1Avec l'augmentation de la population urbaine et dans un contexte de changement climatique, le développement des villes ou des aires urbaines doit désormais intégrer les objectifs du développement durable. Pour Lévy (2010), la ville représente une pièce centrale dans le paradigme du développement durable. Afin de protéger l'environnement et de réduire les effets néfastes de l'étalement urbain, une politique cohérente d'aménagement urbain est indispensable. Depuis plusieurs années, les agendas 21 sont les principaux outils utilisés (Faludi, 2009). Certaines villes ont ainsi mis en place leur propre stratégie de régulation de l'urbanisation (Diamantini et Zanaon, 2000 ; Roy, 2009) ou se concentrent sur un seul objectif durable, tel que le transport/mobilité ou l'aménagement des espaces verts (Curtis, 2008 ; Han, 2010 ; Zhou et Wang, 2011).
2La région Île-de-France (IDF) a atteint la barre des huit millions d'habitants à la fin des années 1950, avec une croissance de la population de plus de 20 % en dix ans. Il devient donc urgent d'enrayer et de réguler la croissance de l'agglomération parisienne. Dès le milieu du XIXe siècle, le baron Haussmann a entrepris la refonte de la ville de Paris, sous l'égide de Napoléon III. Puis, au fil des années, différents types de logements se sont succédés, allant de l'habitat ouvrier aux grands ensembles, en passant par le pavillon individuel (Sonne, 2009).
3Depuis 1965, trois schémas directeurs d'aménagement urbain ont été élaborés à l'échelle régionale, afin notamment de concilier croissance urbaine et qualité de vie. Le premier d'entre eux s'est principalement évertué à répondre à l'importante demande en logements. Quant aux deux autres, ils intègrent la dimension environnementale, la qualité de vie et, pour finir, les objectifs du développement durable. Ce changement progressif d'orientation peut être défini comme « un tournant urbanistique » pour reprendre l'expression de Chevalier (2007). Il se définit comme l'ensemble des processus opérant à la fois sur l'étendue, sur la forme et sur les contenus des agglomérations et contribuant à mettre en place un nouveau mode d'organisation et de fonctionnement permettant de relever les principaux défis contemporains de la durabilité, à savoir la maîtrise de l'étalement, la moindre dépendance à l'automobile et la réinvention de la mixité des fonctions.
4L'objectif de cet article est de montrer, à travers l'analyse des schémas directeurs d'aménagement du territoire, comment la planification urbaine a petit à petit évolué pour s'orienter et imposer un développement durable de la région Ile-de-France. Sans revenir sur la définition du développement durable en général, rappelons simplement que la ville durable se définit selon Grenier (2007) comme une ville dense, une ville des courtes distances, de lutte contre l'étalement urbain, qui garantit mixité sociale et diversité fonctionnelle et se développe prioritairement en relation avec les transports en commun. Nous verrons ainsi à travers l'étude des différents schémas directeurs comment ces objectifs de densité, de lutte contre l'étalement urbain, de développement des transports en commun, etc. sont progressivement intégrés et mis en avant dans les différents schémas, et comment cela se traduit en terme de type d'aménagement sur le territoire urbanisé.
5Nous présenterons ainsi dans une première partie la zone d'étude, l'aire urbanisée de la région IDF, ainsi que les différents schémas directeurs d'aménagements successifs qui ont guidé la planification du territoire régional. La mise en évidence de ce tournant urbanistique amorcé par les schémas directeurs sera abordée à travers les thématiques des transports, de l'environnement et de l'activité socio-économique. Cette évolution de la planification du territoire s'est traduite sur le terrain par l'émergence de nouvelles formes urbaines, comme les « villes nouvelles » ou, plus récemment, les écoquartiers ; ces nouvelles formes urbaines seront analysées en deuxième partie. Enfin, dans l'objectif de faire le lien entre le projet politique et la réalité de terrain, l'évolution des modes d'occupation des sols sur différents types d'espaces sera étudiée dans une troisième et dernière partie, pour montrer comment cette évolution de la planification a été prise en compte et s'est traduite sur le territoire pour tendre vers un développement urbain durable. Cette dernière étape sera réalisée à partir de l'analyse d'une base de données spatio-temporelles sur les modes d'occupation des sols en région Ile-de-France.
6La région Île-de-France est composée de 1 281 communes et 8 départements (parmi lesquels on retrouve Paris, capitale française). Sa superficie est de 12 000 km², dont 80 % d'espaces agricoles ou de zones naturelles. La région francilienne représente 2,8 % du territoire métropolitain et regroupe près de 20 % de la population française (soit 11,8 millions d'habitants), avec une forte concentration dans Paris et sa petite couronne. Le territoire francilien peut être découpé en trois zones : Paris, la petite couronne et la grande couronne (figure 1). La petite couronne correspond aux trois départements limitrophes de Paris : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne ; elle regroupe 123 communes et se caractérise par une forte densité de population (6 649 hab/km²). La grande couronne s'étend sur une partie des quatre départements à la périphérie de l'Île-de-France : la Seine-et-Marne, les Yvelines, l'Essonne et le Val-d'Oise. Elle regroupe 359 communes et se caractérise par un certain mitage de son territoire, la densité de population étant de 1 466 hab/km².
7La zone d'étude nommée « l'aire urbanisée de la région IDF » correspond, pour cet article, à Paris, la petite couronne et la grande couronne, représentant ainsi la tâche urbaine continue de la capitale et de sa périphérie. 482 communes sont ainsi concernées par cette zone de 3 300 km² et compte environ 8 millions de personnes (recensement de 2008).
Figure 1. La région Île-de-France et son aire urbanisée.
8La configuration actuelle de la région parisienne est le résultat, entre autre, de trois schémas directeurs d'aménagement successifs depuis les années 60. Afin de faciliter le suivi de ces différents schémas, l'année de leur approbation est ajoutée à la fin de leur acronyme (par exemple : SDAURP = SDAURP-65). Le premier schéma directeur est élaboré en 1965, suite à cinq années de travaux menés par Paul Delouvrier : il s'agit du Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Parisienne (SDAURP). La priorité est alors de répondre aux besoins en logement pour faire face à l’augmentation de la population, mais également de répondre à la demande d’accès au confort moderne (tel que l’automobile). Ce premier schéma a ainsi pour objectif d’adapter les politiques d’aménagement à l’évolution des modes de vie durant l’époque faste des Trente Glorieuses. Une politique de construction massive de grands ensembles était menée depuis le début des années 1950. La politique d'aménagement urbain était donc, à ce moment-là, clairement quantitative, mais des courants alternatifs ont émergé rapidement, craignant que le défaut de structuration du territoire n'entraîne des désagréments sur la vie sociale de ces quartiers. L'urbanisme doit s'adapter aux mutations socio-économiques de la société et non l'inverse. Le SDAURP-65 propose ainsi une alternative aux grands ensembles et lance la création des cinq villes nouvelles. L'objectif est de créer de nouveaux pôles ex-nihilo dans une ceinture située entre 10 et 50 km de Paris, et de réduire également l'écrasante domination de la capitale sur la région. Ces villes doivent être l'antithèse de la politique des grands ensembles et des banlieues dortoirs et contrecarrer le fort développement pavillonnaire, très gourmand en espace et accentuant l'importance de l'automobile dans l'espace urbain. Elles doivent, en plus des logements, regrouper des activités, des commerces et des équipements qui feront de ces pôles de véritables villes attractives en terme d'emploi et d'habitat.
