1L’article s’intéresse à la place de l’agriculture multifonctionnelle dans les projets d’aménagement des élus des zones périurbaines. En France, les espaces périurbains sont des espaces de profondes mutations. Ils concentrent la croissance démographique sur des aires toujours plus larges. La montée en puissance de la fonction résidentielle de ces espaces, alors qu’ils conservent une agriculture dynamique, pose de nombreux problèmes quant à l’usage des sols. Les espaces périurbains sont engagés dans un processus de fabrique du territoire autour des paysages ouverts, par opposition aux espaces bâtis (Poulot, 2011). L’agriculture peut être incluse dans les projets de développement urbains à deux titres : la gestion de l’espace ou l’affirmation d’une identité spécifique (Martin et al., 2006, Bertrand et al., 2003). L’agriculture peut être utilisée pour délimiter la ville en matérialisant des coupures vertes ou être un vecteur d’identité à travers des productions typées et labellisées comme les appellations d’origine. En joignant les fonctions gestion de l’espace et identité, les élus affectent des valeurs symboliques et patrimoniales aux coupures vertes qui vont rencontrer celles des agriculteurs. L’instrumentalisation de l’activité agricole pour aménager l’espace pose problème si la dimension économique de l’activité agricole est occultée. Car alors, la participation des agriculteurs à la ceinture verte peut être fortuite (Vianey et al., 2006), ce qui peut saper la ceinture verte elle-même. La question posée dans l’article est donc celle de la contribution d’une activité économique sectorielle, telle que l’agriculture, à la fonction d’entretien de l’espace. Nous faisons l’hypothèse que la valeur du foncier est un élément clé qui permet de joindre la logique sectorielle des agriculteurs à l’approche territoriale des élus. D’autres outils existent, comme la contractualisation qui a été utilisée pour encourager les agriculteurs à prendre en compte des objectifs environnementaux et espérer un abandon à plus long terme des pratiques polluantes. Les contrats reposent sur un financement public, or c’est une ressource qui se raréfie actuellement et les agriculteurs ont toujours été méfiants sur la pérennité des fonds alloués aux contrats agro-environnementaux. Le foncier est au contraire une ressource que les élus savent mobiliser à travers leurs documents d’urbanisme.
2Notre analyse se réfère principalement aux champs théoriques de la géographie sociale qui permet de saisir les interactions entre les éléments de l’espace; cette géographie considère l’espace informé par le fait social et le traite en ayant recours aux apports et aux méthodes de disciplines humaines et sociales connexes. Nous utilisons la théorie des représentations et des pratiques sociales. Emprunt à la psychologie sociale, cette théorie permet à la géographie d’associer une analyse des réalités idéelles à celle des réalités matérielles. La théorie des représentations et des pratiques sociales (Abric, 2003) et celle de la construction de l’accord (Moscovici et Doise, 1992) sont les moyens de saisir les significations et les valeurs attribuées à l’espace, et de prendre en charge la construction de sens autour de la question de la place de l’activité agricole. Ces théories caractérisent les représentations sociales par deux traits complémentaires : leur historicité (produits de l’histoire, elles participent à l’histoire) et leur altérité, c’est-à-dire le fait qu’elles adviennent toujours dans le cadre de relations intergroupes.
3Nous commencerons par présenter les terrains d’études et les stratégies d’enquêtes. Nous verrons ensuite comment les élus urbains se représentent l’activité agricole et l’articulent à l’aménagement d’espaces naturels et identitaires. Les réponses des agriculteurs aux représentations des élus locaux seront présentées à leur tour, ce qui nous permettra, dans une partie de discussion, d’analyser les conditions pour la participation d’une agriculture vivante aux projets territoriaux des élus.
4L’agglomération lilloise se situe dans les régions densément peuplées de l’Europe du nord. La ligne fixant la limite des espaces denses passe au sud du bassin minier et à l’ouest de la région plutôt que le long de la frontière franco-belge. Au nord de cette limite, la densité moyenne des espaces ruraux est supérieure à 200 hab/km2. C’est dans ce contexte de forte densité rurale que se développe, dès la deuxième moitié des années 1970, la déconcentration des populations urbaines. Durant toute la fin du XXe siècle, l’agglomération lilloise est confrontée à une crise de reconversion de son économie autrefois dominée par l’industrie textile. Ceci affaiblit les dynamiques démographiques. Cependant, l’étalement urbain consécutif aux migrations résidentielles est un phénomène général qui touche l’ensemble des franges rurales de l’agglomération lilloise. La frontière franco-belge au nord et le bassin minier au sud forment deux obstacles qui déforment l’aire d’étalement et qui concentrent spatialement les migrations résidentielles (Serrano, 1999).
5L’agriculture lilloise se caractérise par une diversité des exploitations. L’évolution des structures montre un maintien de cette diversité en dépit de la spécialisation de certaines exploitations dans les grandes cultures (Idem). Une autre caractéristique de l’agriculture lilloise est la permanence de la vente directe. Celle-ci représente une tradition ancienne dans la région Nord-Pas de Calais. Elle a été favorisée par une agriculture diversifiée et productive dans une zone où la population est dense et nombreuse. La conjonction de ces deux facteurs a permis la poursuite de la vente directe, alors qu’elle a eu tendance à régresser avec la modernisation de l’agriculture. Compte tenu de la densité démographique régionale et du nombre régional d’exploitations agricoles, la vente directe est une activité qui est loin d’être négligeable à la fois pour l’économie locale et pour les exploitants agricoles (Debucquet et Lopez, 1998). Remarquons que, parallèlement au dynamisme démographique régional et en dépit de l’étalement urbain qui contracte l’espace agricole, l’agriculture reste un secteur de poids à la fois en volume et en productivité. Ainsi, le rendement moyen régional en céréales est nettement supérieur au rendement national (Idem).
6Le territoire de la région Centre se caractérise par une relative faible densité de population. La population est particulièrement étalée autour des grands pôles. L’espace occupé par les grandes aires urbaines est proportionnellement plus large en région Centre que dans le reste de la France. La couronne gagne en population par extension, mais aussi par densification. Néanmoins, la densité de la couronne périurbaine de Tours, comme celle des autres grands pôles urbains régionaux, n’est que de 25 hab/km2. Ces densités particulièrement faibles illustrent le caractère rural de ces espaces (INSEE, 2011).
- 1 Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne qui est destinée à favoriser l’agriculture p (...)
7L’agriculture d’Indre-et-Loire se caractérise par un potentiel de production élevé. Elle présente un visage diversifié puisqu’elle allie grandes cultures et cultures industrielles, cultures spécialisées (vignes) et élevages d’herbivores ou de porcs. Cependant, l’agriculture d’Indre-et-Loire a tendance à se spécialiser, compte tenu de la disparition plus rapide des petites et moyennes exploitations, ainsi que des exploitations orientées en vigne et en élevage (DRAF Centre, 2011). L’agriculture dans l’aire périurbaine de Tours présente partiellement cette diversité selon des micro-bassins de production. Les vignobles classés de Vouvray et de Montlouis-sur-Loire occupent le quart nord-est de la frange périurbaine, alors que la moitié est et sud est marquée par les grandes cultures. La forêt et l’élevage sont plus présents dans le quart nord-ouest. Du fait du risque d’inondation, la croissance du pôle urbain tourangeau s’est reportée vers les plateaux, entrainant une contraction de l’espace agricole, excepté dans les vignobles qui sont sanctuarisés (Serrano et Vianey, 2011). Pour les produits alimentaires, la vente directe n’est pas une tradition locale. Les densités rurales trop faibles ne permettent pas de soutenir un marché de consommateurs suffisant (Service de la statistique et de la prospective, 2012). Les nouvelles formes de commercialisation, telles que les AMAP1 ou la cueillette à la ferme, apparaissent mais restent très faibles (Brégeault, 2010).
