1Ce numéro thématique s’appuie sur le programme de recherche SERVEUR (Services écosystémiques des espaces verts urbains 2013-2016), financé par la Région Centre Val de Loire en France et centré sur les services rendus par les écosystèmes. Cette notion est récente. Cependant, on a conscience depuis assez longtemps que la nature procure de nombreux bienfaits aux groupes humains. Si peu de recherches ont été effectuées jusqu'à la fin du XXe siècle, depuis les années 1990 les publications scientifiques se sont multipliées, mais c'est le Millenium Ecosystem Assessment (MEA) qui a popularisé la notion. La définition des services écosystémiques proposée par le MEA est très simple : ce sont les bienfaits que les groupes humains tirent des écosystèmes (MEA, 2005). Le MEA distingue par ailleurs plusieurs catégories de services, sur lesquels nous reviendrons par la suite. La définition s'inspire de celles proposées en 1997 par deux groupes de chercheurs : Daily et al (1997) soulignent que les services écosystémiques sont les « conditions et processus par lesquels les écosystèmes naturels et les espèces qui les composent entretiennent la vie humaine et répondent à ses besoins » et Costanza et al. (1997) présentent « les biens écosystémiques (par exemple la nourriture) et services écosystémiques (par exemple l'assimilation des déchets) » comme « les avantages que les hommes retirent directement ou indirectement des fonctions écosystémiques ». La définition du MEA reprend l'idée de Daily en employant le terme de « services » pour désigner les bienfaits à la fois tangibles et intangibles que l'être humain obtient des écosystèmes, et l'opinion de Costanza en incluant les écosystèmes aussi bien naturels qu’anthropisés comme sources de services écosystémiques. Son avantage est d'être simple par rapport aux deux autres et de permettre une utilisation souple de la notion.
2L'expertise conduite dans le cadre du MEA a permis de mettre en avant les valeurs de la biodiversité pour le bien-être des sociétés, et par là même, les coûts de sa perte constatée et projetée. Aussi, le bénéfice du concept de service écosystémique est maintenant bien reconnu pour ses vertus de mise en lumière des dimensions de la « valeur » de la biodiversité en relation avec l’humain. Dès lors, il se focalise sur les aspects des écosystèmes qui présentent une relation directe avec le bien-être, c'est-à-dire pouvant être utilisés ou appréciés d'une façon ou d'une autre par les communautés humaines (Staub C., Ott W. et al. 2011).
Quatre grands types de services sont distingués par le MEA : les services d'approvisionnement (produits agricoles, bois, eau potable, fibres et combustible, poissons...), les services de régulation (régulation du climat, des inondations, des maladies, épuration de l'eau...), les services culturels (esthétiques, religieux, récréatifs et éducatifs) et les services de soutien, qui constituent la base des 3 autres types de service (grands cycles géochimiques, formation des sols et production primaire). De façon générale, les écosystèmes procurent de nombreux biens ou produits.
3L'évaluation exhaustive des services écosystémiques est impossible ; elle est rarement effectuée et très complexe. Aussi le projet SERVEUR propose de réaliser une étude poussée sur les services culturels des espaces verts urbains. Ces derniers jouent un rôle essentiel dans la vie sociale et culturelle : lieux de détente et de loisirs, de rencontre ou de repos, de bien être et de soins, de dépaysement, sources d'inspiration et de beauté, repères d'une identité personnelle ou collective, mémoire du territoire et de certaines traditions… Pourtant, ils sont moins documentés dans la bibliographie, car ils comprennent des services moins concrets et indirects (Maresca et al., 2011) et certainement plus complexes à saisir. En outre, ce sont des services qui peuvent difficilement se quantifier ou se monétiser.
