1La ville concentre une part croissante de la population et de la consommation énergétique. Les villes maghrébines se caractérisent par un fort essor démographique et migratoire. En Tunisie, la population urbaine est passée de 37,5 % à 66,9 %1 entre 1960 et 2009. Ce mouvement d’urbanisation, corrélé à la croissance économique nationale, induit des besoins accrus en matière énergétique et des impacts environnementaux démultipliés (Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire, 1995).
2La Tunisie est un des premiers pays en voie de développement à mener une politique volontariste en matière d’économie d’énergie, de production et d’utilisation des technologies liées aux énergies renouvelables. Il n’existe pas en Tunisie de politiques énergétiques explicitement dédiées au milieu urbain. Nous soutenons l’idée que le marché urbain de l’énergie solaire s’est constitué, de fait, suite à la mise en place des mécanismes de soutien gouvernementaux. La mise en pratique de ces politiques constitue un axe majeur de notre réflexion car l’introduction de nouveaux modes de consommation énergétique durables participe aussi d’une nouvelle gestion de la ville. Il s’agit de s’interroger sur la manière de construire et dont se construit la ville durable à travers la question de la diffusion des équipements solaires auprès des ménages tunisiens. L’impact des programmes gouvernementaux sur la consommation domestique a été plus important dans le secteur résidentiel, prioritairement visé. Dans cette étude, nous traiterons donc exclusivement les systèmes intégrés à l’habitat individuel ou collectif.
3Nous sommes partis d’une étude que nous avons réalisée sur l’entrepreneuriat de l’énergie solaire en Tunisie (Benalouache, 2011) et nous l’avons élargie à celle des installateurs et des consommateurs. L’attention notable portée à l’opérationnalité des programmes « Prosol résidentiel » dans cet article a de facto exclu de notre étude les systèmes photovoltaïques non connectés au réseau, autour desquels des programmes ont été certes formulés, mais ces programmes n’ont concerné que les sites ruraux isolés.
4Nous avons pris le cas du Grand Tunis - qui en termes de population, de superficie et de fonctions est l’agglomération tunisienne la plus importante - afin d’analyser un exemple de territorialisation de l’énergie solaire (vente d’équipements solaires) dans une grande agglomération du Sud de la Méditerranée. Cette cartographie nous a permis de mettre en évidence une géographie différenciée de la répartition des équipements d’énergie solaire thermique, d’une part, et photovoltaïque, d’autre part, et d’en dégager certaines tendances (1ère partie). Ces résultats ne pouvaient être commentés qu’à la lumière des dispositifs d’encouragement à la consommation domestique d’énergie solaire, replacés dans un contexte énergétique tunisien plus général, et qui sont à l’origine de la structuration nationale de l’offre et de la demande (2ème partie). Toutefois, les exigences techniques et les conditions économiques auxquelles se heurte l’usage de ces équipements solaires nous ont poussés à relativiser la capacité de ces technologies durables à se déployer dans un environnement technico-social existant. Des facteurs discriminants tels que le type d’habitat, le lieu de vie ou encore le niveau de vie, ont été effectivement mis en évidence, plaçant ainsi le consommateur tunisien face à des « inégalités énergétiques » (Debourdeau, 2011) (3e partie). L’opérationnalité des politiques énergétiques tunisiennes reste toutefois démontrée grâce aux retombées en termes de réduction d’intensité énergétique ou encore d’économies d’énergie. Le cadre réglementaire tunisien de promotion de l’énergie solaire est unique dans la région. Cependant, l’absence d’une politique industrielle, qui sous-tend l’émergence d’une filière nationale, vient limiter la portée de la politique énergétique tunisienne (4e partie).
5Le Grand Tunis est une agglomération urbaine qui regroupe les gouvernorats de l’Ariana, Ben Arous, la Manouba et Tunis. 22,7 % de la population tunisienne est concentrée dans cette agglomération en 2011, soit 1/6ème du territoire national (Chabbi, 2006). Au cours des trente dernières années, l’urbanisation en Tunisie a connu de multiples transformations. Elle a notamment été marquée par un étalement spatial de la plupart des villes tunisiennes. Les mutations décrites dans le cas du Grand Tunis ont concerné, avec des rythmes et des formes spécifiques, la plupart des grandes villes tunisiennes (Chabbi, 2006).
- 2 Cette liste comportait le nom des clients ainsi que leur adresse (le code postal, notamment). A par (...)
6Nous avons choisi l’échelle du Grand Tunis pour réaliser une cartographie des ventes d’équipements thermiques (chauffe-eaux solaires) et photovoltaïques (panneaux photovoltaïques). L’analyse de la distribution de ces équipements dans les quatre gouvernorats a été menée à partir d’un découpage administratif officiel, celui de la délégation. Les données cartographiées couvrent l’année 2011 et nous ont été fournies en février 2012 par l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Énergie (ANME). Nous avons obtenu la liste2 des clients ayant bénéficié des dispositifs d’aide à la consommation de chauffe-eaux solaires (Prosol II) et de panneaux photovoltaïques (Prosol’elec) dans le secteur résidentiel. 80 % des acheteurs d’équipements thermiques et 90 % des acheteurs d’équipements photovoltaïques ont eu recours à ces mécanismes en 2011.
- 3 Tableau excel répertoriant l’adresse des clients « FNME/Prosol II » et transmis par la direction « (...)
7La cartographie (carte 1) de la vente d’unités thermiques3 reflète une diffusion importante et relativement équitable de l’usage des chauffe-eaux solaires dans l’ensemble du Grand Tunis. Les délégations de Mornag dans le gouvernorat de Ben Arous, celles de Raoued et de Kalaa el Andalos situées au Nord du gouvernorat de l’Ariana, et enfin la délégation de la Marsa à l’extrême ouest du gouvernorat de Tunis, enregistrent le nombre d’installations thermiques le plus élevé du Grand Tunis.
