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Une utopie artistique solaire urbaine des années 1960 : l'hélioplastique de Mieczyslaw Twarowski

Analyse critique et propositions pour une esthétique solaire urbaine contemporaine
Daniel Siret

Résumés

Cet article présente la théorie hélioplastique de l'architecte polonais Mieczyslaw Twarowski publiée en 1962. À travers cette théorie, notre objectif est de mettre en évidence la double dimension historique et utopique des relations entre arts, environnement et ville : historique, parce que les propositions de Twarowski prennent sens dans le contexte de la modernité " radieuse "; utopique, parce qu'à travers ses expérimentations, Twarowski exprime sa croyance en un véritable enchantement solaire urbain. Par contraste, nous esquissons ce que pourrait être une esthétique urbaine contemporaine des flux solaires, susceptible de renouer avec les valeurs sensibles fondamentales de l'ensoleillement urbain.

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Texte intégral

Introduction

1Peut-on envisager une esthétique solaire de l'environnement construit, et si oui quelles en seraient les conséquences sur la manière de concevoir les villes? Si le thème de la composition lumineuse est assez classique dans l'histoire de l'architecture ou des jardins, peu d'auteurs ont développé la question de l'effet du rayonnement solaire sur les formes construites pour en constituer un art à part entière, capable de susciter différentes émotions au rythme des jours et des saisons. L'architecte polonais Mieczyslaw Twarowski est l'un d'eux; son étonnante théorie de l'hélioplastique, développée au début des années 1960 dans le livre Soleil et architecture , propose aux concepteurs d'espaces habités de saisir les opportunités plastiques offertes par le jeu des ombres et des taches solaires au fil du temps. Cet art de la composition solaire et la science qui lui est associée sont pensés par Twarowski comme des transformateurs des relations entre l'individu et son milieu : par la capacité d'enchantement des nouveaux tableaux solaires créés par de multiples artifices architecturaux et urbains, l'homme de cette modernité triomphante, véritablement " radieuse ", doit être conduit dans un état de béatitude permanente.

2Nous avons décrit les grandes caractéristiques de cette hélioplastique et son rapport à la saisonnalité urbaine dans un précédent article (Siret 2013b). Nous voudrions dans la présente proposition approfondir le projet de Twarowski et montrer en même temps ses limites intrinsèques. La première partie de l'article présente ainsi la théorie hélioplastique et développe ses multiples facettes, à la fois comme méthode d'expression plastique " optimale " de l'espace au soleil, comme science de l'exposition et comme art cinétique, condition d'un nouvel enchantement solaire urbain. La seconde partie de l'article propose une critique de l'approche de Twarowski suivant deux angles : l'exclusivité de la dimension visuelle de cette esthétique du rayonnement d'une part, et l'appréhension d'un soleil hygiéniste conduisant à l'effacement de la saison hivernale d'autre part. À partir de ces éléments critiques, nous tentons d'esquisser ce que pourrait être une esthétique contemporaine du rayonnement solaire qui ferait une plus grande place aux sens tactiles et thermiques, et aux jeux du corps et du soleil dans l'expérience urbaine ordinaire.

L'hélioplastique de mieczyslaw twarowski, une esthétique solaire de l'environnement urbain au tournant des années 1960

3Dans son ouvrage de 1962, Twarowski détaille en 170 pages les problèmes généraux posés par la question de l'ensoleillement dans la conception architecturale, urbaine et paysagère. Fortement inscrit dans le courant hygiéniste qui a conduit à l'éclosion de la modernité, Twarowski met en avant les vertus microbicides du rayonnement solaire direct, son pouvoir asséchant et son action antirachitique chez les enfants. Il va même au-delà de la tradition hygiéniste en développant le pouvoir zootechnique de l'ensoleillement comme facteur d'accroissement de la production de volailles, de porcins et de bovins! (Twarowski 1967, chapitre 7). Cependant, loin de ces considérations techniques et sanitaires qui n'occupent qu'une partie de l'ouvrage, c'est l'hélioplastique qui intéresse fondamentalement Twarowski. L'hélioplastique traite la question des formes multiples et mouvantes que donne à voir le jeu des ombres et des lumières dans l'environnement construit, à travers les jours et les saisons. Twarowski consacre une centaine de pages de son ouvrage à cette question qu'il aborde à plusieurs échelles, depuis les effets du soleil sur une encoignure devant une ouverture, jusqu'aux compositions solaires des grands paysages et jardins, en passant par l'échelle urbaine. Il y présente l'hélioplastique tout à la fois comme une méthode d'expression plastique " optimale " des objets illuminés, comme une science de l'exposition au soleil qui nécessite ses propres méthodes, et enfin comme un art cinétique résultant de la " vie des formes " suggérées par la projection des ombres au fil du temps. Ce nouvel art solaire offrirait les conditions d'un nouvel enchantement urbain.