8Les contextes lillois et tourangeau forment deux terrains contrastés quant à l’ancienneté et à l’imbrication de la ville et de la campagne et à la densité démographique. Le marché des terres agricoles est nettement plus élevé autour de Lille (4 900 à 5 900 €/ha) qu’en Touraine (moins de 2 900 €/ha). En même temps, il est plus fermé dans le Nord qu’en Indre-et-Loire (FNSAFER, 2005). Malgré ce handicap, l’agriculture lilloise obtient des performances au-dessus de la moyenne nationale et elle a une tradition de contact avec les populations urbaines via la vente directe, qui est ancienne et qui perdure. Dans le cas de Tours, le contraste entre la ville et la campagne reste plus marqué. Spatialement, la périurbanisation est un phénomène important, elle concerne des aires de plus en plus larges. Cependant, la densification consécutive à l’arrivée de nouveaux habitants ne modifie pas profondément le caractère rural des espaces périurbains. L’agriculture est dynamique mais ne privilégie pas le marché de consommateurs urbains. Les relations commerciales sont plus distendues.
9Le rapport de la société à l’agriculture et à la campagne s’est modifié. Ce sont désormais les fonctions d’entretien de la nature qui sont mises devant celle de production alimentaire (Donadieu, 1998). La question du rôle de l’agriculture dans l’entretien d’espaces naturels a été explicitement posée lors des entretiens. D’un point de vue méthodologique, nous avons procédé par entretiens semi-directifs auprès des élus urbains, des agriculteurs et des organisations consulaires agricoles. L’objectif des entretiens était de cerner les représentations de l’activité agricole, du développement urbain et de leur articulation, et ce, à un double niveau. Pour chaque catégorie d’acteurs, il s’agit de savoir quel est le lien qui est opéré entre le développement de la ville et l’agriculture. Pour les élus, il s’agit de comprendre comment l’agriculture est perçue en tant que composante du développement urbain. Pour les agriculteurs, c’est la proximité urbaine qui est mise en relation avec l’activité de production. Nous cherchons à avoir une compréhension des stratégies de chaque groupe d’acteurs en resituant leurs projets de développement dans la perception de l’environnement proche. Un deuxième niveau d’articulation est obtenu en croisant les représentations des agriculteurs et celles des élus. Cela permet de mettre en évidence les convergences et les divergences stratégiques.
10Deux situations ont été analysées car elles étaient révélatrices de l’articulation entre l’agriculture et le développement urbain : la réalisation d’une infrastructure routière et la création de parcs périurbains. Une nouvelle voie de communication a un impact important à la fois sur les exploitations agricoles et sur les projets des élus urbains. C’est un ouvrage linéaire qui, outre l’emprise foncière, désorganise le parcellaire. Il induit également une accélération de l’urbanisation en améliorant l’accessibilité des espaces desservis. C’est donc un moment opportun pour analyser une évolution des projets. Pour Lille, le cas retenu est le secteur de Comines, pour lequel une déviation a été réalisée en 2000. Pour Tours, il s’agit du passage de l’A85 dans le secteur de Druye (cf. Figure 1 et 2). Le secteur tourangeau étudié était relativement enclavé et épargné par l’urbanisation, l’ouverture de l’A85 a subitement inversé la donne. Les parcs périurbains étudiés sont le parc de la Deûle pour Lille (cf. Figure 1) et la Gloriette pour Tours (cf. Figure 2). Les parcs périurbains révèlent directement la volonté des élus urbains de s’appuyer sur l’agriculture pour aménager des espaces pour répondre à des attendes de citadins.
Figure 1. Localisation du parc de la Deûle et des communes enquêtées près de Lille
Figure . Localisation du parc de la Gloriette et des communes enquêtée près de Tours
11L’idée d’une agriculture comme instrument pour gérer l’espace s’impose progressivement auprès des élus urbains (Martin et al., 2006). Cette évolution est un changement fort car la vision d’une agriculture multifonctionnelle, produisant des denrées alimentaires et entretenant l’espace, conduit à une remise en cause de la place de l’agriculture dans le projet urbain (Bernard et Dufour, 2005). La place de l’agriculture, et donc l’intérêt qui lui est porté, est réévaluée pour sa capacité à assurer la fonction d’entretien de l’espace. La fonction de production n’est pas totalement évacuée par les élus mais elle devient seconde et est au service de la fonction entretien de l’espace (Vianey et al., 2006). Cela veut dire que l’activité agricole ne sert plus de référentiel pour structurer la vision du territoire et l’aménagement de celui-ci. C’est l’activité agricole qui doit être compatible avec le projet urbain et non l’inverse. Les élus ont une vision sélective de l’agriculture qui peut générer des effets ségrégatifs qui sont révélés au moment de l’aménagement de parcs périurbains.
12Compte tenu des fortes densités urbaines et du passé industriel, les élus de la métropole lilloise, tout comme ceux des communes périurbaines, sont confrontés à un déficit d’espaces verts. Par contre, les fortes densités des espaces périurbains créent une proximité avec les agriculteurs qui est valorisée par les élus.
« À Wambrechies, on ne veut pas urbaniser à tout prix. On est le poumon vert de la métropole. Dans notre commune, l’agriculture acquiert une fonction de loisirs ou d’accueil. Notre centre-ville et très attractif [du fait du château]. On veut développer un port de plaisance. On doit développer cette carte touristique et proposer un cadre de vie agréable aux habitants de Lille-Roubaix-Tourcoing (…). Il y a un attrait [des citadins] pour les gîtes ruraux, mais beaucoup d’agriculteurs n’y croient pas car ils s’estiment trop près de la ville. Il faudrait des gîtes à thème, des gites équestres par exemple. Il faut rester dans un système traditionnel, où l’on retrouve le contact avec les animaux, où l’on peut trouver une ambiance spéciale. Mais, on sent chez les agriculteurs une peur de perdre une vie intime (…). Il y a beaucoup de demandes de constructions, mais on veut surtout densifier le centre et maintenir le milieu agricole pour laisser les initiatives au monde agricole (…). [Les citadins] viennent se détendre, retrouver leurs racines. Il faut développer une logique d’animation du centre à travers des musées par exemple. Les agriculteurs ont un rôle à jouer en acceptant quelques inconvénients (…). L’entretien des chemins de promenade est actuellement confié à de grosses entreprises. Les agriculteurs pourront peut-être intervenir. » (Un élu de Wambrechies (Nord), entretien réalisé en 1998).
13L’élu montre un réel intérêt pour l’activité agricole. Elle est un élément important du cadre de vie et un atout pour l’attractivité de la commune et de ses activités touristiques. Bien que la perception de l’agriculture semble quelque peu idéalisée, celle-ci est perçue comme une activité économique à part entière et les opportunités commerciales dont les agriculteurs peuvent tirer profit sont mises en avant.
