1Un des traits frappants de l’Argentine réside dans le contraste entre son urbanisation poussée et ses grandes étendues de faible densité de population. Près du tiers de la population du pays vit dans l’agglomération urbaine formée par la ville de Buenos-Aires et les 24 municipalités (nommées partidos dans la province de Buenos-Aires) du Gran Buenos Aires qui l’entourent (INDEC, 2010). L’Argentine est aussi un grand pays agricole : en 2010, c’était le sixième pays producteur d’oléagineux, et un des dix premiers exportateurs de céréales (FAO, 2012). S’y côtoient de grandes exploitations et entreprises de production agricole et une agriculture familiale qui fait actuellement l’objet de politiques publiques spécifiqueset à laquelle un secrétariat d’État est désormais dédié, après des années marquées par le manque d’appui et la diminution rapide du nombre de petites exploitations. Dans le même temps, le dépeuplement des zones rurales, d’abord vers les bourgs, puis vers les plus grandes villes, entraîne une réflexion croissante sur un développement rural complémentaire au développement agricole (Albaladejo, 2006).
2L’Argentine connaît un fort taux de pauvreté, notamment urbaine, de sous-alimentation et de carences nutritionnelles. Cela a conduit l’État fédéral et plusieurs municipalités, souvent avec l’aide des facultés d’agronomie des universités, à proposer des programmes d’agriculture urbaine pour les habitants les plus démunis. Dans le même temps, plusieurs initiatives ont visé la préservation et le développement des « ceintures » maraîchères des grandes villes, alors que la production de légumes et de fruits est aussi le fait de bassins d’approvisionnement éloignés des grands centres urbains. Parfois, les perspectives récréatives, paysagères ou patrimoniales du développement urbain ne sont pas absentes de ces initiatives (Tadeo, 2010). C’est le cas notamment dans la ville de Rosario, où certains jardins potagers sont inclus dans des projets de parcs urbains (Mazzuca et al., 2009).
3Une recension rapide de la littérature internationale montre que les justifications des projets d’agriculture urbaine et périurbaine sont variées et font référence à différentes visions de ce qu’est la ville (Duvernoy, 2005). Dans les pays dits « du sud », la justification première est souvent la lutte contre la pauvreté et la malnutrition, la ville étant vue d’abord comme un lieu de concentration de populations, notamment des populations les plus démunies (Fleury, 2005). Cet aspect alimentaire n’est pas absent dans d’autres contextes, avec la promotion d’une alimentation de proximité (Jarosz, 2008). La contribution de l’agriculture au bien public urbain touche d’autres domaines : environnemental, social, économique (Zasada, 2011 ; Poulot, 2008). Le maintien de terrains productifs agricoles peut aider à contingenter la croissance urbaine en accompagnant sa rationalisation (éviter le mitage, grouper l’habitat) et, éventuellement, à se protéger de certaines formes de mixité urbaine (Vianey et al., 2006). Les justifications écologiques (qualité de l’air, recyclage des déchets) sont également présentes dans certains projets d’agriculture périurbaine. Des justifications en terme de qualité de vie urbaine peuvent également être mises en avant, que ce soit en terme de préservation de patrimoine (naturel et culturel), d’habitabilité des villes (parcs urbains agricoles, espaces de loisirs) ou, plus globalement, de durabilité urbaine (Peltier, 2010).
4Les justifications du maintien ou de la création d’une agriculture urbaine, dans ses différentes formes, sont donc variées et peuvent être, pour une même ville, multiples. Cela a des conséquences sur le contenu des projets et sur les institutions urbaines qui vont soutenir cette agriculture. Dubbeling et al. (2011) soulignent que pour promouvoir l’agriculture urbaine, il convient d’identifier le « point d’entrée » le plus facile, c’est-à-dire celui qui va correspondre à la préoccupation urbaine la plus prégnante.
5Portés au moins techniquement par des institutions en charge de développement agricole (facultés d’agronomie, agences de développement agricole, etc.), les projets d’agriculture urbaine sont des projets inter-institutionnels, entre secteur agricole et politiques urbaines. Cela suppose non seulement de simples interactions entre institutions, mais la construction de ce que Manzanal et al. (2006) nomment des articulations inter-institutionnelles, c’est-à-dire un accord entre institutions sur des objectifs et un travail commun. Ces articulations peuvent être ponctuelles ou au contraire construites autour d’un programme d’action plus vaste, supposant une même vision du développement sur le temps long. Dans le cas des projets d’agriculture urbaine, de telles articultations sont difficiles à construire, notamment en raison des difficultés à développer une agriculture qui réponde à une demande urbaine (Duvernoy et Lorda, 2006 ; Peltier, 2010).
6Nous souhaitons, dans cet article, examiner plus précisément comment de telles articulations se construisent entre des institutions qui promeuvent une production agricole et des institutions qui portent un projet de ville – tacite ou explicite – dans leurs domaines de compétences.