Une science de l'expression plastique solaire " optimale " des environnements construits

4Selon Twarowski, une sculpture, un bâtiment, un espace urbain ou même un paysage peuvent atteindre une expression plastique " optimale " sous certaines conditions d'éclairage qui définissent alors des périodes journalières et annuelles particulières pendant lesquelles ces œuvres sont comme à leur plénitude. Pour Twarowski, l'homme serait en effet doué d'une propension " naturelle " à la perception de la beauté solaire qui légitimerait à elle seule la nécessité d'une science de l'ensoleillement, à même de définir les conditions de cet optimum solaire variable suivant les situations. Ainsi écrit-il (Twarowski 1967, 75) :

5On fait souvent visiter de très beaux monuments sans même se soucier de leurs conditions d'éclairage. Il est indifférent aux guides que la composition soit complètement à l'ombre, qu'elle soit mal ou bien éclairée. Ils s'en tiennent à leur programme, en se bornant à montrer successivement les objets prévus dans le programme. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les visiteurs perdent souvent, dans ces conditions, une grande partie de la beauté de l'œuvre.

6En étudiant des effets de clairs-obscurs sur la composition des jardins de Tivoli ou de Versailles, j'ai souvent eu l'occasion d'observer des réactions fort caractéristiques de la part des visiteurs. Devant des compositions auxquelles personne ne faisait attention lorsque leur éclairage était mauvais, de nombreux groupes de touristes se rassemblaient en donnant cours à leur admiration, lorsque ces mêmes compositions bénéficiaient de clairs-obscurs avantageux.

7Personne évidemment ne cherchait à savoir pourquoi la valeur esthétique de cette composition ressortait alors avec tant de force, pas plus qu'à déterminer la durée des diverses expressions plastiques. Il est donc indispensable d'étudier l'influence de l'éclairage des monuments architecturaux et de définir les heures auxquelles, tout au long des diverses saisons, on peut pleinement profiter de leur beauté.

8A contrario, un éclairage inapproprié peut conduire à dénaturer une œuvre et diminuer ainsi sa valeur (1967, 68) :

9Aucun sculpteur n'accepterait que l'acquéreur de son œuvre change à son gré sa sculpture. Personne ne proteste cependant lorsque la lumière solaire déforme l'expression plastique, crée des effets fortuits, en diminuant ainsi, souvent dans une grande mesure, la valeur de l'œuvre.

10L'un des devoirs de l'architecte est donc, selon Twarowski, de proposer des conditions d'illumination qui, a minima, ne nuisent pas à l'expression de l'œuvre. Cette ambition, qui s'accepte aisément pour les œuvres d'art comme les sculptures, s'exprime de manière équivalente chez Twarowski pour les œuvres architecturales, pour les environnements urbains et bien sûr pour les jardins et paysages. Twarowski encourage ainsi les architectes et les urbanistes à explorer le potentiel expressif des taches d'ombre et de soleil, et à s'investir dans cette science et cet art de l'expression solaire qu'est l'hélioplastique. Il fournit pour cela un ensemble d'outils (abaques et méthodes graphiques de tracés solaires normalisés qu'il baptise de ses initiales : " diagrammes solaires MT ") qui doivent permettre à tout concepteur attentif aux conditions d'éclairement d'atteindre les objectifs qu'il a lui-même définis. Il regrette que cette question ne soit pas assez étudiée, et donne l'exemple des compositions solaires d'anciens jardins dont on aurait oublié la science (1967, 122) :

11Il ne fait aucun doute que plusieurs compositions produites par les rayons solaires dans des ensembles déjà existants ont été sciemment prévues par leurs auteurs. Il nous est en effet difficile de croire que ceux-ci n'ont pas envisagé l'élaboration de compositions solaires dans les jardins progressivement aménagés pendant de longues années et où la mise à profit des effets solaires s'imposait d'elle-même. Néanmoins, plusieurs de ces excellentes compositions qui, chaque année, se reproduisent ne sont dues qu'au hasard.

12Des études portant sur les compositions de jardin les plus réussies s'avéreraient indubitablement d'une grande utilité lors de l'élaboration de projets; elles permettraient de connaître et d'appliquer dans les parcs, les espaces verts et les jardinets les compositions solaires les plus spectaculaires.

13Malheureusement, les immenses matériaux historiques relatifs à ce sujet n'ont pas encore été pleinement mis à profit. Les magnifiques compositions solaires qui se reproduisent chaque année à la Villa d'Este, à la Villa d'Adrien, à Ravello, à Versailles, au Trianon, dans les jardins Boboli, à Natolin et à Zelazowa Wola attendent toujours une étude appropriée.