14Les espaces naturels sont devenus des éléments incontournables du cadre de vie. Dans le nord densément peuplé, ils sont d’autant plus valorisés qu’ils sont rares. Le seul espace forestier à proximité de l’agglomération lilloise est la forêt de Phalempin, qui s’étend sur 670 hectares et qui est trop fréquentée. De fait, les principaux espaces naturels sont les espaces agricoles. Or ceux-ci sont profondément humanisés compte tenu du niveau de productivité élevé atteint par l’agriculture et de la densité rurale (cf. Figure 3). À cela s’ajoute la tradition de vente directe qui crée une proximité entre les élus et les agriculteurs et qui est vectrice d’une image positive. Les élus opèrent un amalgame entre l’activité agricole et l’entretien d’espaces naturels. Au moment de créer des parcs périurbains, cela va faciliter l’insertion de l’activité agricole dans le fonctionnement du parc.
Figure 3. Délaissé mis en culture à Wambrechies
Source : Serrano, 1999
15La métropole lilloise vise à devenir une métropole internationale tertiaire. Elle poursuit une stratégie de reconquête de son image à travers le concept de ville renouvelée. Celui-ci comprend la redensification urbaine et la résorption des friches et l’insertion de la nature dans la ville. L’intégration de la nature doit permettre de renverser l’image de Lille. L’agriculture est reconnue comme une activité de production de bien public et comme une activité économique légitime. Elle est considérée comme un acteur à part entière du projet paysager (Rouget, 2011). Le parc de la Deûle est un instrument de cette reconquête.
16Au début des années 1990, la métropole lilloise entreprend de créer le parc de la Deûle, qui couvre un millier d’hectares. Le parc est localisé au sud-ouest de l’agglomération lilloise dans le périmètre des champs captants. À l’origine, le parc de la Deûle était destiné à protéger la ressource en eau, très menacée par les pollutions industrielles et domestiques. Cet objectif passe au second plan, le parc est structuré suivant trois sites insérés dans une zone intermédiaire agricole. Il s’intitule « le parc de la Deûle : reconstitution des milieux naturels et valorisation des composantes paysagères rurales du territoire périurbain et post industriel ». Deux objectifs sont visés : offrir une espace naturel et récréatif et être le lieu d’une agriculture productrice. Les trois sites centraux ont pour thématiques : la « nature retrouvée » (reconstitution et découverte de milieux naturels), la « nature domestiquée » (valoriser les paysages et les productions agricoles), la « nature rêvée » (parc botanique artistique). Les agriculteurs sont d’emblée associés aux réflexions et au fonctionnement du parc. Deux diagnostics agricoles sont effectués avec la chambre d’agriculture pour identifier et caractériser les exploitations concernées par le parc. Les agriculteurs sont associés à l’entretien des chemins, à la protection des habitats naturels en zone agricole. Ils bénéficient de formations pour l’intégration paysagère de leurs bâtiments et l’amélioration de leurs pratiques. L’implication des agriculteurs dans le parc est due autant à des raisons financières qu’à un objectif de maintien des surfaces agricoles (Estienne et al, 2008). Les agriculteurs, de leur côté, perçoivent la réalisation du parc de la Deûle comme un facteur de développement pour la vente directe et sont volontaires pour sa réalisation. Par sa surface et son ampleur, le parc de la Deûle est un élément majeur de la trame verte de la métropole lilloise.
Figure 4. Typologie des exploitations pratiquant la vente directe
Source : Serrano 1999 d'après Debucquet et Lopez, 1998
- 2 Dans les documents d’urbanisme, la zone AU est la zone à urbaniser. Ce sont les zones d’implantatio (...)
« On vient de loin, Joué était une ville béton, on introduit le végétal à outrance. La zone AU2 sera urbanisée en trois tranches. On a fait une simulation de 3000 logements. L’une des tranches sera un parc, on fera un mail végétal sur 90 hectares. On fait la ville, ce n’est pas simplement du lotissement. » (Un élu de Joué-les-Tours (Indre-et-Loire), entretien réalisé en 2006).
« On veut développer le tourisme. Dans ce cadre, la Loire à vélo est très positif. On va redessiner des chemins qui permettent de remonter du Cher jusqu’au centre bourg. Il y a un village de vacances prévu pour 2008 d’une capacité de 465 lits entre le bourg et la Loire à vélo. On pourra circuler depuis le grand moulin [moulins inscrits sur les bords de Cher] jusqu’au centre du bourg. Aujourd’hui, en Touraine, personne ne peut offrir 465 lits. On est en train de dessiner des chemins de randonnée dans le cadre de la communauté de communes de la confluence. » (Un élu de Ballan-Miré (Indre-et-Loire), entretien réalisé en 2006).
17À une autre échelle que celle de l’agglomération lilloise, les élus de l’agglomération tourangelle sont aussi confrontés à des problèmes de requalification de certains quartiers. Il ne s’agit pas de friches industrielles, mais des quartiers qui concentrent des logements sociaux dont l’image négative dégrade la perception de l’ensemble de la commune. La qualité du cadre de vie est alors avancée comme un moyen de redressement de cette image. Les espaces verts et agricoles sont perçus comme des écrins valorisants pour les nouvelles opérations d’urbanisme et pour une amélioration générale de l’image de la commune. Au-delà de l’amélioration du cadre de vie, c’est l’attractivité de la commune que les élus souhaitent améliorer pour l’installation de nouveaux habitants, mais aussi pour les activités sur la commune. De ce point de vue, les élus tourangeaux sont dans une logique de concurrence. Ils se disputent le développement économique et la croissance résidentielle (Serrano et Demazière, 2009). Les espaces agricoles sont un élément valorisant, mais ils servent à rehausser l’image du projet de développement; ils sont périphériques et non un élément structurant du projet.
« La municipalité a été élue en 1995 sur un projet de développement harmonieux et équilibré. (...) Du point de vue des espaces naturels, la politique se traduit en deux actes. Il y a eu l’acquisition des étangs de Narbonne pour environ 30 hectares. (...) On l’ouvre au public avec un guide. C’est une zone naturelle d’intérêt écologique faunistique ou floristique. Ce site se trouve à la limite de l’autoroute A85. (...) On a aussi acquis 30 hectares à la Gloriette, sur adjudication judiciaire. On a sollicité la société d’aménagement foncier et les structures rurales pour exercer un droit de préemption. (...) L’étang de Narbonne plus le château de Candé, qui appartient au conseil général, constituent le poumon vert du sud de l’agglomération. (...) Le terrain de la gloriette est un espace de loisirs pour les cerfs-volants. Il est en bordure du Cher et bénéficiera de la Loire à vélo. (Un élu de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire), entretien réalisé en 2006).
- 3 Zone Nd : classification au document d’urbanisme qui interdit la plupart des constructions. Les zon (...)
