de l’espace agricole périurbain.
4Nous entendons par cela évaluer, et ensuite confronter d’une manière dialogique, à la fois les retombées physiques de cette dynamique expérimentale, menée dans le sillage d’une évolution durable des sociétés urbanisées, et la portée symbolique de cette nouvelle notion de ruralité soutenable. Si ce dernier aspect, socioculturel, sera tout particulièrement exploré par rapport aux réponses pourvues aux nouvelles attentes sociales vis-à-vis des périphéries urbaines, le premier enquêtera les problématiques à l’échelle spatiale qui découlent de la cohabitation de différentes conditions et types d’usage de l’espace agricole en milieu périurbain.
5Au fil de notre étude, la perspective de la construction d’une idée nouvelle de durabilité territoriale, à partir d’une reformulation du rôle des campagnes périurbaines et de la place des différents acteurs politiques, économiques et sociaux mobilisés, sera problématisée à travers une considération critique des formes variables de multifonctionnalité proposées au sein des espaces productifs.
- 1 En France, par exemple, le concept de multifonctionnalité en agriculture a été mis en avant par la (...)
6S’inscrivant dans l’optique d’une évolution durable du monde agricole, à partir de l’introduction – à l’occasion du débat sur Agenda 2000 – du deuxième pilier de la Politique agricole commune, fondé sur le développement rural, l’approche multifonctionnelle1 mobilise toujours une pluralité d’instances autour de sa reformulation, plus de dix ans après son lancement officiel (Hervieu, 2002).
7L’idée d’analyser l’évolution d’un certain nombre de projets, touchant un ensemble d’aspects socioéconomiques et culturels au sein d’un territoire métropolitain, tel que celui pris en compte ici, relève en effet de l’aspiration à interroger les transformations induites dans les espaces agricoles périurbains par une pluralité de démarches expressément conçues de la part des acteurs politiques locaux pour mettre à l’épreuve les paradigmes de la multifonctionnalité. Déclinés à l’échelle des attentes politiques vis-à-vis des complémentaires dimensions productives, sociales et environnementales des activités agricoles, ces paradigmes ont dû se confronter avec la mise en place d’une série d’actions programmées par les administrateurs locaux et ciblées sur la réalisation des objectifs de durabilité prévus par le législateur européen.
8Supportées par une dimension renouvelée de l’action publique, les activités alternatives à la production strictement agroalimentaire, relevant de l’approche multifonctionnelle plus haut mentionnée, semblent à présent engagées dans un plus vaste terrain politique et relèvent d’un défi plus crucial que celui lancé dans la décennie passée, pour le développement du territoire dans lequel elles sont intégrées (Groupe Polany, 2008).
9Cette hypothèse est nourrie par une série de considérations découlant d’une réflexion plus ample sur la notion même de ruralité, appréhendée dans les termes évoqués plus haut. Ces considérations sont spécifiquement calquées, dans le cadre de notre étude, sur les projets expérimentaux développés au sein du territoire métropolitain de Milan. Par le biais du cas d’étude milanais, nous entendons en effet mettre en place un cadre analytique plus complexe, voué à éclairer ce que nous avons présenté comme un moment fondamental de passage, pour la ruralité urbaine contemporaine, de sa condition de plateforme d’expérimentation à celle de lieu de la mise en scène des formes nouvelles de durabilité, portées à la fois par les logiques et par les discours politiques actuels.
10D’une surface d’environ 46.300 ha, le territoire du Parc agricole Sud de Milan présente les caractéristiques géomorphologiques et culturelles propres au paysage productif de la Plaine du Pô, historiquement marquée par une activité agricole intensive, notamment céréalière, et par un élevage principalement bovin et ovin. Pratiquée sur presque la moitié de la surface cultivée du parc, la céréaliculture représente encore aujourd’hui la principale activité productive du Parc, suivie de la riziculture (17 %), et des prairies (16 %) permanentes ou humides, comme dans le cas des marcite caractéristiques, eux aussi, de la Plaine du Pô et placées sous un régime spécial de protection.
- 2 L’auteur fait référence ici aux travaux du célèbre historien, philosophe et patriote milanais Carlo (...)
11Le territoire du parc est encore actuellement bien irrigué par un réseau d’entreprises agricoles, comprenant environ 1.400 exploitations (d'une taille moyenne de 33 ha) principalement vouées à la production céréalière et à l’élevage (Giacchè, Torquati, Scazzosi, Branduini, 2012). Toutefois, ce territoire se révèle de plus en plus exposé à la menace d’une banalisation importante des valeurs socio-économiques propres aux dynamiques agriculturales historiquement enracinées dans cette partie de la région métropolitaine milanaise (Calori, 2009). Un nombre croissant d’études concordent sur la possibilité d’accorder à cet espace protégé la valeur de contexte privilégié pour « expérimenter, au travers du projet, la théorie et la rationalité du Parc agricole comme une alternative à la crise des aires périurbaines et comme une option pour la reconstruction de la relation ville/campagne » (Coviello, Prusicki, Villa, 2009, p. 95). Cette dimension expérimentale propre à notre terrain d’étude trouverait sa raison d’être dans une pluralité des facteurs géographiques et socioculturels, liés à la remarquable valeur agronomique, paysagère et culturelle du territoire (valeur d’« entité sémiotique »2 Bocchi, 2010), et à l’étroite relation d’interdépendance historiquement établie entre Milan et sa campagne. De plus, du point de vue géographique, l’étendue considérable de l’espace protégé et sa proximité à une métropole comme Milan, important bassin des consommateurs potentiels des produits agricoles en provenance des entreprises locales, en font l’un des « parcs de ceinture métropolitaine » les plus remarquables sur l’ensemble du territoire national (Ferraresi et Rossi, 1993). De surcroît, son appartenance au réseau Fédération européenne des espaces naturels et ruraux métropolitains (Fedenatur, créée en 1997) témoigne, d’une manière générale, de l’intérêt des organismes gestionnaires pour la promotion et la visibilité internationale du territoire périurbain milanais. Plus particulièrement, la mobilisation des institutions et associations locales a été relevant pour la mise en valeur des atouts de ce parc périurbain : sa contribution à la construction d’une identité métropolitaine, son potentiel structurant, du point de vue à la fois environnemental et paysager, pour l’ensemble du territoire milanais, la diversité de ses fonctions écologiques, culturelles et socio-économiques (Moiroux, 2010).
12Le statut institutionnel de cette zone protégée relève, par contre, d’un emboîtement d’échelles complexe qui renvoie aux étapes récentes de l’évolution décentralisatrice de l’ensemble du système politico-administratif de l’État italien. Institué par une loi de la région Lombardie, entrée en vigueur en 1990, et placé sous la protection d’un organisme de planification et de gestion territoriale émanant du département autour de la ville de Milan, le Parc agricole Sud de Milan est en effet un parc régional gouverné par le niveau administratif intermédiaire du système politico-administratif italien, la Provincia.