14Twarowski propose de combler ces lacunes en étudiant de manière systématique l'ensoleillement des environnements construits, qu'ils soient à l'échelle de la pièce, de la ville ou du paysage. La science qu'il définit est empreinte d'un positivisme certain, et elle conduit à des propositions qui paraissent aujourd'hui particulièrement arbitraires ou normatives. Cependant, sur un plan plus pratique, les méthodes développées par Twarowski restent encore aujourd'hui très séduisantes. Dans le contexte des années 1950 marqué par une grande inventivité des méthodes d'analyse solaire , l'architecte propose en effet un système de diagrammes qui simplifie considérablement le tracé des ombres portées et la détermination des périodes d'ensoleillement dans un environnement en projet (figure 1). Pour rendre ce travail encore plus aisé, des calques sont joints au livre. Notons que la méthode proposée reste purement géométrique. Twarowski ne raisonne en effet qu'en termes de taches solaires ou de durée d'exposition au soleil, sans tenir compte des flux énergétiques qui varient suivant l'incidence des rayons sur les objets selon la saison et l'heure du jour , et suivant les propriétés physiques des matériaux. Il renouvelle en cela l'approche des hygiénistes depuis les années 1920 : pour lui, c'est la forme de l'impact du soleil qui est déterminante, plus que la quantité d'énergie effectivement transmise par le rayonnement (Barraqué 1998).

15Il est intéressant d'observer que le système graphique développé par Twarowski peut être utilisé de manière inverse. Dans cette approche, au lieu de mesurer l'efficacité solaire d'une configuration donnée, le système permet de définir les configurations spatiales permettant d'obtenir une composition solaire particulière, comme par exemple obtenir dans un jardin donné, une bande solaire de forme donnée à un instant donné (figure 2). Twarowski propose même un système dit de " courbes de niveau solaire " qui permet de définir les conditions de construction d'un volume garantissant l'ensoleillement des volumes voisins pour une période donnée. Ces courbes de niveau solaire anticipent de plus de dix ans la théorie des " enveloppes solaires " de l'Américain Ralph Knowles, à qui l'on reconnaît pourtant généralement la paternité de cette idée et sa mise en œuvre dans la réglementation urbaine de quelques villes américaines (Knowles 1981).

Un art cinétique de la " vie des formes " et de l'enchantement du monde

16Universelle, l'approche hélioplastique de Twarowski se développe à la fois comme une science de la construction géométrique des ombres portées et de l'étude des périodes d'ensoleillement, mais aussi comme un art de l'expression plastique de l'environnement construit sous l'effet du soleil. Pour Twarowski, cette dimension artistique est avant tout expérimentale et doit passer par l'exploration des jeux d'ombres et des clairs-obscurs dans toutes sortes de configurations spatiales. Ainsi explique-t-il (1967, 76) :

17On étudie d'ordinaire les jeux de clairs-obscurs venant se refléter sur la composition, en admettant que le fond en est complètement éclairé, ou bien complètement à l'ombre. Une telle limitation aboutit à un appauvrissement considérable de l'expression plastique et risque de provoquer des jeux d'ombre fortuits. Il convient donc également d'étudier minutieusement le rôle des ombres portées sur le fond et sur la composition plastique, à l'aide de projecteurs d'ombre appropriés. En utilisant ces projecteurs, on peut transformer dans une grande mesure l'expression plastique de l'œuvre et susciter des jeux d'ombres extrêmement avantageux.

18Twarowski étudie ainsi les ombres portées par des objets variés sur différents fonds (figure 3). Il propose également, lorsque cela est nécessaire, l'ajout de projecteurs d'ombres pour " rehausser " la plastique d'une œuvre ou d'une architecture et fait l'expérience de différentes sortes de projecteurs qui ont des effets plastiques divers selon les heures et les saisons (figure 4).

19Contrairement à l'éclairage d'une scène de théâtre ou celui d'une salle de musée qui sont le plus souvent statiques, l'exposition solaire est caractérisée par sa dynamique journalière et saisonnière. C'est fondamentalement cette dynamique qui intéresse Twarowski, qui invite à penser les clairs-obscurs et les jeux d'ombres dans une perspective temporelle. L'art de l'architecte hélioplasticien consiste finalement à créer ce qu'il appelle la " vie de la forme ", produite par le jeu des ombres animées par le soleil au cours du temps (1967, 87, italiques dans le texte original) :

20Les rayons solaires, en tombant sous divers angles, donnent à l'entourage des formes sans cesse nouvelles. Nous pouvons ou bien prévoir une expression plastique pendant une période limitée, et l'adapter à une seule position des rayons solaires, ou bien superposer plusieurs compositions dans un seul système, en les adaptant aux divers moments du jour et de l'année. Nous obtiendrons alors une vie de la forme : toute une succession d'expressions plastiques parfois fort diversifiées et d'une grande richesse d'effets.

Figure 1. Diagramme solaire de M. Twarowski

Figure 1. Diagramme solaire de M. Twarowski

Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur.

Figure 2. " L'obtention d'une bande solaire "

Figure 2. " L'obtention d'une bande solaire "

Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur.

Figure 3. Expériences plastiques de projection des ombres d'un cylindre et sur différents fonds

Figure 3. Expériences plastiques de projection des ombres d'un cylindre et sur différents fonds

Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur.