7Dans le cas de l’Argentine, l’idée de favoriser l’agriculture urbaine connaît un essor particulier depuis la crise économique de 2001. Le nombre d’acteurs, d’institutions et de programmes qui concourent à ce projet est en train de se multiplier en engageant tous les niveaux de gouvernement : État fédéral, provinces, municipalités. Par exemple, un plan fédéral pour la multiplication de jardins potagers, le programme Prohuerta, a été mis en oeuvre dans plusieurs villes. Ce programme, qui vise à améliorer par l’autoproduction l’alimentation des familles urbaines et rurales qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, est bien antérieur à cette crise. Il est mis en œuvre par l’INTA, Instituto Nacional de Tecnología Agropecuaria, en charge de la recherche agronomique et de la vulgarisation agricole. Mais ces programmes nationaux, définis assez généralement, doivent s’intégrer dans les différents projets de ville portés par les politiques publiques municipales et pour cela, ils doivent s’articuler aux politiques municipales et contribuer à répondre à des questions urbaines.
8Dans cette communication, nous décrivons quelques-uns de ces projets qui visent à préserver, voire à développer une production agricole en ville ou autour des villes pour montrer leur diversité et les logiques qui leur sont sous-jacentes en termes de développement agricole, mais surtout de développement urbain. Nous nous interrogeons particulièrement sur la façon dont ces différentes logiques de développement sont articulées dans les projets d’agriculture urbaine ou périurbaine, en analysant leur contenu et, dans une certaine mesure, leur genèse, et les partenariats institutionnels et professionnels sur lesquels ils reposent.
9Les municipalités en Argentine sont de grande taille (tableau 1) et regroupent des villes plus ou moins denses, des petites villes et des espaces agricoles sous une même juridiction municipale. Partant des projets municipaux, nous prenons en compte, dans cet article, les projets d’agriculture urbaine, dans la ville dense, et les projets d’agriculture périurbaine, à plus grande distance des espaces bâtis continus.
10Nous analysons donc, pour chaque projet, les représentations des fonctions urbaines que les activités productives sont censées fournir, tant dans la phase d’élaboration du projet que dans celle de sa mise en œuvre. Nous cherchons à comprendre également comment ces représentations sont mises en adéquation avec les représentations de ce qu’est une production agricole, tant pour les institutions agricoles impliquées dans le projet que pour les agents qui y participent.
11Nous nous appuyons sur trois cas dans la Province de Buenos-Aires : Bahía-Blanca au sud, Moreno, une des municipalités du Gran Buenos-Aires et La Plata, ville située à sa périphérie et capitale provinciale (cf. figures 1 et 3). Le fait que ces trois villes soient situées dans la même province assure une uniformité des politiques agricoles (sous forme de projets ou programmes provinciaux ou fédéraux) qu’on peut y rencontrer. Elles correspondent à trois situations urbaines différentes : La Plata et Moreno, en périphérie et au cœur du Gran Bueno-Aires, participent de son dynamisme démographique, Bahía-Blanca est une ville moyenne dans un environnement rural.
Figure 1. Localisation des études de cas dans Province de Buenos-Aires en Argentine
Sources : MapQuest
12Les données sont constituées, pour chaque cas, par des documents officiels de présentation de ces projets, une dizaine d’entretiens et d’enquêtes avec les administrateurs, les agents de développement et les agriculteurs impliqués, des observations de réunions d’organisation de ces projets (plus particulièrement dans le cas de Bahía-Blanca). Ces entretiens ont été menés majoritairement en 2005 et 2006, mais ont été complétés par des observations plus récentes dans le cas de Moreno et Bahía-Blanca.
13La communication est organisée en trois chapitres, chacun décrivant le projet d’agriculture urbaine d’une de ces villes. Les projets sont finalement comparés dans un dernier chapitre de conclusion.
14Bahía Blanca est la principale ville au sud de la Province de Buenos-Aires. Elle joue un rôle de pôle de services (universités, hôpitaux, administrations) pour un ensemble de plus petites villes et elle est par ailleurs adossée à un important port d’exportation (céréales, produits pétroliers).
Figure 2. L’espace urbain et périurbain de Bahía Blanca et ses principaux espaces maraîchers en 2005
Sources : M.A. Lorda, 2005
15Néanmoins, cette ville ne connaît qu’une croissance démographique mesurée (tableau 1), alors même que l’espace réservé à sa croissance dans le codigo de urbanismo de 1986 était très vaste, et est encore loin d’être entièrement utilisé, malgré une extension urbaine notable sous forme de quartiers peu denses formés de maisons individuelles.
Tableau . Principales caractéristiques des municipalités mentionnées
Municipalités
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La Plata
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Moreno
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Bahía-Blanca
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Surface
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926 km2
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186 km2
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2300 km2
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Population en 2010
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654 324 hab.
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452 505 hab.
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301 572 hab.
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Population en 2001
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563 943 hab.
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380 500 hab.
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284 776 hab.
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Population en 1991
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521 936 hab.
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287 715 hab.
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272 191 hab.