13Afin de mieux saisir les enjeux institutionnels et politiques découlant de la création de cette zone protégée, il nous semble fondamental de préciser que l’organisation territoriale et administrative de l’Italie s’inscrit dans un schéma de partage des compétences dites « concurrentes » entre l’État central et les différentes régions plus ou moins autonomes, selon un mode de transfert de l’État vers les Régions en voie d’autonomisation (Merloni, 2002). Considérablement amplifié par une modification de la loi constitutionnelle de 2001, mais déjà reconnu dans la Constitution de 1947, le rôle des collectivités territoriales au sein du système administratif italien relève en effet d’une décentralisation très poussée, impliquant trois niveaux d'administration territoriale en complément de celui de l’État: les régions (Regioni), les provinces (Province) et les communes (Comuni).
14Partagées en régions « à statut spécial » (Sardaigne, Sicile, Vallée d’Aoste, Trentin-Haut Adige, Frioul-Vénétie Julienne) et régions « ordinaires » (les 15 autres), dont la décentralisation a été rendue effective seulement à partir de 1970, les régions participent à la législation nationale, dans le cadre unitaire de l'État, et disposent d'une autonomie statutaire. Suite à la modification de la Carte Constitutionnelle par deux lois de 1999 et 2001, cette autonomie a été considérablement élargie, et le processus de décentralisation fortement encouragé par la montée en puissance des petites et moyennes industries des régions du Nord-Est et du Centre (Coppola, 2003). Exception faite pour une vingtaine de matières dans lesquelles l’État conserve la compétence législative exclusive, le pouvoir revient en principe aux Régions. En outre, sur toute une série de matières est établie une compétence concurrente de l’État, qui fixe les principes fondamentaux, et des Régions, auxquelles revient le pouvoir législatif.
15Les deux autres niveaux de l’administration territoriale – Comuni et Province, auxquelles se sont récemment ajoutées les villes métropolitaines (Città metropolitane) – sont définies par le texte constitutionnel de 2001 comme des « établissements autonomes » disposant, tout comme les régions, d’une autonomie financière. Toutefois, leur autonomie normative est de rang inférieur à celle des régions et leur autonomie statutaire a été reconnue seulement en 1990 sur le régime juridique des autonomies locales. Elles ne possèdent pas d'autonomie législative, mais une autonomie réglementaire pour leur organisation interne et pour l’exercice de leurs compétences (Merloni, 2002).
- 3 Le projet de loi régionale est en effet l’émanation de deux articles d’un précédent décret national (...)
16Dans le cadre de notre étude, il est particulièrement important de souligner qu’en matière de gestion des zones protégées situées dans le territoire de la région Lombardie, l’autonomie des collectivités territoriales relevant des niveaux d'administration hiérarchiquement inférieurs à celui de la région a dernièrement fait l’objet d’une tentative de redimensionnement au profit de cette dernière. Un projet de loi proposé par l’Assemblée régionale lombarde au début de l’année 2011 prévoyait en effet une réorganisation totale des organismes de gestion des zones protégées situées au sein de son territoire. La proposition de loi comportait notamment un affaiblissement important du pouvoir décisionnel et financier attribué à ces organismes par les deux lois précédentes (1983 et 2007) et une conséquente montée en puissance des institutions régionales, au nom d’une « simplification » des procédures administratives à mettre en œuvre3. Comme dénoncé par le regroupement d’associations politiques et environnementalistes locales ayant géré pendant plusieurs mois un important mouvement de contestation du projet de réforme législative, un tel changement structural du système de gouvernance des parcs régionaux, si approuvé, aurait pu infléchir plusieurs aspects fondamentaux, à la fois politiques et socio-économiques, de la vie de ces territoires. Du fait de l’affaiblissement des organismes de gestion dépendants des niveaux administratifs provinciaux et communaux, toute décision au sujet d’un possible remaniement des limites géographiques et institutionnelles des zones protégées (notamment pour les parcs situés à la lisère des zones urbanisées) aurait relevé de l’autorité régionale, à l’instar d’un éventuel « déclassement » de la valeur juridique des outils de planification employés jusqu’à présent (Coordinamento Salviamo il Ticino, Circolo Legambiente di Abbiategrasso, 2011).
17Suite au remarquable mouvement de contestation mis en place, une modification considérable du texte original de réforme de la loi a vu le jour. Cette modification comporte l’écartement du risque d’une concentration trop importante des pouvoirs décisionnels et financiers au sein d’une même institution, la région. La montée en puissance de cette dernière relève d’ailleurs de l’adoption progressive du modèle décentralisé du système politico-administratif de l’État italien. En effet, la version de la loi finalement approuvée par le Conseil Régional en aout 2011 ne prévoit plus un transfert effectif des pouvoirs des organismes gestionnaires mixtes au conseil régional, mais plutôt une participation de représentants régionaux dans le Conseil de gestion des parcs (Legge Regionale 4 agosto 2011, no 12). De plus, le droit inconditionné pour l’institution régionale au remaniement des limites administratives des parcs ne fait plus l’objet des articles de cette loi, écartant ainsi le risque d’une éventuelle exclusion des zones industrielles ou urbanisées du périmètre des aires protégées. L’introduction de cette dernière modification dans le texte final de la loi représente l’un des acquis les plus importants de la bataille des associations locales, en plus d’une autre rectification importante de la première version, comportant l’exclusion de certaines aires protégées situées en milieu périurbain (notamment le Parc agricole Sud de Milan) des zones concernées par la nouvelle disposition juridique. En effet, le Parc agricole Sud de Milan, ainsi qu’un autre parc régional (le Parc du Ticino), avait fait l’objet d’importantes pressions politiques de la part du regroupement associatif et des citoyens sur les représentants des partis d’opposition au Conseil régional lombard (Coordinamento Salviamo il Ticino, Circolo Legambiente di Abbiategrasso, 2011). Du fait de sa condition de « parc de ceinture métropolitaine », le risque était ici plus important d’une nouvelle délimitation de la zone protégée, excluant les portions les plus proches à la lisière avec la ville de Milan, et donc les plus fragiles et plus concernées par la problématique du gaspillage de la ressource foncière, ainsi que par la réduction progressive des surfaces consacrées à la production agricole. L’une des particularités les plus exceptionnelles et remarquables de ce territoire risquait donc paradoxalement de devenir le point départ d’une dynamique de fragilisation progressive du régime de protection originalement prévu pour le Parc agricole Sud, régime expressément conçu, comme nous l’avons souligné plus haut, dans le but de contraster la perte de valeur et la marginalisation foncière des territoires agricoles périurbains.
18À la lumière de ces considérations sur l’encadrement politico-institutionnel actuel de notre terrain d’étude, nous pouvons maintenant mieux saisir le contexte territorial au sein duquel se sont recomposées, au fil des dernières années, les relations de cohabitation entre les acteurs politiques et économiques du milieu périurbain agricole du sud milanais. Dans la perspective d’analyser la nature des enjeux paysagers et environnementaux mis en avant par les collectivités territoriales, nous nous attacherons à l’étude des différentes étapes qui ont caractérisé le processus de lancement de l’un des projets les plus discutés de l’administration provinciale : le projet Metrobosco.