21Cette " vie de la forme ", obtenue par divers types de projecteurs d'ombres, peut revêtir des expressions naïves ou ludiques qui participent à l'enchantement de la vie commune. Twarowski donne ainsi l'exemple d'une école maternelle dans laquelle un projecteur d'ombres judicieusement conçu est animé par la course journalière du soleil pour raconter une histoire aux enfants (figure 5) (1967, 86) :

22Le matin : l'écolier court après le loup. À midi, les ombres deviennent de plus en plus courtes. L'après-midi : le loup se met à courir après l'écolier, l'ombre du loup se rallonge de plus en plus. L'institutrice peut changer l'emplacement du projecteur d'ombres, en engendrant à chaque fois de nouvelles compositions.

23Le principe de la " vie des formes " au fil du temps est également appliqué aux façades des bâtiments au moyen de multiples projecteurs d'ombres ajourés, latéraux et horizontaux. Des paysages en noir et blanc émergent ainsi au fil du temps, alors que le déplacement du soleil engendre des projections d'ombres et de taches solaires insoupçonnées (figure 6).

24L'hélioplastique devient alors un art du mouvement, qui s'appuie sur le double déplacement du spectateur dans l'espace, et du soleil lui-même. Ce mouvement est pensé par Twarowski dans le temps perçu de la journée solaire, et de manière moins perceptible, mais néanmoins significative, dans le temps de l'année solaire elle-même.

25L'hélioplastique peut ainsi être rapprochée de l'art cinétique dont les promoteurs mettent en évidence, dans leurs différentes propositions artistiques, les variations de perception des objets dans l'espace, liées au mouvement et à la lumière. Pierre Robert écrit ainsi (Robert 2003, en ligne) :

26Pour l'art cinétique, le mouvement est un symbole des processus et de l'interdépendance de la matière et des événements, y compris les événements naturels comme le vent et la lumière solaire. Le mouvement est une force expressive concrète, contrairement à tout l'art qui le précède dans lequel le mouvement n'est simulé que par la perception mentale.

27L'expression même d'art cinétique est contemporaine de la publication du livre de Twarowski. Ainsi, on peut rapprocher la définition de la " vie des formes " de Twarowski des œuvres d'artistes cinétiques de la même époque. Parmi celles-ci, nous pensons aux productions de Victor Vasarely qui, dans sa période dite " Noir-Blanc " au cours des années 1950, met en scène des déformations ondulatoires ou projectives, à partir de la superposition de plaques de verre . Une œuvre comme Bi-forme, créée par Vasarely en 1962, apparaît visuellement très proche de certaines expériences de Twarowski sur le jeu dynamique des ombres projetées sur les façades sous différentes conditions d'exposition solaire .

28À travers cette esthétique solaire cinétique, Twarowski nourrit l'ambition de mettre en œuvre de manière littérale la " ville radieuse " inventée par Le Corbusier vingt-cinq ans plus tôt (1935). Cette ville solaire n'est pas seulement belle et efficace, telle que la concevaient les tenants de la modernité urbaine; elle est également supposée provoquer un enchantement quotidien du citadin, par sa plastique des ombres et des clairs-obscurs et par les multiples célébrations solaires qu'elle instaure. Twarowski écrit à ce propos (1967, 87-88, italiques dans le texte original) :

29Une nouvelle voie s'ouvre ainsi devant les recherches portant sur la beauté des clairs-obscurs, une voie menant à des compositions plastiques urbaines tout à fait nouvelles. Les rayons solaires accompagneront le regard des citadins dès le matin. Lorsque les enfants se rendront à l'école et les adultes à leur lieu de travail, ces bâtiments auront leur plus belle expression plastique et participeront à la mise en relief des coloris des arbres, des fleurs et des intérieurs, en favorisant ainsi une atmosphère de travail. L'après-midi, lorsque le citadin rentrera chez lui, ce seront les îlots résidentiels, les théâtres, les maisons de la culture, les terrains de sport, etc. qui obtiendront leur expression plastique optimale. (…)

30Il faut donc tout mettre en œuvre en vue de créer une composition ayant plusieurs expressions plastiques au cours de la même journée, de telle sorte que l'expression la plus séduisante concorde avec les heures de grande affluence.

31Les nouvelles villes créeront une nouvelle beauté, une mélodie quotidienne de formes, de couleurs, d'ombres et de lumières.

Limites de l'hélioplastique de twarowski et propositions pour une esthétique contemporaine des flux solaires urbains

32Avec le recul de l'histoire, le postulat d'une architecture rayonnante et heureuse, dans laquelle la dimension ludique et plastique des taches d'ombre et de soleil suffirait à créer une vie sociale épanouie, paraît à la fois utopique et discutable dans ses fondements esthétiques. L'hélioplastique de Mieczyslaw Twarowski appelle ainsi une analyse critique que nous proposons de développer suivant deux angles, intrinsèquement liés au contexte historique de la modernité architecturale et urbaine qui sous-tend l'approche de l'architecte polonais : l'exclusivité de la dimension visuelle du rayonnement solaire d'une part, et l'appréhension d'un soleil hygiéniste conduisant à l'effacement de la saison hivernale d'autre part. De ces éléments critiques nous essaierons de tirer différents constats pour une esthétique contemporaine du rayonnement qui ferait une plus grande place aux sens tactiles et thermiques, et aux jeux du corps et du soleil dans l'expérience urbaine quotidienne.