9Suite au choc pétrolier, une grave crise économique à l'échelle mondiale survient en 1973. L'État est donc obligé de revoir ses orientations et actions en matière d'aménagement du territoire. De ce fait, le SDAURP-65 laisse sa place à un nouveau document d'urbanisme, élaboré et approuvé en 1976 : le Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région Île-de-France (SDAURIF). L'accent est davantage mis sur la préservation de l'environnement, en sauvegardant les espaces naturels et en contrecarrant l'étalement urbain.
10Enfin, le dernier schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme créé est le Schéma Directeur de la Région d'Île-de-France (SDRIF), en 1994. C'est la seule région où a été maintenue une planification sur la totalité du territoire régional. La volonté était de marquer un nouveau virage dans la politique d'aménagement. Ainsi, la modération de la croissance démographique et du secteur tertiaire devient le maître-mot. Malgré tout, de nombreuses carences apparaissaient. Une révision du SDRIF-94 a donc eu lieu entre 2005 et 2007, et fut définitivement adoptée le 25 septembre 2008 par délibération du Conseil régional. L'Assemblée nationale l'a ensuite validé en mai 2011, mais il devra être revu pour y intégrer les projets de transports du Grand Paris Express. Toutefois, cette révision de 2008 sur laquelle nous nous basons, apporte de nouveaux défis et objectifs davantage réalisables dans un contexte de développement durable, de changement climatique et de crise énergétique.
11L'étude de ces trois différents schémas directeurs a permis d'identifier les principales tendances en matière de planification en Île-de-France. Les politiques économiques et sociales, les politiques de transport et d’environnement se sont traduites par une évolution des formes urbaines et de l’occupation du sol : artificialisation des sols, protection des zones agricoles et naturelles, etc.
12La volonté de sortir d'un schéma radio-concentrique des voies de circulation est clairement affichée dés 1965. Dès lors, il est prévu d'orienter le développement urbain sur des axes préférentiels d'urbanisation et de transport. Afin de freiner le mitage de l'urbanisation à l'extérieur de Paris (qui détruit de nombreux sites naturels) et pour faire en sorte que les réseaux de communication ne soient plus exclusivement tournés vers la zone centrale de l'agglomération, il est nécessaire de mettre en place de nouveaux réseaux transversaux (supposant des centralités nouvelles). Le SDAURP-65 ambitionne également de créer une véritable région urbaine par la mise en place d'un maillage régional reliant les nouvelles centralités par un réseau d'autoroutes et de transport en commun.
13Le développement des moyens de transport autres que la voiture est aussi un axe important de ce point de vue. Des villes comme Évry, Trappes, Cergy-Pontoise ou Marne-la-Vallée vont jusqu'à s'organiser autour des transports en commun, le long des lignes de train du Réseau Express Régional (RER) ou autour des stations. Mais globalement, les investissements se portent sur les réseaux routiers et autoroutiers, s'inspirant du modèle américain, et délaissent ainsi les projets de RER ou de prolongement de lignes de métro.
14Avec la crise économique suite au choc pétrolier, l'organisation des transports est revue avec le SDAURIF-76. Un allègement des projets d'infrastructure traduit cette nouvelle attitude ; il s'agit alors d'augmenter l'exploitation du réseau existant, d'assurer une complémentarité des modes de transport et de reconnaître une réelle priorité aux transports en commun. Le développement des villes nouvelles est poursuivi et la liaison entre la zone centrale et ces nouvelles centralités est assurée par un système de transport régional.
15L'étalement de l'aire urbanisée de la région IDF a inévitablement allongé les distances, provoquant d'importants problèmes de circulation malgré les investissements colossaux en terme d'infrastructures routières. Les temps de transport entre le domicile et le travail ont ainsi fortement augmenté. Coordonner l'offre de déplacement et continuer le développement du réseau de transport sur l'ensemble du territoire de l'Île-de-France apparaissent donc comme une stratégie de longue haleine. Le SDRIF-94 posera enfin la problématique des transports comme une de ses trois priorités. Pour parvenir à une ville plus compacte, il est nécessaire d'avoir des transports publics efficaces et une circulation automobile maîtrisée. Plusieurs schémas de transports en commun sont alors élaborés, comme le réseau primaire de transport du Grand Paris ou le projet « Arc Express ». Ces deux projets visent à allonger les lignes existantes pour relier les banlieues de proche couronne entre elles ainsi que les principaux futurs pôles économiques comme La Défense, le plateau de Saclay ou les aéroports d'Orly et de Charles-de-Gaule. Le SDRIF-94 révisé en 2008 renversera la problématique de l'aménagement du territoire qui devra désormais se faire en fonction des transports. Ce dernier schéma donne ainsi la primauté au transport collectif et alternatif à la voiture individuelle.
16Un des axes du SDAURP-65 est de préserver l'essentiel des espaces verts et des sites naturels de qualité. La qualité de vie étant le fer de lance, le SDAURP-65 préconise la création de parcs et de jardins, la sauvegarde des forêts existantes et la plantation de végétation dans les nouveaux quartiers. Qui plus est, les villes nouvelles devront utiliser de nouvelles techniques en ce qui concerne l'assainissement, l'épuration et la gestion des eaux.
17Mais c'est lors de l'élaboration du SDAURIF en 1976 qu'il est réellement question d'environnement et de restreindre l'urbanisation. La préservation des espaces verts est alors la priorité, avec les prémices du concept de la « ceinture verte », symbole des nouvelles préoccupations environnementales. C'est la région Île-de-France qui lance véritablement le projet au début des années 1980. Les objectifs sont clairs :
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Endiguement de l'étalement urbain
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Préservation et même extension des espaces forestiers
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Protection de la faune et de la flore régionale
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Maintien de l'agriculture périurbaine
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Création de nouveaux équipements récréatifs
18La ceinture verte représente 142 000 ha d'espace végétalisé (dont 32 000 ha d'espaces verts publics existants, 22 000 ha en projet, 68 000 ha d'espaces agricoles et 20 000 ha d'autres espaces – sportifs, jardins familiaux,...) et s'étend sur une superficie totale de 264 700 ha. 359 communes sont concernées et 30 % de la population francilienne (figure 1). Ce territoire correspond grosso modo à celui de la grande couronne.
