Navigation – Plan du site

AccueilnumérosVolume 10Changer la ville pour changer la ...

Changer la ville pour changer la vie ?1 Le mouvement citoyen PicNic the Streets et l’invisibilisation des enjeux socio-économiques liés au réaménagement du centre-ville de Bruxelles

Change city-life to change life itself ?2 The civil disobedience movement PicNic the Streets and the failure to take into account socio-economic issues related to the pedestrianization of Brussels' central lanes
Julie Tessuto

Résumés

Le mouvement désobéissant PicNic the Streets, né en 2012, revendiquait la piétonisation du centre de Bruxelles et la réappropriation citoyenne de cet espace public. Organisant des pique-niques géants sur les boulevards, il parvint à mettre à l’agenda cet enjeu particulier. Mais les plans dévoilés à la presse en janvier 2014 ne contentèrent ni le mouvement ni la société civile. Depuis, la contestation s’est amplifiée et modifiée. Cet article interroge les difficultés de PicNic the Streets à politiser l’enjeu du piétonnier, en analysant le cadrage réalisé par ses acteurs et les ressources qu’ils ont mobilisées. Nous démontrons que cette revendication n’est pas conciliable avec un « droit à la ville » tel que conceptualisé par Henri Lefebvre.

Haut de page

Texte intégral

INTRODUCTION

  • 1 Célèbre phrase d’Henri Lefebvre et des situationnistes (Philippe Simay, « Une autre ville pour une (...)
  • 2 Yvan Mayeur, Mayor of the Brussels City, quoting (probably without knowing) the famous Henri Lefeb (...)
  • 3 Ce réseau piétonnier est communément appelé « le piétonnier » par les habitants de Bruxelles.
  • 4 Laetitia Van Eeckhout, « Bruxelles bannit les voitures dans son centre », Le Monde.fr, 28 juin 201

1Le mouvement bruxellois PicNic the Streets est né au printemps 2012. Réunissant plus de 2000 personnes lors d’un pique-nique désobéissant sur les boulevards centraux de Bruxelles-Ville, il revendiquait une ville pour tous, plus agréable pour les piétons et les cyclistes, avec un air plus sain, le tout débarrassé de l’automobile. Un peu moins de deux années après, la commune de Bruxelles annonçait la piétonisation de ces boulevards automobiles et leur réaménagement ainsi que la réalisation d’un nouveau plan de circulation. Le mouvement ne pouvait que se réjouir. Mais il s’est vite avéré que les autorités communales ne se sont pas donné les moyens de leurs ambitions annoncées : si la circulation a été supprimée des boulevards, le détournement de la circulation sur une artère circulaire adjacente a été dénoncé, ainsi que la création de parkings supplémentaires en plein cœur de la ville, contradictoire avec l’idée d’une mobilité plus verte. En outre, leurs interventions médiatiques, ainsi que le plan en lui-même, semblent davantage soucieux du rayonnement économique de la Ville, plutôt que du bien-être de ses citoyens et de leur participation à l’élaboration du « plus grand piétonnier d’Europe »34. PicNic the Streets a alors adhéré, depuis novembre 2014, à une plateforme d’associations, d’habitants et de comités de quartier, mise en place pour tenter d’améliorer le piétonnier proposé actuellement. Cette dernière reproche à la Ville sa volonté de privatiser l’espace public, et de faire de ce piétonnier une vitrine commerciale internationale.

2La notion de droit à la ville, forgée par Henri Lefebvre en 1968, implique de replacer la question sociale au cœur de l’urbain et de ses luttes. Si cette utopie expérimentale (Lefebvre, 1968) marxiste entend remettre au centre des revendications une réappropriation de la ville et de ses usages par les habitants eux-mêmes, passant notamment par la réinvention du quotidien et le jeu « comme source majeure de création culturelle » (Simay, 2008, p. 8), elle n’évince pourtant pas les questions économiques et sociales, et plus précisément les inégalités inhérentes à toute production de l’espace. Or, il semble que PicNic the Streets, en évitant de considérer de tels enjeux, a mis en scène une contestation festive et citoyenne, participant à rendre naturelle – c’est-à-dire non problématique – la piétonisation de cet espace public urbain et central.

3Dans cette contribution nous aimerions montrer comment un mouvement a priori citoyen et revendiquant « une ville pour tous », ne parvient pas à prendre en compte les enjeux sociaux et économiques inhérents au réaménagement d’un espace public, ainsi qu’à formuler une revendication prenant réellement en compte tous les habitants de cette commune bruxelloise. En nous basant sur notre terrain de recherches doctorales, mêlant observations et entretiens, nous revenons sur ce mouvement citoyen pour comprendre les processus à l’œuvre qui ont amené ses acteurs à revendiquer de telle façon ce réaménagement urbain puis à faire évoluer leur dénonciation dans le sens de la plateforme.

4Dans un premier temps, nous décrirons l’avènement du mouvement et ses différentes phases de mobilisation, pour ensuite interroger les processus de construction de la contestation à l’œuvre dans ce mouvement désobéissant et les effets politiques qu’ils engendrent. Nous analyserons les cadres mis en place par ce dernier ainsi que les ressources qu’il a mobilisées. Nous terminerons en explicitant les raisons pour lesquelles on ne peut ici parler de la revendication d’un « droit à la ville », démontrant un traitement davantage dépolitisé des questions urbaines et sociales opéré par cette mobilisation citoyenne.

1. PicNic The Streets et la mise à l’agenda de la piétonisation

1.1 L’avènement du mouvement

  • 5 Van Parijs, P. (2012), « PICNIC THE STREETS ! », Le Soir, 24 mai 2012
  • 6 La carte blanche a également été publiée dans le journal néerlandophone Brussel Deze Week (BDW) – (...)

5Le 24 mai 2012, le quotidien national belge Le Soir publiait une carte blanche du philosophe et économiste Philippe Van Parijs. Cette prise de position, intitulée Picnic the Streets ! débutait ainsi : « Furieux. Je ne peux pas m’empêcher de l’être en pensant à ma ville lorsque je découvre comment d’autres qu’elle, en Belgique comme à l’étranger, parviennent à transfigurer leurs places publiques, à aménager leurs espaces centraux, pour rendre agréable d’y flâner, de s’y rencontrer, de humer l’air sur un banc, de s’attarder à une terrasse. En comparaison, malgré quelques progrès – trop timides, trop lents – Bruxelles, sous cet angle, reste lamentable »5. Son interpellation poursuivait en montrant du doigt les autorités belges face à leur inertie en matière d’aménagement urbain et d’espace public. Aussi, c’est la pollution qui fait office de catalyseur de la critique, et à travers elle, la place qui est octroyée à l’automobile. « Non seulement les voitures tuent les piétons et les cyclistes, à l’occasion en écrasant l’un ou l’autre mais surtout, à petit feu, en injectant des crasses dans leurs poumons », poursuit-il. Reprenant l’exemple de la Grand Place de Bruxelles – qui fut un parking à ciel ouvert jusqu’en 1971, date à laquelle un sit-in citoyen provoqua sa réhabilitation en place publique – il terminait cette carte blanche en suggérant aux jeunes générations des réseaux sociaux d’organiser le même genre d’action, et même de désobéir légèrement6.

6Ce à quoi cette génération répondit. Le soir même, deux évènements Facebook étaient créés, et trois personnes contactaient le philosophe. P. Van Parijs, qui, ne voulant pas s’impliquer dans l’organisation du mouvement, se contenta de les mettre en contact, et une première réunion fut organisée le soir même. Celle-ci réunit une trentaine de personnes, et le premier pique-nique prit place sur le boulevard Anspach le 10 juin 2012.

Image 1 : Tract du premier pique-nique organisé par PicNic The Streets le 10 juin 2012.

Image 1 : Tract du premier pique-nique organisé par PicNic The Streets le 10 juin 2012.
  • 7 L’un des acteurs le rappellera d’ailleurs lors du lancement de la seconde saison des pique-niques (...)

7Ce premier pique-nique – dans un contexte d’élections communales – fut un succès : plus de 2000 personnes, une couverture médiatique internationale7, ainsi que la présence de la quasi-totalité des membres du Collège politique de la Ville. La revendication du mouvement est alors simple : un espace public de qualité pour tous les habitants, plus accueillant pour la mobilité verte (piétons, cyclistes), débarrassé de l’automobile, avec un air plus sain.

  • 8 BELGA (agence de presse), « Le centre de Bruxelles sera sans voiture tous les dimanches », Le Soir (...)