L'hégémonie du visuel

33Twarowski développe une approche fondamentalement visuelle des phénomènes solaires en milieu urbain, et l'hélioplastique qu'il préconise repose essentiellement sur le ravissement des yeux. Il met ainsi en discussion la constitution de paysages visuels solaires au moyen de ce qu'il appelle " le jeu des clairs-obscurs " les plus variés, le " jeu des ombres " statiques ou dynamiques - l'image fixe d'un instant ou la séquence animée racontant une histoire -, ainsi que " l'expression plastique optimale " donnée par certaines configurations d'ensoleillement. C'est la satisfaction de la composition visuelle, du tableau solaire statique ou dynamique, qui est pour Twarowski l'objet de l'art hélioplastique.

34Le ravissement des citadins dans cette ville radieuse doit alors être compris non pas comme une satisfaction primaire et quasi animale du corps irradié, chauffé et poli par le soleil, mais comme le plaisir savant, intellectuel et normé, de l'esprit capable de discerner la " beauté pure " des compositions plastiques solaires. L'homme moderne est ici désincarné : il ne ressent pas par lui-même les effets du rayonnement solaire sur sa peau et dans son corps, mais il les perçoit et en goûte la saveur de manière indirecte, par l'entremise du regard sur le paysage. Le citadin est spectateur de sa propre urbanité dont les acteurs sont manifestement les " volumes assemblés sous la lumière " suivant " le jeu, savant, correct et magnifique " inventé par Le Corbusier en 1923 .

35Cette hégémonie du visuel est intrinsèquement liée à la pensée moderniste dans laquelle Twarowski s'inscrit. À la suite de nombreux auteurs, Juhani Pallasmaa (2005) remet en question l'occulocentrisme caractéristique de cette pensée des architectes de la modernité (2005, 21-22) :

I believe that many aspects of the pathology of everyday architecture today can likewise be understood through an analysis of the epistemology of the senses, and a critique of the ocular bias of our culture at large, and of architecture in particular. The inhumanity of contemporary architecture and cities can be understood as the consequence of the neglect of the body and the senses, and an imbalance in our sensory system. […] The dominance of the eye and the suppression of other senses tend to push us into detachment, isolation and exteriority. The art of the eye has certainly produced imposing and thought-provoking structures, but it has not facilitated human rootedness in the world. The fact that the Modernist idiom has not generally been able to penetrate the surface of popular taste and values seems to be due to its one-sided intellectual and visual emphasis.

36Nous savons aujourd'hui que la vue n'est pas souveraine dans l'esthétique paysagère, pour reprendre l'expression heureuse de Jean-François Augoyard (1991) à propos de l'importance des paysages sonores urbains. La synthèse que donne Augoyard des grandes caractéristiques du paysage moderne, dominé par " la souveraineté du voir ", décrit particulièrement bien l'expérience hélioplastique proposée par Twarowski (Augoyard 1991, 51) :

37Les grands caractères du paysage moderne, fruit d'une élaboration achevée à la fin de la Renaissance, sont aujourd'hui bien connus. Je les rappelle en trois mots : distanciation, représentation spatialisante, artéfaction. Distanciation : l'œil et le sujet regardant sont hors champ. Le point de vue suppose que le regardeur se retire du vu. Le paysage est le produit d'une objectivation du milieu, d'une opération de sélection, d'une mise en face de soi. Représentable, ensuite, par les outils de la spatialité géométrique, élaboré par la perspective " à l'italienne ", le paysage se fonde sur un espace newtonien. L'artéfaction, enfin, ou artialisation , c'est l'organisation du voir le paysage comme si c'était une œuvre dont l'organisation est repérable. Le regardeur dont l'œil est régi par une esthétique de la contemplation devient, au sens étymologique, spectateur. La notion de paysage occidental et moderne paraît donc entièrement construite à partir d'une expérience du regard.

38Depuis ces travaux précurseurs, de nombreux auteurs ont mis en avant la nécessité d'appréhender l'esthétique urbaine à travers toutes les dimensions sensibles de l'espace urbain, qu'elles soient sonores, tactiles, thermiques, aérauliques ou olfactives (Zardini 2005). Ces différentes tonalités sensorielles conditionnent l'appréhension esthétique des environnements urbains et la constitution des ambiances dans lesquelles nous sommes plongés. Ainsi écrit par exemple Arnold Berleant (2012, 55) :

Using sensibility as a key to aesthetic apprehension can illuminate our understanding of the appreciative experience of the arts. But aesthetic sensibility has particularly rich possibilities for identifying and enhancing the aesthetic experience of environment. Perception of the built environment is through multi-sensory bodily engagement. Such aesthetic engagement transforms our environmental perception of space, mass, density, force, and directionality when apprehended not as abstractions but as direct experiences in the acute sensory experience of everyday life. Indeed, it is in relation to environment that aesthetic sensibility may have its most extended development, for environment is the broadest, most perceptually inclusive human context.