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Densité de population en 2010
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701 hab./km2
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2 568 hab./km2
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131 hab./km2
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Distance de Buenos-Aires
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52 km
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17 km
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572 km
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Source : INDEC, Recensements de la population 1991, 2001 et 2010
16Bahía Blanca est située dans une zone de transition climatique, entre pampa humide et pampa sèche, mais elle est malgré tout entourée de zones d’élevage et de cultures. Les traces de celles-ci disparaissent petit à petit de la ville, bien qu’on puisse encore apercevoir des animaux pâturant à proximité de la ville.
17Plus près de la ville persiste une activité maraîchère, en général de plein champ. Certains producteurs sont des descendants d’immigrants italiens ; plus récemment ils ont été rejoints par des producteurs boliviens, ayant généralement commencé leur activité comme employés saisonniers, puis comme métayers, certains étant désormais producteurs à part entière. C’est une caractéristique qu’on retrouve dans plusieurs zones maraîchères en Argentine (Benencia, 1997 ; Calvente, 2010 ; Le Gall et García, 2010).
18Nous avons pu constater que cette activité est en régression constante, de nombreux maraîchers prenant leur retraite sans avoir de successeurs, en particulier dans les quartiers les plus proches de la ville. La présence continue de cette activité aux abords de la ville, est d’ailleurs peu à peu gommée de la mémoire des lieux, comme en témoignent certains changements de dénomination. Par exemple, une partie de Aldea Romana, ancien quartier d’ouvriers et de maraîchers italiens, a été rebaptisée Patagonia Norte, pour la relier symboliquement à un lotissement récent. Néanmoins, la faculté d’agronomie et la municipalité de Bahía Blanca ont conçu un programme de soutien technique pour le maraîchage, Programa de Promoción y Desarrollo del Cinturón Hortícola. Ce programme fonctionne depuis 1995 et emploie depuis lors des ingénieurs agronomes pour améliorer la production et sa commercialisation. En plus de cet appui technique, ce programme a favorisé l’articulation des différentes interventions liées à des programmes nationaux pour les petits ou pour les moyens producteurs (Cambio rural, Programa social agropecuario, Proinder). Le rôle du programme municipal apparaît clairement par rapport à ces programmes nationaux. Il a notamment permis de maintenir des groupes de producteurs alors que certains programmes nationaux tardaient à se mettre en place. Cela a été notamment le cas dans la localité de Cerrí, où la participation de la delegación municipal a été déterminante pour la continuité d’un appui aux petits producteurs maraîchers dans un contexte de fluctuation des programmes sectoriels (Lorda, 2005).
19En parallèle, depuis près d’une dizaine d’années, plusieurs projets visent à implanter une forme d’agriculture urbaine, sous forme de jardins familiaux ou collectifs.
20Au tournant des années 1990/2000, le programme Prohuerta était déjà implanté dans certains quartiers de Bahía Blanca, en s’appuyant sur des organisations locales urbaines (associations de quartier, groupes municipaux d’alphabétisation, militants) (Duvernoy et Albaladejo, 2003). En 2005, le nombre de familles participant à ce programme à Bahía Blanca était estimé à 800 (entretien avec un ingénieur agronome du programme Prohuerta de 1999 à 2005, juin 2005). À partir de 2001, la municipalité va intervenir plus directement en construisant son propre programme de potagers familiaux ou collectifs, à partir notamment de l’initiative d’un agronome privé (entretien novembre 2005).
21À Bahía Blanca, les programmes de développement de la production maraîchère, qu’ils concernent l’appui technique aux maraîchers ou la création de jardins familiaux ou communautaires, furent entrepris tant par l’État fédéral, dans le cadre de grands programmes pour lutter contre la pauvreté et soutenir la production familiale, que par la municipalité. De fait, on constate une certaine perméabilité entre ces programmes, qui a globalement permis la continuité du travail des ingénieurs agronomes auprès des petits producteurs ou des familles périurbaines : la municipalité assurait le relais dans les années 1990, lors des fluctuations et successions des différents programmes nationaux, le programme Prohuerta, géré par l’INTA, permettant le recrutement à plus long terme d’ex-employés municipaux fonctionnant jusqu’alors avec des contrats précaires. On ne peut toutefois pas parler totalement d’articulations interinstitutionnelles, au sens que donnent Manzanal et al. (2006) à ce terme. D’une part, si l’INTA, à travers la gestion de programmes fédéraux, et la municipalité paraissent conduire des projets ayant en grande partie des objectifs, des publics et des méthodologies similaires (travail avec des groupes de producteurs ou de familles), la concertation entre institutions reste limitée. Pour que les actions de toutes les institutions soient visibles, elles se concertent pour ne pas intervenir dans les mêmes quartiers, sauf dans le cas de la localité de Cerrí, où se concentre désormais la majorité des producteurs maraîchers. Dans tous les cas, l’articulation avec des institutions non agricoles paraît faible et réduite à une facilitation de l’implantation des programmes dans les différents quartiers (information, invitation aux premières réunions, prêts de locaux).
- 1 Réunion de la “Mesa interactoral sobre agricultura urbana », Municipalidad de Bahía Blanca, 18 octo (...)