« Tout se vend à n’importe quel prix. Après avoir fini d'urbaniser l’est, il reste une réserve foncière de 50 hectares à l’ouest. On ne veut pas toucher aux espaces boisés au nord et l’urbanisation au sud est limitée par l’autoroute A85. On ne veut pas de ville à cheval sur une route. Tous les espaces boisés de la commune ont été classés. (...) On a classé 600 hectares de bois. Le centre départemental d’incendies et de secours aménagera les bois autour de son implantation. Il y a 300 hectares de bois communaux qui sont gérés par l’office national des forêts. Il y a un golf qui permet de sanctuariser les bois. Le pourtour du château est classé en zone Nd3. Il faut pouvoir valoriser les espaces classés tout en conservant le patrimoine. » (Un élu de Ballan-Miré (Indre-et-Loire), entretien réalisé en 2006).
- 4 Le « paysage culturel » du val de Loire correspond à une organisation spécifique du territoire : un (...)
18Les espaces agricoles et naturels sont aussi valorisés pour leur valeur intrinsèque. L’identité ligérienne est fortement marquée par le paysage du val de Loire, qui est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que « paysage culturel et vivant »4. Par ailleurs, la Loire est qualifiée de dernier grand fleuve sauvage en Europe. Cette qualification est abusive car son lit a fait l’objet d’aménagements importants, mais la Loire est reconnue comme un habitat d’intérêt majeur pour la faune et la flore et une partie importante de son lit est classée en Natura 2000. Ces éléments à la fois paysagers et naturalistes, marqueurs de l’identité locale, sont retrouvés dans les discours des élus. Ceux-ci valorisent des espaces naturels et les donnent à voir pour leur intérêt faunistique et floristique. Tout comme le paysage classé à l’UNESCO mêle des éléments bâtis remarquables dans un environnement naturel qui les donne à voir. Les élus locaux mettent en avant les châteaux locaux entourés de leurs bois ou de leurs espaces naturels. La biodiversité ressort comme une préoccupation des élus locaux, mais elle est associée à une question identitaire et patrimoniale. L’agriculture n’est pas valorisée en tant qu’activité de production mais comme facteur qui est à l’origine de paysages ouverts qui permettent de contempler les châteaux le long de la Loire. La disparition des élevages en bord de Loire est déplorée par la mission val de Loire car elle conduit à une fermeture du paysage qui interdit les larges perspectives dans le val. L’activité agricole n’est perçue que comme un faire-valoir d’éléments plus prestigieux. De fait, ce qui est protégé de l’urbanisation, ce sont les biotopes remarquables, les châteaux et leurs abords, en particulier boisés. Les espaces agricoles et l’activité agricole elle-même ne font l’objet d’aucune considération.
« [Comment trouver un équilibre entre l’urbanisation et la préservation d’espaces agricoles naturels?] Il faut savoir ce que l’on veut. Tous les espaces boisés, il faut les conserver. Le maraîchage, il faut le conserver. Si on a des zones agricoles vieillissantes, il faut les équiper sans détruire l’espace. Concrètement, on protège l’eau et il faut conserver les bois. Il faut des zones multifonctionnelles. (...) Il y a 300 hectares de bois communaux gérés par l’office national des forêts. Le golf sanctuarise les bois. (...) L’espace agricole restant est une réserve foncière si l’agriculture disparaît. Aujourd’hui un agriculteur a besoin de 250 hectares pour vivre. Sur des petites parcelles, ce n’est pas possible. Quelque part, il faut favoriser de grands espaces. » (Un élu de Ballan-Miré (Indre-et-Loire), entretien réalisé en 2006).
19Les principes de développement durable préconisent un équilibre entre le besoin d’espaces à urbaniser et la préservation d’espaces naturels et agricoles. La difficulté est de définir concrètement cet équilibre. Pour les élus, tout n’est pas urbanisable : les bois sont à conserver, ainsi que le maraîchage. Par contre, les grandes cultures sont un espace disponible. Les élus opèrent même une opposition entre les grandes cultures et l’aménagement urbain. Arguant des surfaces grandissantes nécessaires aux systèmes de grandes cultures, ils excluent le maintien de ce type de système d’exploitation à proximité de la ville. Seul le maraîchage est adapté au parcellaire de petite taille, qu’ils considèrent comme étant présent à proximité de la ville. Cette perception va à l’encontre des dynamiques agricoles locales (DDAF 37, 2004). Ce sont les systèmes de grandes cultures qui sont majoritaires et se développent, alors que les petites exploitations maraîchères ont presque disparu.
20L’assimilation de l’agriculture locale à une agriculture de grande taille et polluante empêche les élus de considérer les agriculteurs comme des partenaires pour l’aménagement de parcs périurbains. Pour les élus locaux, cette agriculture est antinomique avec des parcs qui ont pour vocation de permettre un contact des citadins avec la nature.
21La ville de Tours s’est également dotée d’un grand parc au début des années 2000 : le parc de la gloriette. Ce parc devait couvrir 120 hectares de plaine inondable rendus inconstructibles par l’arrivée des plans de prévention des risques d’inondation. Qualifié de « Futuroscope vert », le parc devait être totalement aménagé pour évoquer la nature et l’eau. Les premiers aménagements n’ont pas reçu le succès escompté et l’envergure du parc a été revue à la baisse. Aujourd’hui, la plaine de la gloriette est occupée par un golf et par un ensemble d’équipements destinés à la détente en plein air. Le parc accueille un potager entretenu par des jardiniers, un bar, une grande prairie avec des jeux pour enfants, un accrobranche et des manifestations autour de la découverte de la nature. Le potager et le bar sont animés par des associations locales qui promeuvent l’agriculture biologique et locale. L’un des deux agriculteurs qui exploitaient des parcelles dans la plaine de la Gloriette a été brièvement associé au fonctionnement du parc à ses débuts, lorsque de grands parterres de fleurs étaient semés pour figurer des ambiances particulières (paysage de mer…). Son implication a cessé au bout de quelques années. De fait, il ne reste plus de traces de la ruralité ni de l’agriculture, si ce n’est dans les pages web de présentation du parc, qui continuent de le qualifier de « bout de campagne en plein cœur de ville »5. L’entretien est assuré par quatre employés municipaux et des associations. L’éviction finale des agriculteurs du parc témoigne de la séparation que font les élus en Touraine entre l’environnement, le patrimoine et l’agriculture.
22Quelle que soit la considération portée à l’agriculture, la place de celle-ci est pensée au service d’un projet de développement urbain. Le parc de la Deûle comme celui de la Gloriette sont des instruments de rayonnement de la ville et d’amélioration du cadre de vie. Dans tous les cas, les élus ont une vision orientée et sélective des formes d’agriculture désirables. Celles qui ne sont pas conformes aux représentations de la nature ou aux représentations identitaires sont exclues. Les élus locaux maîtrisent l’affectation des sols à travers les documents d’urbanisme. Les agriculteurs sont devenus très minoritaires dans les conseils municipaux, si bien que le projet urbain peut apparaître dominant. Mais les agriculteurs ne se contentent pas de stratégies défensives, ils peuvent chercher à imposer leurs orientations.
23La réponse des agriculteurs aux projets des élus peut être décrite à trois niveaux : l’atténuation des conséquences immédiates de l’aménagement (et en particulier de son effet sur le parcellaire), l’adaptation et l’orientation de l’exploitation à la proximité urbaine, et l’adhésion des agriculteurs au rôle d’entretien de la nature ou de gestion de l’espace que voudraient leur confier les élus locaux dans les projets d’aménagement urbains. Ces trois niveaux peuvent être considérés comme trois échelles de temps pour la prise de décision de l’agriculteur : le pilotage de l’exploitation et l’adaptation à un changement immédiat, la stratégie à moyen terme de l’agriculteur et les finalités, qui sont les buts à long terme poursuivis par l’agriculteur et qui renvoient à sa conception du métier.
