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Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes spatiales

Paula Nahmias et Yvon Le Caro

Résumés

Les agricultures observables dans les agglomérations (agricultures professionnelles en circuits courts ou longs, jardins privés et partagés, agriculture de loisirs) sont aujourd’hui valorisées dans leurs dimensions alimentaires, environnementales et socio-politiques. Elles participent aux manières d’habiter la ville et à l’aménagement des territoires urbains. La diversité de leurs formes et de leurs représentations pour les acteurs complexifie toutefois la définition d’une « agriculture urbaine ». Sur la base d’observations de terrain en Bretagne (France) nous retenons qu’outre sa localisation proche de la ville, ce sont ses fonctionnalités et son intégration dans le projet d’agglomération qui permettent de définir son caractère urbain.

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Texte intégral

Introduction

1Au carrefour de la géographie sociale et de l’aménagement de l’espace, l’agriculture urbaine est aussi un objet de recherche commun à la géographie et à la sociologie, dans une approche intégrative de perspectives urbaines et rurales. C’est un phénomène complexe qui amène à passer des frontières. À travers le lien entre l’agriculture et la ville, nous voulons montrer comment la construction de la ville est indissociable de celle de ses agricultures. L’identification de différentes fonctions de l’agriculture urbaine par la diversité de ses acteurs, porteurs d’attentes parfois divergentes, est nécessaire. Sur le plan de la forme urbaine, on verra ce que les urbanistes, le monde agricole et les habitants attendent d’une alternance entre bâti et non bâti dans la ville et comment ils conçoivent l’existence d’une nature productive au sein des « espaces verts ».

2Définir l’agriculture urbaine s’avère donc difficile, mais nous semble nécessaire, sur le plan scientifique comme sur le plan de l’aménagement urbain, pour comprendre et valoriser la multiplicité des formes et des expériences agri-urbaines observables, multiplicité dont les définitions d’agriculture urbaine existantes ne rendent pas toujours compte.

  • 1 Thèse conduite par Paula Nahmías à l’UMR CNRS 6590 ESO Espaces et Sociétés, Université européenne d (...)

3Définir l’agriculture urbaine nous est nécessaire pour appréhender L’habiter et la gouvernance locale interrogés par l’agriculture urbaine1, recherche qui vise, d’une part, à comprendre conjointement la manière dont l’habiter urbain et les politiques des municipalités ou des agglomérations développent aujourd’hui une dimension agricole et, d’autre part, à intégrer dans ces processus les diverses agricultures : celle des professionnels proches de la ville mais qui orientent leur production vers le marché général, celle des fournisseurs des circuits courts et celle des simples habitants qui expérimentent, seuls ou en groupes, divers types de jardins.

4Cette contribution a été construite à partir d’une revue de la littérature concernant l’inscription du rapport nature/société dans la ville et la construction d’un regard critique sur les différentes notions d’agriculture urbaine. Elle est également soutenue par les observations de terrain et les entretiens exploratoires que nous avons pu faire dans trois agglomérations en Bretagne (Rennes, Brest et Lorient), entre novembre 2010 et décembre 2011. Elle est donc élaborée sur la base de l’organisation agricole et urbaine française, mais vise à construire une définition utile plus largement, à tout le moins dans les pays industrialisés.

5Nous proposons pour cela de repérer les liens sur lesquels reposent le rapprochement entre agriculture et ville qui a conduit aux définitions existantes, avant de développer les trois critères (localisation, fonctionnalités et dynamique d’agglomération) et les trois grandes formes de pratiques agricoles (circuits longs, circuits courts et pratiques habitantes) qui nous permettent de construire et de discuter notre définition de l’agriculture urbaine.

Des liens entre agriculture et ville

6Le concept d’agriculture urbaine rapproche deux ordres de réalité a priori disjoints : la production alimentaire et la ville. Pour en construire une définition, nous proposons une revue des liens qui unissent ces dernières sur le plan de leur développement spatial et sur le plan des relations entre acteurs. L’examen de la nature des liens retenus par les chercheurs et les institutions dans les définitions existantes complète ce panorama préalable.

Agriculture et ville en développement conjoint

7Depuis la révolution néolithique, le développement des sociétés sédentaires a été rythmé par une co-création entre les villes et leurs agricultures (Bairoch, 1985; Mazoyer et Roudart, 1997). La ville du Moyen Âge, conçue avec une séparation entre intra-muros et extra-muros, privilégiait les espaces agricoles à l’extérieur des remparts. Des animaux au pâturage, des vergers, ainsi que de vastes zones de maraîchage ceinturaient la ville, dont le développement dépendait en partie de la capacité vivrière de sa tombée. Cependant, l’espace intra-muros avait aussi une vocation nourricière : des abbayes entretenaient des espaces d’autosubsistance (légumes, plantes médicinales et aromatiques, vergers), des potagers étaient présents à l’arrière des habitations jointives, dans les zones inondables et dans les fonds de vallées urbaines (Leguay, 2009; Nourry, 2008).

8D’autre part, c’est dans le rapport entre ville et nature dans la ville européenne du XVIIIe siècle que l’on observe les premiers objectifs hygiénistes, avec l’ouverture des espaces et la revalorisation des espaces verts et agricoles dans le tissu urbain (Le Couédic, 1998). Alors que, pendant des siècles, l’histoire des villes s’était nouée à partir de rapports étroits entre paysans et citadins, et que l’approvisionnement de la ville dépendait de la campagne proche, c’est précisément au XIXe siècle que l’expansion des villes et le développement des transports vont provoquer un changement majeur : les mutations industrielles et commerciales de la production alimentaire ont introduit une rupture dans la relation entre la ville, l’alimentation et le monde naturel.

9Malgré cette rupture fonctionnelle, la théorie urbanistique montre bien que la prise en compte de l’agriculture par la ville n’est pas un événement récent. Au contraire, depuis le début de l’urbanisme, la question s’est posée formellement (Choay, 1965). Le Plan d’urbanisme de Barcelone, établi par Ildefonso Cerda en 1859, qui porte sur la nature et l’agriculture en ville, la cité-jardin proposée par Ebenezer Howard en 1902, les préconisations de Le Corbusier sur les espaces verts ainsi que le traitement de la nature chez Gaston Bardet, sont quelques exemples de la place de la nature et de l’agriculture dans la pensée des fondateurs de l’urbanisme (Choay, 1965; Paquot, 2010).

10Ainsi, les différents modèles d’urbanisme, des plus fonctionnalistes aux plus utopistes, influencent l’évolution des formes d’une scène urbaine structurée par une diversité d’espaces verts et agricoles que nous reconnaissons aujourd’hui comme le « système du vert » (Novarina, 2003) dans la « ville diffuse » (Secchi, 2002). Ce milieu urbain, aménagé au gré des significations et des représentations sociales (Berque, 2009), nous montre un « vert urbain » qui correspond à une nature très diverse et de plus en plus apprivoisée et aménagée : des espaces naturels, des squares et des parcs publics, des espaces cultivés. Ces derniers prennent eux-mêmes des formes variées : jardins privés, jardins collectifs ou familiaux, espaces publics mis en production, terres agricoles (champs et prairies), voire friches. En conséquence, qu’ils soient hérités d’une histoire ou recomposés par divers partis d’aménagement, les espaces cultivés contribuent à la structuration de la ville par ses formes « vertes ».

11La littérature déploie les attributs de ces agricultures urbaines dans leurs dimensions économique, environnementale, socio-spatiale et sociopolitique. Les questions de la sécurité alimentaire et de l’accès à la nourriture de qualité sont des arguments largement évoqués (Mougeot, 2000), souvent complétés d’une réflexion sur l’agrégation de valeur des pratiques non marchandes (Boukharaeva et Marloie, 2010). Ainsi le lien entre agriculture et ville se renouvelle au rythme des évolutions dans les regards portés sur lui : nécessité organique du territoire autrefois, qualification hygiéniste et fonctionnelle des espaces dans la ville moderne, restauration du lien au vivant dans la ville d’aujourd’hui.