Carte 1. Équipement en panneaux photovoltaïques connectés au réseau par délégation dans le Grand Tunis en 2011
8La distribution des ventes dénote, en revanche, un relatif désintérêt pour ce produit de la part des ménages qui résident dans le centre de l’agglomération, c’est-à-dire au niveau du gouvernorat de Tunis. Les ventes dans cette partie de l’agglomération tunisoise sont environ deux à trois fois moins importantes que dans le reste de celle-ci.
9Les ventes de panneaux photovoltaïques sont six fois moins élevées que celles des chauffe-eaux solaires en Tunisie. Le panneau photovoltaïque est un produit technologiquement plus récent et financièrement plus cher, sa répartition dans le Grand Tunis révèle une plus grande inégalité et accuse une fracture Est/Ouest spécifique. L’Ouest est, en effet, marginalement concerné par ces ventes et dans une moindre mesure le centre, mises à part les délégations de l’Oued Ellil et de Tunis, ville où les quartiers de Mutuelleville, d’El Menzah I à IV puis VII à IX constituent des poches de concentration d’installations photovoltaïques.
10Une surconcentration des ventes est également notable dans les délégations de La Marsa, Ariana ville, La Soukra, Sidi Bousaïd, Ez-Zahra, Hammam Lif et Hammam Chott - particulièrement sur l’axe Mutuelleville/La Marsa. Les installations photovoltaïques dans le Grand Tunis se trouvent ainsi en majorité sur la partie littorale du Grand Tunis.
11Qu’elle concerne les panneaux photovoltaïques ou les chauffe-eaux solaires, la géographie des ménages équipés démontre que ce sont les franges périphériques du Grand Tunis qui sont davantage concernées par ces nouveaux modes de consommation durables. Le commentaire de ces observations spatiales ne sera pertinent qu’à la suite d’un éclairage institutionnel consacré à la politique tunisienne de l’énergie solaire. Cette dernière, depuis les années 2000 notamment, a contribué à la création d’un véritable marché de consommation domestique de l’énergie solaire en même temps qu’elle a entrainé la multiplication du nombre d’entreprises dans le secteur.
12La politique de promotion des énergies renouvelables est ici replacée dans un contexte énergétique tunisien plus global. Cette démarche permet de mettre davantage en évidence le bénéfice, à moyen terme, des dispositifs élaborés pour soutenir ce type d’usage. Cette nouvelle configuration de la demande a eu un impact direct sur la dynamique de création d’entreprises dans le secteur (offre). Les politiques publiques (en premier lieu les programmes Prosol visant explicitement les particuliers) se sont appliquées à définir le cadre d’action régissant les fournisseurs, les installateurs (obtention d’agréments) et enfin les conditions d’accès des consommateurs à ce type d’équipements (conditions d’éligibilité).
Carte 2. Équipement en chauffe-eau solaires par délégation dans le Grand Tunis en 2011
13Depuis les années 1980, la question de la suffisance énergétique en Tunisie est progressivement apparue comme une contrainte économique majeure. Durant les décennies 70 et 80, pourtant, le secteur de l’énergie a joué un rôle déterminant dans le développement économique de la Tunisie. Avec une production annuelle supérieure à 5 millions de tep depuis le début des années 70, les hydrocarbures ont en effet largement concouru à la croissance économique et au renforcement des finances publiques. Ils ont longtemps été parmi les éléments de base de la balance commerciale et le principal pourvoyeur de devises pour le pays.
14Toutefois, à partir des années 1980, la baisse des revenus issus des exportations d’hydrocarbures ainsi que la croissance importante des besoins énergétiques nationaux, conséquence directe de l’évolution des pratiques de consommation et de l’amélioration du niveau de vie des populations, ont contribué à réduire plus que de moitié la part du secteur énergétique dans le PIB ; celle-ci est passée de 12,9 % à 5,9 % entre 1980 et 1997 (Rapport M.E.D.A., 2002). Pour faire face à cette situation, les pouvoirs publics ont mis en place une stratégie s’articulant autour de deux axes majeurs. Le premier axe cherchait à intensifier les efforts de recherche et d’explorations pétrolière et gazière ; le second visait à concrétiser une politique volontariste de maîtrise de l’énergie, encourageant l’utilisation rationnelle de l’énergie et le développement des énergies renouvelables (Amous, 2007).
- 4 Selon le Journal Officiel de la République Tunisienne : Décret-loi n°85-8 du 14 septembre 1985 rela (...)
15L’engagement de l’État tunisien s’est effectivement manifesté très tôt dans le domaine de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables. Dès 1985, une agence de coordination nationale des stratégies énergétiques, l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Énergie (ANME), a vu le jour4. Cette initiative marque l’institutionnalisation de la volonté d’une plus grande maîtrise énergétique. Cette agence a été créée pour répondre aux différents défis énergétiques auxquels est confronté l’État tunisien, parmi lesquels on compte l’épuisement des ressources fossiles, le déficit énergétique du pays (et son impact sur le budget de l’État), et la croissance continue du coût mondial de l’énergie. En outre, à partir des années 1990, se formalisent à l’échelle globale des inquiétudes environnementales qui émanent d’une prise de conscience plus grande de la communauté internationale (réchauffement climatique, effet de serre…). En 1993, la Tunisie signe la Convention Cadre, puis le Protocole de Kyoto en 2002, montrant ainsi son souci de participer à la dynamique mondiale. Pourtant, à l’instar d’autres pays en développement, la Tunisie n’a pas d’engagements contraignants en matière de réduction des gaz à effet de serre.
- 5 Le secteur de l’énergie solaire photovoltaïque demeure, durant cette décennie, très embryonnaire et (...)