24Pour l’adaptation de l’exploitation à un changement à court terme, l’exemple pris est celui du passage d’une voie de communication. La comparaison des deux sites d’études montre l’influence du contexte foncier sur le mode de mobilisation des agriculteurs.
- 6 Dans le cas présent c’est le Conseil général du Nord
25Les agriculteurs lillois sont concernés par la réalisation d’une déviation (RD 945) qui contourne la ville de Comines, à laquelle s’ajoute la création d’une zone d’activités de 20 hectares (cf. Figure 1). Ils ont opté pour un remembrement avec partage d’emprise. Le remembrement avec partage d’emprise est une décision d’autant plus forte qu’elle mutualise l’emprise foncière de la route sur l’ensemble des agriculteurs de la commune. Les agriculteurs lillois avançaient la nécessité d’un remembrement car le foncier était devenu trop morcelé au fil des successions et des reprises. En profitant de la réalisation d’une route, une partie du remembrement est financée par le maître d’ouvrage6.
26La chambre d’agriculture du Nord est très combative et veille à freiner la consommation d’espace. Bien qu’étant simple personne associée, elle s’est fortement impliquée dans l’élaboration du schéma directeur de l’agglomération lilloise au milieu des années 90. En arguant d’un vice de forme, elle a menacé le syndicat mixte pour l’élaboration du schéma directeur d’un recours au tribunal administratif pour obtenir une réduction de la taille des zones d’activités qui avaient été inscrites sans son approbation. Elle a aussi obtenu un calendrier de réalisation des zones d’activités, ce qui aide les agriculteurs à anticiper les expropriations et facilite la prévision des amortissements.
27Les agriculteurs tourangeaux sont davantage affectés que leurs collègues lillois par l’A85 car l’autoroute, en étant infranchissable, crée des effets de cloisonnement, voire de partition des exploitations. Ils sont également concernés par un projet de zone d’activités de 200 hectares (cf. Figure 2). En dépit de ces impacts majorés, ce sont les agriculteurs lillois qui ont opté pour un remembrement avec partage d’emprise, alors que les agriculteurs tourangeaux ont négocié chacun séparément leurs indemnités d’éviction. Chacun s’est débrouillé seul avec l’appui du conseiller juridique de la chambre d’agriculture. Pour les agriculteurs tourangeaux, les négociations ont été âpres et ils ont le sentiment d’avoir eu à se battre pour simplement faire reconnaître les impacts prévus par la loi sans avoir pu aller au-delà. Ils ont mené des actions collectives, mais qui se sont limitées à des blocages du chantier afin d’obliger le maître d’œuvre à reconnaître aussi l’impact des travaux sur le fonctionnement quotidien des exploitations.
28La chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire est moins offensive. Elle ne s’oppose pas formellement à l’urbanisation. Elle demande aux aménageurs de veiller à une indemnisation correcte des agriculteurs affectés par des aménagements. Elle travaille à l’élaboration d’un protocole d’accord qui servira de base pour les négociations avec les aménageurs et facilite la reconnaissance du préjudice subi par les agriculteurs (emprise foncière mais aussi rallongement du temps de travail des parcelles, du temps de parcours etc.) Le but est d’accélérer l’adaptation des structures. Elle travaille aussi à pousser les aménageurs à constituer des réserves foncières en amont de leurs projets afin qu’ils puissent être à même de proposer aux agriculteurs des compensations foncières. Ce faisant, la chambre d’agriculture rend plus facile encore la consommation d’espace par l’urbanisation, puisqu’il s’agit de cicatriser le plus vite possible l’impact des aménagements sur les exploitations. De fait, elle entérine la consommation d’espace et favorise la délocalisation des exploitations.
29La différence de réponse s’explique par la rareté du foncier. Sur l’ensemble du département du Nord, et plus encore en Belgique, le marché foncier est fermé et tendu. Toute réduction de la surface accentue la concurrence entre les agriculteurs. Il n’y a pas d’échappatoire possible, sauf en se délocalisant à plusieurs centaines de kilomètres. En Indre-et-Loire, la pression foncière est moindre. Les surfaces libérées par la cessation d’activité des agriculteurs sont suffisantes pour compenser les emprises foncières des équipements. Le foncier est considéré comme une ressource suffisamment abondante pour que les agriculteurs trouvent les opportunités pour rétablir leur assise foncière.
30Les activités de diversification, et en particulier la vente directe, sont perçues par les élus locaux comme la bonne solution pour une adaptation des exploitations à la proximité urbaine. La vente directe permet de transformer la proximité urbaine en opportunité commerciale. La vente directe offre l’avantage de réduire la nécessité d’avoir un foncier important, de regagner des marges commerciales plus importantes en augmentant la plus-value et de favoriser les échanges sociaux. Elle a des inconvénients de taille, qui sont la disponibilité en main d’œuvre et la concurrence avec les autres exploitations pratiquant la vente directe. Ce qui oblige l’agriculteur à bien considérer la place des activités de diversification avec le reste de l’exploitation. Cette articulation est au cœur de la multifonctionnalité des exploitations car les activités de prestation de services ne sont pérennes que si elles sont intégrées au fonctionnement global de l’exploitation. Nous avons dressé une typologie de cette articulation pour la vente directe. Compte tenu de l’importance de cette pratique dans l’arrondissement de Lille, c’est sur ce terrain que les enquêtes ont été menées.
31Trois types d’articulation ont pu être distingués : accessoire, secondaire et fondamentale (Serrano, 1999). Lorsque les activités de diversification sont « accessoires », elles participent peu au fonctionnement général de l’exploitation. En cas d’abandon de ces activités, le fonctionnement de l’exploitation n’est pas modifié. Simplement, le revenu de l’exploitation baisse en conséquence. Les activités « secondaires » et « fondamentales » occupent une place plus centrale dans le fonctionnement de l’exploitation. Les activités de vente directe dites « secondaires » sont en soutien des ateliers de production intensifs. Elles permettent d’apporter une trésorerie qui va financer les investissements pour intensifier les productions. Lorsque l’exploitation a atteint une taille économique suffisante, alors les activités de diversification peuvent être abandonnées. Enfin dans le cas d’une activité « fondamentale », la vente directe ou la prestation de services sont le débouché principal de l’exploitation. L’exploitation dans son ensemble est orientée pour un développement maximal de la commercialisation directe et pour l’accueil des clients.
32Les choix d’orientation des agriculteurs sont influencés par la localisation géographique (Debucquet et Lopez, 1998). L’arrondissement de Lille se caractérise par une bonne desserte en routes et une proximité d’un bassin de consommation diversifié et important. Au-delà des limites de l’arrondissement, la densité humaine et routière diminuent. À l’intérieur de l’arrondissement, ce sont les formes « accessoires » et « fondamentales » qui prédominent. La vente directe « accessoire » s’érode lentement alors que la vente directe « fondamentale » progresse. La vente directe « accessoire » correspond à une vente directe peu sophistiquée, qui propose des produits peu transformés et de base. Elle répond à une demande à faible revenu et de proximité. La vente directe « fondamentale » propose davantage de produits transformés, voire labellisés. Lorsque la distance au bassin de consommation devient plus grande, la vente directe « secondaire » se développe. Elle permet aux agriculteurs d’augmenter le revenu de l’exploitation en attendant que les opportunités foncières pour l’agrandissement se présentent.