Liens construits par les divers acteurs

12Dans les pays en voie de développement comme dans les pays industrialisés, l’intégration de l’agriculture dans l’aménagement des territoires urbains suscite donc un intérêt croissant des chercheurs et des aménageurs (Van Veenhuizen, 2006; Bonnefoy, 2011; Soulard et al., 2011). En France, la question de la place et du rôle de l’agriculture dans les espaces périurbains est une réflexion récurrente au sein des institutions, à l’échelle des agglomérations et dans les instances de représentation du monde agricole, soit dans la quête d’un équilibre de territoire en tant que frein à l’étalement urbain, soit pour encourager l’approvisionnement alimentaire de proximité, soit comme levier pour le maintien de la biodiversité et de la cohérence écologique des territoires (Bertrand, 2010; Peltier, 2010). Ces préoccupations trouvent plus récemment une extension aux espaces urbains centraux, certains acteurs sociaux y cherchant des voies d’amélioration de la qualité de vie citadine.

13Élément important du développement durable des villes, l’agriculture urbaine est positionnée par les collectivités dans la discussion sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre, la relocalisation de la production alimentaire et le développement des chaînes courtes d’approvisionnements (Watts et al., 2005). Parallèlement, on assiste à un bourgeonnement d’initiatives habitantes dans des territoires urbains et périurbains. Il s’agit bien d’une évolution des pratiques alimentaires, de nouvelles façons de s’approprier l’espace public, de valoriser une culture locale et enfin, de revendiquer une dimension sociale et politique de l’habiter (Nahmías, 2010).

14Trouver une définition partagée de la nature et des rôles de l’agriculture dans le projet urbain est pourtant loin d’être facile pour l’ensemble des acteurs concernés. En effet, nos premières observations montrent que les représentations, les logiques et les pratiques des acteurs sont très diverses et parfois contradictoires. La dynamique des formes agricoles dans l’espace urbain repose sur la tension provoquée par trois mondes qui opèrent avec des logiques différentes : les institutions de la ville ou de l’agglomération, la profession agricole et les habitants. Si l’on ajoute les particularités locales, on mesure la difficulté de trouver une définition unifiée de l’agriculture urbaine. Parmi ces éléments d’hétérogénéité, la gouvernance agricole au sein des agglomérations est fondée sur une représentation dichotomique entre agriculture professionnelle et jardinage amateur, les pratiques productives des citadins n’étant pas explicitement reconnues comme agricoles. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que la littérature scientifique et certaines institutions proposent des définitions théoriques et pragmatiques que les acteurs s’approprient différemment. Il nous semble que ces définitions, bien qu’en évolution, se trouvent sensiblement en décalage avec la diversité des formes agricoles dans la ville, les pratiques et usages par les différents acteurs qui déterminent sa fonctionnalité et les modes d’organisation socio-politique (initiatives habitantes, coordinations locales plus ou moins formalisées) que nous avons pu repérer en France métropolitaine.

Liens retenus par les définitions

15L’organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) propose une définition faisant la distinction entre agriculture urbaine et agriculture périurbaine :

L’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) se réfère aux pratiques agricoles dans les villes et autour des villes qui utilisent des ressources – terre, eau, énergie, main-d'œuvre – pouvant également servir à d'autres usages pour satisfaire les besoins de la population urbaine. L’agriculture urbaine (AU) se réfère à des petites surfaces (par exemple, terrains vagues, jardins, vergers, balcons, récipients divers) utilisées en ville pour cultiver quelques plantes et élever de petits animaux et des vaches laitières en vue de la consommation du ménage ou des ventes de proximité (FAO, 1999, p. 2).

16Cette définition reste vague car elle ne signale pas les acteurs concernés ni leur statut. D’autre part, le critère de définition est basé sur une simple localisation « dans » la ville ou « dans » le territoire périurbain, mais ne considère pas les fonctionnalités de l’agriculture au regard de la ville. Cette distinction morphologique nous semble limitative car ce que nous montre la littérature et ce que nous avons pu observer en France, c’est que l’inscription spatiale de cette agriculture ne se limite pas à une localisation de part et d’autre du front urbain. Au contraire, les espaces agricoles s’inscrivent bien dans un « système du vert » (Novarina, 2003) au sein d’agglomérations qui incluent ville et campagne. Enfin, la définition ne prend pas en compte l’expérience des citadins hors des limites de la ville : toutes ces activités qui participent de la mobilité des habitants sont bien perceptibles les fins de semaine ou à la belle saison en espace agricole (promenades, pêche, cueillette, jardinage en terrains familiaux, etc.).

17Plus complète, la définition proposée par Moustier et Mbaye est fondée sur une approche d’écologie urbaine. En effet, elle met en exergue les externalités de l’agriculture envers la ville, notamment ses fonctions écologiques et paysagères :

  • 2 Assertion discutable, l’agriculture urbaine y étant généralement décomposée en intra-urbaine et pér (...)

L’agriculture périurbaine – correspondant à l’agriculture urbaine selon la terminologie anglo-saxonne2 – est considérée comme l’agriculture localisée dans la ville et à sa périphérie, dont les produits sont destinés à la ville et pour laquelle il existe une alternative entre usage agricole et urbain non agricole des ressources; l’alternative ouvre sur des concurrences, mais également sur des complémentarités entre ces usages : foncier bâti et foncier agricole; eau destinée aux besoins des villes et eau d’irrigation; travail non agricole et travail agricole; déchets ménagers et industriels et intrants agricoles; coexistence en ville d’une multiplicité de savoir-faire due à des migrations, cohabitations d’activités agricoles et urbaines génératrices d’externalités négatives (vols, nuisances) et positives (espaces verts) (Moustier et Mbaye, 1999, p. 8).

18Par contre, l’agriculture qui se localise dans la périphérie ou dans la frange urbaine et dont la production n’est pas orientée vers la ville la plus proche n’est pas prise en compte, alors qu’elle contribue significativement à l’espace perçu, mais également pratiqué par les citadins, autant dire à leur paysage. D’autre part il nous semble que cette définition n’est pas suffisamment explicite sur les différents acteurs qui « font » cette agriculture (les agriculteurs, les collectivités, les habitants). Elle nous semble négliger particulièrement le rôle social des habitants et la dimension habitante de l’agriculture urbaine.

19La définition proposée, dans une perspective paysagiste, par Fleury et Donadieu va plus loin, en mettant en valeur les rapports fonctionnels réciproques entre l’agriculture et la ville :

L’agriculture périurbaine, au strict sens étymologique, est celle qui se trouve à la périphérie de la ville, quelle que soit la nature de ses systèmes de production. Avec la ville, cette agriculture peut soit n’avoir que des rapports de mitoyenneté, soit entretenir des rapports fonctionnels réciproques. Dans ce dernier cas, elle devient urbaine et c’est ensemble qu’espaces cultivés et espaces bâtis participent au processus d’urbanisation et forment le territoire de la ville (Fleury et Donadieu, 1997, p. 45).

Critères de définition d’une agriculture urbaine

20Sur la base de ces trois définitions et de nos propres observations, il nous semble qu’au-delà de sa seule localisation, et en plus de sa dimension spatiale (agriculture au domicile des citadins, interstitielle dans le tissu urbain, de frange urbaine et périurbaine), c’est la fonctionnalité de l’agriculture envers la ville qui pourrait définir son caractère urbain. Parmi les différents types d’agriculture qui composent avec la ville, on peut imaginer que certains seraient « plus » ou « moins » urbains sur la base de leurs fonctionnalités, de leur position spatiale ou bien encore de ces deux dimensions de l’urbanité. En outre, toutes les villes et toutes les agricultures ne sont pas au même stade de développement et n’ont pas la même puissance économique, la question doit donc également être posée en tenant compte de dynamiques locales plus ou moins intégratives. Nous examinons successivement en quoi ces trois principaux critères nous permettent de qualifier une agriculture d’urbaine.