- 1 Étude de la Direction régionale et interdépartementale de l'alimentation, de l'agriculture et de la (...)
19La consommation d'espaces naturels au sein de la ceinture verte, située approximativement entre 10 et 30 km de Paris s'est accélérée, notamment entre 1987 et 19941 (bien que 60 % de sa surface soient constitués d'espaces ruraux et boisés). Les villes nouvelles, dont le périmètre est compris à l'intérieur de la ceinture verte, concentrent une grande partie des espaces nouvellement urbanisés, mais cet état de fait tend à disparaître car ces dernières sont pratiquement achevées.
20Le SDRIF-94 ouvre cependant de nombreux terrains destinés à être urbanisés : 32 000 ha sont urbanisables ou partiellement urbanisables d'ici 2015 dans le périmètre de la ceinture verte, c'est à dire 80 % des surfaces prévues pour l'urbanisation dans toute l'Ile-de-France. L'essence même de la ceinture verte est donc totalement remise en cause par cette poussée d'urbanisation planifiée par le SDRIF-94.
21La cohérence entre les différents schémas directeurs n'est pas toujours d'actualité. Si la question de la préservation de l'environnement est également intégrée dans le SDRIF-94 et dans sa version révisée de 2008, elle l'est davantage dans une vision globale. Le cadre de vie est considéré comme au moins aussi important que les autres aspects évoqués précédemment. En ce sens, les zones naturelles et rurales se doivent d'être préservées, mais le SDRIF-94 révisé de 2008 devra aussi apporter des solutions face aux enjeux climatiques et énergétiques futurs en préconisant la ville dense et économe en énergie. Les deux SDRIF s'accordent ainsi sur la nécessité de trouver un juste équilibre entre le développement économique de la région et la préservation de la qualité du cadre de vie des franciliens (les moyens pour y parvenir diffèrent toutefois).
22Un des objectifs du SDAURP-65 est de revoir la politique des Grands Ensembles, ces quartiers stigmatisant déjà certains maux sociétaux tels que le chômage ou le mal-vivre. En outre, il s'agit de planifier la localisation des grands équipements, des activités industrielles, artisanales, agricoles, forestières, touristiques et des logements afin d'atténuer les disparités sociales, économiques et spatiales de ce territoire. Atteindre une cohésion sociale et territoriale forte à l'échelle de la région est une volonté politique clairement affichée par le SDAURIF-76, qui s'inscrit sensiblement dans la même vision que le SDAURP-65. Il s'agit alors de lutter contre la ségrégation sociale aggravée par le SDAURP-65, et également de limiter le report des ménages modestes en périphéries éloignées.
Tableau 1. Synthèse des objectifs et bilan des schémas directeurs d'aménagement.
23Là encore, le SDRIF-94 marque une vision plus globale, en voulant renforcer le dynamisme régional pour conserver une place importante au niveau mondial. On prévoit notamment la construction de 60 000 logements par an pendant 25 ans (avec 30 % de logement locatif social) et de développer l'activité économique (à dimension internationale) en créant de grands pôles économiques et scientifiques (attirant de nombreuses entreprises multinationales). Enfin, avec le SDRIF révisé, parvenir à une cohésion sociale est un des premiers objectifs annoncés.
24Alors que dans le SDAURP-65, ainsi que dans le SDAURIF-76 (bien que dans une moindre mesure), il était question de fortes restructurations du tissu économique, avec des objectifs quantitatifs importants, le SDRIF-94 quant à lui préconise que les équipements et les services soient de qualité (hormis les objectifs chiffrés du logement). Cette vision est renforcée lors de la révision du SDRIF adoptée en 2008.
25Au fur et à mesure des différents schémas directeurs, on peut donc constater que l'aspect qualitatif supplante les besoins quantitatifs (tableau1). On passe également d'une vision locale à une vision régionale, voire globale, pour renforcer Paris dans la hiérarchie des « villes-globales » (Sassen, 1991), et pour que la région ne se retrouve pas à l'écart du « croissant fertile » qui va de Londres à Milan en passant par l'Allemagne. L'intégration progressive d'objectifs de durabilité est également visible avec la mise en place d'une ceinture verte visant à limiter l'étalement urbain et d'un réseau de transport favorisant la ville compacte et les mobilités douces. Les prémices d'une ville durable apparaissent, même si, selon Blassingame (1998), l'important n'est pas de savoir ce qui est techniquement réalisable ni économiquement viable, mais avant tout si ce changement de mode de vie est acceptable pour la population.
26Au fil des décennies, les préoccupations des politiques se sont déplacées d'une vision quantitative à une vision plus respectueuse de l'environnement, conciliant développement économique et durable. Cette nouvelle donne en matière de planification (symbolisée par l'évolution des trois schémas directeurs) a eu pour conséquence l'émergence de nouvelles structures urbaines, comme les villes nouvelles créées pour favoriser le polycentrisme de l'aire urbanisée et rééquilibrer le territoire régional, et plus récemment, l'émergence d'écoquartiers, véritables enjeux du développement durable du territoire francilien. À la révision du SDRIF en 2008, la tendance est également à la mise en place d'une cohésion sociale et territoriale à l'échelle de la région, et notamment une densification de l'aire urbanisée. Le tournant urbanistique peut ainsi être révélé à différentes échelles spatiales.
- 2 La notion de « bassin de vie » désigne ici l'ensemble des communes de la ville nouvelle où les habi (...)
27L'aire urbanisée de la région IDF est, comme de nombreuses grandes métropoles, caractérisée par un schéma radio-concentrique et une forte concentration urbaine autour de Paris. Ce schéma a atteint ses limites, et par le biais de la planification, a pu s'orienter vers une organisation polycentrique. Les réseaux d'infrastructure et les « villes nouvelles » ont grandement participé à ce changement. Ces villes sont créées à la fin des années 60 : Cergy-Pontoise, Évry, Marne-la-Vallée, Saint-Quentin-en-Yvelines et Sénart (figure 1). Ces multiples centralités, avec une importance et un rôle variables, permettent la naissance d'un maillage global. Ce dernier apporte les interrelations nécessaires au développement de ces villes et restructure complètement la région parisienne. Le binôme « Pôle - Réseau » prend alors tout son sens et de nouveaux bassins de vie2 voient le jour.