- 6 Il s’agit d’un système de financement destiné aux actions permettant la préservation de l’environne (...)
16Les efforts en matière de maîtrise énergétique ne sont pas dépourvus d’intérêt car ils permettent à la Tunisie d’exploiter les opportunités de financement prévues dans le cadre des accords internationaux sur les changements climatiques. Dans les années 1990, par exemple, la commercialisation des chauffe-eaux solaires individuels5 en Tunisie suscite l’intérêt des bailleurs de fond et de la communauté internationale, d’autant plus que son impact est bénéfique pour l’environnement, à la seule condition de remédier au problème du coût d’investissement. Le Global Environnement Facility (G.E.F.) ou Fonds de l’Environnement Mondial6, ainsi que le Royaume-Uni et la Belgique, ont octroyé à la Tunisie un don de 7,3 millions de dollars pour relancer le marché dans le cadre d’un projet confié à l’anme. Afin d’assurer la pérennité du développement de ce secteur, les différents intervenants du projet financé par le G.E.F. ont pris des mesures permettant de surmonter les obstacles ayant conduit à l’échec de la diffusion des chauffe-eaux solaires (C.E.S.) entre 1985 et 1995 (ANME, 2002). L’une des initiatives phares consista à mettre en place une prime non remboursable de 35 % du coût de l’investissement, accordée aux utilisateurs des systèmes de chauffage de l’eau.
17Dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, une série de mesures réglementaires, fiscales et financières, synthétisées dans le tableau 1, ont effectivement marqué l’évolution du secteur (celui du chauffe-eau solaire en particulier) de 1985 aux années 2000.
Tableau 1. Mécanismes de soutien aux énergies renouvelables (1985-2005)
18Le contexte énergétique tunisien change à partir des années 2000. La balance énergétique nationale devient déficitaire en 2001, pour le rester. Le pays doit faire face à une demande interne croissante en énergie primaire. La part des dépenses énergétiques dans le P.I.B tunisien est passée de 5,8 % au début des années 2000 à près de 14 % en 2010. La réduction de la dépendance énergétique devient donc une priorité nationale. Les économies d’énergie (réduction de l’intensité énergétique), mais aussi la substitution des énergies traditionnelles par les énergies alternatives (gaz naturel, coke de pétrole, déchets) et les énergies renouvelables, représentent des solutions que l’État tunisien désire valoriser.
- 7 La diffusion du chauffe-eau solaire a largement baissé, d’environ 18 000 m2 en 2001 à moins de 8 00 (...)
19L’amenuisement des fonds du G.E.F entraine, dans le même temps, une baisse drastique des ventes de chauffe-eaux solaires7. Un diagnostic approfondi des cadres réglementaires et financiers dédiés jusque-là à l’encouragement de la maîtrise de l’énergie en Tunisie s’imposait, afin d’en déduire les orientations stratégiques appropriées.
20Dans ce contexte, le processus de promotion des énergies renouvelables s'est accéléré avec le lancement d’un programme ambitieux de Maîtrise de l’énergie appelé « programme triennal de maîtrise de l’énergie 2005-2007 ». C’est à cette occasion qu’il y a eu une véritable réflexion sur la nécessité de trouver des moyens financiers extrabudgétaires pour soutenir la maîtrise de l’énergie dans tous les secteurs. La réponse institutionnelle à cette préoccupation fut la création du Fonds National pour la Maîtrise de l’Énergie (FNME), financé par des taxes sur l’immatriculation des voitures et sur l’acquisition de climatiseurs. Le FNME est une initiative tunisienne indépendante de tout appui étranger. Parmi les objectifs globaux retenus, on peut noter la réduction de 20 % de la consommation énergétique tunisienne dans la période 2005-2011 et l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie, en passant de 0,8 % en 2009 à 4,3 % en 2014 (Amous, 2007).
- 8 Le programme « Prosol I » a été révisé et est devenu « Prosol II ». L’une des modifications majeure (...)
21Le FNME a été à l’origine de la création de deux programmes clefs : Prosol I en 2005 puis Prosol II en 20078, ainsi que Prosol’élec initié en 2009. Ils accordent pour la première fois des subventions directes aux ménages afin d’encourager l’usage des équipements solaires. Depuis, ces dispositifs se sont étendus aux secteurs tertiaire et industriel.
22Alors que le secteur de l’énergie thermique a fait l’objet d’attentions institutionnelles depuis plus de vingt ans, ces attentions n’ont concerné le domaine du photovoltaïque qu’au travers de programmes dédiés à l’électrification rurale, réalisés au début des années 1990. Cette électrification a été rendue possible grâce à des kits photovoltaïques non connectés au réseau électrique national, évitant ainsi un coût de raccordement important. Le marché mondial du photovoltaïque n’a connu une forte progression que depuis la fin des années 1990. L’évolution croissante et continue de la production des modules photovoltaïques a permis à cette industrie d’acquérir une maturité technologique et de connaître une baisse des coûts de production. Cette maturité est en partie liée à un progrès technique, qui suppose lui-même une mutation sociologique majeure : le raccordement des installations photovoltaïques au réseau électrique national (Debourdeau, 2011).
- 9 Les banques avancent aux fournisseurs les fonds nécessaires et les recouvriront par l’intermédiaire (...)
- 10 Elle dispose du compte bancaire des programmes Prosol et reçoit directement les sommes collectées p (...)
- 11 PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) ; MEDREP (Renewable Energy Financing in the (...)