22Le soutien à la production maraîchère mené conjointement par la municipalité et la faculté d’agronomie n’a pas empêché la quasi-disparition des maraîchages à proximité immédiate de la ville, alors même qu’il reste énormément de vides urbains. La spécialité maraîchère de la localité de Cerrí n’a été que très peu prise en compte dans les réflexions stratégiques menées dans les années 2000 (Municipalidad de Bahía Blanca, 2000). Pour ce qui est du programme de jardins familiaux et communautaires, ce n’est que récemment que ses finalités et sa mise en œuvre sont discutées au sein d’un forum élargi à plusieurs directions municipales et plusieurs institutions non étatiques1. Ce forum a d’emblée mis en discussion la finalité d’autoconsommation de la production et la possibilité de produire et vendre d’autres types de produits, par exemple dans les marchés de plein vent qui commencent à se mettre en place pour soutenir une petite production artisanale.
23Malgré la relative longévité des programmes de soutien à la production maraîchère et aux jardins familiaux à Bahía-Blanca, on peut donc conclure que ceux-ci sont restés isolés du reste du développement urbain, voire même des autres projets à caractère social. La production agricole en ville a été pensée sans grand lien avec d’autres institutions que celles directement impliquées dans la mise en œuvre technique des projets et de façon circonscrite, tant en ce qui concerne la population visée que les quartiers pris en compte.
24La Plata, capitale de la province de Buenos-Aires, grande ville administrative et universitaire, est au centre d’une zone industrielle et ouvrière historique (port d’exportation, frigorifiques sur la côte du rio de la Plata), mais elle est également un grand bassin de production maraîchère (fruits et légumes, fleurs) (Le Gall et García, 2010), bassin qui s’est développé du fait de sa proximité avec la ville de Buenos-Aires. Selon Bozzano (2002), sur une surface communale de près de 100 000 ha, 40 % correspondraient à un espace classifiable comme périurbain, mais l’espace réellement occupé par la ceinture maraîchère ne correspondrait qu’à 15 % de la surface communale à la fin des années 1990. Comme dans les autres ceintures maraîchères argentines, on retrouve plusieurs vagues d’immigration et de colonisation. Plus récemment, des migrants des provinces du nord du pays, puis d’origine bolivienne se sont installés comme maraîchers, le plus souvent en commençant à travailler pour d’autres producteurs. Si les productions restent encore assez diversifiées, on constate que des productions traditionnelles, comme l’artichaut, régressent au profit de légumes plus recherchés commercialement comme la tomate et le poivron. En termes de techniques de production, les entreprises de production disposant de serres et reposant sur l’emploi d’une main d’œuvre nombreuse, notamment saisonnière, se différencient nettement des exploitations familiales cultivant généralement de plein champ, ayant souvent des problèmes de commercialisation faute de moyen de transport.
25La faculté d’agronomie de l’université de La Plata (le département de développement rural notamment) accompagne depuis plusieurs années des projets de production visant à relier produit et territoire, comme dans le cas du vin de Berisso ou de la tomate dite « platense ». Elle accompagne ces projets à travers plusieurs programmes de développement agricole pour les petits et moyens producteurs. Le programme national Cambio Rural, fondé en 1993, et exécuté par l’INTA, visait à financer momentanément l’appui technique à des petits groupes de producteurs afin de les aider à transformer leur exploitation en entreprise viable. Quatre groupes de producteurs entraient dans ce programme en 2005. Le programme provincial Cambio Rural Bonaerense a démarré en 2001 sur des principes similaires, mais sous la conduite du Ministère de l’agriculture de la Province, qui finance l’appui technique d’ingénieurs agronomes. Neuf groupes de plus petits producteurs étaient concernés par ce programme autour de La Plata en 2005 et engagés dans une démarche de transformation des techniques de production pour supprimer les traitements phytosanitaires. Huit de ces groupes étaient situés dans le Parc Pereyra-Iraola et étaient engagés dans une démarche de production sans produits phyto-sanitaires.
26Le parc, d’une surface de 10 000 ha, constitue la coupure verte entre la tache urbaine du Gran Buenos-Aires et celle du Gran La Plata (figure 3). Son histoire est particulièrement intéressante puisque se sont succédé plusieurs formes d’activités agricoles et surtout de relations entre ces activités et l’État.
Figure 3. Emplacement du Parc Pereyra-Iraola (PPI) dans les communes de la tache urbaine du Gran Buenos-Aires
Sources : Wikipedia Commons
27La famille Pereyra acquiert au milieu du XIXe siècle une propriété de plus de 10 000 ha. Elle en transforme une partie en créant des parcs sur le modèle des jardins européens. Une fois divisée entre les héritiers, cette propriété de « l’aristocratie rurale » argentine va connaître des histoires fort différentes. Par exemple, l’estancia principale deviendra à la fin du XXe siècle un « club de campo », quartier fermé comprenant une école et un club hippique.
- 2 “Salvar este tesoro forestal y artístico estratégicamente implantado entre Buenos-Aires y La Plata (...)