L’agriculture, urbaine par ses localisations

21La ville a toujours composé avec ses agricultures. Les formes agri-urbaines sont le résultat des rapports entre les hommes et leur milieu. Ce dernier est compris non seulement comme l’étendue bio-physique, mais aussi comme l’espace vécu (Frémont, 1976) et comme espace physique et culturel de déploiement de l’être (Berque, 2009). Les attentes habitantes en matière de cadre de vie ou la façon dont les acteurs d’un territoire s’organisent participent ainsi à la production d’un « milieu urbain ». L’agriculture peut alors être considérée comme un élément de construction de ce milieu, notamment par son influence sur la configuration des formes urbaines et périurbaines. En tant que formes, les espaces agricoles dans la cité peuvent être définis aussi bien comme un type d’espaces libres que comme un type d’espaces verts (Le Caro, 2010). Nous les déclinons dans un rapport de proximité croissante au pôle urbain.

22Avec un souci de protection du paysage, la volonté d’arrêter la croissance de la ville, voire l’anticipation d’un problème d’approvisionnement alimentaire, la valorisation des ceintures vertes (green belts) s’est concrétisée dans plusieurs agglomérations en Europe durant les années 80. Cependant, ces politiques portaient une faible attention au caractère agricole des espaces inclus dans ces ceintures vertes. Elles ont été plutôt orientées vers l’aménagement d’espaces verts à vocation de parcs urbains (Donadieu, 1998). Le cas de Rennes semble avoir fait exception : en 1983, ses élus ont fait le choix de l’aménagement d’une ceinture verte en consolidant les communes alentour, toutes séparées les unes des autres par des espaces naturels préservés (Guy et Givord, 2004). Ceci fut une rupture radicale par rapport aux stratégies d’aménagement antérieures, ce qui marque le début d’une intégration plus qualitative de l’agriculture et des espaces naturels dans la prospective d’urbanisme et d’aménagement de l’agglomération rennaise.

23La frange urbaine est un autre espace spécifique du déploiement des rapports entre l’agriculture et la ville. L’étude de géographie humaine de Phlipponneau (1956) sur « La vie rurale de la banlieue parisienne » montre bien une frange urbaine où coexistaient une diversité d’usages de sols – résidentiels, industriels, récréatifs – aussi bien que diverses pratiques habitantes impliquant des mobilités journalières. Ceci permettait l’existence d’une agriculture très spécialisée, fortement orientée vers le marché parisien, qui a structuré des formes agri-urbaines très particulières, les ceintures maraîchères, dont peu subsistent aujourd’hui et qui suscitent certaines nostalgies (Vidal, 2011).

24Une agriculture tournée vers l’approvisionnement des marchés urbains locaux a cependant résisté dans l’espace périurbain, en s’appuyant sur l’héritage des ceintures maraîchères et l’idéologie des ceintures vertes. Néanmoins, cette agriculture ne fournit aujourd’hui qu’une faible proportion de la consommation alimentaire des agglomérations : une estimation de 3% d’auto-approvisionnement métropolitain a par exemple été établie pour Rennes (Denéchère, 2007). Parallèlement, on observe dans l’espace périurbain une agriculture insérée dans les logiques de bassins régionaux de production et tournée vers le marché national et international. Cette agriculture se développe indépendamment des attentes alimentaires des habitants des villes proches : pouvons-nous alors considérer cette agriculture comme urbaine?

25Il nous semble que, pour l’agriculture de circuits longs, la dimension d’échange réciproque avec la ville repose sur la structuration d’un paysage, d’un espace rural qui peut être valorisé par certaines pratiques des citadins. En effet, la fréquentation récréative de ces lieux concerne une part importante de la population en France (Le Caro, 2007), y compris sur la frange urbaine (Le Caro, 2010).

  • 3 « L’influence de l’agglomération peut se manifester, on le sait, assez loin des centres urbains, ju (...)

26Si l’on retient ces liens non alimentaires, jusqu’à quelle distance de la ville doit-on alors considérer l’agriculture comme urbaine? Ce pourrait être la distance jusqu’à laquelle elle est soumise au regard des citadins. Or le périmètre d’influence quotidienne des citadins peut être très élevé3. Fixer un rayon en kilomètres nous semble inutilement arbitraire, surtout si l’on veut tenir compte de la diversité des agglomérations. Il nous semble que le critère de limitation du rayon retenu pourrait être l’agriculture potentiellement « pratiquée » par les citadins dans les espaces environnant l’agglomération, que cette pratique soit productive, récréative, ou de toute autre nature. Certaines de ces pratiques peuvent alors donner un « caractère » urbain à des espaces agricoles assez éloignés, par exemple dans le cas de la vente directe ou des fermes pédagogiques.

27Enfin, l’intérieur des villes supporte aussi des formes d’agriculture. Depuis l’origine des villes, les potagers privés constituent une forme importante d’agriculture habitante, et l’urbanisme pavillonnaire en a multiplié les superficies potentielles, même si ce sont majoritairement des pelouses qui les occupent aujourd’hui. Modestement, lentement, l’agriculture se réapproprie aussi des espaces ouverts intra-urbains, espaces non constructibles, zones inondables, périmètres de captage d’eau (Donadieu, 1998). Il s’agit d’une agriculture interstitielle qui structure le tissu urbain et donne naissance à de nouvelles formes urbaines. C’est le cas par exemple des anciens jardins ouvriers (aujourd’hui appelés jardins familiaux), des jardins partagés qui prospèrent au pied des immeubles, dans des parcs publics, des squares, etc. Il s’agit de lieux qui font partie du cadre de vie à l’échelle de l’habitant et qui participent à la construction de son paysage. Les cultiver y réintroduit une nature productive qui modifie l’habiter urbain. Pour Berque cela s’explique car « l’habitat humain est toujours, et nécessairement, à la fois d’ordre écologique et d’ordre symbolique : il est éco-symbolique » (Berque, 2009, p. 289). Cela veut dire que l’habitant noue des rapports avec son milieu en se l’appropriant, en le cultivant, et qu’en retour ce milieu approprié participe de l’être habitant. Un lieu de jardinage permet l’expérience d’un rapport sensible, créatif et signifiant avec la nature (Blanc, 2010). Le contact avec la terre, la compréhension des cycles de vie et de la biodiversité du vivant, la possibilité d’expérimenter un travail rythmé selon les saisons, dans un milieu a priori peu propice à ce genre d’expériences, interroge l’habiter urbain.

28L’étude des agricultures urbaines demande donc une observation des lieux de nature productive dans et autour de la ville, comme parts d’un système du vert. Cette observation, dans l’idée d’un continuum de centre à périphérie, porte sur les agricultures au domicile (potagers privés) et interstitielle (espaces ouverts intra-urbains), sur celles de la frange urbaine et sur les agricultures périurbaines. Localiser ces différentes agricultures dans une agglomération ouvre à la diversité des acteurs (agriculteurs, habitants, élus, etc.) qui construisent ces espaces.