39Dans l'expérience solaire urbaine, la prévalence donnée au visuel est trompeuse, car elle ne rend compte que de la partie cérébrale de la perception du rayonnement, celle qui s'adresse à la rétine et qui met en jeu une expérience solaire extérieure au corps qui regarde. Or, le rayonnement solaire plus que tout autre phénomène de l'environnement physique implique l'ensemble de la peau qu'il touche et qu'il brûle, et du corps qu'il stimule par ses effets thermiques et biologiques.

L'expression du " jet solaire " et l'effacement de l'hiver

40De manière parallèle, on peut resituer les propositions de Twarowski dans une histoire des sensibilités liées au rayonnement solaire. Nous avons donné un aperçu de ce que pourrait être cette évolution des sensibilités et la manière de comprendre l'histoire de la ville et de l'architecture dans leurs relations au soleil (Siret 2013a; Siret 2013b). Largement absente des discours sur l'architecture et la ville jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle (la lumière est alors plutôt appréhendée comme un fluide qui emplit l'espace et baigne les corps), la dynamique du rayonnement solaire va progressivement devenir un enjeu de l'aménagement de l'espace à la faveur du développement des théories hygiénistes. En particulier, dans le dernier tiers du dix-neuvième siècle, la démonstration du pouvoir microbicide de l'ensoleillement direct change la perspective des architectes. La sensation du " bain lumineux ", caractéristique de la période précédente, fait alors place à une autre sensation, celle du " jet solaire ", qui prend en compte la dynamique du rayonnement direct (Siret 2013a).

41Cette nouvelle appréhension du rayonnement solaire modifie les modes de conception de l'espace. Elle impose de s'interroger sur l'orientation des façades, sur les ombres portées par les constructions à différentes heures et saisons, et sur la manière de produire dans la ville les conditions d'une insolation " maximale ". Ce tournant héliotrope marque une transformation fondamentale de l'architecture ordinaire. Les balcons et toitures-terrasses apparaissent dans les immeubles d'habitation et offrent un espace d'accès au soleil et à l'air. Les fenêtres et les baies s'agrandissent. Le blanc s'impose comme couleur saine. Ces transformations coïncident également avec les grands changements culturels et sociaux qui voient la relation du corps au soleil se transformer avec l'apparition du bronzage comme marque corporelle de santé et de liberté (Ory 2008).

Figure 4. Expériences de projecteurs d'ombres sur une façade

Figure 4. Expériences de projecteurs d'ombres sur une façade

Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur

Figure 5. Une vision ludique de la " vie de la forme "

Figure 5. Une vision ludique de la " vie de la forme "

Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur.

Figure 6. La dynamique des ombres : une vision architecturée de la " vie de la forme "

Figure 6. La dynamique des ombres : une vision architecturée de la " vie de la forme "

Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur

42La " ville radieuse " popularisée par Le Corbusier (1935) constitue une synthèse de ces transformations qui peut être comprise de manière littérale. Par ses principes mêmes, l'urbanisme fonctionnaliste moderne offre les conditions d'existence de cette irradiation solaire : faible emprise au sol des tours et des barres largement espacées, libérant de vastes zones et offrant les conditions d'un accès continu au soleil, aussi bien dans l'intimité des appartements amplement vitrés, que dans l'entre-deux des balcons et des loggias, ou dans les vastes espaces communs des pelouses et parkings, des parcs et des aires de jeux, ou des toitures-terrasses accessibles (Siret, 2013b).

43L'une des conséquences de ce tropisme estival - qui sera largement remis en cause à partir des années 1970 et la fin de la modernité - est l'effacement de l'hiver comme saison solaire. Twarowski exprime parfaitement cet effacement : il met en effet en scène une ville estivale et oisive, de plein été, dans laquelle les ombres sont puissamment projetées sur des murs blancs immaculés. Ses analyses d'hélioplastique sont principalement établies entre les deux équinoxes et au solstice d'été, c'est-à-dire de mars à septembre. C'est la ville exposée au soleil " maximal " qui est magnifiée, une ville idéalement radieuse dans la plénitude de l'été.

44Twarowski ignore ainsi le soleil bas d'hiver, les jours courts, les ombres plus longues et plus frêles aux contours hésitants, mais aussi la sensation forte du soleil bas sur l'horizon, irradiant les yeux et la peau. Ces expressions du soleil ne font pas partie de l'idéal hélioplastique de l'architecte polonais, alors même que Varsovie, à la latitude de 52° Nord, peut offrir des manifestations solaires hivernales très caractéristiques.