- 4 Notamment dans sa portion la plus proche aux franges urbaines milanaises, Cf. figure 1.
19Projet pilote lancé par la Provincia de Milan et mis au point au sein de l’élaboration de son Plan Stratégique 2006-2009 à l’échelle de la région métropolitaine milanaise (Progetto Strategico per la Regione Urbana Milanese « Città di Città », documento gennaio 2006,), Metrobosco a été conçu en 2006 par une multiplicité d’acteurs publics : la direction centrale Ressources Environnementales (Direzione centrale Risorse Ambientali) de la Provincia de Milan, ainsi que le Parc agricole Sud de Milan et Multiplicity.lab, laboratoire voué à l’étude des transformations territoriales et rattaché au Département d’Architecture et Planification (DIAP) du Politecnico di Milano. Une partie importante des territoires concernés par le projet Metrobosco se situe à l’intérieur du périmètre du Parc agricole Sud Milano4, dont l’organisme de gestion – émanant des institutions provinciales – est l’un des partenaires publics porteurs du projet.
20Suite au changement au sommet des institutions provinciales après les élections départementales de 2009, le projet traverse maintenant une phase de re-calibration de ses objectifs majeurs. Si l’on s’en tient aux propos de l’actuel Président du Conseil provincial, cette phase de transition vise à l’intégration de Metrobosco dans un plus vaste projet de reforestation concernant l’ensemble de la Provincia et non simplement – comme cela a été le cas pour le projet de Multiplicity.lab – la région métropolitaine milanaise (La Repubblica.it, Sezione Milano, 21/11/2009). Toutefois, la phase de stagnation que le projet traverse actuellement ne réduit pas, selon notre hypothèse, la valeur paradigmatique qu’il a revêtu dès son démarrage en 2006 jusqu’à l’année 2009. Au fil de l’évolution du territoire périurbain milanais des dernières années, Metrobosco a en effet représenté à nos yeux l’une des expériences les plus significatives de transposition à l’échelle de l’aménagement urbano-paysager des instances et des représentations politiques portées par les collectivités territoriales. De ce constat dérive donc l’intérêt d’une analyse des objectifs – même si seulement partiellement réalisés – de ce projet. Nous contextualiserons celui-ci dans le plus vaste cadre des outils de planification locaux mis en œuvre à partir de l’entrée en vigueur de la Politique Agricole Commune de 1999, pour ensuite essayer une mise en perspective critique de ses contenus, langages politiques et stratégies de conception, à l’horizon de l’Exposition Universelle de Milan 2015.
21Visant à l’aménagement d’une ceinture verte autour de la métropole (avec une surface d’environ 30.000 ha, correspondant au 15% du territoire départemental), ainsi que d’un vaste réseau de coulées vertes et de couloirs écologiques reliant les principaux espaces boisés de la région (figure 1), le projet était centré sur la construction de ce que ses concepteurs ont désigné par l’expression « palimpseste Metrobosco ». Entendu comme « programmation pragmatique adaptable aux caractéristiques des zones retenues pour le boisement, aux priorités de la durabilité environnementale, aux accords entre les acteurs concernés et aux financements auxquels il sont susceptibles d’accéder » (Progetto Strategico Città di Citta, documento gennaio 2009, p. 73), ce palimpseste prévoyait la définition de dix-huit typologies de bois qui, à leur tour, contribuaient à la constitution de huit scénarios thématiques différents pour le développement de la trame verte milanaise. Chaque scénario correspond à une fonction différente à prévoir pour les surfaces boisées, d’implantation nouvelle ou déjà existantes, dans le territoire du projet Metrobosco. Ces parcelles étaient vouées à la mise en place des dispositifs de différentes sortes avec des finalités complémentaires : agroforestation; rénaturalisation agricole et urbaine; production de biomasse à des fins énergétiques; phytoépuration en milieu agricole et traitement des eaux usées urbaines ; composition des barrières acoustiques végétales, des rangées d’arbres le long des axes routiers et des haies bocagères pour les parcelles agricoles; préservation de la continuité de la trame verte et de la trame bleue départementales (figures 2 et 3).
Figure 1. Le palimpseste du Metrobosco : périmètre des différentes zones d’intervention, juin 2008
Source : Multiplicity.Lab – DIAP Politecnico di Milano
Figure 2. Typologies d’intervention et dispositifs économiques pour les paysages boisés du projet Metrobosco
Source : Multiplicity.Lab – DIAP Politecnico di Milano
Figure 3. Typologies de bois et fonctions prévues par le projet Metrobosco
Source : Multiplicity.Lab – DIAP Politecnico di Milano
22Dans le cadre de cette tentative de reformulation d’un rapport plus équilibré avec la ville chef-lieu, un rôle fondamental était accordé à l’agriculture et à ses acteurs socio-économiques dans la lutte contre une forme de plus en plus extensive d’étalement urbain, tendant à générer une importante ségrégation socio-spatiale et à miter le paysage autour de la ville (Boutaud, 2008).
23En effet, comme il a été souligné dans le dossier de présentation du projet Metrobosco dans la revue trimestrielle de la Provincia de Milan (Brembilla, 2007), le réseau des entreprises productives présentes au sein du territoire concerné par le projet était susceptible d’assurer une forme diffuse et capillaire de protection et défense de l’espace libre, contre l’avancée de la densification indiscriminée des franges périurbaines. C’est donc à partir de la reconnaissance de cette fonction fondamentale à la survie des espaces non bâtis qu’un rôle clé était assigné aux entreprises agricoles dans la gestion des espaces voués au reboisement et à la renaturalisation. Cette stratégie visait à construire des opportunités nouvelles et une synergie directe entre les acteurs de la demande (les citadins) et ceux de l’offre (les agriculteurs) de services environnementaux et socioculturels (figure 4).
Figure 4. Proximité entre zones de reforestation (vouées à la circulation des espèces non domestiques de la plaine milanaise) et agriculture périurbaine, dans le projet Metrobosco
Source : Multiplicity.Lab – DIAP Politecnico di Milano (Boeri S.,BioMIlano, 2011)
24C’est donc en redéfinissant la place des agriculteurs au sein d’un projet à vocation culturelle et écologique, tel quel Metrobosco, que la Provincia de Milan avait dès 2006 entendu rejoindre les bases d’une approche renouvelée de la multifonctionnalité, bases déjà établies par le législateur européen. Par ailleurs, le potentiel innovateur d’une telle manière d’entendre l’agriculture périurbaine avait été placé au cœur d’une campagne de communication directe à un vaste public de populations urbanisées et de travailleurs des fermes périurbaines.
25Si analysées en profondeur, les perspectives envisagées par la réforme de la PAC de 1999 semblent nourrir le propos de travailler à la reconstruction d’un « nouvel équilibre territorial entre ville et campagne plus soucieux des qualités paysagères et environnementales » par le biais d’un programme de reboisement, renaturalisation et entretien de l’espace libre périurbain, programme intégré et partagé entre acteurs publics et privés.