- 12 Mediterranean Renewable Energy Centre (MEDREC) ;
23Dans le cadre des programmes « Prosol », la priorité est clairement la diffusion des équipements solaires dans le secteur résidentiel. Le marché domestique représente 90 % des ventes de chauffe-eaux solaires et panneaux photovoltaïques en Tunisie. Ces programmes impliquent la participation d’une pluralité d’acteurs nationaux tels que les fournisseurs, les banques des fournisseurs9, la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG), la banque intermédiaire, en l’occurrence la Société Tunisienne de Banque (STB)10. Des acteurs internationaux encadrent aussi ou soutiennent financièrement le dispositif par le biais du programme PNUE-MEDREP11, dans lequel l’idée du mécanisme de financement aujourd’hui à l’œuvre dans le programme Prosol II a été formulée, ou encore par le biais du MEDREC12, qui finance une partie de la subvention (Missaoui, 2007).
Tableau 2. Les programmes Prosol II et Prosol’elec : nature des aides, conditions d’éligibilité et recettes
Source : Chambre Syndicale Nationale des Énergies Renouvelables – 2012, Réalisation : Nadia BENALOUACHE – 2012
24Les programmes Prosol destinés aux particuliers envisagent un ensemble de mécanismes d’encouragement. Pour être éligibles aux programmes, les clients du secteur résidentiel sont soumis à des conditions. Nous avons consigné dans un tableau (tableau 2) la nature des aides, les conditions d’éligibilité et, enfin, les recettes permises en fonction de la technologie solaire (chauffe-eaux solaires ou panneaux photovoltaïques).
25Lors du lancement du programme Prosol I en 2005, le marché du chauffe-eau solaire a été en partie freiné par l’insuffisance de l’offre face à l’abondance de la demande. À cause de cette situation, des délais de livraison relativement longs ont parfois été enregistrés (Missaoui, 2007).
- 13 Liste officielle des entreprises agréées par l’ANME datant du 04 mars 2011. Parmi les conditions d’ (...)
- 14 Les paramètres sont les suivants :
26Cette demande a été, toutefois, satisfaite par la suite grâce à une offre plus importante, due à l’augmentation exponentielle du nombre d’entreprises dans le secteur après la mise en place des programmes Prosol (Benalouache, 2011). Cette idée a été l’une des conclusions majeures d’une enquête que nous avons menée auprès des entreprises tunisiennes du secteur. Cette enquête a concerné 21 entreprises éligibles au programme PROSOL thermique et PROSOL’elec. Les conditions d’éligibilité ont été définies par l’anme13. L’enquête s’est déroulée aux mois de mars et avril 2011. Après avoir défini des paramètres de sélection14, des entretiens semi-directifs ont été effectués auprès des créateurs de l’entreprise.
- 15 Elle ne correspond pas systématiquement à la date de lancement dans le secteur de l’énergie solaire (...)
- 16 Il s’agit du nombre total d’entreprises agréées au programme prosol II en date du 4 mars 2011 ;
27C’est à partir de la date de création juridique15 de ces entreprises que nous avons mis en évidence les phases d’évolution de cet entrepreneuriat du secteur thermique, puis photovoltaïque. La mise en place du programme Prosol I & II a conduit à la multiplication du nombre d’entreprises éligibles au programme en Tunisie. Le nombre d’entreprises agréées est passé de 8 à 4616 entre 2005 et 2008, soit une multiplication par 6.
28Le programme Prosol I et II a eu un effet d’accélérateur dans la dynamique de création d’entreprises. En effet, 8 des 14 entreprises qui se sont lancées dans l’activité du solaire thermique, soit plus de 57 % d’entre elles, l’ont fait après la mise en place du programme prosol’thermique (graphique 1).
Graphique 1. Évolution de l’entrepreneuriat dans le secteur de l’énergie thermique
Source : Enquête Benalouache, 2011. Réalisation : Benalouache, 2011
29Dans le domaine photovoltaïque, l’entrepreneuriat demeure embryonnaire avant 2009, année de lancement du programme Prosol’elec. Parmi les entreprises interrogées, quatre ont été créées avant cette date. La branche photovoltaïque développée par ces dernières est systématiquement associée à une autre activité sans laquelle les entreprises ne seraient pas viables économiquement. Le programme Prosol’elec a contribué à l’explosion du nombre total d’entreprises dans le secteur, puisqu’il est passé de 6 à 58 entre 2009 et 2011, soit une multiplication par 15. L’enquête a confirmé ce constat puisque 77 % des entreprises interrogées ont été créées après 2009 (graphique 2).
Graphique 2. Évolution de l’entrepreneuriat dans le secteur de l’énergie photovoltaïque
Source : Enquête Benalouache, 2011. Réalisation : Benalouache, 2011
30Cet entrepreneuriat soutient l’effort gouvernemental en répondant à une demande domestique croissante mais également en participant à la diffusion de ce type d’équipements au moyen de campagnes de sensibilisation et de vecteurs publicitaires. Nos entretiens auprès des chefs d’entreprises ont montré que différents moyens d’information sont mobilisés par ces derniers pour faire connaitre leurs produits.
31Ces outils marquent d’ailleurs physiquement l’espace urbain : expositions dans les galeries de centres commerciaux, chapiteaux, affichages dans les stations de bus et de métros etc. D’autres circuits de communication sont utilisés tels que la presse, internet, la radio etc. L’ensemble de ces vecteurs publicitaires contribue à produire de nouvelles représentations relatives à de nouveaux modes de consommation.
32Pour informer les clients des procédures à suivre pour l’acquisition d’équipements solaires et pour leur permettre de prendre connaissance des entreprises et installateurs éligibles aux programmes Prosol, des affiches sont disposées au niveau des districts, des agences commerciales de la STEG et dans les antennes régionales de l’anme. Le rôle des installateurs dans la diffusion de ce type d’usage est déterminant car ils sont des relais de l’anme, de la STEG et des entreprises auprès des clients tunisiens potentiels, partout dans le pays.