4L’UICN, dans son panorama des services écologiques fournis par les écosystèmes urbains (UICN, 2013), propose la classification en six catégories : spirituel, pédagogique, récréatif, scientifique, esthétique et le service santé. Ces catégories ne sont bien entendu pas hermétiques entre elles et certains services peuvent s’appliquer à différents cas en fonction de spécificités liées aux terrains ou aux individus. Les espaces verts recouvrent donc de multiples fonctions au sein de la société humaine. Par leurs propriétés matérielles et immatérielles, ils contribuent à la qualité de vie et à la culture, qui sont des valeurs non marchandes, mais bien réelles et déterminantes dans les choix de vie et de société des êtres humains. L'ensemble de ces services culturels, non marchands, est essentiel aux communautés humaines. Ainsi, la perception du paysage est non seulement très importante pour les riverains de ces espaces, mais aussi pour ceux plus éloignés qui y viennent plus ou moins régulièrement. Plus qu'aux caractéristiques des espaces verts, c'est à leur environnement que les individus sont le plus sensibles : présence d'arbres et d'animaux, ombrage, vues, silence accompagné de sons de la nature…
5Une fois établie la capacité d'un écosystème ou espace vert à fournir des biens et des services, il est maintenant considéré comme important de déterminer sa « valeur ». Celle-ci est classée en trois types fondamentaux : écologique, socioculturel et économique.
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L'importance de la valeur écologique est dorénavant bien reconnue. En effet, à diverses échelles, les écosystèmes et les espèces qu'ils abritent jouent des rôles essentiels dans la préservation de processus essentiels au maintien de la vie. Les dimensions de cette valeur écologique se mesurent par des indicateurs tels que la diversité spécifique, la rareté, la santé et la qualité de l'espace vert, le dépassement de seuils, la fragmentation, la résilience…
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L'importance de la valeur socioculturelle est certes difficile à appréhender, mais il est évident que les espaces verts qui parsèment les zones urbaines (parcs publics, promenades, squares, alignements de végétaux, jardins et rives de cours d'eau…) offrent des aménités capitales (souvent complétées, voire renforcées par la nature cultivée dans les jardins privés et familiaux et aussi maintenant sur les balcons, murs et terrasses). Ils y sont intégrés pour des raisons esthétiques (concours national des villes fleuries, par exemple) ou pour procurer aux habitants un supplément de bien-être ou des possibilités récréatives. À côté des valeurs d'agrément ou thérapeutiques évoquées ci-dessus, la littérature internationale en signale d'autres : valeur d'héritage, existentielle ou encore identitaire. Comment saisir ces valeurs : par le biais de méthodes d'évaluation économique (voir ci-après). Celle-ci se doit d'intégrer l'importance socioculturelle, notamment la valeur d'existence : par exemple, quel coût aurait la perte de l'existence de telle(s) espèce(s) à la fois pour le fonctionnement de l'écosystème et par la perte sentimentale qu'elle génèrerait sur une partie au moins des individus ? Aussi, le projet SERVEUR suggère d'abandonner l'illusion de mélanger des choses incommensurables entre elles, car la richesse ne se réduit pas à de la valeur monétaire et tout ne peut se monétiser. De nouveaux indicateurs d'ordre qualitatif (social et écologique) doivent être élaborés, à côté de ceux d'ordre monétaire. D'autre part, il faut reconsidérer la richesse autour de la qualité des biens et services produits et du caractère non marchand de certains.
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L'importance de la valeur économique a connu un fort développement autour de la notion de service écosystémique. L'évaluation environnementale, sur un plan économique, consiste à donner une valeur monétaire à une amélioration/dégradation de la qualité de l'environnement. Cette évaluation est nécessaire dans la mesure où les bénéfices des politiques environnementales sont souvent très difficiles à calculer, car un grand nombre de ces bénéfices ne sont pas pris en compte dans les biens et les services marchands (voir ci-dessus). Comparativement les coûts de la protection de l'environnement sont, au moins en principe, plus faciles à identifier dès lors que l'on connaît le coût d'une réglementation associée à des normes, aux taxes ou autres mesures publiques qui peuvent être, par exemple des interventions directes des services de l'État sur les espaces publics et leurs aménagements.