26C’est d’ailleurs à cette réforme de la PAC que se réfère directement le principal outil de planification départementale en matière de développement agricole, au sein duquel les bases du projet Metrobosco ont été posées : le Piano Agricolo Triennale (PAT) de la Provincia di Milano pour la période 2007-2009.
27Inauguré en aval du processus de réforme déclenché par la discussion autour de Agenda 2000 et culminant, comme nous l’avons déjà vu, dans l’introduction du deuxième pilier de la PAC, le Plan Agricole au niveau départemental (Piano Agricolo Provinciale) s’inscrit dans le sillage de la politique de développement rural lancée par l’Union Européenne, et ensuite déclinée à l’échelle du contexte politique italien, avec le Piano Strategico Nazionale (PSN), et à l’échelle de la Région Lombardie, avec le Programma di Sviluppo Rurale (PSR).
28À partir de la première période de sa mise en place (2001-2003), le PAT répond à la logique, mise en avant au niveau européen, d’introduire une programmation négociée entre les échelles régionales et départementales. Il a en effet représenté pour la Provincia l’occasion d’introduire des éléments d’inflexion sur la politique publique de niveau hiérarchique supérieur, notamment dans la définition d’orientations et stratégies d’actions pour les secteurs agricole et zootechnique.
29En travaillant à la transposition à l’échelle du territoire départemental des trois objectifs majeurs cernés par le PSR de la Région Lombardie – accroitre la compétitivité du secteur agricole lombard, valoriser l’environnement et l’espace naturel, améliorer la qualité de vie en milieu rural – la Provincia de Milan retrouve dans la promotion de l’approche multifonctionnelle de l’agriculture l’un des piliers de sa politique agricole, notamment en réponse au deuxième objectif de l’administration régionale.
30La valorisation du patrimoine environnemental, économique et socioculturel propre aux espaces agricoles périurbains était donc au centre des intérêts de cette nouvelle phase politique, et l’implication plus directe des agriculteurs locaux dans les démarches décisionnelles et de gestion du territoire constituait un important dispositif de l’action publique. C’est ainsi qu’au fil des dernières années les administrations provinciales se sont proposé de contribuer à la réinvention de la place des agriculteurs périurbains dans le cadre d’une série d’activités prévues pour le futur du territoire départemental et relèvant de l’approche multifonctionnelle envisagée.
31Or, deux thématiques principales, développées d’une manière extensive au fil de la documentation du PAT, nous semblent renouer avec les objectifs principaux réalisés dans la phase de démarrage du projet Metrobosco; elles concernent tout particulièrement les campagnes de reboisement en milieu urbain et agricole et l’investissement public et privé dans le secteur des agro-énergies. Au niveau de l’action politique publique, elles posent aussi les prémisses des stratégies de revalorisation environnementale et paysagère des territoires périurbains, tout en constituant des outils efficaces pour contraster le phénomène croissant de consommation des espaces agricoles périurbains et la conséquente marginalisation foncière et socio-économique de l’activité productive.
32Le remarquable investissement dans la filière des agro-énergies, touchant à la fois le système de support financier et la programmation de la politique publique au niveau régional et provincial, constitue l’un des principes directeurs de l’action de planification conjointe, menée au fil des dernières années par la Regione Lombardia et la Provincia di Milano en matière de développement rural.
33Dans le cadre d’un programme général de valorisation des ressources socioéconomiques existantes dans le milieu rural de la région métropolitaine de Milan, les cultures énergétiques ont revêtu un rôle fondamental; si intégrées dans une gestion optimisée des ressources territoriales, elles pourraient représenter un outil efficace à même de soutenir une évolution durable de la société rurale (PSR 2007-2013; PAT, 2007-2009).
34Or, dans le cadre de notre analyse, il nous semble important de souligner comme la durabilité à laquelle les documents planificateurs font appel relève de la complexité des aspects écologiques, économiques et socioculturels pris en compte pour la construction même de la notion de durabilité, telle qu’elle a été cernée dès ses origines par le Rapport Brundtland (Notre Avenir à Tous) en 1987.
35Les administrations lombardes ont en effet évalué l’importance stratégique des cultures agro-énergétiques à l’aune d’une pluralité de points de vue, concernant une dimension à la fois environnementale et paysagère :
(…) en tant que sources renouvelables, elles répondent à des instances de nature environnementale mais aussi socio-économique, puisqu’elles peuvent contribuer à un développement plus équilibré des territoires ruraux, tout en représentant une source de revenus complémentaire; elles endiguent les processus d’abandon des zones agricoles les plus défavorisées; elles assurent la disponibilité d’une source d’énergie alternative pour le bienfait de toute la société; elles s’inscrivent dans une gestion plus rationnelle de l’espace rural, entraînant des potentiels effets positifs à l’échelle paysagère, ainsi qu’au niveau de la préservation de la faune et de la flore, et en général de la biodiversité. (PAT, 2007-2009, p.94)
36En poursuivant l’objectif de l’acquisition d’une position stratégique au niveau européen et national dans le secteur des agro-énergies (principalement dans la production d’énergie issue de biomasse forestière résiduelle et dans la diffusion des cultures dédiées à la biomasse), la Provincia de Milan comptait donc renouer avec la perspective, poursuivie en concertation avec la région, d’un développement soutenable et plus équilibré du milieu rural périurbain. En plus de la diversification et intégration des revenus des entreprises agricoles et de l’accumulation des crédits-carbone (en accord avec les objectifs fixés par le Protocol de Kyoto), la légitimation du rôle social revêtu par les agriculteurs et les forestiers ainsi que la reconnaissance des valeurs paysagères des espaces agricoles en milieu périurbain figurent dans le PAT comme deux possibles conséquences positives de la stratégie d’implémentation de la production d’énergie par biomasse ou biogaz.
- 5 Cf. la notion de « reboisement compensatoire », déjà introduite au niveau national par le Décret-lo (...)
37Tout comme le développement de la filière des agro-énergies, les activités de reforestation en milieu urbain et agricole représentent un autre objectif majeur de l’approche multifonctionnelle adoptée et mise en œuvre par le Plan Agricole de la Provincia de Milan, et cela en raison de la pluralité des potentialités propres aux surfaces boisées du territoire départemental. Elles sont à valoriser, à protéger et leur éventuelle réduction est à compenser5, puisqu’elles remplissent des fonctions de production d’énergie verte, par la combustion en chaudière de leur bois résiduel, d’absorption de CO2 et de protection de la continuité de la trame verte métropolitaine et régionale. Enfin, les opérations de reforestations répondent aussi aux attentes sociales en matière de paysage et de qualité du cadre de vie.
38C’est à partir de cet éclaircissement du cadre législatif régional et départemental que nous pouvons enfin revenir sur les expériences menées au sein des différents scénarios portés par le projet pilote Metrobosco.