33Au mois de mars 2011, 1014 installateurs agrémentés ont été recensés par l’anme. Les installateurs ne sont pas structurés en entreprise. L’installation des équipements solaires complète une activité principale (plomberie, etc.). L’énergie solaire constitue donc un secteur de renouvellement des petits métiers en Tunisie.
34Toutes les démarches administratives requises par l’anme et la STEG sont effectuées par les installateurs. Pour la pose de panneaux photovoltaïques, par exemple, l’installateur devra effectuer une visite à son client potentiel, à l’issue de laquelle il réalisera une étude de faisabilité et élaborera un devis du coût de l’installation. Cette étude devra inclure les informations techniques concernant l’installation projetée (puissance de l’installation, nombre et surface des modules, onduleur(s), estimation du productible, garanties…). L’installateur propose ensuite aux clients intéressés les solutions les mieux adaptées accompagnées des devis, conformément au cahier des « Spécifications techniques d’admissibilité des installations photovoltaïques et des Mesures de sécurité » signés par l’installateur lors la demande d’éligibilité.
35Malgré les aides gouvernementales, l’utilisation des équipements solaires se heurte à des exigences techniques et des conditions économiques qui rendent l’accès aux équipements solaires, notamment des panneaux photovoltaïques, difficile. La consommation des équipements solaires, par ailleurs, est essentiellement le fait d’une clientèle urbaine.
36Les éclairages apportés sur les aspects techniques et sur les dispositions économiques inhérentes à l’utilisation de matériel solaire seront confrontés, dans cette partie, aux observations spatiales permises par notre production cartographique et aux résultats d’enquêtes menées auprès des ménages tunisiens équipés en énergie solaire. Les analyses qui en découleront nous permettront de mettre en évidence des « inégalités énergétiques » (accès, pratiques…).
- 17 Société Franco-Tunisienne Des Energies Nouvelles ;
- 18 Ce nombre correspond aux clients ayant bénéficié du programme FNME/Prosol II, soit 80% des ventes d (...)
- 19 Ce nombre comprend les clients ayant bénéficié du programme FNME/Prosol’élec et ceux qui n’en ont p (...)
37Nous avons utilisé deux dispositifs d’enquête différents sur le plan qualitatif et quantitatif. Le premier est une enquête commerciale conduite par l’entreprise de chauffe-eaux solaires SOFTEN17, et mobilisée à des fins sociologiques. Les questions soumises aux clients sont à choix multiples. La technique utilisée est l’entretien téléphonique. Nous avons repris un certain nombre de questions pour élaborer notre seconde enquête auprès des clients de panneaux photovoltaïques. Nous avons, cependant, choisi de poser des questions ouvertes. Quantitativement, le ratio est très différent car le nombre de clients de chauffe-eaux solaires et de panneaux photovoltaïques l’est également. En 2011, l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Énergie enregistre 29 00018 achats de chauffe-eaux solaires contre 45619 ventes de panneaux photovoltaïques.
- 20 40% des ventes de chauffe-eau solaires en 2010 sont de marque SOFTEN ;
- 21 Dans cet échantillon, certains clients ont eu recours aux aides permises par le programme FNME/Pros (...)
38Pour cerner les comportements des ménages consommateurs de chauffe-eaux solaires, nous avons donc utilisé les résultats d’une enquête, datant de septembre 2010 et conçue par l’entreprise SOFTEN, leader sur le marché du solaire thermique20. Il s’agit d’une enquête de notoriété réalisée tous les trois ans par entretiens téléphoniques auprès d’un échantillon de 37121 personnes choisies au hasard dans l’annuaire clientèle. Nous avons retenu dans cette enquête certains paramètres servant à nous renseigner sur le comportement des consommateurs de chauffe-eaux solaires.
- 22 Seules les coordonnées téléphoniques des acheteurs étaient indiquées dans le tableau ;
39Pour réaliser notre enquête sur les ménages équipés en panneaux photovoltaïques, nous avons procédé à une sélection aléatoire de 35 clients, parmi un panel de 456 clients, à partir d’un tableau Excel répertoriant l’ensemble des consommateurs qui ont été autorisés, au travers de la connexion au réseau, à réinjecter le surplus d’énergie photovoltaïque et à le revendre à la STEG. Ce tableau22 nous a été fourni par la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG). Nous avons mené des entretiens téléphoniques en nous inspirant de la méthode d’enquête mise en place par l’entreprise SOFTEN. Les 15 premiers clients ont été interrogés au mois de février 2012 et les 20 restants durant les mois de mai et juin 2012.
- 23 Selon la catégorisation établie par l’Institut National de la Statistique [INS] ;
40L’exploitation et la réalisation de ces enquêtes ont permis de déterminer le profil des usagers (l’importance accordée aux subventions gouvernementales, leur catégorie socio-professionnelle23, le type de logement occupé) et d’analyser l’impact des conditions techniques économiques que suppose l’usage des équipements sur la manière de consommer cette énergie durable.
41La géographie des ventes de chauffe-eaux solaires et de panneaux photovoltaïques dans le Grand Tunis a montré que les franges périphériques (gouvernorats de Ben Arous, Ariana, Manouba) de l’agglomération étaient davantage concernées par l’installation de ces équipements. Selon les statistiques fournies par l’Institut National de la Statistique (INS), près de 55 % des villas ou « étages de villas » dans le Grand Tunis se situent précisément dans les gouvernorats de l’Ariana et de Ben Arous en 2011, tandis que le gouvernorat de la Manouba concentre, selon la même source, 54 % des logements traditionnels du Grand Tunis. Les exigences techniques dues à l’utilisation de matériel solaire rendent, en effet, le logement individuel de type « villas », « étages de villas » ou « maisons arabes » plus adapté. L’installation d’équipements thermiques dans les bâtiments résidentiels collectifs se heurte à des difficultés, car elle nécessite une longueur minimum de conduites de 20 mètres, ce qui équivaut à un immeuble de 4 à 5 étages. Seuls les étages intermédiaires (2e et 3e étage) peuvent par conséquent en bénéficier. La gestion collective de ces équipements (compteur d’électricité commun) dans les immeubles est très compliquée du fait d’un problème de « mentalité ». Le recours au syndic de copropriété existe en Tunisie mais reste peu opérationnel.