L’agriculture, urbaine par ses fonctionnalités

29Depuis La ville radieuse de Le Corbusier en 1935, la réflexion urbanistique a poursuivi une logique de colonisation systématique de l’espace, ce que laisse entrevoir l’intention de l’urbanisation totale (Le Couédic, 1998), pensée stratégique et autoritaire de réorganisation de la société à partir d’une gestion généralisée des espaces urbains et ruraux. Dans cette perspective, l’agriculture se trouve enfermée dans un projet urbain, elle n’occupe que les espaces vacants de la ville. Parallèlement, la ville considère les terres agricoles et les espaces naturels banals qui se trouvent dans l’espace urbain comme disponibles pour l’urbanisation. Une telle domination urbaine sur le destin des agricultures se heurte pourtant à la complexité des fonctionnalités réciproques que portent les acteurs. Nous les examinons nécessairement selon qu’elles sont construites à l’échelle de l’agglomération ou vécues à l’échelle des individus.

30Dans les agglomérations, l’agriculture doit composer car elle participe de la concurrence d’usages du sol en fonction des dynamiques complexes qu’elle tisse avec l’espace urbain (Bonnerandi et al., 2003). Or cette relation n’est pas sans difficultés. D’une part, la profession agricole est un milieu très structuré ; les modalités de l’expérience urbaine de l’agriculture (jardinage, loisirs, paysage) y sont explicitement rejetées de la norme professionnelle, même si, à titre personnel, les agriculteurs interrogés peuvent y être sensibles (Le Caro, 2007). D’autre part, le partage d’un même territoire repose sur des équilibres fragiles, par exemple entre l’épandage de lisier ou de boues de stations d’épuration, entre la circulation des machines agricoles et des voitures, etc. Enfin, la pression foncière est un dénominateur commun dans les territoires observés, ce qui est perçu comme une lourde menace pour la pérennité des projets agricoles. Ainsi le dialogue entre le monde agricole et les collectivités reste dans la plupart des cas une histoire à construire, et la question se pose de concevoir des espaces de concertation qui puissent rendre compte des attentes des agriculteurs et de la spécificité des espaces urbains et périurbains dans les processus d’aménagement.

  • 4 Par opposition, nombre de parcelles proches des agglomérations sont cultivées par des agriculteurs (...)

31Les fonctionnalités de l’agriculture urbaine se révèlent d’autant plus complexes lorsque l’on observe les pratiques et les expériences des habitants et des agriculteurs au niveau individuel. Bien que les agriculteurs périurbains rejettent l’idée de devenir des « jardiniers de la ville », ils sont de plus en plus nombreux à se rendre perméables aux attentes des citadins (Donadieu, 1998) et à intégrer les fonctionnalités de la « grande » ville dans leur vie personnelle. Cette localisation peut avoir aussi d’autres significations pour l’agriculteur. Outre des terres à cultiver, il y situe aussi le plus souvent son lieu de résidence4. Cette double nature d’espace de vie et d’espace de travail permet à l’agriculteur d’expérimenter les fonctionnalités urbaines en tant que professionnel et en tant qu’habitant. La relation spatiale des agriculteurs à la ville est bien construite à partir de la conjugaison d’un projet de vie et d’un projet de travail. Réciproquement, les habitants, sans forcément cultiver eux-mêmes, expérimentent des fonctionnalités agricoles lorsqu’ils se promènent ou circulent dans les paysages agraires périurbains ou lorsqu’ils « consomment local ». Il s’agit notamment de la participation dans les AMAPs (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne), paniers, marchés et points de vente collectifs des producteurs locaux, ce que Dubuisson-Quellier et Lamine (2004) nomment consomm-action. Ces initiatives, qui approvisionnent les foyers en produits alimentaires locaux, suscitent un intérêt de la part des citadins car elles favorisent la pérennisation de formes agricoles particulières et construisent du lien social entre citadins et agriculteurs. Ces fonctionnalités croisées nous semblent de nature à améliorer la connaissance réciproque entre agriculteurs et citadins, leur permettant de dépasser certains préjugés.

32Les fonctionnalités de l’agriculture urbaine peuvent également être analysées selon le degré d’ouverture des espaces envers autrui. En effet, qu’ils soient considérés comme espaces libres ou comme espaces ouverts, les espaces agricoles présentent une nature hybride entre espace public et espace privé (Le Caro, 2007). Cela conduit à questionner les usages qu’en font les agriculteurs et les habitants. Des agriculteurs peuvent tirer argument de la proximité urbaine pour aussi bien accepter l’ouverture d’un chemin de promenade que la refuser absolument par crainte d’être « envahis ».

33Chez les citadins intéressés par le jardinage, nos observations montrent le glissement, par le biais de l’évolution des pratiques et des usages, d’une nature cultivée dans l’espace domestique, strictement privé, à un espace que l’on peut qualifier de partagé. C’est le cas, par exemple, de la mise en réseau des jardins privés par des groupes de voisins habitant le même îlot ou le même quartier, de la transformation d’un espace commun au pied d’un immeuble en jardin partagé, ou encore des gens qui se déplacent depuis leur lieu d’habitat – le plus souvent collectif – pour aller jardiner dans le jardin privé des autres. La construction d’un lieu partagé de jardinage permet de faire évoluer la conception et la manière de gérer les espaces. Échanges de savoirs, de pratiques, de semences et de récoltes participent à la création d’un espace commun.

34Les agricultures locales informent donc sur les expériences des citadins et des agriculteurs concernés. La pluralité de ces expériences est remarquable, les agriculteurs pouvant se trouver en interaction avec une diversité de « demandes » (accès récréatif, vente des produits, incivilités, etc.) et les habitants cumulant fréquemment l’expérience de divers espaces agricoles (jardins partagés, espaces de promenades, ferme où l’on achète son lait, etc.). Nous remarquons également l’importance des fonctions non marchandes dans ces rapports. Cela bouscule probablement les conceptions que peuvent avoir les aménageurs qui abordent la question.

Des agricultures parties à la dynamique urbaine locale

35Définir l’agriculture urbaine suppose, nous l’avons vu, de préciser ses localisations et ses fonctionnalités; celles-ci doivent être comprises dans leur rapport à « la ville », dont la définition a évolué au cours du temps.

36Au plan de son extension géographique, l’agriculture urbaine de la ville ancienne pourrait se comprendre, anachronisme mis à part, des parcelles intra-muros et de celles de la ceinture nourricière entourant les remparts. En France, aujourd’hui, la définition par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) des « communes urbaines » comme celles dont plus de la moitié de la population appartient à une agglomération de plus de 2 000 habitants laisserait concevoir une agriculture urbaine à l’échelle communale – l’agriculture qui se fait dans les communes urbaines – sans lien avec l’expérience concrète des agriculteurs et des habitants. Le zonage en aires urbaines, en introduisant les catégories d’aire urbaine, de pôle urbain et de commune périurbaine (INSEE, 1998; Brutel et Lévy, 2011), permettrait de considérer comme urbaine l’agriculture effectuée dans les aires urbaines, étant entendu que celles-ci se caractérisent par un taux d’actifs travaillant au pôle urbain supérieur à 40%. Il s’agit donc d’espaces où une proportion significative d’habitants a une expérience quotidienne de la ville.

37L’évolution de ces définitions a eu tendance à élargir l’assiette spatiale de la ville. Dans les conceptions urbanistiques et surtout dans les modalités de la régulation à l’échelle des agglomérations, cette extension a modifié le rapport de la ville à ses agricultures, sans toutefois que la nature de ce rapport soit plus explicite.

38D’une part, des modèles tels que la « ville-territoire », la « ville-diffuse » (Grosjean, 2010) ou la « ville-archipel » (Guy et Givord, 2004) amènent à changer le regard sur les espaces agricoles, naturels et forestiers dans leur rapport spatial et fonctionnel. De manière concomitante, la montée en puissance des coopérations intercommunales – en particulier pour la France au travers des communautés urbaines, des communautés d’agglomération et des communautés de communes – donne une vision élargie de la ville et donc du périmètre d’appréhension de l’agriculture urbaine.