8Le bourgmestre de la Ville, Freddy Thielemans, répondit favorablement à cette première action de désobéissance civile, en proposant la fermeture des boulevards centraux aux voitures pendant l’été, mais le dimanche, entre 12 h et 15 h, et à l’exception du dimanche d’ouverture des soldes8. Mais les acteurs du mouvement ne se sont pas contentés de cette demi-mesure. Ils réorganisèrent plusieurs pique-niques durant le mois de juin – dont un grand le 24 – ainsi qu’un autre, au mois de septembre.

  • 9 Dans notre thèse, nous revenons sur l’histoire de ce mouvement. Déjà en 1998, un mouvement regroup (...)
  • 10 Le week-end du vendredi 13, du samedi 14 et du dimanche 15 septembre 2013 fut organisé PicNic More (...)

9Bien que le nouveau Collège de la Ville de Bruxelles, élu le 14 octobre 2012, se soit prononcé en faveur d’un piétonnier (Programme de législature 2012-2018, Ville de Bruxelles, s. d.), PicNic the Streets décida de continuer à exercer une pression malgré tout. Cet enjeu de politique publique est en effet l’objet de contestations depuis la fin des années 19909. C’est pourquoi, bien que le bourgmestre de la Ville ait annoncé en début d’année 2013, la création « d’une nouvelle cellule ‘’grands projets’’ au sein de l’administration », un nouveau pique-nique fut organisé le 9 juin, au même endroit, dans l’attente de réelles mesures. En septembre, la contestation migra vers deux communes voisines, mais leur succès fut davantage mitigé10. Les acteurs ne renouvelèrent d’ailleurs pas cette expérience.

1.2 L’annonce de la piétonisation par les autorités et sa mise en politique publique

  • 11 Ce changement de dirigeant résulte d’un accord intra-communal. Cependant, la couleur politique du (...)
  • 12 COLEYN Mathieu, « Yvan Mayeur: “Un Times Square au centre de Bruxelles” », La Libre, 13 décembre 2 (...)

10C’est en janvier 2014 – suite au changement de bourgmestre à la tête de la Ville et l’arrivée d’Yvan Mayeur11 – que les choses évoluèrent. Ce dernier, quelques jours avant sa prise de fonction, affirma son ambition de changer le cœur de Bruxelles et d’en faire un « Times square » belge12. Le projet de « redéploiement des places et des boulevards du centre » est présenté le 31 janvier 2014 lors d’une conférence de presse. Intitulé « un nouveau cœur pour Bruxelles », ce plan prévoit le réaménagement des boulevards centraux, dont la surface piétonne serait quasiment doublée, ainsi qu’un nouveau plan de circulation.

  • 13 Place du Jeu de Balle, Place Rouppe, Nouveau Marché aux Grains et Yser.

11La ville organisa plusieurs soirées d’information et de consultation pour des publics différents (commerçants, presse, habitants et associations). Associations, experts et universitaires se rendirent alors compte que les plans étaient davantage basés sur des approximations, de réelles études d’incidences n’ayant pas été réalisées. Le premier problème que ceux-ci pointèrent est la proposition dans le plan de mobilité de piétonniser les boulevards du centre de la place De Brouckère jusqu’à Fontainas en passant par la Bourse, mais en détournant la circulation routière de quelques rues, entrainant la mise en place, de fait, d’un périphérique intra-urbain. Le second est la volonté de la Ville de pallier le nombre de places de stationnement perdues par la réalisation du piétonnier, en créant quatre nouveaux parkings supplémentaires en plein de cœur de ville13.

12La contestation prit alors une autre allure. Jusqu’ici les acteurs avaient davantage mis l’accent sur la volonté de voir émerger une ville pensée pour et par ses habitants, avec plus de place pour les mobilités douces et moins pour les automobiles. Ainsi, ils avaient veillé à construire une dénonciation positive encourageant les politiques de la Ville à développer et à penser un centre piéton cohérent. Cette fois, ils dénoncèrent frontalement l’hypocrisie des décideurs quant à leurs discours anti-voiture. Cette position suscita d’ailleurs quelques échanges houleux au sein du noyau organisateur de PicNic The Streets, certains craignant la perte de crédibilité du mouvement et de son image sympathique dont ils jouissaient jusqu’ici auprès des citoyens et des hommes politiques. Malgré tout, ils organisèrent un nouveau pique-nique le 8 juin 2014, cette fois sous le slogan « Problem solved ? Not Yet ! ».

Image 2 : Affiche réalisée par PicNic the Streets pour le pique-nique du 8 juin 2014

Image 2 : Affiche réalisée par PicNic the Streets pour le pique-nique du 8 juin 2014

13Ce pique-nique dénonce le déplacement de ce flux automobile et non pas son fléchissement. La circulation du centre-ville pourrait être diminuée ou évincée avec une politique de mobilité conséquente mais cela n’est pas le cas. Dans son communiqué de presse du 5 juin 2014, PicNic the Streets, ayant eu connaissance du projet de réaménagement du centre-ville, demande un plan « plus ambitieux » qui comprendrait notamment : plus de verdure et d’endroits pour la détente ; l’instauration d’un plan de circulation cycliste et d’un grand parking vélo ; le développement des transports en commun ; la révision du plan de boucle destiné au trafic automobile et la réduction en nombre des emplacements de parking aériens et souterrains.

  • 14 Hubert M., De Geus B., Boutsen D., « L’avenir du centre de Bruxelles : pourquoi nous sommes tous c (...)

14Les défaillances du plan de la Ville continueront d’être pointées par différents acteurs, notamment par des experts et universitaires, dans une carte blanche publiée le 14 juin 201414 dans le quotidien La libre. Ces derniers interpellent les autorités sur les points suivants : un projet pensé en termes de piétonisation et non d’accessibilité du centre-ville en transports en commun, pointant du doigt l’absence d’un réel plan de mobilité. Ils soulignent également la faiblesse du plan du réaménagement des boulevards et craignent que les décideurs peinent à prendre en compte « les fonctions de séjour et de desserte, la nature en ville et l’amélioration de la qualité de l’air » dans ce plan de réaménagement.

1.3 PicNic the Streets dans la Plateform Pentagone

  • 15 Le Pentagone désigne la commune de Bruxelles, située au cœur de la région Bruxelles-Capitale. Son (...)
  • 16 Brusselse Raad voor Het LeefMilieu, pendant néerlandophone de l’association francophone Inter-Envi (...)
  • 17 Le terme désormais péjoratif de « Bruxellisation » évoque la tendance politique des années 1950 qu (...)
  • 18 L’ARAU, Atelier de Recherche et d’Action Urbaines, est une association née en 1969 suite aux mouve (...)
  • 19 Charte de la Plateform Pentagone disponible sur leur site internet : http://www.platformpentagone. (...)

15Mais la ville reste sourde aux appels du mouvement, et à une nouvelle contestation qui commence à naître. Le 14 novembre 2014, un communiqué de presse annonce le regroupement d’habitants, de commerçants et d’associations dans une nouvelle plateforme, la Plateform Pentagone15. Plateforme, précisons-le, mise en place notamment par l’un des acteurs principaux de PicNic the Streets qui est par ailleurs salarié du BRAL16. En parallèle, l’annonce de la création de l’un des quatre parkings sous la place du Jeu de Balle, située dans le célèbre quartier des Marolles réveille le souvenir de la lutte contre la « bruxellisation »17 qui avait eu lieu sur cette même place 50 ans plus tôt (Martens, 2009). Mais la plateforme Marolles – créée le 24 novembre de cette même année – parvient à éviter la construction de ce parking. Au début de l’année 2015, la Plateform Pentagone – alors mal organisée – s’est recréée dans le but de fédérer les luttes existantes – dont PicNic The Street, la plateforme Marolles, mais aussi l’ARAU, le BRAL, IEB ou encore le GRACQ – Cyclistes quotidiens18. Cette plateforme entend rester vigilante quant à la phase test du plan de mobilité – qui s’étend du 29 juin 2015 à la fin février 2016 – et veut faire évoluer ce plan de réaménagement. Celui-ci est critiqué autant pour son manque d’expertise que pour son côté principalement économique et « gentrifieur »19.

  • 20 Le 12 février 2015, l’ARAU, le BRAL et IEB déposèrent un recours devant le Conseil d’État pour dem (...)

16Malgré la multiplication de critiques et de recours intentés devant le Conseil d’État20, la Ville de Bruxelles semble ignorer ce mécontentement grandissant. Un nouveau pique-nique est organisé le dimanche 7 juin et réunira 1700 personnes selon les médias. Celui-ci aura pour titre : « OUI mais NON ». Une de ses particularités sera sa mise en scène, quelque peu différente des éditions précédentes, nous y reviendrons.