Les jeux du corps et du soleil et l'expérience urbaine ordinaire

45En développant une approche principalement visuelle et distanciée de l'ensoleillement, toujours estival, Twarowski néglige les multiples dimensions sensibles de l'expérience solaire ordinaire : la volupté de la caresse du soleil sur la peau, l'enveloppement d'une ombre fraîche l'été, l'abandon d'un visage ébloui au soleil d'hiver… Sa pensée solaire est géométrique, nourrie des théories hygiénistes du soleil guérisseur et de l'exposition maximale au " jet solaire " vivifiant. Par contraste avec cette insolation radieuse, Twarowski ne perçoit dans l'ombre qu'une tache noire dessinée sur la surface d'un mur ou d'un pavage. Ses ombres se plaquent sur l'environnement comme accessoires symboliques de la modernité, et se contemplent comme une œuvre d'art.

46Pourtant, dans l'expérience ordinaire, la puissance du rayonnement solaire s'exprime avant tout sur notre peau, par ses dimensions tactiles et thermiques. Une esthétique contemporaine du rayonnement solaire en ville ne peut pas échapper à une remise en cause de la platitude des ombres projetées. L'architecture et l'urbanisme traditionnels offrent de ce point de vue une expérience thermique que Lisa Heschong (1981) caractérise par l'idée de " volupté " (1981, 37) :

47À l'égal de nos autres sens, le sens thermique révèle un simple plaisir; nous le laissons parler de notre univers ambiant, nous en disposons pour explorer et apprendre, ou seulement pour observer. La pierre est froide, oui, elle semble froide quand je la touche; peut-être est-elle restée à l'ombre depuis longtemps? La tasse de café est chaude, elle réchauffe mes mains. Dans cette conscience de ces petits fragments d'information sur notre univers ambiant, il y a comme une présence qui participe de notre propre vie. Quand le soleil inonde mon visage, quand l'air me baigne de sa fraîcheur, je sens qu'il fait bon vivre.

48Une esthétique contemporaine des flux solaires urbains impliquerait donc le corps dans son ensemble, dans une relation plus immédiate aux sens. Elle mettrait en évidence des situations ordinaires vécues par tous : saisir la prise qu'offre l'ombre enveloppante d'une rue étroite qui sectionne le soleil de plomb d'été, s'y installer et marcher lentement… Sentir sa tête et son cou émerger un instant de l'enveloppe d'ombre de la rue, au détour d'une forme urbaine accidentée, instant violent d'irradiation silencieuse, de torpeur, d'écroulement… Se réfugier au contraire dans l'îlot irradié qui couvre opportunément ce banc public pendant une journée de début de printemps, allonger ses jambes, rejeter sa tête en arrière et laisser le soleil envahir son visage… S'arrêter brusquement dans sa marche alors que le rayon bas du soleil s'impose au détour d'une rue, se caler là immobile et se laisser chauffer… Se mouvoir prudemment dans la fournaise d'une place minérale irradiée, qu'il faut traverser, sans refuge d'ombre, la main devant les yeux…

49Ces multiples " touchers " du soleil sont fondamentalement liés à la ville : par la modulation des accès au soleil que permet le déplacement dans le labyrinthe des espaces ouverts, la peau des citadins est exposée aux coups brutaux du soleil autant qu'à ses absences dans les puits d'ombre permanente. Ainsi, l'esthétique solaire dont nous parlons ici est bien spécifiquement urbaine. Le rayonnement solaire d'une plaine ou d'une plage offre des effets uniformes, peu modulables : se tenir face ou contre le soleil, s'en protéger par des vêtements et des équipements, ou bien s'y abandonner complètement. Le rayonnement solaire accessible en milieu urbain est plus complexe en ce qu'il est constamment déterminé, voire sculpté, par les formes et les matériaux de l'environnement construit. Le rayonnement en ville est ainsi souvent imprévisible, dépendant tout à la fois de la configuration des lieux, de la dynamique du soleil lui-même et de celle du citadin mobile.

50Ce constat entraîne deux conséquences : la première est que l'espace solaire urbain ne se superpose pas à l'espace ouvert des rues et des places. Composé de multiples enveloppes mouvantes, qui s'effacent et se reconstituent au gré du temps, laissant des empreintes permanentes de fraîcheur ou de torpeur accablante, il offre au promeneur de multiples prises quant à sa position au soleil. La littérature en offre de belles évocations; l'observation ethnographique permet aussi de repérer les nombreuses et souvent surprenantes formes d'expression des corps au soleil en ville, que ce soit l'abandon sur un banc public, le partage d'une enveloppe d'ombre et de fraîcheur, le ravissement collectif du rayonnement horizontal d'un coucher de soleil printanier sur la pente d'un parc…