39D’autre part, l’agriculture se voit attribuer de nouvelles fonctions urbaines par l’évolution du regard porté par les élus. La question alimentaire (qualité et disponibilité des produits et localisation de leurs producteurs) et celle de la préservation de la biodiversité incitent les décideurs locaux à la préservation des terres agricoles et des espaces naturels banals. Or les documents d’urbanisme, ayant comme objectifs l’aménagement du cadre de vie et l’équilibre des zones urbaines et rurales, ne garantissent pas toujours cette protection; leur vocation première est en effet de bâtir la ville (Delattre et Napoléone, 2011). À partir de 1967 les Plan d’occupation des sols (POS), devenus Plan locaux d’urbanisme (PLU), définissent une réglementation non seulement pour les sols urbanisés ou à urbaniser mais aussi pour les zones classées « agricoles » ou « naturelles » de la commune. Ces « règlements de zone » ne portent que sur l’urbanisation et ne disent rien de ce que la collectivité attend des agriculteurs. En outre, le Schéma de cohérence territoriale (SCoT), obligatoire pour les agglomérations de plus de 50 000 habitants, renforce la notion d’agglomération mais n’impose pas d’outils de contrôle effectif de l’usage du foncier, la protection des espaces agricoles relevant de la volonté politique locale.

40Les élus d’une ville-centre et ceux d’une petite commune périurbaine ne porteront pas la même attention à l’agriculture professionnelle ou aux jardins partagés. Néanmoins, deux éléments majeurs empêchent d’apprécier le caractère urbain de l’agriculture sur la seule base communale. D’une part, les fonctionnalités de l’agriculture impliquent la circulation des hommes et des aliments à l’échelle de territoires vécus plus larges. D’autre part, la planification à moyen terme des opérations d’urbanisme est construite sur des bases intercommunales, en particulier pour la France dans le cadre des SCoT. La réflexion à l’échelon des agglomérations produit donc des cadres d’analyse qui identifient des espaces agricoles à enjeux.

  • 5 L’association Terres en Villes regroupe 23 intercommunalités urbaines et leur chambre d’agriculture (...)

41Ainsi nous observons, dans des agglomérations membres de l’association « Terres en Villes5 », des démarches orientées vers des dynamiques agricoles de proximité. Construire une politique alimentaire au niveau local est un volet particulièrement exploré. L’enjeu alimentaire, en plus de constituer un défi démocratique dans le sens de poursuivre l’organisation d’une alimentation de qualité pour un grand nombre d’habitants, comporte aussi des aspects sociaux et spatiaux qui renvoient aux nouveaux rapports ville-campagne et aux enjeux de renouvellement urbain. Une telle ambition alimentaire intègre des aspects environnementaux (la protection de l’eau ou des paysages d’écosystèmes fragiles) et de santé publique. Une difficulté majeure tient à l’absence de compétence directe des communes et des agglomérations en matière d’agriculture, qu’elles n’abordent qu’indirectement par l’alimentation locale et la santé. L’agriculture peut alors toutefois devenir, par le biais de la qualité alimentaire et de la santé des habitants, un facteur clef de la cohérence de la ville-territoire.

  • 6 Rennes Métropole et Cap l’Orient sont les noms que se sont donné les communautés d’agglomération de (...)

42L’agriculture urbaine ne saurait être définie par les aléas du découpage intercommunal, les espaces agricoles d’une commune périurbaine (au sens de l’INSEE) qui n’aurait pas adhéré à une communauté d’agglomération pouvant tout à fait répondre aux critères de localisation et de fonctionnalité retenus plus haut. A contrario, comme il est difficile de fixer une limite au rayon de la périurbanité, il peut être utile de délimiter le périmètre retenu pour étudier l’agriculture urbaine d’une agglomération sur la base de l’intercommunalité. Ainsi, dans la recherche en cours (cf. note 1), la prise en compte de la gouvernance métropolitaine nous a amenés à nous limiter à l’agriculture incluse dans les périmètres des collectivités concernées, par exemple, les 37 communes de « Rennes Métropole » dans une aire urbaine rennaise qui en comporte 140, ou les 19 communes de « Cap l’Orient6 » dans une aire urbaine lorientaise qui en comporte 24.

Les pratiques agricoles actuelles dans les espaces urbains

  • 7 En France, sont considérés comme agriculteurs non professionnels ceux qui n’atteignent pas le seuil (...)

43L’article L.311-1 du Code rural définit l’agriculture comme la maîtrise d’un cycle végétal ou animal. Ainsi l’habitant, qu’il soit jardinier amateur ou producteur de lait, est impliqué dans des pratiques agricoles chaque fois qu’il intervient sur un système biologique en contribuant à une fonction de production. Cela n’empêche pas des objectifs différents : l’agriculteur professionnel poursuit des objectifs d’entreprise – dont l’obtention d’un revenu correct – tandis que les agriculteurs non professionnels7 et les citadins ont des motivations tout à fait diverses pour cultiver. C’est pourquoi il nous semble difficile, comme le propose Niwa (2009), de réserver le terme d’agriculture urbaine aux agricultures professionnelles : les fonctionnalités alimentaires, paysagères, récréatives ou sociales sont également assurées par les pratiques habitantes.

44Dans les aires urbaines, en Bretagne comme ailleurs, il existe donc différentes formes agri-urbaines qui contribuent aux paysages et correspondent à différents types de « lieux d’agriculture » dans la ville dense et ses interstices, dans les quartiers périphériques, dans la frange urbaine et dans les espaces périurbains. Ces lieux sont le résultat des accords et des frictions, dans la longue durée, entre les dynamiques propres aux agriculteurs et aux habitants d’une part, entre les normes et les règles portées par les organisations agricoles et les institutions communales et d’agglomération d’autre part. Tous ces acteurs s’y trouvent tantôt étroitement mêlés, tantôt profondément séparés. L’observation d’incompréhensions entre eux, généralement liées à des représentations tronquées de l’agriculture urbaine et périurbaine, amène à proposer un rapide examen des trois principales catégories d’agriculture qui cohabitent : une agriculture orientée vers la fourniture de matières premières au marché, une agriculture organisée en circuits courts de commercialisation et une agriculture pratiquée sans objectif professionnel par des citadins. Sans analyser l’ensemble de leurs caractéristiques, nous relèverons en quoi chacune d’entre elles participe ou ne participe pas d’une agriculture urbaine.

Les agricultures orientées vers le marché en circuits longs

45Les agglomérations constituent des pôles dans une matrice rurale où l’agriculture se déploie dans une relative indifférence à la présence urbaine. Les productions développées et les modes de productions dominants tiennent à la logique de bassin de production (Diry, 2006), qui conduit depuis un demi-siècle les agricultures périurbaines à adopter des caractéristiques régionales spécifiques (le lait autour de Rennes, les grandes cultures autour de Lille, etc.), sans qu’il se dégage de physionomie commune qui tienne à leur caractère périurbain.

46Ainsi, certaines exploitations, y compris lorsqu’elles sont situées aux portes de la ville, fonctionnent au plus près du modèle en vigueur dans leur filière, sans référence à la demande alimentaire urbaine locale. D’autres, à titre d’activité principale ou secondaire, adoptent des démarches de diversification qui tiennent tout autant aux opportunités supplémentaires offertes par la proximité urbaine qu’aux contraintes spécifiques (fractionnement par les infrastructures, pression foncière, contrôle accru des nuisances) qui entravent la compétitivité de l’exploitation au sein de ses filières (Rouget, 2008).

  • 8 En France la superficie maximale autorisée en complément d’une retraite agricole s’élève au cinquiè (...)