33Sur le site de Tours, la vente directe ou l’accueil à la ferme ne sont pratiqués que par une seule exploitation. Les entretiens ont été menés pour mettre en évidence l’anticipation de l’urbanisation et l’adaptation de l’exploitation à un changement du contexte local. La désorganisation du parcellaire par une voie de communication est un moment privilégié pour l’introduction de nouvelles activités. Correctement indemnisées, les évictions ainsi que la spéculation peuvent être un moyen de faire évoluer l’exploitation tout en la modernisant (Vianey et al, 2006). L’éviction devient alors une opportunité. Or cela ne se produit pas. Les agriculteurs touchés par l’A85 perçoivent le changement à moyen et long terme, mais ils privilégient une délocalisation et une reproduction des systèmes d’exploitations intensifs plutôt qu’un développement de nouvelles activités.
« On a un métier qui va avec la terre, donc si on nous la prend... On n’aurait jamais cru ça il y a vingt-cinq ans. On lisait les articles, mon père pensait que ça ne se ferait jamais. (...) Moi je pense que l’on partira un jour. Ce n’est pas un avenir pour un agriculteur. Je sais très bien qu’un jour ou l’autre, ils mangeront sur Artannes. Je voulais construire un hangar au siège, mais j’ai différé. Je sens bien que c’est mettre de l’argent en l’air. C’est sûr, à proximité de l’autoroute, on pourrait faire quelque chose d’original. Mais c’est un autre métier. C’est être hôtelier. Moi je ne me vois pas. (...) J’ai déjà acheté une ferme à Sorigny. (...) J’ai un fils de 18 ans qui veut reprendre. Quand ils commencent à bétonner dans un coin, ça ne s’arrête plus. Les sorties d’autoroute, on sait ce que ça génère. Sorigny c’est un peu loin, mais j’ai bien compris que sur Druye c’est râpé, sur Ballan c’est râpé, et je commence à croire que sur Artannes c’est aussi râpé. (...) Notre coin ne sera plus notre coin. Dans trente ans, ce ne sera plus du tout pareil. C’est le commencement de la fin. Il n’y aura plus d’agriculteurs, il y aura d’autres gens. Le terrain deviendra plus cher. Ballan et Artannes ne seront plus de petites communes. Les gens comme nous, on sera parti. Il y aura d’autres gens. » (Agriculteur L., Artannes-sur-Indre, entretien réalisé en 2006).
34L’adaptation à moyen terme peut aussi consister en une délocalisation progressive de l’exploitation du fait de l’urbanisation à venir. Les agriculteurs perçoivent négativement l’évolution globale du contexte local qui devient un handicap. Contrairement aux apparences, les systèmes de grandes cultures peuvent être bien adaptés à la précarité foncière (Tolron, 2001). Ce que les agriculteurs expriment, c’est qu’ils ne se sentent plus à leur place à proximité des villes. Il s’agit d’un hiatus entre les élus locaux et les agriculteurs au sujet du rôle de l’agriculture aux abords des villes. Les élus souhaitent une agriculture multifonctionnelle. Ils ont une réponse toute faite : la vente directe et l’entretien de l’espace. Ils privilégient ce mode d’articulation de la fonction de production et d’entretien de l’espace et excluent toute autre combinaison. Or les agriculteurs peuvent avoir une réponse tactique et exprimer une adhésion de circonstance aux attentes des élus locaux. Les modèles d’exploitation souhaités sont divergeants à moyen terme. Au-delà des systèmes d’agriculture souhaités aux abords des villes, la fonction d’entretien de l’espace renvoie à des conceptions différentes du rapport à la nature. L’agriculture multifonctionnelle n’est pas qu’une affaire d’orientation technico-économique des exploitations, elle renvoie à différentes manières pour les agriculteurs d’exploiter les ressources naturelles, et donc à une conception particulière du rapport à la nature. Celui-ci étant à la fois au cœur du projet urbain pour les espaces agricoles et au cœur du métier d’agriculteur, les divergences entre les élus et les agriculteurs sont plus profondes et rendent plus difficile la participation des agriculteurs aux projets d’aménagement urbain.
- 7 Les représentations des agriculteurs ont été étudiées dans le cadre de la thèse menée en 1999, dont (...)
35La spécificité du métier des agriculteurs est de manipuler le vivant pour en tirer un revenu. Le rapport à la nature est donc au cœur de leur identité et de leur conception du métier. Il en résulte que la manière de percevoir l’environnement local et d’exploiter les ressources locales est orientée par les représentations de la nature. Deux types de rapports peuvent être dégagés7.
« Les agriculteurs sont les gardiens de la nature. Ils aèrent la terre, renouvellent le cycle de vie. La terre qui n’est pas travaillée s’asphyxie. Ils entretiennent la richesse de la terre, c’est-à-dire sa fertilité. On permet à la terre de produire, de rester en vie. [Si on ne faisait pas travailler la terre,] c’est comme une personne qui resterait dans son fauteuil et qui s’éteint. (…) Je suis allé à Palingbeek [parc d’agrément]. C’est un coin reposant, mais je ne trouve pas ça accueillant. C’est trop fermé. On voit que c’est un cadre naturel et non quelque chose de neuf. On a laissé tout aussi simple que possible, ça n’a pas d’intérêt par rapport à un jardin où tout est posé. Il n’y a pas de fleurs. (…) Pour le fauchage tardif, je n’ai qu’un mot, c’est dégoutant, même dangereux. Ce n’est pas vrai que les oiseaux y vont pour nicher. C’est un milieu hostile du fait du bruit des voitures. Cette année, il y a eu beaucoup de champs d’oiseaux, mais il y a de la verdure assez pour se nourrir. Ils n’ont pas besoin du bas côté. (...) C’est aussi déplorable pour l’agriculture, il y a une infection de mauvaises herbes et on est obligé de traiter. Dans le zoning industriel, il y a assez d’arbres et de pelouses. En Hollande, ils sont aussi pour la nature mais il n’y a pas que ça. On peut le faire sur le canal ou sur le terrain inoccupé mais pas le long des champs. (…) Mon deuxième métier est chasseur de primes. Je passe plus de temps en administration à me demander où ça va s’arrêter. (…) Je pourrais peut-être m’orienter vers une production de marché local, mais pour l’instant je suis dans l’expectative. J’attends de voir ce qui va se dégager de la réforme de la PAC. Il y a beaucoup de problèmes internationaux, comme les dévaluations des devises qui désorganisent les prix. » (M. GL agriculteur Comines-Belgique, entretien réalisé en 1998).