Image 3 : Affiche du pique-nique organisé le 7 juin 2015 par PicNic the Streets

Image 3 : Affiche du pique-nique organisé le 7 juin 2015 par PicNic the Streets

17Depuis, la phase test du piétonnier est en cours et de nombreuses confrontations médiatiques entre acteurs associatifs et politiques eurent lieu. Cette phase de test s’achevant à la fin du mois de février, une nouvelle phase de contestation devrait alors voir le jour.

2. Les processus de construction du mouvement et ses conséquences sur la politisation du problème dénoncé

2.1 Le cadrage du mouvement

18Ce qui apparaît dans le récit de cette mobilisation, ce sont les inflexions effectuées par les acteurs du mouvement au fur et à mesure que le politique prend position. PicNic the streets n’a qu’un seul but : mettre à l’agenda des politiques publiques la question du piétonnier. Mais la contestation qui a permis cette mise à l’agenda se révèle quelque peu incomplète puisque le mouvement lui-même adhère à la Plateform Pentagone – davantage critique – qui se crée après l’annonce effective du réaménagement des boulevards centraux. Retracer ainsi les évènements et l’histoire du mouvement met en évidence la naturalisation de l’enjeu du piétonnier. C’est-à-dire qu’à aucun moment – de façon publique – les acteurs n’ont souhaité soulever les enjeux inhérents au réaménagement d’un tel espace public, d’autant plus qu’il est habité par la frange la plus précaire de la population bruxelloise. En revendiquant un « espace public pour tous », ils ont rendu naturel – au sens de non problématique – l’espace public souhaité, amenant l’idée que tous les Bruxellois souhaitent un piétonnier, et que son usage souhaité devrait être le même pour tous.

19Mais cette simplification est le jeu de discussions, de controverses, de visions du monde élaborées au cours des interactions entre acteurs. C’est ce que la notion de cadrage, empruntée à la tradition interactionniste de Goffman (Benford et Snow, 2012), permet de mettre en évidence. C’est au cœur des interactions et des pratiques collectives que le chercheur vient puiser les significations, mais aussi au sein des controverses, et des disputes qu’il appréhende le monde propre au mouvement étudié. Cela nous permet de ne pas réifier les acteurs étudiés et de rendre compte des logiques d’inclusion et d’exclusion à l’œuvre dans les interactions – les questions qui seront évitées, ou encore les resserrements discursifs qui seront opérés. De telle sorte nous analysons les raisons du succès de PicNic the Streets, mais aussi son manquement à mettre en place une réelle revendication d’un « droit à la ville ». L’outil d’analyse issu de la frame perspective – bien que très dense et non systématisé – nous permet ici d’analyser les différentes phases de dénonciation – de la prise de conscience au passage à l’action – d’un mouvement collectif.

  • 21 Le BRAL a lancé un appel à projet pour architectes fin 2011 pour imaginer le boulevard Anspach tra (...)
  • 22 Voir notamment le projet de Plan Régional de Développement Durable http://www.prdd.be/ ou encore L (...)

20PicNic The Streets a su saisir un contexte culturel et politique favorable à la réception de cette revendication et Philippe Van Parijs, en tant qu’entrepreneur de cause, leur a montré la voie. Ce dernier a su saisir l’ouverture d’une « fenêtre » (Kingdon, 2003) qui favorise l’attention culturelle et des politiques publiques à cet enjeu de société : les articles de presse de plus en plus fréquents épinglant Bruxelles comme ville la plus polluée d’Europe ou encore la plus congestionnée, la compétition entre les grandes capitales et le jeu du « ce qui se fait ailleurs », appuyé par des réseaux où se mêlent acteurs publics et acteurs privés. Enfin, le fait que le plan de piétonisation du centre de Bruxelles ait été, dès 1998, l’enjeu de mobilisations collectives conséquentes, et déjà objet d’annonce de plan et d’étude de la part du pouvoir politique, favorise des mécanismes de feed-back (Kingdon, 2003). Les élections communales après la publication de la carte blanche ainsi qu’un investissement de la société civile sur la thématique du réaménagement des boulevards centraux, quelques mois plus tôt, favorisèrent le passage à l’action d’une frange de la population21. Enfin, le contexte général de la montée du développement durable comme valeur des politiques publiques n’est pas à négliger non plus22. Mais le mouvement est également parvenu à cadrer sa revendication ainsi que son mode d’action de sorte à attirer les médias et les citoyens, payant le prix d’une politisation moindre.

  • 23 The Giant Picnic manifesto (manifeste pour une ville plus agréable), extrait du manifeste publié s (...)

21Lors de la première réunion du mouvement, qui a réuni une trentaine de personnes selon les organisateurs, le contenu de la revendication a peu été débattu. Rapidement, le mouvement s’est focalisé sur la revendication d’un espace public « vert », pensé pour les piétons et les cyclistes. Peu de discussions portèrent sur le nom du groupe – PicNic the Streets, déjà trouvé par Philippe Van Parijs – ni sur le mode d’action qui apparaissait comme évident : un pique-nique désobéissant. Dans le courant du mois d’août, le mouvement créa une page web et y déposa un manifeste (le site ainsi que le manifeste n’existent plus depuis la fin de l’année 2013). Celui-ci reprenait les revendications, tout en généralisant quelque peu leur demande à l’échelle de la Région Bruxelloise, ne se limitant plus à la ville de Bruxelles. Ainsi nous pouvions y lire quelques demandes immédiates concernant : « l’interdiction de toute circulation de transit… des transports en commun de surface, plus agréables et plus fréquents, accessibles à tous 24 h/24… la verdurisation et l’aménagement systématique de l’espace public ». Enfin, le mouvement termine ce manifeste en réclamant une « politique urbaine globale et cohérente ». La piétonisation de la place de la Bourse, « cœur de la capitale d’un des pays les plus pollués d’Europe », est ainsi revendiquée comme « un premier pas indispensable. Ce geste préfigurerait les mesures nécessaires à mettre en œuvre dans d’autres quartiers bruxellois en vue d’une politique urbaine globale et cohérente »23.

  • 24 Ibidem.

22L’argument de la compétition internationale entre grandes métropoles est aussi convoqué dans le but de mettre la pression sur les hommes politiques et décideurs de l’aménagement de la capitale de l’Europe. Quant à l’espace public revendiqué, il l’est pour tous, et ce de façon inconditionnelle et pourrait-on dire « naïve » : « Nous réclamons que la ville soit rendue accueillante pour les piétons, les cyclistes, les familles et leurs enfants. Nous voulons davantage d’espaces verts et de lieux de vie où les citoyens de toutes cultures et de toutes générations peuvent se rencontrer et respirer un air plus pur »24. En réalisant une action désobéissante en centre-ville, et en appelant tous les habitants et citoyens à venir pique-niquer, ils font de ce rassemblement leur mouvement.

23Bien que niant les multiplicités d’acteurs et d’usages pouvant se rencontrer sur un piétonnier, les acteurs du mouvement tentèrent de faire de leur revendication une contestation universelle, c’est-à-dire devant être partagée par tous les Bruxellois. Et pour que chacun-e puisse se reconnaître dans ce rassemblement, PicNic The Streets mit l’accent sur le (1) côté convivial et apolitique de leur mouvement. Il a axé son argumentaire sur l’aspect écologique et urgent de la situation, celle d’une mobilité déplorable dans – « l’un des pays les plus pollués d’Europe », et nous allons voir (2) comment ce second cadrage – l’urgence – s’actualise dans le mode d’action choisi que sont les pique-niques désobéissants.

2.1.1 Un mouvement festif et citoyen

24Le côté apolitique sur lequel insistaient beaucoup les organisateurs lors des diverses réunions du mouvement s’explique de deux manières : la première est la volonté de ne pas être récupéré par les hommes et partis politiques. On ne peut pas parler ici d’un désenchantement à l’égard de la politique, la plupart des acteurs ne remettent pas en cause le système démocratique représentatif actuel. Mais il témoigne plutôt d’une lassitude à l’encontre des controverses stériles se jouant entre partis politiques et de la lenteur des changements institutionnels. Ainsi, signifier aux médias, aux politiques et aux habitants que ce mouvement est citoyen et donc apolitique, évite qu’il ne soit récupéré par des partis ce qui aurait comme conséquence de le disqualifier au regard de la Ville de Bruxelles. Ce cadrage vise également – de façon stratégique – à réunir le plus de personnes possible et à signifier une capacité des acteurs à prendre leur destin en main, à penser par eux-mêmes et à agir de façon autonome.