47Parmi ces exploitations tournées vers les filières et le marché, il existe des exploitations professionnelles à temps plein qui occupent une large proportion de l’espace périurbain, mais on compte aussi des agriculteurs à titre secondaire (qui exercent aussi un autre métier) et des exploitations de complément ou de loisirs. De nombreux retraités agricoles jouissent ainsi de leur droit d’exploiter quelques terres8 et certaines personnes qui héritent de lots fonciers préfèrent cultiver ce terrain familial que de le céder à bail. Tous ces agriculteurs ont, par leur autre profession ou par leurs loisirs, une capacité à partager à la fois les préoccupations des agriculteurs et celles des autres citadins.

48Leur production orientée vers le marché général ne signifie pas que les espaces agricoles concernés ne soient pas ouverts aux citadins pour leurs loisirs, promenades et cueillettes en particulier. Ils peuvent aussi répondre aux attentes paysagères des habitants, que ces derniers les contemplent de chez eux ou qu’ils y circulent (Le Caro, 2007). Et même lorsque les agriculteurs proposent un paysage qui satisfait peu d’habitants, par exemple l’openfield céréalier des couronnes franciliennes, cela n’en fait pas pour autant des espaces agricoles non urbains. Il appartient probablement aux citadins de s’interroger sur leur désir de paysage et aux urbanistes de mieux intégrer à la pensée urbaine des formes agricoles qui résultent de l’insertion de l’agriculture locale dans la mondialisation des marchés alimentaires (Vidal, 2011). Ce sont ces raisons qui nous amènent à rejeter une définition de l’agriculture urbaine exclusivement liée à l’approvisionnement alimentaire de la ville (Ba et Aubry, 2011).

Le développement urbain des circuits courts

  • 9 La possibilité de vente directe par correspondance ou par Internet, fréquente dans le secteur des v (...)

49Définis par la limitation à un seul intermédiaire, les circuits courts alimentaires sont une forme de production et de distribution aussi ancienne que l’agriculture et que la ville. Approvisionner les citadins par l’agriculture en vente directe ou par l’intermédiaire d’un prestataire s’articule de surcroît désormais avec une revendication de proximité9. Sur la base d’historicités et de modalités d’insertion très variées dans le système d’alimentation global, on assiste aujourd’hui à une forte diversification des circuits courts (Aubry et Chiffoleau, 2009). La littérature et nos observations (Nahmías, 2009) montrent bien qu’il n’y a pas eu disparition totale de l’agriculture professionnelle en vente directe durant les quarante années de sa disgrâce aux yeux de la majorité de la profession agricole en France (1955-1995). Ces formes de production s’observent toujours dans l’espace périurbain, dans la frange urbaine et même, dans certains cas, au sein du tissu urbain (enclaves maraîchères).

50Actuellement les circuits courts suscitent un intérêt croissant des citadins, des agriculteurs et des élus et techniciens des agglomérations. Les citadins multiplient les AMAPs. Les agriculteurs ont vu glisser cette thématique du seul champ militant vers nombre de Chambres d’agriculture. Les pilotes des agglomérations y voient une manière d’assurer la coexistence des diverses formes d’organisation socioéconomique de la production agricole et d’ouvrir des chantiers écologiques et sociaux innovants, capables d’alimenter le bien-être habitant mais aussi le marketing urbain.

51La vente directe donne un rôle spécifique aux agriculteurs périurbains. Ils sont des médiateurs entre les citadins et leur écoumène (Le Caro, 2011), permettant aux consommateurs de se réapproprier l’acte intime et fortement symbolique du manger et reconstruisant le sens qu’ils peuvent donner aux paysages agraires qui entourent ou ponctuent le tissu urbain. Il faut y voir également une opportunité – pas toujours saisie – pour les citadins de mieux comprendre les problématiques agricoles, et pour les agriculteurs professionnels de restaurer la confiance mise à mal par diverses crises alimentaires. Les agriculteurs peuvent aussi mieux prendre en compte les attentes écologiques et paysagères des citadins. Globalement, la vente directe est un puissant moyen de rapprocher l’agriculture de la ville. Néanmoins, la vente directe aux citadins peut concerner des exploitations dont la localisation est éloignée, parfois hors de l’aire urbaine. C’est alors le lien alimentaire et le contact avéré avec les consommateurs qui pourrait en faire des exploitations « urbaines ».

52Par ailleurs, les circuits courts, pour les collectivités urbaines qui s’y intéressent, représentent une opportunité de dynamiser la production et la consommation des produits du territoire, d’agir pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de favoriser des systèmes agraires respectueux de l’environnement et des paysages. Cela se manifeste dans la mise en place croissante de politiques visant l’approvisionnement des restaurants collectifs en produits locaux – provenant ou pas de l’agriculture biologique – et par le soutien direct ou indirect à certaines formes de commercialisation comme les points de vente collectifs, les AMAPs, les marchés de producteurs locaux (Nahmías, 2009).

53Les circuits courts locaux alimentaires peuvent donc être considérés comme le cœur et le pivot de l’agriculture urbaine; sans oublier qu’ils constituent un élément de l’économie agricole locale, en interaction avec les autres productions et les autres producteurs du territoire. Ils coexistent toutefois avec les produits locaux distribués en circuits longs, qui reviennent aussi dans les assiettes des citadins, et avec une forme ultra-directe d’approvisionnement alimentaire, le jardinage. Les habitants font de ce fait probablement plus spontanément que les agriculteurs ou les urbanistes le lien entre les agricultures qu’ils achètent et celles qu’ils pratiquent.

L’agriculture comme expérience des habitants

54L’engouement des Français pour les pratiques agricoles (au sens large de l’article L.311-1 du Code rural) est notable. Un français sur trois cultive son potager (Donadieu, 1998). Une estimation avance même qu’au moins 70% des Français auraient accès directement ou indirectement à un jardin, certes pas forcément potager (Vadrot, 2009). Comme les quatre cinquièmes de la population résident dans des communes urbaines, nous pouvons supposer que nombre de ces jardins sont situés dans l’espace urbain. En effet, nos observations à l’échelle de la vie quotidienne montrent bien qu’une pluralité de formes agri-urbaines de proximité se pérennisent, à une distance-temps variable de l’habitat et parfois sur des surfaces minuscules. Ce sont des espaces jardinés autour de la résidence principale ou secondaire, de discrets jardins de balcons ou de terrasse, un jardin partagé en pied d’immeuble collectif ou dans le cadre d’un centre social, un jardin familial que l’on va cultiver chez un parent dans ou hors la ville, un terrain loué ou prêté dans des quartiers périphériques, dans la frange urbaine ou dans le périurbain. Plus exceptionnellement, l’appropriation de friches par des groupes de jardiniers amateurs ou de squatters se réalise sous couvert associatif ou en dehors de toute réglementation. Intermédiaires entre ces jardinages et l’agriculture professionnelle, les pratiques d’agriculture de loisirs (hobby-farming) peuvent se traduire par des paysages difficiles à distinguer de ceux de l’agriculture régionale : élevages de chevaux ou de moutons, production de céréales ou de fruits à titre non professionnel, etc. Globalement, les espaces cultivés par les citadins, plus ou moins réduits, moins contigus que l’espace agricole professionnel et donc moins perceptibles, souvent même invisibles car enclos de murs (Baker, 2012), forment un archipel vert non négligeable dans le tissu urbain et se partagent l’espace agricole périurbain avec les exploitations professionnelles.