28En 1949, le président Péron exproprie 10 000 ha, dont les estancias San Juan et Santa Rosa, chacune de plus de 2000 ha, à des fins de préservation et de récréation2. Deux ans après est inauguré le parc « De los Derechos de la Ancianidad » de près de 1000 ha, qui depuis lors est ouvert gratuitement au public. L’expropriation prévoyait également de réserver près de 1200 ha à la production maraîchère, en les ouvrant à la « colonisation ». Dans les années suivantes, des lots sont définis, d’une surface de cinq à dix hectares chacun, et des familles sont incitées à s’installer et à produire dans la zone du parc réservée à cet effet, avec un appui du gouvernement. Il pouvait s’agir de familles habitant à proximité, mais également provenant d’autres provinces et ayant été informées par des annonces faites à la radio. Certaines de ces premières familles sont encore présentes aujourd’hui sur les lots qui leur furent attribués à cette époque.
29Depuis lors, l’histoire du parc comme espace de production et même comme espace public suit en parallèle l’histoire politique de l’Argentine et de la Province – puisqu’il s’agit de terres publiques provinciales. Les familles installées dans la zone productive ne sont en fait qu’occupantes. De ce fait, la permanence de cet espace productif a été plusieurs fois menacée et, en 60 ans, plusieurs projets de déplacement des maraîchers vers d’autres zones agricoles, voire d’expulsion de ces derniers, ont connu un début de mise en œuvre, alternant avec des périodes de consolidation de la colonisation (dernier gouvernement du Président Perón) et d’appui aux producteurs (période actuelle).
30Ceux-ci se sont renouvelés grandement. Le droit d’occupation étant lié à l’activité de production, certains producteurs vivant et exerçant d’autres activités en ville ont pris des métayers (années 1980). Beaucoup d’occupants actuels sont arrivés récemment ; beaucoup, venant du nord du pays ou de Bolivie, exercent ou ont exercé d’autres métiers n’ayant qu’un rapport très lointain avec l’agriculture. On peut constater qu’à côté de ces familles qui vivent sur leur lot, d’autres lots sont utilisés par des personnes pluriactives résidant en ville.
31Ces producteurs ont commencé à s’associer (associations, coopératives) justement pour lutter contre les menaces d’expulsions, mais également pour demander une amélioration du secteur du parc où ils vivent (chemins, électricité). Les différentes fonctions attribuées au parc dès sa création (récréative, écologique, productive), associées à son statut de terres provinciales, où théoriquement les différentes municipalités sur lesquelles il est installé n’ont pas compétence pour intervenir, rendent complexe le statut d’un espace à la fois productif et résidentiel dans le parc. Cela rejaillit sur les formes d’agriculture permises et sur le statut des producteurs. Au début des années 1980, par exemple, à une époque où le gouvernement militaire cherche à déplacer les maraîchers dans d’autres zones productives éloignées, les producteurs commencent à être traités d’intrus. Dans les années 1990, marquées par un fort tournant libéral, période de grands projets immobiliers, recommencent les tentatives d’expulsion des producteurs du parc, faute de paiement des droits d’occupation de leurs lots. Ces tentatives d’expulsion dureront jusque dans les années 2000, seront combattues par les organisations de producteurs, qui obtiendront plusieurs fois un renouvellement de leurs contrats d’occupation (Morey, 2003).
32Le début des années 2000 marque un nouvel infléchissement dans la politique productive, et plus largement dans celle de la gestion du parc. Cette dernière a suivi globalement les mêmes oscillations entre des périodes d’abandon des finalités premières de l’expropriation et des périodes de tentatives de récupération et de protection du parc comme espace naturel (le parc a été déclaré réserve de biosphère en 2007). Un des arguments largement utilisés pour justifier l’expulsion des producteurs maraîchers du parc étant la pollution qu’entraîne leur activité, du fait de l’usage de produits phytosanitaires, un appui aux producteurs est proposé dans le cadre du programme Cambio Rural provincial, afin de les aider à augmenter le revenu qu’ils peuvent tirer de leurs exploitations et à passer en agriculture biologique. L’installation d’une partie du ministère de l’agriculture de la province dans le parc contribue à faire de celui-ci une vitrine de la nouvelle politique d’appui aux petits producteurs et à l’agriculture familiale, comme l’installation proche d’un des trois Instituts argentins de recherche sur l’Agriculture Familiale (IPAF Pampeano). Un marché de légumes produits dans le parc est d’ailleurs organisé tous les dimanches, période d’affluence théorique.
33De par sa position géographique limitant la jonction de l’agglomération de Buenos-Aires à celle de La Plata, de son histoire qui en a fait un lieu emblématique de la politique agraire du gouvernement national et de la propriété provinciale de ses terres, ce parc tient une place de vitrine dans les politiques des différents gouvernements aux échelles provinciale et fédérale. En revanche, il est très peu intégré dans les politiques des communes urbaines proches. Les producteurs et les ingénieurs agronomes qui les conseillent ont bien intégré ces échelles de fonctionnement du parc, à tel point qu’ils ont des contacts directs avec les ministères fédéraux (notamment le ministère d’action sociale). Malheureusement, une partie des revendications des producteurs, qui sont aussi en grande partie des habitants, ne concerne pas la production en tant que telle, mais l’amélioration de leurs conditions de résidences, mieux assurées dans les zones voisines par les communes.