25Regardons à présent la façon dont s’opère ce cadrage dans les interactions entre acteurs du mouvement. Un questionnement interne au groupe et qui est revenu plusieurs fois lors des réunions collectives, portait sur la complexification ou non de la revendication. La question qui était alors posée était celle de savoir si PicNic The Streets devait ou non – sans remettre en cause son mode d’action – se positionner sur les débats au sujet de la mobilité ayant lieu dans l’espace médiatique et politique au moment des pique-niques, de manière plus spécifique et plus poussée : instauration d’un péage urbain, amélioration de la desserte des transports en commun, tramification d’une ligne de bus dans une commune voisine. Il s’agissait alors de savoir si le rôle de PicNic The Streets devait consister à expliquer aux citoyens certains enjeux liés aux questions de mobilité à Bruxelles, et de donner un avis construit et davantage argumenté.

26Lors de la réunion publique de préparation du pique-nique de juin 2014, un des leaders du mouvement, par ailleurs salarié du BRAL, a proposé la mutation du mouvement en un réel lobby mobilité, s’appuyant sur un manifeste qu’il avait au préalable rédigé. Reprenant la filiation avec PicNic The Streets, ce manifeste visait à annoncer la création d’un nouveau collectif, en faisant évoluer PicNic the Streets vers un mode de coordination du mouvement davantage basé sur l’expertise. Mais la réaction quasi-unanime fut le refus de cette évolution. Les arguments déployés mettaient en avant le fait que le mouvement tenait sa force justement du fait d’être citoyen, convivial, et de s’en tenir à une mobilisation de toutes et tous, ce qui le rendait visible et lui donnait une certaine force de pression.

27Contre l’orientation du mouvement vers un militantisme d’expertise, les acteurs ont également avancé l’idée que la complexification de la revendication rendrait difficilement appropriable la figure du mouvement par tous les citoyens. Un des acteurs, lors de cette même réunion, soutenait qu’une mobilisation simple – signifiant pour lui un lieu, une revendication, une action – permettrait de ne pas perdre les participants, soulignant le fait que de toute façon, « les gens ne lisent pas les manifestes ! ». En outre, il précisait suite à l’échec de la délocalisation des actions en septembre 2013, que selon lui, les Bruxellois n’iraient de toute façon pas manifester à Molenbeek, et vice-versa.

28Remarquons aussi que le travail de cadrage du mouvement est en partie orienté pour les médias. D’où l’importance, nous allons le voir maintenant, d’un aspect de désobéissance civile, ceci dans le but d’attirer l’attention – des médias, des citoyens et des hommes politiques –, et de rendre leur mobilisation originale et festive. C’est aussi pour cela, nous semble-t-il, qu’ils ont quelque peu simplifié leurs revendications.

2.1.2 L’urgence et son actualisation dans le mode d’action déployé

29Le mode d’action mit en scène par PicNic the Streets, est ici la monstration d’un pique-nique géant de nature désobéissante. On voit alors comment le cadrage opéré par les acteurs s’actualise dans le mode d’action déployé (Trom, 2001), en y correspondant et en venant le renforcer.

30Les pique-niques sont organisés de façon illégale. C’est-à-dire que l’accord des autorités communales n’a jamais été demandé. La police cependant, pour des raisons de sécurité, mais aussi tactiques – les acteurs voulant éviter qu’elle ordonne la fin des festivités avant même qu’elles aient commencé –, était toujours prévenue. Bien que l’accord des autorités n’ait jamais été demandé, l’annonce faite au préalable de l’action débouchait sur la tolérance, par les autorités, de cette action.

31Le déroulement symbolique est le suivant : les quelques premières dizaines de désobéissants se retrouvent sur le trottoir devant la Bourse et attendent le compte-à-rebours pour envahir le boulevard Anspach. Celui-ci terminé, chacun s’installe avec sa nappe et commence à déjeuner sur le bitume, tandis que quelques membres organisateurs du mouvement sont occupés à vérifier que les agents de police procèdent bien à la mise en place des barrières aux deux extrémités est et ouest du boulevard, et organisent le détournement de la circulation.

32Nous n’avons pas observé de prise de parole publique du mouvement pendant le temps du pique-nique, ni de distribution de tracts ou de flyers. Le but du rassemblement – outre de signifier aux autorités le mécontentement et l’impatience des citoyens face à ce dossier particulier – est surtout de faire ce que l’on ferait si l’espace était piétonnier, c’est-à-dire déjeuner, discuter en famille, entre amis, rencontrer des gens, flâner. Des activités ludiques ont été organisées pour chacun des pique-niques : pyramide humaine géante, fanfare, jeux de boules, jongleurs, DJ set, défilé de majorettes. Un four à pizza a également été installé en 2013. La première année, les enfants offrirent aux forces de l’ordre un panier de pique-nique. Tout cela se déroule jusqu’à la fin tolérée du pique-nique, aux alentours de 15 h, 16 h. Ces horaires ont toujours été respectés, et les quelques personnes « propreté » du mouvement faisaient alors le tour de l’espace pique-nique pour le nettoyer.

Image 4 et image 5 : sur la première image, se trouvent les participants avant le décompte annonçant le début de l’action de désobéissance civile. Sur la seconde, on voit le boulevard Anspach transformé en table de pique-nique géante.

Image 4 et image 5 : sur la première image, se trouvent les participants avant le décompte annonçant le début de l’action de désobéissance civile. Sur la seconde, on voit le boulevard Anspach transformé en table de pique-nique géante.

33 Ce mode d’action apparaît donc clairement « pragmatique ». Ainsi celui-ci a pour but de réaliser l’espace public que les citoyens voudraient voir advenir si cet espace était libéré de l’automobile. Comme Jacques Ion (Ion, 2012) l’a décrit, cette façon de se mobiliser témoigne d’une évolution dans les modes contestataires : il ne s’agit plus d’attendre le grand soir, de croire en un avenir meilleur et de se mobiliser pour tenter de le revendiquer. Mais de faire ce que l’on souhaite changer. Ce n’est pas que les acteurs du mouvement soient désabusés ou désillusionnés par rapport à leur capacité à changer les choses. Mais celles-ci évoluant avec lenteur et sans forcément prendre en compte leurs avis, ils protestent en mettant en œuvre la solution au problème qu’ils dénoncent.

Il importe d’agir ici et maintenant, pour obtenir quelques résultats là où l’on est, même si ces résultats sont de portée limitée. Une exigence d’efficacité immédiate mobilise ainsi de plus en plus de militants. La préoccupation centrale devient d’intervenir le plus vite possible sans attendre que soit modifié le cadre économique et/ou politique (Ion, 2012, p. 27).

  • 25 Le collectif revendique justement le fait d’être a-politique et de ne pas avoir de leader, ceci da (...)
  • 26 La critique au sujet de l’inertie des pouvoirs publics fait ici référence « au tout à l’automobile (...)

34L’aspect désobéissance, bien qu’il ne s’agisse pas ici de s’opposer à une loi jugée inique, est primordial. Les acteurs de PicNic The Streets revendiquent le droit de désobéir parce qu’ils jugent que dans la démocratie représentative dans laquelle ils vivent, leurs besoins et leurs souhaits ne sont pas entendus. Et considérant que la rue est à tout le monde, et que chaque citoyen devrait pouvoir décider de son usage, ils amènent tous les habitants – qui deviennent alors de fait PicNic the Streets – à se réapproprier l’espace public, dans la joie et la bonne humeur. Les citoyens pique-niqueurs sont le mouvement PicNic the Streets en faisant ce que ce collectif revendique, au nom de tous25. Et ce, par l’intermédiaire justement des pique-niques désobéissants qu’ils mettent en scène. Cet aspect est évoqué dans le tout premier flyer imprimé par le mouvement. Sur ce dernier un astérisque précise : « ce pique-nique dans les rues est une action de désobéissance civile, parce que nous croyons que cet acte est légitime face à l’inertie irresponsable de la politique de mobilité bruxelloise »26.

35Cependant, il convient de s’interroger sur la valeur d’usage de cette forme d’action, comme le fait Mathilde Girard :

La désobéissance civile occupe ainsi un espace singulier qui répond à la nécessité d’inventer d’autres modalités d’interventions collectives, et de créer une interruption temporelle de l’ordre établi. Et s’il y a lieu d’interroger le caractère spectaculaire donné à certaines de ces manifestations, il convient de les inscrire dans un mouvement général où la politique vive est entravée, et en quête d’auteurs (Girard, 2010, p. 212).

36Revenant sur les héritages contestataires inhérents à cette forme de mobilisation – action directe, geste révolutionnaire (H. Arendt) – l’auteure poursuit avec l’idée que

la résurgence de la désobéissance civile dans les discours doit rester inscrite dans la mémoire des luttes et des autres noms de l’action et de l’évènement : soulèvement, révolution, guerre civile, terrorisme, etc. L’isolation de la désobéissance civile de ces autres noms fait courir le risque d’une dilution de sa spécificité politique, en la précipitant vers sa qualité de compromis modéré, modeste et surtout gouvernable (Girard, 2010, p. 5).