55Les motivations de ces habitants sont multiples et en faire une liste, non-exhaustive, montre la diversité des liens que ces pratiques tissent entre agriculture et vie urbaine. Pour la plupart des jardiniers, la possibilité de produire une nourriture saine et de compléter ainsi l’alimentation quotidienne est primordiale; il peut arriver qu’une partie de la production soit vendue ou échangée, constituant un complément de revenu. Mais la création de nouveaux espaces de sociabilité en ville, les préoccupations environnementales, les échanges de savoirs soulignent des motivations socio-territoriales. La revendication d’un cadre de vie, de loisir et de détente est également très présente et de moins en moins opposée à la dimension vivrière : le potager et les espaces d’agrément se rapprochent, voire fusionnent. Ces motivations ne sont pas indépendantes des expériences vécues par les citadins à la campagne ou des représentations qu’ils s’en font, puisqu’il s’agit d’obtenir le meilleur de la campagne aux abords de son immeuble, de sa rue ou de sa ville…

56Les services de la ville ou de l’agglomération – essentiellement les services jardins et espaces verts et ceux qui accompagnent le développement social et culturel – et les associations de jardiniers – quand elles existent – doivent relever le défi d’accompagner ces nouvelles demandes. De longues listes d’attente se forment pour avoir accès à une parcelle sur les jardins familiaux, et les services constatent une augmentation des demandes d’accompagnement de jardins partagés. Ces projets visent, pour des collectifs d’habitants, à mettre en production des friches (Hodgson, 2010), des pieds d’immeubles, des trottoirs, voire des ronds-points. D’autres potagers sont initiés au sein des crèches, écoles, universités, prisons et hôpitaux.

57Toutes ces initiatives plus ou moins innovantes d’appropriation de l’espace par des citadins montrent l’éventail des expériences sensibles de l’habitant (Hoyaux, 2003) et prouvent que, porteur d’une représentation particulière du cadre de vie urbain, il est capable de transformer les fonctionnalités initiales de l’espace. Ces situations, si elles interrogent le rapport de l’habitant à la nature productive dans l’espace urbain, viennent questionner la politique de la ville en termes d’aménagement des espaces ouverts et de services de proximité. Elles obligent par ailleurs les structures associatives et sociales à innover dans l’accompagnement des projets. La recherche de cohérence dans l’allocation du foncier et dans la promotion d’une politique alimentaire d’agglomération conduira à élargir ces questionnements aux rapports qu’entretiennent ces expériences habitantes avec les agricultures orientées vers les marchés (en circuits longs comme en circuits courts). À terme, le décloisonnement des interventions publiques, par exemple entre services agricoles et services espaces verts, et une communication minimale entre organisations d’agriculteurs et de jardiniers, deviendront incontournables.

Définir l’agriculture urbaine

58Dans des sociétés devenues urbaines dans leurs valeurs (Hervieu et Viard, 1996) et dont l’armature urbaine forme un réseau dense regroupant les quatre cinquièmes de la population, l’ensemble des formes d’agriculture pourrait être qualifiées d’urbaines. Néanmoins, pour que ce qualificatif garde un sens précis, nous retiendrons les agricultures ayant un lien particulier avec la ville proche (et non avec l’ensemble du réseau urbain ni avec l’ensemble de la société). La difficulté tient à la diversité des liens à considérer et au caractère imprécis de la notion de proximité. À partir des trois critères retenus et des trois types d’agriculture identifiés dans les deux sections précédentes, nous énonçons et explicitons notre définition avant de la situer dans le champ plus large des réflexions en cours sur les natures dans la ville.

L’agriculture urbaine : vers un domaine de définition

59À partir de notre analyse des liens entre la ville et l’agriculture en terme de localisations, de fonctionnalités et de régulations d’une part, des diverses formes agricoles recensées et de l’identification de leurs parties prenantes d’autre part, nous proposons de définir l’agriculture urbaine comme l’agriculture pratiquée et vécue dans une agglomération par des agriculteurs et des habitants aux échelles de la vie quotidienne et du territoire d’application de la régulation urbaine. Dans cet espace, les agricultures – professionnelles ou non, orientées vers les circuits longs, les circuits courts ou l’autoconsommation – entretiennent des liens fonctionnels réciproques avec la ville (alimentation, paysage, récréation, écologie) donnant lieu à une diversité de formes agri-urbaines observables dans le ou les noyaux urbains, les quartiers périphériques, la frange urbaine et l’espace périurbain.

60La figure 1 schématise le domaine de définition de l’agriculture urbaine. Lorsque l’on croise la typologie des espaces concernés et celle des agricultures identifiées, trois éléments de différentiation apparaissent au sein de l’agriculture urbaine :

61le croisement entre types d’espaces et d’agricultures produit une large gamme de formes agro-urbaines;

62les recoupements entre types d’agriculture produisent toutes sortes d’hybridations qui multiplient le potentiel créatif des parties-prenantes et permettent à la ville de voir évoluer les fonctionnalités de ses agricultures;

63Le gradient de centre à périphérie permet d’établir une hiérarchisation dans le degré d’urbanité des espaces agricoles étudiés et de porter une attention particulière aux effets de frontière morphologique et institutionnelle qui caractérisent respectivement la frange urbaine et la limite du territoire de l’intercommunalité urbaine.

Figure 1. Domaine de définition de l’agriculture urbaine

Figure 1. Domaine de définition de l’agriculture urbaine

Conception : Paula Nahmias et Yvon Le Caro / réalisation : Yvon Le Caro

Pour la construction sociale d’un concept

64Le terme d’agriculture urbaine prend différentes significations d’un groupe d’acteurs à un autre. Mais cette situation n’est pas spécifique à l’agriculture : la construction du concept de forêt urbaine par Nichols (2009) nous en donne un exemple intéressant. Il en propose une définition activant la double condition de la localisation de la forêt en proximité urbaine et de l’existence de bénéfices sociaux pour la population urbaine. Il met en exergue les conditions d’accès quotidien des citadins à la forêt et la réalité de leurs pratiques. Il montre comment la notion de forêt urbaine a évolué d’une définition basée sur des critères d’écologie urbaine – la forêt conventionnellement conçue comme un émetteur de biens et de services – vers une construction sociale mobilisant les motivations sociales et environnementales de diverses catégories d’acteurs individuels, associatifs ou institutionnels. Un autre exemple est donné par la définition des espaces naturels périurbains comme « des espaces non urbanisés, situés dans une aire d’influence urbaine, et occupés principalement par une végétation spontanée ou d’autres milieux naturels (eau, rochers), parfois en combinaison avec des terrains agricoles » (Michelot, 2004, p. 8). En indiquant « la pression urbaine et le cadre physique » comme les deux principaux critères permettant d’en faire une typologie, cet auteur confirme que la localisation et le paysage mobilisés dans sa définition ne sauraient suffire. Et encore néglige-t-il les liens que les citadins peuvent avoir ou non avec ces espaces.

65En définitive, ce qui détermine la définition est en rapport étroit avec les représentations et les attentes portées par les acteurs concernés. Dans le cas de l’agriculture urbaine, cela pose problème car nous avons montré que les acteurs d’un même espace agri-urbain (aménageurs, profession agricole et habitants) n’en ont pas la même vision. Si une agglomération décidait de construire une politique globale pour ses espaces agricoles, forestiers et naturels, tous des espaces ouverts porteurs d’enjeux écologiques et sociaux déterminants, on imagine la difficulté de s’accorder entre acteurs engagés dans ces trois types d’espaces. Il nous semble intéressant, dans ce contexte, de formuler des définitions qui, tout en restant additives pour respecter les particularités de chacun et de chaque espace, puissent permettre d’identifier des dénominateurs communs facilitant l’adhésion des parties prenantes aux démarches de concertation.

66Trois perspectives politiques nous semblent de nature à fédérer les collectivités comme les agriculteurs et les habitants autour de l’agriculture urbaine telle que nous l’avons définie. D’une part, la déclinaison locale des problématiques du développement durable (réduction des gaz à effet de serre, protection des sols et de l’eau, préservation de la biodiversité, amélioration de la santé et du bien-être, cohésion sociale et développement économique, etc.) engage à changer de regard sur la localisation et le mode de production agricole. D’autre part, l’évolution des marchés agricoles encourage à une meilleure maîtrise qualitative mais aussi quantitative de l’approvisionnement alimentaire urbain. Enfin, la quête de nouveaux espaces identitaires, de convivialité et de renouvellement du lien social en ville nous paraît mobilisatrice. Notre définition de l’agriculture urbaine a donc vocation à être « usée » aux pierres des interactions sociales complexes de la ville en mouvement.