34Avec son classement récent en tant que réserve mondiale de biosphère, il rejoint une nouvelle échelle globale d’action (Seppänen, 1999), ce qui aura sans doute des répercussions sur la souveraineté des autres niveaux de gouvernement sur cet espace et risque de contribuer à l’éloigner plus encore d’une gestion locale.
- 3 Le terme conurbano désigne à la fois une catégorie statistique qui décrit l’expansion de Buenos-Air (...)
35Comme d’autres localités voisines du Gran Buenos-Aires, la commune de Moreno a connu une croissance démographique rapide ces deux dernières décennies (tableau 1). Ceci peut s’expliquer en partie par sa localisation sur une des principales autoroutes conduisant à Buenos-Aires et sa desserte par ce qui est devenu une des principales lignes de chemin de fer de banlieue.
36Les mouvements démographiques sont en fait assez complexes, et ne peuvent se réduire à une périurbanisation par extension de la ville. Dans cette frange du Gran Buenos-Aires se conjuguent au moins deux mouvements. D’une part, la construction de quartiers fermés est en plein essor depuis 1990, sous différentes formes. Les classes moyennes de Buenos-Aires soucieuses de tranquillité, sécurité et de contact avec des éléments naturels viennent habiter ces quartiers fermés. Auparavant, ces communes étaient plutôt le lieu de résidences secondaires pour les habitants de Buenos-Aires (cf. Svampa, 2001). D’autre part, des migrants venant souvent du nord du Pays et des pays voisins, à la recherche de travail, s’installent dans des conditions précaires (villas) à proximité de Buenos-Aires.
37Cette commune a été durement touchée par la crise économique de 2001, puisqu’elle enregistrait alors 50 % d’actifs sans travail.
38La commune de Moreno est à la limite de la « tache urbaine » de Buenos-Aires (figure 3). Suivant la municipalité, plus de 30 % de son territoire est encore « rural » (Calvente, 2010).
39À l’origine, il s’agissait d’une zone d’élevage, avec la présence de grandes estancias au XIXe siècle. L’histoire productive de la commune doit cependant être replacée dans le contexte plus large du nord-ouest de Buenos-Aires qui, traditionnellement, fournissait la capitale en produits frais : principalement fruits et légumes, mais également fleurs et antérieurement produits laitiers (Barros, 2005). L’extension de la construction au nord de Buenos-Aires, sous une forme très consommatrice d’espace (countries) (cf. Svampa, 2001), a concentré la « ceinture maraîchère » vers l’ouest (Moreno, Merlo). Comme dans les autres communes étudiées, la production maraîchère (fruits et légumes) est désormais largement le fait de familles boliviennes, que ce soit sous forme de main-d’œuvre saisonnière ou permanente, ou qu’ils soient eux-mêmes producteurs sans être en général propriétaires des terrains (métayage ou locations généralement assez précaires). Ces producteurs ont pu créer plusieurs marchés de gros et associations dans les principales zones de production (Escobar, Moreno) (Le Gall et García, 2010).
40En 2001, le recensement maraîcher national identifiait 250 producteurs de fleurs, fruits et légumes et petits élevages (volailles, lapins) dans la commune. Les surfaces dédiées à ces productions auraient néanmoins diminué depuis lors (Calvente, 2010). Il reste également quelques élevages bovins extensifs et des grandes cultures.
- 4 Cette figure juridique, prévue par la Ley Orgánica de las Municipalidades de la Province de Buenos- (...)
41L’organisation de la municipalité de Moreno est différente de celle des autres municipalités car elle a procédé à ce qu’elle nomme une « décentralisation » interne en créant deux Instituts Municipaux4 en 2000. L’Instituto de Desarrollo Urbano, Ambiental y Regional (Institut de Développement Urbain, Environnemental et Régional, IDUAR) a notamment pour objectifs la réalisation de grands projets urbains, l’administration des terres publiques et la récupération et l’utilisation de terres privées délaissées à des fins sociales (construction de logements notamment). L’Instituto Municipal de Desarrollo Económico Local (Institut Municipal de Développement Économique Local, IMDEL) est chargé de développer la production locale, notamment primaire, et des activités économiques qui puissent diminuer le chômage de la population locale. Dans les deux cas, il s’agit de petites structures (quelques dizaines d’employés) qui tentent de mener des actions transversales par rapport à l’organisation classique des municipalités en secretarías, chargées chacune d’un domaine très délimité. Par exemple, l’IDUAR cherche à contrôler ce que son directeur nomme le « cycle du sol » (entretien de décembre 2006), c’est-à-dire récupérer des terres privées abandonnées ou gardées pour spéculation (par dons, en compensation d’arriérés d’impôts ou de privatisation d’espaces publics), les « re-qualifier » (connexion aux différents réseaux), et les utiliser pour des logements sociaux. La forme juridique des deux instituts leur permet de travailler dans différents projets avec des organisations (comme des ONG) et des financements extérieurs. L’aspect social des politiques menées se double d’une profonde volonté de rationalisation de l’action publique au niveau local et de contrôle de l’usage et de la valorisation du sol. En effet, la localisation de la commune entraîne deux phénomènes difficiles à contrôler : la captation de terrains et de la rente foncière par des investisseurs privés, et l’occupation spontanée de terrains par des personnes de peu de ressources. Une des finalités des deux instituts est de réguler ces deux phénomènes. L’IDUAR contrôle et planifie l’usage du sol et mène en parallèle une politique de redistribution foncière. L’IMDEL, en soutenant la production agricole locale, préserve la partie rurale de la commune de l’entrée de nouvelles populations.