51La seconde conséquence, qui nous ramène vers Twarowski, est que l'espace urbain est aussi le lieu possible de nouvelles " sculptures solaires ", qui ne seraient pas exclusivement visuelles, mais s'adresseraient à toute la surface de la peau. Obnubilée par la question de la performance énergétique, l'architecture solaire contemporaine a largement oublié le corps. Une esthétique solaire actualisée conduirait les concepteurs vers des créations véritablement atmosphériques, ménageant et aménageant en conscience des situations solaires et climatiques. Cela peut passer par des formes symboliques prestigieuses, comme les plages urbaines hors-sol plus ou moins éphémères qui sont désormais installées dans de nombreuses villes (Rieucau 2009), ou comme la spectaculaire et déroutante Ombrière construite par N. Foster à Marseille (2013) qui joue autant sur l'ombre que sur le reflet inversé d'une toiture miroir, ou encore comme le renouveau des jeux d'eau à travers les brumisateurs urbains, les fontaines et miroirs d'eau , qui généralisent les plaisirs de la pataugeoire des enfants et mettent en scène le rayonnement solaire autant que l'eau sous toutes ses formes. Ces dispositifs prestigieux produisent tout à la fois des enveloppes microclimatiques spécifiques, et des ambiances particulières mettant en scène de nouvelles formes d'urbanité et de partage de l'espace public.

52De telles expériences solaires peuvent aussi s'inscrire dans l'aménagement urbain et l'architecture ordinaire : concevoir l'architecture et l'urbanisme au soleil en plaçant les corps au centre de la scène est une tâche aujourd'hui bien plus simple qu'elle ne l'était du temps de Twarowski, du fait des multiples outils numériques de simulation et de représentation à la disposition des concepteurs. La difficulté consiste ici à passer d'une conception déterministe des effets solaires, telle que la concevait Twarowski, à une conception plus probabiliste des potentialités solaires d'un espace, qui dépendent de la cooccurrence de nombreux facteurs instables et indéterminés : la marche du promeneur, la nébulosité, la configuration spatiale et la dynamique solaire. Ces questions invitent à un renouvellement des recherches sur une esthétique du climat qui permettrait, comme l'hélioplastique de Twarowski le proposait il y a plus de cinquante ans, de définir et de mettre en œuvre une science et un art de l'expérience climatique contemporaine en milieu urbain.

Conclusion

53Les rapports entre arts et environnement urbain peuvent prendre des formes inattendues, comme le montre l'exemple de l'hélioplastique de Mieczyslaw Twarowski. Développée à la fin des années 1950, publiée en Pologne puis traduite dans d'autres pays du bloc soviétique et dans certains pays occidentaux au cours des années 1960, cette pensée littéralement solaire de la ville étonne encore par son ambition : faire de l'environnement urbain un lieu d'enchantement quotidien grâce à l'action d'un art cinétique savant issu de l'interaction entre le soleil et les formes construites. À travers l'hélioplastique, l'architecture moderne prônée par Twarowski devient un art de l'apprivoisement des rythmes naturels, au fil des jours et des saisons, au service d'une urbanité joyeuse et ludique.

54Cette approche témoigne du fait que la manière de percevoir un phénomène " naturel " comme le rayonnement solaire, et d'en constituer une esthétique urbaine, est toujours l'expression d'une sensibilité singulière, modelée par une période historique. En ce qui concerne Twarowski, nous avons montré la primauté du visuel sur toutes les autres formes de réception sensible du rayonnement, la mise en avant d'un citoyen désincarné, spectateur de l'environnement qui s'offre à lui. L'hélioplastique révèle alors avec force les limites de la ville de la modernité, une ville idéale, intellectuelle, dont les habitants sont les spectateurs passifs des œuvres des architectes.

55Se pose alors la question de ce que pourrait être une approche esthétique du rayonnement solaire urbain contemporain : une plastique des flux solaires qui s'adresserait à toute la surface de la peau et non seulement aux yeux, qui interrogerait le rapport du corps au rayonnement comme un ensemble d'opportunités offertes par la complexité de l'espace urbain, ses multiples orientations et détours. Une plastique solaire contemporaine pourrait ainsi articuler l'efficacité des usages énergétiques du rayonnement solaire dans la ville - avec ses capteurs et réseaux multiples - et l'hédonisme quotidien qu'offrent en toutes saisons les flux solaires mouvants ou les enveloppes d'ombre sculptées par l'espace urbain.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Diagramme solaire de M. Twarowski
Crédits Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur.
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Titre Figure 2. " L'obtention d'une bande solaire "
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Titre Figure 3. Expériences plastiques de projection des ombres d'un cylindre et sur différents fonds
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Titre Figure 4. Expériences de projecteurs d'ombres sur une façade
Crédits Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur
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Titre Figure 5. Une vision ludique de la " vie de la forme "
Crédits Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur.
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Titre Figure 6. La dynamique des ombres : une vision architecturée de la " vie de la forme "
Crédits Source : Illustration extraite de Twarowski (1967) et reproduite avec l'aimable autorisation des Éditions Dunod à Paris. Les ayants-droits de l'image originale peuvent se manifester auprès de l'auteur
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Pour citer cet article

Référence électronique

Daniel Siret, « Une utopie artistique solaire urbaine des années 1960 : l'hélioplastique de Mieczyslaw Twarowski »Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 8 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/268

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Auteur

Daniel Siret

Architecte HDR, Ecole nationale supérieure d'architecture de Nantes, France, Laboratoire CERMA, daniel.siret@cerma.archi.fr

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