Les arts : révéler, critiquer et transformer les rapports entre individus, environnement et ville
Plan
Haut de pageTexte intégral
1Nous débutions notre appel à contribution en affirmant la capacité des arts à révéler, critiquer et transformer les relations que les humains entretiennent avec leur environnement. Si les textes de ce numéro spécial tendent à supporter cette affirmation, ils appellent également à la nuance et montrent qu’il y a plus d’une façon d’envisager le rapport entre individus, environnement et ville à travers les pratiques artistiques. En effet, si notre appel poussait surtout à réfléchir au regard que les artistes portent sur les dissonances perçues dans le monde (surtout urbain) qui les entoure et à la dimension esthétique de l’environnementalisme, les auteurs ont élargi le spectre des perspectives et ont choisi des angles variés pour s’intéresser à la thématique proposée.
2D’abord, les contributions au numéro poussent à réfléchir à ce à quoi renvoie la notion d’environnement en faisant appel à plusieurs de ses acceptions. Parfois liée par les auteurs au mouvement environnementaliste ou écologiste, elle réfère le plus souvent de façon large au milieu dans lequel l’humain évolue. S’intéressant plus spécifiquement à sa dimension urbaine, l’opposition ville/nature s’avère dans plusieurs cas sous jacente à leurs réflexions. Notamment, Koci fait la distinction entre deux dimensions de l’environnement urbain : une anthropique (bâti) et une naturelle (espaces verts, paysages). Salomon Cavin avance pour sa part que s’il existe des valeurs et une idéologie anti-urbaines, ces dernières existent toujours en relation avec une vie meilleure associée au contact avec la nature. Au fil des textes, la nature s’avère tantôt hygiéniste, comme l’effet du rayonnement solaire sur les corps dans la pensée moderniste (Siret), tantôt à l’origine d’une élévation de l’esprit et d’un bien-être psychologique (Salomon Cavin, Girard). Elle peut être sauvage, paysagère, urbanisée, selon un spectre qui s’étend du plus sauvage au plus maîtrisé (Miaux). Girard, liant les deux termes de façon différente, convoque Restany (1962) pour qui la ville devient « nature industrielle » : abondance, profusion, chaos, ressource presqu’infinie de matériaux.
3Les textes rassemblés dans ce numéro mettent de plus de l’avant les contours flous des catégories d’art, d’artistes, d’aménagement, de penseurs et de bâtisseurs de la ville. Les citoyens peuvent-ils comme les artistes « reconnus » être à l’origine de pratiques artistiques ? Les œuvres d’art, une fois posées dans l’espace public, sont-elles perçues en tant que manifestations artistiques ou comme des éléments de la ville aménagée, relevant en quelque sorte du design urbain ? Lors du Parking Day, ce sont des groupes préoccupés par la planification urbaine et porteurs d’une vision spécifique de l’utilisation de l’espace public qui intègrent des modes d’expression artistique dans l’occupation temporaire d’espaces de stationnement. Ses participants associent leurs actions tantôt à l’artivisme, un art citoyen parfois sans artiste, tantôt à l’urbanisme tactique (Douay et Prévot). Les rappeurs français, à travers leurs paroles qui décrivent le malaise d’habiter les cités HLM, s’approchent à certains moments d’un discours porteur d’un projet de ville (Koci). Les affichistes et les artistes sonores dont nous parlent Girard tirent de la ville matériaux et sons ordinaires qui deviennent œuvres d’art lorsque déplacés hors de leur contexte d’origine, dans les galeries par exemple. Leur travail, motivé par une attitude critique à la fois envers la ville moderne et envers le monde de l’art, les renouvelle tous les deux par leur façon de les concevoir. En somme, les articles ici réunis illustrent le fait qu’il serait erroné de placer d’un côté les penseurs de l’art, et de l’autre les penseurs de la ville, les uns critiquant les autres. Nous les avons divisés en deux catégories : une première qui rassemble ceux où la ville est présentée comme un lieu d’expérience esthétique, expérience qui amène à la fois à la percevoir différemment et à réfléchir à son devenir, et une deuxième qui présente le cas de pratiques artistiques potentiellement porteuses de discours sur la ville.
La ville : lieu d’expérience esthétique
4Les six premiers textes, évoquant notamment la figure du flâneur de Benjamin, la pratique de l’espace de De Certeau ou encore les dérives des Situationnistes, présentent tous à leur manière une réinvention de la ville à travers la proposition d’une nouvelle lecture. S’intéressant à l’art public comme genre officiel, Vernet examine la façon dont il participe à la vie sociale et urbaine à travers les interactions qu’entretient le public avec deux œuvres commémoratives du Square St-Louis à Montréal. Douay et Prévot puis Joncas s’intéressent à des pratiques qui se situent entre art et urbanisme tactique. Les premiers s’interrogent sur ce que révèle le Parking Day, qui a débuté aux États-Unis pour ensuite s’étendre à travers l’Amérique et l’Europe, sur le militantisme urbain actuel, qu’ils qualifient d’édulcoré et d’ambigu quant aux formes urbaines à produire. Le mouvement fédérerait plutôt des citadins partageant un mode de vie similaire. Joncas fait valoir pour sa part que les pratiques culturelles et artistiques au sein d’espaces urbains porteurs d’incertitude sur la nature publique ou privée de leur statut, de leur fonction et de leur mode d’appropriation, s’avèrent un vecteur parmi d’autres de leur équivocité. Siret s’intéresse à l’ensoleillement urbain. Après avoir présenté l’originalité de la théorie hélioplastique de Twarowski, essentiellement visuelle, il propose une nouvelle esthétique solaire contemporaine qui implique la totalité du corps et de ses sens. Kazi Tani montre comment la pratique du skateboard en ville permet une toute autre évaluation de l’architecture et du design de l’environnement, dorénavant appréciés pour les montages de textures, les mises en relation de matériaux ainsi que l’expérience esthétique qu’ils permettent. Finalement, Miaux vise à identifier les rapports ville/nature et homme/nature que suggèrent différents dispositifs artistiques de promenade.
Les arts : porteurs d’un discours sur la ville ?
5Les trois derniers textes présentent différentes formes artistiques et interrogent le regard critique qu’elles portent sur la ville. Girard aborde le travail d’affichistes et d’artistes de musique concrète qui, en intégrant dans leurs œuvres des matériaux issus de la ville, ont amené un regard esthétique sur ce qui était perçu jusqu’alors uniquement comme de la pollution visuelle et sonore au sein de la ville moderne. Présentant les peintures d’Edward Hopper, artiste triste et introverti, Salomon Cavin remet en question les bases sur lesquelles on a associé son œuvre au mouvement anti-urbain américain. L’auteure soutient que la ville n’était finalement pas son « problème », et que la connotation anti-urbaine de ses peintures tient son origine dans la mobilisation contemporaine de son travail. En dernier lieu, Koci se penche sur des paroles de rap français pour y tirer une lecture de l’environnement urbain – plus spécialement de celui des cités HLM – voire même un discours aménagiste.
Pour citer cet article
Référence électronique
Catherine Gingras, « Les arts : révéler, critiquer et transformer les rapports entre individus, environnement et ville », Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 8 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/319
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page