28Au total, les villes nouvelles franciliennes représentent 31 % de la croissance démographique régionale. Bien qu'un ralentissement soit constaté par rapport aux années 1970-80, elles voient leur poids augmenter au sein de la région Île-de-France et font partie des plus fortes croissances enregistrées.
29En définitive, les villes nouvelles ont parfaitement répondu aux attentes placées en elles. Grâce aux terrains acquis de façon précoce et à de bons outils de planification, elles ont pu se développer de façon cohérente, en répondant aux besoins multifonctionnels d'une ville moderne (commerces, bureaux, entreprises, administrations, équipements publics, grands centres commerciaux).
30En outre, les autorités de l'État ont été vigilantes pour ne pas trop densifier ces villes. Les centres et certains quartiers sont certes équipés de bâtis denses, mais ce sont des zones pavillonnaires et d'activités qui occupent les périphéries. Diversité du paysage urbain, agrémentée d'une diversité architecturale sont les maîtres-mots de la ville nouvelle. Des architectures expérimentales ont ainsi été édifiées comme les Arènes à Marne-la-Vallée, les Pyramides à Évry ou les immeubles de Boffil à Saint-Quentin-en-Yvelines. Des formes urbaines innovantes sont aussi présentes, telles que les maisons de ville à Cergy-Pontoise, l'urbanisme de dalles, les quartiers piétonniers, les zones d'activités « paysagées », etc.
31Les villes nouvelles ont donc finalement servi de laboratoire expérimental dans quelques domaines techniques, architecturaux ou urbains.
32Comme nous le soulignions, les transports ont joué et jouent encore un rôle primordial dans l'épanouissement des villes nouvelles. Que ce soit pour l'automobile ou les transports en commun, elles doivent faire l'objet d'une accessibilité optimale afin d'attirer entreprises et habitants et devenir de véritables pôles pluri-fonctionnels. Grâce à ces aménagements, de véritables centres-villes ont ainsi pu voir le jour, notamment autour de gares issues de la création de lignes nouvelles (Cergy, Évry), de lignes existantes (Saint-Quentin-en-Yvelines, Sénart) ou de prolongement de lignes (Marne-la-Vallée).
33L'attractivité des villes nouvelles, renforcée par une importante accessibilité a donc pu favoriser l'arrivée de nombreuses multinationales telles que IBM, Nestlé ou Honda. Ces entreprises sont accompagnées de multiples PME (Petites et Moyennes Entreprises), ce qui crée un tissu économique vaste et extrêmement varié en terme de compétences sur ces territoires. Le dynamisme économique des villes nouvelles apparaît très clairement avec une hausse du nombre d'emplois proche des 10 % dans une période courte (1990-1994), voire 30 % à Marne-la-Vallée, alors qu'une ville comme Paris perd 8 % de ses emplois sur la même période. On estime aujourd'hui à près de 300 000 le nombre d'emplois créés entre 1968 et 1999 lors de la réalisation des villes nouvelles.
34Les préoccupations environnementales, de plus en plus fortes, modèlent et continueront de modeler les villes de façon complètement différente d'il y a un demi-siècle. Les écoquartiers, ou quartiers durables, sont représentatifs de ce changement de mentalité (Boutaud, 2009).
35Un écoquartier n'est pas un enchaînement de bâtiments HQE (Haute Qualité Environnementale), c'est avant tout un projet, une vision globale et cohérente. Il doit avoir « une unité, une identité, mais aussi une diversité architecturale » (Clerc et al., 2008). Un écoquartier est donc une vision à long terme qui concourt à la durabilité de la ville qui l'accueille. Il doit répondre aux enjeux locaux et globaux, ainsi qu'aux besoins de qualité de vie des habitants, notamment en « réinventant un rapport de proximité à la nature pour rendre acceptable la densité » (Emelianoff, 2007). La mixité doit être fonctionnelle mais aussi sociale. La charte de Leipzig signée le 24 mai 2007 définit des objectifs allant dans ce sens (Charlot-Valdieu et Outrequin, 2009).
36En région parisienne, le premier projet de quartier durable à voir le jour est « Les Temps Durables » à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), ville de 19 000 habitants à 15 km au sud-ouest de Paris. Ce quartier durable s'étend sur dix hectares, comprenant 1 250 logements, et est à l'heure actuelle en cours de construction. La population a été fortement impliquée dans la réalisation de ce projet, par le biais de réunions et d'enquêtes publiques. Les efforts ont été portés sur la mixité sociale (50 % de logements sociaux), sur l'énergie (bâtiment à basse consommation, aucune énergie fossile utilisée pour la réalisation du projet) et sur les transports (création de lignes de bus, prolongement d'une ligne de métro et proximité du RER). Enfin, la présence de 21 000 m² d'espaces verts publics atteste de la recherche d’un cadre de vie de qualité.
37Huit autres projets sont retenus en 2009, sous l'égide de Daniel Canepa, préfet de Paris et d'Île-de-France, lorsque les premiers contrats-cadre « écoquartiers franciliens » ont été signés, dont l'écoquartier du Sycomore à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), l'écoquartier de l'Île-Saint-Denis à L'Île-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ou l'écoquartier de Montévrain à Montévrain (Seine-et-Marne).
38Chaque écoquartier a ses propres spécificités liées au site choisi (en bordure de Seine, sur des friches industrielles), aux activités adjacentes au projet ou encore aux volontés politiques locales. Néanmoins, les dénominateurs communs sont nombreux.
39Tout d'abord, d'un point de vue structurel, quelques éléments sont récurrents. Les logements sont construits en quantité, même si mesurée et réfléchie. Les projets comprennent également la présence de ZAC (Zone d'Aménagement Concertée), de commerces de proximité, d'activités de services, de parcs urbains (Parc de Mont Evrin dans l'écoquartier de Montévrain) et d'espaces publics de qualité, ainsi que des équipements publics (groupes scolaires, centres de loisirs, crèches, gymnases, cliniques, hôtels, résidences étudiantes et équipements culturels...) répondant aux futurs besoins des habitants de l'écoquartier. Des services plus densément maillés, nombreux et complémentaires, seront facteurs d'intensité de qualité plus que de densité (Maugard et Cuisinier, 2010). Des équipements d'intérêt régional peuvent être aussi construits dans ce type de quartier comme dans l'écoquartier de L'Île-Saint-Denis (parc de loisirs nautiques, murs anti-bruit supportant des panneaux photovoltaïques, Cité des Arts vivants).