37Or, la désobéissance ici mise en scène par ce mouvement n’a rien de subversif, mais au contraire, participe à une spectacularisation de la contestation et à l’aspect quelque peu consensuel qu’elle peut alors revêtir.

38Son usage légitime ici le mouvement en appuyant l’urgence à repenser et à réaménager cet espace public central et symbolique. Il exprime également chez les organisateurs du mouvement, la volonté de prise de conscience de la nocivité de la pollution provoquée par cette artère automobile traversant le centre-ville. On retrouve alors quelques points communs avec les actions de désobéissance civile pratiquées aujourd’hui par le mouvement écologiste : « (elle) se justifient par rapport à l’urgence d’agir dans un contexte de crise planétaire. Les mobilisations construisent un discours autour de la thématique de l’irréversibilité et de celle de la justice intergénérationnelle » (Hayes et Ollitrault, 2012, p. 59).

39Aussi, l’occupation décalée et illégale de cet espace participe à l’originalité de ce mouvement mais aussi à l’attention médiatique. Erik Neveu va également dans ce sens en soulignant qu’« une des tendances des mouvements sociaux contemporains – spécifiquement dans les pays dotés d’un "espace public" marqué par un minimum d’ouverture et de pluralisme – réside dans l’attention croissante que leurs organisateurs dédient à une gestion réfléchie de leur rapport aux médias » (Neveu, 2010, p. 246).

40En 2015, le pique-nique désobéissant et ludique, organisé en commun avec la Plateform Pentagone, prit une autre forme, modifiant alors sa valeur d’usage : une pétition circula contre le plan de piétonisation de la Ville de Bruxelles ; les piliers de la Bourse furent recouverts de quatre draps sur lesquels étaient dessinés les quatre « P » insérés dans un pentagone barré, signifiant le refus de la réalisation des quatre parkings annoncés par la Ville ; enfin, une banderole du mouvement citoyen Hart Boven Hard/Tout autre chose fut déployée. Le mouvement, fonctionnant maintenant comme un label, au dire de l’un de ses organisateurs, devint le côté « action directe » de la plateforme. Il s’est alors contenté de réactiver sa façon de faire, laissant le soin à la Plateform d’agrémenter le pique-nique d’un aspect davantage critique et revendicateur. Alors que la réunion d’organisation de ce dernier pique-nique devait se focaliser uniquement sur la visibilité et l’esthétique de son affiche et mise en scène, celui-ci se révéla le plus politisé de tous. Festif et convivial comme à son habitude, il fut également le lieu d’affichage de cette convergence des luttes pour le centre de Bruxelles.

Image 6 : Photo prise lors du pique-nique du 7 juin 2015

Image 6 : Photo prise lors du pique-nique du 7 juin 2015

2.2 Les acteurs et leur réseau : des ressources non négligeables

41Nous allons maintenant prendre en compte les ressources dont disposent les acteurs du mouvement pour comprendre les objectifs que le groupe s’est donnés et la stratégie qu’il a déployée. Composées des « identités catégorielles des individus et des réseaux dans lesquels ces derniers s’insèrent » (Diani, 2007, p. 317), ces ressources participent aussi au façonnage de l’organisation collective et à l’éviction – résultant du cadrage opéré – de certaines idées, de certaines pratiques, mais aussi de certaines personnes ou catégorie d’individus (Pierru, 2010). Ces ressources sont nécessaires à la compréhension des processus de mobilisation car indissociables des acteurs et du cadrage opéré par ces derniers.

42Le noyau organisateur de PicNic the Streets est composé d’une dizaine de personnes. Et ce, malgré des réunions publiques organisées pour relancer la saison des pique-niques et qui peuvent regrouper jusqu’à plus d’une soixantaine de personnes, néerlandophones, anglophones et francophones. Les acteurs du mouvement de PicNic the Streets, sont majoritairement néerlandophones. Si deux francophones étaient dans le mouvement jusqu’en 2014, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ces personnes sont aussi pour la plupart issues des classes moyennes, et possèdent toutes un diplôme de l’enseignement supérieur. Elles occupent toutes un emploi dans le milieu socio-culturel ou universitaire (cinéma, secteur associatif ou syndical, université). Une seule de ces personnes habite la commune de Bruxelles. Les autres viennent des communes voisines : Ixelles, Schaerbeek, Anderlecht, Molenbeek. Enfin, toutes se déplacent à pied ou à vélo, et sont d’ailleurs actives dans d’autres collectifs ou associations comme le BRAL déjà mentionné, mais aussi le GRACQ, Groupe de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens, qui milite pour la promotion et la défense des cyclistes de manière très active à Bruxelles, ou encore, par exemple, CycloGuerilla Bxl.

43La plupart des membres de PicNic the Streets sont membres du BRAL. L’un d’entre eux y travaille. Et ceci n’est pas sans conséquence sur le mouvement : il bénéficie ainsi des réseaux médiatiques de l’association, mais aussi de ressources non négligeables comme celle du temps, ou encore d’informations venant d’instances dans lesquelles il peut se rendre de par cette fonction : conférence de presse d’instances décisionnelles, Commission Régionale de Mobilité. Il peut également avoir accès à des dossiers reprenant des éléments auxquels il ne pourrait avoir accès autrement. En outre, il bénéficie d’un certain savoir-faire en matière de rédaction de communiqués de presse et d’organisation de réunion.

  • 27 Les boulistes bruxellois, Canal Park BXL, DoucheFLUX, Stand Up Activism, Bruxelles Velodossier.

44Le réseau de sociabilité qui se dessine dans l’appartenance à différentes institutions, mais aussi à différents collectifs et associations pour tous les autres membres du groupe, n’est pas sans effet sur les revendications du mouvement : un de ses acteurs ponctuels est membre d’un comité de quartier du centre de Bruxelles, et aura les dernières informations concernant les plans de mobilité ou de réaménagement à l’échelle de la commune ; quatre autres acteurs, particulièrement impliqués dans des réseaux de sociabilité urbains et créatifs27 bénéficient d’un savoir-faire militant et activiste important. Cette multipositionnalité des acteurs participe à l’effervescence d’un milieu activiste artistique et centré sur des problématiques urbaines liées à l’espace public, à la place du vélo en ville ou encore à la réappropriation par les habitants de leur propre quartier. Mais l’on peut se demander ici, dans quelle mesure cela ne participerait pas à la mise en place d’un « activisme édulcoré » (Douay et Prévot, 2014) ou encore ne favoriserait pas un certain entre-soi constitutif de ce milieu militant et composé principalement par une « minorité active » néerlandophone en Région bruxelloise.

45David Jamar, dans un article intitulé « Art-activisme : enjeu de créativité urbaine à Bruxelles » (Jamar, 2012) revient sur l’histoire du militantisme bruxellois et la façon dont l’histoire des luttes urbaines des années 1970 au début des années 2000 a façonné une figure militante particulière. Alors que les années 1970 mettaient en avant les figures militantes de « l’habitant » et du « quartier » dans le contexte de « bruxellisation » et de dénonciation de la ville fonctionnaliste – symbolisé notamment par la lutte des Marolles évoquée plus haut, et du quartier nord –, la fin des années 1980 a opéré une rupture dans cette identité militante, dont l’action symbolique est l’occupation, en 1995, d’un ancien hôtel alors à l’abandon, l’Hôtel Central. Ce changement de paradigme dans les mobilisations urbaines s’inscrit dans la continuité de la création de la Région Bruxelles-Capitale (1989) et de la volonté politique de désenclavement de la population néerlandophone minoritaire à Bruxelles. « Le monde culturel néerlandophone qui dispose de ses propres modes de financement pose, dans les années quatre-vingt-dix, la ville métropolitaine comme ressort d’identité » (Jamar, 2012, p. 11). Le Beursschowburg, théâtre flamand, en est la figure représentative (Romainville, 2005). L’art et l’architecture seront les nouveaux impératifs de ce registre militant. « L’art se tourne vers son contexte et ce contexte devient la ville vue comme ‘ouverte’, c’est-à-dire bicommunautaire mais surtout multicommunautaire » (Jamar, 2012, p. 12), le tout favorisé par un milieu culturel effervescent – et développé par les activités du Beurs – qui réunit artistes, architectes, universitaires et activistes.

[Ainsi,]une autre échelle de référence, métropolitaine, se déploie, en même temps que les nouvelles figures de créativité réfutent l’idée d’un style canonique à appliquer […] L’idée d’un « bruxello-positivisme » (Doucet, 2010) devient un énoncé acceptable et opposable au « négativisme » de la « bruxellisation » (Jamar, 2012, p. 13-14).

