Navigation – Plan du site

AccueilNuméros191Comptes rendusGérard Lenclud, En Corse. Une soc...

Comptes rendus

Gérard Lenclud, En Corse. Une société en mosaïque

Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012, 270 p.
Fabien Gaveau

Texte intégral

Gérard Lenclud, En Corse. Une société en mosaïque. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2012, 270 p.

1Ce recueil propose au lecteur sept articles de Gérard Lenclud, publiés dans plusieurs revues, dont Études rurales, entre 1978 et 1993. En soi, l’entreprise est à saluer en ce qu’elle rend les choses plus faciles pour qui s’intéresse à l’espace corse. Par ailleurs, les articles ont été rédigés dans le contexte de basculement de cette société insulaire sous l’effet des politiques publiques qui ont voulu réorganiser la mise en valeur des terres et soutenir l’essor touristique. C’est donc un temps de crise pour un monde composé de nombreuses unités fondées sur la référence à la montagne et aux espaces pastoraux.

2Anthropologue reconnu, Gérard Lenclud propose un avant-propos inédit sur le devenir des travaux en ethnologie. Il discute les attendus et les concepts qui peuplent la vie d’un chercheur. Le contexte d’une recherche joue en effet sur la manière de conduire le travail. Les conclusions ethnologiques ont tendance à devenir, avec le temps, des matériaux pour l’histoire ou, à défaut, à offrir un instantané d’une société à une époque donnée. Par ailleurs, il est difficile à l’enquêteur d’échapper au prisme des sources et des témoignages qu’il rassemble, même en essayant de les croiser et de les recouper. Une part de mythe habite toujours la source.

3Si le temps érode nombre de travaux, le mérite d’une réédition d’articles est d’abord de nature historique : « [ils] apportent des témoignages sur le passé », écrit l’auteur dès la page 8. Le passé dont il est question, c’est d’abord celui qui avait encore du sens pour ceux qui ont été les interlocuteurs du chercheur dans les années 1970.

4De fait, les témoignages recueillis portaient les valeurs, les regards et les savoirs de ceux qui les délivraient, non sans les avoir pour partie recomposés. Gérard Lenclud a vite pris la mesure de la construction historique de la société qu’il observait. Loin d’être « traditionnelle », elle était déjà dans les années 1970 le produit d’une évolution réelle, parfois émaillée de multiples tensions.

5L’émigration des Corses pour servir dans la fonction publique ou dans l’armée, notamment, a été la cause principale de la transformation de la société insulaire. Mais, précise Gérard Lenclud, il n’est pas sûr que les migrants et leurs descendants n’aient pas gardé au cœur l’idée d’une société idéalisée, dont les Corses d’aujourd’hui peinent à faire admettre qu’elle n’est plus. Les vieillards des villages sont devenus les gardiens de traditions, qui rassurent ceux qui reviennent ponctuellement au berceau.

6Reste que la Corse de l’intérieur, cette kyrielle de « petites patries », est aujourd’hui en cours de déclassement devant la puissance des réaménagements induits par les administrations publiques établies dans les villes du littoral. À terme, la littoralisation des activités risque de faire d’un intérieur, naguère source des formes d’organisation collective, un véritable conservatoire.

7Les articles reproduits ici permettent de mesurer ce qu’était la vie rurale dans la seconde moitié du XXe siècle. Ils décrivent l’économie rurale insulaire et la manière dont s’organisaient les groupes familiaux et villageois. Tous les secteurs de l’existence sont abordés : il est vrai que le lecteur y trouvera un état de ce qu’était l’ancienne société agraire corse. En ce sens, oui, les textes ont vieilli sur le plan de l’ethnologie. Le chercheur en sciences humaines et sociales y puisera cependant de nombreux renseignements pour faire le lien entre l’île du XIXe siècle et celle de la fin des années 1960.

8Les textes permettent en outre de formuler un axe de recherche sur la nature des difficultés que la Corse rencontre aujourd’hui. Plus que la complémentarité, l’opposition entre les villes du littoral, où transitent les capitaux et où se décident les projets de développement, et l’intérieur, récemment encore si déterminant, demeure sans doute centrale pour saisir la nature des tensions qui s’expriment au quotidien.

9Les nouvelles aspirations de certains groupes bousculent des schémas anciens sans proposer toujours des futurs collectifs. Les autorités d’État ne sont pas sans responsabilité dans le brouillage des repères. La Corse apparaît comme une société qui se cherche. Le positionnement en faveur d’une économie touristique et immobilière n’est pas unanimement partagé, mais proposer une alternative qui rassemble est problématique. Les archives du XIXe siècle laissent entrevoir que l’évolution vers cette situation se lisait déjà dans l’ambiguïté dont les administrations publiques faisaient preuve à l’égard de l’île.

10En somme, l’ouvrage est très pertinent, tant pour l’information qu’il rassemble que pour les réflexions qu’il suscite sur la période actuelle.

11En définitive, non, ce livre n’est pas inutile. Il propose un retour sur un moment où se sont accélérées les orientations qui font de l’île ce qu’elle est aujourd’hui, ou ce qu’elle croit être, ou ce que chacun est prêt à croire qu’elle est. Merci à Gérard Lenclud pour les lumières qu’il offre ainsi au lecteur.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Gaveau, « Gérard Lenclud, En Corse. Une société en mosaïque »Études rurales [En ligne], 191 | 2013, mis en ligne le 12 juillet 2015, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/9870 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.9870

Haut de page

Auteur

Fabien Gaveau

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search