Conclusion

67Qu’ils soient hérités d’une longue histoire ou recomposés par les interventions contemporaines d’urbanisme, les espaces agricoles contribuent à la structuration de la ville par ses formes « vertes ». Bien que l’agriculture urbaine soit aujourd’hui valorisée dans ses dimensions économique, environnementale et sociopolitique, trouver une définition partagée de sa nature et de ses rôles dans le projet urbain demeure difficile pour l’ensemble des acteurs concernés. En effet, la dynamique des formes agricoles dans l’espace urbain repose sur la tension provoquée par trois mondes qui opèrent avec des logiques différentes : les institutions de l’agglomération, la profession agricole et les habitants. Ainsi la diversité des formes et des expériences d’agriculture que nous trouvons dans l’espace urbain montre que l’agriculture urbaine peut être définie par le croisement de trois critères : la localisation par rapport à la ville, les fonctionnalités réciproques envers la ville et l’intégration de l’agriculture au champ de régulation de la dynamique urbaine.

68À la lumière des évolutions des modes d’habiter, l’agriculture urbaine est une notion qui interroge non seulement ce que chacun comprend par « agriculture » mais aussi la représentation qu’il se fait de « la ville ». Chez les habitants, il existe une revendication à l’agriculture qui se traduit par la rénovation des liens avec la nature, mais aussi par la reconstruction d’un rapport à la terre et par des efforts pour restaurer un savoir-faire et une culture, pour mieux se nourrir, voire pour entretenir le mythe de la campagne perdue. Si ces pratiques bousculent la signification usuelle et professionnelle de l’agriculture, elles permettent aussi de faire évoluer les manières d’habiter la ville, notamment à travers l’appropriation des espaces. En effet, des espaces considérés comme publics ou semi-publics et qui dans la représentation des habitants appartiennent « à la ville », celle-ci contrôlant le foncier et ses usages, prennent à travers des pratiques agricoles un caractère d’espaces partagés auxquels les habitants sont capables de s’identifier, permettant de vivre la ville autrement. La définition de l’agriculture urbaine, en proposant d’associer dans une même dynamique les espaces intra-urbains et périurbains d’une part, les agricultures professionnelles et non-professionnelles d’autre part, invite les organisations professionnelles agricoles et les responsables des politiques agri-urbaines des agglomérations à construire des politiques qui valorisent toutes les dimensions du lien agri-urbain et ne se cantonnent ni à la promotion des circuits courts, ni à la protection quantitative de l’espace cultivable, si nécessaire soient-elles!

69Sur le plan scientifique, il nous semble qu’une définition de l’agriculture urbaine partagée par une pluralité d’acteurs peut alors permettre de reconsidérer la question de la ville durable en rapprochant les expériences et les référentiels agricoles et urbains sur le développement, l’environnement et l’alimentation. En retour, ce rapprochement peut nous permettre de continuer à approfondir la définition proposée, de manière à mieux intégrer la complexité des liens fonctionnels réciproques qui se tissent entre les formes et les acteurs des divers espaces de l’agglomération et des agricultures dont nous avons esquissé une typologie.

70Sur le plan de l’aménagement urbain, nous avons observé que les pratiques agricoles des citadins ne trouvent pas forcément de reconnaissance dans le monde agricole, non plus qu’au sein des administrations des agglomérations. L’absence quasi générale de moments et de lieux qui puissent rendre compte, pour la représentation et le débat, de la diversité des agricultures urbaines est à la fois un facteur explicatif et une conséquence de cette situation. Actuellement, les acteurs s’expriment dans des cercles référés à leurs compétences et représentations respectives (chambre d’agriculture, service des espaces verts, service du développement social, services d’urbanisme, association de jardiniers, etc.). Il reste aux acteurs concernés à trouver des espaces de rencontre et de concertation permettant une synergie entre les agricultures urbaines. S’ouvre alors un champ d’investigation en sciences humaines et sociales pour déterminer les conditions, les contextes et les enjeux de l’émergence d’une agriculture urbaine plurielle mais cohérente.

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Notes

1 Thèse conduite par Paula Nahmías à l’UMR CNRS 6590 ESO Espaces et Sociétés, Université européenne de Bretagne – Rennes 2, sous la direction d’Emmanuelle Hellier et financée par une allocation de recherche de la Région Bretagne.

2 Assertion discutable, l’agriculture urbaine y étant généralement décomposée en intra-urbaine et périurbaine tout comme le propose la FAO (Mougeot, 2000).

3 « L’influence de l’agglomération peut se manifester, on le sait, assez loin des centres urbains, jusqu’à 200 kilomètres pour les grandes métropoles si l’on prend en compte le seul critère de la mobilité entre travail et résidence » (Donadieu, 1998, p. 19).

4 Par opposition, nombre de parcelles proches des agglomérations sont cultivées par des agriculteurs dont le siège d’exploitation est situé assez loin de la ville. Les sièges d’exploitation proches du pôle urbain sont plus facilement démembrés pour valoriser le bâti et par crainte de contraintes excessives sur la production.

5 L’association Terres en Villes regroupe 23 intercommunalités urbaines et leur chambre d’agriculture départementale respective afin de réfléchir en commun à la régulation et à la mise en valeur des agricultures et des espaces agricoles périurbains (URL : www.terresenvilles.org).

6 Rennes Métropole et Cap l’Orient sont les noms que se sont donné les communautés d’agglomération de Rennes et de Lorient.

7 En France, sont considérés comme agriculteurs non professionnels ceux qui n’atteignent pas le seuil d’affiliation au régime social agricole, seuil fixé à la moitié de la Surface minimum d’installation (SMI) mais cultivent plus d’un hectare (pour la statistique agricole) ou de un huitième de la SMI (pour le régime social agricole). La SMI est définie administrativement par petite région agricole, avec des équivalences pour les productions spécialisées, en particulier le maraîchage. Autour de Rennes (SMI fixée à 18 ha), les agriculteurs non professionnels au sens du régime social agricole sont donc ceux qui exploitent entre 2ha25a et 9ha en polyculture. Ils doivent une « cotisation de solidarité » au régime social agricole sans pouvoir bénéficier de ses prestations.

8 En France la superficie maximale autorisée en complément d’une retraite agricole s’élève au cinquième de la SMI, soit par exemple 3,6 ha autour de Rennes. En cas de préretraite agricole, cette superficie ne peut dépasser un hectare.

9 La possibilité de vente directe par correspondance ou par Internet, fréquente dans le secteur des vins et spiritueux par exemple, mais également la possibilité de livrer en direct des magasins dans des villes éloignées font ainsi l’objet de discussions au regard des critères sociaux et environnementaux du développement durable.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Domaine de définition de l’agriculture urbaine
Crédits Conception : Paula Nahmias et Yvon Le Caro / réalisation : Yvon Le Caro
URL http://journals.openedition.org/eue/docannexe/image/437/img-1.png
Fichier image/png, 48k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Paula Nahmias et Yvon Le Caro, « Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes spatiales  »Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 6 | 2012, mis en ligne le 16 septembre 2012, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/437

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Auteurs

Paula Nahmias

Université européenne de Bretagne – Rennes 2, paula.nahmias@univ-rennes2.fr

Yvon Le Caro

Université européenne de Bretagne – Rennes 2, yvon.lecaro@univ-rennes2.fr

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Droits d’auteur

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