6Les difficultés pour réaliser une analyse coûts/bénéfices reposent essentiellement sur la largeur du spectre des données nécessaires et la hauteur de ce spectre en terme de qualité ou fiabilité des informations disponibles. Pour des espaces verts par exemple, une liste non exhaustive irait de la valeur actuelle moyenne de la biodiversité sur un territoire, à la valorisation des ressources existantes pour le tourisme, en passant par la perte de valeur due à des pollutions (de toutes sortes) ou des phénomènes de congestion. On devrait également ajouter les coûts fixes et variables de l'aménagement de ces espaces. La question de la mesure des bénéfices est donc cruciale dans une approche normative permettant de sélectionner les politiques publiques qui sont socialement efficaces, c'est-à-dire celles qui maximisent le bénéfice net de l'ensemble des membres de la société.
7L'objectif de ces démarches est, in fine, de protéger les écosystèmes dans une optique conservationniste. Ces approches économiques dans le domaine de l'environnement peuvent apporter des arguments supplémentaires en faveur de la restauration de milieux plus « naturels » dans l'urbain. En effet, les recherches de SERVEUR montrent que la restauration écologique et fonctionnelle n'est pas contradictoire avec la pratique d'activités de loisirs. Au contraire, l'accroissement de la diversité des espaces verts permet de varier les activités et les pratiques sportives et non sportives. À travers la création, la réhabilitation et la restauration de milieux « naturels », une plus-value peut être apportée au paysage, alors valorisé en créant des points d'accès à pied ou à vélo, des chemins de randonnée ou des circuits d'interprétation permettant de faire découvrir le patrimoine naturel et historique de la région.
8Le programme de recherche SERVEUR s’est terminé par un colloque international en mai 2016 à Tours (France) intitulé « les services écosystémiques : Apports et pertinences dans les milieux urbains ». Nous proposons dans ce numéro thématique dix contributions qui apportent un éclairage nouveau sur les services écosystémiques culturels et réinterrogent plus globalement les services écosystémiques.
9Mehdi L., Weber C., Di Pietro F. et Wissal S. d’une part et Blanchart A., Sere G., Cherel J., Gilles Warot G., Stas M., Consales J-N. et Schwartz C. d’autre part proposent une synthèse de la littérature scientifique pour mettre en évidence les nombreux services écosystémiques rendus en milieu urbain et l’intérêt grandissant de ces questions dans la recherche. Le premier texte traite la thématique du végétal en ville tandis que le second se consacre aux sols urbains
10Vannier C., Crouzat E., Byczek C., Lasseur R., Cordonnier T., Longaretti PY. Lavorel S. et Fabien Roussel F. s'interrogent sur les méthodes pour identifier et cartographier les services écosystémiques. Ils proposent la mobilisation de bases de données, à la fois à partir d’informations publiques existantes et du traitement d’images satellitaires multirésolutions et multitemporelles. L’information est ensuite spatialisée en se fondant sur des indicateurs autant directs (les paramètres biophysiques) qu’indirects (liés au mode d’occupation du sol).
11Bally F.; Laforest V., Grazilhon S. et Piatyszek E. ; Brunet L. ; Brun M., Vaseux L., Martouzet D. et Di Pietro F. ; Brun M., Bonthoux S., Greulich S. et Di Pietro F. proposent des exemples qui illustrent la mobilisation du concept SEC dans différents contextes. Ces textes montrent que les services culturels n’ont tout leur sens que s’ils ne sont pas détachés des autres catégories de services écosystémiques. Nous sommes bien ici dans une démarche systémique qui complexifie encore plus l’évaluation des services écosystémiques.
12Enfin, Maillefert M. et Petit O. ; Wissal S. et Weber C. proposent une démarche interdisciplinaire visant à un enrichissement mutuel des approches disciplinaires des SES. Si Maillefert et al mobilisent la notion de territoire à travers les services écosystémiques territorialisés hybridant des approches géographiques et écologiques, Wissal S. et al proposent une approche transversale par le prisme de l’évaluation.
13Bonne lecture !