42La faible proportion des équipements solaires dans le centre du Grand Tunis s’explique par la concentration de logements collectifs résidentiels dans cette zone, notamment dans le gouvernorat de Tunis. Selon l’Institut National de la Statistique (INS), 62 % des appartements en immeuble répartis dans le Grand Tunis se trouvent justement dans le gouvernorat de Tunis. La consommation des équipements solaires dépend donc fortement du type d’habitat occupé, la résidence individuelle étant mieux adaptée (disponibilité spatiale, gestion individuelle des équipements).
- 24 235,4 DT pour un CES de 300 litres après subventions de l’Etat (source : Chambre Syndicale des Ener (...)
43Pour des raisons techniques également, les systèmes photovoltaïques connectés aux réseaux de la STEG ne concernent que le milieu urbain. La gamme des panneaux photovoltaïques traitée dans cette étude est exclusivement installée dans les villes tunisiennes. L’achat de chauffe-eaux solaires est aussi le ressort d’une clientèle principalement urbaine. En 2011, 80 % de la totalité de la surface en m2 de capteurs solaires ont concerné le milieu urbain, soit 384000 m2. Les entretiens menés auprès des professionnels confirment cette tendance. La Société AES, par exemple, atteste que plus de 90 % de sa clientèle est urbaine. Les explications données par cette société révèlent que les ventes dans le milieu rural répondent surtout à une recherche de confort qu’une faible proportion de la population peut se permettre. Les habitants des zones rurales choisissent plus volontiers les douches collectives ou hammams. Bien que le coût d’investissement de départ soit relativement faible, soit 35,4 DT pour un chauffe-eau solaire de 200 litres24, le crédit de consommation est difficilement supportable pour ces populations rurales. Les ressources économiques des clients constituent un paramètre discriminant dans l’appréciation de ces nouveaux modes de consommation durables.
44La décision d’achat des ménages tunisiens est essentiellement motivée par une rationalité économique, satisfaite par des mécanismes d’aide à l’achat en amont, et par des économies d’énergie en aval (cf. Tableau 2). 91,4 % de la population échantillonnée déclarent que le prix de départ du chauffe-eau solaire a été un facteur déterminant dans la décision d’achat. Le niveau de solvabilité des acheteurs de chauffe-eaux solaires est en effet presque total pour ce qui concerne le coût d’investissement.
45Les ménages équipés en panneaux photovoltaïques ont déclaré à plus de 88 % avoir été convaincus par ce produit grâce aux dispositifs mis en place avec le programme Prosol’elec. Toutefois, à la différence du chauffe-eau solaire, le coût de départ pour l’acquisition d’équipements photovoltaïques reste élevé même après subventions. Aux conditions d’admissibilité, rendant difficile l’accès à cette technologie, s’ajoute effectivement le coût élevé de son investissement. Ce dernier varie entre 7000 et 8000 Dinars Tunisiens, subventions comprises, pour une capacité d’1 kwc. Ce qui, comparé au salaire mensuel moyen d’un Tunisien en 2008, soit 400 Dinars Tunisiens (BAD/OCDE, 2008), reste excessivement cher. Le produit est économiquement hors de portée pour la grande majorité des Tunisiens. Notre enquête auprès des ménages équipés en systèmes photovoltaïques révèle d’ailleurs que 54,2 % exercent une profession libérale et 45,8 % une profession salariale. Plus de 70 % des clients de la société SOFTEN, en revanche, exercent une profession salariale, 20 % une profession libérale et 10 % sont sans emploi. Les équipements photovoltaïques sont surtout réservés à une clientèle moyenne et supérieure, grande consommatrice d’énergie, avec un niveau de solvabilité suffisamment important pour supporter leur coût d’investissement et le crédit contracté.
46Ces acheteurs doivent, qui plus est, être propriétaires d’un logement qui soit de préférence individuel et qui, en termes de disponibilité spatiale, doit pouvoir accueillir les équipements. La cartographie des ventes de panneaux photovoltaïques montre que les délégations les plus concernées par les ventes de panneaux photovoltaïques sont caractérisées par la présence importante de classes moyennes et supérieures. Ces mêmes zones ont été, dans le cadre d’un redéploiement des politiques urbaines dans les années 1970, ouvertes à l’urbanisation en périphérie, tant au nord qu’au sud du Grand Tunis. Cette phase a été suivie par l’émergence de nouvelles centralités, principalement dans les nouveaux quartiers tels que Manar I et II, les Menzah VI à IX ou encore les Ennasr I et II, au nord du Grand Tunis, qui sont les lieux privilégiés de résidence des couches supérieures et moyennes aisées (Ben Othman Bacha, 2009). Parallèlement à ces opérations, les plaines agricoles de la Soukra au Nord et de Mornag au Sud furent également investies à la même période par des opérations résidentielles, avec pour cible les strates intermédiaires des classes moyennes (Chabbi, 2005).
47Ces nouveaux quartiers résidentiels concentrent une grande majorité des ménages équipés en systèmes photovoltaïques et se trouvent sur la zone littorale. Par ailleurs, ils répondent de façon optimale au besoin d’espace que nécessite la pose des panneaux sur le toit. En effet, la surface désormais consacrée par les nouvelles classes moyennes à leur habitat est de 500 m2 (Chabbi, 2008). Notre enquête appuie ces conclusions en nous apprenant que plus de 3/4 (77 %) des acheteurs habitent une villa ou un étage de villa, alors que 3 % occupent un appartement. Les Dar el Arbi, littéralement « maison arabe », représentent 20 % des installations.