36Pour les « producteurs industriels », la réussite professionnelle repose sur la maitrise technique des cycles biologiques. Livrée à elle-même, la nature est incapable de produire. De ce point de vue, les espaces naturels, gérés pour favoriser un développement spontané de la flore et de la faune, sont jugés inesthétiques et sans aucun intérêt. Le rapport à la nature est un rapport de domination. Le travail de l’agriculteur est d’orienter et de pousser au maximum les processus biologiques. La fonction de production est au cœur du métier d’agriculteur et est exclusive. De ce point de vue, la proximité avec la ville est une contrainte. Non seulement le foncier est l’objet d’une spéculation et d’une utilisation pour d’autres usages, mais le modèle d’agriculture intensive est rejeté socialement par une population qui s’installe tout près des exploitations. Pour ces agriculteurs, les éléments déterminants et les opportunités ne se situent pas localement, mais au niveau international, au gré des accords internationaux et de l’évolution des marchés internationaux des matières agricoles. Le contexte local est perçu comme un support auquel il s’agit d’adapter l’exploitation pour maximiser la fonction production de masse.
- 8 Communauté de communes au sud de Toulouse.
« Il y a aussi le contact avec le cheval, il faut s’en occuper. Le contact poussé permet de savoir si l’animal est bien ou non. Nous on a été élevés au milieu des animaux (…). On vit avec les saisons, il y a un contact très intime avec la nature. On sème et on récolte au moment opportun. Quand il faut faire les foins, on y va (…). On est dans le même bateau que la nature, si elle ne va pas bien, nous non plus. (…) La randonnée [équestre] est un moyen pour redécouvrir et se réapproprier le territoire. Il faut bien connaître le territoire pour pouvoir expliquer le passé de la région. Il y a aussi le contact avec les animaux, c’est un moyen de retrouver une convivialité, une façon de partager (…). Lors des randonnées, j’apprécie aussi le fait de rencontrer d’autres personnes qui connaissent bien le milieu. Par exemple, on essaie de faire une transpyrénéenne à cheval, on va devoir rencontrer les bergers qui connaissent très bien le milieu. (…) Lorsque j’ai présenté mon projet de centre équestre, il y a eu beaucoup de moqueries de la part des céréaliers. J’ai plusieurs casquettes, je suis à l’interface rentre les ruraux, les agriculteurs, les randonneurs, ce qui me permet d’instaurer un dialogue. Le SICOVAL8 a proposé des subventions pour les agriculteurs pour faire des travaux {entretenir les chemins]. Les agriculteurs sont déjà plus réceptifs au maintien des chemins de randonnées. Le but est d’amener les agriculteurs à rencontrer les randonneurs. Il faut changer les mentalités. » (Mlle S. Corronsac, entretien réalisé en 1998).
37Les agriculteurs « agents de la nature » conçoivent le rapport à la nature comme un soutien des processus biologiques. Il n’y a pas de rapport de domination, mais il s’agit de percevoir la « santé » de la nature pour l’aider à accoucher. Des interventions excessives pour augmenter le niveau de production peuvent se retourner contre les agriculteurs. Le rôle de l’agriculteur est de produire, mais celui-ci n’est pas incompatible avec d’autres fonctions, comme la prestation de services (vente directe, accueil à la ferme, entretien rémunéré de chemins…). Autrement dit, la multifonctionnalité est admise. Les opportunités de développement se situent au niveau local. La proximité avec la ville n’est pas que contraignante. C’est aussi un marché local dont l’agriculteur peut tirer profit pour écouler les productions ou proposer des services d’accueil à la ferme.
38Au rôle de l’agriculture comme moyen pour les élus locaux d’entretenir l’espace et la nature, les agriculteurs ont leurs propres perceptions à opposer. Dans le cas du type industriel, il ne s’agit pas de simples ajustements des pratiques agricoles pour les rendre compatibles avec un nouveau rôle d’entretien de la nature, mais de visions antinomiques quant aux finalités de l’agriculture. Bien sûr, des positions intermédiaires existent entre des archétypes contrastés construits pour les besoins de la recherche. Néanmoins, c’est bien les fondements de visions compatibles pour l’utilisation d’espaces périurbains dont il s’agit. Les visions divergentes des rapports agriculture/nature empêchent une participation des agriculteurs aux projets des élus locaux et entretiennent la dichotomie ville/campagne.
39Les objectifs de maintenir une agriculture périurbaine sont atteints de manière différente selon les spécificités du territoire. L’inscription de l’agriculture périurbaine au centre du projet de développement urbain est un processus bottom-up dont la gouvernance dépend de la configuration locale (Giacche et Torquati, 2011). Dans tous les cas, l’agglomération-centre occupe une position dominante. C’est elle qui va inscrire sa vision de l’agriculture périurbaine dans le projet d’aménagement de l’espace.
40Dans le cas de l’agglomération lilloise, une large fraction des agriculteurs s’est lancée dans des stratégies de territorialisation. Deux tiers des exploitations tirent parti de la proximité urbaine en proposant de la vente directe, des pensions étudiantes, des pensions canines… Les formes de diversification sont très variées (Rouget, 2011). L’émergence de cette agriculture de proximité contribue à sa reconnaissance. Les stratégies des agriculteurs convergent avec celles des élus. Les agriculteurs pratiquant la vente directe ou d’autres formes de diversification sont attentifs aux opportunités locales : les élus aménagent l’espace local à travers les parcs et le rendent plus attractif, ce qui soutient les activités commerciales développées par les agriculteurs. Dans le cas de l’agglomération tourangelle, agriculteurs et élus regardent dans des directions opposées. Les élus disqualifient l’agriculture comme outil d’aménagement de l’espace. Les agriculteurs de type « industriel » ont non seulement les yeux rivés sur le contexte international, mais ils sont en opposition avec la conception d’espace naturel prônée par les élus. Progressivement, ils préparent leur délocalisation.
41La requalification des espaces agricoles périurbains dans les projets d’aménagement de l’espace est discriminante. En effet, elle privilégie une forme particulière d’agriculture au détriment de la diversité des exploitations. La patrimonialisation est intrinsèquement discriminante (Vianey, 2011; Laurens et al., 2011) car les formes d’agriculture qui sont intégrées au projet urbain sont des vecteurs d’identité, ce qui privilégie une forme bien identifiée d’agriculture : vignoble, maraîchage, mais aussi élevage laitier dans des régions d’élevage d’appellation d’origine contrôlée… Les effets discriminants résultent aussi de la discordance entre les visions de la nature des élus et celle des agriculteurs. En effet, la vision de l’agriculture mise en avant par les élus lorsqu’ils mettent en rapport l’agriculture et l’entretien d’espaces naturels touche le cœur du métier de l’agriculteur. Le maintien de systèmes de grandes cultures n’étant pas incompatible avec la proximité urbaine (Tolron, 2001), les agriculteurs de type industriel peuvent continuer à rester à proximité des villes. C’est davantage le rejet social que les agriculteurs perçoivent que les obstacles techniques. C’est ce qui les pousse à anticiper l’urbanisation et à se délocaliser. De fait, les systèmes d’exploitation qui sont confortés sont ceux pratiquant la vente directe. Pour autant, il n’en résulte pas une ségrégation spatiale des systèmes agricoles, c’est-à-dire que la préférence pour la vente directe et le rejet des systèmes intensifs ne conduit pas à l’émergence ou au renouveau d’une véritable ceinture maraîchère, car la demande locale en produits de proximité n’est pas assez forte. Par contre, la dichotomie entre les espaces agricoles et les espaces urbains est maintenue.