46En outre, si les néerlandophones n’habitent pas majoritairement dans la commune de Bruxelles, ils semblent pourtant participer à un processus de gentrification en marche (Romainville, 2005) dans certains quartiers du centre-ville où ils travaillent, sortent, et où se trouvent les lieux culturels et branchés flamands. D’ailleurs, les lieux de rendez-vous des réunions de PicNic the Streets témoignent de cet ancrage culturel flamand participant à leur visibilité (Romainville, 2005) dans le centre-ville : Beursschouwburg, locaux du BRAL, ou encore le Micro Marché, plateforme créative pour des projets socio-économiques, culturels et artistiques.

47Bruxelles et ses espaces urbains deviennent alors l’enjeu des revendications s’exprimant dans un militantisme artistique et positif, au risque de ne pas pouvoir « conjurer le spectre conjugué de l’animation urbaine et de leur transformation en ingrédients de production d’une ville attractive. Celle-ci s’adresserait à de nouveaux arrivants plus fortunés, par le stock de culture qu’elle parviendrait à produire en images » (Jamar, 2012, p. 22).

2.3 La non prise en compte des inégalités socio-spatiales

48 Les critiques régulièrement faites au mouvement sont de deux ordres, mais se conjuguent dans le reproche du manque de représentativité de la population lors des pique-niques. Premièrement, l’aspect majoritairement néerlandophone est ainsi montré du doigt. Ensuite, l’absence de personnes représentant la population majoritaire dans cette commune de la région Bruxelloise, c’est-à-dire les personnes de milieu populaire et/ou d’origines immigrées. Mais si les acteurs du mouvement semblent ne pas ignorer ces manquements, ils ne parviennent pas à les intégrer à leur critique comme nous l’avons vu. Il semble qu’ils aient ainsi participé à la diffusion d’un espace public urbain déconflictualisé, alors qu’au contraire, comme l’écrit Henri Lefebvre, « qu’il y ait plusieurs groupes ou plusieurs stratégies, avec des divergences (entre l’étatique et le privé par exemple) ne modifie pas la situation. Des questions de propriété foncière aux problèmes de la ségrégation, chaque projet de réforme urbaine met en question les structures, celles de la société existante, celles des rapports immédiats (individuels) et quotidiens, mais aussi celles que l’on prétend imposer par la voie contraignante et institutionnelle à ce qui reste de la réalité urbaine » (Lefebvre, 1968). L’espace public, « lieu de conflits, de problématisation de la vie sociale, et terrain sur lequel les problèmes sont signalés et signifiés » (Berdoulay, Gomes et Lolive, 2004, p. 4) aurait ici été naturalisé, c’est-à-dire décrit comme non problématique et non politique, et la piétonisation alors affirmée comme souhaitable par tous.

49La commune de Bruxelles est une des plus précarisées de la Région.

« Le taux de chômage communal est largement supérieur à la moyenne bruxelloise, tant pour les hommes que pour les femmes. Ici encore, les écarts entre les quartiers populaires (en ce compris ceux de logements sociaux) et les quartiers plus aisés de la commune sont très importants. L’absence d’emploi est fréquente et touche essentiellement les jeunes dont le taux de chômage est nettement supérieur à la moyenne régionale (…). La proportion de la population qui vit d’un revenu minimum d’insertion ou d’une allocation de remplacement est plus importante à Bruxelles-Ville que dans l’ensemble de la Région » (ULB-IGEAT et Observatoire de la santé et du social, 2010, p. 20-24).

50Les acteurs du mouvement ont essayé de pallier ce paradoxe. D’ailleurs cette faiblesse est quasi avouée dans l’impératif de citoyenneté et d’une ville pour tous qui apparaît dans le cadrage du mouvement et de son mode d’action. Aussi, leur revendication symbolique centrée sur la place de la Bourse était la seule capable de mobiliser autant de monde. Ils sont d’ailleurs conscients de ne pas parvenir à réunir cette population davantage précarisée et/ou d’origine étrangère, ce problème revenant souvent lors de discussions. Mais la fatalité est alors convoquée.

51C’est aussi une des critiques qui sera faite à PicNic the Streets par l’association Inter-Environnement Bruxelles et ce, dès le lendemain des premiers pique-niques en 2012. La revue mensuelle de l’association, Bruxelles En Mouvement (BEM), revient en octobre 2012 sur le célèbre concept d’Henri Lefebvre. Intitulé « Un droit à la ville pour qui ? » (Inter-Environnement Bruxelles, 2012a), ce numéro la soumet au contexte bruxellois des luttes urbaines et sociales : la consommation, l’habitat/l’habiter, la participation mise en place par les pouvoirs publics, la réappropriation de l’espace public. Un article intitulé « Réapproprier les espaces publics : pour mieux dominer ? » revient explicitement sur le mouvement PicNic The Streets. Ses auteurs reviennent sur l’évènement de la Commune de Paris de 1871 utilisé par Henri Lefebvre pour illustrer un droit à la ville en acte, et la réappropriation du centre de Paris par les ouvriers, par ailleurs relégués dans la périphérie et les faubourgs. Seulement, ils précisent alors qu’il ne suffit pas que les populations les plus défavorisées habitent le centre de la ville, comme c’est le cas à Bruxelles, pour signifier leur émancipation et leur réappropriation de l’espace organisé par les dominants. Et c’est ici qu’ils pointent du doigt PicNic the Streets :

Prétendre régler les questions sociales en ne traitant que les formes urbaines revient à prétendre que l’amélioration des lieux centraux – leur « revitalisation », comme on dit à Bruxelles – mènerait automatiquement à l’amélioration des perspectives d’existence des gens qui y habitent ou en font usage. Plus pernicieusement, cet amalgame mène à dé-politiser le débat sur l’aménagement des territoires de la ville. Or, politique, ce débat l’est profondément. (…) C’est pourtant sur cette voie dépolitisante qu’une série d’initiatives bruxelloises récentes paraissent s’être engagées. Picnic the streets, par exemple (Inter-Environnement Bruxelles, 2012b, p. 16).

52Ainsi, ils pointent la difficile identification du « nous » comme nous l’avons fait plus haut.

53Enfin, la question de la gentrification, souvent évoquée en entretien, est aussi revenue dans les discussions lors de nos différents terrains de recherche. Pour les acteurs de PicNic the Streets, l’idée d’un risque d’éviction des populations les plus précaires du centre-ville inhérent à la revendication d’un espace piétonnier les interpelle, mais ne les pousse pas pour autant à remettre en cause leurs modes d’actions et leurs revendications. Cette question apparaissait plutôt comme un leitmotiv ennuyant et paralysant, les acteurs rétorquant souvent qu’ils n’allaient pas s’arrêter de se mobiliser pour l’amélioration de la vie en ville, parce qu’il existe des risques d’augmentation des loyers et du foncier à Bruxelles, ou encore que cette revendication ne correspondrait pas aux attentes ou aux intérêts immédiats d’une population davantage précarisée. La problématique de la gentrification symbolise dans l’espace contestataire bruxellois autour de l’espace public et de la mobilité une frontière, une démarcation entre deux mondes de la contestation. La critique émise par IEB au sujet des pique-niques en est l’exemple même. PicNic The Streets a contre-cadré cette critique en l’endossant (embracing) et en la justifiant (Benford et Hunt, 2001), lors des entretiens notamment. Et aussi par le choix de mise en scène opéré. Les pique-niques désobéissants répondent à cette attaque par la mise en scène d’un mode d’action auquel tout le monde peut et doit participer car résultant d’une revendication difficile à critiquer, renforçant l’image d’Épinal de ce futur piétonnier.

Conclusion : une dépolitisation effective mais non définitive de l’enjeu de la piétonisation à Bruxelles

54En cadrant son mouvement comme il l’a fait, PicNic the Streets semble avoir ainsi participé à une naturalisation, en rendant « naturel » et non problématique, l’enjeu du piétonnier à Bruxelles, laissant de côté la question de la ségrégation socio-spatiale inhérente à tout espace public. Un ouvrage collectif paru récemment et traitant de la dimension spatiale des inégalités sociales souligne que :

« dans le contexte des rapports sociaux de domination actuellement dominants, on ne peut pas ne pas se poser la question des formes spatiales et échelles pertinentes de contestation et d’action, mais tout porte à penser que la réponse, en matière de stratégie comme d’alternative, varie en fonction de ce qui est en jeu, des rapports de domination concernés et de leur dimension spatiale spécifique » (Clerval et al., 2015, p. 98).