48La confrontation des résultats issus des enquêtes sociologiques et de la production cartographique, étayée par des précisions d’ordre technique et économique associées à ces nouveaux modes de consommation, atteste d’une correspondance entre le type de technologie solaire, le niveau de vie des consommateurs et le type d’habitat occupé. Ces nouvelles pratiques urbaines sont conditionnées par ces différents facteurs qui contribuent « à transformer les équipements ‘’écologiques’’ tels que le photovoltaïque en potentielles sources de ségrégations sociales » (Debourdeau, 2011, p. 62).
49En dépit de ces « inégalités énergétiques », les dispositifs mis en place par l’État tunisien, et spécialement les programmes Prosol, sont uniques au Maghreb et, plus largement, au sud de la Méditerranée (Missaoui, 2007). Ils disposent d’un volet à la fois réglementaire, fiscal et financier qui les rend exemplaires. Quelle est la portée de cette politique tunisienne du solaire ?
- 25 L’intensité énergétique mesure la quantité d’énergie qu’il faut consommer pour produire une unité d (...)
50Au-delà de nos observations empiriques, un bilan global de la politique tunisienne de promotion des énergies renouvelables montre qu’elle est en partie parvenue à satisfaire les objectifs de réduction de l’intensité énergétique25, de baisse du déficit budgétaire de l’État et d’économies d’énergie. Par ailleurs, le développement de la connexion au réseau électrique national des systèmes photovoltaïques et la procédure de rachat du surplus énergétique par l’opérateur historique sont inédits au Maghreb.
51Pourtant, la politique énergétique tunisienne témoigne de contradictions. La législation tunisienne encourage ouvertement les importations d’équipements solaires et sert ainsi la concurrence internationale. La viabilité d’une politique énergétique, qui n’est pas sous-tendue par une politique industrielle suscitant l’émergence d’une filière nationale, reste donc incertaine. D’autant plus que l’énergie solaire doit aujourd’hui faire face à la concurrence des autres offres énergétiques, plus rentables pour les ménages mais moins durables, en premier lieu le gaz naturel.
- 26 L'intensité énergétique primaire mesure le rapport de la consommation d’énergie primaire (énergie d (...)
52Les actions menées par l’État tunisien depuis une vingtaine d’années, soutenues par les institutions et bailleurs de fond internationaux, ont eu un réel impact sur l’intensité énergétique primaire26 qui n’a cessé de diminuer durant les deux dernières décennies, chutant de plus de 25 % sur la période 1990-2010. La mise en place du Fond National de Maîtrise Énergétique (FNME) en 2005 a accéléré la baisse de l’intensité énergétique de l’économie tunisienne, qui diminue de 2,8 % par an à partir de 2005, comparativement à 1 % en moyenne entre 1990 et 2005.
53Une première évaluation des mécanismes initiés par le FNME, notamment le lancement des programmes Prosol I et II, a permis d’estimer les économies d’énergies cumulées sur la période 2005-2010 à 2,7 Mtep. Cette évaluation n’a pas concerné le programme Prosol’élec car il n’est appliqué que depuis juillet 2010. Le recul est plus grand quant aux expériences dans le secteur de l’énergie thermique en Tunisie. Le soutien financier apporté aux chauffe-eaux solaires ne se traduit pas par un effort budgétaire supplémentaire. La subvention publique inscrite dans le programme Prosol, généralement estimée à 30 MDT, est largement compensée par les dépenses évitées sur
la consommation de GPL pour le chauffage de l’eau sanitaire, estimée à 258 MDT sur la durée de vie des équipements thermiques (Missaoui, 2007).
54Cette action a contribué à réduire sensiblement le déficit budgétaire public. La promotion de l’énergie solaire photovoltaïque connectée au réseau est plus récente mais suppose, bien plus que la technologie thermique, une mutation sociotechnique remarquable (Debourdeau, 2011).
- 27 Les tarifs d’achat correspondent à l’obligation pour les entreprises locales de distribution d’élec (...)
55La loi sur la Maîtrise de l’énergie n° 8-2009 du 9 février 2009 stipule que « Tout établissement ou groupement d’établissements exerçant dans les secteurs industriel, agricole ou tertiaire et qui produit de l’électricité à partir d’énergies renouvelables pour sa consommation propre, bénéficie du droit de transport de l’électricité ainsi produite, par le réseau électrique national jusqu’à ses points de consommation et du droit de vente des excédents exclusivement à la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz ». Cette loi spécifie que l’opérateur historique en position de monopole, la STEG, doit racheter l’excédent électrique d’origine renouvelable produit par le particulier bénéficiaire du programme Prosol’élec. Ce système est appelé « net-metering ». Il se distingue du mécanisme des tarifs d’achat garantis27 (feed in tariff) en vigueur dans la plupart des pays européens ou encore dans des pays du sud de la Méditerranée comme Israël et l’Algérie. Cette dernière dispose certes d’un système de feed in tariff, mais elle n’a créé ni l’offre ni la demande en énergie solaire. Selon la loi 13/09 relative aux énergies renouvelables, au Maroc, « les installations de production d’énergie électrique à partir de sources d’énergies renouvelables ne peuvent être connectées qu’au réseau électrique national de moyenne tension, haute tension ou très haute tension ». Or, les ménages sont raccordés au réseau en basse tension. Le Maroc ne dispose donc pas d’un cadre réglementaire qui permette une « mise en marché » et une « domestication » du photovoltaïque par les particuliers (Debourdeau, 2011).