40Le transport est également un thème important. Les transports en commun ainsi que les liaisons douces (vélo, marche à pied...) sont toujours privilégiés, le but étant de minimiser l'utilisation de l'automobile et d'assurer une accessibilité compétitive vers les pôles de vie grâce à un maillage pertinent et réfléchi. Une véritable stratégie de mobilité est alors mise en place et les modes de déplacement alternatifs y prennent une grande place. L'aménagement des berges, la mise en place de navettes fluviales ou de passerelles piétonnes et, plus globalement, de liaisons piétonnes et cyclables vers les transports en commun en sont des exemples. Cette multimodalité sert alors à minimiser les émissions de gaz à effet de serre. Des quartiers sans voiture restent la solution la plus radicale à ce problème et les aménageurs n'hésitent pas à y recourir comme dans l'écoquartier de L'Île-Saint-Denis.
41L'intégration de la nature est une autre caractéristique importante de ces écoquartiers. L'architecture des bâtiments doit se fondre de façon optimale avec l'environnement et les constructions doivent être réalisées avec des matériaux spécifiques répondant à des normes environnementales bien précises (tout comme les chantiers qui doivent consommer le minimum d'énergie pour un bilan carbone limité). La mise en œuvre des pratiques de co-production et d'auto-construction vont dans ce sens. Le respect de l'environnement est donc bien évidemment le chainon principal dans la création d'un écoquartier. La gestion des eaux pluviales grâce à une maîtrise des rejets, à un réseau de stockage des eaux et à l'économie de l'eau potable, l'utilisation des énergies renouvelables (panneaux photovoltaïques par exemple) au détriment des énergies fossiles sont donc autant de solutions privilégiées. L'écoquartier des Hautes Garennes à Mantes-la-Jolie et Rosny-sur-Seine (Yvelines) en est un bon exemple. Ce quartier a été conçu pour être intégré à l'écosystème fluvial, en particulier les logements, qui sont totalement intégrés dans le paysage. Des systèmes passifs d'assainissement ont été prévus pour économiser l'eau, ainsi que la prise en compte des risques d'inondation et la valorisation de la biodiversité et des continuums écologiques. L'objectif d'autonomie énergétique par modes alternatifs pour le chauffage et la production d'eau chaude, ou encore limiter la consommation foncière et préserver la biodiversité, tout cela permettra d'atteindre un très haut niveau de performance environnementale, en vue d'intégrer au mieux le quartier à l'écosystème local. À titre d'exemple, l'écoquartier de L'Île-Saint-Denis affiche ainsi un objectif d'autonomie énergétique, l'écoquartier des Docks de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) évoque quant à lui, comme enjeux, une valorisation du paysage et des continuités écologiques par les trames bleues et vertes.
42Enfin, l'aspect social n'est pas négligé. La part importante de logements sociaux permet d'avoir une mixité sociale au sein du quartier (30 % pour l'écoquartier du Sycomore). De même, une certaine mixité générationnelle est souvent recherchée. En outre, le mode de gouvernance laisse une place importante à la concertation, et les habitants font partie prenante des décisions prises pour une gestion à long terme. Un projet durable est en effet un projet dont l’implantation et la situation font l’objet d’une réflexion patrimoniale et urbaine approfondie, avant de se déterminer architecturalement et techniquement (Plan, Urbanisme, Construction et Architecture, 2006).
43Le tournant urbanistique de l'aire urbanisée de la région IDF se confirme probablement à l'annonce du projet du Grand Paris. Le 17 septembre 2007, lors du discours d'inauguration de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine, le Président de la République annonce son intention de lancer une consultation architecturale internationale pour « travailler sur un diagnostic prospectif, urbanistique et paysager, sur le Grand Paris à l'horizon de 20, 30 voire 40 ans ». Le projet du Grand Paris est proposé, voire imposé par l'État, alors que le SDRIF vient tout juste d'être révisé par la Région qui avait pour la première fois reçu cette compétence ...
44Le Grand Paris doit donc être une métropole de « l'après-Kyoto ». La capitale ne doit plus faire de l'ombre à sa métropole, dans un schéma centralisé et homogène, où la banlieue, aux connotations péjoratives, connait de fortes inégalités, de la ségrégation tant spatiale que sociale. Il faut donc transformer la métropole parisienne pour faire face aux exigences de l'après-Kyoto, en s'appuyant sur les éléments existants, mettre en valeur les éléments naturels (fleuve, coteaux, plateaux, vallées). La Seine doit même aspirer à devenir un monument identitaire, un lieu central de la métropole. Il faut donner des signes forts, des repères grâce à de nouveaux monuments métropolitains, de « nouvelles centralités puissantes » (Rol-Tanguy et Beltrando, 2009). Le but du projet est la qualité de vie pour tous, une attractivité résidentielle et un cadre de vie agréable.
45Les infrastructures routières et autoroutières ont crée des coupures, l'étalement du pavillonnaire sans services ni commerces, les logements sociaux enclavés, les zones d'activités désertées, les politiques de transport ne répondant pas aux besoins de mobilité de la population, la logique du zoning sont autant de points noirs à corriger. Comprendre les territoires afin d'être plus proche des réalités et des besoins quotidiens s'avère une nécessité. Dès lors, compacité, intensification et mixité sont les maîtres mots des futurs aménagements. Bien que le périmètre du Grand Paris ne soit pas encore bien définissable, il faut arrêter les extensions urbaines. Les terres agricoles ou forestières sont des ressources rares, non renouvelables, il est donc nécessaire de les protéger et de les valoriser. Accueillir dans un territoire identique davantage de logements et d'emplois nécessite une intensification urbaine. Outre les franges, il faut préserver les espaces ouverts internes à l'agglomération. L'organisation des réseaux de transport en commun doit être revue (avec une volonté de qualité de service), pour en finir avec une mobilité forcée vers le centre urbain. Une meilleure desserte des périphéries et la décongestion de la zone dense sont donc une nécessité, grâce notamment à un réseau complémentaire en rocade pour une meilleure mobilité de tous.
46Selon Rol-Tanguy et Beltrando (2009), une organisation systémique en réseaux nodaux avec des lieux (centres historiques et futurs, gares comme lieux de vie et de passage) et des liens (sous formes de flux : nationaux et internationaux comme le TGV, régionaux comme le TER, le métro ou le tramway, virtuels ou doux comme le Vélib') s'avère donc pertinente. Le nombre et la proximité des pôles multiplieront alors les interactions (Berroir et al., 2004). De nouvelles mobilités individuelles douces doivent être prônées, se réapproprier la rue, avoir une nouvelle pratique de l'espace public. Zentelin (2009 : 23) estime que « la mobilité durable suppose la réduction des vitesses de transport automobile », celles-ci pouvant provoquer insécurité, césures urbaines, étalement urbain ou encore déstructuration des pôles de proximité.