39Nous nous attacherons à l’analyse critique des activités vouées à la production d’énergie verte au sein du programme agricole et urbain d’agroforestation et de renaturalisation, pour ensuite essayer une mise en perspective critique de cette expérience pilote, de manière à rejoindre l’hypothèse formulée en introduction. Dans la deuxième partie de ce texte, nous esquisserons donc une évaluation des impacts engendrés par ces productions non alimentaires sur la structure paysagère et l’organisation culturelle du territoire milanais. Au cœur de notre réflexion se trouveront aussi les retombées au niveau des représentations et des attentes sociales vis-à-vis du paysage rural périurbain milanais, ainsi que l’émergence d’une nouvelle notion de ruralité urbaine, postulée dans l’hypothèse de cette étude.
40Ce qui est finalement en jeu dans notre analyse est la durabilité des propos qui ont nourri le discours politique porté par les acteurs publics de cette région métropolitaine, ainsi que les éventuelles incohérences ressortant d’une recoupage entre ces propos et les retombées effectives, à l’échelle spatiale et socioculturelle, des démarches novatrices établies au sein de la plateforme d’expérimentation de la ruralité urbaine milanaise.
41Si le palimpseste Metrobosco prévoyait l’implémentation de la filière des agro-énergies au sein de deux scénarios en particulier – ceux liés aux typologies du bois technologique-environnemental (bosco tecnologico-ambientale) et du bois productif agricole (bosco produttivo agricolo) (figure 3) –, les projets découlant de cette action programmatique à l’échelle territoriale se sont progressivement inscrits dans un contexte productif déjà riche en expériences du même ordre.
42Déjà à partir du premier Plan Agricole provincial 2001-2003, mais surtout avec l’entrée en vigueur du PAT 2004-2006, les institutions provinciales, en concert avec la Région Lombardie, ont activé une série de mesures spécifiques vouées à l’encouragement de la diffusion des cultures dédiées à la biomasse, ainsi qu’aux actions de reforestation d’un certain nombre de parcelles agricoles pour la production de biomasse forestière. Cette campagne incitative a notamment été menée au sein des territoires des franges urbaines remplissant une fonction productive moins rentable et devenue moins concurrentielle en raison de l’intensification du processus d’érosion des surfaces agricoles causé par l’étalement de la périphérie urbaine.
43En représentant, d’une part, une alternative efficace à la marginalisation et à la perte de valeur de l’agriculture périurbaine et, de l’autre, une forme d’occupation du sol capable de contraster l’avancée du bétonnage urbain, la perspective d’une évolution agri-énergétique de la multifonctionnalité de l’agriculture a été, depuis presque dix ans, adoptée comme stratégie majeure pour le développement soutenable des espaces agricoles périurbains de la région métropolitaine de Milan (Le agroenergie – Guida per gli agricoltori, marzo 2008).
44C’est dans ce cadre, construit par l’interaction entre différents niveaux institutionnels et à partir des orientations stratégiques mises au point dans la phase initiale du projet Metrobosco, que les acteurs socioéconomiques du Parc agricole Sud de Milan ont démarré une réflexion conjointe au sujet de l’opportunité de développer une nouvelle filière courte des agro-énergies. Une portion de leurs parcelles agricoles aurait ainsi été consacrée à la production non alimentaire.
45En tant que filière courte, celle-ci réunit une constellation d’entreprises agro-énergétiques de petite taille, comprenant à la fois les surfaces cultivées dédiées à la biomasse et les installations vouées à la valorisation des co-produits végétaux et déchets forestiers (chaudières). Dans ce cas de figure, les producteurs seraient eux-mêmes les consommateurs principaux des énergies vertes, étant donné que, à cause de la dimension restreinte de la production, seule une quantité limitée de chaleur pourrait résulter en excès et donc être cédée à des entreprises voisines, ou introduite dans un réseau local de télé-chauffage.
46Au centre de cette nouvelle initiative se trouveraient notamment les propriétaires des entreprises agricoles dont les parcelles se situent en proximité des franges périurbaines et constituent une interface entre milieu urbain et agricole de plus en plus fragmentée. Au sein de cette situation de parcellisation foncière progressive, la production de biomasse, telle qu’elle a été supportée par les orientations du PAT 2007-2009 et du PSR 2007-2013, s’inscrirait dans l’optique de la recherche d’une cohabitation plus équilibrée entre activités agricoles et fonctions résidentielles.
47La situation de proximité avec la métropole pourrait ainsi être interprétée comme une condition favorable, une opportunité à saisir pour les agriculteurs qui pourraient intercepter les instances sociales des populations urbanisées les plus proches, afin de démarrer un processus de diversification de leurs activités productives. En reformulant leur offre agricole en fonction de ces instances, un certain nombre d’initiatives d’ouverture des fermes écologiques à un plus vaste public de visiteurs pourrait être envisagé; ces initiatives pourraient aussi s’inscrire dans le cadre de programmes pédagogiques visant à rapprocher le monde agricole périurbain de celui de la métropole.
48Il apparaît pourtant clair qu’au sein des entreprises agricoles souhaitant orienter leur activités dans cette direction, la production d’énergie par source renouvelable ne représenterait pas une véritable source de revenu, à même d’établir une alternative économique efficace vis-à-vis de la perte de valeur de la production strictement agricole due à la marginalisation foncière des parcelles périurbaines. La production agro-énergétique au sein d’un filière courte, tout en assurant – dans la meilleure des hypothèses – des économies possibles grâce à la réalisation d’un modèle d’autonomie dans la production de chaleur, deviendrait plutôt une forme de marque distinctive par le biais de laquelle attirer un public différent de celui jusqu’à présent envisagé par l’entreprise.
49C’est donc afin d’encourager le développement de la filière des agro-énergies au sein des territoires du parc les plus proches de la ville, que la Provincia de Milan et l’administration du Parc agricole Sud ont, au fil du temps, mis au point une stratégie vouée à aider les entreprises à établir « un cadre plus agréable » de leur milieu de travail, dont un public plus vaste pourrait jouir. Dans ce sens, les entrepreneurs ont donc été sollicités à orienter les choix et les exigences de leur production de biomasse vers un objectif plus esthétique que productif ou strictement fonctionnel, par exemple par le biais d’un agencement de l’espace productif sous forme de haies bocagères ou bosquets de dimension limitées, avec l’emploi d’une formation végétale dite « secondaire » (Le agroenergie – Guida per gli agricoltori, marzo 2008).
50S’inscrivant dans la double perspective de la création, d’une part, d’une alternative financière à la crise de la production alimentaire en milieu de franges et, d’autre part, de la valorisation esthétique et paysagère du milieu rural périurbain, cette démarche nous semble rejoindre davantage le modèle des fermes agro-touristiques que celui de l’exploitation productive proprement dite. En effet, dans le cas de figure mis au point par les institutions lombardes, le démarrage d’une filière courte des agro-énergies en milieu périurbain pourrait mener à la mise en place d’un nouveau type d’entreprise agro-touristique ; une place centrale serait accordée ici à des programmes didactiques et pédagogiques voués à la divulgation et à la connaissance des problématiques concernant l’autonomie et l’efficience énergétique.