55Dans cette introduction, les auteurs distinguent des modalités d’appropriation à dominante matérielle – usage exclusif ou autonome d’un lieu – et des modalités d’appropriation à dominante idéelle faisant entre autres référence à l’appropriation symbolique ou identitaire. On ne peut ici que faire le lien avec le mouvement PicNic the Streets et la forte visibilité dont il a bénéficié. Ce faisant, il n’a pas considéré les revendications sociales qui devraient aussi être l’objet des luttes urbaines. Luca Pattaroni se demandait d’ailleurs si ces dernières étaient « recyclables dans le développement urbain durable » (Pattaroni, 2011). Il évoque alors la « difficile conciliation entre une critique plus radicale, au fondement de la remise en question des modèles de développement urbain fondés sur des logiques d’extension capitaliste, et les dynamiques qui président au développement d’une ville bien équipée, rentable et concurrentielle ». Il pointe le risque de voir le développement durable, et certains des réaménagements qui y sont associés, devenir un « simple outil marketing soucieux d’attirer cette nouvelle « élite créative », les nouvelles classes moyennes supérieures » (Pattaroni, 2011, p. 53). Ce « nouvel esprit de la ville » cherche(rait) à concilier la ville globale et compétitive avec les aspirations du droit à la ville » (Pattaroni, 2011, p. 56).

Éléments de contexte 

  • Bruxelles est une ville-région. Appelée Région Bruxelles-Capitale (RBC), elle réunit dix-neuf communes dont la commune de Bruxelles-Ville. Celle-ci est le centre historique et touristique de la capitale européenne. Contrairement à une ville comme Paris, son centre urbain est habité par la population la plus précaire de la Région. Les populations les plus aisées habitent dans les communes les plus éloignées.

  • Par ailleurs, les habitants néerlandophones représentent un peu plus de 7,4 % de la population bruxelloise. Les institutions régionales fonctionnent dans les deux langues officielles que sont le français et le néerlandais.

  • Cet article a été écrit en janvier 2016. Depuis la phase test du piétonnier s’est clôturée sur des résultats positifs selon la Ville : davantage de piétons ainsi que de cyclistes, moins de voitures, et pas d’effet « petite ceinture » pour le contournement automobile. Ce n’est pas l’avis des associations. Quant aux commerçants – voyant leur chiffre d’affaires chuter – ils ont intenté plusieurs recours devant le Conseil d’État pour faire annuler les permis d’urbanisme, octroyés depuis. Les attentats ne favorisant pas la fréquentation des lieux publics. Aussi, suite à une concertation récente entre les différents niveaux décisionnels et de financement intervenant sur ce dossier (la Région, La ville de Bruxelles et Beliris) – conséquente des différents recours déposés –, il a été décidé de retirer les permis relatifs aux aménagements du piétonnier. Notamment parce que ceux-ci auraient été délivrés alors que le plan de circulation était encore en phase test, selon la Plateform Pentagone. Cela ne remet pas en cause pour autant le piétonnier. Par ailleurs, plusieurs associations dont le Gracq et le Bral ont quitté la Plateform Pentagone, jugeant celle-ci trop négative à l’égard du piétonnier. Un Observatoire – regroupant une équipe d’universitaires – s’est créé répondant à une demande d’Yvan Mayeur. Il a pour but d’évaluer les impacts socio-démographiques, socio-économiques et socio-spatiaux du piétonnier, pour « objectiver les débats idéologiques » (« Un observatoire pour mesurer l’impact du piétonnier à Bruxelles », Le Soir, 25 avril 2016).

Haut de page

Bibliographie

Benford R., Hunt S., (2001), « Cadrages en conflit. Mouvements sociaux et problèmes sociaux », in Cefai, D., Trom, D. (ed.), Les formes de l’action collective : mobilisations dans des arènes publiques, Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Raisons pratiques), 322 p.

Benford, R.D. et Snow, D.A. (2012). « Processus de cadrage et mouvements sociaux  : présentation et bilan », Politix, vol. 99, no 3, (traduit par Plouchard N.M.), p. 217-255.

Berdoulay, V., Gomes, P.C.D.C. et Lolive, J. (2004). « L'espace public ou l'incontournable spatialité de la politique », in Berdoulay, V., Gomes, P.C.D.C. et Lolive, J. (Ed.). L’espace public à l'épreuve. Régressions et émergences, Bordeaux, Presses de la MSHA, p. 9-27.

Clerval, A., Fleury, A., Rebotier, J. et Weber, S. (ed.) (2015). Espace et rapports de domination, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 400p.

Diani, M. (2007). « The relational element in Charles Tilly’s recent (and not so recent) work », Social Networks, vol. 29, no 2, p. 316-323.

Douay, N. et Prevot, M. (2014). « Park(ing) day  : label international d’un activisme édulcoré  ? », Environnement Urbain/Urban Environnement, vol. 8, p. 14-33.

Girard, M. (2010). « Du dedans au dehors de l’espace démocratique  : la désobéissance civile », Multitudes, vol. 2, no 41, p. 212-218.

Hayes, G. et Ollitrault, S. (2012). La désobéissance civile, Paris, Presses de Sciences-Po, 169 p.

Hubert, M. (2008), « L'Expo 58 et le « tout à l'automobile ». Quel avenir pour les grandes infrastructures routières urbaines à Bruxelles ? », Brussels Studies, no 22.

Hubert, M., Lebrun, K., Huynen, P., Dobruzkes, F. (2013). « Note de synthèse BSI. La mobilité quotidienne à Bruxelles : défis, outis et chantiers prioritaires », Brussels Studies, no 71.

Inter-Environnement Bruxelles, 2012a, « Le droit à la ville pour qui  ? », Bruxelles En Mouvements, no 259-260, 32 p.

Inter-Environnement Bruxelles, 2012b, « Réapproprier les espaces publics  : pour mieux dominer  ? », Bruxelles En Mouvements, no 259-260, p. 16-18.

Ion, J. (2012). S’engager dans une société d’individus, Paris, Armand Colin, 220 p.

Jamar, D. (2012). « Art-Activisme  : enjeux de créativité urbaine à Bruxelles », L’Information géographique, vol. 76, no 3, p. 24-35.

Kingdon, J.W. (2003). Agendas, alternatives, and public policies, 2e édition, New York, Longman, 253 p.

Lefebvre, H. (1968). Le droit à la ville (suivi de) Espace et Politique, Paris, Anthropos, 281 p.

Martens, A. (2009). « Dix ans d’expropriations et d’expulsions au Quartier Nord à Bruxelles (1965-1975)  : quels héritages  ? », Brussels Studies, n° 29.

Neveu, E. (2010). « Médias et protestation collective », in Fillieule, O., Agrikoliansky, E., Sommier, I. (ed.), Penser les mouvements sociaux : conflits sociaux et contestation dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, p. 245-264.

Observatoire de la santé et du social et ulb-igeat, 2010, « Fiches communales d’analyse des statistiques locales en Région bruxelloise, Fiche 4  : commune de Bruxelles-Ville ».

Pattaroni, L. (2011). « Le nouvel esprit de la ville : Les luttes urbaines sont-elles recyclables dans le «  développement urbain durable  »  ? », Mouvements, vol. 1, no 65, p. 43-56.

Pierru, E. (2010). « 1. Organisations et ressources », in Fillieule, O., Agrikoliansky, E., Sommier, I. (ed.), Penser les mouvements sociaux : conflits sociaux et contestation dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, p. 19-38.

Programme de législature 2012-2018, ville de Bruxelles, s. d., « une ville qui change pour tous les bruxellois ».

Romainville, A. (2005). « Une “flamandisation” de Bruxelles  ? », Belgeo, no 3, p. 349-372.

Simay, P. (2008). « Une autre ville pour une autre vie. Henri Lefebvre et les situationnistes », Métropoles, URL : https://metropoles.revues.org/2902, mis en ligne le 18 décembre 2008, consulté le 18 septembre 2016.

Trom, D. (2001), « Grammaires de la mobilisation et vocabulaires de motifs », in Cefai, D., Trom, D. (ed.), Les formes de l’action collective : mobilisations dans des arènes publiques, Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Raisons pratiques), 322 p.

Haut de page

Notes

1 Célèbre phrase d’Henri Lefebvre et des situationnistes (Philippe Simay, « Une autre ville pour une autre vie. Henri Lefebvre et les situationnistes », Métropoles [En ligne], 4 | 2008), reprise par le bourgmestre de la Ville de Bruxelles lors d’une interview diffusée dans le journal Le Soir, évoquant le piétonnier et sa mise en œuvre. Voir Pierre Vassart, « Un piétonnier pour changer la vie à Bruxelles », Le Soir, 3 juin 2015.