42Comme beaucoup de communes périurbaines, Moreno a été lors des années 1990 un des sites du programme national Prohuerta, destiné à promouvoir la production familiale d’aliments pour l’auto-consommation, en association déjà avec la municipalité. Cependant, c’est avec la création de l’IMDEL que se met réellement en place une politique municipale de soutien à la production agricole à côté d’autres politiques de soutien économique. L’IMDEL continue à soutenir une « agriculture urbaine », sous forme de jardins et petits élevages familiaux (6000) et communautaires (250), mais mène également une politique de soutien aux « producteurs traditionnels » du secteur rural, avec une dizaine de professionnels. Il vise à « produire des politiques territoriales qui régulent l’avancée de l’aire urbaine sur l’aire rurale » (IMDEL, 2005, p. 2). De fait, il s’agit surtout d’un soutien aux productions intensives : maraîchages, petits élevages, floriculture. Il comprend le soutien à l’organisation des producteurs, un appui technique et une aide à la commercialisation (mise en conformité, salles de transformations, marchés).
43L’équipe qui s’y consacre est composée en général d’ingénieurs agronomes formés par la faculté d’agronomie de l’Université de Luján (certains enseignent d’ailleurs dans cette faculté), aidés d’étudiants en stage de cette même formation. L’amplitude des missions qui leur sont confiées va bien au-delà des compétences techniques acquises à l’université. Dans le secteur maraîcher que nous avons plus particulièrement observé, les agronomes accompagnent des producteurs d’origine bolivienne qui n’ont pour beaucoup qu’un accès précaire au sol, qui peut être remis en cause chaque année. Les tournées de terrain comprennent des observations des essais dans les champs de certains producteurs de nouvelles variétés proposées par les semenciers, des discussions sur leurs résultats comparativement aux variétés plantées traditionnellement, des observations des cultures commerciales des producteurs et des techniques qui leurs sont appliquées et leur nécessité (notamment les traitements phytosanitaires), des discussions sur la commercialisation, le fonctionnement du marché de gros (intérêt de l’équiper d’une chambre frigorifique, possibilité d’entamer une négociation sur ce thème). Ces agronomes jouent également un rôle d’animation locale (organisation de réunions sur tel ou tel thème technique), mais également de relais entre différents secteurs économiques de la commune (par exemple aviser qu’un fabricant de glaces cherche des matières premières).
44À l’aide de ses deux instituts municipaux, la municipalité mène à la fois une politique de requalification de la ville (antenne universitaire, plateforme multi-modale, récupération du patrimoine architectural, espaces publics et parcs), de rationalisation et de contrôle de l’usage du sol et d’amélioration des conditions de vie des habitants (régularisation des titres de propriété, construction de logements sociaux, incitation au développement d’activités économiques, embellissement de la ville et des espaces publics, politiques culturelles). Le soutien à l’agriculture urbaine et périurbaine sert ce projet en aidant à contrôler les espaces non construits, que ce soient les vides urbains ou les espaces encore qualifiés de « ruraux ». Par ailleurs, les propriétaires fonciers de domaines proches du centre urbain étaient encouragés à planter du soja pour éviter de laisser des terrains apparemment libres.
45L’IMDEL et l’IDUAR travaillent de façon assez séparée, mais ils partageaient en 2006 un projet commun de quartier urbain productif, qui combinerait nouveaux logements sociaux et parcelles productives. Situé dans la ville, il deviendrait de fait un espace public vert pour celle-ci.
46Ce cas constitue un exemple d’intégration à la réflexion sur la production de la ville des politiques agricoles périurbaines menées par la municipalité. Il repose sur une structure municipale encore originale en Argentine, celle des instituts municipaux. Cette structuration facilite la coordination entre les différents secteurs « municipaux » : aménagement, politique foncière, développement économique, développement agricole. Cette coordination, que nous avons pu constater, n’implique pas forcément de consensus sur l’avenir à long terme des systèmes de production présents, qui auront sans doute à justifier leur place dans le processus de requalification de la ville. Objectif à moyen terme et plan d’action sont bien définis et relativement consensuels dans cette municipalité, mais il n’est pas sûr que toutes ces institutions partagent la même vision de ce que sera la ville de Moreno et de la part qu’y peut garder l’agriculture telle que pratiquée actuellement.