51Un exemple dans le territoire du Parc agricole Sud de Milan pouvant s’inscrire dans cette tendance est représenté par l’entreprise agricole Cascina Santa Brera « Terra e Acqua ». Depuis quelques années, cette entreprise propose un ensemble des services liés à la fois à son activité de production agricole biologique et permaculturelle et à son engagement dans la réalisation d’une forme d’autonomie énergétique, à travers la production de chaleur par biomasse. Avec environ 25 ha de terrains à disposition, la Cascina Santa Brera se situe au milieu d’un territoire de frange urbaine compris entre les centres urbains de San Giuliano Milanese et Melegnano, dans la partie sud de l’agglomération métropolitaine milanaise. Partagées en trois typologies différentes d’exploitation, les activités de l’entreprise assurent l’entretien d’un potager en permaculture, d’un élevage bovin de la race locale Varzese (lait/viande/travail) en voie d’extinction, et d’un bois taillis de 6 ha, voué à alimenter la chaudière à biomasse. L’approche écologique des activités d’exploitation agricole ainsi que le modèle multifonctionnel de l’agriculture étant parfaitement suivis, l’entreprise accueille depuis deux ans les activités de l’École des démarches durables du Parc agricole (Scuola di Pratiche Sostenibili) dans ses structures (un exemple d’architecture rurale traditionnelle padane restaurée en suivant une logique strictement conservatrice). Dans le cadre de l’offre formative proposée figurent des séminaires et des ateliers pratiques consacrés à l’étude théorique et à la pratique des différents aspects de la durabilité, déclinés à l’échelle alimentaire et énergétique : agriculture et jardinage biologique, apiculture, permaculture, soutenabilité et efficacité énergétique, auto-construction de panneaux photovoltaïques, etc…
52En suivant l’évolution de ce modèle « phare », en plein essor au sein du territoire du parc grâce à des multiples formes de soutien financier public, nous assistons à l’émergence d’un nouveau rôle pour les agro-énergies exploitées au sein des entreprises agricoles du milieu périurbain.
53En effet, elles sont en train de devenir une nouvelle fenêtre à travers laquelle ouvrir des canaux de communication entre le monde agricole et celui de la métropole, ou, en développant davantage notre réflexion, une manière de plus en plus diffusée de résoudre la question des conflits d’usage entre fonction agricole et fonction résidentielle au sein de franges urbaines (Torre, 2008).
54Ne pouvant pas se consacrer à une production massive de biomasse à cause de la surface réduite de leurs exploitations, les entreprises agricoles urbaines qui s’engagent dans une filière courte des agro-énergétique sont destinées à l’accomplissement d’une fonction différente de celle strictement productive; elle semblent plutôt se tourner vers la construction d’une réponse efficace aux instances sociales et politiques en matière de durabilité énergétique. C’est à l’intérieur de ce secteur, plus proche de celui de l’agritourisme – historiquement développé au sein des campagnes de l’Italie du Centre-Nord (Emilie-Romagne, Toscane, Ombrie, Marche) – que de celui de l’agriculture productive, que les acteurs politiques et socioéconomiques locaux situent le futur d’un nombre important d’entreprises agricole en milieu périurbain (Reho, 2009).
55Toutefois, une question importante surgit de l’analyse du cadre métropolitain milanais jusqu’ici présentée; elle nous permettra d’aborder un autre aspect de la problématique esquissée en introduction, pour rejoindre, en phase conclusive, notre hypothèse sur une nouvelle notion de ruralité urbaine.
56Est-il possible d’inscrire cette évolution des entreprises agricoles des franges périurbaines – perspective fortement prônée par les administrateurs locaux – dans la logique dualiste, passéiste et déjà autant méprisée, tendant à connoter l’espace rural comme inféodé à la ville et consacré à la satisfaction de ses besoins matériels et immatériels? En d’autres termes, l’introduction de la production agro-énegétique au sein des entreprises agricoles, tout en faisant recours à une image renouvelée de la ruralité grâce à la médiation de la technologie verte, ne renouerait-elle pas avec la vieille tendance à investir le paysage rural d’une charge symbolique et nostalgique, conçue à partir de l’observatoire centralisé et centralisateur de la ville?
57C’est dans la perspective de la recherche d’éléments de réponse à cette problématique que nous allons aborder, en conclusion de notre étude, la question du développement de la production agro-énergétique dans la région métropolitaine de Milan à partir d’un angle de vue complémentaire.
58Comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, le projet de développement d’une filière courte des agro-énergies au sein du Parc Sud, porté par les autorités locales, a été orienté, d’une part, à la valorisation du secteur énergétique comme alternative à la crise touchant l’agriculture des franges périurbaines, et, de l’autre, à l’intensification du processus de coopération entre les entreprises agro-alimentaires locales. Visant à établir une dynamique de transformation territoriale bottom-up, les collectivités territoriales se sont au fil du temps faites porteuses d’un ambitieux programme d’action transversale voué à l’expérimentation de démarches durables à l’échelle du territoire agricole périurbain.
59C’est dans la perspective de l’adoption des principes fondateurs du développement durable dans l’évolution socio-économique, énergétique et écologique des territoires agri-urbains qu’une telle déclinaison de l’approche multifonctionnelle de l’agriculture a été prônée par les administrateurs locaux; cette orientation de la politique publique développée au fil des dernières années semble se situe en rapport direct avec un plus ambitieux projet de développement territorial actuellement en cours.
60En effet, à partir de l’établissement du Plan de Développement Territorial 2007-2013 au niveau régional, l’attention croissante accordée par les pouvoirs publics locaux au développement des potentialités de la filière agro-énergétique dans les territoires du Parc agricole relève d’une envergure programmatique plus ample touchant l’échelle plus vaste de la région métropolitaine milanaise dans son ensemble.
61En effet, si nous contextualisons cette démarche publique dans un cadre géographique et problématique plus complexe, l’intérêt de son analyse dépasse le simple niveau de la prise en compte des retombées physiques et symboliques des expériences de coopération entre acteurs socioéconomiques et institutionnels au sein du territoire milanais. Au cours des dernières années, les démarches publiques et privées vouées à encourager la production des agro-énergies ont paru rejoindre un niveau majeur de complexité; elles semblent de plus en plus se situer en rapport direct avec un autre évènement qui a marqué l’évolution de la région métropolitaine milanaise à différentes échelles problématiques.
62Nous nous référons ici précisément au processus entraîné par l’organisation de l’Exposition Universelle 2015 dans la ville de Milan, ayant comme thème le slogan « Nourrir la planète, énergie pour la vie ». Le débat sur le droit à une alimentation saine, sûre et suffisante pour toute la planète est au centre de l’ensemble des démarches organisées à l’occasion de l’Expo 2015; une réflexion approfondie sur la place de l’agriculture au sein des enjeux actuels des sociétés contemporaines devrait donc acquérir un rôle de plus en plus central.