2 Yvan Mayeur, Mayor of the Brussels City, quoting (probably without knowing) the famous Henri Lefebvre’s and Situationists ‘s quote (Philippe Simay, « Change city-life to change life itself ». Henri Lefebvre and the Situationists », Métropoles [En ligne], 4 | 2008), in an interview in which he speaks about the pedestrianization of the central lanes (Pierre Vassart, « Un piétonnier pour changer la vie à Bruxelles », Le Soir, 3 juin 2015).

3 Ce réseau piétonnier est communément appelé « le piétonnier » par les habitants de Bruxelles.

4 Laetitia Van Eeckhout, « Bruxelles bannit les voitures dans son centre », Le Monde.fr, 28 juin 2015

5 Van Parijs, P. (2012), « PICNIC THE STREETS ! », Le Soir, 24 mai 2012

6 La carte blanche a également été publiée dans le journal néerlandophone Brussel Deze Week (BDW) – très centré sur les problématiques urbaines bruxelloises.

7 L’un des acteurs le rappellera d’ailleurs lors du lancement de la seconde saison des pique-niques en 2013 : Al-Jazeera, Wall Street Journal ou encore des journaux brésiliens et chinois.

8 BELGA (agence de presse), « Le centre de Bruxelles sera sans voiture tous les dimanches », Le Soir, 15 juin 2012

9 Dans notre thèse, nous revenons sur l’histoire de ce mouvement. Déjà en 1998, un mouvement regroupant un certain nombre de collectifs et d’associations – dont le BRAL et IEB (associations néerlandophone et francophone de lutte pour l’environnement), le Collectif sans Tickets, NoMo (asbl très active sur les questions de mobilité et qui proposa à la fin des années 2000 un plan de mobilité pour le Pentagone intitulé « Demain, 50% de voitures en moins dans le centre de Bruxelles »), etc., – organisé sous le nom de Street Sharing, interpellait les autorités bruxelloise pour limiter la place octroyée à l’automobile dans ce centre-ville.

10 Le week-end du vendredi 13, du samedi 14 et du dimanche 15 septembre 2013 fut organisé PicNic More Streets : le vendredi soir une masse critique à vélo fit le tour des points noirs en matière de mobilité du centre de la région Bruxelloise ; deux autres pique-niques furent organisés dans deux communes différentes. Chacun portait des revendications propres aux enjeux urbains de leur commune respective.

11 Ce changement de dirigeant résulte d’un accord intra-communal. Cependant, la couleur politique du nouveau bourgmestre ne diffère pas de l’ancien, Freddy Thielemans, alors PS.

12 COLEYN Mathieu, « Yvan Mayeur: “Un Times Square au centre de Bruxelles” », La Libre, 13 décembre 2013

13 Place du Jeu de Balle, Place Rouppe, Nouveau Marché aux Grains et Yser.

14 Hubert M., De Geus B., Boutsen D., « L’avenir du centre de Bruxelles : pourquoi nous sommes tous concernés », La Libre, 24 juin 2014

15 Le Pentagone désigne la commune de Bruxelles, située au cœur de la région Bruxelles-Capitale. Son contour géographique, à peu de chose près, forme un polygone à cinq sommets. Le boulevard Anspach le traverse du nord au sud, et longe, en plein centre-ville, l’ancienne Bourse de la ville.

16 Brusselse Raad voor Het LeefMilieu, pendant néerlandophone de l’association francophone Inter-Environnement Bruxelles (IEB). Toutes deux fédèrent les comités de quartier bruxellois et s’occupent des questions environnementales et d’aménagement urbain, à travers des outils de lobbying et d’éducation populaire.

17 Le terme désormais péjoratif de « Bruxellisation » évoque la tendance politique des années 1950 qui consistait à penser la ville à travers de grands projets de modernisation. Alors laissée aux mains des investisseurs privés, Bruxelles fut le théâtre de contestations conséquentes, s’opposant à la construction d’infrastructures automobiles mais aussi à des projets immobiliers démesurés.

18 L’ARAU, Atelier de Recherche et d’Action Urbaines, est une association née en 1969 suite aux mouvements de contestations qui s’opposèrent à la « bruxellisation ». Le GRACQ, Groupe de Recherche et d’Action des Cyclistes Quotidiens, née en 1975, promeut quant à elle la place du vélo en ville et défend les intérêts des usagers cyclistes auprès des pouvoirs publics.

19 Charte de la Plateform Pentagone disponible sur leur site internet : http://www.platformpentagone.be/qui-sommes-nous/charte/

20 Le 12 février 2015, l’ARAU, le BRAL et IEB déposèrent un recours devant le Conseil d’État pour demander une consultation publique au sujet du piétonnier et exiger de la ville de Bruxelles qu’elle respecte la loi en matière d’études d’incidences et d’enquête publique qu’implique la réalisation d’un tel plan ainsi que les études préparatoires requises par le droit européen et bruxellois. Parallèlement, le 23 février 2015, la Commission Régionale de Mobilité – organe institutionnel bruxellois, sans poids contraignant mais à forte valeur symbolique – rend un avis du même ordre, concernant le redéploiement des places et des boulevards du centre.

21 Le BRAL a lancé un appel à projet pour architectes fin 2011 pour imaginer le boulevard Anspach transformé en un grand parc.

22 Voir notamment le projet de Plan Régional de Développement Durable http://www.prdd.be/ ou encore Laura Curado, La montée de la notion de durabilité dans les politiques urbaines à Bruxelles et sa mise à l’épreuve dans le projet de quartier durable « Tivoli » à Laeken, Rapport présenté dans le cadre d’une bourse de recherche FSR, décembre 2013 ou encore Hélène Reigner, Thierry Brenac, Frédérique Hernandez, Nouvelles idéologies urbaines. Dictionnaire critique de la ville mobile, verte et sûre, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013

23 The Giant Picnic manifesto (manifeste pour une ville plus agréable), extrait du manifeste publié sur www.picnicthestreets.eu, site qui n’existe plus aujourd’hui.

24 Ibidem.

25 Le collectif revendique justement le fait d’être a-politique et de ne pas avoir de leader, ceci dans le but que tous les citoyen-ne-s s’identifient au mouvement : « nous sommes tous picnic the streets », disent-ils lorsque la presse interroge l’un-e d’eux.

26 La critique au sujet de l’inertie des pouvoirs publics fait ici référence « au tout à l’automobile » qui semble encore parfois motiver les politiques publiques en matière de mobilité, et ce malgré une volonté de mettre en œuvre une mobilité durable (Hubert, 2008). Voir notamment les plans d’orientation stratégiques comme le Plan Régional de Développement Durable approuvé en décembre 2013 par le gouvernement Bruxellois ou encore le Plan IRIS II. Ce dernier ne concerne que la mobilité, et s’inscrit dans une volonté de décongestion de la capitale. Bien que contraignant à l’égard des autorités et administrations s’y référant depuis le 6 juillet 2013, les objectifs annoncés semblent difficile à atteindre (Hubert et al., 2013).

27 Les boulistes bruxellois, Canal Park BXL, DoucheFLUX, Stand Up Activism, Bruxelles Velodossier.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Image 1 : Tract du premier pique-nique organisé par PicNic The Streets le 10 juin 2012.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/1405/img-1.png
Fichier image/png, 540k
Titre Image 2 : Affiche réalisée par PicNic the Streets pour le pique-nique du 8 juin 2014
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/1405/img-2.png
Fichier image/png, 305k
Titre Image 3 : Affiche du pique-nique organisé le 7 juin 2015 par PicNic the Streets
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/1405/img-3.png
Fichier image/png, 265k
Titre Image 4 et image 5 : sur la première image, se trouvent les participants avant le décompte annonçant le début de l’action de désobéissance civile. Sur la seconde, on voit le boulevard Anspach transformé en table de pique-nique géante.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/1405/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 437k
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/1405/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 635k
Titre Image 6 : Photo prise lors du pique-nique du 7 juin 2015
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/docannexe/image/1405/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 478k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Julie Tessuto, « Changer la ville pour changer la vie ? Le mouvement citoyen PicNic the Streets et l’invisibilisation des enjeux socio-économiques liés au réaménagement du centre-ville de Bruxelles »Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne], Volume 10 | 2016, mis en ligne le 08 novembre 2016, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/eue/1405

Haut de page

Auteur

Julie Tessuto

Julie Tessuto chercheuse-doctorante à l’Université Saint-Louis – Bruxelles, au Centre d’Etudes Sociologiques (CES). Elle bénéficie d’une bourse pour la recherche en sciences humaines du Fonds national de la recherche scientifique de Belgique (F.R.S.-FNRS).

L’auteure tient à remercier les acteurs/actrices du mouvement PicNic the Streets pour leur confiance et le temps qu’ils/elles lui ont accordé. Elle remercie également ses collègues, Abraham Franssen et François Demonty, pour leurs précieuses relectures.

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search