47Ce cas constitue un exemple d’intégration à la réflexion sur la production de la ville des politiques agricoles périurbaines menées par la municipalité. Il repose sur une structure municipale encore originale en Argentine, celle des instituts municipaux. Cette structuration facilite la coordination entre les différents secteurs « municipaux » : aménagement, politique foncière, développement économique, développement agricole. Cette coordination, que nous avons pu constater, n’implique pas forcément de consensus sur l’avenir à long terme des systèmes de production présents, qui auront sans doute à justifier leur place dans le processus de requalification de la ville. Objectif à moyen terme et plan d’action sont bien définis et relativement consensuels dans cette municipalité, mais il n’est pas sûr que toutes ces institutions partagent la même vision de ce que sera la ville de Moreno et de la part qu’y peut garder l’agriculture telle que pratiquée actuellement.
48Ces études montrent que si ces différents projets ont répondu à une même situation de crise et d’urgence sociale, leur contenu diffère grandement en termes de relation avec le développement urbain, dans ses deux composantes de développement spatial et de développement de la cité. Il en va de même dans le lien qui est fait explicitement entre développement social (allègement de la pauvreté, meilleure nutrition) et développement productif agricole. Pour revenir à la proposition de Manzanal et al. (2006) citée au début de cet article, on ne peut que constater que les articulations entre institutions en charge du développement agricole et institutions en charge du développement urbain ou territorial ne sont pas toujours identifiables et que, si elles sont présentes, il n’est pas toujours facile de savoir si elles reposent effectivement sur un objectif commun à long terme.
49Comme l’illustre le cas de Bahía Blanca, le champ du développement agricole voire celui du développement de l’agriculture urbaine et périurbaine, a été l’objet ces dix dernières années de l’attention d’une variété d’institutions et de programmes de développement. La diversité de ces programmes reflète la diversité et la rigidité des catégories officielles décrivant les personnes produisant des biens alimentaires. Les habitants des quartiers périphériques impliqués dans ces programmes sont vus d’abord comme des producteurs d’auto-consommation, vision que commencent à questionner les organisations sociales présentes dans ces mêmes quartiers, envisageant, à travers la vente des produits dans des marchés de plein vent, une plus grande visibilité dans la ville de ce type de producteurs.
50L’activité agricole dans le cas du Parc Pereyra-Iraola sert clairement une finalité aux échelles du Gran La Plata et de la région métropolitaine de Buenos-Aires dans son entier : constituer une coupure verte dans l’urbanisation, tout en maintenant un patrimoine naturel et culturel reconnu. Le lien entre ces objectifs et les producteurs présents dans le parc paraît d’autant plus ténu que ces objectifs ne sont pas intégrés dans une politique territoriale à l’échelle de l’espace de vie des producteurs.
51Le cas de Moreno se distingue des deux précédents par l’intégration des politiques de développement agricole dans l’action municipale. Ces politiques sont exercées par un institut en charge plus largement du développement économique et rejoignent les préoccupations actuelles de l’institut en charge de ce qu’on pourrait appeler la requalification et l’aménagement de l’espace urbain. Le consensus actuel sur la préservation de l’espace rural et sur l’occupation des terrains libres ou libérables (ou trop facilement « occupables » de façon spontanée) par des activités de production se traduit par des actions coordonnées entre les différents services de la municipalité. Ce consensus repose sur un accord portant sur l’occupation actuelle du sol et sur sa rationalisation. Il n’est pas sûr qu’il débouche sur un consensus durable sur la place qu’est amenée à occuper l’agriculture dans la ville, tant en terme économique que d’infrastructure verte ou de patrimoine urbain.
52À travers ces trois études de cas, nous avons considéré trois figures de liens entre production agricole et développement urbain en Argentine. Au-delà du cas devenu emblématique de la ville de Rosario, nous avons pu montrer la présence de politiques d’agriculture urbaine et périurbaine dans plusieurs villes de la Province de Buenos-Aires. Leurs justifications sont multiples : la production agricole en ville peut répondre tant à l’objectif de créer une limite verte pour contenir l’urbanisation, à l’échelle municipale ou supra-municipale, qu’à celui de nourrir les populations les plus pauvres. Par rapport à la classification que propose André Fleury (2005, p. 3) des régimes de justifications de l’agriculture périurbaine, dans les pays du Suds et les pays du Nord, l’Argentine présenterait donc une situation hybride. Cet article souligne l’importance de l’échelon municipal pour comprendre le développement d’une agriculture périurbaine et les fonctions qui lui sont attribuées, en lien avec le développement urbain.
53En effet, nous avons constaté que, dans certains des cas étudiés, l’occupation du sol que représente l’agriculture à proximité des villes est identifiée comme un moyen de limiter une urbanisation rapide et inorganisée (du moins par les pouvoirs publics). En outre, l’agriculture périurbaine a été identifiée temporairement comme un palliatif à la profonde crise économique qu’a connue l’Argentine en 2001, une réponse imparfaite mais réelle à la pauvreté, à la désoccupation et à la malnutrition. En ce sens, l’agriculture périurbaine n’était pas nécessairement liée à une représentation de la ville dans sa dimension spatiale et d’espace de vie, mais répondait à une représentation de la ville comme lieu de concentration des populations les plus pauvres. Il n’est donc pas sûr que cet engouement récent pour cette agriculture persiste quand il n’est pas relié de façon plus pérenne à une réflexion sur l’aménagement de la ville.