42Le parc de la Deûle est un succès. Il a permis de requalifier l’espace, de résorber les sites pollués et d’inverser l’image du territoire. Néanmoins, l’impact du parc sur les agriculteurs est mitigé. Le nombre d’agriculteurs impliqués dans le fonctionnement du parc est limité (Rouget, 2011). Ce dernier n’a pas empêché le développement de formes aterritorialisées d’agriculture (cultures d’endives hydroponiques). Le parc n’a eu qu’un effet dynamisant limité sur les agriculteurs, car la plupart d’entre eux avaient déjà mis en place leurs propres réseaux de vente directe (Lescureux et Letniowska-Swiat, 2011). Le parc a davantage été une aubaine pour les agriculteurs qu’un facteur de réorientation des exploitations. Les agriculteurs concernés par le parc de la Deûle se partagent entre les « résignés dubitativement révoltés » et les « résignés opportunistes ». Ils restent distants des projets de territorialisation formulés par les élus (Idem).
43La question de la prise en compte de l’environnement n’est pas nouvelle pour les agriculteurs. C’est une demande sociale qui se fait de plus en plus pressante. Cette demande est relayée dans les politiques locales d’aménagement. Cependant, l’inscription d’une agriculture de proximité, respectueuse de l’environnement dans des politiques locales, n’est pas neutre car elle est alors portée à travers la question patrimoniale et identitaire par les collectivités locales, ce qui est beaucoup plus sélectif en termes de formes d’agriculture souhaitées. Or, les politiques de territorialisation de l’agriculture sont présentées comme un moyen de sécuriser le foncier des exploitations agricoles en faisant reconnaître un lien de proximité. L’agriculture est mieux prise en compte par les élus locaux et les agriculteurs peuvent bénéficier de débouchés locaux. Compte tenu de leurs dimensions discriminantes, ces politiques ne sont pas une solution pour tous les agriculteurs.
44Les agriculteurs ont l’habitude d’être soumis à des politiques qui ont des effets sélectifs. Les politiques agricoles sectorielles, qu’elles soient nationales ou européennes, sont fondées sur le modèle de l’agriculture intensive. Du fait de l’érosion continue des revenus à l’hectare, elles induisent une course à la productivité. Les exploitations qui n’arrivent pas à faire baisser leurs coûts de production sont éliminées (Lacombe, 1998). Le modèle d’agriculture intensive est un modèle hégémonique. Néanmoins, les agriculteurs apportent une diversité de réponses. Face aux projets d’aménagement dans les espaces périurbains, les agriculteurs sont au milieu de deux logiques sélectives qui peuvent être sécantes : politiques sectorielles aux exigences de compétitivité et politiques territoriales aux exigences patrimoniales. Il n’y a pas de substitution d’une politique sectorielle par une politique territoriale car les agriculteurs restent soumis au marché. Le besoin de rester compétitif se fait sentir aussi bien pour les agriculteurs qui pratiquent la vente directe (concurrence commerciale avec d’autres agriculteurs) que pour les autres. Les agriculteurs ont à faire leur arbitrage pour arriver à dégager un revenu. Cela ne veut pas dire qu’inévitablement, ils tournent le dos aux politiques locales patrimoniales; ça veut plutôt dire qu’ils ne peuvent se départir des impératifs de compétitivité et qu’ils ont intérêt à conserver leur autonomie de décision et leur expertise des marchés agricoles.
45Compte tenu de l’autonomie des agriculteurs pour l’orientation de leur exploitation, les actions des élus locaux pour territorialiser l’agriculture sont-elles vaines?
- 9 Les élus locaux peuvent directement susciter une demande locale à travers les marchés qu’ils détien (...)
46Les élus locaux utilisent essentiellement le foncier comme outil pour conforter les exploitations agricoles. Or aménager un parc périurbain revient à sécuriser un foncier. Pour les agriculteurs, ce n’est pas négligeable car cela rend les investissements moins hasardeux et ça facilite leur amortissement. Néanmoins, la sécurisation foncière ne garantit pas la vitalité économique des exploitations. Celles-ci sont soumises à la concurrence d’autres bassins de production. C’est la capacité des agriculteurs à être compétitifs qui détermine leur maintien dans un espace. L’instabilité foncière peut être un handicap et affecter la compétitivité des exploitations en diminuant leur productivité et en freinant les investissements des agriculteurs. Les prix et les marchés sont des facteurs d’orientation des exploitations plus puissants que la disponibilité foncière. Or les élus locaux ont très peu de prise sur les prix. La planification foncière n’est pas un instrument pour agir sur les prix. Par contre, elle peut être un moyen indirect pour agir sur la demande, et donc sur le marché. La demande de produits locaux est une tendance sociétale sur laquelle les élus locaux n’ont pas de prise9. En instituant un parc périurbain qui vise à faire venir des citadins consommateurs de produits locaux, les élus contribuent à stimuler, et surtout à localiser une demande. Ils créent une rente de situation pour les agriculteurs qui pratiquent une vente directe « fondamentale » et contribuent à pérenniser la localisation des exploitations dans le territoire. Ces exploitations seront moins susceptibles de se délocaliser car elles perdraient une situation privilégiée.
47Dans les contextes de rareté foncière ou d’aires appellation, la délocalisation des exploitations n’est pas envisagée par les agriculteurs; ils vont lutter pour rester en place face à l’urbanisation. Dans les régions ou le foncier est abondant et générique, la création de parcs périurbains est un moyen de créer de la rareté foncière pour des exploitations pratiquant la vente directe en donnant une qualité spécifique au foncier.
48En dépit d’une érosion du revenu à l’hectare, les agriculteurs arrivent à tirer leur épingle du jeu. Le revenu est maintenu grâce à la disparition des plus petites exploitations. Le volume de la production alimentaire reste excédentaire. L’agriculture occupe très largement le territoire. Les friches restent un problème ponctuel qui peut concerner certaines collectivités; elles posent d’ailleurs davantage de difficultés aux collectivités qu’aux agriculteurs eux-mêmes. Peut-être en va-t-il de même pour l’intégration de l’agriculture aux politiques d’aménagement de l’espace portées par les villes? Il s’agit davantage d’un besoin pour les villes que pour les agriculteurs. L’histoire récente de l’intercom-munalité tourangelle peut l’illustrer. La communauté de communes de la Confluence n’a pas donné d’importance aux espaces agricoles en valorisant les bois, les châteaux et leurs parcs. Elle n’a pu mettre en avant d’identité propre et a fini par être absorbée par la communauté d’agglomération de Tours.
49La spécificité des espaces périurbains est l’interterritorialité c’est-à-dire la mise en relation de territoires aux caractéristiques différentes, comme la ville et la campagne. Pour ce faire, la nature est au cœur du projet d’aménagement (Vanier, 2008). Les territoires périurbains ont pour cela besoin des agriculteurs. Ils ont besoin non seulement des formes d’agriculture typées et facilement associables à une identité, mais aussi de l’agriculture productrice de produits alimentaires plus ordinaires, qui occupe la grande majorité de l’espace.
50Les deux logiques des politiques agricoles sont encore inégales. En effet, les soutiens à l’agriculture, bien qu’en cours de réaffectation dans le second pilier de la politique agricole commune et récemment découplés de la production, sont encore majoritairement des incitations à produire. Un transfert des aides agricoles européennes dans les mains des collectivités locales pourrait les aider à avoir un pouvoir d’orientation plus grand des exploitations et à mieux articuler approche patrimoniale et développement économique agricole.