47Le rapport ville/nature a longtemps été en contradiction. Le projet du Grand Paris doit recréer une relation étroite, forte, complémentaire entre l'espace urbain et la nature. La nature a un rôle à jouer, ses dimensions « vivantes » et « patrimoniales » doivent être mises en exergue dans le projet. Un projet de forêt urbaine de 1000 ha a été proposé et trouverait place dans la plaine de Pierrelaye, dans la ceinture verte. La plantation débuterait en 2017 et serait suivie de la construction de 8 000 logements à la frange de cette forêt... Le Grand Paris doit ainsi être composé d'espaces agricoles (zones céréalières ou vivrières), de forêts (piège à carbone) et de grands couloirs écologiques (la Seine notamment). Aussi, de façon plus fine, il faut davantage végétaliser le tissu urbain, notamment pour lutter contre les îlots de chaleur.
48Le projet porté par le Président de la République n'en est qu'à ses débuts mais marque une réelle volonté de restructurer l'agglomération parisienne et s'oppose sur certains points au dernier schéma d'aménagement du territoire. Cette restructuration se veut à long terme et concernera autant l'accessibilité (amélioration de l'offre en transport en commun, tant en qualité qu'en quantité) que les nouvelles formes architecturales (durables, écologiques) ou les formes urbaines innovantes (forte intégration de la nature dans les nouveaux quartiers). En définitive, Paris, de par son importance culturelle et économique en France, en Europe et dans le monde, devrait être le théâtre de nombreuses planifications urbaines. Elles auront pour finalité de faire en sorte que cette agglomération soit davantage un lieu au cadre de vie attractif (espaces naturels, nombreux équipements et services) tout en conservant une dynamique sociale et économique. Si ce projet, dans sa présentation telle quelle, marque une volonté de s'orienter vers un développement durable de l'aire urbanisée de l'IDF avec une maîtrise de l'urbanisation et des transports, il n'en reste pas moins que certains points semblent tout de même aller à l'encontre de ces objectifs de durabilité, comme le développement économique des plateaux de Saclay au détriment de zones agricoles ou l'implantation d'un forêt urbaine directement suivie d'une urbanisation de ces franges ...
49Depuis le début des années 60, la région Île-de-France fait l'objet de nombreux projets d'aménagements dont les finalités ont évolué au cours de ces cinquante années pour tendre vers une planification plus respectueuse de l'environnement, du cadre de vie et maîtrisant totalement l'urbanisation. Reste à voir à présent, dans les faits, comment cet aménagement du territoire s'est traduit concrètement, quels sont les différents types d'aménagement effectués. L'objectif de cette dernière partie consiste à voir si, à partir d'une base de données spatio-temporelle sur l'occupation des sols, il est possible de mettre en évidence une planification du territoire qui s'oriente effectivement vers un développement durable du territoire urbanisé.
50Pour analyser l'évolution de l'occupation du sol dans ce contexte de croissance urbaine, la télédétection et les bases de données spatio-temporelles sont le plus souvent utilisées comme sources d'information (Yang et Lo, 2003 ; Jat et al., 2008). Associées aux systèmes d'information géographique (SIG), ses fonctionnalités permettent d'analyser les bases de données, de montrer les évolutions des modes d'occupation du sol et, enfin, d'orienter les décideurs en ce qui concerne la planification urbaine (Carsjens et Ligtenberg, 2007).
51Afin de suivre les évolutions des modes d'occupation du sol (MOS) induites notamment par les différents schémas directeurs, une base de données provenant de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme d'Île-de-France (IAU-IdF), EvoluMOS, a été utilisée. Elle détaille l'occupation du sol régionale en 11, 24, 47 et 81 postes de légende, de 1982 à 2008. Le MOS est produit à partir de photographies aériennes acquises auprès de l'Institut Géographique National (IGN). La résolution spatiale est d'un mètre. Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi la nomenclature à 47 postes3, pour les dates de 1982, 1990, 1999 et 2008, afin d'avoir approximativement un pas de temps de dix ans, intercalé entre les 3 derniers schémas directeurs, les données n'étant pas disponibles avant 1982.
52Le logiciel SIG ArcGIS 9.3 a été utilisé pour le traitement des données. À partir des quatre MOS (1982, 1990, 1999 et 2008), des outils de géotraitement ont été appliqués pour créer de nouvelles données. Trois variables de synthèse ont ainsi été calculées à partir de cette nomenclature pour définir les territoires artificialisés (classes 10-11-12 et 14 à 47), les espaces agricoles (classes 3 à 8 et 13) et les zones naturelles (classes 1, 2, 9). Une sélection des parcelles sur les zones d'études a tout d'abord été réalisée, puis une fusion des classes pour obtenir ces trois variables clés. Divers indicateurs ont également été calculés pour définir le type d'évolution du tissu urbain : densification ou étalement. Le pourcentage d'évolution (différence de surface entre deux dates) et le gradient de dilution (évolution de la proportion d'un type de surface en fonction de la distance au centre de la ville, par défaut le centre est représenté par l'église, point de départ supposé de l'urbanisation) permettent ainsi de quantifier cette évolution.
53Le territoire de l'aire urbanisée de la région IDF se divisant en trois zones, ce sont la petite couronne et la grande couronne qui ont connu le plus de modifications au niveau de l'occupation des sols, et notamment la grande couronne avec la création des cinq villes nouvelles. Afin d'analyser l'application des schémas directeurs sur le territoire, quatre zones d'étude ont été retenues : la petite couronne, la grande couronne, la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines et des exemples d'écoquartiers. Sur les trois premières zones seront analysées l'évolution des territoires artificialisés, celle des zones naturelles et celle des espaces agricoles. La forme des villes sera également étudiée à travers le coefficient de dilution, pour voir si une densification du tissu urbain est décelable ou non, en prenant l'exemple de la ville de Longjumeau en grande couronne et de la ville de Romainville en petite couronne. Pour les exemples d'écoquartiers, qui ne sont encore que des projets, l'idée est de voir l'occupation des sols actuelle et de la mettre en parallèle des projets de construction et d'aménagement afin d'évaluer leur impact sur les modes d’occupation des sols (MOS) et les modifications ainsi imposées (figure 2).