56Les programmes FNME/prosol, grâce aux cadres réglementaires, fiscaux et financiers qu’ils imposent, ont impulsé un marché de consommation et contribué à structurer une demande qui dépend néanmoins fortement de la continuité des politiques publiques. Une dépendance d’autant plus importante qu’elle est renforcée par une offre locale lacunaire, résultat de l’absence d’une véritable politique industrielle qui contribuerait à l’émergence d’une filiale nationale et permettrait à l’énergie solaire d’être davantage concurrentielle par rapport à d’autres ressources d’énergie, notamment le gaz naturel.
- 28 La première société d’assemblages des modules photovoltaïques, Enersol, a été créée en décembre 201 (...)
57La législation tunisienne qui a trait aux équipements à économies d’énergie favorise clairement le recours aux importations. Le décret 99-9 du 4 janvier 1999, portant sur la suspension de la taxe sur la valeur ajoutée (T.V.A.) à l’importation de chauffe-eau solaires, est formalisé. En plus de la suspension complète de la TVA, l’État tunisien a également instauré, lors de l’importation, la réduction au taux minimum des taxes douanières. Cette initiative met sur un pied d’égalité les entrepreneurs locaux qui fabriquent les chauffe-eaux solaires, pour lesquels il n’existe pas de réglementation spécifique, et les sociétés commerciales qui les importent. Produit à composante technologique élevée, l’intégration locale de la fabrication des panneaux photovoltaïque est très faible, voire quasiment nulle28.
58Les résultats de notre enquête auprès des entreprises du secteur nous ont permis de démontrer que l’intégration industrielle dans le domaine de l’énergie solaire est effectivement limitée. Parmi notre échantillon, seulement six sociétés sont des entreprises fabricantes. Elles fabriquent partiellement ou totalement les matériaux nécessaires à la construction des chauffe-eaux solaires. En effet, les entreprises du secteur sont en grande majorité des sociétés commerciales. Les produits écoulés sur le marché disposent de normes de qualité différentes, d’autant plus que les pays maghrébins n’exigent pas de certifications en ce qui concerne l’entrée de ce type de produits sur leur territoire.
59Cette enquête a également permis de dégager une géographie des zones d’approvisionnement des équipements solaires, chauffe-eaux et panneaux photovoltaïques confondus. 75 % des équipements solaires importés proviennent d’Allemagne, du Japon, de la Chine et de l’Italie. L’importation de produits bon marché, essentiellement chinois, pour lesquels la certification « ISO 9001 » n’est pas obligatoire, encourage une concurrence parfois déloyale avec les produits fabriqués localement et ne contribue pas à une baisse sensible du prix de ces équipements solaires, qui demeure relativement élevé pour les ménages tunisiens, même après subventions. Le marché de l’énergie solaire doit, qui plus est, faire face à une féroce concurrence interne due à une ressource énergétique non durable, subventionnée en Tunisie à hauteur de 60 % : le gaz naturel.
- 29 Calcul réalisé à partir des données de l’Institut National de la Statistique (INS). En 2009, l’INS (...)
- 30 Le fuel est particulièrement polluant ;
- 31 8 à 10 Dinars par bouteille sous pression.
60La Tunisie dispose d’un réseau de distribution de gaz naturel très développé dans les villes, qui rend a priori l’utilisation de l’énergie solaire peu intéressante pour les ménages raccordés au gaz de ville. En 2010, le nombre de ménages raccordés au gaz de ville était de 559 000, soit plus d’un ménage sur cinq en Tunisie29. Le retour sur investissement d’un chauffe-eau solaire demeure relativement long. Il varie en fonction du système de chauffage installé : 2 à 3 ans pour un chauffage électrique, 4 à 5 ans pour un chauffage au fuel30 et 6 à 7 ans pour un chauffage fonctionnant au gaz de ville. Un des usages les plus répandus est celui de la bouteille sous pression, qui est bon marché31 et dont l’utilisation se fait en fonction d’un besoin immédiat. Toutefois, la durée de vie d’un chauffe-eau solaire est estimée entre 10 et 15 ans, en fonction de sa qualité, ce qui le rend malgré tout plus rentable à long terme. La portée de la politique tunisienne de l’énergie solaire est, à l’aune de ces constats, à relativiser.
61La Tunisie peut se prévaloir, malgré de nombreux échecs, d’une expérience de plus de vingt ans dans la promotion des énergies renouvelables. Cependant, le gouvernement tunisien n’a opéré de véritable changement d’échelle qu’à partir de 2005, année de création du Fond National pour la Maîtrise de l’Énergie (FNME), lui-même à l’origine des Programmes dits « Prosol ».
62L’action publique a été décisive dans la création d’un marché domestique de l’énergie solaire en Tunisie. En structurant la demande, elle a impulsé en quelques mois une dynamique de création d’entreprises remarquable. Toutefois, si le succès à court terme de cette politique tunisienne de l’énergie solaire est en partie démontré, ce dernier n’est pas assuré sans un appui gouvernemental qui viendrait soutenir une filière nationale. Une plus grande intégration industrielle locale, qui engagerait le pays à plus long terme, permettrait une autonomie du secteur vis-à-vis des mécanismes de soutien ponctuels et ancrerait, de manière plus sûre, ces modes de consommation durables dans les pratiques quotidiennes des ménages tunisiens.
63Par ailleurs, la transposition de ces équipements solaires dans un milieu urbain donné se heurte à des exigences techniques, en même temps qu’elle révèle des discriminations socio-économiques contraires aux enjeux du développement durable. L’application des programmes Prosol, qui sous-tend une tentative de démocratisation de l’usage de l’énergie solaire, est une singularité tunisienne qui, en montrant ses limites, permet de prendre du recul sur les moyens que les autorités publiques doivent déployer pour soutenir concrètement l’effort de durabilité à l’échelle de la ville méditerranéenne.