63Ce constat se révèle d’autant plus fondé si nous considérons la manière dont le comité organisateur de cet évènement international (Bureau International des Expositions, BIE) a mis en avant le rôle de la production agricole dans un plus vaste horizon de croissance liée aux problématiques du développement durable. L’objectif principal de l’activité agricole, l’alimentation, est tout particulièrement appréhendé dans les termes d'« énergie vitale de la Planète, énergie nécessaire pour un développement durable basé sur une alimentation correcte et constante du corps, sur le respect des pratiques fondamentales de la vie de tout être humain, sur la santé. » (Dossier de candidature de la ville de Milan, septembre 2007)
- 6 « Préserver la biodiversité, respecter l'environnement en tant qu’écosystème de l’agriculture, sauv (...)
64De plus, la science et la technologie auraient un rôle clé à jouer dans ce cadre, puisqu’elles sont capables de mettre en œuvre des outils efficaces à même de répondre aux différents défis mis en jeu6, tout en poursuivant la perspective de la protection de l’environnement, entendu en tant qu’« écosystème de l’agriculture » (Mascaretti, 2009).
65Ce qui nous semble important de souligner est la manière dont la production d’énergie par source renouvelable, en général, et les technologies impliquées dans le processus de valorisation de l’énergie « verte », en particulier, ont été situées au centre de la campagne de candidature de la ville de Milan pour accueillir l’Expo 2015 (Dossier de candidature, septembre 2007); elles restent toujours un élément fondamental de sa stratégie de communication actuelle.
66Les énergies vertes représentent par exemple l’un des composants principaux du plan de masse mis au point pour l’aménagement de la zone de développement de l’Expo dans la périphérie nord-ouest de Milan (le Parc des expositions Rho-Pero). Ce plan a été élaboré par l’équipe internationale d’architectes, urbanistes et ingénieurs Expo 2015 S.p.A, dont font d’ailleurs partie les membres du Multiplicity.lab responsables du projet Metrobosco. Comme mis en avant par l’équipe dans la présentation du Masterplan 2010 (Expo 2015 S.p.A, le 26/04/2010), le processus de conception du plan de masse est fondé sur le propos que le site de l’Expo puisse en soi devenir un « modèle de soutenabilité environnementale » grâce aux modalités spécifiques de construction, gestion et agencement des espaces consacrés à abriter les activités qui auront lieu dans les six mois de la manifestation, mais aussi en vue de leur réutilisation future. Dans les intentions de ses concepteurs, à travers une planification adéquate et minutieuse de l’utilisation des ressources énergétiques à disposition, le site deviendrait un « gigantesque laboratoire d’expérimentation » de formes nouvelles de soutenabilité énergétique et en général environnementale. En suivant une approche intégrée de la soutenabilité déclinée à l’échelle du projet urbain et architectural, les stratégie vouées à la minimisation des consommations énergétiques seront ici couplées avec celles visant à l’optimisation du cycle de la valorisation des déchets, par le recours à des systèmes de cogénération et téléchauffage, mais aussi à travers la réalisation de bâtiments dont chaque composant puisse être totalement ou partiellement recyclé. Les points forts du volet « énergie » du programme de développement du quartier d’exposition sont l’adoption de dispositifs intégrés assurant des performances énergétiques maximales et en général l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments en construction, ainsi que le recours à des technologies à même de garantir à long terme la réalisation d’habitats passifs. La mise en place de systèmes d’exploitation de l’énergie solaire (photovoltaïque, solaire thermique, conditionnement solaire), hydroélectrique (microcentrales d’exploi-tation des mouvements d’eaux générés dans les canaux qui longeront le site de Expo 2015) ou de biomasse (cultivée dans les parcelles ou dans les serres implantées au sein du quartier) sont d’autres principes directeurs du processus d’aménagement du site (figure 5).
Figure 5. Plan de Masse du site de l’Expo Milano 2015. Stratégies de recyclage des matériaux et des composants des bâtiments, de réutilisation des eaux usées et pluviales et d’exploitation de sources renouvelables d’énergie
Source : Presentazione Masterplan 2010, Expo 2015 S.p.A
- 7 Voir aussi à ce propos le projet de 2005 de l’Atelier de paysagistes LAND financé par la Mairie de (...)
- 8 Ente Nazionale per l'Energia Elettrica, société nationale italienne d'électricité, principal produc (...)
- 9 Entreprise spéciale de la Chambre de Commerce, active dans les champs de l’internationalisation et (...)
67En conclusion, l’idée forte qui nous semble guider le processus de conception du quartier est de transformer le site du projet en modèle de durabilité à « exporter » vers la ville, pour ensuite le diffuser, à travers un télescopage d’échelle, du territoire métropolitain à celui de la région et, à long terme, de la nation ou du continent7. Un projet illustrant bien le premier passage – du site à la ville – du processus de colonisation engendré par la diffusion du modèle de soutenabilité énergétique promu par Expo 2015 est celui de « Milan centre mondial pour les énergies renouvelables ». Porté par Enel8 et proposé, avec 118 autres projets, dans le cadre des 9 sessions thématiques de l’Expo organisées par la Chambre de Commerce de Milan et l’agence Promos9, il prévoit la transformation de Milan en hub et gate énergétique au niveau mondial. Ville-modèle au niveau mondial dans l’utilisation d’énergies nouvelles, Milan deviendrait une porte d’entrée pour les investisseurs souhaitant mettre en place des projets centrés sur le développement des systèmes d’exploitation de sources renouvelables dans le continent africain, en suivant l’exemple du consortium Desertec, actif dans les territoires désertiques nord-africains (Gestore Servizi Elettrici, 2010).
68À la lumière de l’analyse de ces quelques projets prévus à l’horizon de l’Expo 2015, les recours aux énergies renouvelables semble toujours représenter, tout comme pour le projet Metrobosco, un point fondamental autour duquel les administrateurs publics ont structuré leur action politique ainsi que leur discours, principalement orientés vers la construction une image renouvelée et durable de la ville de Milan. En effet, la plupart des efforts des acteurs politiques locaux semblent avoir été tournés dans la direction d’un changement d’image radical de la ville : en abandonnant son statut ancien de métropole industrielle, polluante et porteuse d’un développement urbain convulsif, à l’horizon de l’Expo 2015, Milan vise à rejoindre le modèle de ville-manifeste des principes de durabilité.
69Dans ce nouveau cadre politique et à la lumière de l’analyse des thématiques au cœur de l’Expo 2015, les territoires périurbains, notamment ceux situés au sein d’une zone protégée comme le Parc agricole Sud de Milan, constituent une frontière géographique et symbolique fondamentale par rapport à laquelle la métropole nécessite aujourd’hui de se repositionner.
70Dans ses trois premières années de vie (2006-2009), le projet Metrobosco a sans doute mobilisé un ensemble important de ressources politiques et sociales et a constitué un laboratoire voué à l’élaboration de nouvelles pistes d’action et de solutions efficaces pour résoudre l’ancienne et toujours considérable problématique de la relation entre la métropole et sa campagne périurbaine.