Figure 2. Territoires analysés pour suivre l'évolution des MOS de 1982 à 2008
54La petite couronne correspond aux trois départements limitrophes de Paris. La figure 3 présente l'occupation des sols de 1982 à 2008. Les territoires artificialisés occupent les ¾ du territoire. Les surfaces naturelles représentent 11 % de la surface et leur superficie reste stable tout au long de la période d'étude, évoluant de -0,2 %, soit -139 ha. Les échanges d'occupation du sol se font principalement au profit des territoires artificialisés, qui gagnent 4,3 % de territoire sur les surfaces agricoles. On note également que cette évolution est quasi nulle entre 1999 et 2008 (-0,18 %), ce qui peut être une conséquence de la mise en place du SDRIF-94 qui se veut protecteur des ressources non renouvelables comme l'agriculture.
Figure 3. Évolution des modes d'occupation des sols en petite couronne de 1982 à 2008
55La grande couronne regroupe une partie des quatre départements à la périphérie de l'Île-de-France. Tout comme la petite couronne, les espaces naturels ont peu évolué, diminuant seulement de 0,49 %, c'est-à-dire 1 268 ha (figure 4). Par contre, les territoires artificialisés ont gagné plus de 10 % sur les zones agricoles principalement, soit 25 882 ha sur la période étudiée. De la même manière qu'en petite couronne, on note une diminution de près de la moitié de la consommation des espaces agricoles à partir de 1999 (soit 5 694 ha entre 1999 et 2008 au lieu 11 517 ha entre 1990 et 1999), ce qui peut être une conséquence de la mise en place du SDRIF-94. Cependant, la diminution des terres agricoles se poursuit alors qu'en petite couronne, la répartition des modes d'occupation des sols reste quasiment stable entre 1999 et 2008. Néanmoins, comme le note l'IAURIF en 2005, ce n'est pas vraiment la valeur qu'il faut prendre en compte mais plutôt la « localisation et la nature de l'urbanisation nouvelle… [Elle] se situe essentiellement le long de la francilienne et au-delà ; les villes nouvelles [polarisant] relativement moins qu'avant cette urbanisation » (IAURIF, 2005 : 3). Ceci constitue une réelle menace pour la ceinture verte.
Figure 4. Évolution des modes d'occupation des sols en grande couronne de 1982 à 2008
Source : MOS, IAU-IdF, 2008
56La création de la ville nouvelle à Saint-Quentin-en-Yvelines a été décidée dès 1965 avec le SDAURP-65. Le choix de cette ville a été guidé par la faible urbanisation, à l'époque, de la zone à l'ouest de Paris. La ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines s'étend sur 6 940 ha et compte aujourd'hui près de 150 000 habitants contre 25 000 à sa naissance en 1970. Plus de 7 000 entreprises et près de 100 000 emplois y sont comptabilisés. Comme l'objectif de la création de ces villes nouvelles était le développement de nouvelles centralités en périphérie de la capitale, la consommation d'espaces agricoles a été très importante entre 1982 et 1990, soit 14 % (971 ha), puis se réduit à 6 % (soit 416 ha) entre 1990 et 1999, pour rester stable sur la dernière période (figure 5). On note également une certaine volonté de préserver les zones naturelles avec une augmentation de sa surface sur la période d'étude de 2 % (soit 139 ha), la majeure partie de cette augmentation se faisant entre 1990 et 1999 avec 1,4 % (soit 97 ha) de surfaces naturelles en plus. Là aussi, on peut noter une possible conséquence de la mise en place du SDRIF-94 sur la préservation des espaces naturels.
57Ainsi, au niveau de l'occupation des sols, on observe un ralentissement de l'artificialisation des surfaces et une préservation des espaces agricoles et naturels à partir des années 1990, changement qui pourrait être la mise en évidence d’un tournant dans les politiques de planification du territoire. Déjà avec le SDAURIF en 1976, la notion de préservation de l'environnement est avancée ; elle se confirme avec le SDRIF en 1994, dans lequel la qualité et la protection de l'environnement prévalent désormais sur la quantité et le zonage des villes. En grande couronne, les constructions se poursuivent toutefois, pour faire face à la demande de logements, le solde démographique étant toujours positif, mais dans une moindre mesure et sans forcément favoriser le mitage des campagnes.
Figure 5. Évolution des modes d'occupation des sols dans la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines de 1982 à 2008.
Source : MOS, IAU-IdF, 2008
58En effet, face à la croissance démographique, l'aire urbanisée de la région IDF a connu une artificialisation de son territoire plus ou moins importante en fonction des densités déjà existantes. C'est en grande couronne que les espaces disponibles étaient les plus nombreux. Toutefois, si la surface artificialisée a augmenté, il est à présent nécessaire de préciser si cette augmentation s'est traduite par de l'étalement urbain ou par une densification du tissu urbain. Pour cela, un gradient de dilution a été appliqué à deux communes représentatives de la petite couronne et de la grande couronne : respectivement, Romainville et Longjumeau. Ce gradient de dilution représente l'évolution de la proportion des espaces bâtis en fonction de la distance au centre. Le centre est alors représenté par l'église (point de départ supposé de l'urbanisation) et des zones concentriques de 250 mètres de large sont tracées depuis ce point. Pour chaque zone concentrique, le pourcentage de surface construite est alors calculé. Il permet ainsi de visualiser où se sont produites les nouvelles constructions, près du centre-ville dans des dents creuses, par exemple, ou en périphérie des bourgs. Les villes nouvelles étant composées de plusieurs communes, il reste difficile de déterminer un centre historique à partir duquel s'est organisée l'urbanisation ; le centre de gravité de la ville nouvelle n'étant pas non plus représentatif, cet indicateur n'a pas été calculé pour Saint-Quentin-en-Yvelines.
59Pour les deux villes prises pour exemple, on note d'une manière générale une diminution de la surface construite au fur et à mesure que l'on s'éloigne du centre-ville (figures 6 et 7). Pour Longjumeau, en grande couronne, la densité des surfaces construites près du centre-ville est plus importante que pour Romainville, avec respectivement entre 56-58 % et 46 %. Cette densité reste assez élevée jusqu'à 500-750 m du centre-ville, puis diminue fortement. La densité reste supérieure à 0 jusqu'à 1500-1750 m pour Romainville et 2250-2500 pour Longjumeau, ce qui traduit un étalement plus important pour Longjumeau.
Figure 6. Gradient de dilution des surfaces construites à partir du centre-ville pour la commune de Longjumeau.
Source : MOS, IAU-IdF, 2008
Figure 7. Gradient de dilution des surfaces construites à partir du centre-ville pour la commune de Romainville
Source : MOS, IAU-IdF, 2008
60Il faut noter qu'entre 1000 m et 2500 m, la commune de Longjumeau connait une augmentation de la surface construite qui est due à la configuration spatiale de l'habitat sur la commune. Mais il est important de noter que cette surface construite connait une progression notable entre 1982 et 1990, entre 1250 m et 2000 m du centre de la commune, avec +4 % entre 1250 m et 1500 m (figure 8). À ce niveau, ce gradient nous montre que, jusque dans les années 1990, cette commune a connu un certain étalement urbain qui semble toutefois contenu sur les deux dernières périodes d'étude, car c'est plutôt entre 250 m et 1250 m que les surfaces construites augmentent, signe d'une densification du tissu urbain existant (figure 8).
Figure 8. Évolution du gradient de dilution de l'habitat de la commune de Longjumeau durant les trois périodes étudiées.
Source : MOS, IAU-IdF, 2008
61Pour Romainville, en petite couronne, la situation est différente, les variations positives restent minimes puisqu'inférieures à 1 % (figure 9). Cette commune est constituée à plus de 90 % de territoires artificialisés et n'a connu que très peu de modifications dans l'occupation de ses sols, même si on pourrait noter une légère tendance à la densification entre 250 et 1000 m à partir de 1990. On ne peut donc pas vraiment parler de densification ni d'étalement urbain pour les communes de petite couronne d'une manière générale.
Figure 9. Évolution du gradient de dilution de l'habitat de la commune de Romainville durant les trois périodes étudiées.
62Trois écoquartiers, également à titre d'exemple, ont été retenus pour mettre en parallèle l'occupation des sols actuelle et les projets d'aménagement et de construction prévus pour chacun d'entre eux. Ces quartiers sont classés du moins urbanisé au plus urbanisé et sont situés dans deux types d'espaces : périphériques et centraux (figure 2).
63L'écoquartier du Sycomore est le seul à compter une surface significative d'espace naturel de 2,6 ha ; les territoires artificialisés restent minoritaires avec seulement 22 ha et le reste est en zone agricole, soit 97 ha. Dans le projet d'aménagement de ce quartier, on prévoit la construction de 10 000 logements ainsi que des équipements publics qui vont participer à l'artificialisation des surfaces et un parc urbain de 12 ha. Une réduction des surfaces agricoles semble inévitable vu les chiffres annoncés.
64Pour l'écoquartier de Montévrain, les territoires artificialisés représentent 67 ha, les zones agricoles restent dominantes avec 83 ha et les zones naturelles représentent moins de un ha. Ici la nature est également mise en avant avec la création d'un parc urbain de 21 ha. La construction de logements est moindre (3 300 logements), mais tous ces aménagements se feront une fois de plus au détriment des zones agricoles, qui apparaissent comme les seuls espaces disponibles pour recevoir cette urbanisation.
65Les objectifs ne sont pas les mêmes selon si le projet d'écoquartier se situe en périphérie ou en zone densément urbanisée. En grande couronne, il est clair que les espaces naturels tendent à être préservés même si la surface naturelle de la ceinture verte continue à diminuer. Ce sont plutôt les surfaces agricoles qui perdent des surfaces au profit d'une artificialisation du territoire, accompagnée le plus souvent de la création d'un parc urbain, lieu d'aération et récréatif du quartier. Ce parc urbain permettra de mieux « hybrider » les milieux naturels et urbains (Djellouli et al. 2010).
66L'aire urbanisée de la région IDF a connu une forte croissance depuis les années 1960, contrôlée et planifiée tout d'abord par les schémas directeurs d'aménagement successifs, puis par le projet du Grand Paris qui donne de nouvelles orientations. Par l'étude de ces documents d'urbanisme, on note une évolution des politiques, passant d'une phase quantitative répondant à une forte demande de logement et de transport, à une phase plus qualitative, où le cadre de vie, l'environnement, la préservation des espaces naturels et agricoles sont mis en avant. Le tournant semble se produire dans les années 1990 entre le SDAURIF-76 et le SDRIF-94, et se confirme avec les objectifs annoncés dans le projet du Grand Paris : la métropole s'oriente vers un développement urbain avec une coloration de plus en plus durable. L'application de ces schémas directeurs d'aménagement n'est pas toujours simple, certains des objectifs sont récurrents d'un schéma à l'autre, comme celui du transport ou de la protection de l'environnement. Il semble qu'aucune des solutions envisagées ne soit satisfaisante, ne réponde au problème, ou que toutes nécessitent une mise à jour à la vue des dernières tendances. L'objectif reste toujours à atteindre …
67Ces différentes politiques de planification ont pu se traduire sur le territoire par une modification de l'occupation des sols. Distinguée par seulement trois types de territoires, on note dans la petite couronne une situation assez stable du fait de sa forte urbanisation et du fort pourcentage d'artificialisation des surfaces. Il en est différemment dans la grande couronne, où se produit l'essentiel de l'augmentation des surfaces artificialisées, le plus souvent au détriment des territoires agricoles. Même la ceinture verte, créée pour contenir l'urbanisation et limiter l'étalement urbain, voit sa surface « verte » diminuer avec des parcelles encore classées urbanisables dans le SDRIF-94. Toutefois, une modification de l'emplacement de cette urbanisation est à noter : elle semble tendre vers une densification plutôt que vers un étalement urbain à l'échelle de la commune depuis la mise en place du SDRIF-94. On assiste donc à un virage progressif vers un aménagement urbain plus durable, dans le sens où des zones de densification sont identifiables. Les planificateurs recherchent aujourd'hui davantage la qualité de vie, tant au niveau paysager, que de la mobilité ou des relations sociales. Cette recherche apparaît nettement à travers les projets d'écoquartier (voire même dans les Opérations d'Intérêts Nationaux dont il n'a pas été question dans cet article) dans lesquels la dimension « nature » est mise en avant dès que possible selon les secteurs où ils s'implantent. En contrepartie, ces nouveaux aménagements se font au détriment de zones agricoles principalement … Ces projets ne concernent qu'une partie infime du territoire de la région Île-de-France mais ce n'est que par la multiplication des initiatives locales que la ville tendra vers un développement durable. « La durabilité est de toute façon un processus d'apprentissage assez long qui s'apprécie sur les dynamiques enclenchées, plutôt que par des résultats rarement immédiats » (Emilianoff et Stegassy, 2010).
68Cette étude a été supportée par l'Agence Nationale de la Recherche (Référence : ANR-09-VILL-03), dans le cadre du projet MUSCADE (Modélisation Urbaine et Stratégies d'Adaptation au Changement climatique pour Anticiper la Demande et la production Énergétique). Les auteurs remercient également l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la région Île-de-France pour la mise à disposition de leur base de données sur les modes d'occupation des sols (EvoluMOS).