71De nombreux autres projets ont entre-temps vu le jour, visant, à l’instar de Metrobosco dans sa phase de démarrage en 2006, à positionner l’espace agricole périurbain milanais au centre d’une pluralité de fonctions environnementales et paysagères ; ils ont envisagé la production agri-énergétique comme une perspective à poursuivre pour assurer un futur économiquement stable et un nouveau rôle social pour les entrepreneurs agricoles de la région métropolitaine.
72Toutefois, à la lumière de l’analyse des objectifs envisagés par les acteurs locaux à l’horizon de l’Expo 2015, ce qui s’impose est une mise en perspective critique des instances publiques et privées mobilisées par ces projets, eu égard à leur influence sur le plus vaste contexte géographique et sociopolitique dans lequel ils s’inscrivent.
73Comme nous l’avons observé au fil de cette étude, dans les documents planificateurs régionaux et provinciaux et dans le discours des acteurs politiques impliqués dans l’Expo Milan 2015, la production des agro-énergies, et en général des énergies renouvelables, a été prospectée comme une solution porteuse d’une évolution positive du monde rural contemporain, du point de vue aussi bien économique que socioculturel. Aux yeux des responsables des collectivités territoriales, elles sont aussi susceptibles d’endiguer la problématique de conflits d’usages survenant en situation de proximité entre fonction productive et fonction résidentielle en milieu de frange périurbaine. Toutefois, les problématiques découlant du choix de remplacer la production agricole par celle énergétique méritent d’être davantage analysées, tout comme celles, touchant une échelle plus vaste, relevant des interactions entre dynamiques de développement territorial et systèmes de production d’énergie par source renouvelable (Reho, 2009).
74Seule une stratégie pondérée, issue d’une analyse approfondie des dynamiques d’interaction et/ou des régimes concurrentiels éventuellement établis entre les cycles économiques liés aux deux formes de production – alimentaire et énergétique – pourrait contribuer à inscrire le futur de l’agriculture périurbaine dans une véritable durabilité. C’est d’ailleurs à cette forme de durabilité que l’on fait appel lorsque les enjeux principaux portés par les pouvoirs publics relèvent de l’optique de faire de la sécurité alimentaire, à l’échelle planétaire, un objectif fondamental du développement territorial. Un décalage important risque alors de se creuser entre le discours sur les perspectives de durabilité dans l’aménagement territorial, développé par les représentants institutionnels à l’occasion d’« évènements phares », tels que l’Expo 2015 pour la ville de Milan, et les retombées réelles, à l’échelle du cadre de vie des habitants, des démarches soutenables entreprises par les acteurs publics.
75En outre, c’est en aval d’une étude analytique sur les équilibres à établir entre la demande et l’offre locale dans le domaine des énergies renouvelables, que l’on pourra se retourner vers les instances publiques et privées ressemblées autour de la question de l’autonomie énergétique (Castoriadis et Cohn-Bendit, 1980). Dans le même ordre d’importance se situerait aussi une plus vaste réflexion sur les relations entre normes et représentations sociales autour du volet énergétique du développement durable ainsi que sur les comportements des particuliers et des collectivités en matière d’efficacité énergétique et de maîtrise des usages de l’énergie (Zélem, 2010).
76Ce qui ressort en conclusion de notre analyse du cas milanais est l’ampleur des implications problématiques propres aux démarches durables mises en place par les pouvoirs publics au sein de la ruralité périurbaine. L’idée de faire évoluer le modèle traditionnel de la production agricole, à travers la médiation de nouvelles technologies vertes, se configure comme une perspective séduisante, surtout si on l’évalue à partir de la possibilité d’établir une dynamique de compétitivité économique dans le champ de la production d’énergie par source renouvelable. Le risque est pourtant élevé de se situer à nouveau dans l’optique d’un partage manichéen entre ville et campagne, construit dans la plupart des cas à partir de l’observatoire centralisé – et centralisateur – de la ville, à l’origine d’un point de vue déséquilibré et d’un regard extrêmement partiel sur la ruralité (Vidal, 2011). C’est à l’émergence de cette problématique que nous nous sommes rattachés lorsque nous avons mis en avant le risque d’un glissement épistémologique dans la transition d’une manière d’entendre la ruralité urbaine comme plateforme d’expérimentation de démarches durables (impliquant une pluralité de dimensions problématiques qui s’inscrivent dans une échelle territoriale plus que locale) à l’image aplatie d’un espace dévolu à la mise en scène des « bonnes pratiques » de la durabilité. Si l’on procède dans cette dernière direction, une occasion importante pour une évolution effectivement soutenable du monde rural aurait été perdue, et la pensée ordinaire de l’urbanisme pour l’urbain aurait poursuivi sa course dans la même direction qu’elle est en train de suivre depuis longtemps.
77Les agro-énergies représentent dans notre hypothèse une occasion extrêmement importante pour essayer de marquer un changement de perspective vis-à-vis des représentations sociales de campagnes urbaines d’aujourd’hui. Toutefois, seule une connaissance approfondie des retombées économiques et socioculturelles de ce genre de projets au sein des territoires dans lesquels ils s’inscrivent pourrait écarter le risque de réduire la plateforme d’expérimentation sur laquelle ils sont conçus et construits à un réceptacle hétérotopique (Greimas, 1970) où abriter toute démarche indispensable mais incompatible avec le milieu urbain.
78Pour que la ruralité (notamment dans sa dimension périurbaine et telle qu’elle est mise à l’épreuve par les enjeux durables actuels) demeure une véritable plateforme d’expérimentation, une place fondamentale devrait être, à nos yeux, accordée aux interactions entre les différentes disciplines porteuses des formes de connaissance et des méthodes d’analyse complémentaires (Vidal et Fleury, 2009). Les sciences sociales, économiques et agronomiques, à côté des disciplines liées à la conception urbaine et paysagère, ou encore l’ingénierie civile et énergétique, une fois leurs savoirs et expertises croisés, devraient aller à la rencontre des véritables constructeurs de cette plateforme d’expérimentation : les agriculteurs. Le but final de ce croisement de regards serait de mettre ces habitants et constructeurs de la ruralité urbaine dans la condition de se positionner d’une manière plus critique vis-à-vis des orientations et des stratégies politiques que les pouvoirs publics élaborent pour leur cadre de vie sans faire recours, dans la plupart de cas, à un réel processus de gouvernance.
79En aval de l’analyse de l’exemple milanais, nous pouvons enfin constater que le maillon le plus faible de la chaîne se situe précisément dans le passage critique du discours politique aux pratiques réelles de la durabilité et notamment à la manière dont les acteurs locaux en font l’expérience directe dans leur cadre de vie quotidien.
80C’est alors dans le comblement de ce vide réel et symbolique qu’une « épistémologie » ou « sociologie des émergences » (Chouquer, 2011; Santos, 2006) trouvera sa raison d’être, la ruralité contemporaine pouvant en soit être appréhendée comme le lieu de son élaboration.